CesystĂšme contribue Ă  la rĂ©duction de la consommation Ă©nergĂ©tique de vos bĂątiments et de vos coĂ»ts d’exploitation. De plus, comparĂ© Ă  un systĂšme classique Ă  trois tubes, cela permet d’avoir : Jusqu’à 50% de tubes frigorifiques en moins ; Jusqu’à 30% de charge frigorifique en moins dans l’installation. 3 Le nouveau systĂšme d'exploitation de Microsoft a fuitĂ© sur Internet, confirmant la venue d'un Windows 11. Nous avons pu installer cette prĂ©version. Voici un aperçu de l'interface et de quelques fonctionnalitĂ©s. Le build de Windows 11 quelques jours des annonces officielles Microsoft, Windows fait de plus en plus parler de lui. Normalement pensĂ©e comme une mise Ă  jour de Windows 10, la firme de Redmond a finalement semĂ© quelques indices qui laissent deviner un passage Ă  une version 11 de l' hier 15 juin 2021, c'est tout bonnement un fichier ISO offrant d'installer une prĂ©version de Windows 11 qui circule sur Internet. Nous l'avons mis en route afin d'en tester quelques fonctionnalitĂ©s. Notez cependant qu'il ne s'agit pas d'une version dĂ©finitive et quelques Ă©lĂ©ments pourraient avoir Ă©voluĂ© entretemps. VoilĂ  en tout cas quelques images de ce que peut proposer le nouveau section À propos affiche un Windows 11 Pro prĂ©vu, la barre des tĂąches a bien changĂ© et ses icĂŽnes sont dĂ©sormais centrĂ©es. On retrouve lĂ  une disposition et une simplification apportĂ©es par Windows 10X avant que l'OS ne soit mis Ă  l'Ă©cart. Il est toutefois toujours possible de positionner la barre des tĂąches Ă  gauche. La nouvelle barre des tĂąches nous avions pu l'observer Ă  travers les images des programmes Insiders, les fenĂȘtres sont plus arrondies et l'Explorateur de fichiers profite de nouvelles icĂŽnes de l' laissant le pointeur sur Agrandir en haut Ă  droite d'une fenĂȘtre, on dĂ©couvre un nouveau menu pour choisir la disposition des fenĂȘtres sur le Bureau. Le classique Ă©cran partagĂ© gauche-droite est maintenant agrĂ©mentĂ© d'autres possibilitĂ©s Ă  trois, voire quatre fenĂȘtres, une fonctionnalitĂ© qui devrait s'avĂ©rer trĂšs pratique. Les dispositions de fenĂȘtres disponibles en cliquant sur menu DĂ©marrer a Ă©galement Ă©tĂ© simplifiĂ©, affichant uniquement les applications Ă©pinglĂ©es, celles recommandĂ©es et le bouton Marche/ menu DĂ©marrer a Ă©tĂ© widgets font aussi leur retour, mais ne peuvent ĂȘtre utilisĂ©s pleinement sur cette prĂ©version. On devrait pouvoir Ă  terme les positionner n'importe oĂč sur le nouveaux thĂšmes font leur apparition et le mode sombre a Ă©tĂ© revisitĂ©. Il apporte une certaine touche d'Ă©lĂ©gance Ă  l' nouveaux mode sombre Ă©lĂ©ments ont en revanche trĂšs peu changĂ©, Ă  l'instar du panneau de configuration ou le gestionnaire des gestionnaire des couleurs changent sur le panneau de 11 apparaĂźt finalement comme une Ă©volution esthĂ©tique plus qu'une transformation en profondeur, mais c'est ce que Microsoft avait annoncĂ© en Ă©voquant le projet Sun Valley. Nous en saurons plus le 24 juin puisque le groupe dĂ©voilera officiellement ses nouveautĂ©s au cours d'un Ă©vĂ©nement que nous ne manquerons pas de suivre sur notre site, mais aussi en direct sur Twitch. Nous espĂ©rons que Microsoft nous rĂ©serve quelques surprises par rapport Ă  cette prĂ©version
 MoinseffrayĂ©s par la « lourdeur » du procĂ©dĂ© que certains de leurs confrĂšres occidentaux, les conditionneurs de ces pays franchissent le pas de l'aseptique Ă  froid bien plus facilement que Les comptines sur la rentrĂ©e des classes et sur l’école Les chansons et comptines sur Halloween, les sorciĂšres, les fantĂŽmes
 Les comptines sur l’automne Les comptines sur l’hiver Les chansons et comptines de NoĂ«l Les comptines pour fĂȘter la bonne annĂ©e Les comptines sur la galette Les comptines sur les rois, les reines, les princesses, les chĂąteaux forts
 Les comptines sur la chandeleur Les comptines sur le carnaval Les comptines sur le printemps . Les comptines autour du jardin, des fleurs, des graines
 Les poĂ©sies pour la fĂȘte des mĂšres et des pĂšres Les comptines sur l’étĂ© et les vacances Les comptines pour apprendre les couleurs Les comptines sur les formes gĂ©omĂ©triques Les comptines sur le corps et les 5 sens Les comptines pour compter Les comptines sur les animaux Les comptines sur la mer, les poissons et autres crustacĂ©s
 Les comptines et chansons sur les pirates Les comptines sur le cirque Les comptines et chansons sur l’Asie Les comptines sur l’Afrique Les animaux polaires et la banquise Les comptines sur les AmĂ©rindiens Les comptines et chansons autour de l’Australie Les comptines et chansons autour des dinosaures Les comptines en langue des signes, Makaton et bĂ©bĂ© signe Les comptines pour danser Les jeux de doigts et chansons Ă  gestes Les berceuses pour endormir bĂ©bĂ© Les comptines sur les Ă©motions Lavague de froid sibĂ©rien qui s'est abattue sur le continent europĂ©en devrait encore s'accentuer mardi, aprĂšs avoir fait au moins dix morts depuis trois jours.- France -Trois sans-abri ont
Bon Pote January 13, 2022 Mis Ă  jour le 9 March 2022 30 Comments Texte de Gildas VĂ©retAu XXIe siĂšcle, est-ce vraiment possible de vivre dans un pays dĂ©veloppĂ© en Ă©mettant moins de 2 tonnes de CO2e par an ?Petit rappel cette Ă©tape est indispensable pour pouvoir atteindre la neutralitĂ© carbone, respecter les engagements de notre pays et conserver une planĂšte habitable. Pour ĂȘtre franc oui et vraiment possible ?OUI on l’a fait ! Cela veut dire savoir cuisiner des lĂ©gumineuses de beaucoup de façons dĂ©licieuses, mettre son vĂ©lo dans un train pour aller travailler, installer un Linux pour faire durer un vieil ordi, avoir des sacs et des boites rĂ©utilisables pour faire ses courses et s’habiller surtout d’occasion. Ça demande quelques efforts, mais c’est satisfaisant et ça peut devenir franchement marrant si l’on fait partie d’une communautĂ© oĂč c’est valorisĂ© ex les rĂ©sistants climatiques.Surtout, ce n’est rien Ă  cĂŽtĂ© des efforts » qu’il nous faudrait fournir pour s’adapter » Ă  un monde avec plusieurs milliards de migrants, des guerres et des famines partout et une France dont l’habitabilitĂ© serait remise en question »  À 2tCO2e aujourd’hui, on peut travailler, utiliser internet, se dĂ©placer partout en France, avoir un logement bien chauffĂ©, des loisirs, des amis et respecter l’accord de en fait le chiffrage ci-dessus est fourni hors services publics ». En effet, la part actuelle des Ă©missions des services publics s’élĂšve Ă  environ 1,5 tCO2eq/pers/an entre 1,1t et 1,7t. En somme, avant mon petit dĂ©jeuner, l’essentiel de mon budget carbone a dĂ©jĂ  Ă©tĂ© dĂ©pensĂ© pour faire marcher les Ă©coles, les hĂŽpitaux, la recherche, les administrations, l’armĂ©e. Et franchement, moins de 500 kgCO2e/an en France, dans un mode de vie insĂ©rĂ© Ă  la sociĂ©tĂ© », pour l’instant, on ne sait pas cela n’a rien de rĂ©dhibitoire, vu que la loi prĂ©voit une division par 6 et plus de nos Ă©missions ». Une fois que la dĂ©carbonation de l’économie et des services publics que cela implique sera rĂ©alisĂ©e on parle de 2040 comme timing nĂ©cessaire, 2050 comme timing lĂ©gal, ma part des services publics sera proche de 250kg, ce qui me laissera 1750kg pour le reste. Passer de 2t Ă  1,7t sera aisĂ© vu la dĂ©carbonation globale de l’économie et l’engouement de la sociĂ©tĂ© pour le bas carbone. En tout cas ce sera plus facile que d’ĂȘtre Ă  2t hors services publics en 2020, et ça c’est dĂ©jĂ  possible et dĂ©sirable aujourd’hui !10 tonnes ? 8 ? 12 ? Quel est le bon chiffre ?En ce dĂ©but 2022, les chiffres disponibles pour estimer l’empreinte carbone moyenne en France varient de 8 Ă  12t, selon les sources et les annĂ©es. De plus la mĂ©thodologie de calcul est en cours de modification. Dans cette situation de complexitĂ© et d’incertitude analysĂ©e en dĂ©tail ici, il nous semble raisonnable de retenir l’ordre de grandeur de 10tCO2e/pers/an en France avec une incertitude de 10 Ă  20 %.Remarque ces ordres de grandeur fournissent un constat sans appel. La recherche d’exactitude doit ĂȘtre relativisĂ©e par le fait que nos cibles pour 2030 et 2050 baissent chaque semaine, car nous sommes trĂšs au-dessus des trajectoires et – par dĂ©finition – les budgets carbone ne sont pas extensibles. “Infographie Kit “Inventons nos vies bas carbone”Le kit Inventons nos vies bas carbone » dont s’inspire cette infographie est en libre tĂ©lĂ©chargement. Il fournit les Ă©lĂ©ments chiffrĂ©s et sourcĂ©s Ă  la base de cet article ainsi que les Ă©lĂ©ments vous permettant de bĂątir votre propre y a deux trois petites choses qui vont devoir changerIl nous faut reconnaĂźtre que la normalitĂ© » telle qu’elle est prĂ©sentĂ©e aujourd’hui n’est pas viable et bĂątir une autre norme sociale compatible avec les limites planĂ©taires et donc la continuation de la vie et de la calculs mathĂ©matiques poussĂ©s ont montrĂ© que si j’adopte un comportement qui Ă©met plus de 2tCO2e plusieurs fois par an mes chances de respecter ce budget annuel sont proches de zĂ©ro plusieurs Ă©quipes ont refait ce calcul. En clair, il y a des choses qui ne passent pas. Par exemple AlimentationÇa ne passe pas le midi c’est steak-frite ! Classique sans doute, mais manger de la viande tous les jours amĂšne assurĂ©ment Ă  dĂ©passer les 2 tonnes. Un repas Ă  dominante animale » steak-jambon-fromage Ă©met environ 7kg de CO2 d’aprĂšs l’ADEME. Donc steak-jambon-fromage midi et soir, ça mĂšne Ă  plus de 5tCO2e par an sans parler des maladies cardio-vasculaires
et donc de l’impact sur les services publics ! .Ça passe un repas vĂ©gĂ©tarien peut ĂȘtre synonyme de gourmandise. Ceux qui apprĂ©cient les falafels, les mezzĂ©s et houmous, le savent. Aujourd’hui la cuisine vĂ©gĂ©tarienne et vĂ©gane fait preuve d’énormĂ©ment d’inventivitĂ© ! Il reste tout Ă  fait possible de manger de la viande dans les grandes occasions sans que cela grĂšve fortement notre budget carbone, comme l’ont fait nos ancĂȘtres depuis longtemps et ils avaient des mĂ©tiers autrement plus physiques qu’aujourd’hui.Gardons en tĂȘte que la grande majoritĂ© des animaux d’élevage vivent dans des hangars. Apprendre Ă  manger vĂ©gĂ©tarien, ce n’est pas supprimer les quelques vaches que l’on voit dans le paysage, mais sortir de l’élevage concentrationnaire ! Si l’on ne mange que des animaux Ă©levĂ©s 100 % Ă  l’herbe, on va vite se rendre compte qu’ils sont peu nombreux car la quantitĂ© d’herbe disponible est limitĂ©e et que la seule voie possible, c’est de diminuer trĂšs fortement notre consommation de ne passe pas acheter un beau SUV ! nous parlons ici des soi-disant 4*4 urbains ». Alors, oui c’est vrai, ces grosses machines consomment beaucoup d’essence, alors qu’il nous faut diviser par deux notre consommation Ă©nergĂ©tique ben oui, c’est la loi. Mais il y a plus. Fabriquer des machines de ce type est assez Ă©missif il faut pas mal de mines et d’usines pour fournir et assembler les quelques tonnes de matiĂšre qu’on finit par appeler une voiture » ou un tank, c’est juste le design qui change.Les mines et les usines fonctionnant au pĂ©trole, aujourd’hui, la fabrication d’un gros SUV de 2,5tonnes de type Range Rover ou Mercedes Ă©met environ 20tCO2e.. Donc acheter un SUV implique de passer 10 ans sans manger ni se chauffer, ni rouler avec on peut certes l’admirer dans son garage ;-. Ou, plus rĂ©alistement, les SUV ne sont pas compatibles avec l’accord de Paris. La question de pourquoi l’on donne 7 000€ d’argent public Ă  toute personne qui veut acheter un SUV Ă©lectrique neuf est, de ce fait, une bonne question. La bonne nouvelle, c’est que si vous comptiez acheter un SUV, cet article va vous faire Ă©conomiser 30 Ă  50 000€ !Ça passe A l’inverse, des flottes de vĂ©hicule carĂ©nĂ©s lĂ©gers 300 Ă  500kg, de vitesse limitĂ©e max 70km/h qui fonctionneraient Ă  l’électricitĂ© ou aux carburants de synthĂšse peuvent tout Ă  fait complĂ©ter le dĂ©veloppement de la marche, du vĂ©lo, des trains et des transports en commun. Il est urgent de diriger nos effets vers des vĂ©hicules Ă©conomes 1 Ă  2 L au 100km et de remettre en cause la vitesse sur les routes on pense par exemple Ă  la mesure 110km/h vs 130km/h sur l’autoroute de la CCC torpillĂ©e par le vĂ©to prĂ©sidentiel !!ConsommationÇa ne passe pas vive la 5G ! Le streaming c’est la vie, du moins c’est ainsi que le ressentent la plupart de ceux qui sont nĂ©s aprĂšs la fin de la prĂ©histoire, vers l’an 2000 de notre Ăšre. Sans doute les serveurs sont ils bien cachĂ©s, loin des yeux, loin du coeur
 mais un rapport ultra secret de la CIA semble indiquer qu’il y en aurait beaucoup et qu’ils consomment de l’électricitĂ©. Un rapport parfaitement public du Shift project prĂ©tend mĂȘme que le numĂ©rique est dĂ©jĂ  responsable de 4 % des Ă©missions de GES mondiales et que ce chiffre pourrait doubler d’ici 2025 et continuer sa trajectoire vers la stratosphĂšre. Le bureau d’étude BL Ă©volution indique que pour se mettre sur une trajectoire compatible avec l’Accord de Paris, il faudrait diviser par 3 le volume de vidĂ©os en ligne consommĂ© d’ici 2030. On se demande bien Ă  quoi la 5G va servir si l’on veut diminuer les passe bonne nouvelle ! L’ensemble des textes de WikipĂ©dia en anglais pĂšsent environ 10 Go. En tĂ©lĂ©chargeant l’équivalent d’une dizaine de films, on aurait de quoi lire pour plusieurs vies et accĂšs Ă  une large part de la connaissance humaine. On peut assurĂ©ment continuer Ă  faire circuler des informations de maniĂšre quasi instantanĂ©e Ă  l’échelle mondiale avec internet texte Ă  volontĂ©, son sans problĂšme, un peu d’images, et beaucoup beaucoup moins de vidĂ©o. Il va falloir remettre les films et les sĂ©ries sur des supports matĂ©riels qui circulent. Rien de dramatique, Ă  moins que vous ne soyez actionnaire de ne passe pas construction neuve en bĂ©ton armĂ© ! La production de bĂ©ton et d’acier est extrĂȘmement Ă©missive et la construction neuve artificialise d’immenses terres qui sĂ©questraient du carbone. Pendant ce temps l’essentiel des Français continue de vivre dans des bĂątiments mal isolĂ©s ils dĂ©pensent Ă©normĂ©ment en chauffage pour un confort mĂ©diocre. Les parois des passoires thermiques » condensent et moisissent, ce qui n’est guĂšre agrĂ©able Ă  vivre. Pendant ce temps, on n’a toujours pas commencĂ© Ă  sĂ©rieusement rĂ©nover l’ passe basculons tous les emplois de la construction vers la rĂ©novation thermique des bĂątiments. Tout le monde garde son emploi on peut mĂȘme en crĂ©er beaucoup et l’on a du travail pour toute la filiĂšre pour plusieurs dĂ©cennies. Mettre une couche continue de 30cm d’isolant Ă  l’extĂ©rieur de toutes les passoires thermiques est potentiellement moins difficile, mais nettement plus vital que d’envoyer une mission sur Mars. En divisant par 10 les consommations de chauffage, on divise par 10 les factures et le bilan carbone gagnant/ publiqueÇa ne passe pas dĂ©taxer le kĂ©rosĂšne ! Les gilets jaunes avaient posĂ© une question nette pourquoi augmenter le prix de l’essence alors que les plus riches volent avec du kĂ©rosĂšne dĂ©taxĂ© 2 % de la population sont responsables de la moitiĂ© des vols en France ? À ce jour, on n’a pas vraiment entendu de rĂ©ponse claire. Ces 8 milliards d’euros annuels de cadeau fiscal Ă  l’aviation viennent s’ajouter aux milliards du plan de relance qui pleuvent sur le secteur aĂ©rien et automobile
Bien sĂ»r, si l’on met des quantitĂ©s gigantesques d’argent public pour maintenir – Ă  perte – les industries les plus polluantes et les plus inĂ©galitaires, il n’y a plus de moyens pour investir massivement dans une Ă©conomie dĂ©carbonĂ©e et centrĂ©e sur la justice sociale. Autrement dit, si l’on veut conserver une planĂšte et un pays habitables, il va falloir se mĂȘler de politique et faire changer les passe Les 149 mesures proposĂ©es par la convention citoyenne pour le climat sont un minimum urgent et nĂ©cessaire que le gouvernement actuel a dĂ©cidĂ© de ne pas mettre en place. Il faudra aller plus loin pour atteindre -55% GES en 2030. Par exemple, nous avons besoin de la loi pour rĂ©duire la vitesse sur autoroute et limiter les publicitĂ©s. Il va falloir mettre l’argent lĂ  oĂč il fait du bien, et cela signifie l’enlever de lĂ  oĂč il provoque des Ă©missions de GES cela nous avons tous un rĂŽle Ă  jouer pour mettre la pression sur l’État et les entreprises actions de sensibilisation, discussions climat Ă  la machine Ă  cafĂ© au boulot, dĂ©sobĂ©issance civile, faire Ă©merger l’urgence climatique dans les campagnes politiques, aller voter aux prochaines Ă©lections 2022 semble bien ĂȘtre le dernier mandat pour le climat si on veut rĂ©duire de 55 % les Ă©missions de GES d’ici 2030 – 8 ans
 Ces quelques exemples sont des illustrations des 4 actions auxquelles s’engagent publiquement les RĂ©sistants et RĂ©sistantes Climatiques. Elles visent Ă  transformer la norme sociale actuelle et elles constituent une condition nĂ©cessaire et non suffisante pour arriver Ă  aller plus loin Vous souhaitez connaĂźtre votre empreinte carbone en 5 min ? Cliquez ICIVous souhaitez en savoir plus ? Voici plus de dĂ©tails en vidĂ©o ! Et d’autres tĂ©moignages de vies bas carbone 2 tonnes est une cible provisoire mais il faudra descendre en dessous. C’est une Ă©tape nĂ©cessaire et non une ligne d’arrivĂ©e. L’AIE dans Net zero by 2050 publiĂ© en 2021 estime que nous ne pourrons que sĂ©questrer 7 GtCO2 en 2050, ce qui nous mettrait en dessous de 1tCO2e / pers
 Les explications Ă  suivre cette annĂ©e sur Bon Pote !Bon Pote est un mĂ©dia 100% indĂ©pendant, uniquement financĂ© par les dons de ses lectrices et lecteurs. La meilleure façon de soutenir Bon Pote ? Devenez Tipeuse/Tipeur ! Vos partages et rĂ©actions sur les rĂ©seaux sont Ă©galement trĂšs prĂ©cieux Restez des derniĂšres parutionsArticles similairesCommentaires Voir tous les commentaires30Beaj 17 January 2022J’ai adorĂ© l’écriture de l’article, j’ai apprĂ©ciĂ© la vidĂ©o -tres bien prĂ©sentĂ©, trĂšs bonne conception,
- . HĂ©las je reste plus sceptique sur le succĂšs de l’entreprise d’éduquer par ce type de jeu, du moins de facon suffisament Ă©tendu et rapide. J’ai participĂ© Ă  un autre jeu du genre, la fresque du climat, et ca me semble certes interessant, soit pour un public jeune avec un animateur qui a la vocation pour y consavrer du temps, soit pour crĂ©er une animation dans un Ă©vĂšnement, et c’est plus les personnes dĂ©jĂ  sensibilisĂ©es qui participent. Difficile Ă  faire essaimer sans etre plus ludique et divertissant. Bon, j’espĂšre me tromper. Et je fĂ©licitĂ© de votre me semblerait utile d’amener Ă  l’idĂ©e qu’il nous faudra accepter d’engager des politiques de quota CO2 emis, energie, km loisirs, 
, ou de consommation Ă  quota et si on tient a le dĂ©passer, sans compensation ailleur justifiable, alors on est taxĂ© exponentiellent, par ex dĂšs la 2m voiture/famille, 
. Ca permet de se rendre compte que la sobrietĂ© est plus facile Ă  mettre en oeuvre et efficace de suite, que les solutions technologiques aux gains marginaux compromise par plus d’usage dĂ©culpabilitĂ© ou facilitĂ©, aux couts croissants, Ă  la dĂ©pendance,
Mon bilan CO2 chiffre a Ă©tĂ© estimĂ© entre 3 et 4 TCO2/an mais je trouve les estimations trĂšs piffomĂ©triques sur de nombreux points
 Peut etre suis je Ă  2-3 car mon mode de vie est disons le frustre et trĂšs isolĂ©, mais je n’écarte que que ce puisse ĂȘtre en fait 5-6TCO2/an ! On a tous un chemin Ă©norme Ă  faire, mais je dirais que 70% de la population ne saura pas le faire de facon choisie, il qu’il faudra de la contrainte politique, accidentelle, 
. ReplyUn point me chatouille si je prends toutes les bonnes options pour arriver Ă  2t je mange des lĂ©gumes, je roule Ă  vĂ©lo, j’habite un petit logement peu chauffĂ©, je n’achĂšte pas de gadgets et peu de fringues, etc., je vais vraisemblablement faire plein d’économies
 que je vais finir par dĂ©penser comment ? Autrement dit, il est difficile de rĂ©duire ces Ă©missions Ă  revenus Ă©quivalent c’est faisable mais il doit y avoir un plafond vite atteint. Une solution qui marche bien serait de laisser dĂ©raper une inflation galopante ce qui signifie qu’il devient plus difficile de consommer on s’appauvri. Encore une fois, c’est faisable si on donne du sens Ă  tout cela on peut ĂȘtre heureux Ă  la “Pierre Rabhi” mais c’est un autre paradigme que celui de la sociĂ©tĂ© actuelle. !!! attention, je ne dis pas qu’il ne faut pas prendre les bonnes options, mais je dis que globalement et sur un pĂ©rimĂštre large la baisse des Ă©missions individuelles est difficile . ReplyPac 14 January 2022Un dĂ©but de rĂ©ponse, bien incomplet – sur la nourriture, je doute des Ă©conomies importantes si on consomme de la bonne qualitĂ© en rĂ©munĂ©rant bien des petits producteurs qui ont besoin de grosse marge pour compenser leurs petits volumes, – sur le reste je te rejoins, ce sont des Ă©conomies. Qu’on peut utiliser pour aller au théùtre. – baisser oa rĂ©munĂ©ration peut ĂȘtre intĂ©ressant, si on n’a pas besoin de plus on arrive effectivement Ă  la sobriĂ©tĂ© heureuse travailler moins et passer plus de temps en famille par exemple pas forcĂ©ment au parc AstĂ©rix. ReplyBeaj 28 January 2022Pac a illustrĂ© par des exemple 3 axes de solutions. On comprend que la vie en sociĂ©tĂ© devra se reinventer, le but Ă©tant moins de “gagner sa vie” de l’argent ou la dĂ©tournĂ© par le vol ou la finance que de partager des connaissances et activitĂ©s et plaisirs pour maximer du bonheur pour tous. 1-Bien essentiels, dont nourriture mais aussi objets de la vie courante du couteau Ă  l’impermĂ©able ou le vĂ©lo les acheter plus chers pour la qualitĂ© et pour pouvoir rĂ©munĂ©rer leurs fabricants Ă  leur plus juste valeur Ă©cologique ressources + travail humain les agriculteurs et artisans/PME/PMI pourront eux aussi relativement plus consommer. 2-Allouer notre pouvoir Ă  consommer vers des activitĂ© culturelles, artistiques, ludiques,
 en privilĂ©gieant les plus Ă©coresponsables. L’argent pour ces consommations non essentielles pourrait etre de nature diffĂ©rente, ou obeir Ă  des rĂšgles d’échange diffĂ©rentes de l’argent qu’on connait et serai utilisĂ© pour les biens et service essentiels. Il s’agirait surtout de ne pas mĂ©langer dans lavaleur de l’argent celle soumise aux lois de la physique des flux de matiĂšre, transformation en ressources secondaire ou en dĂ©chets/polluants, celle du travail humain et animal, et celle liĂ© Ă  la confiance rĂ©connaissance subjective, non soumise aus loi de la physique. a.La valeur de base de l’argent serait celle d’un Ă©change purement physique on echange un 1 chaise contre 100kg de pomme de terre car ca demandĂ© autant de travail l’un que l’autre sans avoir causĂ© plus de pollution et de capacitĂ© de reouvellement. b.La valeur du travail comprend une portion liĂ©e Ă  la physique, l’autre est une plue-value liĂ©e Ă  avoir in-forme’ la matiĂšre par rapport aux usages prĂ©vus. c.La valeur de confiance de l’argent est purement subjective. On peut acheter Ă©changer une place de thĂ©atre contre un simple merci ou 1 kg de peches ou un boeuf, car ca ne changera rien Ă  l’équation Ă©cologique globale. C’est juste qu’on donne pour remercier de passer un bon moment. L’ECONOMIE devrait jouer essentiellement entre a et b, que marginalement influĂ©e par la FINANCE qui peut jouer sur b, et encore moins par la SPECULATION qui peut jouer que sur c. ReplyDdu 14 January 2022J’aimerais bien y croire mais suis plutĂŽt dans une phase pessimiste en ce moment
 ReplyAh, merci pour cet article ! Autre complĂ©ment, concernant le streaming figurez-vous qu’il n’est nul besoin d’essayer de retrouver ces vieilles clĂ©s usb paumĂ©es dans un de ces fichus tiroirs Ă  bordel que l’on connait tous enfin les se reconnaitront. En effet, pour une somme ultra modique voire inexistante, on continue de trouver plĂ©thore de DVD rĂ©cents films, films pour enfant et bien sĂ»r les incontournables sĂ©ries TV, dans les mĂ©diathĂšques dont le bilan carbone est dĂ©jĂ  comptĂ© dans les services publics. La trĂšs grande majoritĂ© des mĂ©diathĂšques ont un catalogue en ligne pour les choisir depuis chez vous et les rĂ©server. En plus de diminuer le streaming, c’est une façon de 1/faire des Ă©conomies ; 2/ne pas se laisser piloter par les algorithmes des plateformes ; 3/ dĂ©sengorger les bacs pour que ce soit plus confortable pour tout le monde et 4/ Ă©viter de mettre tous ces trĂ©sors culturels Ă  la benne, comme on l’a fait avec les vinyles, avant qu’on se mette Ă  racheter les mĂȘmes, mais de moindre qualitĂ© bien sĂ»r, lors du retour en grĂące de ces jolies galettes de pĂ©trole salĂ©. ReplyPac 13 January article, qui a le grand mĂ©rite d’ĂȘtre Ă  la fois technique ET positif. Je vais le partager largement !Un dĂ©tail j’avais lu c’est Ă  vĂ©rifier, mais ça me parait crĂ©dible qu’un film visionnĂ© en streaming a le bilan carbone d’un trajet en voiture de
 100m. Donc aller louer un DVD Ă  10Km, alors qu’il a Ă©tĂ© fabriquĂ© Ă  partir de plastique Ă  des centaines de km, me parait contre productif. Encore une fois, il me semble que la sobriĂ©tĂ© est la seule vraie solution regarder en basse def quand la HD n’est pas utile l’est-elle parfois ?, Ă©couter de la musique plutĂŽt que regarder des clips, baisser au max la qualitĂ© vidĂ©o quand on regarde une confĂ©rence, et
 aller faire un tour Ă  pied ! ReplyPas besoin d’un coffre pour la mĂ©diathĂšque. Un vĂ©lo et un sac Ă  dos suffisent. 10km ne font pas de mal. L’intĂ©rĂȘt de la mĂ©diathĂšque c’est que l’impact de la fabrication du DVD ou du CD et vite rentabilisĂ© » par le nombre d’emprunts/usages contrairement Ă  l’achat individuel d’un support qu’on ne lira qu’une fois. Par contre il faut aller voir les spectacles vivants pour compenser dans l’économie de la culture. ReplyPac 14 January 2022Oui, je grossissais volontairement le trait. Je valide Ă©normĂ©ment la mĂ©diathĂšque, et parmi toutes ces raisons celle de partager le support matĂ©riel plutĂŽt que d’en avoir un chacun est la principale. Je voulais rapporter le streaming Ă  ce qu’il est un moyen. Ce qui compte, c’est l”usage qu’on en fait. ReplyBonjour Vu avec intĂ©rĂȘt la vidĂ©o sur l’objectif a 2t et les cartes semblent sympa SAUF qu’une fois encore les DOM n’apparaissent pas..!! On a l’habitude mais c’est encore dommage la carte avec les tempĂ©ratures est celle de mĂ©tropole
 comme d’hab..đŸ˜© Mais je continue Ă  vous suivre..😉 Christian Cayenne ReplyKpi 13 January 2022“A quoi sert la 5G ?” A beaucoup d’autres usages industriels que le Grand Public. Le sujet comme tout sujet de nouvelle techno est la balance bĂ©nĂ©fice / impacts coĂ»ts mais pas que. Aujourd’hui passer des heures Ă  regarder des vidĂ©os de gens qui ne font que parler au lieu de faire des podcasts ou d’écrire des artciles ou Ă©couter de la musique sur Youtube ets abbĂ©rant, mais permis car les externalitĂ©s environnemental”A quoi sert la 5G ?” A beaucoup d’autres usages industriels que le Grand Public. Le sujet comme tout sujet de nouvelle techno est la balance bĂ©nĂ©fice / impacts coĂ»ts mais pas que. Aujourd’hui passer des heures Ă  regarder des vidĂ©os de gens qui ne font que parler au lieu de faire des podcasts ou d’écrire des artciles ou Ă©couter de la musique sur Youtube ets abbĂ©rant, mais permis car les externalitĂ©s environnementales ne pas incluses dans les calculs de coĂ»t et de ROI du dĂ©ploiement des nouvelles le reste de l’article est clair, pertinent et actionnable, comme toujours ici et c’est sufisamment rare pour ĂȘtre soulignĂ©, autant cette remarque est un peu limite car on vous sent en limite de compĂ©tences sur ce sujet et c’est dommage.Un grand merci toutefois pour cet article qu’on peut partager avec tous nos proches, mĂȘme ceux qui ne connaissent pas le sujet, et qui donne des exemples concrĂȘts et sans concession du chemin qu’il reste Ă  faire !es ne pas incluses dans les calculs de coĂ»t et de ROI du dĂ©ploiement des nouvelles le reste de l’article est clair, pertinent et actionnable, comme toujours ici et c’est sufisamment rare pour ĂȘtre soulignĂ©, autant cette remarque est un peu limite car on vous sent en limite de compĂ©tences sur ce sujet et c’est dommage.Un grand merci toutefois pour cet article qu’on peut partager avec tous nos proches, mĂȘme ceux qui ne connaissent pas le sujet, et qui donne des exemples concrĂȘts et sans concession du chemin qu’il reste Ă  faire ! ReplyL’article est de Resistance Climatique, Ă©crit par Gildas VĂ©ret, et je lui ai dit au moins 10x pour la 5G. Je le laisse rĂ©pondre aux commentaires ! ReplyBonjour, Merci de vos retours positif sur les autres parties de l’article et pour le dĂ©saccord que vous soulevez, de maniĂšre respectueuse et nuancĂ©e. Comme vous le dites, c’est suffisamment rare pour ĂȘtre soulignĂ© ». Nous sommes naturellement des utilisateurs de nouvelles technologies » l’AG d’inventons nos vies bas carbone sera en prĂ©sentiel et en distanciel en mĂȘme temps, nous utilisons YouTube pour les vidĂ©os de formation et Framateam et TĂ©lĂ©gram pour coordonner le travail de l’équipe. Nous sommes parfaitement convaincus qu’internet est un progrĂšs majeur qu’il nous absolument conserver. Malheureusement, internet, comme tout ce qui a de la valeur, est menacĂ© par le changement climatique. Pour conserver un monde viable, avec internet, il nous faut diminuer rapidement et fortement nos Ă©missions, vous en ĂȘtes bien conscient. Tous les secteurs se dĂ©clarent prioritaires sur les autres, aussi, en attendant une clĂ© de rĂ©partition juste et consensuelle, nous pouvons rĂ©sonner avec un besoin de rĂ©duction des GES uniforme sur toutes les activitĂ©s. Cela implique de diminuer de plus 83 % les Ă©missions d’internet pour la France dans les 30 ans qui viennent. On peut bien sĂ»t attendre et espĂ©rer un hypothĂ©tique miracle technologique. Mais la rĂ©alitĂ©, c’est que depuis 30, partout oĂč l’on met plus de numĂ©rique, les Ă©missions augmentent malgrĂ© les gains en efficacitĂ© effet rebond. Surtout, par propriĂ©tĂ© d’une intĂ©grale, la capacitĂ© Ă  respecter le budget carbone pour +2°C environ 1000GtCO2e se joue dans les 5 Ă  10 prochaines annĂ©es. C’est donc maintenant qu’il faut faire baisser trĂšs vite nos Ă©missions, pour diviser par deux les Ă©missions mondiales d’ici 2030, donc en huit ans. Face Ă  cette nĂ©cessitĂ©, la 5G nous semble problĂ©matique sur plusieurs points – augmentation des flux alors qu’il nous faudrait une diminution forte BL Ă©volution met en avant la nĂ©cessite de diviser par 3 le flux de donnĂ©e d’ici 2030, – obsolescence donc remplacement d’énormĂ©ment d’équipements fonctionnels – logique de croissance du secteur et imaginaire du toujours plus de numĂ©rique » peu compatible avec une division par 6 de l’empreinte carbone – mutation du secteur poussĂ© par l’offre et les industriels et non en rĂ©ponse Ă  un besoin des utilisateurs et l’amĂ©lioration de la qualitĂ© de vie – logique du plus vite c’est mieux » chercher Ă  gagner du temps mĂšne partout Ă  augmenter les Ă©missions, on les diminue facilement en osant prendre son rapport du shift project pour une sobriĂ©tĂ© numĂ©rique » rappelle bien que l’explosion des volumes de vidĂ©o n’est pas viable et qu’en plus une bonne partie de ces usages ne sont pas vitaux. Ainsi le visionnage de vidĂ©os pornographiques dans le monde gĂ©nĂšre-t-il en 2018 des Ă©missions carbonĂ©es du mĂȘme ordre que celle du secteur rĂ©sidentiel en France » Shif Project, Ă©tude CLIMAT L’INSOUTENABLE USAGEDE LA VIDÉO EN LIGNEGlobalement, pour la 5G comme pour tous les secteurs, les industriels clament nous allons faire plus avec moins de CO2, et in fine, le CO2 augmente. Il faut assumer clairement une forte part de diminution des usages pour atteindre nos objectifs climatiques. Nous pourrons toujours rĂ©augmenter ces usages, une fois atteints les objectifs de rĂ©duction, lorsque nous aurons un excĂšs d’énergie dĂ©carbonĂ©e, ce que le rapport Absolute Zero de Cambridge university estime possible aprĂšs 2050. Rappelons qu’aujourd’hui, nous disposons de trĂšs peu d’énergie dĂ©carbonĂ©e, c’est justement pour cela qu’il nous faut diminuer les usages pour tenir les objectifs 2030. ReplyConserver la 4G ne fera pas non plus diminuer les Ă©missions d’internet de 83% et pourquoi pas 82% ou 84%???– augmentation des flux alors qu’il nous faudrait une diminution forte BL Ă©volution met en avant la nĂ©cessite de diviser par 3 le flux de donnĂ©e d’ici 2030, Pas d’accord, vous confondez objectifs de rĂ©sultats diminuer les Ă©missions de CO2 avec objectifs de moyens diminuer le flux ReplyOn se demande bien Ă  quoi la 5G va servir => Ă  multiplier les objets connecter qu’on pourra dĂ©connecter quand on manquera d’ certain nombre de propositions de la CCC sont aussi contre productives dont la plus emblĂ©matique et pourtant reprise par le GVT Ă  savoir l’augmentation du “BIO” que toutes les donnĂ©es Agrybalyse, ADEME, ourworldindata,
 donne plus + Ă©mettrice de CO2 que le “pas bio”
 oupsL’aviation est trĂšs Ă©galitaire, elle permet de faire vivre les pays qui ne vivent que de ça et permet un transfert de devises des pays riches pourvoyeurs de touristes vers le pays pauvres
 Donc oui c’est inĂ©galitaire entre les habitants dans un mĂȘme pays pourvoyeur ou rĂ©cepteur de touriste mais Ă©galitaire entre les pays
Et d’oĂč viennent les carburants de synthĂšse? Des dĂ©jections d’animaux comme le recommande nĂ©gawatt? Pourquoi ĂȘtre vĂ©gan dans ce cas? Ou de l’agriculture intensive? Pourquoi tout miser sur le “bio” alors? ReplyLouer la puĂ©rile 5G en prĂ©tendant qu’elle permet de dĂ©connecter les appareils en cas de besoin, il faut oser ; mĂȘme si c’est ce genre de logique kafkaĂŻenne qui semble gouverner nos sociĂ©tĂ©s en ce moment. Votre assertion sur le bio repose en fait sur une seule Ă©tude parue dans Nature en 2019 et considĂ©rĂ©e comme biaisĂ©e car ne tenant pas en compte le changement de rĂ©gime alimentaire de la population, ce qui est , comme indiquĂ© dans l’article, un point aussi Ă©vident que nĂ©cessaire. Quant Ă  l’aviation, c’est vrai que depuis que les Parisiens peuvent atterrir Ă  Bangkok, les ThaĂŻlandais ont subitement atteind le mĂȘme niveau de vie que leurs touristes. ReplyLa 5G permettra aussi de dĂ©marer les Ă©quipements quand ik y a du vent et du soleil autaomatiquement, diminuant le besoin de moyens de stockage Ă©lectriques ReplyJustn, quelques remarques sur ton commentaire, le pas bio utilise des phytosanitaires produit directement par la pĂ©trochimie oups pĂ©trole
 Je jardine en agroĂ©cologie chez moi, et je ne met rien de tout ça, les plantes se dĂ©brouille trĂšs bien entre elles, mais oui les lĂ©gumes sont plus petits mais plus sains pas de molĂ©cules issues des traitements dont je parle ci-dessus, moins de maladie type cancer etc
 et donc, moins de mĂ©dicaments issus de la
. pĂ©trochimie oups
. Ton arguments sur l’aviation est assez drĂŽle, que le pays riche commencent par verser les sommes qu’ils se sont engagĂ©s Ă  verser au pays les plus pauvres pour leurs permettre de rĂ©aliser leur transition Ă©cologique et ils vivront beaucoup mieux et
 sans nous
 Et pour info, tous les tourismes ne se valent pas, d’un cotĂ© le tourisme de masse qui exploite la misĂšre humaine mais c’est pas cher pour les riches occidentaux
. oups, par contre un tourisme durable et Ă©thique qui inclus les habitants avec des salaires correctes mais par contre c’est plus cher
 oups
 mais ça s’appelle la justice sociale je crois? Enfin l’arguments sur les carburants de synthĂšse
. en fait l’article te dis qu’il faut s’en passer et repenser entiĂšrement nos moyens de locomotions et si possible sans carburants
 Des abrutis comme moi se sont mis aux vĂ©los pour aller bosser 54km A/R et je prends un grand plaisir quand je passe devant une station d’essence
. Et enfin, pour s’en sortir, il faut des gens optimiste qui se bougent un minimum
 parce que bon, ton lobbying incessant pour les OGMs produits phyto..etc c’est pas trop l’esprit dĂ©fendu ici. Certes tu ouvres un dĂ©bat, mais tu n’apporte aucune solution
 hormis on a bien compris, utiliser les OGM, les produits phyto
etc Bisous ReplyJe ne fais pas de lobbying pour les produits phyto, AU CONTRAIRE! Avec des OGM moins besoin de phyto*! C’est si difficile Ă  comprendre? Quand au zĂ©ro phyto, c’est comme si on demandait du zĂ©ro mĂ©dicament pour les humains
 ridicule
 Le zĂ©ro phyto est lui aussi toxique mycotoxines, datura & cie, qui ne sont pas top Ă  avaler! Et les phytos “bio” sont souvent plus toxiques que les “pas bio” sans mĂȘme parler du sulfate de cuivre
 Ă  moins que vous fassiez aussi partie de ceux qui croient que le “bio”, c’est zĂ©ro phyto? auquel cas vous faites erreur! A ma connaissance, Agrybalise/ADEME ne s’appuie pas sur l’étude de Nature *Hors glyphosate mais le glyphosate est le pesticide le moins impactant pour la nature et les alternatives sont le labour qui dĂ©truit tout ou le lance flamme ou la culture sur brĂ»li si vous prĂ©fĂ©rez, ce qui tue tout aussi et les 2 ne sont pas gentils pour le climat
 PS votre jardin, c’est comme l’éprouvette de Raoult, ça vaut rien PPS votre jardin et le “bio” bĂ©nĂ©ficie de l’immunitĂ© collective donnĂ©e par les champs qui sont traitĂ© autour
 comme pour les anti vaxx qui sont protĂ©gĂ©s par l’immunitĂ© collective du reste de la population, ça ne peut pas marcher si tout le monde s’y met
 ReplyJ ai compris ton point de vue, mais je ne suis pas d accord avec “plus d OGM pour zĂ©ro phyto”
 Pour le maraichage, les principes de l agroĂ©cologie ferme du bec Helloin permettent de se passer del usage du phyto
 et mon jardins aussi
 Pour les cĂ©rĂ©ales, Ă©tant donnĂ© les surfaces cultivĂ©es pour l Ă©levage, moins de viande => moins de surface cultivĂ© moins de parasite=> + de paturage => Ă©levage de meilleur qualitĂ©. + de paturage signifie Ă©galement + de biodiversitĂ© avec tous les bienfaits qui y sont lié  De mon point de vue , les OGM et le phyto sont fait par la chimie pour la chimie, il s en foutent de ta santĂ©, la mienne et surtout de celles des agriculteurs
 Mais j’entends qu on puisse ne pas ĂȘtre d accord
 Bisous Bisous Voila, sinon mon bilan Carbone est nul, une baraque de 140mÂČ pour moi tout seul reprĂ©sente la moitiĂ© de mon empreinte
. y a du boulot
 ReplyLes OGM permettent cependant d’utiliser moins de pesticides, c’est un fait, il y a plein d’études dessus pour le confirmer. Et d’ailleurs, pourquoi on continuerait Ă  vendre des OGM rĂ©sistants s’il fallait continuer Ă  utiliser autant de pesticides? C’est pas logique, non? et non, les agriculteurs ne sont pas liĂ©s Ă  Monsanto & cie La ferme du Bec Helloin est une supercherie, allez lire le rapport de l’iNRA Ă  son sujet. En Vrac – les rendements sont bidons dans un exploitation on compte aussi les allĂ©es, hangars & cie pour calculer la surface totale, ce qui n’est pas le cas Ă  la ferme Helloin – la ferme reçoit Ă©normĂ©ment de fumier gratuitement de la ferme Ă©questre d’à cĂŽtĂ© donc Ă©normĂ©ment d’élevage rapportĂ© Ă  la surface
 qu’il faudait aussi considĂ©rer dans le rendement – la ferme fait son beure avec des herbes aromatiques et des mini lĂ©gumes, bref pas de quoi nourrir la population mais extrĂšmement rentable financiĂšrement surtout que c’est vendu chez fauchon et les restaurants Ă©toilĂ©s – la ferme gagne de l’argent aussi car elle ne vend rien sur les marchĂ©s, tout sur place pas de vĂ©hicule nĂ©cessaire, pas de perte de temps, pas d’employĂ©, pas de salaire de vendeur, pas de carburant,
. – la ferme gagne de l’argent Ă  condition exclusive de ne pas payer sur terrain ou propriĂ©taire sans emprunt Ă  rembourser, ni ses employĂ©s un comble
 – et j’en oublie certainement A noter que toutes les fermes “agroĂ©cologiques” Ă  ma connaissance ne sont jamais de cĂ©rĂ©ales c’est Ă  dire ce qu’on bouffe le plus
 pensez vous nourrir le monde avec des mini lĂ©gumes et des herbes aromatiques?EN quoi +de paturage = meilleure qualitĂ©? Pour le LoL, NĂ©gawatt veut doubler la portion d’herbes des vaches qui sont dĂ©jĂ  Ă  entre 64% et 80% Ă  l’herbe
 autre LoL de qualitĂ© de NĂ©gawatt, il arrivent Ă  produire 2x moins de viande avec 3x moins de vaches
 et il y en a plein d’autres comme ça
En Quoi les OGM ne sont pas bon pour la santĂ©? On sait faire des plantes OGM enrichies en vitamines et autres nutriments, c’est plutĂŽt bon pour la santĂ© non? A savoir que l’intĂ©gralitĂ© de l’insuline mondiale est produite par les OGM. 70% des levures et donc yaourt, biĂšres, patisseries, fromages,
 sont dĂ©jĂ  OGM Les pamplemousses roses y compris les “bio” de Corse garantis sans OGM sont des OGM cherchez pamplemousses + atomes pour la paix et je suis quasi certain que vous les prĂ©fĂ©rez aux pamplemousses jaune, non? Les OGM permettent aussi de diminuer les quantitĂ© de pesticides nĂ©cessaires, c’est donc bon pour la santĂ© des agriculteurs et des consommateurs. Pleins d’OGM sont aussi fait par des universitĂ©s et donnĂ©s gratuitement aux agriculteurs Si vous penser au doc d’ARTE le monde selon Monsanto, Ă  savoir que la rĂ©alisatrice est anti vaxx et balance fake news sur fake news sur les vaccins depuis 2 ans,
 pour donner une idĂ©e de sa crĂ©dibilitĂ© olĂ© olé  Bref contrairement Ă  ce documenteur – les OGM ne sont pas stĂ©riles – on est pas obligĂ© de racheter des graines chaque annĂ©e – monsanto & cie peut Ă©ventuellement vendre graines + pesticides comme renault te vend des pneux michelins sans te demander ton avis mais tu peux les revendre Ă  d’autres et acheter autre chose Ă  qui tu veux
 – l’étude de SĂ©ralini sur les cancers est tout aussi bidon que celles de Raoult sur l’HCQ – les suicides de paysans en Inde ont diminuĂ© depuis l’apparitions des OGM – et j’en passePour finir sur les OGM, avec CRISPR cas9 trouvĂ© dans la nature, ils sont indiscernables des plantes avec des mutations “naturelles”, donc il n’y a pas Ă  en avoir peur
 et il y a mĂȘme des OGM oĂč on a ni enlevĂ© ni retirĂ© aucun gĂšne, ont les a juste dĂ©placé .Je suis Ă  ta dispositions si tu veux plus d’infos Ă  ce es tu aussi contre les OGM rĂ©sistants aux sĂ©cheresses qui seront de plus en plus frĂ©quentes avec le rĂ©chauffement climatique? ReplyJe pense que nous ne tomberons jamais d’accord sur ce sujet prĂ©cision 1/ tu sites un rapport de l’INRA pour contrecarrer la ferme du bec Helloin, trĂšs bien. quelle est le boulot de l’INRA=> amĂ©liorer les rendements agricole en faisant prĂ©cisement des OGM qui donneront des fruits et lĂ©gumes stĂ©riles oui j’insiste
 et j’assume, choisir ce que tu vas manger et donc en gros baisser la biodiversitĂ©. Quelle est le but du Bec Helloin, prĂ©cisĂ©ment l’inverse et faire en sorte qu’on se passe des OGMs ET des phytos . De plus, l’INRA travaille pour qui? qui les paye? qui vends leurs semences? Ă  qui profitent le crime? Demande Ă  un cancĂ©rologue et Ă  Philip Morris de se mettre d’accord sur le tabac, l’un veut le faire interdire et l’autre le vendre
. pratique non? De plus, les fermes agroĂ©cologiques n’ont jamais eu vertu Ă  produire des cĂ©rĂ©ales puisque un des principes de base est de mĂ©langer les cultures tout comme ne pas laisser la terre Ă  nue pour prĂ©server la ressources
. en eau2/ Pour les cĂ©rĂ©ales, tu n’as pas compris mon point de vue. D’abord, ce n’est pas nous qui bouffons la majoritĂ© des cĂ©rĂ©ales comme tu dis mais les animaux d’élevages, faute de pĂąturage remplacĂ© par la culture intensive de cĂ©rĂ©ales
 Donc inversement, moins de monoculture, plus de patĂ»rage, et donc viande de meilleurs qualitĂ© car Ă©levage en plein air , moins de stress, moins de maladie
 etc ça oui je maintiens
. Et si tu diminues la production de viande de moitiĂ©, tu vas en avoir de la place pour nourrir le monde
 Plus la peine de tuer l’AmazonieLes OGM rĂ©sistants aux sĂ©cheresses, comment dire, tu veux faire pousser des lĂ©gumes ou cĂ©rĂ©ales sans eaux? c’est drĂŽle aussi. La sĂ©cheresse en Argentine pays aride quand mĂȘme a ruinĂ© la culture de maĂŻs qui est une des cĂ©rĂ©ales les plus gourmandes en eaux
 ben c’est normal non??? On pourrais aussi s’adapter et faire pousser autres choses non? Mais non faut nourrir les millions de tĂȘtes d’élevages qui contribue aux Ă©missions de GES Tout le monde ne peut pas assĂ©cher des lacs, dĂ©vier les cours d’eau pour faire pousser du coton OGM en plein dĂ©sert et donc crĂ©er des sĂ©cheresses
. Donc oui y’a des sĂ©cheresses mais dans certains coin du monde elles sont un peu voulue non? Enfin, j’ai l’impression que tu ne retiens un peu que les Ă©tudes qui t’arranges
 Tu dĂ©crĂštes que l’INRA c’est bien, que le docu contre Monsanto c’est nul tiens un indice sur qui paye l’INRA, que l’étude de SĂ©ralini est bidon
. Je trouve le principe un peu facile, et le GIEC???? tu en penses quoi? bidon ou pas bidons? On peut continuer Ă  ne pas ĂȘtre d’accord si tu le souhaites mais je pense que nos discussions resterons comment dire
 stĂ©riles le sujet Ă©tant les OGM c’est normal non? Bisous Bisous ReplyL’INRA, ce sont nos impĂŽts qui la paye
 plus ses brevets et vous n’avez pas lu moi si son rapport sur la ferme du bec hĂ©lloin. Et si vous voulez tout savoir l’étude de SĂ©ralini a Ă©tĂ© payĂ© par Carrefour et Auchan via un tour de passe passe de Corinne Lepage pour blanchir l’argent
 il le dit lui mĂȘme dans son livre, que vous n’avez pas lu, moi si Pas besoin d’ĂȘtre payĂ© pour voir que l’étude de SĂ©ralini que vous n’avez pas lu, moi si n’a pas de cas tĂ©moins comme les Ă©tudes de Raoult sur l’HCQ Phillip Morris est parfaitement au courant que le tabac donne le cancer
 C’est devenu un crime maintenant de vouloir nourrir le monde? Le but de la ferme HĂ©lloin, c’est de faire du fric en vendant des formations, pas de nourrir le monde
 Le MaĂŻs n’a pas besoin de plus d’eau que le blĂ©, dire le contraire est aussi de la fake news.. je cite “pour produire 1kg de maĂŻs on a seulement besoin de 454 L d’eau et 238 L pour du maĂŻs fourrage. Ce qui fait du maĂŻs l’une des plantes les plus Ă©conomes en eau. A comparer avec les 590 L d’eau indispensables pour le blĂ©, les 900L pour le soja et entre 1600L et 5000L d’eau pour riz !” â€œĂ©levage en plein air , moins de stress, moins de maladie
 ” Ah bon? En plein air il fait chaud, il fait froid, il pleut, il y a du vent, y’a des tiques, des mouches, des chiens des loups?, 
 c’est tellement bien que les vaches refusent souvent de sortir de leur Ă©tables tellement elles prĂ©fĂšrent y rester plutĂŽt que d’aller dehors
 mais pour le savoir il faut ĂȘtre allĂ© dans une ferme comme moi et pas comme vousPS NON les OGM ne sont pas stĂ©riles, faites une croix dessus, c’est du mĂȘme niveau que la 5G injectĂ©e avec les vaccins! ReplyCher Justin, appliquons la loi de Brandolini, nous ne tomberons jamais d avons des idĂ©aux opposĂ© sur ce sujet. Par contre je n ai jamais prĂ©tendu avoir lu l Ă©tude
 Je ne faisais qu un constat. tu as tes lectures, j ai les miennes
 Pour l eau mais le blĂ©, tu ne cites pas tes sources
 easy ta dĂ©mo
. T embĂȘtes pas Ă  rĂ©pondre
 souviens toi
 Loi de Brandolini ReplyCe n’est pas une histoire d’idĂ©aux, c’est une histoire de rĂ©alitĂ©!Votre idĂ©al, c’est que le maĂŻs consomme beaucoup d’eau, la rĂ©alitĂ© c’est qu’il en consomme moins que le blĂ© ! Avec une idĂ©e fausse de la rĂ©alitĂ© vous ne risquez pas de rĂ©pondre aux problĂšmes auxquels on est confronté Si votre opinion est en dĂ©saccord avec les faits, ce ne sont pas les faits qui sont Ă  changer!Petit dessin pour vous ReplyTu laches jamais toii, et tu as un problĂšme avec le dĂ©bat opposition d idĂ©e contraire et le fait qu on n ai pas le mĂȘme idĂ©al, si tu limites le monde des cĂ©rĂ©ales au blĂ© et au mais on est mal barrĂ©, essaie de taper sorgho millet sarrazin luzerne, ça mettra de l eau Ă  ton moulin. Tu tailles Nedawatt pour le 2× moins de viandes avec 3× moins vache alors qu il n y aucun problĂ©me en fait
 RĂ©flĂ©chis un peu, prends du recul, c est un peu de math et une bonne lecture de l Ă©noncé . on peut mĂȘme faire plus ambitieux si tu veux Bisous Bisous PS demande a tes amis de l INRA de faire des arbres OGM anti secheresse pour refaire des forĂȘts et tout ce qui va avec en milieu aride
. et ceux lĂ  je suis prĂȘt Ă  les acheter
 mais pas de brevet faudrait pas qu il se fasse du fric comme le Bec Helloin ReplyUne petite recherche rapide “consommation d’eau mais” permet d’avoir la rĂ©ponse. Par exemple ici Demander les sources c’est bien mais c’est mieux quand c’est pour des choses non facilement vĂ©rifiable ou quand ça parle d’une Ă©tude prĂ©cise. Il aurait Ă©tĂ© plus logique de demander le lien de l’étude de l’inria en question plutĂŽt que d’attaquer directement le point qui va contre votre opinion mais qui est vĂ©rifiable en quelques clicks. Sinon, citer Brandolini Ă  tout va n’apporte rien quand on est pas capable soit mĂȘme d’apporter ses sources et d’argumenter calmement ReplyPac 26 January 2022Bon, pas certain effectivement que ce dĂ©bat ne soit pas stĂ©rile
Mais j’ai suivi le lien vers le site que je ne connaissais pas, et ça me fait tiquer. En regardant un peu ce site, c’est tenu par un journaliste et un seul semble t’il, vue que les articles ne sont pas signĂ©s. Et donc, la source n’est pas une Ă©tude, mais un article sur un “blog”. Et cet article lui mĂȘme ne site aucune si la source des commentaires prĂ©cĂ©dents concernant le maĂŻs est ce site, c’est ratĂ©.Il semble tout de mĂȘme, en recoupant avec d’autres sites, que les chiffres soit assez proches de la rĂ©alitĂ©. MaĂŻs et blĂ© trĂšs proche en besoin d’eau / hectare; et besoin infĂ©rieur pour le maĂŻs en besoin / kg de matiĂšre sĂšche “finie”. Mais besoin d’eau du maĂŻs en plein Ă©tĂ©, ce qui explique qu’on voit partout des irrigations sur les champs de maĂŻs et bcp plus rarement sur le blĂ© 😉 ReplyPetite correction, si le maĂŻs consomme moins d’eau Ă  produire que le blĂ©, le problĂšme c’est que le mais est une plante bien plus tardive que le blĂ©. Le mais a donc besoin d’eau en plein Ă©tĂ© au moment oĂč la sĂ©cheresse sĂ©vit. Du coup, le maĂŻs a besoin d’irrigation de maniĂšre bien plus importante que blĂ© qui, lui, peut s’en passer en annĂ©e normale. Ensuite le problĂšme du maĂŻs c’est qu’il est utilisĂ© exclusivement pour l’alimentation animale. Et on sait qu’il faut moins 10 fois plus de protĂ©ines vĂ©gĂ©tales pour produire des protĂ©ines animales. Par ailleurs il me semble qu’à fonction principale des plantes ogm c’est de les rendre rĂ©sistantes aux herbicides et pesticides. Par ailleurs les intrants NPK augmentent la production agricole mais au prix d’un effondrement progressif des sols qui finissent stĂ©riles. D’ailleurs les rendements cĂ©rĂ©aliers plafonnent malgrĂ© l’augmentation des intrants
..on pourrait continuer l’histoire. Concernant les productions maraĂźchĂšres, il y a bien d’autres exemples que le Bec Helloin, notamment au QuĂ©bec ReplyLeave a Reply CatĂ©goriesRestez informĂ© des derniĂšres parutions
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ProcĂ©dĂ© Bethell Traitement Ă  cellules vides ». ProcĂ©dĂ© RĂŒping Prix de la crĂ©osote diagramme RĂ©sultats de l'imprĂ©gnation par la crĂ©osote ProcĂ©dĂ© RĂŒtgers Double RĂŒping ComposĂ©s arsĂ©nifĂšres Tirefonnage Ă©ventuel pour le placement des selles mĂ©talliques Pose du rail sur traverses en bois Attaches Crampons Tirefonds Plaque Ramy Le griffon Tree-nails Garniture Lakhovsky Garniture Streitz Virole VV Avantages propres aux traverses en bois Appareils de mesure ExtrahomĂštre TorsiomĂštre DĂ©climĂštre BourramĂštre Selles mĂ©talliques Selles ordinaires Selles Ă  rebords Selles Ă  crochet Selles modernes Selle d'OugrĂ©e-Marihaye Selle d'Angleur-Athus Conclusions Chapitre II. - Les traverses mĂ©talliques Forme et dimensions Les attaches Attache rhĂ©nane Attache Haarmann Attaches modernes par selles et cales de fixation - systĂšme d'OugrĂ©e-Marihaye par selles Ă  nervures, crapauds et boulons - systĂšme d'Angleur-Athus Prix et poids des traverses mĂ©talliques comparĂ©s Ă  ceux des traverses en bois Traverses en bois ou traverses mĂ©talliques ? Chapitre III. - Traverses en bĂ©ton armĂ© GĂ©nĂ©ralitĂ©s Traverses prismatiques monobloc Traverse Calot Traverse Orion Traverses mixtes en bĂ©ton ordinaire Traverse Vagneux Garniture hĂ©licoĂŻdale Thiollier Traverse mixte de la S. N. C. B Traverse mixte Sonneville S. N. C. F. Traverses en bĂ©ton prĂ©contraint Traverses françaises en bĂ©ton prĂ©contraint Traverse belge Franki-Bagon en bĂ©ton prĂ©contraint Les attaches des traverses en bĂ©ton Conclusions Chapitre IV. - Pose de la voie Dressage Relevage Bourrage Dressage dĂ©finitif Éclissage des rails RĂ©galage du ballast Chapitre V. - Entretien de la voie Revision mĂ©thodique intĂ©grale Entretien en recherche Soufflage Soufflage mesurĂ© Mesure des dĂ©nivellations transversales et longitudinales DansomĂštre MĂ©canisation des travaux d'entretien et de renouvellement de la voie Entretien Renouvellement TROISIÈME PARTIE LES RAILS Chapitre I. - Évolution du rail Chapitre II. - GĂ©nĂ©ralitĂ©s Efforts verticaux Statiques Dynamiques Coefficient de vitesse Efforts transversaux Efforts longitudinaux Chapitre III. - Profils des rails Rail Ă  patin Vignole Bourrelet Pose inclinĂ©e au 1/20 Pose verticale PortĂ©es d'Ă©clissage Ame et patin Rail Ă  double bourrelet Bull headed Comparaison de la voie Vignole et de la voie Ă  double bourrelet Abandon progressif du rail Ă  double bourrelet Rail Ă  orniĂšre Rail compound Chapitre IV. - Longueur des rails Qu'est-ce qui s'oppose Ă  l'emploi de rails de trĂšs grande longueur? Dilatation des rails Rails sous contrainte Calcul de la contrainte Rails de grande longueur dans les tunnels Chapitre V. - Calcul de la section du rail Poids des rails Prix des rails diagrammes Chapitre VI. - Le mĂ©tal QualitĂ© et contrĂŽle de la qualitĂ© ParachĂšvement Mise Ă  longueur Refroidissement Forage des trous Composition chimique des aciers Ă  rails Chapitre VII. - Usure et durĂ©e des rails GĂ©nĂ©ralitĂ©s Usure verticale Usure latĂ©rale RĂ©sistance des rails Ă  l'usure Usure par abrasion ou par Ă©crasement de la surface de roulement RemĂšdes Composition chimique du mĂ©tal Emploi des aciers spĂ©ciaux Rails en acier obtenu au four Ă©lectrique Rails compound Traitement thermique Ferrite - perlite - cĂ©mentite - austĂ©nite - martensite - troostite - sorbite ProcĂ©dĂ©s de traitement thermique des rails ProcĂ©dĂ© Sandberg ProcĂ©dĂ© de Neuves-Maisons ProcĂ©dĂ© de MaxhĂŒtte ProcĂ©dĂ© de Rodange Traitement thermique des extrĂ©mitĂ©s des rails Usure latĂ©rale du bourrelet Usure par oxydation Rails en acier au cuivre Chapitre VIII. - Le joint Conception du joint Les Ă©clisses Boulons d'Ă©clisses Eclissage Ă  fourrure en bois Le joint parfait L'usure des Ă©clisses Éclisse CĂ©sar Éclisses de raccord Traitement thermique des Ă©clisses RĂ©duction du nombre des joints Rails de grande longueur Soudure des rails Rails de raccord Soudure alumino-thermique Soudure Ă©lectrique par rĂ©sistance Soudure Ă©lectrique avec usine gĂ©nĂ©ratrice mobile Soudure oxy-acĂ©tylĂ©nique Soudure Ă  l'arc Ă©lectrique Position des joints par rapport aux appuis Joint appuyĂ© Joint suspendu Joint en porte Ă  faux Joint Ă  pont Position relative des joints dans les deux files de rails Joints concordants Joints alternĂ©s Joints chevauchĂ©s Conclusion Chapitre IX. - Le cheminement des rails Lignes Ă  double voie Freinage Courbes DĂ©clivitĂ©s Lignes Ă  simple voie Nuisance et danger du cheminement Cheminement diffĂ©rentiel ou chevauchement Cas des lignes de tramways RemĂšdes contre le cheminement Entretien de la voie Drainage de la plateforme Rails de grande longueur Dispositifs spĂ©ciaux anti-cheminants par action positive par frottement Selle anti-cheminement Winsby Ancre anti-cheminante Lattes de cheminement QUATRIEME PARTIE LES APPAREILS DE LA VOIE Introduction Chapitre I. - Les branchements GĂ©nĂ©ralitĂ©s Description Types d'aiguillages Forme des aiguilles TalonnabilitĂ© Dispositions adoptĂ©es pour les branchements Pourquoi le branchement normal constitue-t-il un point faible dans la voie ? Longueur des branchements Relations Calcul de l'orniĂšre Ă  mĂ©nager au talon de l'aiguille de dĂ©viation Relations entre les Ă©lĂ©ments de l'aiguille de dĂ©viation proprement dite Relations entre les Ă©lĂ©ments principaux du branchement Construction des branchements Calcul et tracĂ© Branchements Ă  aiguilles droites manƓuvrĂ©es par rotation autour du talon aiguilles articulĂ©es Branchements Ă  aiguille de dĂ©viation courbe manƓuvrĂ©e par rotation autour du talon TracĂ© gĂ©omĂ©trique de l'aiguille courbe de dĂ©viation Arc de raccord du branchement - Choix du rayon - Courbure uniforme TracĂ© gĂ©omĂ©trique de l'aiguille de la voie directe Changements de voie usuels de la S. N. C. B. TracĂ© et construction du changement de voie Ă  aiguilles droites articulĂ©es au talon TracĂ© Construction Changements de voie Ă  aiguilles flexibles ou aiguilles Ă©lastiques TracĂ© Construction DĂ©tails de construction des aiguilles en gĂ©nĂ©ral Section transversale des aiguilles Entretoises-butĂ©es Usinage des aiguilles Coussinets de glissement Talon de l'aiguille Pose en courbe des appareils de voie Solution idĂ©ale MĂ©thode classique MĂ©thode belge Aiguille de dilatation Chapitre II. - Croisement Contrerails Pattes de liĂšvre Pointe de cƓur Largeur de l'orniĂšre de protection entre le rail et le contrerail Largeur de l'orniĂšre mĂ©nagĂ©e de part et d'autre de la pointe de cƓur Danger du croisement RemĂšde le contrerail Chapitre III. - TraversĂ©es TraversĂ©es obliques Dans quelle limite le contrerail est-il efficace dans les traversĂ©es obliques ? Zone dangereuse de la traversĂ©e oblique Contrerail surĂ©levĂ© TraversĂ©es rectangulaires et Ă  grand angle Construction des croisements et des traversĂ©es Les traversĂ©es-jonctions TraversĂ©es-jonctions doubles TraversĂ©es-jonctions simples ManƓuvre des traversĂ©es-jonctions TraversĂ©e-jonction Ă  aiguilles extĂ©rieures Chapitre IV. - Appareils de manƓuvre des aiguillages Appareils de manƓuvre sur place Leviers Ă  simple action Leviers Ă  double action SystĂšme RhĂ©nan Ă  double et Ă  simple action SystĂšme Vanneste Ă  simple et Ă  double action SystĂšme RhĂ©nan modifiĂ© Ă  simple et Ă  double action ManƓuvre des aiguilles Ă  distance Transmissions mĂ©caniques Transmissions rigides Compensateurs Transmissions funiculaires Talonnement Compensateurs Compensateur Ă  brins inclinĂ©s et poulie hĂ©licoĂŻdale Compensateur Ă  brins parallĂšles et poulie diffĂ©rentielle Champ d'action du compensateur Comparaison des systĂšmes rigide et funiculaire Transmissions par fluide ManƓuvre Ă©lectrique des aiguillages Appareil Siemens ManƓuvre ContrĂŽle Commutateur d'Ă©conomie ManƓuvre d'une liaison Appareil des Ateliers de Constructions Electriques de Charleroi Fonctionnement Renversement de l'aiguillage ContrĂŽle Remise de l'aiguillage en position normale ContrĂŽle Dispositif de talonnement ManƓuvre d'une liaison Commande Ă©lectrique d'aiguille des Transports Urbains de l'agglomĂ©ration bruxelloise Chapitre V. - SĂ©curitĂ©s GĂ©nĂ©ralitĂ©s Les verrous de calage des aiguilles Les dĂ©tecteurs de pointe Les pĂ©dales de calage Appareils de verrouillage Appareils de verrouillage indĂ©pendants du levier de manƓuvre du changement de voie Verrou Saxby Verrou circulaire manƓuvrĂ© par transmission Ă  double fil Appareils de verrouillage dĂ©pendant du levier de manƓuvre de l'aiguillage Appareils non talonnables Verrous-aiguilles Appareils talonnables Appareil de manƓuvre et de verrouillage Ă  disque pour transmission Ă  double fil Appareil de manƓuvre avec calage des aiguilles par crochets systĂšme BĂŒssing DĂ©tecteurs DĂ©tecteurs mĂ©caniques Bolt-lock Poulie de verrouillage DĂ©tecteurs Ă©lectriques PĂ©dales de calage PĂ©dales mĂ©caniques ou lattes de calage PĂ©dales Ă©lectriques de calage CINQUIÈME PARTIE VIRAGE ET TRANSLATION DES VÉHICULES DE CHEMINS DE FER Plaques tournantes pour wagons et voitures Circuits de virage et ponts tournants Circuits de virage Raquette Dispositif Ă  rebroussement unique Triangle curviligne de virage Circuit de virage Ă  fleuron ou Ă©toilĂ© Triangle de virage Ă  fleuron de la gare frontiĂšre belge d'Esschen Pentagone Ă©toilĂ© de Roulers Pentagone Ă©toile de virage de la station italienne de Brennero Ponts tournants pour locomotives Ponts tournants Ă  Ă©quilibrage central Ponts tournants Ă  trois points d'appui Ă  poutre continue - SystĂšme Mundt Ponts tournants Ă  poutres articulĂ©es Transbordeurs avec fosse sans fosse surĂ©levĂ©s mi-surbaissĂ©s 2. - TABLE ALPHABÉTIQUE A Abrasion ballast, 7 Accessoires de la voie, 1 Aciers au manganĂšse, 186 Aciers nickel-chrome, 186 Aciers spĂ©ciaux rails, 116 Aiguillages, 147 Aiguillages monoblocs, 168 Aiguilles, 146 Aiguilles courbes, 147, 156 Aiguilles de dĂ©viation, 150 Aiguilles de dilatation, 175 Aiguilles droites, 147, 154 Aiguilles Ă©lastiques, 147 Aiguilles en profil spĂ©cial, 170 Aiguilles flexibles, 147 Aiguilles rigides, 147 Aiguilles talonnables, 147 American Ry Engineering Aion, 92, 93 Analyse chimique rails, 110 Ancre anti-cheminante, 144 Angle d'Ă©boulement, 18 Angle de croisement, 149 Anti-cheminant, 143 Antiseptiques, 24 Appareils de la voie, 145 Appareils de manƓuvre Ă  disque, 224 Appareils de manƓuvre BĂŒssing, 227 Appareils de manƓuvre des aiguillages, 194, 200, 224 Appareils de manƓuvre des aiguillages systĂšme 213 Appareils de mesure, 41 Appareils de verrouillage, 221 Appareils de virage, 234 Appareils non soudables, 97 Appareils Siemens, 209 Appareils soudables, 97 Arc de branchement, 146, 155, 159, 161 Arrachement rĂ©sistance Ă  l'-, 37 ArsĂ©nifĂšres composĂ©s -, 83 Athus-Angleur traverse -, 53 Attaches des traverses en bĂ©ton, 66 Attaches du rail, 35, 41 Attaches du rail Angleur, 46 Attaches du rail Haarmann, 50 Attaches du rail OugrĂ©e, 45 Attaches du rail par crapaud, 44 Attaches du rail rhĂ©nane, 50 AustĂ©nite, 119 Auto-tracteur, 77 Avantages des traverses en bois, 41 B Ballast, 1, 3 Ballast choix du -, 8 Ballast coefficient du -, 11 Basalte, 8 Baumann empreinte -, 110 Bauschinger, 7 BĂ©thel procĂ©dĂ© -, 28, 32 Bolt-lock, 229 Boulonnage des traverses, 26 Boulonneuse, 77 Boulons d'Ă©clisse, 128 Boulon-tirefond, 67 Bourrage de la voie, 70 Bourrage du ballast, 3, 17 Bourrage intensitĂ© du -, 12 BourramĂštre, 42 Bourrelet du rail, 87 Bourroir, 77 Branchement, 1, 145, 167, 170 Branchement dissymĂ©trique, 148 Branchement double, 148 Branchement enchevĂȘtrĂ©, 148 Branchement en courbe, 170 Branchement symĂ©trique, 148 Bretelle, 187 Brinnel duretĂ© -, 110 Burnet procĂ©dĂ© -, 28 C Calcul de la section du rail, 104 Calcul de l'orniĂšre, 150 Calcul des branchements, 154 Cale graduĂ©e, 75 Carbonate de soude, 16 Carbone, 112 Carottes d'essais, 31 Cellules pleines, 28, 30 Cellules vides, 28, 30 CendrĂ©es ballast de -, 6 Champ d'action du compensateur, 205 Changement des voies S. N. C. B., 163 Changement de voie Ă  aiguilles flexibles, 165 Charge par traverse, 84 Cheminement des rails, 138 Cheminement diffĂ©rentiel, 138, 141 Cheminement remĂšdes contre le -, 142 Chemins de fer du Midi, 32 Chemins de fer japonais, 11 Chemins de fer suisses, 55 ChĂȘne, 23 Chevauchement cheminement, 138, 141 Chlorate de soude, 14 Chlorure de zinc, 24 Choix du ballast, 8 Circuits de virage, 235 Classification aciers, 118 Classification ballast, 7 Clips, 51 Coefficient du ballast, 11 Coins David, 94 Commande Ă©lectrique d'aiguilles des 217 Commutateur d'Ă©conomie, 211 Compensateurs, 199, 202 Compensateurs Ă  brins inclinĂ©s, 203 Compensateurs Ă  brins parallĂšles, 204 ComposĂ©s arsĂ©nifĂšres, 33 Composition chimique, 111, 112, 116 Composition du bois, 33 Compound rail -, 117 Conception du joint, 127 Congo belge, 10, 49 CongrĂšs de Rome, 102, 104 Construction des aiguilles, 164, 168 Construction des aiguilles droites, 164 Construction des aiguilles flexibles, 167 Construction des branchements, 148 Construction des croisements, 185 Construction des traverses, 185 Construction d'un chemin de fer, 2 Contrainte rail sous -, 101 Contrerail, 176, 181 ContrĂŽle de la qualitĂ© des rails, 108 Courbe pose des appareils de voie en -, 170 Courbure uniforme branchement, 161 Coussinet de glissement, 169 Crampons, 35 Crampons Ă  ressort, 35 Crampons Macbeth, 35 Crapauds attache par -, 45 CrĂ©osote, 24, 28, 30, 32 Cribleuse, 78 Croisement, 145, 154, 176, 185 Croisement aigu, 145 Croisement obtus, 145 Curr rails de -, 80 D Danger de la traversĂ©e, 182 Danger du croisement, 179 DansomĂštre, 75 DĂ©climĂštre, 42 DĂ©garnisseuse-cribleuse, 78 DĂ©lardeuse, 77 DĂ©nivellation longitudinale, 74 DĂ©nivellation transversale, 74 DĂ©prĂ©ciation du ballast, 12 DĂ©sherbage, 13 DĂ©sherbage chimique, 14 DĂ©sherbage manuel, 14 DĂ©sherbage mĂ©canique, 14 DĂ©sherbeur groupe -, 15 DĂ©soxydant, 112 Destruction mĂ©canique des traverses, 22 DĂ©tecteur de pointe, 221 DĂ©tecteur mĂ©canique, 229 Deval machine -, 7 Diagramme des prix ballast, 9, 10 Diagramme des prix crĂ©osote, 31 Diagramme des prix rails, 105 Diagramme des prix traverses, 22 Dilatation aiguille de -, 175 Dimensions des traverses, 18, 48 Dimensions du ballast, 8 Double liaison, 187 Dressage de la voie, 3, 70 DurĂ©e des rails, 114 DuretĂ© Brinell, 110 E Ecartement des traverses, 20 Eclissage Ă  fourrure en bois, 129 Eclisse, 128 Eclisse Ă  tĂȘte libre, 92 Eclisse CĂ©sar, 131 Eclisses corniĂšres, 128 Eclisses de raccord, 132 Eclisses double corniĂšre, 128 Eclisses plates, 128 Efforts de compression, 101 Efforts dynamiques, 83 Efforts longitudinaux, 3, 85 Efforts statiques, 83 Efforts transversaux, 3, 85 Efforts verticaux, 83 ElasticitĂ© du ballast, 4 Empreinte Baumann, 110 Entretien de la voie, 72, 76 Entretien en recherche, 72 Entrevoie, 2 Epaisseur du ballast, 3 Epreuve au choc, 7 Epreuve d'abrasion, 7 Epreuve de gĂ©livitĂ©, 7 Epreuve d'hygromĂ©trie, 7 Eprouvette Mesnager, 109 Espagne, 2 Essais du ballast, 7 Essences dures, 21 Essences tendres, 20 Eutectique, 119 EutectoĂŻde, 119 Evolution du rail, 79 Examen macrographique, 110 Examen micrographique, 110 Examen pĂ©trographique, 7 ExtrahomĂštre, 41 F Faces trapĂ©zoĂŻdales rail, 89 Ferrite, 118 Flambement de la voie, 101 Fluage du bĂ©ton, 65 Forage des rails, 111 Forage des traverses, 27 Forme des aiguilles, 147 Forme des traverses, 20, 48 FossĂ©s d'assĂšchement, 2, 4 Four Martin, 119 Frettage des traverses, 27 G GalvanisĂ©s tirefonds -, 37 Garantie rails, 113 Garniture Lakhovsky, 40 Garniture Streitz., 41 Garniture Thiollier, 62 GĂ©livitĂ© ballast, 7 GĂ©nĂ©ralitĂ©s voie, 1 Gneiss, 8 Granit, 8 Gravier, 6 Gravier de carriĂšre, 6 Gravier de riviĂšre, 6 Great Western Ry, 82 GrĂšs, 8 Griffon attache -, 39 Groupe dĂ©sherbeur, 15 Grover rondelle -, 129 H Hautzschel expĂ©rience de -, 11 HĂȘtre, 23, 26, 33 Huiles d'antracĂšne, 16 Huiles de pĂ©trole, 16 I ImprĂ©gnation des traverses, 23, 24, 28 Inclinaison de rails, 17, 87 Inclusions, 108 IntensitĂ© du bourrage, 12 J Jauge de la voie, 2, 82 Joint Ă  pont, 129 Joint appuyĂ©, 135 Joint de dilatation, 99 Joint en porte Ă  faux, 136 Joint parfait, 130 Joint rail, 127 Joint soutenu, 139 Joint suspendu, 136 Joints alternĂ©s, 137 Joints concordants, 137 Joints chevauchĂ©s, 137 L Lacune croisement, 176 Laitier, 5 Laitier concassĂ©, 5 Laitier fin, 6 Laitier granulĂ©, 5 Lakhovsky garniture -, 40 Largeur de la voie, 82 Largeur de l'orniĂšre, 162 Lattes de cheminement, 144 Levier Ă  double action, 195 Levier Ă  simple action, 194 Levier rhĂ©nan, 195 Levier Vanneste, 196 Liaison double -, 170 Limonite granuleuse, 11 Longueur des aiguilles, 152 Longueur des branchements, 149, 153 Longueur des rails, 99, 102 Longueur mise Ă  -, 110 M Macbeth, crampon -, 35 ManganĂšse, 112 ManƓuvre Ă  distance des aiguilles, 198 ManƓuvre Ă©lectrique des aiguilles, 208 ManƓuvre Ă©lectrique d'une liaison, 212, 216 Martensite, 120 Martin four -, 119 Mattes de plomb, 8 Mattes de zinc, 8 MaxhĂŒtte procĂ©dĂ© -, 123 MĂ©canisation des travaux, 71 MĂ©lange crĂ©osote et pĂ©trole, 32 MĂ©lĂšze, 23 Mentonnet de la roue, 88 Mentonnet tranchant, 88 Mesure appareils de -, 31 MĂ©tal rails, 108 MĂ©talliques selles -, 42 Meulage rails, 77 Mire, 74 Module d'Ă©lasticitĂ©, 101 N Neuves-Maisons procĂ©dĂ© -, 122 Nivellement de la voie, 3, 70 Niveau Van den Berghe, 74 O OrniĂšre, 150 OrniĂšre de protection, 178 OugrĂ©e-Marihaye, 51 P ParachĂšvement du rail, 110 Parasites du bois, 23 Patin du rail, 92 Pattes de liĂšvres, 176 PĂ©dale de calage, 231 PĂ©dale Ă©lectrique, 233 PĂ©dale mĂ©canique, 232 Perceuses, 77 Perlite, 118 PermĂ©abilitĂ© du ballast, 4 PĂ©trographique examen, 7 Phosphore, 113 Pierres concassĂ©es, 5, 45 Pin, 23 Pin des Landes, 32 Piste, 2 Plaque Ramy, 38 Plaques tournantes, 1, 145 Plateforme voie, 1 Poids des rails, 100 Poids des traverses en bois, 55 Poids des traverses mĂ©talliques, 55 Poids d'un m3 de ballast, 9 Poids spĂ©cifique ballast, 7 Pointe de cƓur, 177 Ponts tournants, 1, 145, 153, 176 Ponts tournants Ă  deux appuis, 240 Ponts tournants Ă  Ă©quilibrage central, 239 Ponts tournants Ă  trois appuis Mundt, 240 Porphyre, 8 PortĂ©e d'Ă©clissage, 90 Portugal, 2 Pose de la voie, 70 Pose du rail, 34 Pose en courbe des appareils de voie, 170 Pose inclinĂ©e du rail, 89 Pose verticale du rail, 89 Position relative des joints, 136 Pourriture du bois, 23 Poulie de verrouillage, 230 Pression statique sur le ballast, 18 Pression statique sur la plateforme, 18 Prix de la crĂ©osote, 31, 32 Prix des rails, 105, 106 Prix des traverses, 22, 23, 54, 69 Prix du ballast, 9, 10 ProcĂ©dĂ© Bertrand-Thiel, 119 ProcĂ©dĂ© d'imprĂ©gnation, 23 ProcĂ©dĂ© Duplex, 119 ProcĂ©dĂ© Talbot, 119 ProcĂ©dĂ© Thomas, 119 Profil des rails, 86 Profil renforcĂ©, 97 Profil transversal voie, 1 Protection offerte par le contrerail, 178 Q QualitĂ©s du ballast, 4 Quartzite, 8 R Rail, 1 Rail Ă  bords parallĂšles, 82 Rail Ă  double bourrelet, 82, 86, 94 Rail Ă  orniĂšre, 86 Rail Ă  patin, 86 Rail compound, 117 Rail contre-aiguille, 156 Rail de Curr, 80 Rail de raccord, 133 Rail de Reynolds, 80 Rail de Vignole, 86 Rail en fer forgĂ©, 82 Rail en fonte, 81 Rail saillant, 81 Rail subondulĂ©, 82 Railway, 80 Ramy plaque -, 38 Raquette de virage, 235 Rayon de courbure uniforme, 161 Rebords selle Ă  -, 43 Recouvrement des traverses, 13 RĂ©duction du nombre de joints, 182 Refroidissement des rails, 111 Relevage de la voie, 70 RemĂšdes contre le cheminement, 142 Renouvellement de la voie 76, 77 RĂ©silience, 109 Retassure, 108 Retrait du bĂ©ton, 65 Revision mĂ©thodique intĂ©grale, 72 Reynolds rail de -, 80 Roches Ă©ruptives, 5 Roches schisteuses, 5 Roches sĂ©dimentaires, 5 Rodange procĂ©dĂ© de -, 124 RĂŽle du ballast, 3 Rondelle Grover, 129 Rondelle Vossloh, 129 Roussissure du bois, 24 RĂŒping procĂ©dĂ© -, 29, 32, 33 Russie, 2 RĂŒtgers procĂ©dĂ© -, 28, 33 S Sable, 6 Sabotage, 27 Sandberg procĂ©dĂ© -, 121 Scie, 77 SĂ©chage des traverses, 25 Section des aiguilles, 168 SĂ©curitĂ©s les -, 220 SĂ©grĂ©gation, 108 Selle anti-cheminement Winsby, 143 Selle Ă  rebords, 43 Selle intercalaire, 67 Selle mĂ©tallique, 42 Selle rĂŽle de la -, 42 Silicium, 112 SoliditĂ© ballast, 4 Sonneville traverse -, 63 Sorbite, 120 Soudure Ă  l'arc, 134 Soudure alumino-thermique, 134 Soudure des rails, 133 Soudure Ă©lectrique par rĂ©sistance, 134 Soudure oxy-acĂ©tylĂ©nique, 134 Soufflage, 73 Soufflage mesurĂ©, 73 Soufre, 112 SoulĂšvement de la voie, 101 Streitz garniture -, 41 Sulfate de cuivre, 24, 32 Sulfocyanures, 16 Superstructure, 1 SystĂšme Siemens aiguillage, 190 T Table traverse, 48 Talon aiguille, 157, 169 TalonnabilitĂ©, 147 TempĂ©rature critique, 119 Tension dans les rails, 84 Termites, 67 Tirefond, 36, 39 Tirefonnage, 34 Tirefonneuse, 77 Thiollier garniture -, 67 Thomas procĂ©dĂ© -, 119 TorsiomĂštre, 42 ToxicitĂ© du bois, 25 TracĂ© de l'aiguille courbe, 157 TracĂ© de l'aiguille de la voie directe, 162 TracĂ© du branchement, 151 TracĂ© de l'aiguille Ă  aiguilles droites, 163 TracĂ© de l'aiguille Ă  aiguilles flexibles, 166 Traitement des Ă©clisses, 132 Traitement thermique, 117, 125 Tramways, 97, 103 Transbordeur, 211 Transbordeur Ă  fosse, 241 Transbordeur mi-surbaissĂ©, 242 Transbordeur sans fosse, 242 Transbordeur surĂ©levĂ©, 242 Transmissions Ă  double fil, 201 Transmissions funiculaires, 201 Transmissions mĂ©caniques, 199 Transmissions par fluide, 189, 207 Transmissions rigides, 199 TraversĂ©e, 145, 182, 185, 187 TraversĂ©e anglaise, 187 TraversĂ©e jonction, 18 TraversĂ©e jonction Ă  aiguilles extĂ©rieures, 193 TraversĂ©e jonction double, 188 TraversĂ©e jonction simple, 188 TraversĂ©e oblique, 182 TraversĂ©e rectangulaire ou Ă  grand angle, 184 Traverses, 1, 13, 17 Traverses danseuses, 4, 74 Traverses demi-rondes, 2 Traverses en bĂ©ton armĂ©, 17, 58 Traverses en bĂ©ton Calot, 58 Traverses en bĂ©ton monobloc, 58 Traverses en bĂ©ton Orion, 59 Traverses en bĂ©ton prĂ©contraint, 17, 58, 64, 65 Traverses en bĂ©ton prĂ©contraint Franki-Bagon, 65 Traverses en bĂ©ton S. N. C. B., 69 Traverses en bĂ©ton Sonneville, 63 Traverses en bĂ©ton Vagneux, 61 Traverses en bois, 17, 18, 41, 54, 55, 58 Traverses mĂ©talliques, 17, 48, 54, 58 Traverses mixtes, 58 Traverses rectangulaires, 20 Tree-nails, 40 Triangle de virage, 236 Triangle de virage Ă  fleurons, 237 Triangle de virage Ă©toilĂ©, 237 Tringle d'Ă©cartement, 146 Troostite, 120 Tunnels rails dans les -, 103 Types d'aiguillages, 147 Types de croisement, 154 U UnitĂ© technique internationale, 150 Unterlageziffer, 12 Usinage des aiguilles, 108 Usure des Ă©clisses, 130 Usure latĂ©rale, 115, 126 Usure ondulatoire, 117 Usure par abrasion, 115 Usure par Ă©crasement, 115 Usure par oxydation, 128 Usure rail, 114 Usure verticale, 88, 114 V Verrou-aiguille, 224 Verrou circulaire, 201, 222 Verrou de calage, 220 Verrouillage appareils de -, 221 Verrouillage Saxby, 220 Vibrage du bĂ©ton, 65 Virage du matĂ©riel, 1, 2, 3 Virole VV, 41 Viseur, 74 Vossloh rondelle -, 129 W Winkler hypothĂšse de -, 11 Winsby selle anti-cheminement -, 143 GÉNÉRALITÉS Les Ă©lĂ©ments constitutifs de la superstructure de la voie sont le ballast, les traverses, les rails et leurs accessoires. En dehors de la voie courante, les nĂ©cessitĂ©s de l'exploitation exigent que certaines voies se coupent et que d'autres puissent communiquer entre elles. Pour atteindre ces buts, on substitue Ă  la voie courante des dispositifs connus sous le nom d'appareils de la voie, ce sont les branchements et les traversĂ©es. Les installations de la voie comportent encore des engins ou des dispositifs spĂ©ciaux qui servent au virage du matĂ©riel roulant, ce sont les plaques tournantes, les ponts tournants et les circuits de virage. Enfin, les transbordeurs permettent le transfert des vĂ©hicules d'une voie sur une autre voie parallĂšle. Fig. 1. - Profil transversal d'une ligne Ă  double voie. Fig. 2. - Profil transversal d'une ligne Ă  simple voie. Les rails sont fixĂ©s aux traverses qui reposent sur le ballast. Celui-ci s'Ă©tale horizontalement extĂ©rieurement aux rails sur une longueur d'environ un mĂštre. Le profil transversal d'une ligne Ă  double voie, Ă  circulation rapide, en alignement droit et Ă©tablie en plaine, est reprĂ©sentĂ© figure 1. La figure 2 donne le profil en travers d'une ligne Ă  simple voie. Le rapprochement des deux figures montre que la largeur d'une ligne Ă  double voie 14 mĂštres environ est de 40 % seulement plus grande que celle d'une ligne Ă  simple voie 10 mĂštres environ ; mais le nombre de trains que, normalement, l'on peut faire passer par 24 heures dans chaque sens sur une ligne Ă  double voie est triple de celui que permet une ligne Ă  simple voie ± 72 trains contre ± 24. Lors de la construction d'un chemin de fer, on se borne Ă  l'origine Ă  Ă©tablir une ligne Ă  simple voie ; mais, mĂȘme dans ce cas, si l'on entrevoit que, dans l'avenir, le trafic sera trĂšs important, on achĂšte dĂšs le dĂ©but une bande de terrain assez large pour pouvoir recevoir ultĂ©rieurement la deuxiĂšme voie. Les ouvrages d'art tunnels, ponts en maçonnerie sont construits dĂšs l'origine pour deux voies. Quant aux ponts mĂ©talliques, on construit dĂšs le dĂ©but les piles et culĂ©es pour deux voies, rĂ©servant Ă  plus tard la pose des tabliers de la deuxiĂšme voie. La jauge de la voie, c'est-Ă -dire la distance comprise entre les bords intĂ©rieurs des bourrelets des rails, est de 1,435 m note 002_1, ce qui, en tenant compte de la largeur ordinaire de la surface de roulement, donne 1,500 m environ d'axe en axe des rails note 002_2. La plateforme des terrassements prĂ©sente, de part et d'autre de son axe, une pente transversale d'au moins 3 centimĂštres par mĂštre pour assurer l'Ă©coulement des eaux qui traversent la couche de ballast. A l'extĂ©rieur des voies, on mĂ©nage des fossĂ©s d'assĂšchement ainsi que des pistes pour la circulation du personnel d'entretien et de surveillance. Pour faciliter la circulation des engins mĂ©caniques d'entretien, la largeur de ces pistes a Ă©tĂ© portĂ©e Ă  0,80 m. L'espacement entre les voies doit permettre Ă  deux trains de se croiser sans se frĂŽler, mĂȘme dans le cas oĂč une portiĂšre de voiture viendrait Ă  s'ouvrir. En pleine voie, la largeur de l'entrevoie ne peut ĂȘtre infĂ©rieure Ă  2 mĂštres note 002_3. En France, en Hollande, en Allemagne et aux États-Unis la tendance est de porter la largeur de l'entrevoie Ă  2,50 m. Dans les gares, on donne Ă  l'entrevoie une largeur de 3 mĂštres au moins. PREMIÈRE PARTIELe Ballast 1. RĂŽle du ballast. Si les traverses reposaient directement sur la plateforme, elles s'enfonceraient plus ou moins dans le terrain naturel dont la rĂ©sistance est gĂ©nĂ©ralement insuffisante pour supporter la charge transmise par les traverses ; le nivellement de la voie serait compromis. La rĂ©sistance du sol est d'ailleurs trĂšs inĂ©gale. En outre, sur un sol impermĂ©able, les traverses baigneraient souvent dans l'eau et les gelĂ©es dĂ©termineraient des soulĂšvements locaux des rails. On Ă©vite ces inconvĂ©nients en interposant, entre les traverses et la plateforme, une couche de ballast d'une hauteur suffisante pour que la pression reçue par les traverses, sous l'action des charges roulantes, se rĂ©partisse aussi uniformĂ©ment que possible sur une plus grande surface de la plateforme. Mais le ballast ne doit pas seulement assurer aux traverses une position stable dans le sens vertical maintien du nivellement de la voie, mais aussi dans le plan mĂȘme de la voie, en rĂ©sistant aux efforts transversaux qui tendent Ă  dĂ©former le tracĂ© maintien du dressage de la voie et aux efforts longitudinaux qui tendent Ă  faire cheminer les rails et les traverses sĂ©parĂ©ment et conjointement et Ă  fermer les joints de dilatation. Le bourrage » du ballast sous la traverse conserve Ă  la voie son nivellement correct. Il freine aussi les dĂ©placements longitudinaux et transversaux car, dĂšs qu'une tendance au dĂ©placement se manifeste, il naĂźt un frottement rĂ©sistant entre la traverse et le ballast. Les efforts longitudinaux et transversaux sont Ă©galement combattus par les banquettes de ballast contrebutant les extrĂ©mitĂ©s des traverses, et par le ballast introduit entre les traverses jusqu'au niveau de la face supĂ©rieure de celles-ci. L'Ă©paisseur minimum gĂ©nĂ©ralement admise pour la couche de ballast entre la plateforme et la face infĂ©rieure des traverses est de 30 centimĂštres. Elle dĂ©pend de la charge des essieux, car il s'agit de rĂ©partir celle-ci sur une surface d'autant plus grande que la charge sera plus Ă©levĂ©e fig. 3. Pour une charge supplĂ©mentaire P', l'excĂ©dent de hauteur H' fournira le complĂ©ment de surface S' nĂ©cessaire. Fig. 3 2. QualitĂ©s requises. Un bon ballast doit prĂ©senter les qualitĂ©s suivantes permĂ©abilitĂ©, Ă©lasticitĂ©, soliditĂ©, se prĂȘter au bourrage, ne pas ĂȘtre gĂ©lif, ne pas se dĂ©sagrĂ©ger sous l'influence des agents atmosphĂ©riques. PermĂ©abilitĂ©. - Le ballast doit assurer un bon Ă©coulement des eaux car l'eau qui reste dans le ballast y forme finalement de la boue, les traverses qui s'y appuient sont mal assises traverses boueuses ou danseuses ; cette eau se congĂšle en hiver, d'oĂč gonflement du ballast et soulĂšvement de la voie. En outre, la voie gelĂ©e perd son Ă©lasticitĂ©. Si le ballast est insuffisamment permĂ©able, les pluies y creusent des ravinements qui crĂ©ent des porte Ă  faux compromettant l'assiette de la voie. Un ballast souillĂ© est un ballast qui a perdu sa permĂ©abilitĂ© parce que ses vides se sont remplis de cendrĂ©es tombant des foyers des locomotives, de poussiĂšres de charbon, de dĂ©chets de ballast, de matiĂšres Ă©trangĂšres de toute nature. AprĂšs avoir traversĂ© le ballast, les eaux viennent au contact de la plateforme et s'Ă©coulent vers les fossĂ©s d'assĂšchement Ă  la faveur de la pente de 3 % donnĂ©e Ă  la plateforme fig. 1 et 2. En cas de besoin, on rĂ©alise un drainage de la plateforme elle-mĂȘme. ElasticitĂ©. - Celle-ci dĂ©rive de la mobilitĂ© relative des Ă©lĂ©ments constituant le ballast. Pour qu'elle soit bonne, il faut que les pierrailles soient de dimensions suffisamment grandes et qu'elles soient bien calibrĂ©es. Le ballast doit conserver son Ă©lasticitĂ© et ne pas former sous les traverses une masse compacte, comprimĂ©e sous le poids des trains et ne revenant » pas lorsque la charge a disparu. SoliditĂ©. - Le ballast doit ĂȘtre assez dur pour rĂ©sister aux chocs provoquĂ©s par les charges roulantes broiement et pour supporter l'action destructrice des outils de bourrage Ă©miettement. Un ballast tendre ou poreux se dĂ©sagrĂšge rapidement, il absorbe l'humiditĂ© qui retient les poussiĂšres et les corps Ă©trangers. Toutes choses Ă©gales, le ballast pourra ĂȘtre d'autant plus fin qu'il sera plus dur. Etant fixĂ©s sur les qualitĂ©s que doit offrir le ballast, recherchons quels sont les matĂ©riaux qui les possĂšdent. Parmi les produits naturels, nous rencontrons les pierres concassĂ©es, les graviers, le sable ; parmi les produits artificiels, les laitiers, les scories, les cendrĂ©es d'usines ou de dĂ©pĂŽts de locomotives. Pierres concassĂ©es. - Leurs qualitĂ©s et leurs dĂ©fauts dĂ©rivent des caractĂšres des roches dont elles sont extraites. Les roches Ă©ruptives, compactes, massives, exemptes de porositĂ©, non gĂ©lives et dĂ©pourvues de stratification ou de joints de clivage, rĂ©sistent parfaitement aux agents atmosphĂ©riques ex. porphyre, granit, basalte, gneiss, diorite. Parmi les roches sĂ©dimentaires, seules celles de formations primaires, peuvent fournir des pierres suffisamment dures pour constituer un ballast de bonne qualitĂ©. Elles sont sujettes Ă  se fendre dans le sens de la stratification, nĂ©anmoins, les roches siliceuses grĂšs, quartzites rĂ©sistent bien aux altĂ©rations dues aux agents atmosphĂ©riques. Les roches calcaires s'altĂšrent par dissolution et par l'abondance des joints ; cependant, les calcaires durs peuvent donner un ballast de bonne qualitĂ©. Les roches schisteuses, donnant de l'argile par altĂ©ration, sont peu recommandables. Le laitier se prĂ©sente sous trois aspects concassĂ©, granulĂ© ou fin. a Le laitier concassĂ© provenant des crassiers des hauts-fourneaux peut gĂ©nĂ©ralement rivaliser avec les meilleurs ballasts. Par suite des arĂȘtes vives de ses Ă©lĂ©ments, il dĂ©tĂ©riore les chaussures des agents qui circulent ou travaillent dans la voie. Cependant, si le laitier contient de la chaux vive, il manifeste une tendance Ă  se dĂ©liter. Quand il provient d'anciens crassiers, cet inconvĂ©nient n'est plus Ă  craindre car si, Ă  l'origine, il contenait de la chaux, celle-ci a eu le temps de s'Ă©teindre. Les laitiers concassĂ©s de production rĂ©cente ne peuvent ĂȘtre ni vitreux, ni poreux, ni spongieux. Le laitier concassĂ© n'est pas trĂšs abondant parce qu'il est utilisĂ© dans la fabrication des ciments, du bĂ©ton, etc. b Le laitier granulĂ© est obtenu en coulant le laitier dans l'eau froide Ă  sa sortie du haut-fourneau. Il faut Ă©viter qu'il soit spongieux. Il s'Ă©crase facilement. La laitier granulĂ© est infĂ©rieur Ă  la cendrĂ©e mais vaut mieux que le sable. A l'encontre de la cendrĂ©e, il ne favorise pas la vĂ©gĂ©tation. Si on l'emploie sur les lignes secondaires, c'est en raison de son prix peu Ă©levĂ©. c Quant au laitier fin, qui est constituĂ© de dĂ©chets de laitier concassĂ©, il est peu recommandable. La marche sur le laitier fin est pĂ©nible et dĂ©sagrĂ©able. Par ailleurs, le laitier fin conserve parfois des propriĂ©tĂ©s pouzzolaniques, il fait alors prise Ă  la longue en formant des blocs durs semblables Ă  des moellons, on le rĂ©serve gĂ©nĂ©ralement aux voies accessoires. Le gravier. - Il se compose de cailloux roulĂ©s, prĂ©alablement calibrĂ©s au trommel et soumis au lavage. On peut aussi se servir de gravier concassĂ©, mais celui-ci est peu utilisĂ© parce que plus coĂ»teux. Le gravier doit ĂȘtre propre, c'est-Ă -dire exempt d'argile qui lui enlĂšverait sa grande permĂ©abilitĂ©. Mais il peut contenir un peu de sable qui l'empĂȘche d'ĂȘtre trop roulant. Le gravier de carriĂšre, extrait d'anciens lits de riviĂšre, contient gĂ©nĂ©ralement de l'argile en assez forte proportion ; de ce chef, il est moins bon que le gravier de riviĂšre qui en est exempt. Par suite de la forme arrondie des galets, le bourrage d'un ballast de gravier est plus difficile. Des essais faits en Allemagne ont dĂ©montrĂ© la supĂ©rioritĂ© des pierres cassĂ©es par rapport au gravier. Le ballast de gravier, trop mobile, ne convient guĂšre pour les lignes sur lesquelles circulent des trains rapides ou des trains remorquĂ©s par des locomotives Ă  essieux fortement chargĂ©s 18 tonnes et plus. Les cendrĂ©es. - Les cendrĂ©es d'usines et de locomotives ne constituent qu'un ballast mĂ©diocre mais assez employĂ© sur les lignes Ă  faible trafic et dans les voies secondaires des gares parce qu'on se le procure facilement et Ă  bas prix. Le bourrage des cendrĂ©es se fait aussi avec facilitĂ©. Malheureusement, la cendrĂ©e favorise la vĂ©gĂ©tation note 006, elle s'Ă©crase sous l'action des charges roulantes, elle s'agglomĂšre et perd ainsi Ă  la fois sa permĂ©abilitĂ© et son Ă©lasticitĂ©. Les cendrĂ©es d'usines utilisant le charbon pulvĂ©risĂ© doivent ĂȘtre rejetĂ©es parce que trop tĂ©nues. Cependant, la cendrĂ©e est utilisĂ©e comme premier ballast sur les lignes neuves, mĂȘme importantes, Ă©tablies en remblai, soit sur toute l'Ă©paisseur du ballast soit sur une grande partie de celui-ci. GrĂące Ă  ce procĂ©dĂ©, la ligne s'affaissant par le tassement des remblais, il est aisĂ© de niveler la voie en replaçant des cendrĂ©es sous les traverses, alors que le relĂšvement d'un ballast de pierrailles est coĂ»teux. On Ă©conomise ainsi le ballast qui, descendant avec le remblai ou pĂ©nĂ©trant dans celui-ci, serait perdu. AprĂšs un an ou deux, lorsque le tassement du remblai a cessĂ©, on parachĂšve la pose au moyen de ballast de pierrailles. La cendrĂ©e est encore utilisĂ©e comme assise entre les terres argileuses et le ballast de pierrailles car elle empĂȘche l'argile de refluer dans le ballast. En Belgique, sur des lignes Ă  faible trafic, on a, pour rĂ©duire les dĂ©penses, mis Ă  l'essai un ballast de cendrĂ©es de 20 centimĂštres d'Ă©paisseur, surmontĂ© d'une couche de gros ballast sur 10 centimĂštres d'Ă©paisseur. Le sable. - GĂ©nĂ©ralement mĂȘlĂ© Ă  des matiĂšres terreuses, le sable manque de permĂ©abilitĂ©. Par suite de la petitesse de ses Ă©lĂ©ments, il est facilement entraĂźnĂ© par les eaux ou soulevĂ© par le vent. Ces dĂ©fauts le classent derriĂšre les cendrĂ©es. On ne l'emploie guĂšre que sur des lignes trĂšs secondaires et eu Ă©gard aux circonstances locales. En Belgique, on ne l'utilise pas comme ballast. Lors de sa rĂ©ception, le ballast, s'il s'agit d'un matĂ©riau nouveau, est soumis Ă  des essais divers L'Ă©preuve au choc ; On dĂ©termine le poids spĂ©cifique de la pierre, aprĂšs l'avoir sĂ©chĂ©e pendant trois heures la tempĂ©rature de la pierre est de 50° C ; L'Ă©preuve d'hygromĂ©trie. On trempe la pierre dans l'eau et on mesure l'augmentation de son poids ; L'Ă©preuve de gĂ©livitĂ©. La pierre imbibĂ©e d'eau est gelĂ©e et dĂ©gelĂ©e vingt-cinq fois consĂ©cutives pour constater son degrĂ© de gĂ©livitĂ© ; L'examen d'abrasion par la machine de Bauschinger ou de Deval ; L'examen pĂ©trographique pour dĂ©terminer les caractĂ©ristiques de la roche. Lorsque la pierre est connue, on peut se contenter de vĂ©rifier le calibrage et la propretĂ©. Il apparaĂźt que si l'on veut classer les matĂ©riaux de ballastage d'aprĂšs leurs qualitĂ©s, on peut, toutes choses Ă©gales, les ranger dans l'ordre suivant Pierrailles porphyre, basalte, granit, gneiss ; grĂšs dur, quartzite ; calcaire dur note 008. Laitier concassĂ©. Gravier de riviĂšre et gravier lavĂ© gravier concassĂ© ; gravier de carriĂšre. Mattes de plomb laitier de four Ă  plomb, mattes de zinc. CendrĂ©es. Laitier granulĂ©. Sable. 3. Choix du ballast. Le ballast, constituant le support commun des traverses, le choix Ă  faire entre les qualitĂ©s diverses a une trĂšs grande importance. Ce choix est conditionnĂ© par les ressources locales ; le prix qu'il faut payer pour un bon ballast. Les pays qui disposent de plusieurs espĂšces de ballast les emploient toutes en plus ou moins grande quantitĂ©, rĂ©servant les meilleures aux voies principales. En procĂ©dant de la sorte, on Ă©vite de donner un monopole Ă  certains producteurs. En mettant les fournisseurs en concurrence, mĂȘme si les qualitĂ©s ne s'Ă©quivalent pas absolument, on arrive Ă  un abattement des prix. En Belgique, on emploie indiffĂ©remment le ballast concassĂ© de porphyre, de grĂšs, de calcaire dur et de laitier, en ayant Ă©gard aux ressources locales, aux prix en carriĂšre et aux frais de transport. 4. Dimensions des Ă©lĂ©ments. Aux chemins de fer belges, les pierrailles et le laitier sont fournis normalement au calibre 40 X 60 mm la longueur Ă©tant mesurĂ©e en diagonale. Le ballast est calibrĂ© au trommel ou Ă  la grille Ă  secousses, le criblage Ă  la fourche Ă  la carriĂšre Ă©tant interdit parce que laissant Ă  dĂ©sirer. Lorsque la dimension dĂ©passe 60 mm, le bourrage devient difficile. Pour obtenir la permĂ©abilitĂ© maximum, les dimensions doivent ĂȘtre aussi uniformes que possible, sinon les Ă©lĂ©ments les plus petits combleraient les vides laissĂ©s entre les plus gros. Cette uniformitĂ© donne de la compacitĂ© au ballast et favorise une rĂ©partition rĂ©guliĂšre des pressions sur la plateforme. Fig. 4. - Prix du ballast 40 X 60 mm porphyre, grĂšs, laitier en francs belges par mÂł, de 1927 Ă  1940. Si le ballast 40 X 60 mm est le type normal, on emploie Ă©galement du 10 X 50 mm, meilleur marchĂ©, mais de qualitĂ© infĂ©rieure. On l'utilise sur les lignes Ă  faible circulation ainsi que dans les gares oĂč les gros Ă©lĂ©ments fatiguent les agents des manƓuvres note 010. Quant aux grenailles ou plaquettes de 10 X 25 mm, elles sont employĂ©es pour le nivellement des voies par le procĂ©dĂ© du soufflage mesurĂ© » dont il sera question plus loin. Les plaquettes procurent un contact meilleur contre les traverses. Avec le gros ballast, les traverses reposent sur les pointes ou les arĂȘtes des pierres, d'oĂč tassement irrĂ©gulier. Il en rĂ©sulte des interventions plus frĂ©quentes du personnel d'entretien pour niveler la voie. A titre documentaire, les diagrammes, fig. 4 et 5, montrent comment a variĂ© le prix du ballast 40 X 60 mm porphyre, grĂšs, laitier concassĂ© au cours de ces derniĂšres annĂ©es. Ces prix comportent des Ă©carts considĂ©rables, ceux-ci dĂ©pendent des quantitĂ©s et des qualitĂ©s en prĂ©sence sur les marchĂ©s intĂ©rieurs et de la demande des marchĂ©s extĂ©rieurs. La S. N. C. B. utilise moyennement de Ă  mÂł de ballast par an, ce qui, aux prix de 1950, reprĂ©sente de 36 Ă  45 millions de f. Fig. 5. - Prix du ballast 40 X 60 mm porphyre, grĂšs, laitier en francs belges par tonne, de 1945 Ă  1950. Le poids d'un mĂštre cube de ballast de 40 X 60 mm ou de 20 X 40 mm est en moyenne de kg. 5. Congo belge. Ballastage des lignes Ă  voie de 1,067 m mesurĂ©e entre les faces intĂ©rieures des bourrelets des rails 1° Ballast provisoire. On emploie la terre ordinaire ou la terre sablonneuse que l'on trouve sur les Ă -cĂŽtĂ©s de la voie. 2° Ballast dĂ©finitif. On utilise les pierres concassĂ©es au calibre 40 X 60 mm quartzites, grĂšs, calcaires, dolomie, selon la roche qui affleure le long de la ligne et compte tenu du souci de rĂ©duire au minimum les distances de transport ; la limonite granuleuse, minerai de fer pauvre dĂ©sagrĂ©gĂ© que l'on trouve en abondance dans certaines rĂ©gions. Le ballastage en limonite granuleuse se comporte bien. Cependant il exige des rechargements assez frĂ©quents tous les 2 ou 3 ans lorsqu'il repose sur une plateforme sablonneuse et compressible KasaĂŻ. 6. Coefficient de ballast. Le ballast, constituant la fondation de la voie, est caractĂ©risĂ© par ce que l'on appelle le coefficient de ballast. Si p est la pression exercĂ©e sur l'unitĂ© de surface du ballast, l'enfoncement Ă©lastique correspondant y de la traverse sera d'autant plus faible que le ballast rĂ©sistera mieux ; on peut Ă©crire fig. 6 dans laquelle C reprĂ©sente le coefficient de ballast. Cette formule, dite de Winkler, exprime la valeur de la contre-pression du ballast sur l'unitĂ© de surface d'appui des traverses. Fig. 6 Puisque , on peut dire encore que le coefficient de ballast correspond au nombre de kg par cmÂČ nĂ©cessaire pour produire un enfoncement Ă©lastique de la traverse Ă©gal Ă  un centimĂštre. D'aprĂšs les expĂ©riences de Hautzschel C = 3, pour le ballast de gravier Ă©tendu directement sur la plateforme, C = 8, pour le ballast de gravier sur couche de fond de pierrailles, C = 18, pour le ballast de pierres cassĂ©es sur couche de fond de pierrailles. Les chemins de fer japonais estiment que la valeur de C est Ă©gale Ă  5 pour une plateforme mĂ©diocre et Ă  13 pour une bonne plateforme. L'hypothĂšse de Winkler admet que le ballast se comporte comme un corps Ă©lastique et, dans les limites des efforts ordinaires, uniformĂ©ment Ă©lastique. Elle admet encore que toutes les caractĂ©ristiques du ballast et de l'assiette terrain, bourrage, etc. sont constantes pour toute la surface de l'appui de la traverse. Bien entendu, comme le nom l'indique, la notion de coefficient de ballast s'applique Ă  l'enfoncement de la traverse mesurĂ© sur l'Ă©paisseur du ballast proprement dit, celui-ci Ă©tant supposĂ© reposant sur une plateforme fixe. En d'autres termes, la mesure de la dĂ©nivellation de l'assise supĂ©rieure du ballast ne donne pas la valeur exacte de ce coefficient puisque cette dĂ©nivellation comprend Ă©galement l'affaissement de la plateforme. Les allemands disent plus justement Unterlageziffer » coefficient des couches infĂ©rieures » ou coefficient de sous-sol ». L'expĂ©rience montre, en effet, que lorsqu'une traverse dĂ©terminĂ©e s'affaisse sous la charge d'un essieu, le sous-sol descend en mĂȘme temps que la traverse considĂ©rĂ©e, dans une moindre mesure souvent note 012. En outre, l'affaissement du sous-sol n'est pas limitĂ© Ă  l'aplomb de la seule traverse chargĂ©e, cet affaissement s'Ă©tend aux traverses voisines, tout en s'affaiblissant, et cela, indĂ©pendamment de la charge que la raideur du rail reporte sur celles-ci. Il s'ensuit que dans les hypothĂšses que l'on introduit lors du calcul du profil d'un rail, ce n'est pas la grandeur de l'affaissement absolu d'une traverse qu'il faut considĂ©rer mais bien la diffĂ©rence d'affaissement de deux traverses voisines l'affaissement relatif de la traverse. Le ballast en service se dĂ©prĂ©cie par les cendres qui tombent des foyers des locomotives ; par l'humus formĂ© par les vĂ©gĂ©taux ; par les matiĂšres terreuses apportĂ©es par le vent et par les matiĂšres diverses qui tombent des wagons Ă  marchandises par suite des secousses qu'ils subissent ; par les poussiĂšres qui proviennent du broiement des Ă©lĂ©ments par les charges roulantes et par les chocs des outils de bourrage. Pour conserver ou rendre au ballast ses qualitĂ©s premiĂšres, il faut comme Ă  la munir les foyers des locomotives de cendriers Ă©tanches ; procĂ©der rĂ©guliĂšrement au dĂ©sherbage ; nettoyer pĂ©riodiquement le ballast. Le criblage se fait mĂ©caniquement ou Ă  la main, en lançant le ballast au travers de grilles mĂ©talliques. Il n'est rentable que si la proportion de bon ballast est encore suffisante. 7. IntensitĂ© du bourrage. Le bourrage est plus intense au point d'application de la charge, c'est-Ă -dire sous le rail et sur 40 cm Ă  50 cm de part et d'autre du rail en Belgique 40 cm. Au delĂ , l'intensitĂ© va dĂ©croissant. De cette façon, la flexion de la traverse au passage des trains se produit Ă©galement sur toute la longueur et on Ă©vite son basculement ou sa rupture. Le bourrage de la voie se vĂ©rifie par percussion, au moyen d'une canne en acier terminĂ©e par une boule Ă©galement en acier. Le choc sur la traverse rend un son plein ou un son creux selon que le bourrage est suffisant ou non. 8. Faut-il ou non recouvrir les traverses par le ballast ? Le recouvrement des traverses prĂ©sente l'avantage de soustraire les traverses et les patins des rails Ă  l'action de la chaleur solaire ce qui, d'une part, peut rĂ©duire la dilatation et, partant, la contrainte note 013 des rails de grande longueur et, d'autre part, est favorable Ă  la conservation des traverses en bois. Comme nous le verrons plus loin, si la contrainte est admise actuellement pour les rails, il y a intĂ©rĂȘt Ă  la rĂ©duire dans la mesure du possible. Le recouvrement a, par contre, l'inconvĂ©nient de rendre les attaches du rail aux traverses peu visibles et moins accessibles, d'oĂč risque de relĂąchement des attaches. Les attaches recouvertes se rouillent aussi plus rapidement. Le recouvrement retarde encore l'assĂšchement des traverses mouillĂ©es. Il rend prĂ©caire l'isolement Ă©lectrique des circuits de voie. A l'heure actuelle, on attache la plus grande importance Ă  la bonne fixation et Ă  la conservation des attaches, c'est pourquoi on renonce gĂ©nĂ©ralement au recouvrement des traverses. On estime, par ailleurs, que la masse entiĂšre du ballast doit ĂȘtre employĂ©e lĂ  oĂč son utilisation est la meilleure, c'est-Ă -dire sous les traverses, entre les traverses, ainsi que pour contrebuter les extrĂ©mitĂ©s des traverses. Le ballast est un matĂ©riau coĂ»teux et tout excĂ©dent reprĂ©sente une dĂ©pense inutile. 9. Le dĂ©sherbage. La vĂ©gĂ©tation herbacĂ©e qui se dĂ©veloppe plus ou moins rapidement dans le ballast en altĂšre les qualitĂ©s. Les plantes, obstruant les intervalles du ballast, contrarient l'Ă©coulement des eaux de pluie. Eu pourrissant, les plantes forment de l'humus qui favorise la vĂ©gĂ©tation Ă  la saison suivante. La plateforme devient humide, les traverses finissent par danser dans la boue qui remonte Ă  la surface du ballast. On doit donc procĂ©der pĂ©riodiquement au dĂ©sherbage. Le dĂ©sherhage manuel Ă  la pelle ou Ă  la rasette est coĂ»teux ; il est imparfait car les racines restent dans le sol et repoussent aprĂšs quelques semaines. Ces procĂ©dĂ©s rĂ©alisent d'ailleurs un Ă©claircissage qui fortifie les plantes qui restent. DĂ©sherbeuses mĂ©caniques. - Les dĂ©sherbeuses mĂ©caniques comportent essentiellement des couteaux verticaux qui arrachent les herbes entre les traverses, un deuxiĂšme mĂ©canisme manƓuvre une charrue qui dĂ©sherbe le ballast latĂ©ralement Ă  la voie, un troisiĂšme mĂ©canisme laboure le ballast de l'entrevoie, enfin, un rĂąteau rotatif trie l'herbe en Ă©galisant la surface du ballast et remet celui-ci au profil normal. Leur vitesse de circulation est de 5 km/h. Le coĂ»t du dĂ©sherbage mĂ©canique reviendrait Ă  la moitiĂ© environ de ce que coĂ»te le mĂȘme travail fait Ă  la main. Le dĂ©sherbage mĂ©canique prĂ©sente l'avantage d'ameublir le ballast en dehors des moules » des traverses, sans dĂ©ranger l'assiette de celles-ci. A remarquer que dans les gares, Ă  cause des obstacles tringles, fils, lanternes, etc., le dĂ©sherbage se fait Ă  la main ou chimiquement. Signalons encore que, sur certains rĂ©seaux amĂ©ricains, on procĂšde Ă  la destruction des herbes au moyen de brĂ»leurs. DĂ©sherhage chimique. - Actuellement, on a de plus en plus recours au dĂ©sherbage chimique par arrosage au moyen d'un liquide caustique, le plus souvent une solution de chlorate de soude. L'agent destructeur est l'oxygĂšne naissant mis en libertĂ© par le chlorate et qui oxyde la matiĂšre organique de la plante. AprĂšs un arrosage, on constate gĂ©nĂ©ralement que toute trace de vĂ©gĂ©tation a disparu, tout au moins en ce qui concerne les plantes annuelles. Il ne reste que quelques plantes vivaces prĂȘles, liserons, orties et tussilages pour lesquelles un second arrosage est nĂ©cessaire. On choisit le printemps pour le premier arrosage, donc d'avril Ă  mai, en commençant, bien entendu, par les rĂ©gions oĂč la vĂ©gĂ©tation est le plus prĂ©coce. Le cas Ă©chĂ©ant, on procĂšde au second arrosage quelques semaines aprĂšs. Il est Ă  remarquer que le chlorate doit agir sur les racines et que, si les plantes sont montĂ©es en graines, celles-ci ne sont pas dĂ©truites par le liquide herbicide. Les groupes dĂ©sherbeurs sont conçus de maniĂšre que le mĂ©lange herbicide puisse ĂȘtre rĂ©pandu uniformĂ©ment, quels que soient la vitesse de circulation du groupe, le niveau du liquide dans la citerne et le profil en long de la ligne. Le groupe peut ĂȘtre accrochĂ© Ă  un train de voyageurs ou de marchandises, mais le plus souvent on se sert d'un train spĂ©cial. Il est possible de proportionner le dosage ou le dĂ©bit Ă  l'importance des herbes Ă  dĂ©truire. Enfin, au fur et Ă  mesure que le degrĂ© de stĂ©rilitĂ© du ballast augmente, certaines parties de lignes peuvent n'ĂȘtre arrosĂ©es qu'une fois par an. Un groupe dĂ©sherbeur avec citerne de 40 mÂł permet d'arroser 100 kilomĂštres de voie simple sans rĂ©approvisionnement et de couvrir 200 kilomĂštres de voie simple par journĂ©e de 8 heures. Le succĂšs de l'opĂ©ration dĂ©pend non seulement de la concentration de la solution, mais aussi de l'Ă©poque du traitement, de la pulvĂ©risation du liquide, de la nature du sol et surtout du plus ou moins d'abondance des pluies qui peuvent tomber dans la pĂ©riode qui suit l'arrosage. Il ne faut jamais procĂ©der au dĂ©sherbage par grand vent, de crainte d'atteindre les cultures voisines ; par pluie abondante, qui entraĂźnerait la solution herbicide au fur et Ă  mesure de son Ă©pandage. Notons que le chlorate de soude est trĂšs soluble ; par forte chaleur, pour Ă©viter l'Ă©vaporation trop rapide du liquide qui dĂ©poserait alors des cristaux de sel Ă  la surface du sol, sur les traverses, et risquerait de provoquer des incendies. Quant Ă  la rĂ©sistance des herbes, elle est fonction de leur nature, de leur Ăąge et de la puissance de leur systĂšme radiculaire. A remarquer que la germination des plantes s'Ă©tend sur plusieurs semaines et comme il faut dĂ©truire les derniĂšres graines qui ont germĂ©, on comprend qu'il puisse y avoir utilitĂ© Ă  procĂ©der Ă  un deuxiĂšme arrosage, indĂ©pendamment de la rĂ©sistance plus ou moins grande des herbes. A l'Ă©poque de son introduction Ă  la S. N. C. B., en 1929, le dĂ©sherbage Ă  la main revenait Ă  13 centimes le mÂČ dans la cendrĂ©e et Ă  25 centimes dans le ballast dur ; le dĂ©sherbage chimique ne coĂ»tait que 8 centimes, quel que fĂ»t le ballast et pour deux arrosages. En Allemagne, en 1927, on dĂ©sherba au chlorate de soude kilomĂštres de voie. La dĂ©pense, y compris l'eau, la locomotive et le personnel, fut de 50 RM. par kilomĂštre de voie, tandis que le dĂ©sherbage Ă  la main coĂ»tait 140 RM. Il y a donc une Ă©conomie de note 015 Le chlorate de soude prĂ©sente l'inconvĂ©nient sĂ©rieux d'exploser trĂšs facilement sous un choc ou par friction et, une fois enflammĂ©, d'activer singuliĂšrement la combustion des matiĂšres organiques avec lesquelles il se trouve en contact. En Belgique, on ajoute au chlorate de sonde un peu de carbonate de soude, afin d'attĂ©nuer le danger d'incendie note 016. On admet qu'il faut 15 grammes de chlorate par mÂČ Ă  chaque arrosage 150 kg par hectare. On s'accorde Ă  reconnaĂźtre que le traitement chimique est la meilleure mĂ©thode d'Ă©limination des herbes dans les voies il est rapide, Ă©conomique et efficace. Il maintient une voie propre pendant plus longtemps que les autres procĂ©dĂ©s. Depuis un certain temps, on oriente les recherches vers l'emploi d'huiles d'antracĂšne ou de pĂ©trole qui, rĂ©pandues en Ă©mulsion, procureraient une stĂ©rilisation du sol plus durable et coĂ»teraient moins cher. Remarque. - Pour rendre plus efficaces les arrosages herbicides, il conviendrait de chercher Ă  rĂ©duire le dĂ©veloppement de la vĂ©gĂ©tation herbacĂ©e aux abords des voies ferrĂ©es, notamment sur les talus. La prĂ©sence sur ceux-ci d'une vĂ©gĂ©tation ligneuse acacias, genĂȘts, etc. constituerait, dans une certaine mesure, un obstacle Ă  la croissance des vĂ©gĂ©taux herbacĂ©s. Ceux-ci produisent gĂ©nĂ©ralement des graines en abondance qui se rĂ©pandent sur la voie ferrĂ©e Ă  un moment oĂč la stĂ©rilisation de celle-ci est dĂ©jĂ  attĂ©nuĂ©e par les pluies du fait de la grande solubilitĂ© du chlorate et, dĂšs lors, peuvent y germer en quantitĂ© suffisante pour provoquer un nouvel envahissement de la voie par la vĂ©gĂ©tation. Enfin, d'aucuns prĂ©conisent de traiter les abords des voies ferrĂ©es et les excĂ©dents d'emprise, dĂ©pĂŽts de cendrĂ©es, terrains plus ou moins Ă  l'abandon, par des sulfocyanures qui, plus sĂ»rement que le chlorate, tueraient les plantes vivaces. Il faut alors nĂ©cessairement veiller Ă  ce que les terrains voisins ne soient pas Ă©claboussĂ©s de sulfocyanure parce qu'il en rĂ©sulterait du danger pour le bĂ©tail. DEUXIÈME PARTIELes Traverses RĂŽle des traverses. Le rĂŽle des traverses est de maintenir les rails Ă  l'Ă©cartement normal et de rĂ©partir la charge que les rails reçoivent des essieux sur une Ă©tendue suffisante de ballast pour ne pas dĂ©passer une certaine charge unitaire. Sous quelles conditions les traverses rempliront-elles convenablement cet office ? C'est Ă  la fois une question de surface et une question de rĂ©sistance. Il faut que par leurs dimensions en longueur et en largeur, elles fournissent une surface d'appui suffisante pour que la pression unitaire reste dans certaines limites ; que leur Ă©paisseur leur donne la rigiditĂ© nĂ©cessaire tout en leur laissant une certaine Ă©lasticitĂ©. Il convient encore que leur longueur soit telle qu'elle contribue Ă  la stabilitĂ© de la voie ; que par leur forme, les traverses s'opposent efficacement aux dĂ©placements longitudinaux et transversaux ; qu'elles rĂ©sistent aux agents atmosphĂ©riques ; qu'elles se prĂȘtent au bourrage » de la voie ; qu'elles permettent l'emploi d'un systĂšme d'attaches du rail qui soit solide sans toutefois ĂȘtre trop rigide ; qu'elles donnent Ă©ventuellement l'inclinaison de 1/20 aux rails. En ce qui concerne la longueur des traverses remarquons que l'Ă©cartement des rails points d'application de la charge Ă©tant invariable, une traverse trop longue a une tendance Ă  se cintrer vers le bas et son milieu vient porter sur le ballast en la rendant dangereuse ; une traverse trop courte tend Ă  se cintrer vers le haut et ses deux extrĂ©mitĂ©s, ayant une surface d'appui insuffisante, ont tendance Ă  s'enfoncer. On rencontre, Ă  l'heure actuelle, trois types de traverses les traverses en bois, les traverses mĂ©talliques, les traverses en bĂ©ton armĂ©. CHAPITRE ITraverses en bois 1. - Dimensions A la S. N. C. B., les traverses en bois mesurent 2,60 m de longueur sur 28 cm de largeur Ă  la base et 14 cm d'Ă©paisseur. En Allemagne, 2,70 m x 26 cm x 16 cm. En France, 2,50 m Ă  2,70 m x 20 Ă  30 cm x 12 Ă  15 cm. La surface d'appui d'une traverse ordinaire de 2,60 m x 0,28 Ă©tant de cmÂČ, la pression statique sur le ballast, supposĂ©e uniformĂ©ment rĂ©partie serait, dans le cas d'un essieu de locomotive chargĂ© de 24 tonnes note 018, de . Mais si l'on tient compte de ce que la traverse n'est bourrĂ©e que sur ± 45 cm de part et d'autre du rail, cette pression statique sur le ballast devient ballast. Si le bourrage n'existe que sur 40 cm, cette pression monte Ă  5 kg/cmÂČ. Quelle est, pour cette charge de 24 tonnes par essieu, la pression statique unitaire sur la plate-forme AB fig. 7 au moment oĂč les deux roues passent au milieu de la traverse ? Fig. 7 ConsidĂ©rons une traverse isolĂ©e de 2,60 m X 0,28 m posant sur son moule de ballast de 30 cm de hauteur. L'angle d'Ă©boulement naturel du ballast Ă©tant estimĂ© Ă  45°, nous nous placerons dans des conditions peut-ĂȘtre un peu trop favorables, si nous estimons que la transmission de la charge se fait aussi dans la limite de cet angle. Dans ces conditions, la largeur de l'appui AB sera de 0,88 m, la longueur CD fig. 8 de 2 X ± 1,50 m = ± 3 m, la surface de transmission Ă  la plateforme sera de 2,64 mÂČ, soit une charge unitaire de Plateforme. Or, un terrain de qualitĂ© mĂ©diocre peut dĂ©jĂ  supporter 1 kg/cmÂČ, le sable 2 kg/cmÂČ, les terres de 3 Ă  4 kg/cmÂČ. Fig. 8 Si la charge par essieu Ă©tait plus Ă©levĂ©e ou le sol plus mauvais, une augmentation de l'Ă©paisseur du ballast rĂ©soudrait la question. Ainsi, un ballast de 0,40 m d'Ă©paisseur fig. 7 fournirait une surface d'appui de 1,08 m x 3,20 m note 019_1 = 3,4560 mÂČ de sorte qu'avec une charge de 30 tonnes par essieu, par exemple, la charge unitaire serait sensiblement identique Ă  la prĂ©cĂ©dente. Fig. 9 Mais le problĂšme ainsi considĂ©rĂ© n'est pas tout Ă  fait exactement posĂ© car il faut l'Ă©tendre au cas de plusieurs traverses voisines fig. 9. La distance minimum entre deux essieux est de 1,50 m, l'Ă©cartement courant d'axe en axe des traverses est de 0,65 m, voire 0,60 m sur les voies trĂšs chargĂ©es note 019_2. Nous nĂ©gligeons la raideur du rail c'est-Ă -dire la solidaritĂ© des traverses. La figure 9 montre que les moules interfĂšrent dĂ©jĂ  avec 0,30 m d'Ă©paisseur. Si donc, la traverse n° 2 Ă©tait chargĂ©e en son milieu comme la traverse n° 1, l'augmentation de l'Ă©paisseur du ballast ne modifierait pas les conditions de sollicitation et n'aurait pour effet que d'augmenter l'Ă©lasticitĂ© du ballast. En fait, dans l'exemple choisi, la charge du deuxiĂšme essieu porte entre les traverses n° 3 et n° 4 et, dĂšs lors, pour une Ă©paisseur de 40 cm de ballast, la charge sur la 1re traverse se transmet en profondeur sur l'Ă©tendue EF de la plateforme. Remarquons qu'une trop grande Ă©paisseur de ballast retarderait sans utilitĂ© la stabilisation de la voie. Dans tout ce qui prĂ©cĂšde, nous n'avons envisagĂ© que les charges statiques, nous parlerons des efforts dynamiques dans la 3me partie, chap. II. 2. - Travelage densitĂ© de traverses par km Nous avons dit que l'Ă©cartement d'axe en axe des traverses Ă©tait de l'ordre de 0,65 m. Cependant, Ă  la S. N. C. B., ce sont des considĂ©rations de vitesse qui, en raison de l'impact, dĂ©finissent le travelage Ă  adopter en voies principales traverses par km si la vitesse est Ă©gale ou supĂ©rieure Ă  120 km/h, traverses par km si la vitesse comprise entre 90 et 120 km/h, traverses par km si la vitesse infĂ©rieure Ă  90 km/h. Sur les autres rĂ©seaux europĂ©ens, le travelage varie de Ă  Le resserrement du travelage est limitĂ© par la nĂ©cessitĂ© de pouvoir introduire dans l'intervalle les outils de bourrage ou de soufflage. Toutes choses Ă©gales, le renforcement du profil du rail permettrait de diminuer le nombre de traverses. 3. - Forme Les profils usuels sont 1° la section semi-ronde fig. 10 provenant de rondins sciĂ©s en deux suivant l'axe longitudinal ; 2° la section rectangulaire ou traverse plate fig. 11 provenant ou bien de grumes Ă©quarries sciĂ©es en deux ou en quatre suivant la longueur, voire en un plus grand nombre de traverses si les dimensions transversales de la poutre Ă©quarrie le permettent fig. 12 ou bien encore de rondins auxquels on a enlevĂ© une dosse infĂ©rieure, une dosse supĂ©rieure et deux dosses latĂ©rales. Avec la section semi-circulaire, il faut entailler davantage le bois pour que la surface d'appui du patin du rail soit en rapport avec la charge des essieux les plus lourds fig. 13. Comme l'Ă©paisseur doit nĂ©anmoins ĂȘtre suffisante pour permettre ultĂ©rieurement un certain nombre de resabotages, la traverse semi-ronde devra, toutes choses Ă©gales, avoir une hauteur totale plus grande qu'une traverse rectangulaire. Fig. 13 Ă  15. - Sabotage de la traverse. Quant Ă  la section rectangulaire, elle doit, Ă  base Ă©gale, ĂȘtre extraite de troncs d'arbres de plus grand diamĂštre, d'oĂč l'emploi de bois de meilleure qualitĂ©. 4. - Essences Le choix des essences est conditionnĂ© par leur rĂ©sistance Ă  la destruction mĂ©canique provoquĂ©e par la circulation des trains, c'est-Ă -dire par la duretĂ© et la cohĂ©sion du bois ; par leur rĂ©sistance Ă  la pourriture, celle-ci Ă©tant d'ailleurs accĂ©lĂ©rĂ©e par les alternances d'humiditĂ© et de sĂ©cheresse ; par les facilitĂ©s plus ou moins grandes d'approvisionnement ; enfin, par des raisons d'Ă©conomie. Pour des voies parcourues par des trains nombreux, rapides ou Ă  essieux lourdement chargĂ©s, on donnera la prĂ©fĂ©rence aux bois durs qui sont plus rĂ©sistants mais qui coĂ»tent plus cher. Par leur duretĂ© et leur cohĂ©sion, ils rĂ©sistent mieux aux efforts verticaux qui tendent soit Ă  rompre les traverses, soit Ă  endommager la surface d'appui des rails ; de mĂȘme, ils rĂ©sistent mieux aux efforts horizontaux qui tendent Ă  Ă©branler les attaches. Les essences tendres, Ă  bon marchĂ©, seront rĂ©servĂ©es aux voies secondaires sur lesquelles ne circulent que des trains peu frĂ©quents, de vitesse rĂ©duite ou Ă  faible charge par essieu ; la modicitĂ© des recettes de ces lignes ayant pour corollaire obligĂ© une exploitation trĂšs Ă©conomique. Cependant, les raisons de densitĂ© de trafic et d'Ă©conomie pourront parfois flĂ©chir devant les difficultĂ©s d'approvisionnement, quitte Ă  recourir Ă  un renouvellement plus frĂ©quent. Mais dans ce cas, dans l'Ă©tablissement du prix de revient, il faudra tenir compte de la dĂ©pense de main d'Ɠuvre poses et dĂ©poses de la voie. Certains spĂ©cialistes estiment que dans les voies bien Ă©tablies et bien entretenues, c'est-Ă -dire lĂ  oĂč l'on a le souci constant du bon conditionnement des attaches et oĂč l'on remĂ©die aux dĂ©fauts Ă©ventuels du bourrage, la mise hors service des traverses rĂ©sulte moins de leur destruction mĂ©canique que de la consomption du bois, au bout de 20 Ă  25 ans, sous l'effet des intempĂ©ries. Fig. 16. - Prix payĂ©s par les chemins de fer belges pour les traverses en bois de 1913 Ă  1940. Parmi les bois durs, le chĂȘne et le hĂȘtre sont les plus employĂ©s ; parmi les essences tendres, le sapin, le pin et le mĂ©lĂšze. En Belgique, en ce qui concerne les traverses en bois, on n'emploie en principe que des traverses en chĂȘne. Celles-ci, avant la derniĂšre guerre, provenaient pour les trois quarts environ de France, de Pologne et de Yougoslavie. Pour le surplus, les chemins de fer belges emploient toutes les piĂšces que les forĂȘts du pays peuvent leur fournir, mais la production indigĂšne en traverses ne dĂ©passe pas piĂšces par an et, encore, ce chiffre comprend-il 25 % environ de traverses en hĂȘtre. Lors de la rĂ©ception des traverses, les cahiers des charges prĂ©cisent les qualitĂ©s que les bois doivent prĂ©senter, les dĂ©fauts dont ils doivent ĂȘtre exempts ainsi que les tolĂ©rances admises. A titre documentaire, les diagrammes, fig. 16 et 17, donnent une idĂ©e de la variation des prix payĂ©s par les chemins de fer belges pour les traverses en bois. On constate que ces prix varient du simple au double selon qu'il y a plĂ©thore ou insuffisance de traverses sur les marchĂ©s intĂ©rieur et extĂ©rieur. Fig. 17. - Prix payĂ©s par la S. N. C. B. pour les traverses en bois de 1943 Ă  1930. 5. - L'imprĂ©gnation des traverses en bois 1° GĂ©nĂ©ralitĂ©s. L'Ă©tude de cette opĂ©ration relevant de la Chimie Industrielle, nous rĂ©sumerons simplement la question aux considĂ©rations suivantes La pourriture du bois est due essentiellement Ă  l'action de champignons qui se nourrissent des tissus ligneux et les dĂ©truisent. Or, pour vivre et se dĂ©velopper, ces parasites du bois demandent une tempĂ©rature favorable et certaines quantitĂ©s d'air, d'humiditĂ© et de nourriture. Pour rendre les bois imputrescibles, il faut donc supprimer l'une des quatre conditions nĂ©cessaires Ă  la croissance des champignons. Pour les traverses, partiellement enfouies dans le ballast et exposĂ©es aux intempĂ©ries, il n'est pas possible d'empĂȘcher la pourriture en agissant sur l'air ou sur la tempĂ©rature ou sur l'humiditĂ© ; il ne reste qu'Ă  chercher Ă  empoisonner la nourriture. Dans ce but, on imprĂšgne les traverses d'un produit chimique qui fait du bois un produit toxique pour les champignons. Mais il faut nĂ©cessairement encore que la matiĂšre injectĂ©e dans le bois puisse y pĂ©nĂ©trer assez facilement et qu'en mĂȘme temps, cette matiĂšre ne se volatilise pas et ne se dĂ©laye pas. Les procĂ©dĂ©s d'imprĂ©gnation des traverses diffĂšrent les uns des autres, soit par la nature de la substance employĂ©e, soit par les moyens mis en Ɠuvre pour la faire pĂ©nĂ©trer dans le bois. Les antiseptiques les plus courants sont la crĂ©osote, les solutions de chlorure de zinc ZnCl2 ou de sulfate de cuivre CuSO4. La crĂ©osote est certainement le plus efficace, mais elle coĂ»te cher. C'est un mĂ©lange d'huiles lourdes provenant de la distillation, entre 200° et 355°, du goudron de houille note 024. Son poids spĂ©cifique varie de 1 Ă  1,1. On ne doit pas la confondre avec la crĂ©osote pure, employĂ©e en mĂ©decine, celle-ci Ă©tant un produit de la distillation du bois. La crĂ©osote Ă©tant insoluble dans l'eau, il se conçoit que l'imprĂ©gnation par ce produit soit beaucoup plus durable que celle rĂ©sultant de l'emploi des antiseptiques salins ZnCl2, CuSO4, etc.. Ces sels ne sont pas fixĂ©s d'une maniĂšre indĂ©lĂ©bile par le bois. Étant solubles dans l'eau, ils sont dĂ©lavĂ©s par les eaux de pluie et, au bout d'un certain temps, perdent leurs propriĂ©tĂ©s protectrices. L'Ă©conomie de l'emploi du chlorure de zinc dĂ©pend beaucoup des conditions climatĂ©riques. Il prolonge efficacement la durĂ©e de service des traverses dans les climats secs, mais dans les rĂ©gions oĂč les pluies sont abondantes et l'atmosphĂšre humide, le traitement au chlorure est influencĂ© dĂ©favorablement par l'action de l'eau. Dans les traverses traitĂ©es au chlorure de zinc, on remarque ordinairement une roussissure de la fibre, roussissure qui varie avec les diffĂ©rentes espĂšces de bois. Les traverses prĂ©sentent alors une apparence de dessĂšchement et, avec le temps, les couches concentriques annuelles se sĂ©parent et les fibres de chaque couche se disloquent. Il en rĂ©sulte que la durĂ©e de rĂ©sistance de la traverse aux agents mĂ©caniques diminue et que l'antiseptique est dĂ©lavĂ© plus rapidement. La crĂ©osote prĂ©sente, au contraire, une aptitude Ă  lier les fibres qui est d'autant plus grande que la teneur en matiĂšre rĂ©sineuse est plus forte. Certains spĂ©cialistes estiment qu'une quantitĂ© de 50 grammes seulement de crĂ©osote injectĂ©e par dĂ©cimĂštre cube suffit pour garantir la toxicitĂ© du bois. GĂ©nĂ©ralement, selon l'essence, ce taux est dĂ©passĂ© on atteint souvent de 80 Ă  100 grammes. L'excĂ©dent au-delĂ  de 50 grammes est d'abord un facteur de sĂ©curitĂ© mais sert, en second lieu, de moyen pour agglutiner les fibres note 025. En ce qui concerne le sulfate de cuivre, on a constatĂ©, pour le surplus, que les traverses imprĂ©gnĂ©es de ce produit, pourrissaient trĂšs rapidement au contact des attaches ; c'est lĂ  Ă©videmment un dĂ©faut grave, l'attache Ă©tant le point sensible de la rĂ©sistance de la voie. 2° OpĂ©rations prĂ©liminaires. a SĂ©chage des traverses. Les traverses doivent ĂȘtre extraites de bois contenant le moins de sĂšve possible, par consĂ©quent, de bois abattus en hiver du dĂ©but d'octobre Ă  fin fĂ©vrier. L'Ă©corçage et le dĂ©bitage en traverses doivent suivre de prĂšs l'abattage pour que la sĂšve ne soit pas coagulĂ©e, ce qui obstruerait les canaux du bois et rendrait plus difficile la pĂ©nĂ©tration ultĂ©rieure de l'antiseptique. Les traverses fraĂźchement dĂ©bitĂ©es contiennent une certaine quantitĂ© d'eau, or, pour obtenir une bonne imprĂ©gnation, il ne peut y rester que 30 % d'eau. Les traverses doivent donc prĂ©alablement ĂȘtre sĂ©chĂ©es. Pour atteindre ce degrĂ© de siccitĂ©, elles doivent, aprĂšs Ă©corçage Ă©ventuel, sĂ©journer Ă  l'air, en piles ouvertes c'est-Ă -dire prĂ©sentant des vides permettant la circulation de l'air entre les piĂšces. Le chĂȘne doit ainsi sĂ©cher pendant six mois et le hĂȘtre pendant un an. Le hĂȘtre est beaucoup plus dĂ©licat que le chĂȘne du point de vue de sa conservation, c'est le bois qui se dĂ©compose le plus facilement. A la S. N. C. B., c'est Ă  Ostende que les traverses en hĂȘtre sont entreposĂ©es. LĂ , sous l'influence des vents, du soleil et de l'air salin de la mer, les traverses se conservent et se sĂšchent trĂšs bien pendant la pĂ©riode d'un an prĂ©alable Ă  l'imprĂ©gnation. Les chantiers de sĂ©chage Ă  l'air doivent ĂȘtre orientĂ©s de façon Ă  tirer le meilleur parti des vents dominants. On peut accĂ©lĂ©rer la dessication en abritant les piĂšces sous des hangars Ă©nergiquement ventilĂ©s. La dessication des traverses est plus prompte si elles proviennent d'arbres qui, aprĂšs abattage et Ă©corçage, ont Ă©tĂ© flottĂ©s. En peu de temps, l'eau remplace la sĂšve et, aprĂšs le retrait des arbres de l'eau, la dessication s'opĂšre rapidement en plein air. Du fait que la partie extĂ©rieure de la traverse sĂšche plus vite que les couches intĂ©rieures, les traverses ont une tendance Ă  se gercer pendant le sĂ©chage, c'est-Ă -dire Ă  se fendiller dans le sens rayonnant. Fig. 18 Ă  20 PrĂ©alablement Ă  la pose et pour parer Ă  un fendillement excessif, on place des esses en travers des amorces des fentes qui se produisent aux abouts des traverses. Ces esses sont constituĂ©es d'une bande de tĂŽle de section rectangulaire en acier de 3 mm d'Ă©paisseur et de 16 mm de largeur et repliĂ©es en forme d'S avec une longueur totale 10 Ă  15 cm fig. 18 Ă  20. Fig. 21 L'esse, chassĂ©e de force au marteau dans l'about de la traverse au travers de la fente naissante, s'oppose Ă  l'Ă©largissement de celle-ci. Quand les fentes s'amplifient, on boulonne l'about de la traverse fig. 21. A 10 cm de l'about, on fore un trou de 14 mm de diamĂštre perpendiculairement Ă  l'axe longitudinal, on y passe un boulon de 12 mm de diamĂštre et de 28 Ă  30 cm de longueur. Dans le cas des traverses trĂšs fendues, on prend soin, pendant le serrage de l'Ă©crou du boulon, de maintenir les lĂšvres de la fente fermĂ©es au moyen d'un serre-joint. Le hĂȘtre prĂ©sentant une grande propension Ă  se fendre, on prend la prĂ©caution aux chemins de fer belges, de boulonner aux deux bouts toutes les traverses en hĂȘtre avant l'empilage. AprĂšs pose, les fentes qui se produisent facilitent l'introduction de l'air, de l'eau, des poussiĂšres et des matiĂšres terreuses et, par suite, le dĂ©veloppement des champignons destructeurs du bois. Lorsque les fentes se prĂ©sentent au droit des tirefonds de fixation du rail Ă  la traverse, elles rendent inopĂ©rant le resserrage pĂ©riodique de ces attaches. Frettage. - Aujourd'hui, par suite de la raretĂ© des traverses en bois et de leur prix Ă©levĂ©, on cherche Ă  prolonger leur vie par le frettage. Les frettes sont en acier doux de 10 x 4 mm de section ou en feuillard galvanisĂ© de 25 x 1 mm ou encore en fil de fer galvanisĂ© de 4,4 mm de diamĂštre. Le frettage est effectuĂ© soit sur place dans la voie, soit dans les chantiers de rĂ©gĂ©nĂ©ration des traverses. La fente est d'abord fermĂ©e Ă  la presse et la frette est ensuite placĂ©e au moyen d'un tendeur appropriĂ©. Le frettage, trĂšs rĂ©pandu en France, s'est rĂ©vĂ©lĂ© si efficace que, pour prĂ©venir la formation des fentes, la S. N. C. F. envisage mĂȘme de l'appliquer systĂ©matiquement Ă  toutes les traverses neuves au moment de leur façonnage. Remarque concernant le chĂȘne. - Certains rĂ©seaux emploient le chĂȘne sans prĂ©paration antiseptique. Ils l'utilisent alors sous forme de traverses parallĂ©lipipĂ©diques. Dans ce cas, le bois doit absolument ĂȘtre exempt de cƓur et d'aubier. Les traverses demi-rondes subissent l'imprĂ©gnation et alors l'aubier est conservĂ© ; c'est lui qui est surtout pĂ©nĂ©trĂ© par l'antiseptique ; le bois parfait, d'un tissu trĂšs serrĂ©, ne reçoit qu'une quantitĂ© beaucoup moindre d'antiseptique. b Sabotage et forage des traverses. AprĂšs sĂ©chage, les traverses sont sabotĂ©es et forĂ©es. Le sabotage, c'est la formation de l'entaille inclinĂ©e au 1/20 ou horizontale qui doit recevoir le patin du rail ou la selle mĂ©tallique intercalaire fig. 13 Ă  15. Le sabotage est pratiquĂ© Ă  la machine automatique, soit par scies verticales, limitant les parois de l'entaille, et couteaux horizontaux, exĂ©cutant l'entaille en profondeur, soit par couteaux verticaux formant toupie. Sur le mĂȘme bĂąti de machine, les traverses sont amenĂ©es par chaĂźne sans fin et taquets d'entraĂźnement sous les foreuses Ă©lectriques. LĂ , on perce Ă  la machine automatique 4 ou 6 ou 8 trous verticaux ou inclinĂ©s au 1/20, cylindriques ou tronconiques dans lesquels seront vissĂ©s les tirefonds de fixation du patin du rail et de la selle mĂ©tallique Ă  la traverse au moment de la pose de la voie. Le perçage Ă  la main a une tendance Ă  donner un trou oval ou agrandi ; le perçage mĂ©canique remĂ©die complĂštement Ă  cet inconvĂ©nient. Le temps nĂ©cessaire est de 2 Ă  3 secondes par trou. Le sabotage et le forage, pratiquĂ©s avant l'imprĂ©gnation, Ă©vitent la destruction de la protection constituĂ©e par le prĂ©servatif. Par ailleurs, cette double opĂ©ration amĂ©liore le traitement chimique puisqu'elle facilite l'entrĂ©e de l'antiseptique dans le bois. Un dispositif d'Ă©vacuation automatique amĂšne les traverses, ainsi prĂ©parĂ©es, sur des wagonnets qui sont tirĂ©s avec leur plein chargement par cabestan Ă©lectrique dans les cylindres oĂč s'effectue l'imprĂ©gnation. 3° ImprĂ©gnation proprement dite. Tous les procĂ©dĂ©s efficaces se rattachent au traitement des traverses dans un cylindre fermĂ© en vue de refouler sous pression l'antiseptique dans le bois. Les procĂ©dĂ©s sous pression ont pour objet essentiel La distribution de l'antiseptique Ă  travers tout le bois et d'une maniĂšre aussi uniforme que possible. L'absorption d'une quantitĂ© suffisante d'antiseptique pour obtenir les rĂ©sultats dĂ©sirĂ©s. Les traitements sous pression peuvent se ranger en deux catĂ©gories a Le procĂ©dĂ© de la cellule pleine qui tend Ă  remplir les vides intercellulaires du bois aussi complĂštement que possible avec l'antiseptique. Lorsque l'antiseptique utilisĂ© est la crĂ©osote, la mĂ©thode est connue sous le nom de procĂ©dĂ© Bethell note 028_1. Lorsqu'on emploie le chlorure de zinc, c'est le procĂ©dĂ© Burnet. Enfin, lorsqu'on a recours Ă  un mĂ©lange de crĂ©osote et de chlorure de zinc, c'est le procĂ©dĂ© RĂŒtgers. b Le procĂ©dĂ© de la cellule vide par lequel on rĂ©alise de mĂȘme une pĂ©nĂ©tration aussi complĂšte que possible mais avec l'emploi d'une quantitĂ© minimum d'antiseptique. Le procĂ©dĂ© courant est le systĂšme RĂŒping avec l'emploi de crĂ©osote note 028_2. a Traitement Ă  cellules pleines ». ProcĂ©dĂ© Bethell. 1re phase. - Les traverses sont introduites dans le cylindre dans lequel on fait le vide schĂ©ma fig. 22. 2me phase. - Sans rompre le vide, on remplit complĂštement le cylindre du liquide antiseptique. Fig. 22. - Traitement Ă  cellules pleines». ProcĂ©dĂ© Bethell. Le vide prĂ©alable 1re phase, outre qu'il accĂ©lĂšre l'entrĂ©e du liquide dans le cylindre, permet de le refouler dans le bois plus rapidement et avec une pression moindre que lorsqu'il faut que l'antiseptique dĂ©place ou comprime l'air renfermĂ© dans le bois. 3me phase. - Une fois le cylindre plein, une quantitĂ© supplĂ©mentaire d'antiseptique est refoulĂ©e dans le cylindre par une pompe foulante ou par air comprimĂ© et la pression est poussĂ©e progressivement jusqu'Ă  8 Ă  12 kg par cmÂČ selon la nature du bois, de maniĂšre Ă  faire entrer la crĂ©osote jusqu'au refus dans les vaisseaux. 4me phase. - On diminue ensuite la pression et on extrait ce qui reste de liquide dans le cylindre. 5me phase. - On fait de nouveau le vide pour enlever ce qui reste d'antiseptique et aussi pour pouvoir retirer les traverses du cylindre le plus tĂŽt possible. 6me phase. - On peut enfin rĂ©introduire l'air, ouvrir le cylindre et retirer les traverses. La durĂ©e totale du traitement est d'environ 3 heures. La caractĂ©ristique du procĂ©dĂ© est donc de produire prĂ©alablement le vide dans les cellules, puis de remplir » celles-ci de crĂ©osote au moyen de la pression, d'oĂč le nom de cellules pleines ». Les parties hachurĂ©es du diagramme reprĂ©sentent les pĂ©riodes pendant lesquelles les traverses sont plongĂ©es dans la crĂ©osote. b Traitement Ă  cellules vides ». ProcĂ©dĂ© RĂŒping schĂ©ma fig. 23. Ici, on ne procĂšde pas Ă  un vide prĂ©liminaire. Dans ces conditions, pour pĂ©nĂ©trer dans le bois, le liquide antiseptique doit dĂ©placer et, dans une certaine mesure, comprimer l'air contenu dans le bois. 1re phase. - Les traverses Ă©tant introduites dans les cylindres note 029 au lieu donc de faire le vide, on retarde l'entrĂ©e du liquide antiseptique dans le bois en soumettant les traverses Ă  une pression d'air initiale P variant avec la nature du bois Ă  imprĂ©gner, de 3 1/2 Ă  5,3 kg par cmÂČ. Fig. 23. - Traitement Ă  cellules vides». ProcĂ©dĂ© RĂŒping. Cette pression a pour but de faire ouvrir les canaux et cellules du bois et de les remplir d'air comprimĂ© Ă  la pression P. 2me phase. - Cette pression Ă©tant maintenue, on refoule dans le cylindre la crĂ©osote dont la fluiditĂ© a Ă©tĂ© rendue aussi grande que possible par un chauffage prĂ©alable prolongĂ© 80° pour le chĂȘne, 90° pour le hĂȘtre, fluiditĂ© que l'on maintient par un courant de vapeur traversant des serpentins installĂ©s dans les cylindres. 3me phase. - On comprime ensuite la crĂ©osote Ă  une pression qui doit ĂȘtre Ă©gale au moins Ă  2P mais qui atteint 14 1/2 atmosphĂšres Ă  la Dans cette phase, l'air qui remplit les canaux du bois y est fortement comprimĂ©, son volume est considĂ©rablement rĂ©duit et la crĂ©osote pĂ©nĂštre dans ces canaux. La pression 2 P est maintenue assez longtemps pour assurer une pĂ©nĂ©tration complĂšte de la crĂ©osote dans le bois. 4me phase. - On vide le cylindre de la crĂ©osote qu'il contient, puis on le met en communication avec l'atmosphĂšre. Alors l'air qui Ă©tait comprimĂ© dans les cellules du bois se dĂ©tend et en chasse la crĂ©osote mais en laissant les parois des cellules enduites d'une couche de crĂ©osote. 5me phase. - L'on active l'exsudation de la crĂ©osote par l'action du vide, action qui est prolongĂ©e plus ou moins selon la dose d'antiseptique que l'on dĂ©sire laisser dans le bois. 6me phase. - On rĂ©admet l'air, on ouvre le cylindre et on retire les traverses. La durĂ©e totale du traitement est d'environ 4 heures. En rĂ©sumĂ©, on constate qu'aprĂšs remplissage du cylindre 2me phase, le cycle des opĂ©rations est Ă  peu prĂšs le mĂȘme que dans le traitement Ă  cellules pleines Bethell sauf que le vide final est maintenu plus longtemps. Cependant les rĂ©sultats obtenus sont tout Ă  fait diffĂ©rents, car, dans le traitement Ă  cellules vides RĂŒping, lors de la rĂ©duction de la pression et de la vidange du liquide 4me phase, l'air qui avait Ă©tĂ© comprimĂ© dans le bois se dĂ©tend, dĂ©tente que le vide final accentue encore, l'air renfermĂ© dans le bois est expulsĂ© en mĂȘme temps qu'une partie de la crĂ©osote qui avait Ă©tĂ© refoulĂ©e dans le bois dans le traitement sous pression. Il s'ensuit qu'on badigeonne en quelque sorte de crĂ©osote les parois des cellules et des canaux du bois, sans y laisser, comme dans le procĂ©dĂ© Bethell, une grande quantitĂ© d'antiseptique, tout en imprĂ©gnant complĂštement toutes les parties permĂ©ables du bois. Il en rĂ©sulte une Ă©conomie de 25 Ă  40 % de crĂ©osote en comparaison avec le procĂ©dĂ© Bethell». A la S. N. C. B., aussi longtemps que les traverses furent crĂ©osotĂ©es par le procĂ©dĂ© Bethell », on constatait qu'au bout de quelque temps, une grande partie de la crĂ©osote s'Ă©coulait dans le ballast. Les rĂ©servoirs d'oĂč l'antiseptique est refoulĂ© dans les cylindres sont pourvus d'indicateurs de jauge ou sont montĂ©s sur des bascules de sorte que des lectures directes sur les flĂ©aux de celles-ci accusent la quantitĂ© d'antiseptique absorbĂ©e et les progrĂšs du traitement. A titre de contrĂŽle, on peut peser les traverses immĂ©diatement avant et aprĂšs le traitement et dĂ©terminer par cette double pesĂ©e le poids exact d'antiseptique retenu dans le bois. On prĂ©lĂšve sur les traverses imprĂ©gnĂ©es des carottes » de 4 mm de diamĂštre sur 14 cm de longueur qui permettent d'apprĂ©cier comment le traitement a opĂ©rĂ© en profondeur. Les chiffres ci-dessous, qui rĂ©sultent de la pratique courante de la S. N. C. B. dans ses chantiers de crĂ©osotage de Wondelgem Gand, traduisent excellemment l'Ă©conomie du systĂšme RĂŒping. A noter que le prix de la crĂ©osote varie selon les conditions du marchĂ©, de 0,40 Ă  1,30 fr le kg et que prĂšs d'un million de traverses sont crĂ©osotĂ©es par annĂ©e. QuantitĂ© de crĂ©osote employĂ©e par traverse en chĂȘne en hĂȘtre Bethell RĂŒping Bethell RĂŒping 6 1/2 kg 4 kg 20 Ă  22 kg 12 Ă  15 kg Fig. 24. - Prix par tonne de la crĂ©osote de 1923 Ă  1940. Les figures 24 et 25 montrent comment a variĂ© le prix payĂ© pour la crĂ©osote par la S. N. C. B. Aussi la S. N. C. B. n'emploie-t-elle plus que le procĂ©dĂ© RĂŒping. Ce dernier systĂšme est Ă©galement courant en Allemagne, en Italie et en Hollande. On constate que, par comparaison avec le procĂ©dĂ© Bethell, le systĂšme RĂŒping assure une rĂ©partition plus uniforme de la crĂ©osote dans toute l'Ă©paisseur de l'aubier du chĂȘne note 032. Dans le hĂȘtre, il est Ă©galement possible d'atteindre toute la profondeur du bois. DĂšs l'annĂ©e 1909, les chemins de fer du Midi avaient, pour la prĂ©servation de leurs traverses en pin des Landes, substituĂ© le procĂ©dĂ© RĂŒping, avec l'emploi de crĂ©osote, au systĂšme Bethell, avec utilisation de sulfate de cuivre. Fig. 25. - Prix payĂ©s par tonne par la S. N. C. B. pour la crĂ©osote de 1945 Ă  1950. Le pin, comme le hĂȘtre, est trĂšs onĂ©reux Ă  injecter Ă  la crĂ©osote jusqu'au refus, en raison de la grande quantitĂ© de liquide antiseptique qu'il absorbe. 4° RĂ©sultats de l'imprĂ©gnation par la crĂ©osote. La durĂ©e dans la voie d'une traverse en chĂȘne, non crĂ©osotĂ©e, est de 10 Ă  12 ans, tandis qu'imprĂ©gnĂ©e, elle dure pendant 20 ans en voie principale et de 20 Ă  25 ans en voie accessoire. La durĂ©e des traverses en hĂȘtre, non prĂ©parĂ©es, n'est que d'environ 8 ans ; aprĂšs imprĂ©gnation, la durĂ©e est de 15 Ă  20 ans. Quant aux traverses en sapin, non prĂ©parĂ©es, leur durĂ©e n'est que de 5 ans environ ; imprĂ©gnĂ©es, elles durent de 8 Ă  12 ans. Toutefois, on constate un dĂ©chet important aprĂšs le sĂ©jour en voie principale, dĂ©chet dĂ» Ă  l'usure mĂ©canique. Remarque. - D'aucuns estiment que l'on fait une dĂ©pense inutile en injectant les traverses avec des huiles de crĂ©osote pures, parce que l'emploi de mĂ©langes moins chers constituĂ©s en parties Ă©gales de crĂ©osote et de pĂ©trole brut a donnĂ© de bons rĂ©sultats, Ă  condition naturellement que la traverse soit saine Ă  la rĂ©ception, qu'elle soit suffisamment sĂ©chĂ©e avant l'imprĂ©gnation et qu'elle soit imprĂ©gnĂ©e complĂštement et uniformĂ©ment, dans toutes ses parties imprĂ©gnables, Ă  raison de 100 grammes par dmÂł en moyenne. Il y a lĂ  une source d'Ă©conomie qui mĂ©rite de retenir l'attention des expĂ©rimentateurs. 5° ProcĂ©dĂ© RĂŒtgers. Pour attĂ©nuer l'inconvĂ©nient que prĂ©sente le chlorure de zinc de se dĂ©laver » sous l'action des eaux de pluie et pour rĂ©aliser en mĂȘme temps une Ă©conomie de crĂ©osote, RĂŒtgers a imaginĂ© d'injecter dans la traverse un mĂ©lange de crĂ©osote et de chlorure de zinc. Le chlorure pĂ©nĂštre dans les parties profondes du bois et la crĂ©osote enrobe les couches superficielles de maniĂšre Ă  rendre le dĂ©lavage impossible. Cependant, Ă  la pratique, le mĂ©lange n'est pas suffisamment intime pour donner une pĂ©nĂ©tration uniforme du liquide et la crĂ©osote ne recouvre pas assez rĂ©guliĂšrement la surface pour Ă©viter complĂštement le dĂ©lavage. Au lieu d'employer un mĂ©lange de chlorure et de crĂ©osote, peut-ĂȘtre serait-il prĂ©fĂ©rable de recourir Ă  deux opĂ©rations distinctes d'abord, imprĂ©gnation au chlorure, ensuite imprĂ©gnation Ă  la crĂ©osote. Dans de telles conditions, le chlorure soluble serait enrobĂ© d'une couche de crĂ©osote insoluble. 6° Double RĂŒping. Pour le hĂȘtre, les chemins de fer belges emploient le double RĂŒping, c'est-Ă -dire l'opĂ©ration rĂ©pĂ©tĂ©e. Le hĂȘtre doit ĂȘtre imprĂ©gnĂ© totalement, Ă  l'exception des parties de cƓur rouge oĂč la crĂ©osote ne peut pas entrer par suite de l'occlusion absolue des vaisseaux par des matiĂšres inertes. Le grand dĂ©faut que prĂ©sentait le hĂȘtre avant l'emploi du double RĂŒping, rĂ©sidait en ce fait que ce bois Ă©tant trĂšs sensible Ă  la pourriture, les traverses insuffisamment imprĂ©gnĂ©es en profondeur, pourrissaient rapidement Ă  l'intĂ©rieur alors que l'extĂ©rieur Ă©tait bien conservĂ©. Or, l'examen occulaire ne pouvait dĂ©celer ce dĂ©pĂ©rissement prĂ©maturĂ©. C'est pour remĂ©dier Ă  cet inconvĂ©nient qu'on a recours au double RĂŒping. Dans le hĂȘtre, sont forĂ©s des trous de diffusion afin de faciliter l'accĂšs de la crĂ©osote. 7° ComposĂ©s arsĂ©nifĂšres. Il existe un procĂ©dĂ© suĂ©dois de conservation des bois par imprĂ©gnation de composĂ©s arsĂ©nifĂšres. Une solution aqueuse d'acide arsĂ©nique, d'arsĂ©niate de soude, de bichromate de soude et de sulfate de zinc, aprĂšs pĂ©nĂ©tration dans l'aubier, donne des arsĂ©niates de zinc et de chrome insolubles qui offrent une bonne protection contre les champignons les plus nocifs. Les bois Ă  traiter passent 24 heures dans la solution froide. 8° Tirefonnage. AprĂšs l'imprĂ©gnation, dans les cas oĂč des selles d'appui mĂ©talliques sont prĂ©vues, on procĂšde au tirefonnage, c'est-Ă -dire que l'on fixe les selles sur les traverses au moyen de tirefonds mis en place par une machine Ă©lectromĂ©canique. Les traverses imprĂ©gnĂ©es sont pourvues d'un clou millĂ©sime qui permet de contrĂŽler leur Ăąge. A la SociĂ©tĂ© Nationale, Ă  l'occasion de l'expĂ©dition des traverses vers les lieux d'utilisation, le chargement sur wagons est fait automatiquement au moyen d'une chaĂźne Ă  taquets, mue par un moteur Ă©lectrique. Les traverses non expĂ©diĂ©es immĂ©diatement aprĂšs crĂ©osotage, sont empilĂ©es en piles mortes c'est-Ă -dire jointivement. Le chantier de Wondelgem crĂ©osote moyennement par annĂ©e ± traverses en chĂȘne± traverses en hĂȘtre± traverses. 6. - Pose du rail sur traverses en bois Pour Ă©viter l'Ă©crasement des fibres du bois, il faut que le rail pose sur la traverse par une surface suffisante, d'oĂč la nĂ©cessitĂ© de pratiquer une entaille dans les traverses demi-rondes fig. 13 Ă  15. La largeur du patin du rail standard de 50 kg par mĂštre courant de la S. N. C. B. est de 14 cm ; il est prescrit, pour les traverses intermĂ©diaires, que la longueur d'appui du rail, mesurĂ©e suivant l'axe de celui-ci, soit d'au moins 14 cm ce qui donne une surface d'appui minimum de quelque 200 cmÂČ et correspond Ă  une pression unitaire statique note 034 maximum de 60 kg/cmÂČ au droit de chaque roue d'un essieu de locomotive chargĂ© de 24 tonnes . Pour les traverses voisines des joints de rail, la longueur d'appui est supĂ©rieure et fixĂ©e, Ă  la S. N. C. B., Ă  18 cm au lieu de 14 cm. Avec les traverses de section rigoureusement rectangulaire, l'entaille ne serait pas nĂ©cessaire pour rĂ©aliser la surface d'appui minimum, mais une entaille est nĂ©anmoins pratiquĂ©e parce que ses Ă©paulements extĂ©rieurs s'opposent efficacement Ă  l'Ă©largissement de la voie quand les rails supportent des efforts transversaux. Ces Ă©paulements rĂ©duisent la fatigue des attaches. Sans entaille, les efforts transversaux en question finiraient par Ă©carter les rails, les tĂȘtes des tirefonds intĂ©rieurs pourraient ne plus porter sur le patin du rail et celui-ci pourrait se renverser ; enfin, les tirefonds extĂ©rieurs seraient exposĂ©s au dĂ©versement et les trous s'ovaliseraient. 7. - Les attaches Les rails Ă  patin sont fixĂ©s aux traverses en bois par des crampons ou par des tirefonds avec ou sans interposition d'une selle mĂ©tallique. a. - Le crampon n'est plus guĂšre utilisĂ© que dans les voies industrielles. C'est un clou en fer de section carrĂ©e ou octogonale fig. 26 et 27. La pointe est biseautĂ©e perpendiculairement aux fibres du bois ou elle est fraisĂ©e en tronc de cĂŽne afin que le clouage n'ait pas pour effet de fendre la traverse. La tĂȘte du crampon prĂ©sente un bec qui s'appuie sur le patin du rail et deux ailes latĂ©rales qui permettent d'extraire le crampon de la traverse au moyen d'un levier Ă  fourche. On enfonce les crampons au marteau dans des trous forĂ©s Ă  l'avance Ă  un diamĂštre Ă©gal aux 2/3 de la largeur du crampon. Les crampons Ă©tant simplement clouĂ©s, il se conçoit qu'ils se dĂ©tachent facilement du rail et alors celui-ci danse sur la traverse. Sous les efforts transversaux, les crampons se dĂ©versent et l'Ă©cartement des deux rails ne se maintient pas exactement. Pour ces raisons, on leur substitue de plus en plus des tirefonds. Fig. 26 et 27. - Crampon. Chose inattendue, les Anglais qui, actuellement, abandonnent le rail Ă  double bourrelet pour adopter Ă  leur tour le rail Vignole, reviennent aux crampons. Il s'agit en l'espĂšce de crampons prĂ©sentant une certaine Ă©lasticitĂ© crampons Ă  ressort formĂ©s de deux lames rectangulaires accolĂ©es, crampons Macbeth dont la tige cylindrique prĂ©sente une conformation spĂ©ciale. L'avenir dira quelle sera leur rĂ©sistance Ă  l'arrachement, leur rĂ©sistance au dĂ©versement, l'efficacitĂ© et la permanence de la pression sur le patin du rail. b. - Le tirefond est une grosse vis Ă  bois, fig. 28 et 29, que l'on met en place au moyen d'une clĂ© Ă  moufle. A cet effet, la tĂȘte se termine par un prisme carrĂ©. Ce prisme porte lui-mĂȘme une marque en relief par exemple B pour empĂȘcher que l'ouvrier ne soit tentĂ© d'enfoncer le tirefond au marteau. Des coups de marteau rĂ©pĂ©tĂ©s Ă©craseraient la marque et trahiraient la faute de l'agent. Enfin, les bras de la clĂ© Ă  moufle ont une longueur dĂ©terminĂ©e pour que l'ouvrier ne dĂ©passe pas une certaine limite dans son effort de serrage et ne finisse par plier le tirefond ou le faire tourner fou » dans son logement. Il va sans dire qu'il est interdit aux ouvriers d'allonger le bras de levier de la clĂ© Ă  moufle. La tĂȘte du tirefond dĂ©borde largement pour serrer le patin du rail sur la traverse. Ce serrage est nĂ©cessaire pour empĂȘcher le renversement du rail sous les efforts transversaux s'exerçant Ă  son sommet ; pour Ă©viter son soulĂšvement sous l'effet des efforts verticaux agissant de bas en haut ; enfin, pour combattre le cheminement du rail sur la traverse. Fig. 28 et 29. - Tirefond. Le vissage du tirefond est rendu possible par le percement prĂ©alable des trous Ă  la machine au chantier d'imprĂ©gnation voir page 27. Quand le forage doit se faire Ă  la main sur place, on se sert de tariĂšres Ă  cuiller qui rejettent bien au dehors le bois qu'elles coupent ; les tariĂšres Ă  filet hĂ©licoĂŻdal dĂ©bourrent mal le trou et dĂ©chirent le bois. Le filet de la vis a pour section droite un triangle scalĂšne dont le cĂŽtĂ© supĂ©rieur est presque perpendiculaire Ă  l'axe ce qui accroĂźt la rĂ©sistance Ă  l'arrachement. Lorsque la section est en forme de triangle isocĂšle, le tirefond prĂ©sente une certaine tendance Ă  se dĂ©visser. Enfin, le pas du filet doit ĂȘtre assez grand pour que le bois compris entre deux filets consĂ©cutifs fasse solidement corps avec le restant du bois. A la S. N. C. B., on fore le trou du tirefond Ă  un diamĂštre de 1 mm plus grand que le diamĂštre du noyau du tirefond pour Ă©viter de faire Ă©clater le bois par le serrage. Cela n'a pas pour effet de diminuer la rĂ©sistance Ă  l'arrachement. Les expĂ©riences Ă  l'extrahomĂštre l'ont d'ailleurs prouvĂ©. Le frottement ajoute peu de chose Ă  la rĂ©sistance Ă  l'arrachement ; celle-ci, Ă  nombre Ă©gal de filets en prise, dĂ©pend essentiellement de la hauteur du bois entre deux filets. C'est pour cela, qu'Ă  la S. N. C. B., le pas restant le mĂȘme, la hauteur du filet a Ă©tĂ© rĂ©duite. On cherche aussi Ă  ce que le filet soit coupant pour que l'ouvrier n'ait pas Ă  vaincre une rĂ©sistance trop grande au serrage et pour qu'il s'aperçoive, par la rĂ©sistance plus grande qu'il Ă©prouve, du moment prĂ©cis oĂč la tĂȘte du tirefond touche le patin du rail. A ce moment commence le serrage sur le rail et l'ouvrier doit ĂȘtre attentif Ă  ne pas l'exagĂ©rer. Certaines machines Ă  tirefonner sont rĂ©glĂ©es pour une rĂ©sistance de serrage dĂ©terminĂ©e, elles se dĂ©braient lorsque cette rĂ©sistance est atteinte. Parfois, on galvanise les tirefonds pour les protĂ©ger de l'oxydation. C'est le cas Ă  la S. N. C. B. dans les tunnels, dans les tranchĂ©es humides et dans le voisinage d'industries qui rĂ©pandent des gaz nocifs dans l'atmosphĂšre. Alors qu'un crampon, chassĂ© dans un bois dur, ne prĂ©sente guĂšre qu'une rĂ©sistance Ă  l'arrachement de quelque kg, un tirefond, vissĂ© Ă  fond dans le mĂȘme bois, offre une rĂ©sistance d'environ kg. Fig. 30 Sous l'effet des charges roulantes, le bois se comprime et l'entaille de la traverse s'approfondit. Il est nĂ©cessaire de rabattre les Ă©paulements a de l'entaille en temps utile afin de dĂ©gager le collet des tirefonds car il est essentiel que le serrage se fasse effectivement sur le patin du rail en e fig. 30 et non sur l'Ă©paulement a de l'entaille. Cependant cet approfondissement de l'entaille ne se poursuit pas indĂ©finiment car la compression du bois augmente sa compacitĂ©. La compression devient pratiquement nulle aprĂšs le passage d'un certain nombre de tonnes de trains. On se rend compte de ce que le serrage de la tĂȘte du tirefond s'exerçant latĂ©ralement Ă  l'axe de celui-ci, ce mode de fixation du rail est encore quelque peu primitif et prĂ©sente une certaine prĂ©caritĂ©. Dans la pose par simples tirefonds, on constate que la dilatation et le cheminement des rails provoquent un glissement de ceux-ci sur les traverses ce qui prouve que la pression des tirefonds n'est pas trĂšs grande. Aussi les tirefonds doivent-ils ĂȘtre toujours bien serrĂ©s ; sinon, au passage des trains, les rails battent sur les traverses ; ce battement s'accentue trĂšs vite, occasionnant une destruction rapide des portĂ©es des traverses. De ce chef aussi, les tirefonds sont soumis Ă  des efforts dynamiques de bas en haut qui dĂ©tĂ©riorent les fibres du bois en contact avec le filet. Fig. 31 Remarquons encore que lorsqu'une roue porte sur la traverse n° 1, le rail tend Ă  prendre la forme reprĂ©sentĂ©e sur la figure 31 de sorte que le patin du rail, au droit de la traverse n° 2, exerce une poussĂ©e de bas en haut sur la tĂȘte du tirefond, poussĂ©e qui peut se traduire par un choc s'il existe du jeu entre le patin et la tĂȘte du tirefond. De mĂȘme, lorsqu'on emploie une selle mĂ©tallique intercalaire, si les tirefonds ne sont pas serrĂ©s, le rail bat sur la selle. La traverse subit une destruction mĂ©canique rapide, la selle s'incruste dans le patin du rail. Cependant, il faut prendre garde car, sous une pression de vissage trop forte, il arrive parfois que les tirefonds plient et mĂȘme, dans les bois tendres, qu'ils se dĂ©versent, c'est-Ă -dire que leur axe s'incline, le bois cĂ©dant. De ce chef, l'Ă©cartement de la voie peut augmenter. Fig. 32 et 33. - Plaque Ramy. C'est pour prĂ©venir le pliage des tirefonds que l'ingĂ©nieur Ramy a imaginĂ© la plaque reprĂ©sentĂ©e fig. 32 et 33. Cette plaque Ă©paule le tirefond du cĂŽtĂ© oĂč il est en porte Ă  faux. Des essais ont Ă©tĂ© entrepris sur les chemins de fer belges dans les voies posĂ©es avec traverses entaillĂ©es de 5 mm sans selles mĂ©talliques ; ils ont montrĂ© que le nombre de tirefonds visiblement pliĂ©s Ă©tait moindre avec la plaque Ramy que sans plaque. Mais on a constatĂ© d'autre part que lorsque l'entaille de la traverse sous le patin du rail s'approfondissait, il arrivait que le tirefond serrait sur la plaque et ne serrait plus sur le patin. La plaque Ramy est utilisĂ©e sur certains chemins de fer secondaires et sur certains tramways. Dans un modĂšle plus rĂ©cent, les deux branches de la plaque sont rĂ©unies, fig. 34, de maniĂšre Ă  former un taquet T qui porte sur le patin du rail et a pour effet, en coinçant le patin, d'empĂȘcher le dĂ©placement de celui-ci dans le sens transversal. Fig. 34. - Plaque Ramy avec taquet de coincement du rail. Un systĂšme d'attache, d'origine française et qui jouit actuellement d'une certaine vogue est reprĂ©sentĂ© fig. 35. C'est le griffon ». Il est constituĂ© d'une lame en acier Ă  ressort lĂ©gĂšrement cintrĂ©e et percĂ©e d'un trou allongĂ©, sur laquelle le tirefond presse bien symĂ©triquement. L'extrĂ©mitĂ© de la lame, repliĂ©e Ă  angle droit, repose sur une plaquette mĂ©tallique rainurĂ©e afin de ne pas dĂ©tĂ©riorer le bois. Fig. 35. - Le griffon. Le nombre et la disposition des tirefonds varient avec les caractĂ©ristiques du trafic vitesse, nombre de trains, charge par essieu et aussi avec le tracĂ© de la ligne alignement droit ou courbe. Sur les lignes secondaires, on se contente de fixer le rail par deux tirefonds par traverse, l'un Ă  l'intĂ©rieur, l'autre Ă  l'extĂ©rieur de la voie fig. 36. Pour ne pas intĂ©resser les mĂȘmes fibres du bois et Ă©viter ainsi que celui-ci ne se fende, l'un des tirefonds est vissĂ© Ă  droite de l'axe de la traverse, l'autre Ă  gauche. Sur les voies Ă  grand trafic, ainsi que dans les courbes, on place trois tirefonds disposĂ©s en quinconce, deux Ă  l'extĂ©rieur et un Ă  l'intĂ©rieur, puis inversement, par alternance fig. 37. Sur les chemins de fer français, cependant, les tirefonds sont placĂ©s comme le montre la figure 38. Lorsque les fibres du bois sont dĂ©tĂ©riorĂ©es par les filets des tirefonds, on ne peut plus serrer les tirefonds d'une maniĂšre durable, on doit alors forer de nouveaux trous Ă  cĂŽtĂ© des anciens et cheviller ceux-ci. A la suite des resabotages et des reforages qu'elles doivent subir au long de leur existence en voie principale, les traverses en bois sont retirĂ©es et replacĂ©es dans les voies accessoires, leur Ă©paisseur n'Ă©tant plus suffisante et les trous multiples ayant rĂ©duit considĂ©rablement leur rĂ©sistance. Tree-nails. Pour augmenter la durĂ©e des traverses en bois tendre, on introduit des chevilles tree-nails ou tampons en bois dur aux emplacements prĂ©vus pour les tirefonds fig. 39. On procĂšde de mĂȘme quand on veut prolonger la vie des traverses usĂ©es Ă  l'endroit des attaches. Ces chevilles sont gĂ©nĂ©ralement vissĂ©es dans le bois. La partie supĂ©rieure est conique et, lors du vissage Ă  fond, elle forme joint Ă©tanche contre l'humiditĂ©. Fig. 39 Tree-nail. Garniture Lakhovsky. La rĂ©sistance Ă  l'arrachement des tirefonds dans les bois tendres est faible et, trĂšs tĂŽt, ils tournent fou », ayant pris du jeu dans leur logement. Fig. 40 Garniture Lakhovsky. Quand les tirefonds tournent fou », on est obligĂ© de cheviller les anciens trous et d'en percer de nouveaux Ă  cĂŽtĂ©. La garniture de l'ingĂ©nieur Lakhovsky s'emploie en lieu et place des chevilles. Elle se compose fig. 40 de deux coquilles mĂ©talliques qui, rĂ©unies, forment un cylindre dont la surface externe est munie de saillies circulaires. Quant Ă  la surface interne, elle est tronc-conique et taraudĂ©e au pas du tirefond ordinaire. En vissant le tirefond dans la garniture, celui-ci, s'engageant de plus en plus, force les deux coquilles Ă  s'Ă©carter progressivement et Ă  pĂ©nĂ©trer dans la traverse. On retrouve ce souci d'amĂ©liorer la rĂ©sistance Ă  l'arrachement du tirefond dans la garniture Streitz et dans la virole VV. Garniture Streitz. Une bande mĂ©tallique, fournie droite, Ă©pouse la forme du filet du tirefond. On l'enroule sur un mandrin simulant un tirefond, puis on en garnit le tirefond avant de l'engager. Virole VV. Le dispositif, reprĂ©sentĂ© fig. 41, consiste en une virole en tĂŽle mince enroulĂ©e en spires jointives mais non soudĂ©es. La virole a la largeur du pas du tirefond. On enfonce prĂ©alablement la virole dans le bois, on visse ensuite le tirefond qui trouve dans le bois un logement lĂ©gĂšrement rĂ©trĂ©ci. Fig. 41. - Virole VV. 8. - Avantages propres aux traverses en bois IndĂ©pendamment de leur Ă©lasticitĂ© et de leur faible sonoritĂ©, les traverses en bois prĂ©sentent encore les avantages suivants PossibilitĂ© et facilitĂ© de remĂ©dier sur place Ă  une attache dĂ©fectueuse, soit que les tirefonds ne donnent plus de serrage et, dans ce cas, il suffit de cheviller les trous et d'en forer d'autres Ă  cĂŽtĂ© des anciens, soit que la table d'assise du rail est en mauvais Ă©tat. Il suffira alors de dĂ©placer longitudinalement la traverse et de prĂ©parer Ă  l'herminette une nouvelle assise du rail sur bois sain. En cas de dĂ©raillement d'un essieu traĂźnĂ© sur une grande distance, les traverses en bois ne souffrent que trĂšs peu, la plupart d'entre elles sont rĂ©utilisables, tandis que les traverses mĂ©talliques sont gĂ©nĂ©ralement dĂ©formĂ©es. RetirĂ©es des voies et redressĂ©es, elles peuvent ĂȘtre rĂ©employĂ©es mais leur redressement coĂ»te assez cher. PossibilitĂ© de rĂ©emploi dans les lignes secondaires puis dans les voies accessoires des gares. Les traverses injectĂ©es de crĂ©osote sont suffisamment isolantes pour permettre l'Ă©quipement avec circuits de voie » sans dispositif particulier d'isolement note 041. 9. - Appareils de mesure L'extrahomĂštre indique sur un cadran la rĂ©sistance maximum Ă  l'arrachement des divers types d'attaches dans une traverse. Le torsiomĂštre accuse la rĂ©sistance au tournage fou » des tirefonds. Cet appareil peut enregistrer jusqu'Ă  200 kg, chiffre jamais atteint en pratique. Le dĂ©climĂštre mesure la rĂ©sistance Ă  la traction latĂ©rale et au renversement des diverses attaches. Il enregistre jusqu'Ă  4 tonnes. Un appareil du mĂȘme genre, placĂ© entre les deux rails soumis Ă  une pression latĂ©rale, donne la rĂ©sistance au renversement des rails et attaches ainsi que la rĂ©sistance Ă  l'Ă©largissement de la voie. Le cadran indique jusqu'Ă  25 tonnes. Le bourramĂštre permet d'Ă©tudier les diffĂ©rentes mĂ©thodes de bourrage des traverses. 10. - Selles mĂ©talliques Du moment que la surface d'appui est suffisante note 042_1 et, ici, l'Ă©lĂ©ment dĂ©terminant est la largeur du patin du rail, que la traverse est en bois dur, on peut asseoir directement le rail sur la traverse sans interposition de selles mĂ©talliques. Mais, lorsqu'on emploie des traverses en bois tendre, il est indispensable, en alignement droit comme en courbe, d'armer la traverse de selles mĂ©talliques sur lesquelles pose le patin du rail fig. 43 et 44 sinon, le patin pĂ©nĂ©trerait dans la traverse. Par ailleurs, dans les bois tendres, les attaches se dĂ©formant latĂ©ralement, il faut les multiplier par exemple 4 tirefonds au lieu de 2 ou 3 ou bien les tree-nailler ». Le rĂŽle essentiel de la selle est d'agrandir la surface d'appui du rail sur la traverse et de rĂ©duire de ce chef la fatigue de celle-ci. Ainsi, dans le cas d'une selle d'appui de 38,5 cm x 13 cm = 500 cmÂČ note 042_2, la pression statique unitaire, au droit de chaque roue d'un essieu de locomotive chargĂ© de 24 tonnes, tombe Ă  . A la S. N. C. B., mĂȘme avec des traverses en bois dur les selles mĂ©talliques sont employĂ©es lorsque le rayon des courbes descend au-dessous de 600 mĂštres parce qu'alors les rĂ©actions latĂ©rales sur les rails sont trĂšs grandes et l'Ă©paulement en bois ne rĂ©siste plus ; il arrive aussi que par suite de l'inĂ©gale rĂ©partition de la charge de l'essieu sur les deux roues, la compression du bois soit excessive ; dans les courbes de rayons infĂ©rieurs Ă  1000 mĂštres sur les lignes Ă  forte dĂ©clivitĂ© sur lesquelles la vitesse des trains dĂ©passe 100 km/h ; sur les lignes Ă  grande vitesse Ă©quipĂ©es en rails de 54 m. Il s'agit en l'occurrence de selles modernes du type Angleur-Athus page 46 qui solidarisent bien les traverses avec le rail et freinent les dĂ©placements et les dilatations de celui-ci. Avec les selles anciennes, minces, lĂ©gĂšres et sans rebords fig. 42, fixĂ©es Ă  la traverse par les mĂȘmes crampons ou tirefonds qui retenaient le patin du rail, la forme du patin du rail s'imprimait dans la plaque. Celle-ci se pliait frĂ©quemment de part et d'autre de l'arrĂȘte du patin. Des fissures s'amorçaient aux angles des trous de passage des crampons. Fig. 42. - Selle mĂ©tallique mince. Selles Ă  rebords. Peu Ă  peu, les selles, fabriquĂ©es en acier laminĂ©, ont Ă©tĂ© renforcĂ©es et pourvues de rebords fig. 43 et 44. Fig. 43 et 44. - Selle Ă  rebords. Les rebords permettent de rĂ©duire le sabotage aux traverses demi-rondes et mĂȘme de le supprimer aux traverses rectangulaires. Fig. 45 Les rebords retiennent le patin des rails lorsque ceux-ci sont sollicitĂ©s par des efforts transversaux. Si l'on prend soin que les trous pratiquĂ©s dans la selle pour le passage des attaches ne dĂ©bordent pas sur l'arrĂȘte intĂ©rieure a des rebords de la selle fig. 45 le patin du rail portera exclusivement contre les rebords et sur toute l'Ă©tendue de ceux-ci. Sans doute, la selle tendra Ă  se dĂ©placer et forcera encore sur les tirefonds, mais cet effort sera partagĂ© entre tous les tirefonds. Enfin, l'Ă©paisseur des rebords doit ĂȘtre infĂ©rieure Ă  celle du patin, sinon, le tirefond porte sur le rebord de la selle et, du cĂŽtĂ© opposĂ©, ne serre plus le patin du rail note 044. Les selles Ă  rebords prĂ©sentent donc l'avantage de solidariser les attaches des deux cĂŽtĂ©s du rail, rĂ©duisant ainsi de moitiĂ© leur fatigue ou, Ă  effort transversal Ă©gal, d'augmenter la rĂ©sistance des attaches au dĂ©placement latĂ©ral du rail. On constate qu'en l'absence de rebords, tous les efforts transversaux sont supportĂ©s par les seuls tirefonds extĂ©rieurs et il arrive que ceux-ci soient cisaillĂ©s entre le patin du rail et la plaque. Fig. 46 Attache par tirefond et crapaud. Comme pour la pose sans selle, la tĂȘte du tirefond est en porte Ă  faux du cĂŽtĂ© opposĂ© au patin ; le tire-fond risque de se plier ou de se dĂ©verser. On peut prĂ©venir ces inconvĂ©nients en serrant la tĂȘte du tire-fond contre un crapaud fig. 46 qui, d'un cĂŽtĂ©, prend appui sur la selle et de l'autre, sur le patin du rail ; le crapaud peut d'ailleurs prendre sa position d'Ă©quilibre grĂące Ă  la forme cylindrique de sa face d'appui sur la selle. Avec le crapaud, la surface de contact avec le patin du rail est incomparablement plus grande qu'avec la tĂȘte du tirefond, par consĂ©quent, le serrage est beaucoup mieux assurĂ© et les risques d'usure fortement diminuĂ©s. Par ailleurs, et nous y reviendrons, ce serrage Ă©nergique est essentiel avec les rails de grande longueur 27 mĂštres et plus parce qu'il faut restreindre la dilatation en maintenant le rail sous contrainte. Sur les rĂ©seaux qui posent leurs rails avec une inclinaison de 1/20, on donne d'emblĂ©e Ă  la face supĂ©rieure de la selle, la pente voulue vers l'intĂ©rieur de la voie. Selles Ă  crochet. Il s'agit en l'espĂšce de selles dont le rebord extĂ©rieur est remplacĂ© par un crochet retenant l'une des ailes du patin fig. 47. De ce cĂŽtĂ©, le tirefond ne sert donc plus qu'Ă  fixer la selle. Fig. 47. - Selle Ă  crochet. Ce dispositif a Ă©tĂ© employĂ© sur une grande Ă©chelle dans les voies en courbe de la S. N. C. B., mais on a reconnu son inefficacitĂ© Ă  cause du jeu qui ne tarde pas Ă  se produire entre le crochet et le patin, jeu, qui ne pouvant pratiquement ĂȘtre supprimĂ©, provoque l'Ă©largissement de la voie. Il existait d'ailleurs un jeu initial par suite des tolĂ©rances admises pour l'Ă©paisseur des patins. Selles modernes. Dans les voies modernes, on est arrivĂ© Ă  sĂ©parer nettement les deux fonctions fixation de la selle sur la traverse, attache du rail Ă  la selle. Des tirefonds fixent la selle sur la traverse tandis que d'autres tirefonds maintiennent le rail sur la selle fig. 43 et 44. Les selles modernes permettent d'attacher d'avance au chantier les selles sur les traverses. L'on se trouve ainsi dans les conditions les meilleures pour donner Ă  l'Ă©cartement futur des rails la prĂ©cision voulue alignement droit ou courbe. Mais l'efficacitĂ© de l'attache par tirefonds rĂ©sulte de deux Ă©lĂ©ments la rĂ©sistance Ă  l'arrachement et ce problĂšme est rĂ©solu d'une façon satisfaisante ; la pression de la tĂȘte du tirefond sur le patin du rail. Nous avons dĂ©jĂ  soulignĂ© la prĂ©caritĂ© de cette deuxiĂšme fonction page 37 par suite du pliage du tirefond, de son dĂ©versement, du jeu qui se produit entre la tĂȘte et le patin. La pose Ă  l'intervention d'un crapaud fig. 46 apparaĂźt, du point de vue des principes, dĂ©jĂ  supĂ©rieure mais les systĂšmes d'attaches modernes appliquĂ©s aux traverses mĂ©talliques dont il sera question plus loin semblent rĂ©soudre plus parfaitement le problĂšme. Il ne faut donc pas s'Ă©tonner de ce que ces systĂšmes aient Ă©tĂ© transportĂ©s sur les traverses en bois lorsque celles-ci sont pourvues de selles mĂ©talliques fig. 48 et 50. Le systĂšme inspirĂ© de la traverse mĂ©tallique d'OugrĂ©e fig. 48 et 49 procure une solidaritĂ© complĂšte entre le rail et la traverse en bois par suite du serrage par clavettes du patin du rail sur la selle mĂ©tallique. Ce serrage Ă©nergique supprime le cheminement » note 045 des rails sur la traverse. Sans doute, la longueur de la clavette donne Ă  la voie une certaine rigiditĂ© mais les clavettes rendent possibles l'Ă©tablissement et le maintien entre les deux files de rails d'un Ă©cartement tout Ă  fait exact. Remarquons cependant qu'Ă  la longue, les crochets s'ouvrent, les clavettes s'usent irrĂ©guliĂšrement parties en contact et parties non en contact, si bien que le serrage devient prĂ©caire et sans possibilitĂ© pratique de rappel de l'usure et l'on constate des chutes de clavettes dans la voie. La traverse OugrĂ©e-Marihaye, thĂ©oriquement parfaite, n'a donc pas toujours donnĂ© Ă  l'usage les rĂ©sultats escomptĂ©s. Quant Ă  l'attache systĂšme Angleur-Athus » pour traverses mĂ©talliques, reprĂ©sentĂ©e figures 50 et 51, l'emploi du crapaud en forme d'U renversĂ©, Ă©vite la raideur de l'attache OugrĂ©e » et donne Ă  l'ensemble une certaine Ă©lasticitĂ© encore accrue par la prĂ©sence d'une rondelle Ă©lastique sous l'Ă©crou de fixation, Ă©lasticitĂ© Ă  laquelle beaucoup de spĂ©cialistes de la voie attachent de l'importance. D'aprĂšs des expĂ©riences, faites Ă  la S. N. C. B., une voie Ă©quipĂ©e de selles Angleur-Athus » prĂ©sente dans son ensemble une raideur transversale Ă  peu prĂšs identique Ă  la raideur verticale des deux rails. DĂ©jĂ , sur la ligne Ă©lectrique Bruxelles-Anvers, posĂ©e en rails de 54 mĂštres note 046, les attaches avec selles type Angleur ont Ă©tĂ© appliquĂ©es aux traverses en bois non seulement dans les courbes mais aussi dans les alignements droits. Actuellement, Ă  la S. N. C. B., les selles d'appui Angleur-Athus » sont employĂ©es d'une façon systĂ©matique aux traverses en bois des lignes importantes sur lesquelles le rail de 54 m est gĂ©nĂ©ralisĂ©. La solidaritĂ© du rail et de la traverse fait intervenir le ballast dans la rĂ©sistance longitudinale de la voie. Conclusions. Si les selles sont employĂ©es sur une grande Ă©chelle par la plupart des rĂ©seaux, la question de leur gĂ©nĂ©ralisation est encore controversĂ©e. Cependant, pour les traverses en bois tendre, l'utilitĂ© et l'efficacitĂ© de la selle sont incontestables. Pour les traverses en bois dur, cela dĂ©pend de la largeur d'appui du patin, en d'autres termes, de la charge unitaire sur la traverse. Dans les courbes de faible rayon, avec les traverses en bois dur, aussi bien qu'avec les traverses en bois tendre, les selles sont recommandables car, sous l'effet de la force centrifuge et malgrĂ© le dĂ©vers note 047_1, les efforts transversaux sur le rail extĂ©rieur de la courbe sont trĂšs grands et les Ă©paulements des entailles dans les traverses ne peuvent, Ă  partir d'un certain rayon, opposer une rĂ©sistance suffisante pour maintenir l'Ă©cartement de la voie. A cet Ă©gard, l'effort d'orientation a plus d'importance qu'une insuffisance de dĂ©vers car son ordre de grandeur est celui du poids qui charge l'essieu directeur. On reproche Ă  la selle de hĂąter l'usure du patin du rail et de rendre la voie plus dure. On a cherchĂ© Ă  parer Ă  ce dernier inconvĂ©nient en interposant entre le rail et la selle une mince plaque de feutre ou de bois comprimĂ©. Peut-ĂȘtre aussi les rĂ©seaux qui n'emploient pas les selles mĂ©talliques sont-ils prĂ©occupĂ©s par la question d'Ă©conomie de premier Ă©tablissement Ă  raison de deux selles de ± 12 kg chacune, par traverse et de ± 1500 traverses par km, cela fait 36 tonnes/km et reprĂ©sente un supplĂ©ment de capital de premier Ă©tablissement sĂ©rieux note 047_2, mais il faut s'entendre car c'est la charge annuelle d'intĂ©rĂȘts et d'amortissement qu'il faut rapprocher du supplĂ©ment Ă©ventuel des frais d'entretien annuels des voies posĂ©es sans selles. C'est un bilan Ă  Ă©tablir dans chaque cas. Enfin, l'essai des selles modernes avec attaches dĂ©rivĂ©es des traverses mĂ©talliques pose le problĂšme sous un nouvel aspect. CHAPITRE IILes traverses mĂ©talliques 1. Forme et dimensions. Les traverses mĂ©talliques actuellement employĂ©es rappellent par leur forme celle d'une auge renversĂ©e fig. 52 et 54. Cette forme, obtenue par laminage, s'inspire de la traverse mĂ©tallique primitive Le Crenier ; elle fournit au rail une bonne surface d'appui, s'accroche bien dans le ballast et emboĂźte convenablement celui-ci. Dimensions des traverses mĂ©talliques Allemagne Longueur de la traverse 2,550 m 2,500 m Hauteur 10 cm Angleur9,5 cm OugrĂ©e 10 cm Largeur de la base 26,6 cm Angleur26 cm OugrĂ©e 26 cm Largeur de la table 13,5 cm Angleur13 cm OugrĂ©e 13,5 cm Epaisseur de la table 8 mm Angleur11 mm OugrĂ©e 9 mm Épaisseur des ailes 8 mm Angleur OugrĂ©e 9 mm Les ailes latĂ©rales, lĂ©gĂšrement obliques, se raccordent Ă  la table par des pans coupĂ©s pour supprimer les coins qui se bourrent difficilement. Les bords infĂ©rieurs des ailes, renforcĂ©s pour rĂ©sister aux coups des outils de bourrage, prĂ©sentent une section triangulaire qui facilite leur pĂ©nĂ©tration dans le ballast. Quant aux bouts, ils sont emboutis Ă  chaud Ă  la presse de maniĂšre Ă  fermer la traverse aux deux extrĂ©mitĂ©s et emprisonner le noyau de ballast. Ces bouts prĂ©sentent un Ă©panouissement nervure qui offre une plus grande rĂ©sistance au ripage transversal de la voie. Ainsi conçue, la traverse mĂ©tallique, bien bourrĂ©e, constitue un bon ancrage dans le ballast et s'oppose au dĂ©placement longitudinal de la voie. Les portĂ©es d'assise des rails sont gĂ©nĂ©ralement inclinĂ©es par rapport Ă  la partie centrale de la traverse pour donner aux rails l'inclinaison de 1/20 vers l'axe de la voie fig. 52 et 54. 2. Les attaches. Pendant longtemps, le point faible de la traverse mĂ©tallique a Ă©tĂ© la prĂ©sence des trous nĂ©cessaires pour les attaches de fixation du rail Ă  la traverse. Ces trous rectangulaires, malgrĂ© leurs coins arrondis, constituaient l'amorce de fissures qui se formaient dans les angles et qui, se dĂ©veloppant, entraĂźnaient aprĂšs un certain temps la dĂ©formation, voire la rupture de la traverse et sa mise hors service. La naissance des fissures Ă©tait Ă©galement favorisĂ©e par l'amincissement de la table dĂ» Ă  l'oxydation. Un autre Ă©cueil des anciens types de traverses mĂ©talliques Ă©tait le dĂ©rĂ©glage de l'Ă©cartement. Fig. 52 et 53. - Traverse mĂ©tallique systĂšme OugrĂ©e-Marihaye ». Fig. 54 et 55. - Traverse mĂ©tallique systĂšme Angleur-Athus ». A titre didactique, nous rappellerons briĂšvement comment s'exerça l'ingĂ©niositĂ© des constructeurs pour assurer la fixitĂ© du rail, d'une part, et rĂ©gler, d'autre part, l'Ă©cartement variable des rails dans les courbes malgrĂ© que les trous Ă©taient percĂ©s dans les traverses d'aprĂšs un gabarit unique. Remarquons d'ailleurs que, pour des raisons Ă©conomiques, les traverses avec trous pour le passage des attaches sont toujours utilisĂ©es sur les chemins de fer du Congo belge fig. 56 et 57. Ces traverses, posĂ©es dans la voie Ă  l'Ă©cartement de 1,067 m, mesurent 2 m de longueur et pĂšsent 42 kg. On peut les ranger en deux systĂšmes caractĂ©ristiques dans le premier, le rail est posĂ© directement sur la traverse. Exemple systĂšme rhĂ©nan fig. 56 et 57 ; dans le second, une selle est interposĂ©e entre le patin du rail et la traverse. Exemple systĂšme Haarmann fig. 58. Attache rhĂ©nane fig. 56 et 57. Le patin du rail est maintenu par deux crapauds C1 C2 serrĂ©s par des boulons Ă  tĂȘte plate B1 B2. Pour introduire le boulon, on prĂ©sente la tĂȘte plate 19 x 39 mm parallĂšlement au long cĂŽtĂ© du trou rectangulaire 21 x 50 mm de la traverse. Puis, on lui fait faire un quart de tour de maniĂšre que la tĂȘte se mette en croix avec le trou rectangulaire. Fig. 56 et 57. - Attache rhĂ©nane pour traverse mĂ©tallique. Les crapauds, portant contre les bords des trous, supportent directement les efforts transversaux subis par les rails. Dans ces conditions, les boulons de fixation ne sont pas soumis Ă  des efforts de cisaillement. Il existe quatre types de crapauds qui diffĂšrent par leur Ă©paisseur 14, 17, 23 et 26 mm. En plaçant Ă  l'extĂ©rieur du patin l'un des quatre types et, Ă  l'intĂ©rieur, le type correspondant, on obtient l'Ă©cartement dĂ©sirĂ©. Attache Haarmann fig. 58. Fig. 58. - Attache Haarmann pour traverse mĂ©tallique. Entre le patin du rail et la traverse, on introduit une selle Ă  crochet C prĂ©sentant vers le bas un ergot E qui s'accroche sous la table de la traverse. Le patin est maintenu du cĂŽtĂ© intĂ©rieur de la voie par des crapauds serrĂ©s par des boulons, comme dans le systĂšme rhĂ©nan. Pour rĂ©gler l'Ă©cartement, on dispose de quatre espĂšces de selles et de quatre types de crapauds. Si le principe mĂȘme de la traverse mĂ©tallique s'est implantĂ© difficilement sur certains rĂ©seaux, cela tient sans doute aux qualitĂ©s incontestables de la traverse en bois dur crĂ©osote note 051_1, mais surtout au dĂ©forcement de la traverse mĂ©tallique par la prĂ©sence des trous, origine de fissurations. Diverses tentatives furent faites pour supprimer les trous note 051_2, mais la vraie solution de ce problĂšme ne fut trouvĂ©e que lorsqu'on eut recours Ă  une selle soudĂ©e sur la table de la traverse. Ce fut lĂ  un progrĂšs considĂ©rable. Attaches modernes Les systĂšmes d'attache modernes se rangent en deux catĂ©gories le systĂšme d'attache par selles et cales de fixation fig. 60 ; le systĂšme d'attache par selles Ă  nervures, crapauds et boulons de fixation fig. 62. Le premier a Ă©tĂ© introduit en Belgique par la SociĂ©tĂ© d'OugrĂ©e-Marihaye ; le second, par la SociĂ©tĂ© d'Angleur-Athus. I. SystĂšme OugrĂ©e-Marihaye. Le systĂšme de fixation des rails sur les traverses au moyen de cales est trĂšs ancien. Les Indes Anglaises notamment, emploient depuis 1878 des traverses mĂ©talliques comportant deux nez dĂ©coupĂ©s dans la table et appelĂ©s clips » entre lesquels le patin du rail est fixĂ© par une cale fig. 59. Fig. 59. - Attache du rail par clips » sur traverse mĂ©tallique. Cependant le systĂšme d'attache par clips et cales conduit Ă  la crĂ©ation de trous de grandes dimensions Ă  l'endroit mĂȘme oĂč les efforts sont maxima. C'est Ă  l'occasion d'une fourniture de traverses Ă  clips pour les chemins de fer des Indes que les Usines d'OugrĂ©e conçurent l'idĂ©e, de conserver les cales, mais de remplacer les clips par des agrafes en acier, introduites et ajustĂ©es dans des trous semi-circulaires beaucoup plus petits note 051_3. C'Ă©tait certes un progrĂšs, mais, en 1928, OugrĂ©e crĂ©a une traverse nouvelle avec cale et selle Ă  crochet soudĂ©e Ă©lectriquement sur la traverse et supprimant complĂštement les trous fig. 60 et 61. Comme le montre la figure, les deux clavettes, introduites en sens inverse, entre le patin du rail et les crochets de la selle, assurent Ă  l'assemblage une rigiditĂ© complĂšte. Par suite de cette solidaritĂ© du rail avec chaque traverse, les efforts longitudinaux s'exerçant sur les rails, sont rĂ©partis sur toutes les traverses, il s'ensuit que la rĂ©sistance au dĂ©placement de la voie est telle que le cheminement » est pratiquement supprimĂ©. Enfin, le serrage Ă©nergique des clavettes maintient le rail sous contrainte et freine sa dilatation note 052. Le serrage des clavettes doit ĂȘtre surveillĂ© de trĂšs prĂšs parce que, aprĂšs un certain temps, on constate une tendance au desserrage voir page 46. Fig. 60 et 61. - Traverse mĂ©tallique systĂšme OugrĂ©e-Marihaye avec selles soudĂ©es, attache par clavettes et table inclinĂ©e au 1/20. La surlargeur en courbe est rĂ©glĂ©e comme suit Dans les courbes dont les rayons rĂ©pondent Ă  la condition 400 m > R Ÿ 230 m, on adopte, Ă  la S. N. C. B., un surĂ©cartement de 10 mm et le passage de l'Ă©cartement normal au surĂ©cartement de 10 mm se rĂ©alise progressivement de 2,5 mm en 2,5 mm. L'entredistance des selles soudĂ©es reste constante et pour rĂ©aliser les surĂ©cartements successifs 2,5 mm, 5 mm, 7,5 mm et 10 mm, on recourt Ă  l'usage de 4 types de clavettes d'Ă©paisseurs diffĂ©rentes. Dans les courbes dont les rayons rĂ©pondent Ă  la condition 250 m > R Ÿ 175 m, on adopte un surĂ©cartement de 20 mm et le passage de l'Ă©cartement normal au surĂ©cartement de 20 mm se rĂ©alise progressivement de 5 mm en 5 mm. Les surĂ©cartements de 5 mm et 10 mm sont obtenus comme indiquĂ© au 1° ci-dessus. Quant aux surĂ©cartements de 15 mm et de 20 mm, ils sont rĂ©alisĂ©s en augmentant de 10 mm l'entredistance des plaques soudĂ©es et en utilisant les mĂȘmes clavettes d'Ă©paisseurs diffĂ©rentes. II. SystĂšme Angleur-Athus. Ce systĂšme remonte Ă  1928. Ici encore tout le dispositif d'attache est reportĂ© au-dessus de la table de la traverse fig. 62 et 63, mais la selle soudĂ©e porte des nervures entre lesquelles le patin du rail est encastrĂ© de maniĂšre Ă  lutter contre les efforts transversaux. Fig. 62 et 63. - Traverse mĂ©tallique systĂšme Angleur-Athus avec selles Ă  nervures soudĂ©es, attache par crapauds et boulons et table inclinĂ©e au 1/20. Les nervures de la selle prĂ©sentent une encoche dans laquelle se loge la tĂȘte plate du boulon de fixation fig. 64 Ă  67. L'Ă©crou du boulon serre, par l'intermĂ©diaire d'une rondelle Ă  ressort, le dos du crapaud en forme d'U renversĂ©. Le crapaud s'appuie d'un cĂŽtĂ© sur la selle, de l'autre sur le patin du rail. L'assemblage se caractĂ©rise par une certaine Ă©lasticitĂ©. Le rail est donc maintenu d'une part par les nervures qui s'opposent au glissement vers l'extĂ©rieur et par les crapauds qui empĂȘchent son renversement. La tendance au cheminement est combattue par le serrage des boulons sur les crapauds, serrage qui crĂ©e une rĂ©sistance par frottement supĂ©rieure Ă  la force qui provoque le cheminement du rail sur la traverse. Par ailleurs, la surface de contact des crapauds avec le patin du rail est suffisamment grande pour que le serrage des boulons maintienne le rail sous contrainte et freine sa dilatation note 054. Les surĂ©cartements en courbe sont obtenus en soudant les selles Ă  l'Ă©cartement imposĂ© ; celui-ci progresse de 2,5 mm en 2,5 mm. Le tableau ci-dessous permet de se rendre compte des prix des traverses mĂ©talliques comparĂ©s Ă  ceux des traverses en bois AnnĂ©e Prix des traverses en bois mĂ©talliques 1928 chĂȘne crĂ©osotĂ© 70 F 100 F 1930 chĂȘne crĂ©osotĂ© 70 F OugrĂ©e 1° Ă  clavettes et trous 106 F 2° selles soudĂ©es 106 F Angleur selles soudĂ©es 88 F 1935 blanches chĂȘne 45 F crĂ©osotĂ©es chĂȘne 55 F chĂȘne crĂ©osotĂ© avec selles en courbe 65 F OugrĂ©e 82 F Angleur 82 F 1938 1° chĂȘne crĂ©osotĂ© avec 2 selles mĂ©talliques type Angleur - attaches comprises 119 F OugrĂ©e selles soudĂ©es 126 F Angleur Selles soudĂ©es 126 F 1950 idem 395 F Angleur selles soudĂ©es 426 F * 1938 2° chĂȘne crĂ©osotĂ© sans selle, attaches par tirefonds comprises 85 F 1950 idem 242 F * Estimation. Quant aux poids, les voici Traverses en bois sans selles, mais avec 4 tirefonds 85 kg avec selles, type OugrĂ©e, clavettes comprises 101 kg sans selles, type Angleur, 2 tirefonds et attaches 113 kg Traverses mĂ©talliques Ă  selles soudĂ©es Type OugrĂ©e, avec les clavettes 75,5 kg Type Angleur, avec les attaches 76 kg En 1950, Ă  la S. N. C. B., il y avait traverses mĂ©talliques en service en voies principales. En 1949, les Chemins de fer fĂ©dĂ©raux Suisses possĂ©daient Sur leurs voies principales 71 % de traverses mĂ©talliques, 29 % de traverses en bois. Sur l'ensemble de leurs voies principales et autres 68 % de traverses mĂ©talliques, 32 % de traverses en bois. Les prix de revient Ă©taient Traverse en chĂȘne, avec ses attaches avec selles ordinaires 42,05 FS avec attaches systĂšme OugrĂ©e 51,45 FS Traverse mĂ©tallique, avec ses attaches avec plaques de serrage 29,05 FS Les traverses en chĂȘne viennent du pays. Quant aux traverses mĂ©talliques, elles sont exclusivement importĂ©es. On constate donc qu'en Suisse, les traverses mĂ©talliques coĂ»tent moins cher que les traverses en bois, alors qu'en Belgique, c'est l'inverse. 3. Traverses en bois ou traverses mĂ©talliques ? Si nous nous plaçons des points de vue valeur technique et sĂ©curitĂ© de la voie, nous pouvons, Ă  l'heure actuelle, rĂ©pondre sans hĂ©sitation traverses en bois et traverses mĂ©talliques. La valeur technique s'exprime par la capacitĂ© de rĂ©sistance que la voie oppose aux efforts dynamiques du matĂ©riel roulant ainsi qu'aux influences atmosphĂ©riques. La valeur d'une traverse peut s'estimer encore par la façon dont elle maintient l'Ă©cartement de la voie. Bien entendu, nous supposons que nous avons affaire dans les deux cas Ă  des voies parcourues par des trains rapides, nombreux et Ă  charge par essieu Ă©levĂ©e et que, par consĂ©quent, le profil des rails, les dimensions des traverses, leur nombre par kilomĂštre, la qualitĂ© et l'Ă©paisseur du ballast, sont en rapport avec les conditions d'exploitation ainsi dĂ©finies. Le dĂ©faut capital de la traverse mĂ©tallique le trou pour l'attache a disparu avec l'emploi des selles soudĂ©es ; l'attache elle-mĂȘme s'est perfectionnĂ©e au point de maintenir le rail sous contrainte lors des dilatations. On peut dire que la traverse mĂ©tallique a rejoint la traverse en bois dur crĂ©osotĂ©e. Mais il reste Ă  avoir Ă©gard aux conditions locales, aux raisons Ă©conomiques. 1° Conditions locales. On donnera la prĂ©fĂ©rence Ă  la traverse en bois dans les tunnels humides, dans les tranchĂ©es profondes et humides, oĂč la voie est peu ou pas atteinte par le soleil Ă  moins que l'orientation soit Nord-Sud, Ă  la traversĂ©e des terrains marĂ©cageux, sur les ponts dĂ©pourvus de ballast, Ă  cause de l'Ă©lasticitĂ© du bois, sur les lignes Ă  ballast en cendrĂ©es, celles-ci sont moins bien drainĂ©es et plus ou moins sulfureuses note 056_1, les traverses mĂ©talliques y sont trĂšs attaquĂ©es par la rouille et leur Ă©paisseur se rĂ©duit trĂšs fortement de ce chef, au bord de la mer Ă  cause de l'humiditĂ© de l'air salin, dans les parages des usines ou des fabriques de produits chimiques dĂ©gageant des vapeurs acides, sur les lignes Ă©quipĂ©es au block automatique Ă  circuits de voie note 056_2 afin d'assurer l'isolement des circuits Ă©lectriques. Notons cependant que les chemins de fer fĂ©dĂ©raux suisses emploient avec leurs traverses mĂ©talliques des dispositifs d'isolement entre la traverse et le patin du rail et entre les crapauds et le patin. 2° Raisons Ă©conomiques. Les rĂ©seaux qui ne trouvent pas sur le marchĂ© national la quantitĂ© de bois dur suffisante pour leurs besoins annuels note 057_1 et qui doivent acheter une partie de ce bois Ă  l'Ă©tranger, peuvent indiffĂ©remment employer des traverses en bois ou des traverses mĂ©talliques. Dans les mĂȘmes conditions d'approvisionnement difficile en bois dur mais si le pays possĂšde une industrie sidĂ©rurgique dĂ©veloppĂ©e, tel est le cas de la Belgique, l'utilisation des traverses mĂ©talliques devient intĂ©ressante par le soutien qu'elle donne Ă  l'industrie nationale et par le trafic qu'elle apporte au chemin de fer lui-mĂȘme charbon, coke, minerais. Les traverses mĂ©talliques se prĂȘtent moins facilement au soufflage note 057_2 en ce sens qu'il faut soulever davantage les traverses, 21 cm contre 8 cm. Remarquons qu'une traverse mĂ©tallique Ă  selle soudĂ©e ne convient que pour le profil de rail pour lequel elle a Ă©tĂ© fabriquĂ©e ; une traverse mĂ©tallique Ă©quipĂ©e pour le rail de 50 kg/m, par exemple, ne pourrait ĂȘtre rĂ©employĂ©e en voie accessoire en rails de 40 kg. Pour la mĂȘme raison, les occasions de vendre des traverses mĂ©talliques comme traverses industrielles sont rares. Mais la traverse mĂ©tallique hors service conserve une valeur mitraille intĂ©ressante. CHAPITRE IIITraverses en bĂ©ton armĂ© 1. GĂ©nĂ©ralitĂ©s. C'est vers 1907 que commencĂšrent des essais sĂ©rieux de traverses en bĂ©ton armĂ©, notamment en France, en Italie et en Suisse. Ces essais furent provoquĂ©s par la difficultĂ© de se procurer en quantitĂ© suffisante des traverses en bois dur note 058 ou par le prix Ă©levĂ© atteint par les traverses mĂ©talliques dans les pĂ©riodes de prospĂ©ritĂ©. Les trĂšs nombreux types peuvent se rattacher Ă  trois conceptions bien distinctes Premier systĂšme traverses monobloc, la traverse est une poutre qui rappelle par sa forme la traverse prismatique en bois. Ce sont les traverses Calot, Orion, etc. fig. 68 Ă  73. Second systĂšme traverses mixtes, la traverse est constituĂ©e de deux appuis Ă  large empattement, dont l'Ă©cartement est maintenu par une entretoise. Ce sont les traverses Vagneux, S. N. C. B., Sonneville, etc. fig. 75 Ă  77. TroisiĂšme systĂšme traverses en bĂ©ton prĂ©contraint. Le plus gĂ©nĂ©ralement, on dispose une selle en acier, en caoutchouc ou en bois comprimĂ© entre le patin du rail et la portĂ©e d'appui de la traverse inclinĂ©e au 1/20. 2. Traverses prismatiques monobloc en bĂ©ton armĂ©. a Traverses Calot. Conçue Ă  l'origine pour la pose du rail Ă  double bourrelet avec coussinet Ă  large base utilisĂ© Ă  l'Ă©poque par les chemins de fer du Paris-OrlĂ©ans, elle a Ă©tĂ© ensuite essayĂ©e avec le rail Ă  patin, notamment sur la rĂ©gion Nord des chemins de fer français fig. 68 Ă  70. Dans les deux cas, on interpose une plaque de bois comprimĂ© entre la traverse et le patin du rail ou le coussinet. L'attache primitive a Ă©tĂ© modifiĂ©e en vue d'obtenir une traverse Ă©lectriquement isolante pour les cas oĂč l'on utilise les circuits de voie note 059. La traverse est pourvue au moulage de trous Ă  filets creux. Dans ces trous, on visse des tree-nails en bois de charme crĂ©osote, pourvus de filets extĂ©rieurs. Fig. 68 Ă  70. - Traverse prismatique en bĂ©ton armĂ© systĂšme Calot. Lorsqu'on visse le tirefond dans le tree-nail, lisse intĂ©rieurement, les filets extĂ©rieurs du tree-nail s'appliquent contre les filets creux du bĂ©ton et l'on obtient ainsi la rĂ©sistance Ă  l'arrachement dĂ©sirĂ©e. Fig. 71 Au bout d'un certain temps, le dĂ©bourrage des tĂȘtes et le surbourrage de la partie mĂ©diane font que les traverses prismatiques en bĂ©ton risquent de se fendre ou de se rompre en leur milieu. GrĂące Ă  son Ă©lasticitĂ©, la traverse en bois Ă©chappe Ă  cet inconvĂ©nient. C'est pourquoi, il est prudent de dĂ©gager la partie mĂ©diane de la traverse en bĂ©ton fig. 71. Le poids Ă©levĂ©, 225 kg, de la traverse Calot demande des moyens spĂ©ciaux de manutention, tels que des grues montĂ©es sur wagons. Sa longueur est actuellement de 2,40 m. D'aprĂšs les essais effectuĂ©s sur les lignes françaises de la rĂ©gion Nord, la traverse Calot conduirait Ă  une Ă©conomie de ballast de 0,400 mÂł au mĂštre courant. b Traverse Orion. La traverse Orion, utilisĂ©e sur une grande Ă©chelle par les chemins de fer français, rĂ©gion du Midi et par les chemins de fer suisses, est reprĂ©sentĂ©e fig. 72 et 73. D'une longueur de 2,20 m, elle se compose de deux parties portantes et d'une partie centrale trĂšs robuste. En Ă©lĂ©vation, elle se caractĂ©rise par un surhaussement de la partie mĂ©diane qui trouve sa justification dans les considĂ©rations suivantes Nous avons dĂ©jĂ  dit qu'avec les traverses prismatiques du type Calot on prend la prĂ©caution de dĂ©gager la partie mĂ©diane de la traverse pour Ă©viter sa rupture, fig. 71. On peut craindre que les petits talus ainsi formĂ©s ne s'Ă©boulent et passent de a en a'. Quand cela se produit, l'assiette des extrĂ©mitĂ©s de la traverse est dĂ©sĂ©quilibrĂ©e, il en rĂ©sulte des couples de flexion dangereux fig. 71. Au contraire, la traverse Orion ne reposant sur le ballast que par ses semelles, la partie centrale Ă©chappe aux rĂ©actions du sol. Fig. 72 et 73. - Traverse en bĂ©ton armĂ© systĂšme Orion. Le mode d'attache consiste dans des noyaux de bois Ă  section rectangulaire noyĂ©s dans le bĂ©ton, Ă  raison d'un par tirefond fig. 74. Des quatre faces latĂ©rales, trois sont normales Ă  la traverse mais la quatriĂšme se prĂ©sente en pan coupĂ©. La section rectangulaire empĂȘche le noyau de tourner lors du vissage ou du dĂ©vissage du tirefond ; le pan coupĂ© empĂȘche le noyau de remonter, assure le serrage du noyau dans son logement et facilite Ă©galement son remplacement en le retirant par le dessous. Fig. 74 L'isolement Ă©lectrique des deux files de rails est assurĂ© par les noyaux en bois, ce qui rĂ©soud le problĂšme de l'utilisation de ces traverses sur les lignes Ă©quipĂ©es du block automatique par circuits de voie. Sur les lignes Ă  grande vitesse, on interpose une fourrure en bois comprimĂ© entre le patin du rail et la traverse. La traverse Orion pĂšse 200 kg. Remarque. - L'expĂ©rience a montrĂ© que les ruptures et les dĂ©tĂ©riorations des traverses en bĂ©ton Ă  poutre prismatique se produisent gĂ©nĂ©ralement au droit des rails, pour les traverses longues, au milieu, pour les traverses courtes. La rĂ©duction de longueur a un effet sensible sur le poids de la traverse et, comme l'assise est gĂ©nĂ©ralement plus large, les traverses en bĂ©ton ne mesurent guĂšre que 2,20 m Ă  2,50 m alors que les traverses en bois mesurent 2,60 m et plus. La rupture au milieu peut d'ailleurs ĂȘtre Ă©vitĂ©e on bien en dĂ©gageant le ballast de la partie centrale traverse Calot ou en relevant le profil de la poutre en son milieu traverse Orion. A propos de la longueur et du calcul des traverses en bĂ©ton armĂ©, on lira avec intĂ©rĂȘt les Ă©tudes de MM. DESPRETS et DE VEALI dans le Bulletin du CongrĂšs International des Chemins de fer note 061_1. 3. Traverses mixtes en bĂ©ton armĂ© ordinaire. a Traverse Vagneux note 061_2. La traverse Vagneux est du type semi-rigide fig. 73 Ă  77 et ce, pour parer au reproche que l'on adresse aux traverses prismatiques, Ă  savoir le bourrage accidentel de leur partie centrale peut dĂ©terminer des efforts de flexion capables de fissurer le bĂ©ton. Fig. 75 Ă  77. - Traverse semi-rigide en bĂ©ton armĂ© systĂšme Vagneux. La partie centrale est constituĂ©e d'une poutrelle mĂ©tallique, de profil double T, qui s'encastre dans deux larges tĂȘtes en bĂ©ton armĂ©. Cette poutrelle 80 x 42 mm est, d'une part, assez rigide pour maintenir l'Ă©cartement normal de la voie et la bonne inclinaison des rails et d'autre part, elle est suffisamment Ă©lastique pour absorber les principaux efforts de flexion et de torsion. Le bourrage de la traverse est nĂ©cessairement localisĂ© sous les deux tĂȘtes qui ont 72 cm de longueur et il est rĂ©parti symĂ©triquement de chaque cĂŽtĂ© du rail. L'attache est constituĂ©e par un tirefond vissĂ© dans un logement venu de moulage ou bien le bĂ©ton est consolidĂ© par une garniture hĂ©licoĂŻdale Thiollier fig. 78. La spirale Thiollier est vissĂ©e sur un tirefond enduit au prĂ©alable de graisse et fixĂ© dans le moule. La coulĂ©e effectuĂ©e et la prise faite, on retire le tirefond de la traverse, tandis que la spirale reste dans le bĂ©ton. Le logement prĂ©sente un certain jeu, comblĂ© par un mastic bitumineux trĂšs adhĂ©sif en vue d'assurer un serrage parfait de l'attache. La rĂ©sistance Ă  l'arrachement serait de 10 tonnes. La figure 79 reprĂ©sente une variante d'attache par tirefond et crapaud, elle Ă©vite que la tĂȘte du tirefond soit en porte Ă  faux du cĂŽtĂ© opposĂ© au patin. Lorsque la traverse doit ĂȘtre isolante Ă©lectriquement circuits de voie du block automatique, le logement du tirefond est constituĂ© par une gaine en bakĂ©lite. Les faces supĂ©rieures des deux blochets sont disposĂ©es avec une inclinaison de 1/20. Au droit des rails, une encoche est pratiquĂ©e dans laquelle vient se placer la tablette Ă©lastique en bois comprimĂ©. Garniture hĂ©licoĂŻdale Thiollier. Fig. 78. - Attache par tirefond. Fig. 79. - Attache par tirefond et crapaud. La traverse Vagneux est utilisĂ©e sur des lignes de la rĂ©gion française de l'ancien P. L. M., sur le P. L. M. algĂ©rien et sur les chemins de fer tunisiens. D'aprĂšs les essais, l'emploi de la traverse Vagneux permettrait une Ă©conomie de ballast de 0,100 mÂł au mĂštre courant de voie. b Traverse mixte de la S. N. C. B. fig. 80 Ă  82. Cette traverse a Ă©tĂ© conçue pour remĂ©dier Ă  la pĂ©nurie de traverses en bois et elle a Ă©tĂ© rĂ©servĂ©e exclusivement aux voies de garage. Fig. 80 Ă  82. - Traverse mixte pour voies de garage de la S. N. C. B. On a recherchĂ© avant tout la simplicitĂ© et l'Ă©conomie. La traverse est constituĂ©e de 2 blochets de section modeste et faiblement armĂ©s, rĂ©unis par 2 tubes Ă  fumĂ©e en acier de chaudiĂšres de locomotives. Ces tubes sont recouverts de deux couches de minium de plomb. Ces tubes forment entretoises et, comme ils traversent les blochets de part en part, ils contribuent Ă  la rĂ©sistance des blochets eux-mĂȘmes. Les tubes Ă  fumĂ©e sont parfois remplacĂ©s par de vieux rails ou par des corniĂšres. c Traverse mixte Sonneville S. N. C. F. fig. 83 Ă  85. C'est une traverse en bĂ©ton armĂ© ordinaire non prĂ©contraint constituĂ©e par 2 blochets massifs Ă  assise large, rĂ©unis par une entretoise mĂ©tallique qui traverse les blochets d'outre en outre et qui constitue l'ossature principale des blochets. Fig. 83 Ă  85. - Traverse mixte Sonneville S. N. C. F.. La longueur de la traverse Sonneville est de 2,25 m, son poids d'environ 170 kg. Les boulons d'attache prennent appui par leur tĂȘte plate, non pas sur le bĂ©ton, mais bien sur les deux nez dĂ©coupĂ©s dans l'entretoise mĂ©tallique. L'Ă©crou de ces boulons presse sur un crapaud Ă©lastique constituĂ© d'une lame d'acier Ă  ressort repliĂ©e. Enfin, le rail repose sur une semelle en caoutchouc cannelĂ©. Le serrage sur le patin du rail serait suffisant pour maintenir le rail sous contrainte et supprimerait le cheminement du rail sur la traverse. Mise en place des boulons fig. 86. - On introduit le boulon de fixation par la cheminĂ©e verticale C1C1, la tĂȘte Ă©tant placĂ©e en croix avec l'entretoise mĂ©tallique. On lui fait subir ensuite 1/4 de tour pour l'insĂ©rer dans l'Ă©chancrure de l'entretoise. Fig. 86. - Traverse mixte Sonneville S. N. C. F..Mise en place des boulons de fixation. Pour rendre cette rotation possible, 2 cavitĂ©s C2C2 doivent ĂȘtre mĂ©nagĂ©es lors de la coulĂ©e de la traverse Ă  la faveur de la prĂ©sence de 2 noyaux NN. Les noyaux enlevĂ©s, il subsiste deux cheminĂ©es horizontales, lĂ©gĂšrement inclinĂ©es pour l'Ă©vacuation des eaux de pluie. Accessoirement, ces cheminĂ©es facilitent le transport des traverses en y introduisant une barre de fer. A l'extrahomĂštre, les boulons auraient atteint une rĂ©sistance Ă  la traction de 9 tonnes. 4. Traverses en bĂ©ton prĂ©contraint. Le bĂ©ton armĂ© pare Ă  l'insuffisance de rĂ©sistance Ă  la traction du bĂ©ton ordinaire par la prĂ©sence de barres d'acier dans les rĂ©gions soumises Ă  l'extension. Mais, par suite de l'adhĂ©rence du bĂ©ton Ă  l'acier de l'armature, le bĂ©ton suit les allongements que subissent les armatures sous les forces d'extension qui les sollicitent et, comme la capacitĂ© d'allongement du bĂ©ton est trĂšs limitĂ©e, dĂšs que la tension de l'acier dĂ©passe quelque 10 kg/mmÂČ, le bĂ©ton se fissure. Par ailleurs, lors de son durcissement, le bĂ©ton est plus ou moins empĂȘchĂ© de subir librement son retrait par suite de son adhĂ©rence Ă  l'acier de l'armature et cet empĂȘchement suffit Ă  lui seul Ă  produire des fissures. La prĂ©contrainte ou compression initiale rĂ©sulte de la mise en tension prĂ©alable des tirants ou des fils d'armature, tirants ancrĂ©s aux extrĂ©mitĂ©s, entourĂ©s ou non de gaines. La tension des tirants se transmet au bĂ©ton sous forme d'une compression Ă©gale Ă  cette tension de sorte que la rĂ©sistance Ă  la fissuration est, en principe, Ă©gale Ă  la tension de prĂ©contrainte. Le retrait du bĂ©ton et le fluage diminuent la tension du tirant d'oĂč une perte de prĂ©contrainte mais si l'on constitue les tirants de fils d'acier de faible section et Ă  haute rĂ©sistance, on peut escompter que la perte de prĂ©contrainte ne dĂ©passera pas 15 %. Le plus gĂ©nĂ©ralement, on emploie des aciers trĂ©filĂ©s de 2 Ă  3 mm de diamĂštre dont la limite Ă©lastique est comprise entre 150 et 180 kg/mmÂČ et dont la rĂ©sistance Ă  la rupture atteint 200 kg/mmÂČ. Ils sont tendus Ă  un taux infĂ©rieur de 20 kg/mmÂČ Ă  la limite Ă©lastique. Au moment du bĂ©tonnage, il est nĂ©cessaire de vibrer le bĂ©ton afin d'assurer son homogĂ©nĂ©itĂ© parfaite. AppliquĂ©e aux traverses de chemin de fer, la prĂ©contrainte a pour but principal de combattre la fissuration du bĂ©ton. Beaucoup de rĂ©seaux s'intĂ©ressent Ă  la question, mais on en est toujours au stade expĂ©rimental. Les expĂ©riences statiques et dynamiques effectuĂ©es dans les laboratoires de l'UniversitĂ© de LiĂšge sur des traverses en bĂ©ton prĂ©contraint belges et britanniques attestent l'Ă©lasticitĂ© des fissures du bĂ©ton prĂ©contraint qu'elles se referment lors de l'enlĂšvement de la surcharge qui les produit. a Traverses françaises en bĂ©ton prĂ©contraint. Les directives de la S. N. C. F. selon lesquelles les traverses prĂ©contraintes ont Ă©tĂ© rĂ©alisĂ©es sont une forte Ă©paisseur sous le rail, un dĂ©crochement vertical de la partie centrale pour Ă©viter qu'elle porte sur le ballast, une Ă©paisseur au milieu rĂ©duite au minimum de maniĂšre Ă  rĂ©aliser le maximum de dĂ©formabilitĂ© et le minimum de poids, la concentration des aciers Ă  la partie infĂ©rieure, leur excentricitĂ© favorisant la rĂ©sistance aux moments positifs, les rainures cylindriques mĂ©nagĂ©es de part et d'autre du rail pour servir d'appui et de butĂ©e aux crapauds d'attache. b Traverse belge Franki-Bagon en bĂ©ton prĂ©contraint fig. 87. Cette traverse, mise Ă  l'essai en 1946, est constituĂ©e de 2 blochets armĂ©s, rĂ©unis par une entretoise, en bĂ©ton Ă©galement. Les 3 piĂšces sont serrĂ©es ensemble par une tige d'acier manganosiliceux de 15 mm de diamĂštre filetĂ©e et tendue Ă  55 kg/mmÂČ par le serrage des Ă©crous d'extrĂ©mitĂ©. La compression dans le bĂ©ton atteint 70 kg/cmÂČ. Des plaquettes de bois rĂ©sinifiĂ© sont interposĂ©es entre les blochets et l'entretoise et rĂ©alisent une semi-articulation. Celle-ci supprime la flexion de la partie centrale en cas de dĂ©nivellation des appuis sous les blochets. Le poids de la traverse Franki-Bagon est de 200 kg, sa longueur de 2,40 m. L'attache est constituĂ©e par une selle en acier imprimĂ©e » dans le bĂ©ton frais et maintenue sur la traverse par des boulons traversants fig. 88. La selle est pourvue de nervures emprisonnant un boulon Ă  tĂȘte plate agissant par serrage sur un crapaud comme dans l'attache Angleur-Athus. Fig. 87 et 88. - Traverse belge Franki-Bagon en bĂ©ton prĂ©contraint. Les attaches des traverses en bĂ©ton. - Les tirefonds sont encore largement utilisĂ©s pour fixer le rail sur les traverses en bĂ©ton. Ils sont vissĂ©s soit dans des blocs de bois dur qui ont en gĂ©nĂ©ral la forme d'un tronc de pyramide traverse Orion, page 59, traverse mixte de la S. N. C. B., page 62, soit dans des logements hĂ©licoĂŻdaux mĂ©nagĂ©s dans le bĂ©ton mais dont les filets sont renforcĂ©s par une garniture spirale mĂ©tallique Thiollier ou par une virole VV. Fig. 89. - Attache par boulon-tirefond avec crapaud Ă©lastique de la S. N. C. F. Sur les lignes Ă©lectrifiĂ©es, certains rĂ©seaux emploient des garnitures isolantes en matiĂšre coulĂ©e. Le tirefond presse soit directement sur le patin du rail, soit par l'intermĂ©diaire d'un crapaud page 44. A la S. N. C. F., le rail est maintenu sur les traverses en bĂ©ton prĂ©contraint par des boulons-tirefonds s'appuyant sur des crapauds Ă©lastiques constituĂ©s d'une barre plaie d'acier Ă  ressort fig. 89. Parmi les types d'attache les plus Ă©voluĂ©s, on note l'attache indirecte par selle avec fixations indĂ©pendantes du rail et de la selle ; l'attache directe par tirefonds ou par boulons-tirefonds vissĂ©s les uns et les autres dans des garnitures Thiollier au encore par boulons traversant la poutre de part en part. Semelles intercalaires. - Pour Ă©viter le contact direct de l'acier sur le bĂ©ton, certains rĂ©seaux interposent une semelle entre le rail et la traverse. On rencontre des selles en caoutchouc spĂ©cial, en acier, en bois imprĂ©gnĂ© et comprimĂ©, en bois lamellĂ© et bakĂ©lisĂ©. 5. Conclusions. Le poids de la traverse en bĂ©ton est au moins double et parfois triple de celui d'une traverse en bois de chĂȘne 80 kg ce qui rend sa manutention plus difficile. La fragilitĂ© relative du bĂ©ton exige que la traverse soit traitĂ©e avec plus de mĂ©nagement que la traverse en bois. Par suite de son poids Ă©levĂ©, la traverse en bĂ©ton assure une meilleure stabilitĂ© de la voie ; mais elle donne une voie plus rigide car elle ne possĂšde pas l'Ă©lasticitĂ© de la traverse en bois. Par contre, elle procure une Ă©conomie de ballast et elle est peu sensible aux agents atmosphĂ©riques. L'Ă©conomie de ballast provient de ce que la traverse en bĂ©ton armĂ© Ă©tant plus courte, le lit de ballast est moins large. Par ailleurs, comme elle est plus lourde, il n'est pas nĂ©cessaire de contrebuter les tĂȘtes de la traverse par du ballast, ni de remplir les intervalles entre les traverses ; il suffit d'y placer juste assez de ballast pour que les traverses ne se dĂ©chaussent pas. Comme le serpentage de la voie provoquĂ© par la dilatation brusque des rails est prĂ©cĂ©dĂ© d'un soulĂšvement de la voie qui supprime le frottement sur le ballast, la traverse en bĂ©ton, plus lourde, peut, toutes choses Ă©gales, retarder le moment oĂč le serpentage se dĂ©clenche. La traverse en bĂ©ton est particuliĂšrement intĂ©ressante pour les Colonies oĂč les traverses en bois sont attaquĂ©es par les termites et oĂč les traverses mĂ©talliques doivent gĂ©nĂ©ralement ĂȘtre importĂ©es ce qui en relĂšve le prix, alors qu'il est souvent possible de trouver sur place les matĂ©riaux nĂ©cessaires Ă  la fabrication de la traverse en bĂ©ton, l'armature en acier exceptĂ©e. La traverse en bĂ©ton trouvera aussi son emploi lĂ  oĂč les traverses en bois pĂ©rissent par pourriture, c'est-Ă -dire sur les lignes secondaires. Ici, en effet, la destruction organique prĂ©cĂšde la destruction mĂ©canique. Sur les lignes principales oĂč la destruction des traverses est due avant tout Ă  des causes mĂ©caniques, l'expĂ©rience dira quelle sera la durĂ©e des traverses en bĂ©ton. A cet Ă©gard, il n'y a pas que la rĂ©sistance de la traverse elle-mĂȘme, il y a encore et l'on pourrait dire, il y a surtout la rĂ©sistance de l'attache et de sa liaison avec le bĂ©ton. Dans la plupart des cas, c'est l'insuffisance du systĂšme d'attache qui a contribuĂ© pour une large part Ă  l'insuccĂšs d'un type de traverse. L'attache doit pouvoir rĂ©sister Ă  l'arrachement Ă  des efforts, mesurĂ©s Ă  l'extraho-mĂštre, de quelque kg. Nous avons dĂ©fini page 41, § 8, les avantages propres Ă  la traverse en bois et notamment la possibilitĂ© de remĂ©dier sur place Ă  une attache dĂ©fectueuse. Rien de semblable n'existe pour la traverse en bĂ©ton qui, du point de vue de l'attache, ne paraĂźt pas encore au point. La nature du ballast prĂ©sente une grande importance pour la rĂ©sistance des traverses en bĂ©ton. Le ballast fin, qui peut le mieux garantir une distribution uniforme de la rĂ©action, a donnĂ© les meilleurs rĂ©sultats. Le prix de revient dĂ©pend des dimensions, autrement dit, du poids de la traverse et du poids d'acier de l'armature ; mais il dĂ©pend aussi de la disposition plus ou moins heureuse du chantier de fabrication, c'est-Ă -dire de sa proximitĂ© ou non du lieu d'utilisation. A quel type de traverse en bĂ©ton faut-il donner la prĂ©fĂ©rence ? Il serait tĂ©mĂ©raire de donner une rĂ©ponse Ă  cette question, car seule une expĂ©rience de quelque 25 ans pourrait en fournir les Ă©lĂ©ments. La traverse mixte offre une bonne solution thĂ©orique du problĂšme de la traverse en bĂ©ton armĂ© ordinaire mais rien ne dit que des traverses prismatiques rationnellement conçues, notamment de maniĂšre Ă  Ă©viter de façon certaine la rĂ©action du ballast en leur milieu, ne donneront pas de bons rĂ©sultats. Cependant, si l'on se reporte aux Ă©changes de vue qui eurent lieu entre spĂ©cialistes lors du CongrĂšs international des chemins de fer en juin 1949 Ă  Lisbonne, les constatations suivantes se dĂ©gagent. L'emploi des traverses en bĂ©ton armĂ© classique est encore trĂšs limitĂ©. Leur comportement sur les lignes Ă  trafic lourd et rapide n'a pas Ă©tĂ© satisfaisant. Pour cette raison, sur certains rĂ©seaux, leur emploi a Ă©tĂ© limitĂ© aux lignes secondaires Ă  trafic faible ou aux voies de garage. L'intĂ©rĂȘt se concentre sur les traverses prĂ©contraintes. Compte tenu des rĂ©sultats rĂ©alisĂ©s lors des essais en laboratoire, on peut espĂ©rer que les traverses prĂ©contraintes donneront des rĂ©sultats satisfaisants sur les lignes Ă  trafic lourd et rapide, surtout si elles sont Ă©quipĂ©es d'attaches Ă©lastiques. Enfin, pour que l'emploi des traverses en bĂ©ton armĂ©, prĂ©contraint ou non, puisse prĂ©senter de rĂ©els avantages Ă©conomiques par rapport Ă  celui des traverses en bois et mĂ©talliques, il est nĂ©cessaire que leur coĂ»t de fabrication subisse une rĂ©duction importante par rapport au prix actuel. CHAPITRE IVPose de la voie A l'origine de la pose de la voie, le ballast est dĂ©versĂ© sur la plateforme et rĂ©galĂ© Ă  la hauteur des faces infĂ©rieures des traverses ; les traverses sont alignĂ©es transversalement sensiblement Ă  l'endroit qu'elles doivent occuper ; les rails sont dĂ©posĂ©s provisoirement bout Ă  bout, mais ils sont placĂ©s Ă  peu prĂšs Ă  leur Ă©cartement normal ; ils sont Ă©clisses sommairement en ayant soin de placer entre eux une cale provisoire dont l'Ă©paisseur correspond Ă  l'ouverture du joint de dilatation. Cette pose provisoire achevĂ©e Ă  la faveur de quelques tirefonnages de traverses une sur trois ou quatre, on procĂšde Ă  la mise en place exacte des traverses, celles-ci sont ensuite tirefonnĂ©es. Le ballast devant constituer la couche supĂ©rieure, est refoulĂ© sous les traverses et la voie est amenĂ©e par relĂšvements successifs Ă  la pince au niveau voulu. Il s'agit alors de procĂ©der au dressage provisoire en alignement, puis de dresser la voie dans le sens de la hauteur c'est-Ă -dire de procĂ©der au relevage au niveau donnĂ© par les piquets de hauteur et au moyen de mires ou d'un jeu de nivelettes. Le relevage terminĂ© c'est-Ă -dire les deux files de rails Ă©tant bien Ă  la hauteur voulue, commence l'opĂ©ration trĂšs importante du bourrage. Le bourrage. Le bourrage a pour but de donner une bonne assiette aux traverses c'est-Ă -dire de consolider leur position pour qu'elles n'aient aucune tendance Ă  s'affaisser ou s'incliner de quelque cĂŽtĂ© que ce soit. Fig. 90Diagramme de l'intensitĂ© du bourrage. Il est logique que le bourrage de la traverse soit le plus intense au point d'application de la charge, c'est-Ă -dire au droit du rail et puis, qu'il aille graduellement en diminuant, jusqu'Ă  40 ou 50 centimĂštres vers l'intĂ©rieur de la voie et, Ă  l'extĂ©rieur, jusqu'Ă  l'extrĂ©mitĂ© de la traverse fig. 90. La partie centrale de la traverse ne doit pas ĂȘtre bourrĂ©e, mais simplement garnie de ballast, de maniĂšre qu'il n'y ait pas de vides qui permettraient le dĂ©bourrage des parties voisines sous l'action des charges roulantes. Le bourrage des pierrailles se fait Ă  la pioche par Ă©quipe de quatre hommes attaquant la traverse de quatre cĂŽtĂ©s Ă  la fois ; l'opĂ©ration s'effectue en deux phases fig. 91 et 92. Dans la premiĂšre phase, les ouvriers occupent les positions 1 Ă  4, deux se plaçant entre les rails, les deux autres au dehors fig. 91. 91. - Bourrage d'une traverse. Dans la seconde phase, les ouvriers occupent les positions symĂ©triques par rapport Ă  l'axe de la traverse fig. 92. 92. - Bourrage d'une traverse. Les premiers coups de pioche sont donnĂ©s presque verticalement afin d'augmenter la cohĂ©sion du ballast, puis on incline peu Ă  peu l'outil et l'on termine par des coups presque horizontaux, en Ă©vitant de toucher les traverses et les rails. On reconnaĂźt que la traverse est suffisamment bourrĂ©e au son qu'elle rend quand on laisse tomber verticalement et d'une certaine hauteur, la tĂȘte d'une pince Ă  riper ou d'une canne Ă  boule sur chaque tĂȘte de traverse. Remarque. - A proprement parler, l'ouvrier ne bourre pas la voie, il la nivelle ; en rĂ©alitĂ©, c'est le train qui bourre la voie. L'ouvrier ne pourrait soulever la voie en la bourrant. Nous parlerons ultĂ©rieurement du bourrage mĂ©canique. Dressage dĂ©finitif de la voie. Sous l'effet du bourrage, des altĂ©rations lĂ©gĂšres dans la position de la voie peuvent se produire. On les corrige par le dressage dĂ©finitif qui se fait avec les mĂȘmes outils et les mĂȘmes mĂ©thodes que le dressage provisoire mais avec plus de soins encore. Éclissage. La voie Ă©tant bourrĂ©e et dressĂ©e dĂ©finitivement, on complĂšte l'Ă©clissage des rails et l'on place Ă©ventuellement les dispositifs anticheminants. RĂ©galage du ballast. Pour achever la pose de la voie, il ne reste plus qu'Ă  rĂ©galer le ballast et les banquettes d'aprĂšs les profils imposĂ©s et Ă  faire la toilette de la voie, des accotements et des fossĂ©s. Remarque. - Quelque temps aprĂšs la mise en service de la voie, il se produit sur remblai neuf un tassement gĂ©nĂ©ral auquel il faut remĂ©dier en relevant la voie pour la ramener Ă  son niveau primitif. AprĂšs le passage d'un certain nombre de trains lourds, on procĂšde Ă  un relĂšvement qui donne Ă  la voie son assiette dĂ©finitive. CHAPITRE VEntretien de la voie Cette question, qui s'adresse plutĂŽt aux gens de mĂ©tier, demanderait pour son Ă©tude un dĂ©veloppement qui ne peut trouver place ici. Nous dirons cependant quelques mots des mĂ©thodes de revision » et du soufflage » qui posent des questions de principe que les spĂ©cialistes agitent volontiers. Les mĂ©thodes d'entretien des voies se classent en deux modes de travail la revision mĂ©thodique intĂ©grale ou rĂ©duite ; l'entretien en recherche ». La revision mĂ©thodique intĂ©grale consiste Ă  corriger pĂ©riodiquement et d'une maniĂšre complĂšte toutes les dĂ©fectuositĂ©s constatĂ©es Ă  la superstructure et Ă  Ă©liminer les causes de ces dĂ©fectuositĂ©s, de telle maniĂšre que le maintien en bon Ă©tat de la voie soit assurĂ© jusqu'Ă  la prochaine revision. Certains rĂ©seaux adoptent une mĂ©thode mixte ; ils procĂšdent Ă  la revision mĂ©thodique intĂ©grale d'une partie de leurs voies et soumettent Ă  une revision mĂ©thodique rĂ©duite l'autre partie. L'intervalle de temps entre deux revisions intĂ©grales dĂ©pend naturellement du type de voie, de son Ăąge, de la qualitĂ© du matĂ©riel employĂ©, de la nature de ballast, de la constitution de la plateforme, des courbes, des dĂ©clivitĂ©s, des conditions climatologiques locales et surtout de la charge des essieux, du nombre et de la vitesse des trains. L'entretien en recherche consiste Ă  dĂ©pister les points de la voie oĂč se sont produites des dĂ©fectuositĂ©s et Ă  les corriger en temps utile ; par exemple dĂ©formations en plan et en profil, traverses Ă©branlĂ©es, traverses danseuses note 072, attaches et Ă©clisses desserrĂ©es, cheminement des rails, jeu de dilatation supprimĂ©, etc. C'est aussi par l'entretien en recherche qu'on remĂ©die aux imperfections d'une voie nouvelle qui n'a pas encore pris toute son assiette ; cette voie doit ĂȘtre au dĂ©but surveillĂ©e et entretenue jusqu'Ă  ce qu'elle puisse entrer dans le cycle des revisions. Du point de vue Ă©conomique, le plus grave dĂ©faut de l'entretien en recherche rĂ©side dans la difficultĂ© de contrĂŽler le travail et par consĂ©quent le rendement. L'entretien en recherche ne permet jamais d'obtenir une voie parfaite ; aprĂšs un certain temps, la voie comporte trop de matĂ©riaux de qualitĂ©, d'usure, d'Ăąge diffĂ©rents et, finalement, on est obligĂ© de procĂ©der Ă  un renouvellement complet, renouvellement qui est cependant prĂ©maturĂ© pour certains Ă©lĂ©ments. Les travaux de revision mĂ©thodique s'exĂ©cutent dans les conditions les plus favorables des points de vue technique et Ă©conomique. Ils remĂ©dient aux dĂ©fauts cachĂ©s qui Ă©chappent Ă  l'entretien en recherche. S'ils gĂȘnent davantage la circulation des trains, on peut s'y prĂ©parer beaucoup plus mĂ©thodiquement modification des horaires, circulation Ă  simple voie. Par ailleurs, ces troubles dans l'exploitation ne se reproduisent qu'Ă  des intervalles plus longs. Le soufflage. Lors de l'entretien des voies en exploitation et Ă  l'occasion des revisions intĂ©grales, on est amenĂ© entre autres opĂ©rations Ă  procĂ©der au bourrage des traverses de la maniĂšre indiquĂ©e prĂ©cĂ©demment page 71. Habituellement, on a recours au bourrage lorsque la hauteur dont la voie doit ĂȘtre relevĂ©e est supĂ©rieure Ă  4 cm. Dans ce cas, toutes les traverses sans exception sont bourrĂ©es. Mais, lorsque le relevage de la voie ne doit pas dĂ©passer 4 cm, le procĂ©dĂ© du soufflage » remplace le bourrage pour la consolidation des traverses. La pratique du soufflage a Ă©tĂ© imaginĂ©e par les chemins de fer anglais. Introduite en France en 1910 sur les chemins de fer du Nord, elle y a Ă©tĂ© perfectionnĂ©e en 1928 sous la forme du soufflage mesurĂ© ». C'est sous cette modalitĂ© qu'elle est appliquĂ©e sur les chemins de fer belges depuis 1930. Le soufflage proprement dit consiste Ă  Ă©taler sur les moules, avec une pelle plate, une couche convenable de pierrailles anguleuses et dures. On soulĂšve prĂ©alablement la voie de 5 Ă  8 cm et on Ă©tale la grenaille sur le moule sur une longueur de 50 cm de part et d'autre du rail et sur toute la largeur de la traverse. L'ouvrier souffleur prend sur sa pelle l'Ă©paisseur requise de ballast en gĂ©nĂ©ral 1 1/2 fois le vide Ă  racheter, il introduit sa pelletĂ©e entre le moule et la traverse levĂ©e, puis, d'un retrait brusque de sa pelle ou par petites secousses, il distribue la grenaille uniformĂ©ment sur le moule. Le soufflage terminĂ©, ou laisse redescendre la voie ; les traverses soufflĂ©es se trouvent alors Ă  un niveau lĂ©gĂšrement supĂ©rieur Ă  leur niveau normal mais, aprĂšs le passage de quelques trains, elles sont ramenĂ©es au niveau voulu. Soufflage mesurĂ© ». Il est possible de niveler une voie avec une grande prĂ©cision en dĂ©terminant exactement les imperfections des profils transversaux et longitudinaux et en mesurant en outre avec prĂ©cision la hauteur des creux sous les traverses danseuses ». Des appareils de mesure appropriĂ©s sont utilisĂ©s pour la dĂ©termination des dĂ©fauts de la voie les dĂ©nivellations transversales se mesurent au moyen du niveau note 074_1 ; les dĂ©nivellations longitudinales au moyen du viseur note 074_2 et de la mire note 074_3 ; la hauteur des creux sous les traverses Ă  l'aide du dansomĂštre fig. 93 et 94. Fig. 93 et 94. - DansomĂštre. Il suffit alors d'introduire sous les traverses une quantitĂ© de ballast en rapport avec l'importance de ces dĂ©nivellations et de ces creux. Le soufflage permet de rĂ©aliser jusqu'Ă  30 % d'Ă©conomie sur la main-d'Ɠuvre, par rapport au bourrage. DansomĂštre. Pour apprĂ©cier l'amplitude des mouvements d'une traverse danseuse, on se sert d'un dansomĂštre. Celui-ci est constituĂ© d'un trĂ©pied ABC que l'on installe sur le bout de la traverse c'est-Ă -dire Ă  l'extĂ©rieur de la voie fig. 93 et 94. Les trois pieds prennent appui sur le ballast et la tige centrale sur la traverse. La tige centrale T est sollicitĂ©e vers le bas par le ressort R de telle maniĂšre que son extrĂ©mitĂ© E presse constamment sur la traverse. Fig. 95. - Cale graduĂ©e. Le curseur qui glisse Ă  frottement doux sur la tige est amenĂ© au contact du sommet du trĂ©pied. DĂšs que passe un train, la traverse danseuse s'affaisse, la tige T descend, mais le curseur est arrĂȘtĂ© dans la descente. Quand le train est passĂ©, la distance entre le sommet de l'appareil et le curseur, remontĂ© avec la tige, mesure le vide maximum qui s'est produit sous la traverse lors du passage des essieux. Cette distance s'Ă©value pratiquement au moyen d'une cale graduĂ©e fig. 95. Fig. 96. - Mesure de la dĂ©nivellation aux joints des rails. Les chemins de fer belges utilisent Ă©galement une variante de cet appareil dans laquelle la tige T se termine par une pointe acĂ©rĂ©e qui, pĂ©nĂ©trant dans la traverse, suit les mouvements de celle-ci. Lorsqu'on procĂšde Ă  l'entretien en recherche, on se borne au mesurage des dĂ©nivellations longitudinales aux joints des rails. A cet effet, on utilise un fil d'acier AB extra dur de 1 mm de diamĂštre, fortement tendu fig. 96 et 97, et qui forme la base d'un triangle dont les deux autres cĂŽtĂ©s sont constituĂ©s de deux piĂšces de frĂȘne de 3 m de longueur, articulĂ©es Ă  leur sommet commun et formant cavalier. Fig. 97 Ce cavalier se pose longitudinalement sur le rail de telle maniĂšre que son sommet se trouve au droit du joint Ă  examiner, le fil tendu le long du rail passant au-dessus du joint dĂ©fectueux. On mesure la dĂ©nivellation du joint sous le fil d'acier tendu, au moyen de la cale dont il a Ă©tĂ© question plus haut et reprĂ©sentĂ©e fig. 95. Dans les cas oĂč le joint se serait exceptionnellement relevĂ© au lieu de s'ĂȘtre affaissĂ©, on interpose entre les extrĂ©mitĂ©s A et B et le rail des cales d'Ă©gales Ă©paisseurs. La mĂ©canisation des travaux d'entretien et de renouvellement de la voie Pour quelles raisons cherche-t-on Ă  Ă©tendre la mĂ©canisation des travaux de la voie ? 1° Les travaux gĂȘnent l'exploitation. Or, si le volume du trafic n'est pas toujours en augmentation, le nombre des trains lui, ne cesse de s'accroĂźtre. En effet, en matiĂšre de trafic voyageurs, on tend de plus en plus vers une exploitation par trains nombreux et rapides et, partant, lĂ©gers. L'application du frein Ă  air comprimĂ©, continu et automatique aux trains de marchandises permet un relĂšvement de leur vitesse, or cette plus grande vitesse s'accommode mieux de trains relativement lĂ©gers mais plus nombreux. Les travaux entravent la circulation des trains ralentissements, mise Ă  simple voie, occupation des voies par le dĂ©chargement et l'enlĂšvement des matĂ©riaux ballast, traverses, selles, tirefonds, rails, Ă©clisses, boulons, etc.. Il s'agit donc de rĂ©duire le temps consacrĂ© Ă  ces travaux par une organisation mĂ©thodique d'abord, par la mĂ©canisation ensuite. 2° La main-d'Ɠuvre coĂ»te cher et la mĂ©canisation permet de l'Ă©conomiser. 3° Il faut s'efforcer de mettre autant que possible l'ouvrier dans la situation de conducteur d'une machine qui se chargera de la partie la plus pĂ©nible de son travail physique. Les rapports prĂ©sentĂ©s au CongrĂšs international des chemins de fer de Lucerne en juin 1947, et les discussions qui s'ensuivirent ont fait ressortir qu'en ce qui concerne les travaux de renouvellement, le stade expĂ©rimental de l'emploi des engins mĂ©caniques est dĂ©passĂ©. En France et en Angleterre notamment, plus de la moitiĂ© des travaux de renouvellement se font couramment par des procĂ©dĂ©s mĂ©caniques. La pose de la voie par travĂ©es entiĂšres n'est cependant possible que si le rail est assez court ; en AmĂ©rique, le rail mesure 40 pieds, en Angleterre, 60 pieds, en France, 24 mĂštres. Avec les rails belges de 27 mĂštres, une travĂ©e de cette longueur devient difficilement maniable flĂšche 1,39 m. Notons qu'en Belgique, sur toutes les lignes importantes, c'est le rail de 54 mĂštres qui devient la rĂšgle. Quant Ă  l'entretien courant, il peut ĂȘtre avantageusement fait par de petites Ă©quipes spĂ©ciales dotĂ©es d'un petit outillage mĂ©canique perfectionnĂ©. Aux avantages d'ordre Ă©conomique, il faut ajouter au crĂ©dit de la mĂ©canisation des avantages d'ordre social car elle allĂšge le travail des ouvriers. A. - Entretien. Pour les travaux d'entretien, l'outillage est pneumatique ou Ă©lectrique et commandĂ© par de petits groupes avec moteurs Ă  essence. Mais la tendance actuelle est de supprimer les groupes et leurs cĂąbles et d'actionner les engins par moteurs individuels Ă  essence ce qui rend les outils plus maniables. On utilise notamment les outils mĂ©caniques ci-aprĂšs Bourroirs Ă©lectriques ou Ă  air comprimĂ© frappant jusqu'Ă  20 coups par seconde, munis d'un sabot adaptĂ© Ă  la nature du ballast. Tirefonneuses Ă  moteur individuel pour visser et dĂ©visser les tirefonds, capables de dĂ©visser 15 Ă  20 tirefonds par minute moteur Ă  essence ± 5 CV, vitesse de l'outil ± 100 t/min. Perceuses de rails pour forer les trous des boulons des Ă©clisses moteur Ă  essence 2,5 CV, vitesse de l'outil Ă  t/min. Boutonneuses pour les Ă©clissages. DĂ©lardeuses pour le resabotage des traverses moteur 2 CV Ă  6 CV, rĂ©fection de 200 Ă  250 Ă©paulements Ă  l'heure. Scies entraĂźnĂ©es par moteur Ă  essence qui tronçonnent un rail en 6 Ă  10 minutes ; les abouts sont coupĂ©s d'Ă©querre et prĂ©sentent des surfaces bien nettes. Meulage des rails. Autotracteur pour la propulsion des trains de diplorries » note 077 transportant le matĂ©riel de voie. B. - Renouvellement. Dans les travaux de renouvellement, on va plus loin encore, on a créé des engins mĂ©caniques montĂ©s sur wagons, se dĂ©plaçant avec le travail lui-mĂȘme et au moyen desquels presque toutes les manutentions Ă  pied d'Ɠuvre sont supprimĂ©es. Dans ce cas, des travĂ©es de voie neuve complĂštes, comportant rails et traverses assemblĂ©s, sont prĂ©parĂ©es Ă  l'atelier puis amenĂ©es sur les chantiers. Elles sont dĂ©chargĂ©es du wagon et mises directement en place au moyen de potences montĂ©es sur le wagon. La dĂ©pose de la voie en mauvais Ă©tat et son chargement immĂ©diat sur wagon par travĂ©es complĂštes s'exĂ©cute de la mĂȘme façon. Épuration du ballast Machines dĂ©garnisseuses-cribleuses. En principe, le ballast Ă  Ă©purer est enlevĂ© par des godets, se dĂ©verse sur un tapis roulant qui le transporte dans le trommel oĂč il s'Ă©pure ; le ballast Ă©purĂ© retombe sur un tapis roulant qui le rejette sur la plateforme oĂč il se rĂ©partit uniformĂ©ment. Quant aux dĂ©chets provenant de l'Ă©puration, ils tombent du trommel sur un tapis roulant qui les Ă©vacue en dehors de la voie. Apport du ballast neuf AmenĂ© par wagons Ă  trĂ©mies, le ballast est dĂ©versĂ© immĂ©diatement dans la voie sur le ballast Ă©purĂ©. La voie est ensuite relevĂ©e et bourrĂ©e. Le rendement optimum des engins mĂ©caniques de dĂ©garnissage, Ă©puration du ballast et pose de la voie est obtenu lorsque le service de l'Exploitation rĂ©ussit, malgrĂ© les exigences du trafic, Ă  mettre Ă  la disposition du service de la voie de larges intervalles dans la circulation des trains. TROISIÈME PARTIELes Rails CHAPITRE IL'Ă©volution du rail Les chemins de fer actuels ont eu pour prĂ©curseurs les voies miniĂšres en bois », en usage depuis plus de quatre siĂšcles, au fond des charbonnages allemands du Harz et plus tard en Angleterre. On les retrouve, vers 1620, Ă  la surface des mines de houille en Angleterre. Les premiers charbonnages anglais Ă©taient Ă©tablis Ă  flanc de coteau le long des riviĂšres et Ă  quelque dix kilomĂštres des rivages de celles-ci. Le charbon, chargĂ© dans des tombereaux, Ă©tait amenĂ© le long des rivages et dĂ©versĂ© dans des bateaux qui descendaient les riviĂšres, puis les fleuves, longeaient les cĂŽtes et remontaient par d'autres cours d'eau dans l'intĂ©rieur des terres. Fig. 98. - OrniĂšres garnies de piĂšces de bois. Les tombereaux, traĂźnĂ©s par les chevaux, passant et repassant sans cesse par les mĂȘmes chemins, des orniĂšres plus ou moins profondes se creusaient dans le sol et, tantĂŽt la roue de droite, tantĂŽt la roue de gauche s'enfonçait dans le sol et donnait au tombereau une allure cahotĂ©e. Pour obtenir un chemin de roulement meilleur, parce que plus dur et de niveau, on disposa, dĂšs 1620 fig. 98 des planches ou des dalles dans les orniĂšres creusĂ©es par les roues. Pour les terrains plus ou moins meubles, la poutre de bois posĂ©e dans l'orniĂšre, en augmentant l'Ă©tendue de la surface d'appui, rĂ©duisait la pression par unitĂ© de surface. La diminution de l'effort Ă  faire pour traĂźner les tombereaux amena l'agrandissement du vĂ©hicule qui fut montĂ© sur quatre roues au lieu de deux et on l'appela waggon ». Pour protĂ©ger les parties les plus exposĂ©es au frottement, on cloua des lames ou des plaques de fonte sur les rails plats en bois fig. 99. Fig. 99. - Rails en bois garnis de plaques de fonte avec rebords extĂ©rieurs en bois. Enfin, pour empĂȘcher la roue de s'Ă©carter du chemin ainsi prĂ©parĂ©, on munit, en 1738, le rail d'un rebord extĂ©rieur fig. 99. En empĂȘchant ainsi la roue de dĂ©railler, on pouvait faire usage d'un chemin plus Ă©troit et, dĂšs lors, plus Ă©conomique. Fig. 100. - Rail en fonte en forme d'U de Reynolds. Plus tard, en 1767, Reynolds imagina un rail en fonte en forme d'U, posĂ© sur des longrines en bois fig. 100 note 080. Ces plaques de fonte devinrent finalement des rails plats Ă  rebords intĂ©rieurs pour guider les roues Ă  jante plate rail de Curr fig. 101. Fig. 101. - Rail en Ă©querre de Curr. Ces rails Ă©taient clouĂ©s sur des traverses en bois ou fixĂ©s sur des dĂ©s de pierre. Au XVIIIe siĂšcle, ces chemins spĂ©ciaux s'Ă©taient multipliĂ©s en Angleterre, surtout entre les mines et les embarcadĂšres, ils avaient jusqu'Ă  18 kilomĂštres de longueur. Il est Ă  remarquer que pour les Ă©tablir de niveau on avait exĂ©cutĂ© de grands travaux. Fig. 102. - Rail saillant de Jessop. Couramment, on payait un droit de passage pour obtenir des propriĂ©taires du sol entre la houillĂšre et la riviĂšre l'autorisation d'Ă©tablir sur leurs terrains ces chemins Ă  rails plats. Nous l'avons dit, l'invention des chemins de fer a eu pour but d'offrir Ă  la roue un meilleur chemin de roulement, mais du coup il fallait empĂȘcher la roue de quitter ce chemin, il fallait maintenir la roue sur la voie soit en conservant la roue Ă  jante plate et en donnant un rebord au rail fig. 101, soit en donnant un rebord Ă  la roue et en faisant usage d'un rail saillant rail de Jessop fig. 102. Ce fut une amĂ©lioration que de faire passer le rebord du rail Ă  la roue ; le rail saillant est, en effet, prĂ©fĂ©rable au rail en U fig. 100. Le rail en U, comme aussi le rail en Ă©querre fig. 101, mais dans une moindre mesure, retient en quelque sorte les pierres ou les objets qui viendraient accidentellement se poser sur le rail, les pierres ne pourraient que trĂšs exceptionnellement se maintenir en Ă©quilibre sur le rail saillant ; celui-ci favorise leur chute, il dĂ©gage mieux la surface de roulement. Fig. 103. - Rail subondulĂ© en fonte en ventre de poisson ». Mais la consĂ©quence de l'emploi du rail saillant fut considĂ©rable, il faisait de la voie un chemin spĂ©cial sur lequel ne pouvaient plus rouler les vĂ©hicules ordinaires Ă  jante plate, ipso facto, le chemin de fer devenait indĂ©pendant de la route ordinaire. Les rails saillants de 1789 sont en fonte ; comme la fonte est peu rĂ©sistante, ces rails sont trĂšs courts ; ils mesurent seulement un yard de longueur 0,914 m. En 1816, on leur donna la forme dite en ventre de poisson » qui se rapproche de la forme d'un solide d'Ă©gale rĂ©sistance fig. 103. Fig. 106. - Voie continentale en rails Ă  patin Vignole en fer forgĂ©. DĂšs ce moment, si rudimentaire qu'elle soit, la voie est cependant assez robuste pour recevoir la locomotive. Aussi, est-ce de cette Ă©poque, l'annĂ©e 1800, que commence peut-on dire, l'histoire de la locomotive sur rails. Nous disons sur rails, car elle eut un prĂ©curseur sur route. Fig. 107. - Voie anglaise en rails Ă  double bourrelet en fer forgĂ©. En 1825, sur la ligne de Stockton Ă  Darlington, on pose, Ă  titre d'essai, une moitiĂ© des rails en fer forgĂ©, l'autre moitiĂ© Ă©tant toujours en fonte. Les rails en fer forgĂ© sont aussi du type en ventre de poisson, ils pĂšsent 25 livres par yard. Il s'agissait aussi de dĂ©terminer la largeur de la voie. Elle dĂ©rive de l'Ă©cartement intĂ©rieur des jantes des vĂ©hicules ordinaires du pays employĂ©s sur les routes et dont on se servait sur les chemins Ă  orniĂšres de fer. Georges Stephenson adopta 4 pieds 8 1/2 pouces, soit 1,435 m note 082. Enfin, du rail subondulĂ© Ă  un bourrelet et sans patin, sont nĂ©s les rails Ă  bords parallĂšles vers 1832, le rail Ă  patin dit Vignole fig. 104 et, vers 1838, le rail Ă  double bourrelet fig. 105 qui constituent l'un et l'autre les prototypes de la voie actuelle fig. 106 et 107. CHAPITRE IIGĂ©nĂ©ralitĂ©s Le rail supporte et guide la roue du matĂ©riel roulant, c'est donc l'Ă©lĂ©ment essentiel de la sĂ©curitĂ© de la voie. Les rails reçoivent directement les efforts qui s'exercent sur la voie, ces efforts sont verticaux, transversaux et longitudinaux fig. 108. Fig. 108 A. Les efforts verticaux sont de deux sortes Les efforts statiques dĂ»s Ă  la charge des roues des vĂ©hicules. Charge maximum par essieu en Belgique, 24,7t ; en France, 21,5 t ; en Suisse, 21,5 t ; en Allemagne, 25 t ; en Hollande, 48,5 t ; en Italie, 22 t ; en Angleterre, 22 t ; en AmĂ©rique, 36 t. Les efforts dynamiques. Dans une locomotive Ă  vapeur en mouvement, la charge statique peut s'accroĂźtre considĂ©rablement par l'action de la composante verticale de l'effort oblique des bielles motrices ; par les effets d'inertie des piĂšces en mouvement liĂ©es Ă  la roue Ă©quilibrage Ă©ventuellement insuffisant des piĂšces Ă  mouvement rotatif, effet des contrepoids rotatifs d'Ă©quilibre des piĂšces Ă  mouvement alternatif ; la rĂ©partition du poids de la locomotive entre les essieux varie par suite des dĂ©nivellations accidentelles des rails ; en courbe, sous l'effet de la force centrifuge gĂ©nĂ©ralement incomplĂštement Ă©quilibrĂ©e par le dĂ©vers, la charge d'un mĂȘme essieu se rĂ©partit inĂ©galement entre les deux roues. L'augmentation de la pression statique atteint facilement ±20 % aux vitesses infĂ©rieures Ă  80 km/h, ± 30 % aux vitesses comprises entre 80 et 110 km/h. En cas de concordance des efforts, la charge statique peut mĂȘme ĂȘtre doublĂ©e. Pour tenir compte de la vitesse effets d'impact, l'ingĂ©nieur hollandais Driessen applique un coefficient de vitesse Cv , coefficient dĂ©duit de ses observations personnelles. Pour V = 100 km/h, Cv = 1,33. N'ayant fait ses expĂ©riences qu'aux vitesses de 60 et de 90 km/h, M. Driessen pense que le dĂ©nominateur de ce coefficient devrait ĂȘtre revu pour des vitesses supĂ©rieures Ă  100 km/h. Pour 160 km/h, Cv = 1,85, mais rien ne dit que ce soit exagĂ©rĂ©. Ce coefficient se rapporte Ă  des trains remorquĂ©s par des locomotives Ă  vapeur, pour lesquelles l'effet de l'obliquitĂ© des bielles et les effets d'inertie repris aux § 1° et 2° ci-dessus interviennent, on peut penser que pour des locomotives Ă©lectriques ou des automotrices Ă©lectriques, ce coefficient donnerait des chiffres trop Ă©levĂ©s. D'aprĂšs Driessen, la charge sur une traverse ne doit pas dĂ©passer 13 tonnes, compte tenu du coefficient d'impact. Distance moyenne d'axe en axe des traverses 67,3 cm Locomotive Ă  vapeurtype 1 2-3-1V=120 km/h Locomotive Ă  vapeurtype 12 2-2-1V=140 km/h Locomotive Ă©lectriqueBoBo Ă  4 essieux moteurs Tension totale en kg/cmÂČ dans le rail belge de 50 kg/ m 1 2 3 4 5 6 1 2 3 4 5 1 2 3 4 649 540 806 853 827 600 970 625 508 827 en kg/cmÂČ en kg/cmÂČ en kg/cmÂČ Charge totale en tonnes sur une traverse belge en bois de 2,60 m x 0,26 m 7,20 12,38 7,60 6,00 12,80 5,80 5,80 9,35 12,44 7,33 9,43 5,80 en tonnes en tonnes en tonnes N. B. - Les chiffres ci-dessus ont Ă©tĂ© calculĂ©s d'aprĂšs la mĂ©thode Driessen compte tenu du coefficient de vitesse et d'un supplĂ©ment dĂ©rivĂ© de donnĂ©es anglaises. B. Les efforts transversaux Et se produisent au contact du bourrelet du rail et de la surface de roulement du bandage de la roue. Ces efforts ont pour limite le produit fP de la charge P de la roue par le coefficient de frottement f. Celui-ci est, dans les conditions moyennes, Ă©gal Ă  1/6 ; quand ces efforts transversaux sont suffisants pour vaincre le frottement, la roue glisse sur le rail et c'est alors un choc du mentonnet du bandage qui se produit contre la face latĂ©rale du bourrelet du rail. Ces efforts transversaux sont provoquĂ©s par la circulation en courbe et par les mouvements de lacet. Dans le mouvement d'orientation progressive en courbe, la roue avant gauche de la locomotive attaque le rail extĂ©rieur de la courbe fig. 109. Fig. 109 Les mouvements de lacet sont dĂ»s aux inĂ©galitĂ©s de la voie, aux modalitĂ©s de construction des locomotives position et nombre de cylindres, etc., jeu des essieux, rĂ©action des vĂ©hicules attelĂ©s. De tous ces efforts transversaux, ce sont les chocs qui sont les plus dangereux. S'exerçant au sommet du rail, ils tendent Ă  le renverser fig. 122, ils forcent sur les attaches, ils peuvent aussi provoquer le ripage de la voie. Ils seront d'autant plus nuisibles que la hauteur du rail sera plus grande et que la largeur du patin sera plus petite. C. Les efforts longitudinaux El. Le mouvement de progression de la locomotive obtenu par l'adhĂ©rence des roues motrices sur le rail provoque une rĂ©action qui tend Ă  faire cheminer le rail en sens contraire du mouvement. Aux joints, les chocs de toutes les roues du train sur le bout des rails tendent au contraire Ă  dĂ©placer le rail vers l'avant note 085. Les effets de la dilatation s'exercent Ă©galement dans le sens longitudinal. ** * On devra donc avoir Ă©gard Ă  toutes ces sollicitations pour Ă©tudier le profil du rail, la nature du mĂ©tal, la pose mĂȘme du rail verticale ou inclinĂ©e, le nombre d'appuis et leur surface, les modes d'attache aux traverses, la constitution des joints, etc., puisqu'aussi bien ces efforts peuvent provoquer la dĂ©formation, le bris, le renversement, le dĂ©placement et l'usure du rail. Mieux auront Ă©tĂ© rĂ©solus ces problĂšmes, mieux sera garantie la sĂ©curitĂ© et moindres seront les dĂ©penses d'entretien et de renouvellement. CHAPITRE IIIProfils des rails Il existe trois formes principales de rails le rail Ă  patin, dit rail Vignole note 086 fig. 110 ; le rail Ă  double bourrelet ou bull headed tĂȘte de taureau fig. 111, appelĂ© aussi rail Ă  coussinets ; le rail Ă  orniĂšre fig. 130, que les sociĂ©tĂ©s de tramways et les chemins de fer secondaires utilisent dans les agglomĂ©rations. Le rail Ă  patin Vignole. Le rail Ă  patin est d'un usage pour ainsi dire mondial et Ă  l'heure actuelle, mĂȘme l'Angleterre et les parties du rĂ©seau français qui constituaient anciennement les lignes de l'État, du Paris-OrlĂ©ans et du Midi, ont renoncĂ© au rail Ă  double bourrelet qu'elles utilisaient jusqu'en ces derniĂšres annĂ©es. Le rail Ă  patin se compose de trois parties le bourrelet ou champignon, l'Ăąme, le patin. 1° Le bourrelet. Le profil du bourrelet du rail et celui du bandage de la roue sont Ă©tudiĂ©s en vue de rĂ©aliser les meilleures conditions de roulement et d'assurer le guidage le plus satisfaisant du mentonnet de la roue fig. 112. Le rail, inclinĂ© gĂ©nĂ©ralement au 1/20 sur la verticale, offre Ă  la roue une surface de roulement lĂ©gĂšrement bombĂ©e. D'autre part, la surface de roulement BC du bandage est inclinĂ©e au 1/20, cette conicitĂ© de la roue ramĂšne constamment le train de roues dans l'axe de la voie et empĂȘche les mentonnets des roues de frotter contre les rails. En effet, en ligne droite, par suite de cette conicitĂ©, l'essieu repose sur le rail par deux cĂŽnes opposĂ©s, la position d'Ă©quilibre est situĂ©e symĂ©triquement par rapport aux deux rails. L'essieu est rappelĂ© dans l'axe par son propre poids. Sous l'action de la pesanteur, l'essieu tend Ă  se placer par rapport aux deux rails, dans une position telle que son centre de gravitĂ© se trouve au point le plus bas. Il en est ainsi lorsque l'essieu est rigoureusement dans l'axe de la voie. Du cĂŽtĂ© extĂ©rieur, en AB, l'inclinaison du bandage est plus forte 1/10 pour Ă©viter qu'il se produise un bourrelet en cet endroit. La surface de roulement du bandage se raccorde au mentonnet par un congĂ© de rayon r un peu plus grand que celui du rail r' fig. 113. Des Ă©tudes ont montrĂ© que le taux de la tension Ă©lastique qui se produit au contact du bandage des roues et du bourrelet du rail augmente trĂšs rapidement si l'on diminue le rayon r du congĂ© du bourrelet du rail. Enfin, le mentonnet du bandage prĂ©sente au rail une ligne inclinĂ©e Ă  60° environ sur l'horizontale fig. 112. Lorsque, pour une cause quelconque, en courbe notamment, la roue tend Ă  escalader Le rail, le contact entre le rail et le bandage s'Ă©tablit suivant cette ligne inclinĂ©e Ă  60° et, lorsque la charge verticale supportĂ©e par la roue est suffisante, le bandage glisse d'une façon permanente suivant cette ligne inclinĂ©e et tout risque de dĂ©raillement est Ă©cartĂ©. Mais si, au contraire, la charge verticale de la roue Ă©tait trop faible ou si l'inclinaison Ă©tait notablement moindre que 60°, le dĂ©raillement pourrait se produire par simple escalade du rail note 088_1. L'expĂ©rience a montrĂ© que l'inclinaison de 60° Ă©tait celle qui donnait le maximum de garantie. Une inclinaison plus raide, 80° par exemple, donnerait plus de sĂ©curitĂ© contre le dĂ©raillement en se plaçant du point de vue que nous venons d'envisager ; mais, par contre, le profil du bandage s'accommoderait alors moins bien de toute irrĂ©gularitĂ© dans l'alignement des rails, aux joints fig. 114. Fig. 114 La situation deviendrait particuliĂšrement dangereuse si, Ă  la suite d'une usure anormale, la face considĂ©rĂ©e du mentonnet devenait verticale mentonnet tranchant ou usĂ© Ă  couteau, la moindre irrĂ©gularitĂ© dans l'alignement des rails pourrait provoquer un dĂ©raillement. Revenons-en au bourrelet lui-mĂȘme. Par suite de sa surface bombĂ©e et de l'inclinaison au 1/20, le contact avec la roue se fait sensiblement au milieu du bourrelet, tout au moins avec les bandages et rails neufs, c'est-Ă -dire dans l'axe du rail. Si la surface du bourrelet Ă©tait plane, le contact pourrait n'avoir lieu que sur le bord du bourrelet et la charge s'exercerait en porte Ă  faux ce qui nuirait Ă  la stabilitĂ© du rail. Le bombement prĂ©vient aussi la formation d'un creux. Le bourrelet s'use verticalement et latĂ©ralement, la hauteur e et la largeur l fig. 115 sont Ă©tablies en consĂ©quence. L'usure latĂ©rale est plus accusĂ©e dans la circulation en courbe, dĂšs lors, sur les lignes sinueuses, il faut, par une largeur suffisante, prĂ©venir une mise hors service prĂ©maturĂ©e. Fig. 115 A la sur les lignes Ă  gros trafic circulation journaliĂšre de tonnes l'usure verticale est de l'ordre de 0,6 mm par annĂ©e note 088_2. En courbe, lorsque l'usure d'un cĂŽtĂ© du rail a atteint la limite admise et, pour autant que la largeur Ă  la surface de roulement du bourrelet le permette encore, on peut retourner le rail bout pour bout, lui donner le cintrage inverse et le maintenir en service jusqu'au moment oĂč le cĂŽtĂ© intact offert Ă  l'usure a atteint, Ă  son tour, la limite rĂ©glementaire. Dans certains pays et notamment en Belgique, les faces latĂ©rales du bourrelet sont parallĂšles Ă  l'axe vertical du rail, cependant, beaucoup de rĂ©seaux France, Allemagne, AmĂ©rique, etc. ont adoptĂ© un profil Ă  faces trapĂ©zoĂŻdales et ce, dans le but d'obtenir des portĂ©es d'Ă©clissage pp' plus grandes fig. 116 et de maintenir sensiblement la verticalitĂ© de la face intĂ©rieure des rails aprĂšs pose au 1/20. PosĂ© verticalement, un rail ainsi profilĂ© prĂ©sente plus de risque de dĂ©raillement en cas de mentonnet tranchant. Fig. 116 Pose verticale du rail. - En 1918, au moment de la standardisation des profils de rails, les Compagnies françaises, se basant sur l'exemple de certains chemins de fer amĂ©ricains, ont adoptĂ© la pose verticale du rail pour les voies neuves Ă  poser en rails standard. En 1921, aprĂšs examen des rĂ©sultats, les chemins de fer français ont dĂ©cidĂ© de ne pas maintenir la pose verticale sauf dans les appareils de voie dont cette pose facilite la construction. Fig. 117 On a constatĂ© fig. 117 dans les courbes, un dĂ©versement des rails vers l'extĂ©rieur donnant un surĂ©cartement atteignant en certains points 4,5 mm ; une compression de la table de sabotage de la traverse vers l'extĂ©rieur du rail ; la formation d'une bavure sur le bourrelet du cĂŽtĂ© de l'intĂ©rieur de la voie ; une usure oblique des rails suivant l'inclinaison des bandages. Les chemins de fer belges qui, en 1910, avaient adoptĂ© la pose verticale pour le rail de 50 kg/m y ont Ă©galement renoncĂ© en 1922 pour les mĂȘmes raisons. Des essais ont Ă©tĂ© effectuĂ©s avec une surface de roulement plane, or, il a Ă©tĂ© constatĂ© qu'au bout d'un certain temps de service, en alignement droit, les rails affectent la forme reprĂ©sentĂ©e fig. 118, dĂ©formation qui ne s'observe pas avec les rails Ă  surface convexe, si ce n'est au moment oĂč celle-ci est devenue plane par usure. Fig. 118 En courbe, le mĂ©tal du rail plan se dĂ©place seulement du cĂŽtĂ© extĂ©rieur du rail. Remarque. - Dans la recherche du meilleur profil, il y a lieu de se rappeler que tout rail comporte deux parties importantes fig. 119 la partie a destinĂ©e Ă  disparaĂźtre par l'usure et la partie b remplissant l'office d'une poutre soutenue par diffĂ©rents appuis. Pour la partie a, il faut rechercher la forme qu'elle doit affecter pour rĂ©duire l'usure au minimum ; la quantitĂ© de mĂ©tal qu'elle doit reprĂ©senter compte tenu du trafic. Fig. 119 La partie b doit ĂȘtre Ă©tudiĂ©e de maniĂšre qu'elle puisse supporter Ă©lastiquement, mĂȘme aprĂšs disparition de la partie a, les plus fortes charges roulantes. La quantitĂ© de mĂ©tal du profil entier doit ĂȘtre calculĂ©e de telle maniĂšre que, lorsque la partie a a disparu, l'usure par oxydation des autres parties, l'Ăąme et le patin, ait atteint aussi sa limite. Si non, il pourrait arriver que, la partie a Ă©tant disparue, le patin et l'Ăąme soient encore en bon Ă©tat de rĂ©sistance, ce qui indiquerait que si l'on avait enlevĂ© un peu de mĂ©tal au patin et Ă  l'Ăąme pour renforcer la partie supĂ©rieure a du bourrelet, la durĂ©e de service du rail eut Ă©tĂ© plus longue. Inversement, s'il s'agit d'une ligne Ă  faible trafic et sous un climat trĂšs humide l'Ă©paisseur du patin et de l'Ăąme pourrait, par oxydation, ĂȘtre rĂ©duite au minimum admissible alors que la partie a serait encore loin d'ĂȘtre arrivĂ©e Ă  la limite extrĂȘme d'usure. Enfin, il convient de limiter la largeur du bourrelet Ă  ce qui correspond aussi exactement que possible aux nĂ©cessitĂ©s des usures verticale et latĂ©rale et d'employer le mĂ©tal ainsi Ă©conomisĂ© pour augmenter la hauteur du rail de façon que celui-ci offre une plus grande rĂ©sistance Ă©lastique Ă  l'action des charges verticales. 2° Les portĂ©es d'Ă©clissage. Les portĂ©es d'Ă©clissage, c'est-Ă -dire les plans inclinĂ©s qui raccordent le bourrelet et le patin Ă  l'Ăąme du rail, remplissent une fonction importante ; elles servent d'appui aux Ă©clisses E qui doivent soutenir le bourrelet Ă  l'endroit du joint fig. 120 et 121. La charge P se dĂ©compose en deux forces F normales aux portĂ©es d'Ă©clissage. On a d'oĂč . Cette force donne elle-mĂȘme une composante horizontale F' et dĂšs lors . L'effort F' sera donc d'autant plus grand que l'angle a sera plus petit. Quand l'angle a diminue, lorsque l'inclinaison des portĂ©es d'Ă©clissage se rapproche trop de la verticale, F' augmente et la poussĂ©e des Ă©clisses soumet les boulons d'assemblage Ă  un effort de traction supplĂ©mentaire important qui n'est soulagĂ© que par le frottement des surfaces en contact. En outre, la flexion des extrĂ©mitĂ©s des rails aux joints, tend, comme un coin, Ă  Ă©carter les Ă©clisses et impose aux boulons un travail exagĂ©rĂ©. On est donc amenĂ© Ă  donner Ă  a une valeur assez grande mais une nouvelle limite s'impose par suite de l'usure des surfaces en contact, il se produit du jeu qu'il faut racheter par un resserrage pĂ©riodique des boulons. Si l'inclinaison des portĂ©es d'Ă©clissage se rapprochait trop de l'horizontale par exemple 1/5, dĂšs l'apparition d'un faible jeu, les Ă©clisses resserrĂ©es se rapprocheraient de l'Ăąme au point de coller bientĂŽt contre elle, rendant impossible tout rappel ultĂ©rieur du jeu note 091. Dans ces conditions, le bourrelet du rail serait insuffisamment soutenu. On adopte gĂ©nĂ©ralement une inclinaison de 1/3. Pour donner l'ampleur maximum aux portĂ©es d'Ă©clissage, il convient d'adopter des rayons de raccord trĂšs petits, par exemple 2 mm. 3° L'Ăąme et le patin. Signalons la tendance de l' American Railway Engineering Association » en ce qui concerne ses nouveaux types de rails le rayon du congĂ© de raccord de l'Ăąme du rail avec le bourrelet est fortement augmentĂ© 19 mm ; la portĂ©e d'Ă©clissage supĂ©rieure se rĂ©duit Ă  une surface cylindrique circulaire Ă  gĂ©nĂ©ratrices horizontales s'emboĂźtant dans le congĂ© de raccord et formant articulation headfree joint bar = Ă©clisse Ă  tĂȘte libre. Le rapport entre la hauteur du rail et la largeur du patin joue un rĂŽle important. En ce qui concerne le renversement autour de l'arĂȘte a sous l'effet des efforts transversaux Et fig. 122, l'Ă©quation d'Ă©quilibre est donnĂ©e par . De ce point de vue et, toutes choses Ă©gales, il y a donc intĂ©rĂȘt Ă  choisir un rail trapu c'est-Ă -dire pourvu d'une base large comparĂ©e Ă  la hauteur. En fait, Ă  l'heure actuelle, le rapport , tout en Ă©tant assez variable, se rapproche de 1,1 tableau ci-aprĂšs. Remarquons encore que les moments d'inertie et de rĂ©sistance du rail, dont dĂ©pendent sa raideur et sa rĂ©sistance aux efforts verticaux, sont proportionnels respectivement au cube et au carrĂ© de la hauteur. Dimensions en mm Longueur en mĂštres Poids en kg/m h l a l’ 151 140 15 72 1,07 27 m 50 kg Reichsbahn 148 125 14 67/70 1,18 15/30 m 49 kg Hollande 142176 120156 1416 72/7772/76 1,181,13 24 m24 m 46,9 kg63,1 kg Suisse 145 125 14 65 1,16 24 m 46 kg France 153 140 15,5 65/67,4 1,09 18 m 50,56 kg h = hauteur du rail, l = largeur du patin, a = Ă©paisseur de l'Ăąme, l’ = largeur du bourrelet. Pour des facilitĂ©s de laminage, on s'efforce de rĂ©aliser une rĂ©partition aussi uniforme que possible entre les masses de trois parties des rails, exemples bourrelet 40 % - 42 % Ăąme 22% - 18% patin 38 % - 40 % Une disproportion trop grande donne un cintrage des rails trop important lors du refroidissement au sortir du train finisseur note 093, cintrage qui peut dĂ©terminer des tensions internes excessives. La S. N. C. B, a adoptĂ© comme rail standard le profil, reprĂ©sentĂ© fig. 124, de 50 kg/m, hauteur 151 mm largeur du patin 140 mm Ă©paisseur de l'Ăąme 15 mm largeur du bourrelet 72 mm Fig. 124. - Rail de 50 kg/m de la mais il existe encore sur beaucoup de lignes secondaires des rails de 40,650 kg/m fig. 120. Le rail de la Reichsbahn pĂšse 49 kg/m, sa hauteur est de 148 mm, le patin mesure 125 mm, l'Ă©paisseur de l'Ăąme est de 14 mm. On l'emploie en deux longueurs 15 m et 30 m. L' American Railway Engineering Association » a adoptĂ© en 1946 deux profils nouveaux 57 kg/m et 66 kg/m fig. 125 et 126. Congo. - Signalons que sur le chemin de fer du Bas-Congo au Katanga Ă  voie de 1,067 m, on utilise un rail de 37,5 kg/m fourni en barres de 15 mĂštres ; hauteur du rail 125 mm, largeur du patin 105 mm, charge maximum par essieu 15 t. B. - Rail Ă  double bourrelet. A l'origine, ce profil, constituĂ© de deux bourrelets reliĂ©s par une Ăąme, Ă©tait tout Ă  fait symĂ©trique. Cette conception s'inspirait du souci de pouvoir retourner le rail sens dessus dessous et de doubler ainsi sa durĂ©e. Mais, Ă  l'expĂ©rience, on a constatĂ© que le bourrelet infĂ©rieur se creusait au contact du coussinet et que sa rĂ©utilisation Ă©tait illusoire. Finalement, on a adoptĂ© un profil dissymĂ©trique dans lequel chaque bourrelet a une forme et des dimensions en rapport avec sa destination fig. 127, profil que les Anglais dĂ©nomment hull headed tĂȘte de taureau. Les rails Ă  double bourrelet sont fixĂ©s dans des coussinets au moyen de coins en bois dur ou en acier. Les coins mĂ©talliques sont constituĂ©s d'une lame repliĂ©e formant ressort. Les fig. 128 et 129 reprĂ©sentent le coin en acier David. Les coins se placent du cĂŽtĂ© extĂ©rieur de la voie de maniĂšre Ă  laisser le personnel d'entretien Ă  l'extĂ©rieur de la voie. Sous l'influence des trĂ©pidations, des variations de tempĂ©rature et d'humiditĂ©, les coins en bois ont une tendance Ă  se desserrer, ce qui rĂ©clame une certaine surveillance. On contrarie le desserrage en enfonçant les coins dans le sens de la marche des trains sur les lignes Ă  double voie de maniĂšre que le cheminement Ă©ventuel du rail sur la traverse enfonce le coin davantage. Sur les lignes Ă  simple voie parcourues dans Les deux sens, on chasse les coins alternativement dans un sens et dans l'autre. Le poids du coussinet varie de 18 Ă  25 kg. La surface d'appui du coussinet sur la traverse est Ă©tablie de maniĂšre Ă  ne pas dĂ©passer une pression de 20 kg/cmÂČ, celle-ci est donc plus faible que dans le cas du rail Ă  patin pages 34 et 42. C. Comparaison de la voie en rails Vignole et de la voie en rails Ă  double bourrelet. Les deux formes sont rationnelles, elles se rapprochent du double T, c'est-Ă -dire de la section la plus favorable, le rail devant offrir une raideur suffisante pour que la surface de roulement reste aussi droite que possible. En reportant le mĂ©tal vers le haut et vers le bas, on a augmentĂ© le moment d'inertie et, par ailleurs, on a donnĂ© Ă  la partie supĂ©rieure, exposĂ©e aux frottements de glissement et de roulement, les dimensions voulues pour tenir compte de l'usure ; Ă  la partie infĂ©rieure, une surface de contact avec le support suffisante pour que la pression unitaire ne soit pas trop Ă©levĂ©e. A tonnage Ă©gal, la base plus large du coussinet du rail Ă  double bourrelet autorise l'emploi de traverses en bois tendre sapin en Angleterre, pin des Landes en France. Le mode de fixation par coins permet de remplacer les rails avec facilitĂ© et rapiditĂ© puisqu'il suffit de faire sauter les coins. En outre, le coussinet restant en place, on ne touche pas Ă  la traverse, ce qui maintient les qualitĂ©s de stabilitĂ© et d'Ă©lasticitĂ© que la voie n'acquiert qu'Ă  la longue sous l'action des charges roulantes. Le profil du rail Ă  double bourrelet est avantageux du point de vue du laminage. La rĂ©partition de la matiĂšre y est effectivement plus uniforme que dans les rails Ă  patin. L'Ă©paisseur de l'Ăąme y est aussi plus forte, le laminage et le refroidissement final se font dans des conditions plus favorables. Le coin constitue un tampon absorbant une partie de la force vive des efforts transversaux et contribue Ă  donner de la douceur au roulement des trains. Par contre, la tendance au desserrage du coin constitue une sujĂ©tion pour l'entretien. Quant Ă  la sĂ©curitĂ©, elle est comparable pour les deux types de voie pour autant que la voie soit Ă©tablie dans les conditions techniques qui rĂ©pondent au trafic qu'elle doit supporter. D. - Abandon progressif du rail Ă  double bourrelet. 1. France. - Quoiqu'il en soit des considĂ©rations qui prĂ©cĂšdent, l'utilisation restreinte du rail Ă  double bourrelet devait fatalement amener sa disparition dĂšs le jour oĂč les Compagnies privĂ©es disparaĂźtraient en tant que SociĂ©tĂ©s exploitantes pour ĂȘtre regroupĂ©es en un rĂ©seau unique la SociĂ©tĂ© Nationale des chemins de fer français S. N. C. F.. Mais dĂ©jĂ , avant mĂȘme la crĂ©ation de la pour des raisons d'unification et de standardisation de matĂ©riel, les anciens rĂ©seaux de l'Etat, du Paris-OrlĂ©ans et du Midi s'Ă©taient mis d'accord aprĂšs la premiĂšre guerre mondiale, vers 1925, pour abandonner le rail Ă  double bourrelet. La dĂ©cision de gĂ©nĂ©raliser le rail Vignole est dĂ©finitive, mais elle ne peut se rĂ©aliser que par Ă©tapes. On peut prĂ©voir qu'elle sera achevĂ©e dans un dĂ©lai assez court sur les lignes importantes parcourues par des trains rapides, mais sur les lignes secondaires, il est probable qu'il subsistera encore longtemps des rails Ă  double bourrelet. L'innovation s'Ă©tend aux voies accessoires mais, lĂ  aussi, comme sur les voies principales de caractĂšre secondaire, il existera encore longtemps des rails Ă  double bourrelet. 2. Angleterre. - Rappelons que les chemins de fer britanniques ont Ă©tĂ© nationalisĂ©s le 1 janvier 1948. L'abandon du rail Ă  double bourrelet et son remplacement par le rail Vignole a Ă©tĂ© dĂ©cidĂ© en 1949. Cette dĂ©cision survenant aprĂšs une pratique plus que centenaire, marque une date importante dans la politique ferroviaire anglaise. Le rail Ă  double bourrelet anglais pesait 42 kg/m, le rail Vignole adoptĂ© pĂšse 54 kg/m. La charge maximum par essieu permise actuellement est de 22 tonnes. DĂšs 1936, le rĂ©seau du L. M. S. avait entrepris des essais du rail Vignole. Les rĂ©sultats favorables en ont entraĂźnĂ© la gĂ©nĂ©ralisation. La dĂ©cision a Ă©tĂ© basĂ©e sur les considĂ©rations suivantes le rail Vignole est plus Ă©conomique par suite de la rĂ©duction certaine des frais d'entretien 22 % sur le L. M. S. ; le rail Vignole, comparĂ© au rail Ă  double bourrelet, prĂ©sente une rĂ©sistance verticale supĂ©rieure de 59 % et une rĂ©sistance transversale supĂ©rieure de 36 % ; pour chaque kilomĂštre de voie Ă©quipĂ©e de rails Vignole, on peut renoncer Ă  quelque piĂšces accessoires, attaches comprises, d'oĂč rĂ©duction de la surveillance, de l'entretien et une simplification de la comptabilitĂ©. N'oublions cependant pas que le renforcement du profil du rail 54 kg/m au lieu de 42 kg/m est aussi pour quelque chose dans les rĂ©sultats repris aux alinĂ©as a et b. Ce renforcement Ă©tait justifiĂ© par un trafic plus lourd et des vitesses plus grandes. La transformation se fait assez rapidement, kilomĂštres de voies du nouveau type ont Ă©tĂ© posĂ©es, il en sera sensiblement de mĂȘme en 1950, mais comme la durĂ©e moyenne d'un rail sur les grandes lignes britanniques est de 18 Ă  20 ans, il faudra encore quelque 20 ans avant que les derniers rails Ă  double bourrelet aient disparu, des lignes principales. E. - Le rail Ă  orniĂšre. La figure 130 reprĂ©sente le rail Ă  orniĂšre de tramways le plus rĂ©pandu en Belgique le type U. V. F. 3 note 096. Il pĂšse 47,900 kg/m. Sa longueur est de 20 mĂštres. Il a Ă©tĂ© Ă©tudiĂ© pour la pose en pavage et sur traverses. Comme on le voit, le profil est trĂšs dĂ©veloppĂ© en hauteur 175 mm Ă  cause du pavage tout en rĂ©servant au patin une bonne largeur 145 mm. Il existe un profil renforcĂ© le type 3R fig. 131 de 49,454 kg/m pour les voies en courbe. Actuellement, les Tramways Bruxellois utilisent ce profil d'une façon gĂ©nĂ©rale aussi bien en voie droite qu'en courbe. Dans les agglomĂ©rations, tous les rails de voies courantes sont normalement soudĂ©s ; les Ă©clissages ne sont utilisĂ©s qu'exceptionnellement, par exemple, dans les jonctions avec des appareils de voies provisoires ou non soudables appareils au ManganĂšse. Les appareils sont souvent en Ni-Cr soudables. En campagne, les Tramways Bruxellois emploient le rail de 32 kg/m des Chemins de fer vicinaux belges. Les Chemins de fer vicinaux belges utilisent a Sur plateforme indĂ©pendante de la voirie, un rail Vignole de 32 kg/m et de 18 m de longueur, posĂ© sur 20 traverses en bois, avec selles d'appui dans les courbes de 50 m et moins de rayon fig. 132. Sur les lignes Ă©lectriques, deux joints sur trois sont soudĂ©s, ce qui donne des barres de 54 m de longueur. Il existe encore plusieurs milliers de kilomĂštres de voie Ă©quipĂ©es en rails de 23 kg/m barres de 9 ou 12 m de longueur, mais l'emploi de ce rail est abandonnĂ© pour les constructions nouvelles. b En pavage, un rail Ă  orniĂšre de 49 kg/m de 18 m fig. 133 posĂ© sur traverses en bois avec interposition de semelles en bois dur. Ce, pour Ă©viter que les pavĂ©s ne reposent directement sur les traverses, les rails et les pavĂ©s ayant sensiblement la mĂȘme hauteur. Les joints sont soudĂ©s Ă  l'aluminothermie. En courbe rayon de 50 m et moins, ce rail est remplacĂ© par un profil de 51 kg/m prĂ©sentant une Ă©paisseur en a plus forte fig. 133 et une largeur d'orniĂšre plus grande. De plus, ce rail est traitĂ© thermiquement de façon Ă  durcir les parties soumises Ă  usure. Il existe depuis quelques annĂ©es, un rail Ă  gorge dit Compound », laminĂ© en partant de deux aciers de duretĂ©s diffĂ©rentes, la partie supĂ©rieure du rail Ă©tant notablement plus dure que la partie infĂ©rieure note 098. Remarque. - Les rails Ă  gorge sont mal Ă©quilibrĂ©s du point de vue de la rĂ©partition des masses. CHAPITRE IVLongueur des rails II y a un trĂšs grand intĂ©rĂȘt Ă  utiliser des rails de la plus grande longueur possible puisqu'ainsi on diminue le nombre de joints. Car les joints nuisent Ă  la douceur du roulement ; fatiguent le matĂ©riel roulant ; constituent des points faibles dans la voie et des points coĂ»teux Ă  cause des organes de consolidation qu'ils nĂ©cessitent ; la rĂ©duction du nombre des joints a pour heureux effet de rĂ©duire le cheminement en premier lieu, parce que le nombre de chocs aux joints est rĂ©duit ; en second lieu, parce que chaque rail est solidaire d'un plus grande nombre de traverses. Qu'est-ce qui s'oppose Ă  l'emploi de rails de trĂšs grande longueur ? 1° La difficultĂ© d'obtenir normalement des laminoirs des barres de grande longueur et exemptes de dĂ©fauts. Cependant, l'industrie sidĂ©rurgique belge lamine des barres de 54 mĂštres que l'on scie aux longueurs dĂ©sirĂ©es, par exemple, 3 x 18 mĂštres ou 2 x 27 mĂštres. 2° Les longs rails sont d'un transport plus difficile du chef de leur longueur et d'une manipulation plus malaisĂ©e dans la voie Ă  cause de leur poids ; pratiquement, on compte qu'il faut un homme par mĂštre de longueur de rail. Un rail de 27 mĂštres, de 50 kg au mĂštre courant, pĂšse 1350 kg, sa manipulation exige le concours d'une trentaine d'hommes. Les inconvĂ©nients repris au 1° et 2° ci-dessus peuvent ĂȘtre supprimĂ©s aux prix de quelques sujĂ©tions par la soudure de rails de longueur normale. 3° L'obligation de permettre au rail de se dilater au grĂ© des variations de tempĂ©rature sans compromettre l'Ă©quilibre de la superstructure. Cette question a, Ă  l'heure actuelle, quelque peu changĂ© d'aspect. A l'origine du problĂšme, on peut d'abord poser les considĂ©rations suivantes L'obligation de laisser un joint de dilatation entre deux rails consĂ©cutifs, fixe une limite Ă  la longueur car ce joint ne peut guĂšre dĂ©passer 20 mm. Au-delĂ  de 20 mm, les roues s'enfoncent trop profondĂ©ment dans la lacune, le roulement devient dur, les chocs sur l'extrĂ©mitĂ© du rail d'aval deviennent trop importants, la tendance au cheminement s'accentue et le martĂšlement des roues peut produire Ă  la longue une dĂ©formation du rail ainsi que la possibilitĂ© d'amorces de fissures autour des trous d'Ă©clissage. En Belgique, on peut admettre un Ă©cart de 75° entre la tempĂ©rature + 55° du rail exposĂ© en plein soleil et la tempĂ©rature - 20° du rail soumis au froid le plus rigoureux. Si l'on part d'un coefficient moyen de dilatation de l'acier Ă  rail de 0,011 mm par degrĂ© et par mĂštre de longueur, on constate que pour un rail de 18 mĂštres longueur normale en Belgique jusqu'en 1934, il faut thĂ©oriquement mĂ©nager un vide de 0,011 mm x 75° x 18 m = 15 mm auquel, dans la pratique, on ajoute encore un ou deux mm comme marge de sĂ©curitĂ©. A. la S. N. C. B., le joint de dilatation est fixĂ© Ă  18 mm. Pour un rail de 27 m, le vide thĂ©orique nĂ©cessaire atteint 26 mm. Jusqu'en ces derniĂšres annĂ©es, la thĂ©orie qui a prĂ©valu c'est que le joint doit ĂȘtre rĂ©glĂ© de telle sorte que les abouts des rails puissent venir simplement au contact aux tempĂ©ratures les plus Ă©levĂ©es. Aux chemins de fer belges, pour les rails de 18 m, la largeur des joints Ă  rĂ©server au moment de la pose ou lors des opĂ©rations d'entretien, est respectivement de 2 mm au-dessus de 40° note 100_1 4 mm entre 30 et 40° 6 mm entre 20 et 30° 8 mm entre 10 et 20° 10 mm entre 0 et 10° 12 mm au-dessous de 0°. Cependant, l'expĂ©rience est lĂ , les chemins de fer belges ont pu, sans inconvĂ©nient, poser, dĂšs 1935, sur la ligne Ă©lectrique de Bruxelles Ă  Anvers des barres de 54 mĂštres 2 rails de 27 m soudĂ©s ; les chemins de fer allemands utilisent sur une grande Ă©chelle des barres de 60 mĂštres. DĂšs lors, que se passe-t-il ? Les variations de longueur enregistrĂ©es aux extrĂ©mitĂ©s des rails de 60 mĂštres n'atteignent pas les valeurs qui dĂ©coulent du calcul thĂ©orique. Pour quelles raisons ? Sans doute y a-t-il dissipation de la chaleur par le patin du rail au. contact de la traverse ou de la selle mĂ©tallique intercalaire note 100_2. La chose s'expliquerait mieux encore sur les rĂ©seaux oĂč le patin est entiĂšrement recouvert par le ballast note 100_3. Mais la raison essentielle semble rĂ©sider dans les perfectionnements apportĂ©s dans les systĂšmes d'attache des rails aux traverses. Les systĂšmes modernes sont tels que le serrage du patin est suffisamment Ă©nergique pour empĂȘcher le rail de rĂ©aliser toute sa dilatation page 52. Des efforts de compression naissent Ă©videmment dans le rail du chef de cette contrainte. Ces efforts varieraient de 450 Ă  quelque 900 kg par cmÂČ. Il ne conviendrait pas de dĂ©passer kg par cmÂČ parce que le flambement horizontal serait alors Ă  craindre. Il va sans dire que si les attaches Ă©taient desserrĂ©es, la dilatation se produirait et pourrait devenir catastrophique. On est gĂ©nĂ©ralement d'accord pour admettre que le flambement horizontal rĂ©sultant de la dilatation des rails est prĂ©cĂ©dĂ© d'un lĂ©ger soulĂšvement de la voie rails et traverses ; si faible que soit celui-ci, il suffit pour dĂ©coller les traverses de la partie supĂ©rieure des moules » de ballast et faciliter par lĂ  la dĂ©formation horizontale en forme d'S de la voie serpentage. Cherchons Ă  nous rendre compte de la valeur de ces efforts de compression. A cette fin, considĂ©rons un rail d'une seule piĂšce de 100 m de longueur. Supposons que ce rail ait Ă©tĂ© posĂ© Ă  la tempĂ©rature moyenne ordinaire de 15°, puis qu'il soit exposĂ© ultĂ©rieurement Ă  une tempĂ©rature de 55°. Pour cet Ă©cart de tempĂ©rature de 40°, si la dilatation de cette barre Ă©tait libre, elle subirait un allongement ÎŽ Ă©gal Ă  ÎŽ = 0,011 mm x 100 m x 40° = 44 mm = 4,4 cm. Cet allongement thermique correspondrait Ă  un allongement Ă©lastique de mĂȘme amplitude si cette mĂȘme barre Ă©tait soumise Ă  un effort de traction dĂ©terminĂ© de Pkg, l'allongement Ă©lastique ÎŽ et l'effort P Ă©tant liĂ©s par la formule , dans laquelle E = le module d'Ă©lasticitĂ© = Nous pourrons donc Ă©crire , d'oĂč une tension unitaire . DĂšs lors, si nous admettons que les attaches du rail sur les traverses sont Ă  ce point efficaces qu'elles empĂȘchent toute dilatation de se produire, le rail sera soumis, dans les conditions de l'exemple choisi, Ă  un effort de compression intĂ©rieure de 968 kg/cmÂČ. Il apparaĂźt cependant comme prĂ©maturĂ© de considĂ©rer la question de la dilatation des rails de grande longueur comme entiĂšrement rĂ©solue. Pour le moment, deux solutions se prĂ©sentent ou bien, comme le font les Chemins de fer français, limiter la longueur des rails Ă  quelque 30 mĂštres et fixer les rĂšgles de pose et d'entretien de telle façon que les rails puissent toujours se dilater librement dans leurs Ă©clissages ; ou bien, si l'on dĂ©passe la longueur de 30 mĂštres, lutter contre la variation de la longueur des rails, en la freinant sur toute l'Ă©tendue de la barre, tout en la maĂźtrisant en quelque sorte par une rigiditĂ© convenable de la voie, de maniĂšre que celle-ci puisse, dans tous les cas, conserver son Ă©quilibre. Il convient d'immobiliser aussi complĂštement que possible la partie mĂ©diane de la barre limitĂ©e Ă  quelques mĂštres de voie, en fixant solidement le rail par rapport aux traverses correspondantes et si possible, les traverses par rapport Ă  la plateforme. Dans ces conditions, les efforts longitudinaux, qui peuvent se dĂ©velopper le long de la barre, pourront se rĂ©partir aussi rĂ©guliĂšrement que possible, de part et d'autre de son milieu considĂ©rĂ© comme point fixe et ne pourront atteindre en un point quelconque une valeur exagĂ©rĂ©e. Il faut naturellement procĂ©der Ă  la pose et Ă  la mise en Ă©quilibre des rails, par un rĂ©glage convenable des attaches et des joints d'extrĂ©mitĂ© Ă  une tempĂ©rature judicieusement choisie entre les limites de celles que les rails peuvent effectivement atteindre. Dans l'Ă©tude du phĂ©nomĂšne du serpentage de la voie, il convient de ne pas perdre de vue que le cheminement peut intervenir pour modifier la largeur des joints de dilatation note 102 et que si la dĂ©formation de la voie dont les joints viennent Ă  ĂȘtre supprimĂ©s, peut ĂȘtre spontanĂ©e, elle peut aussi ĂȘtre provoquĂ©e par le passage d'un train dont les chocs, tant latĂ©raux que verticaux, dĂ©truisent l'Ă©quilibre instable et dĂ©clenchent la dĂ©formation. C'est alors que celle-ci est la plus dangereuse. Remarque. - Sur les ponts mĂ©talliques, on a, de tout temps, posĂ© des rails longs en vue d'Ă©viter le plus possible les chocs. Ces ouvrages, reposant sur des appuis Ă  dilatation, s'allongent ou se contractent dans la mĂȘme mesure que les rails. Pour ce qui est de la pose Ă  l'air libre, le CongrĂšs international de Rome 25 septembre - 4 octobre 1950 dĂ©clare dans ses conclusions L'expĂ©rience est acquise qu'il est possible de poser d'une maniĂšre courante, Ă  l'air libre en voie principale, des barres d'une longueur atteignant 90 m, sans dispositifs de dilatation aux joints ». Ligne de Tramways. En principe, lĂ  oĂč les rails Ă  orniĂšre ne sont pas soudĂ©s, les joints de dilatation n'existent pas en pavage. Avec les rails Vignole, en campagne, certaines compagnies maintiennent les joints de dilatation, d'autres pas. Les Tramways du Pays de Charleroi ont soudĂ© des rails Vignole de 40 kg sur une longueur d'un kilomĂštre. Les rails et les traverses sont noyĂ©es dans le ballast. Quand la longueur du tronçon soudĂ© est telle que la variation d'ouverture des joints doit pouvoir dĂ©passer 15 mm, on emploie des joints de dilatation spĂ©ciaux du type Ă  aiguilles dont il sera question ultĂ©rieurement. Rails de grande longueur dans les tunnels. Dans les tunnels, on n'enregistre gĂ©nĂ©ralement que de faibles Ă©carts de tempĂ©rature, par exemple, - 2° et + 20°. Aussi, dans les tunnels, la plupart des rĂ©seaux ont constituĂ© par soudure des barres dont la longueur croit au fur et Ă  mesure qu'on s'Ă©loigne des extrĂ©mitĂ©s. La rĂ©gion Nord des chemins de fer français a posĂ© en tunnel, prĂšs de Boulogne, des rails de 288 m. Les chemins de fer allemands ont rĂ©alisĂ©, sous tunnel, une voie entiĂšrement continue de rails soudĂ©s de m de longueur. Les chemins de fer yougoslaves et danois ont atteint 1200 et 1300 m dans les mĂȘmes conditions. En Belgique, dans la pose des rails en tunnel, on n'a pas dĂ©passĂ© 216 m. Le New York, New Haven et Hartford Railroad » a rĂ©cemment installĂ© dans sa gare de voyageurs de Hartford des rails soudĂ©s de 244 m en vue de rĂ©duire le bruit sur un viaduc en acier et dans un passage souterrain pour voyageurs. Les conclusions adoptĂ©es par le CongrĂšs international de Rome 25 septembre - 4 octobre 1950 sont plus hardies encore car elles s'expriment ainsi Dans les tunnels, il est possible de souder entiĂšrement les rails d'une extrĂ©mitĂ© Ă  l'autre. La nĂ©cessitĂ© de prĂ©voir pour le raccordement Ă  la voie normale, Ă  l'air libre, des barres de longueur dĂ©croissante, ne paraĂźt pas dĂ©montrĂ©e ». CHAPITRE VCalcul de la section du rail L'Ă©tude mathĂ©matique des conditions de sollicitation du rail est trĂšs ardue note 104. Rationnellement, on devrait calculer le rail comme une piĂšce continue reposant sur plusieurs appuis Ă©lastiques et parcourue par des charges mobiles. Ces calculs sont complexes. En pratique, on se borne aux deux hypothĂšses suivantes pour dĂ©terminer le moment flĂ©chissant maximum Si l'on admet que le rail est simplement appuyĂ© sur les traverses fig. 134, le moment de flexion maximum est . P = poids de la roue la plus chargĂ©e, l = Ă©cartement des appuis. Fig. 134 Si l'on estime que, le rail Ă©tant attachĂ© aux traverses par les tirefonds, il existe une solidaritĂ© assez complĂšte pour qu'on puisse considĂ©rer le rail comme encastrĂ©, le moment maximum au milieu de la travĂ©e est . Mais l'hypothĂšse de l'encastrement est beaucoup trop favorable et n'est jamais rĂ©alisĂ©e dans la pratique. En fait, selon l'Ă©tat du ballast, la soliditĂ© des attaches et surtout la position des roues sur les travĂ©es voisines, le rail peut se trouver dans tous les Ă©tats intermĂ©diaires entre l'encastrement et le simple appui. On est amenĂ© Ă  admettre un moment moyen . S. N. C. 135. - Tonnage et prix par tonne des rails de 1919 Ă  1940/41. D'autre part, la formule d'Ă©quarrissage , dans laquelle I = moment d'inertie, Μ = distance de l'axe neutre Ă  la fibre la plus fatiguĂ©e, R = coefficient de rĂ©sistance, permet, connaissant R, de dĂ©terminer la hauteur du rail ; ou bien, connaissant la section, de dĂ©terminer la fatigue du mĂ©tal. Les Ă©tudes sur le calcul des rails montrent que le moment flĂ©chissant maximum sous la charge diminue lorsque le coefficient du ballast c augmente lorsqu'on amĂ©liore le ballast et la plateforme ; que, toutes choses Ă©gales, si on augmente le moment d'inertie, ce qui entraĂźne l'augmentation du poids du rail par mĂštre courant, on rĂ©duit les rĂ©actions maxima la pression du rail sur les traverses, la pression des traverses sur le ballast, d'oĂč diminution des dĂ©penses d'entretien et, pour un mĂȘme ballast et un mĂȘme espacement des traverses, on rĂ©duit la fatigue du rail. Fig. 136. - Tonnages fournis et prix payĂ©s par tonne pour les rails par la de 1945 Ă  1950. Poids des rails. Lorsque, Ă  l'occasion d'un projet, de ligne Ă  voie normale 1,435 m, on dĂ©sire ĂȘtre fixĂ© approximativement sur le poids du rail au mĂštre courant, on peut le dĂ©terminer par la formule simple Par mĂštre courant, il faut, en kg, deux fois la charge maximum de l'essieu en tonnes, plus 2 kg . Exemple si Pt = 24 t . Ce n'est Ă©videmment lĂ  qu'un ordre de grandeur puisque le profil du rail dĂ©pend Ă©galement de la distance admise entre les traverses d'appui, mais tel quel, il permet d'estimer en premiĂšre approximation, la dĂ©pense Ă  engager pour l'achat des rails. Prix des rails. Les fig. 135 et 136 montrent la variation des prix payĂ©s pour les rails par la CHAPITRE VILe MĂ©tal QualitĂ© et contrĂŽle de la qualitĂ©. Parmi les matĂ©riaux de la voie, le rail est l'Ă©lĂ©ment essentiel de la sĂ©curitĂ©, le bris d'un rail pouvant avoir les consĂ©quences les plus graves. Les traverses et le ballast ne servent qu'Ă  attacher le rail et Ă  le supporter. L'acier Ă  rails doit ĂȘtre sain, non fragile et rĂ©sistant Ă  l'usure note 108_1. Sain, cela veut dire exempt des dĂ©fectuositĂ©s provenant de retassures note 108_2, sĂ©grĂ©gations note 108_3 ou inclusions des lingots, causes principales des dĂ©tĂ©riorations rapides par fĂȘlure. Pour cela, aprĂšs passage du lingot au blooming, les blooms doivent ĂȘtre assainis par un chutage de tĂȘte d'au moins 25 % du poids du lingot. D'un bloom, provenant d'un lingot de 4000 kg, par exemple, on extrait par laminage une barre de 60 mĂštres. Sur celle-ci, on pratique encore un chutage de tĂȘte pour les essais de choc, texture, macrographie, duretĂ© Brinell et un chutage de culasse pour les essais de traction rĂ©silience et, le cas Ă©chĂ©ant, macrographie, de sorte que, au total, ces assainissements successifs correspondent Ă  un chutage d'environ 1300 kg, soit 1/3 du poids du lingot. Finalement, dans ce lingot de 4000 kg, on dĂ©bite trois rails de 18 mĂštres de 50 kg/m 3 x 18 x 50 = 2700 kg ou deux rails de 27 mĂštres du mĂȘme profil 2 x 27 x 50 = 2700 kg. La section initiale du lingot ne peut ĂȘtre infĂ©rieure Ă  vingt fois celle du rail. Evidemment, des prescriptions aussi sĂ©vĂšres garantissent un trĂšs haut degrĂ© de sĂ©curitĂ©, mais elles se paient. Les fabricants excipent de la difficultĂ© qu'ils Ă©prouvent pour trouver une utilisation rationnelle de la partie supĂ©rieure des lingots ; cependant ils vendent facilement les rails de tĂȘte pour les voies et raccordements industriels. On fabrique aussi au moyen des chutes de blooms de petits rails pour voies Decauville. Pour s'assurer des qualitĂ©s de l'acier, les fournitures sont, aprĂšs fabrication, soumises Ă  des essais qui varient selon les rĂ©seaux mais qui ne diffĂšrent cependant gĂ©nĂ©ralement que par des nuances dans la sĂ©vĂ©ritĂ© des essais ou dans le pourcentage des constituants. A la S. N. C. B. le cahier des charges Ă©dition de 1948 prĂ©voit 1° Des essais de choc sur la chute de tĂȘte de tous les lingots note 109_1. Ces essais donnent une idĂ©e de la fragilitĂ© du mĂ©tal. 2° Des essais de traction centre du bourrelet du rail qui fournissent des indications sur la nuance du mĂ©tal et sur sa ductilitĂ© note 109_2. La rĂ©sistance Ă  la rupture doit ĂȘtre comprise entre 70 et 80 kg par mmÂČ. La rĂ©sistance, augmentĂ©e de 2,5 fois l'allongement pour cent doit ĂȘtre au moins Ă©gale Ă  106 ce qui implique des allongements minima compris entre 14,4 % et 10,4 %. Fig. 137. - Éprouvette Mesnager. 3° Des essais de rĂ©silience sur petites Ă©prouvettes du type Mesnager Ă  rompre au mouton pendule de 30 kgm. Chaque sĂ©rie comprend trois Ă©prouvettes une prĂ©levĂ©e dans la partie supĂ©rieure du bourrelet, une autre dans l'Ăąme et une troisiĂšme dans le patin note 109_3. Les chiffres obtenus fournissent des indices sur le degrĂ© de fragilitĂ© du mĂ©tal. La rĂ©silience doit ĂȘtre au moins Ă©gale Ă  2 kgm par cmÂČ pour une des 3 Ă©prouvettes d'une mĂȘme sĂ©rie note 109_4. 4° Des essais de duretĂ© Ă  la bille Brinell. Les empreintes obtenues doivent avoir un diamĂštre compris entre 3,9 et 4,25 mm note 110_1. 5° Des essais macrographiques pour dĂ©celer les rails entachĂ©s de sĂ©grĂ©gation sulfureuse note 110_2. 6° Le contrĂŽle de la structure par des examens micrographiques pour contrĂŽler si l'organisation structurale du mĂ©tal ne rĂ©vĂšle pas de surchauffe ni de microcavitĂ©s ou inclusions importantes note 110_3. Ces examens se pratiquent en nombre limitĂ© par coups de sonde sur toutes les fournitures. 7° Le contrĂŽle de la texture par l'examen de la cassure des coupons de rails dont on a provoquĂ© la rupture aprĂšs les avoir soumis au choc. 8° Des analyses chimiques complĂštes de certaines chutes de tĂȘte prĂ©levĂ©es par coups de sonde. ParachĂšvement. Mise Ă  longueur. - A chaud et au moyen de scies circulaires, on fait tomber aux deux bouts de la barre laminĂ©e, des chutes de longueur suffisante 1,50 Ă  2 m cĂŽtĂ© tĂȘte et 0,70 Ă  0,80 m cĂŽtĂ© culasse pour permettre le prĂ©lĂšvement des essais. Une des extrĂ©mitĂ©s de ces bouts est d'ailleurs dĂ©formĂ©e par l'entrĂ©e ou la sortie des cylindres de laminoirs. Le refroidissement. - Les rails sont ensuite abandonnĂ©s sur le refroidissoir oĂč ils sont poussĂ©s mĂ©caniquement par des ripeurs qui leur donnent au besoin une contreflĂšche Ă  peu prĂšs Ă©gale Ă  celle que les barres prennent au refroidissement et qui varie avec le profil note 111 on obtient ainsi, aprĂšs refroidissement, des barres Ă  peu prĂšs droites qui ne nĂ©cessitent plus qu'un lĂ©ger dressage Ă  froid Ă  la presse ou Ă  la dresseuse Ă  galets. Forage des trous. - Enfin, la mise Ă  longueur dĂ©finitive des rails se fait par fraisage ou sciage des extrĂ©mitĂ©s. Les bavures laissĂ©es par les fraises ou les scies sont enlevĂ©es et on fore les trous pour le passage des boulons d'Ă©clisses. Avec les outillages modernes, les opĂ©rations de mise Ă  longueur par sciage des deux extrĂ©mitĂ©s et de forage des trous d'Ă©clisses sont simultanĂ©es. Les trous dans les rails sont d'un diamĂštre d un peu plus grand que le diamĂštre b des boulons fig. 138 et 139, pour permettre notamment la libre dilatation sans qu'une pression s'exerce sur les boulons. Si j est la largeur du joint de dilatation, on a d mm = b mm + 1/2 j mm. Quant Ă  la distance D du centre du trou du rail Ă  l'extrĂ©mitĂ©, elle sera D = 1/2 a + b - d, a Ă©tant la distance entre les trous de l'Ă©clisse Ă  l'endroit du joint. Fig. 138 et 139 Pour rĂ©duire les risques d'apparition des fissures qui s'amorcent parfois dans les rails autour des trous d'Ă©clissage, on peut, comme on le fait en France, employer des boulons d'assemblage en acier dur, on peut dĂšs lors rĂ©duire le diamĂštre de ces boulons 20 mm ce qui entraĂźne une rĂ©duction correspondante des trous dans les rails 25 mm. Enfin, pour les Ă©clisses de faible Ă©paisseur, destinĂ©es Ă  des profils des rails lĂ©gers, on prĂ©voit parfois des trous ovalisĂ©s Ă  poinçonner directement Ă  dimensions ; cette solution permet de rĂ©duire la hauteur des trous. Composition chimique des rails. On utilise en gĂ©nĂ©ral pour la fabrication des rails, des aciers durs ordinaires au carbone 0,4 Ă  0,5 % pour lesquels on exige un calmage » complet, capable de leur assurer une homogĂ©nĂ©itĂ© aussi grande que possible. Le double but que l'on poursuit est d'obtenir un mĂ©tal sain offrant dans son ensemble des caractĂ©ristiques uniformes et rĂ©guliĂšres en mĂȘme temps qu'une bonne rĂ©sistance Ă  l'usure. Passons maintenant en revue le rĂŽle des principaux constituants Le Carbone. - Le carbone est l'Ă©lĂ©ment durcissant qui forme avec le fer les constituants primordiaux des aciers ordinaires ; la teneur en carbone est forcĂ©ment limitĂ©e par la fragilitĂ© qui augmente rapidement avec elle. Nous reviendrons sur la question page 116. Le ManganĂšse. - AjoutĂ© en fin d'opĂ©ration sous forme de ferro-manganĂšse, il exerce une action dĂ©soxydante par formation de CO et de MnO et, pour le reste, s'incorpore au mĂ©tal. Le manganĂšse se combine facilement avec le soufre, sous forme d'inclusion, pour former du sulfure de manganĂšse MnS Ă  l'Ă©tat isolĂ© ou alliĂ© avec le sulfure de fer FeS. Son action finale sur le mĂ©tal a un effet durcissant et, de ce point de vue, le manganĂšse est un Ă©lĂ©ment d'appoint trĂšs intĂ©ressant pour les aciers de construction dans lesquels la teneur en carbone doit ĂȘtre limitĂ©e si l'on veut Ă©viter la fragilitĂ©. Le manganĂšse favorise la pĂ©nĂ©tration de la trempe. Le Silicium. - C'est un Ă©lĂ©ment dĂ©soxydant trĂšs actif qui rĂ©agit avec l'oxygĂšne inclus dans le mĂ©tal pour former avec lui de la silice SiO2. S'il restait dans le mĂ©tal liquide Ă  la suite d'un affinage insuffisant, le Si formerait aisĂ©ment des silicates SiO2 . FeO qui pourraient rester emprisonnĂ©s dans le bain et qu'il importe de faire remonter dans la scorie Ă  Ă©liminer. Le silicium, ajoutĂ© en faible quantitĂ© au moment de l'affinage sous forme de ferro-silicium, se combine avec le fer pour former du siliciure de fer FeSi. Dans le procĂ©dĂ© Thomas, il convient de ne pas dĂ©passer une teneur limite de silicium Ă  cause du danger d'inclusions de SiO2 qui risquent de ne pouvoir dĂ©canter dans la scorie et forment alors au laminage des dĂ©fauts de surface qui peuvent nuire Ă  la vie normale du rail. On situe cette teneur critique en Si aux environs de 0,25 %. La S. N. C. B. prescrit pour les rails un minimum de 0,12 % visant ainsi Ă  assurer la dĂ©soxydation et une bonne rĂ©sistance Ă  l'usure. Le Soufre. - Cet Ă©lĂ©ment est Ă  considĂ©rer comme toujours nuisible Ă  cause des inclusions auxquelles il donne naissance et Ă  la fĂącheuse tendance qu'il a de se liquater et de se sĂ©grĂ©ger. Le soufre et le manganĂšse ont l'un pour l'autre une grande affinitĂ© et, Ă  haute tempĂ©rature, ils se combinent pour former le sulfure de manganĂšse MnS. Pour les rails, la S. N. C. B. considĂšre une teneur en S de 0,06 % comme un maximum et pour autant que la somme des teneurs en soufre et phosphore ne dĂ©passe pas 0,12 %. Le Phosphore. - Ce mĂ©talloĂŻde est considĂ©rĂ© comme nuisible parce qu'il favorise le dĂ©veloppement des grains et par consĂ©quent accentue la fragilitĂ© du mĂ©tal. Il a de plus une tendance marquĂ©e Ă  se liquater et c'est un des Ă©lĂ©ments qui, avec le soufre et le carbone, se sĂ©grĂšge le plus facilement, c'est-Ă -dire se rassemble dans la partie qui se refroidit en dernier lieu. Remarquons toutefois qu'une teneur en phosphore trĂšs faible, dans un acier Thomas, est le plus souvent l'indice qu'un gros supplĂ©ment de fer a Ă©tĂ© brĂ»lĂ© et que le bain d'acier a Ă©tĂ© chargĂ© de FeO non seulement dissous mais en suspension. Pour les rails, la admet comme maximum la teneur de 0,08 % de phosphore mais Ă  la condition comme nous l'avons dit que la somme des 2 Ă©lĂ©ments soufre + phosphore ne dĂ©passe pas 0,12 %. ** * A la S. N. C. B., les rails sont des aciers durs dont la rĂ©sistance va de 70 Ă  80 kg/mmÂČ ; leur composition chimique habituelle se situe dans les limites ci-aprĂšs C - 0,44 Ă  0,52 % S - 0,03 Ă  0,05 % P - 0,035 Ă  0,075 % Si - 0,12 Ă  0,20 % Mn - 0,85 Ă  1,15 %. Garantie. - Depuis 1948, une clause de garantie stipule que le fournisseur est tenu pendant 10 ans de remplacer gratuitement, ou de payer Ă  la S. N. C. B. Ă  la valeur des rails au moment du retrait, tout rail accusant un dĂ©faut imputable Ă  la fabrication et non dĂ©celĂ© Ă  la rĂ©ception Ă  l'usine. Chaque rail dĂ©fectueux fait l'objet d'un examen contradictoire avec le fournisseur. CHAPITRE VIIUsure et durĂ©e des rails GĂ©nĂ©ralitĂ©s. L'usure est fonction du trafic, c'est-Ă -dire du tonnage, du nombre et de la vitesse des trains. 1° Usure verticale. - Les limites d'usure varient avec le profil du rail. Cependant, l'usure verticale n'est gĂ©nĂ©ralement pas la cause dĂ©terminante du retrait du rail de la voie. L'Ă©crasement des abouts, le matage et l'usure des portĂ©es d'Ă©clissage ou autres dĂ©fectuositĂ©s locales entraĂźnent souvent le retrait prĂ©maturĂ© des rails des voies principales ; c'est ainsi que pour le rail belge de 50 kg/m, par exemple, on constate aprĂšs retrait de service que l'usure n'est que de 4 mm en voies principales de 1re catĂ©gorie et que de 6 mm en voies principales de 2me catĂ©gorie. Pour une circulation journaliĂšre de tonnes, l'usure normale en hauteur du bourrelet est de l'ordre de 0,5 mm Ă  0,6 mm par annĂ©e, ce qui reprĂ©sente une usure annuelle de 0,10 mm Ă  0,12 mm par tonnes de trafic journalier. Les usures de 4 mm et de 6 mm susindiquĂ©es apparaissent donc aprĂšs 6 ans ou 7 ans dans le premier cas et aprĂšs 10 Ă  12 ans dans le second cas. Un rail usĂ©, retirĂ© des voies principales, peut ĂȘtre rĂ©employĂ© dans les voies secondaires oĂč il peut rester encore en service pendant quelque 25 ans. Fig. 140 Si l'usure verticale Ă©tait la cause dĂ©terminante du retrait des voies, on pourrait admettre, comme limite d'usure verticale, 12 mm en voies principales et 15 Ă  20 mm en voies secondaires ; tout dĂ©pend de la hauteur initiale du bourrelet ou, en d'autres termes, de la hauteur qui reste aprĂšs disparition de la partie usĂ©e. Ainsi, si l'on se reporte Ă  la figure 124, page 93, on constate qu'une usure de 15 mm enlĂšverait au rail de 50 kg/m le tiers de l'Ă©paisseur de son bourrelet et transformerait ce profil en une vĂ©ritable poutrelle double T. 2° Usure latĂ©rale. - L'usure est Ă©galement forte dans les courbes de petit rayon mais en l'espĂšce, c'est surtout une usure latĂ©rale. C'est tantĂŽt au rail extĂ©rieur, tantĂŽt au rail intĂ©rieur que l'usure est la plus grande selon qu'il y a trop peu ou trop de dĂ©vers eu Ă©gard Ă  la vitesse moyenne des trains note 115_1. L'usure latĂ©rale se manifeste surtout sur le rail extĂ©rieur par suite du frottement du mentonnet des roues fig. 109 sur la face latĂ©rale intĂ©rieure du bourrelet du rail. Cette usure est d'autant plus forte que le rayon des courbes est plus petit, que l'empattement rigide des vĂ©hicules est plus grand et que le dĂ©vers est moindre. La facette d'usure latĂ©rale AB, creusĂ©e par le passage des roues, affecte sensiblement la forme reprĂ©sentĂ©e fig. 140 note 115_2. Sur le rĂ©seau belge, l'inclinaison α de la facette par rapport Ă  la verticale, dĂ©passe rarement 25° pour les rails mais il n'en est pas de mĂȘme pour les aiguilles de changement de voie. La S. N. C. B. adopte comme limite d'usure latĂ©rale l'angle de 32° pour les voies principales ainsi que pour les voies de circulation des locomotives et 34° pour les voies accessoires. ** * En rĂ©sumĂ©, les rails qui sont retirĂ©s du service pour usure, le sont soit pour limite d'usure verticale, soit pour limite d'usure latĂ©rale, c'est-Ă -dire lorsque l'inclinaison de la face latĂ©rale du bourrelet du rail dĂ©passe les limites angulaires susindiquĂ©es ou encore lorsque l'usure atteint le point A' de la face verticale du bourrelet note 115_3. Dans les tunnels, l'usure est plus rapide qu'Ă  ciel ouvert, par suite de l'humiditĂ© permanente et des gaz sulfureux rejetĂ©s par les locomotives dont le charbon contient des pyrites FeS. L'usure des rails peut donc se manifester sous trois formes diffĂ©rentes usure par abrasion ou par Ă©crasement de la surface de roulement ; usure latĂ©rale du bourrelet ; usure par oxydation. A. - Usure par abrasion ou par Ă©crasement de la surface de roulement. Pour combattre cette usure, on dispose de plusieurs moyens agir sur la composition chimique de l'acier ordinaire, utiliser des aciers spĂ©ciaux ou Ă  haute rĂ©sistance, appliquer le traitement thermique. 1er moyen Composition chimique du mĂ©tal. La rĂ©sistance Ă  l'usure Ă©tant liĂ©e directement Ă  la tĂ©nacitĂ© dont dĂ©pend la duretĂ©, on est conduit naturellement et Ă  priori Ă  envisager l'utilisation d'aciers trĂšs durs c'est-Ă -dire trĂšs carbures. Mais Ă©tant donnĂ© que l'augmentation de la teneur en carbone se traduit immĂ©diatement par une augmentation de la fragilitĂ© diminution de la rĂ©sistance aux chocs ce moyen n'offre qu'une possibilitĂ© limitĂ©e. Avec les rails en acier Thomas, il n'est pas prudent de dĂ©passer sensiblement la teneur de 0,50 % de C qui correspond Ă  environ 80 kg/mmÂČ de rĂ©sistance teneur en manganĂšse comprise entre 0,9 et 1,15 %. Dans les pays, notamment en AmĂ©rique, oĂč on utilise pour la fabrication des rails des aciers Ă©laborĂ©s aux fours Ă  sole, on trouve dans les rails des teneurs en carbone de 0,7 et 0,8 % mais il y a lieu toutefois de remarquer que ces pays utilisent des profils de rails plus lourds et un travelage plus serrĂ© qu'en Europe, la fatigue des rails se trouve de ce fait trĂšs sensiblement rĂ©duite. Notons encore que les hautes teneurs en carbone prĂ©sentent souvent le grave danger de dĂ©clencher dans la masse, pendant le refroidissement, des fissures de retrait appelĂ©es aussi fissures transversales. Ces fissures constituent des amorces de rupture par fatigue. 2me moyen Aciers spĂ©ciaux ou Ă  haute rĂ©sistance. Les aciers spĂ©ciaux nĂ©cessitant l'incorporation de pourcentages importants d'Ă©lĂ©ments tels que le Ni, le Cr ou le Mn, leur prix Ă©levĂ© en restreint l'emploi pour des matĂ©riaux de grande consommation comme les rails. Certains rĂ©seaux notamment l'Autriche et l'Italie ont fait usage de rails en acier, Ă©laborĂ© au four Martin ou au four Ă©lectrique, et contenant une teneur en Mn comprise entre 1,2 et 1,5 % ; d'autres rĂ©seaux ont Ă  l'essai des rails contenant un certain pourcentage de Cr 0,5 %. Nous reviendrons sur l'emploi des aciers spĂ©ciaux Ă  l'occasion des appareils de voie voir 4me partie. Rails en acier obtenu au four Ă©lectrique. - Sans recourir aux aciers spĂ©ciaux, la S. N. C. B. a dans son cahier des charges Ă©dition de 1948 prĂ©vu les conditions de fourniture pour des rails Ă  haute rĂ©sistance en acier Ă©laborĂ© par le procĂ©dĂ© Duplex comprenant un prĂ©affinage Ă  la cornue Thomas suivi d'un affinage au four Ă©lectrique. Ces aciers, dont les teneurs en soufre et phosphore ne peuvent excĂ©der 0,04 % et leur somme dĂ©passer 0,07 %, doivent donner une rĂ©sistance minimum de 80 kg/mmÂČ et satisfaire Ă  toutes les autres conditions imposĂ©es pour les rails ordinaires. Les rails ainsi Ă©laborĂ©s peuvent ĂȘtre utilisĂ©s concurremment aux rails traitĂ©s thermiquement dans les endroits oĂč l'usure se manifeste de façon particuliĂšrement rapide et lĂ  oĂč les rails en acier ordinaire de la nuance 70 Ă  80 kg/mmÂČ se montrent dĂ©ficients du point de vue usure. De 1929 Ă  1933, la S. N. C. B. a procĂ©dĂ© Ă  des essais de rails de l'espĂšce, de nuance 75 Ă  85 kg dans des courbes de rayon infĂ©rieur Ă  500 m. ComparĂ©s aux rails traitĂ©s thermiquement ces rails donnĂšrent Ă  l'usure des rĂ©sultats moins satisfaisants. Rails compound. - Il y a une vingtaine d'annĂ©e, l'Allemagne avait mis sur le marchĂ© des rails appelĂ©s compound », composĂ©s d'un bourrelet en acier trĂšs dur 110 Ă  130 kg/mmÂČ, duretĂ© 300 Ă  400 Brinell ; l'Ăąme et le patin Ă©tant constituĂ©s de mĂ©tal de la nuance 45 Ă  50 kg/mmÂČ duretĂ© 140 Ă  170 Brinell. Comme les rails en acier Ă  haute rĂ©sistance, les rails en acier compound » trouvaient surtout leur champ d'application dans les courbes de faible rayon. Les renseignements recueillis au sujet des rĂ©sultats obtenus ne sont pas trĂšs favorables. Au surplus ce procĂ©dĂ© entraĂźne un supplĂ©ment de prix important note 117_1. 3me moyen Traitement thermique note 117_2. Tout en maintenant la teneur en carbone Ă  un taux modĂ©rĂ©, on peut, par un traitement thermique appropriĂ©, augmenter la duretĂ© et la tĂ©nacitĂ© des aciers tout en leur assurant dans toutes leurs parties une ductilitĂ© trĂšs satisfaisante. La gamme des variations des propriĂ©tĂ©s physiques qu'il est possible d'obtenir par traitement thermique est plus Ă©tendue que celle qu'on peut rĂ©aliser en faisant varier simplement la composition chimique. Le but essentiel poursuivi dans le cas d'application du traitement aux rails est d'obtenir dans la partie traitĂ©e bourrelet un accroissement des propriĂ©tĂ©s mĂ©caniques du mĂ©tal, susceptible d'augmenter la rĂ©sistance Ă  l'usure sans accroĂźtre la fragilitĂ© et mieux encore en diminuant celle-ci. Ce mode de durcissement des rails a reçu, de nombreuses applications sur bon nombre de rĂ©seaux, notamment en Angleterre, en France, en Suisse et en Belgique. Toutefois depuis quelques annĂ©es, il est apparu que les rails traitĂ©s thermiquement prĂ©sentent au bout d'un temps de service plus ou moins long quelquefois aprĂšs 10 ans une usure ondulatoire trĂšs prononcĂ©e qui s'aggrave ensuite et donne lieu Ă  des Ă©caillages nombreux Ă  la surface de roulement. Les dĂ©nivellations qui en rĂ©sultent provoquent le dĂ©bourrage des traverses et entraĂźnent le remplacement prĂ©maturĂ© des rails entachĂ©s de pareils dĂ©fauts. Des dĂ©fauts de ce genre ont Ă©tĂ© relevĂ©s sur plusieurs rĂ©seaux Ă©trangers. Il s'ensuit que l'Ă©conomie que l'on escomptait pouvoir rĂ©aliser par une meilleure tenue Ă  l'usure des rails devient illusoire au point que les rĂ©seaux intĂ©ressĂ©s ont renoncĂ© du moins provisoirement au traitement thermique. Jusqu'ici les recherches entreprises n'ont pas permis de dĂ©celer les causes exactes de cet insuccĂšs. Nous devons toutefois signaler que dans les applications limitĂ©es qu'elle a faites, la S. N. C. B. n'a pas jusqu'ici rencontrĂ© les mĂȘmes dĂ©fauts sur les rails traitĂ©s mis en service sur son rĂ©seau. Cette constatation pourrait Ă  priori trouver une explication dans le fait que les rails ayant donnĂ© lieu en service aux dĂ©fectuositĂ©s susmentionnĂ©es avaient subi la trempe du bourrelet directement Ă  la sortie du laminoir sans refroidissement et rĂ©chauffage tandis que les rails traitĂ©s pour la S. N. C. B. ont Ă©tĂ© prĂ©alablement, soit entiĂšrement refroidis, soit refroidis jusqu'Ă  une tempĂ©rature infĂ©rieure Ă  300° C et rĂ©chauffĂ©s Ă  850° dans un four chauffĂ© en vue de la trempe du bourrelet. En rĂ©sumĂ©, l'opportunitĂ© de recourir au traitement thermique des rails en vue de leur confĂ©rer une meilleure rĂ©sistance Ă  l'usure subit un temps d'arrĂȘt en attendant que les causes des dĂ©fectuositĂ©s aient pu ĂȘtre Ă©tablies de façon certaine et au besoin combattues de façon efficace. Nous donnons nĂ©anmoins ci-aprĂšs la description des divers procĂ©dĂ©s de traitement les plus couramment utilisĂ©s. ** * Nous croyons utile de rappeler trĂšs succinctement le mĂ©canisme des transformations que peuvent subir les aciers au cours des cycles thermiques qu'on peut leur faire subir, car si d'une part la teneur en C influe sur la nature ainsi que sur la structure cristalline des aciers, c'est d'autre part, la tempĂ©rature Ă  laquelle on les porte et la vitesse du refroidissement subsĂ©quent qui dĂ©terminent leur structure cristalline finale. Dans les aciers normalement refroidis, la ferrite fer libre et la perlite forment les constituants normaux ; la perlite Ă©tant elle-mĂȘme un agrĂ©gat de lamelles alternĂ©es de ferrite et de cĂ©mentite note 118. ConsidĂ©rons un acier Ă  moins de 0,9 % de C note 119 tel un acier Ă  rails Ă  O,5 % de C par exemple, il ne se produit aucun changement dans sa structure jusque vers 720° tempĂ©rature critique infĂ©rieure ; Ă  partir de cette tempĂ©rature, la perlite ferrite + cĂ©mentite commence Ă  se transformer en solution solide » et, Ă  partir de la tempĂ©rature critique supĂ©rieure vers 800° C, il ne reste plus qu'une solution solide, appelĂ©e austĂ©nite » renvoi page 120. A partir de 800° C, un refroidissement trĂšs lent permettra la sĂ©paration normale de la ferrite et de la perlite en proportions variables suivant la teneur en carbone de l'acier considĂ©rĂ©. Cette cristallisation, Ă  prĂ©dominance perlitique pour les aciers durs, donnera la rĂ©partition optimum en douceur et ductilitĂ©. Mais si le refroidissement est accĂ©lĂ©rĂ©, on peut arrĂȘter la cristallisation Ă  l'un ou l'autre des stades qui modifient complĂštement les propriĂ©tĂ©s physiques et mĂ©caniques du mĂ©tal. Lorsque l'acier chauffĂ© au-dessus du point critique supĂ©rieur vers 800° C pour un acier Ă  0,5 % de C est plongĂ© brusquement dans un liquide froid, l'Ă©tat de solution solide se maintient ; on obtient, non pas l'austĂ©nite, mais bien la martensite, dure et trĂšs fragile structure de trempe. Un refroidissement un peu moins brusque donne naissance Ă  la structure dĂ©nommĂ©e troostite, moins dure et moins fragile. Enfin, Ă  l'Ă©chelon infĂ©rieur suivant, se trouve la sorbite obtenue par revenu ; c'est cette structure unissant une grande duretĂ© au maximum de tĂ©nacitĂ© rĂ©sistance Ă  la traction et offrant une bonne rĂ©silience que l'on vise Ă  obtenir dans le traitement thermique des aciers appelĂ©s, comme les rails, Ă  subir une usure ou des chocs exceptionnels. ** * 1° ProcĂ©dĂ©s de traitement thermique des rails. Le traitement thermique tend Ă  donner Ă  la table de roulement du rail la structure sorbitique » par une trempe plus ou moins vive, en se servant, au cours du refroidissement, de la chaleur rĂ©siduelle emmagasinĂ©e dans l'ensemble du profil pour attĂ©nuer l'effet de trempe et obtenir ainsi un effet de revenu. Les procĂ©dĂ©s les plus usitĂ©s sont le procĂ©dĂ© de l'ingĂ©nieur anglais Sandberg, le procĂ©dĂ© de Neuves-Maisons », le procĂ©dĂ© de la MaxhĂŒtte, le procĂ©dĂ© de Rodange. a Le procĂ©dĂ© Sandberg. InstallĂ© et mis au point en Angleterre et appliquĂ© ensuite en France aux usines d'Hagondange en Lorraine, il se pratique sur les rails de nuance ordinaire Ă  la sortie du train finisseur du laminage de la maniĂšre suivante Des pulvĂ©risateurs projettent sur le bourrelet du rail un mĂ©lange d'air comprimĂ© et d'eau sous forme d'un fin brouillard qui enveloppe complĂštement le bourrelet. On peut agir sur les dĂ©bits de l'air et de l'eau, ainsi que sur la durĂ©e d'application afin de rĂ©gler le refroidissement au degrĂ© qui assure, aprĂšs le revenu provenant de la masse thermique des parties non refroidies, la structure sorbitique note 122_1 qui ne prĂ©sente pas la fragilitĂ© de la martensite. Somme toute, le refroidissement par air et eau pulvĂ©risĂ©e produit un effet intermĂ©diaire entre la trempe Ă  l'eau et le refroidissement lent. On arrĂȘte ainsi la recristallisation du mĂ©tal Ă  la zone de formation de la sorbite. Le procĂ©dĂ© Sandberg permet de rĂ©aliser, suivant les besoins, des rĂ©sistances comprises entre 85 et 100 kg par mmÂČ ; mais, Ă©tant donnĂ© que la texture des rails traitĂ©s est purement sorbitique et non martensitique, on n'arrive guĂšre Ă  dĂ©passer une rĂ©sistance de 100 kg/mmÂČ. La transition entre la zone sorbitique de la pĂ©riphĂ©rie et le cƓur de ferrite-perlite doit s'opĂ©rer lentement, sinon il se produit facilement des criques au raccord. Le gauchissement des rails pendant le refroidissement et les tensions internes qui en rĂ©sultent se trouvent Ă©vitĂ©s par l'application du procĂ©dĂ© Sandberg de refroidissement isotherme obtenu par le passage lent des rails dans un four chauffĂ© Ă  la tempĂ©rature de 600° C. Ce procĂ©dĂ© de refroidissement porte le nom de refroidissement contrĂŽlĂ© ». Il peut ĂȘtre appliquĂ© tant pour le refroidissement des rails traitĂ©s que pour les rails ordinaires, on obtient ainsi aprĂšs refroidissement des rails Ă  peu prĂšs rectilignes. Remarque. - Mentionnons en passant que les bandages de roues peuvent, comme les rails, ĂȘtre traitĂ©s par le mĂȘme procĂ©dĂ©. b Le procĂ©dĂ© de Neuves-Maisons Lorraine. Il consiste essentiellement en une trempe du bourrelet du rail directement Ă  la sortie du laminoir note_122_2 par immersions et Ă©mersions successives du bourrelet dans un chenal contenant de l'eau froide en mouvement. C'est donc une trempe intermittente. La quantitĂ© d'eau est en rapport avec le poids du rail. De cette maniĂšre, on obtient que la structure perlitique normale du rail soit remplacĂ©e par une structure sorbitique sur une profondeur de 20 Ă  30 mm Ă  partir de la surface de roulement. La rĂ©sistance Ă  l'usure se trouve ainsi augmentĂ©e, tandis que le danger de rupture est notablement diminuĂ©. Par les immersions et Ă©mersions alternatives du rail, on permet Ă  la quantitĂ© de chaleur rĂ©siduelle qui se trouve emmagasinĂ©e dans le cƓur du bourrelet, dans l'Ăąme et dans le patin d'affluer vers l'extĂ©rieur et d'opĂ©rer un effet de revenu de la partie trempĂ©e du bourrelet. Comme on peut faire varier, d'une part, la durĂ©e des immersions, ainsi que leur nombre et, d'autre part, agir sur le volume du bain de trempe, on conçoit que le procĂ©dĂ© prĂ©sente beaucoup de souplesse. La duretĂ© obtenue Ă  la surface des rails peut varier de 90 Ă  120 kg/mmÂČ sans entraĂźner de fragilitĂ© ; au contraire, les rails traitĂ©s prĂ©sentent une rĂ©sistance au choc supĂ©rieure Ă  celle des rails de mĂȘme composition chimique non traitĂ©s. En France, afin de ne pas augmenter la fragilitĂ© du rail, on prescrit qu'aprĂšs traitement, la rĂ©sistance, mesurĂ©e dans le bourrelet note 123_1, devra ĂȘtre comprise entre 75 et 87 kg/mmÂČ rĂ©sistance du mĂ©tal avant traitement 65 kg/mmÂČ en moyenne. En Belgique, le cahier des charges de la S. N. C. B. prescrit que la rĂ©sistance, mesurĂ©e dans le bourrelet note 123_1 devra ĂȘtre au minimum de 85 kg/mmÂČ rĂ©sistance du mĂ©tal avant traitement 70 Ă  80 kg/mmÂČ. Eu AmĂ©rique, par contre, la rĂ©sistance des rails traitĂ©s va jusqu'Ă  100 et mĂȘme 110 kg/mmÂČ rĂ©sistance initiale 80 Ă  90 kg/mmÂČ. Remarque. - Notons aussi que la SociĂ©tĂ© Arbed-Belval anciennement Terres-Rouges Luxembourg possĂšde une installation de traitement thermique des rails permettant d'opĂ©rer le traitement suivant le procĂ©dĂ© de Neuves-Maisons dĂ©crit ci-dessus, c'est-Ă -dire, directement Ă  la sortie du laminoir ou, si on le dĂ©sire, aprĂšs refroidissement complet des rails ou tout au moins aprĂšs que la tempĂ©rature est descendue en dessous de 300° C. Les rails sont alors rĂ©chauffĂ©s dans un four appropriĂ© chauffĂ© au gaz de haut-fourneau. Cette derniĂšre variante, qui constitue l'originalitĂ© du systĂšme pratiquĂ© par la sociĂ©tĂ© Arbed-Belval, offre la possibilitĂ© d'un traitement complet des barres, c'est-Ă -dire, permet d'obtenir, outre le durcissement de la table de roulement du bourrelet, un effet de recuit dans le restant du profil. Ce traitement augmente donc la sĂ©curitĂ© dans une certaine mesure, mais il exige pour le rĂ©chauffage un four suffisamment long de la longueur des rails Ă  traiter. c Le procĂ©dĂ© de MaxhĂŒtte note 123_2. A la sortie du train finisseur, le rail note 123_3 renversĂ© patin en l'air, est fixĂ© Ă  une poutre sous laquelle sont disposĂ©s des Ă©lĂ©ments distributeurs d'eau Ă  circulation constante sous faible pression, alimentĂ©s par un collecteur gĂ©nĂ©ral. Le bourrelet du rail est inondĂ© en une seule opĂ©ration pendant un temps variable, fonction de la teneur en carbone et des propriĂ©tĂ©s que l'on veut confĂ©rer au bourrelet. ImmĂ©diatement aprĂšs l'opĂ©ration de trempe du bourrelet, le patin et l'Ăąme Ă©tant encore au rouge sombre, on donne au rail une contreflĂšche telle qu'aprĂšs refroidissement, on obtient des barres Ă  peu prĂšs droites ne nĂ©cessitant plus qu'un lĂ©ger dressage Ă  la presse. Ce traitement donne Ă  la surface du bourrelet une zone Ă  structure martensitique plus dure que la sorbite dont l'Ă©paisseur varie suivant l'Ă©nergie de trempe. A cette zone martensitique succĂšde progressivement une zone de troosto-sorbite, puis une zone de sorbite, pour aboutir Ă  la structure normale du rail composĂ©e de ferrite et de perlite. d Le procĂ©dĂ© de traitement de la SociĂ©tĂ© MiniĂšre et MĂ©tallurgique de Rodange Luxembourg Il se rapproche de celui des usines de l'Arbed-Belval en ce sens que le rail, Ă  sa sortie du laminoir, peut ĂȘtre soit traitĂ© directement par trempe du bourrelet, soit refroidi complĂštement, soit abandonnĂ© au refroidissement jusqu'Ă  ce que sa tempĂ©rature soit infĂ©rieure Ă  300°. Dans ces deux derniers cas, le rail est alors introduit dans un four tunnel chauffĂ© au gaz de haut-fourneau et rĂ©chauffĂ© Ă  une tempĂ©rature d'environ 850/900°. Il subit alors, Ă  sa sortie du four, une immersion unique du bourrelet dans l'eau ; la durĂ©e d'immersion pouvant varier suivant l'effet de trempe dĂ©sirĂ©. Le rail est ensuite abandonnĂ© au refroidissement, le revenu s'opĂšre par conductibilitĂ©, la chaleur emmagasinĂ©e dans tout le profil attĂ©nuant la trempe du bourrelet et donnant au bourrelet la structure sorbitique. La S. N. C. B. commande des rails traitĂ©s par les procĂ©dĂ©s de Rodange Luxem-bourg et de Arbed-Belval Neuves-Maisons modifiĂ© pour ses voies en courbe de faible rayon oĂč s'accusent de fortes usures latĂ©rales. Dans son cahier des charges Ă©dition de 1948, la S. N. C. B. exige que les rails Ă  traiter soient ou complĂštement refroidis ou refroidis jusqu'en dessous de 300° C avant d'ĂȘtre rĂ©chauffĂ©s au four en vue de la trempe du bourrelet. En rĂ©sumĂ©, pour les rails de chemin de fer, selon le systĂšme employĂ© air comprimĂ© et eau pulvĂ©risĂ©e Sandberg, immersions courtes et successives dans l'eau Neuves-Maisons, immersion unique dans l'eau pendant un temps dĂ©terminĂ© MaxhĂŒtte et Rodange, on obtiendra, Ă  partir de la surface de roulement, sur une zone plus ou moins profonde, la martensite, la troostite ou la sorbite ou les deux derniĂšres seulement pour aboutir par transition Ă  la structure normale perlitique des aciers ordinaires. Remarque. - Les chemins de fer vicinaux belges emploient Ă©galement des rails traitĂ©s thermiquement sur toute leur longueur tant pour leurs rails Ă  orniĂšre que pour leurs rails Vignole. 2° Traitement thermique des extrĂ©mitĂ©s des rails note 125_1. Plus de 80 % des bris des rails se produisent dans les extrĂ©mitĂ©s Ă©clissĂ©es et ce chiffre ne comprend pas les rails retirĂ©s des voies pour fĂȘlures Ă  l'about ou pour Ă©toilure des trous des boulons d'Ă©clissage note 125_2. Pour prĂ©venir ou retarder efficacement les bris et les avaries, il faut agir sur le rail pendant sa fabrication et nous avons exposĂ© la solution intĂ©grale du traitement thermique des rails sur toute leur longueur. Mais il existe aussi une solution plus simple et moins coĂ»teuse, appliquĂ©e depuis 1933 Ă  la S. N. C. B. et qui consiste Ă  ne traiter thermiquement que les seules extrĂ©mitĂ©s des rails. Ce traitement, imaginĂ© par M. Servais, Chef des essais du service de la Voie de la S. N. C. B. et mis au point par les Usines des Terres-Rouges Ă  Esch-sur-Alzette, est aujourd'hui appliquĂ© par plusieurs usines belges et luxembourgeoises. Il consiste soit Ă  refroidir rapidement les bouts des rails Ă  leur sortie du laminoir, c'est le procĂ©dĂ© le plus Ă©conomique et le plus rĂ©pandu ; soit Ă  rĂ©chauffer les extrĂ©mitĂ©s des rails froids neufs ou usagĂ©s et Ă  les refroidir ensuite suffisamment vite pour atteindre les conditions de trempe dĂ©sirĂ©es. Le second procĂ©dĂ© opĂ©rant sur les rails froids, permet de bĂ©nĂ©ficier d'un effet de recuit qui entraĂźne un affinage du grain et rĂ©alise un Ă©quilibre structural prĂ©alable Ă  la trempe que ne peut procurer le premier procĂ©dĂ© par refroidissement direct Ă  la sortie du laminoir. Le refroidissement par l'air comprimĂ© est celui qui donne les meilleurs rĂ©sultats, il tend Ă  la sorbitisation de la perlite. L'effet du traitement des extrĂ©mitĂ©s se fait sentir dans toute la section du rail, y compris les portĂ©es d'Ă©clissage. La transition entre la longueur traitĂ©e et la partie non traitĂ©e est lente et progressive. B. - Usure latĂ©rale du bourrelet. L'emploi d'acier Ă  haute rĂ©sistance acier Ă©lectrique et le traitement thermique constituent deux moyens de lutter contre l'usure latĂ©rale des rails dans les courbes de petit rayon. Un deuxiĂšme moyen consiste Ă  graisser les mentonnets des bandages des locomotives au moyen d'un lĂ©cheur Ă  huile ou bien c'est le rebord intĂ©rieur des rails que l'on enduit d'huile de rebut note 126_1. Mais il va sans dire que l'usure des rails en courbe est Ă©galement conditionnĂ©e par un tracĂ© judicieux de la surface de roulement des rails, par un tracĂ© convenable des bandages, par une construction adĂ©quate des bissels et des bogies des locomotives Ă  vapeur, des tracteurs Ă©lectriques, des automotrices, des autorails ainsi que du matĂ©riel de transport, par la mise en Ɠuvre des moyens habituellement utilisĂ©s pour faciliter l'inscription des vĂ©hicules dans les courbes note 126_2. C. - Usure par oxydation. Dans les tunnels humides oĂč l'oxydation est la plus forte, certains rĂ©seaux ont mis Ă  l'essai des rails en acier au cuivre ± 0,4 % de Cu, mais il n'est pas apparu jusqu'ici que cette ajoute de cuivre soit suffisamment efficace pour protĂ©ger les rails contre l'oxydation. D'autres chemins de fer se sont bornĂ©s dans les mĂȘmes circonstances Ă  utiliser un profil renforcĂ©. CHAPITRE VIIILe joint La question des joints peut ĂȘtre examinĂ©e Ă  divers points de vue Conception de l'Ă©clissage au joint. Position des joints par rapport aux appuis. Position relative des joints dans les deux files de rails. A. - Conception du joint. L'assemblage des rails bout Ă  bout est le point faible de la voie. Par suite de son imperfection et par le vide qui existe entre les rails, il provoque des chocs au passage des trains. Ces chocs eux-mĂȘmes augmentent la rĂ©sistance au roulement des trains, favorisent le cheminement des rails, flĂ©chissent et dĂ©tĂ©riorent les abouts des rails et, enfin, dĂ©terminent l'Ă©crasement du ballast. On peut se faire une idĂ©e assez exacte de la nuisance du joint si l'on considĂšre que l'entretien d'un joint 2 files de rails exige 2 heures de main-d'Ɠuvre alors que le nivellement de la voie courante ne demande qu'une demi-heure par mĂštre. Pour minimiser ces inconvĂ©nients et rĂ©tablir autant que possible la continuitĂ© du rail, on consolide d'abord le joint au moyen d'Ă©clisses E fig. 120 et 124, pages 91 et 93 qui embrassent les bouts des deux rails. On rapproche, en outre, les deux traverses de joint ainsi que les traverses voisines de ces derniĂšres afin que le rail soit mieux supportĂ© en cet endroit. 1° Les Ă©clisses. On donne aux Ă©clisses une forme et des dimensions telles que les Ă©clisses, prenant appui sur le patin, soutiennent convenablement le bourrelet et conservent ainsi autant que possible au rail sa raideur et sa rĂ©sistance note 127 ; que la voie garde son alignement et sa rigiditĂ©. On rencontre des Ă©clisses dites plates, des Ă©clisses corniĂšres, des Ă©clisses doubles corniĂšres, des Ă©clisses Ă  fourrure en bois. Les Ă©clisses plates, le plus gĂ©nĂ©ralement employĂ©es, sont des moises en acier fig. 120 et 124, s'appuyant sur les portĂ©es d'Ă©clissage du bourrelet et du patin et assemblĂ©es entre elles par des boulons traversant l'Ăąme du rail. Le moment d'inertie des Ă©clisses doit se rapprocher autant que possible de celui du rail. Les rails devenant plus lourds, on a Ă©tĂ© amenĂ©, dans certains cas, Ă  augmenter Ă©galement le moment d'inertie des Ă©clisses en leur donnant la forme d'Ă©clisses corniĂšres fig. 144 et mĂȘme parfois d'Ă©clisses doubles corniĂšres fig. 145 prolongĂ©es en dessous du patin, dans la partie comprise entre les deux traverses de joint. Sur certains rĂ©seaux AmĂ©rique, Angleterre, Hollande, on commence Ă  employer des Ă©clisses dont le profil se rapproche d'un double tĂ© fig. 146. Fig. 146 2° Boulons d'Ă©clisses. Les boulons d'Ă©clissage, au nombre de 4 ou de 6, doivent toujours ĂȘtre bien serrĂ©s, sinon les joints battent au passage des roues, les portĂ©es d'Ă©clissages des rails et des Ă©clisses s'usent rapidement, le bourrage se dĂ©truit et bientĂŽt, l'on voit apparaĂźtre des traverses danseuses. Mais afin que la dilatation se fasse librement, les trous dans les rails sont, comme nous l'avons dit, forĂ©s Ă  un diamĂštre plus grand que celui des boulons d'Ă©clisses. A la S. N. C. B., lĂ , oĂč l'attache ordinaire par tirefonds ne maintient pas le rail sous contrainte, on a substituĂ© l'Ă©clissage Ă  4 boulons Ă  celui Ă  6 boulons afin d'Ă©viter un serrage trop Ă©nergique qui contrarierait la dilatation du rail. Pour empĂȘcher les boulons de tourner pendant le serrage des Ă©crous, ou bien l'on mĂ©nage dans le dos d'une des Ă©clisses, une rainure dans laquelle vient se loger la tĂȘte des boulons, ou bien la tĂȘte de forme spĂ©ciale vient buter contre une saillie de l'Ă©clisse. Pour prĂ©venir le desserrage des Ă©crous, divers moyens sont employĂ©s, par exemple, les rondelles Grover et, plus souvent, les rondelles Vossloh Ă  2 spires. Fig. 147. - Joint suspendu sur traverses en bois des chemins de fer belges. Ces rondelles se composent d'un anneau brisĂ© en acier fig. 65, page 53, dont les bouts sont relevĂ©s de maniĂšre Ă  former un ou deux pas d'hĂ©lice. IntercalĂ©es entre l'Ă©crou et l'Ă©clisse, elles constituent un ressort assez Ă©nergique, que l'on comprime au fur et Ă  mesure que l'on serre l'Ă©crou. La rĂ©sistance Ă  l'applatissement des rondelles Ă©lastiques est de 3 tonnes. Disons encore que les Ă©crous se trouvent du cĂŽtĂ© intĂ©rieur de la voie pour permettre la visite des joints des rails en ne faisant qu'un seul parcours dans l'axe de la voie. Fig. 148. - Joint Ă  pont avec Ă©clissage Ă  fourrure en bois des chemins de fer de l'Est et du Nord français. 3° Eclissage Ă  fourrure en bois. EmployĂ© par les RĂ©gions Est et Nord de la S. N. C. F., cet Ă©clissage comporte un coussinet d'appui, sorte de selle, glissĂ© sous le joint fig. 148. Ce coussinet prĂ©sente une aile verticale contre laquelle est serrĂ© l'Ă©crou du boulon d'assemblage. La particularitĂ© de ce systĂšme, c'est que l'une des deux Ă©clisses affecte la forme d'un U dans lequel s'engage une fourrure en bois qui est coincĂ©e contre l'aile verticale de la selle. D'une part, le joint est soutenu par la selle ; d'autre part, la fourrure en bois donne Ă  l'ensemble une certaine Ă©lasticitĂ©. L'expĂ©rience française aurait montrĂ© qu'ainsi les boulons ne se desserrent pas. Cependant les essais de joint Ă  fourrure en bois pratiquĂ©s Ă  la S. N. C. B. n'ont pas donnĂ© les rĂ©sultats escomptĂ©s malgrĂ© les prĂ©cautions prises pour que le bois fut bien sec au moment de son emploi. 4° Le joint parfait. La nuisance du joint a son origine dans la prĂ©sence de la lacune entre les abouts des rails et dans l'imperfection de l'assemblage par Ă©clisses. Cette imperfection de l'assemblage rĂ©sulte elle-mĂȘme des tolĂ©rances admises dans la section du rail note 130_1 et dans celle de l'Ă©clisse note 130_2. L'usure des cannelures des cylindres de laminoirs, Ă  elle seule, modifie progressivement le profil des rails. Dans ces conditions, mĂȘme avec des Ă©clisses et des rails neufs, il est impossible de rĂ©aliser un joint Ă©clisse parfait, c'est-Ă -dire assurant un contact continu entre les Ă©clisses et le rail. De cette constatation est nĂ©e l'idĂ©e, d'apparence paradoxale, de constituer un joint parfait en sciant le rail en son milieu de maniĂšre Ă  assembler deux extrĂ©mitĂ©s identiques, quitte, pour conserver la longueur de rail habituelle, Ă  pratiquer une soudure Ă  l'endroit oĂč serait venu le joint normal. Le joint le plus parfait peut Ă©galement ĂȘtre rĂ©alisĂ© en associant simplement des rails neufs dĂ©bitĂ©s d'une mĂȘme barre et numĂ©rotĂ©s Ă  l'usine avant l'expĂ©dition. Lors du remploi des rails usagĂ©s que l'on soude entre eux, on peut choisir l'endroit le meilleur pour le joint parfait. Cette pratique, si elle convient pour les rails de remploi, semble moins indiquĂ©e pour les rails neufs, car si elle amĂ©liore le joint, elle peut nĂ©anmoins crĂ©er un point faible Ă  l'endroit de la soudure par altĂ©ration du mĂ©tal. Tout dĂ©pend donc de la qualitĂ© de la soudure ; si celle-ci laisse des apprĂ©hensions, on prend la prĂ©caution de rapprocher les traverses de part et d'autre des soudures. Par ailleurs, les soudures sont prĂ©alablement recuites. Au chantier de Schaerbeek, on rĂ©alise actuellement une installation de recuit par courant Ă©lectrique haute frĂ©quence. B. - L'usure des Ă©clisses. L'usure des Ă©clisses se manifeste surtout en A au milieu de la surface d'appui supĂ©rieure, puis, mais dans une mesure moindre, aux extrĂ©mitĂ©s de la surface d'appui infĂ©rieure fig. 149. Au dĂ©but de l'apparition du jeu au milieu, en A, il est impossible de le rappeler horizontalement parce que l'Ă©clisse porte encore contre le rail par ses deux extrĂ©mitĂ©s B. Fig. 149. - Usure des Ă©clisses. L'assemblage prend du jeu petit Ă  petit et pour Ă©viter l'affaissement du joint, il faut resserrer frĂ©quemment les boulons et Ă©ventuellement, racheter l'usure d'une maniĂšre plus ou moins satisfaisante par l'emploi d'Ă©clisses spĂ©ciales de hauteur supĂ©rieure Ă  la normale, ou d'Ă©clisses rematricĂ©es note 131_1, ou encore de fourrures en lamelles d'acier doux de l'Ă©paisseur de l'usure Ă  racheter note 131_2. Fig. 150. - Éclisse Ă©lastique CĂ©sar. Éclisse CĂ©sar. Tenant compte de la localisation de l'usure, l'Ă©clisse CĂ©sar comprend fig. 150 et 151 une partie mĂ©diane qui constitue la partie Ă©clissante proprement dite et qui correspond exactement Ă  l'endroit et Ă  l'Ă©tendue de l'usure des portĂ©es d'Ă©clissage ; de part et d'autre de la partie mĂ©diane, un dĂ©maigrissement formant des bras Ă©lastiques ; des extrĂ©mitĂ©s qui se terminent en haut, par des butĂ©es ; Ă  leur base, par des talons. Fig. 151 Éclisse Ă©lastique CĂ©sar. Cette forme particuliĂšre permet de corriger constamment et automatiquement l'usure qui se produit au droit des joints. Naturellement la plus grande longueur de l'Ă©clisse et son parachĂšvement spĂ©cial en relĂšvent le prix d'achat, mais le supplĂ©ment serait compensĂ© par la rĂ©duction des frais d'entretien. C. - Éclisses de raccord. Il arrive que l'on doive assembler deux rails de profils diffĂ©rents. C'est le cas, notamment, quand on passe d'une ligne principale, Ă©quipĂ©e par exemple, en rails de 50 kg/m vers une ligne secondaire armĂ©e de rails de 40 kg/m. Il faut alors faire usage aux joints d'Ă©clisses spĂ©ciales, dites Ă©clisses de raccord et dont la section Ă©pouse d'un cĂŽtĂ© le profil du rail lourd et de l'autre cĂŽtĂ© le profil du rail lĂ©ger, tout en assurant la continuitĂ© de la table de roulement ainsi que celles des faces latĂ©rales intĂ©rieures des deux rails qui guident l'essieu par l'intermĂ©diaire du mentonnet du bandage. D. - Traitement thermique des Ă©clisses. La impose le traitement thermique pour toutes ses commandes d'Ă©clisses, tant laminĂ©es pour voie courante qu'estampĂ©es pour voie courante, raccord entre profils de rails diffĂ©rents ou rachat d'usure des rails de mĂȘme profil. L'acier imposĂ© pour la fabrication est l'acier ordinaire procĂ©dĂ© de fabrication non imposĂ© pour les Ă©clisses laminĂ©es » et l'acier Martin-Siemens ou Ă©lectrique pour les Ă©clisses estampĂ©es ». Le traitement consiste en une trempe Ă  l'eau suivie d'un revenu Ă  600°-650°. AprĂšs traitement, les Ă©clisses doivent prĂ©senter une rĂ©sistance Ă  la rupture R et un allongement A % satisfaisant Ă  la formule . La limite Ă©lastique E doit ĂȘtre au minimum de 0,65 R note 132. D'autre part, les chiffres de rĂ©silience ne peuvent ĂȘtre infĂ©rieurs Ă  7 kilogrammĂštres/cmÂČ pour les Ă©clisses laminĂ©es, et 10 kilogrammĂštres/cmÂČ pour les Ă©clisses estampĂ©es. La structure doit ĂȘtre sorbitique dans toute la section des Ă©clisses. E. - RĂ©duction du nombre des joints. De tout ce qui prĂ©cĂšde, dĂ©coule naturellement l'idĂ©e de rĂ©duire autant que possible le nombre des joints ; on y parvient par le laminage de rails de grande longueur, par la soudure des rails. Nous ne reviendrons pas sur la question des rails de grande longueur, elle a Ă©tĂ© exposĂ©e page 99. Soudure des rails. La soudure est appliquĂ©e non seulement aux rails neufs mais encore aux rails usagĂ©s et mĂȘme Ă  des rails de profils diffĂ©rents lors de la fabrication des rails de raccord. En 1935, lors de l'Ă©lectrification de la ligne Bruxelles-Anvers, des rails de 27 m ont Ă©tĂ© soudĂ©s en barres de 54 m. Cette pratique est actuellement Ă©tendue Ă  toutes les lignes importantes. Rails usagĂ©s. - La soudure permet la rĂ©utilisation, dans des conditions tout Ă  fait convenables, des rails usagĂ©s de longueurs diverses, dont le corps de la barre est encore en bon Ă©tat mais dont on a sciĂ© les bouts dĂ©tĂ©riorĂ©s, dĂ©formĂ©s ou usĂ©s au droit des portĂ©es d'Ă©clissage. AprĂšs soudure de deux ou plusieurs tronçons pour obtenir la longueur voulue, on fore de nouveaux trous d'Ă©clisses. Rails de raccord. - Les Ă©clisses de raccord Ă©tant des accessoires coĂ»teux, on prĂ©fĂšre actuellement Ă  la S. N. C. B. les remplacer par des rails de raccord ». On soude les deux barres de profils diffĂ©rents en interposant entre elles un tronçon de rail de 50 centimĂštres de longueur qui, par un matriçage prĂ©alable Ă  chaud, prĂ©sente Ă  chacune de ses extrĂ©mitĂ©s le profil exact des rails Ă  raccorder. En partant de l'alignement des tables de roulement et des faces latĂ©rales intĂ©rieures des bourrelets, on rabote latĂ©ralement la face extĂ©rieure du bourrelet ainsi que le patin du tronçon de rail de maniĂšre Ă  rĂ©aliser Ă  la jonction la symĂ©trie des Ăąmes ainsi que la coĂŻncidence des largeurs des patins et des bourrelets note 133. Fig. 152. - Soudure d'un rail Ă  orniĂšre avec un rail Vignole. De la mĂȘme maniĂšre, les SociĂ©tĂ©s de Tramways soudent des rails Ă  orniĂšre avec des rails Vignole fig. 152. En 1931, la appliquait aux rails la soudure alumino-thermique par prĂ©chauffage et pression. L'opĂ©ration Ă©tait complĂ©tĂ©e par un recuit dans un petit moufle, alimentĂ© par des brĂ»leurs au benzol. Ce recuit n'est efficace que si la tempĂ©rature atteinte est bien appropriĂ©e. Depuis 1936, la S. N. C. B. emploie la soudure Ă©lectrique par rĂ©sistance, l'opĂ©ration est complĂštement automatique note 134_1. L'opĂ©ration de la soudure comprend quatre phases principales le prĂ©chauffage par Ă©tincelles » des extrĂ©mitĂ©s des rails Ă  souder mises en contact et reculs ; la fusion continue de ces extrĂ©mitĂ©s par rapprochements et reculs l'Ă©tincelage sur une trĂšs courte distance ; le refoulement Ă©nergique 20 tonnes des extrĂ©mitĂ©s l'une contre l'autre ; le recuit ; les soudures sont recuites avant la pose, Ă  une tempĂ©rature de 875° dans un petit four tunnel Ă  gasoil. En vue d'amĂ©liorer le roulement des voitures sur les chemins de fer souterrains tubes », le London Passenger Transport Board » pratique Ă©galement la soudure Ă©lectrique mais au moyen d'une usine gĂ©nĂ©ratrice mobile. Les rails de circulation de 18,30 m de longueur et aussi les rails conducteurs 3e rail sont soudĂ©s en barres de 91 m. Le New-York, New Haven et Hartford Railroad » soude par le procĂ©dĂ© oxyacĂ©tylĂ©nique des rails de 11,90 m en barres de 244 mĂštres. Dans les deux cas, les soudures sont ensuite traitĂ©es thermiquement. Remarque. - L'opĂ©ration du refoulement a pour rĂ©sultat de raccourcir lĂ©gĂšrement chaque rail. C'est pourquoi on fournit les barres Ă  souder avec une surlongueur de 14 mm. Les Chemins de fer vicinaux belges soudent couramment leurs rails de 18 m Vignole et Ă  orniĂšre en barres de 54 m. En principe, en pavage, ils ne s'imposent aucune limite de longueur. Quant aux lignes de Tramways, toutes les voies neuves ou rĂ©cemment renouvelĂ©es sont soudĂ©es le plus gĂ©nĂ©ralement par la soudure alumino-thermique parfois remplacĂ©e par la soudure Ă  l'arc Ă©lectrique parce que moins coĂ»teuse ; quant Ă  la soudure bout Ă  bout par rĂ©sistance, elle n'est pas pratiquĂ©e par les Tramways note 134_2 parce que l'outillage pondĂ©reux et encombrant qu'elle nĂ©cessite ne permet pas de faire des soudures sur chantier et exige la confection des soudures dans les ateliers. A cause de leur longueur, les barres soudĂ©es ne pourraient qu'exceptionnellement ĂȘtre transportĂ©es dans les agglomĂ©rations. F. - Position des joints par rapport aux appuis. Sur les rĂ©seaux europĂ©ens, on rencontre les cinq conceptions suivantes mais que l'on ne dĂ©signe pas toujours sous la mĂȘme appellation le joint appuyĂ© sur traverse ordinaire fig. 153 Ă  155, sur traverse double mĂ©tallique ou sur traverse double en bois. La traverse double en bois est, dans ce cas, constituĂ©e de deux traverses ordinaires assemblĂ©es par boulons ; le joint suspendu, dans lequel les traverses de contre-joint sont rapprochĂ©es sensiblement jusqu'au contact fig. 147 ; le joint en porte Ă  faux supportĂ© par des traverses de contre-joint placĂ©es Ă  l'Ă©cartement normal ou Ă  tin Ă©cartement quelque peu rĂ©duit ; le joint Ă  pont ou joint soutenu fig. 148. 1. - a Le joint appuyĂ© sur une traverse ordinaire fig. 153 Ă  155. Fig. 153 Ă  155 Il ne rencontre guĂšre la faveur des rĂ©seaux parce qu'il donne rapidement un joint dĂ©fectueux. La surface d'appui est trop petite Ă  cet endroit fortement sollicitĂ©. Quand la roue passe dans la position 1, la traverse tend Ă  se dĂ©placer obliquement, ce basculement abaisse le rail d'amont et relĂšve le rail d'aval ; l'inverse se produit quand la roue passe en 2. Les attaches prennent rapidement du jeu et ce, d'autant plus que le passage d'un rail au suivant ne se fait pas sans choc ; le bourrage laisse bientĂŽt Ă  dĂ©sirer et, en fait, le joint n'est plus appuyĂ© ce qui reporte la charge sur les appuis voisins. - b Le joint appuyĂ© sur traverse double mĂ©tallique ou sur traverses doubles en bois. Les chemins de fer allemands et suisses l'emploient dans leur pose de voies avec traverses mĂ©talliques. Les chemins de fer allemands utilisent Ă©galement la traverse double en bois deux traverses assemblĂ©es par boulons. Dans le cas de la traverse double, la surface d'appui est beaucoup plus grande que dans le cas du joint appuyĂ© sur une seule traverse. 2. Le joint suspendu fig. 147. Ce joint, dans lequel les traverses de contre-joint sont rapprochĂ©es sensiblement jusqu'au contact, est trĂšs employĂ© ; les chemins de fer français, suisses et belges l'utilisent. GĂ©nĂ©ralement les deux traverses sont pratiquement jointives, le petit intervalle qui les sĂ©pare dispense de scier les traverses aux dimensions rigoureuses lorsqu'elles sont en bois. La distance d'axe en axe entre traverses est de 29 cm en Belgique fig. 147. Les traverses de joint sont placĂ©es de telle maniĂšre que les axes des surfaces d'appui des rails soient Ă  mi-distance entre les boulons de l'Ă©clissage, en vue de faciliter la pose et le resserrage des boulons et des tirefonds fig. 147. 3. Le joint en porte Ă  faux fig. 156. Il est Ă©galement en usage sur de nombreux rĂ©seaux. Ses partisans estiment que l'abaissement du rail d'amont entraĂźne un abaissement, sinon Ă©quivalent, du moins Ă  peu prĂšs Ă©gal, du rail d'aval ; le passage d'un rail Ă  l'autre se ferait avec plus de douceur. Fig. 156. - Joint en porte Ă  faux avec traverses mĂ©talliques OugrĂ©e-Marihaye ». Il s'impose lorsqu'on emploie des traverses mĂ©talliques avec attaches par clavettes. Dans le cas des traverses mĂ©talliques du type OugrĂ©e-Marihaye », la distance d'axe en axe des traverses de joint atteint 43 cm c'est-Ă -dire que les traverses sont rapprochĂ©es autant que faire se peut dans la limite de la possibilitĂ© du placement et de l'enlĂšvement des clavettes. G. - Position relative des joints dans les deux files de rails. Les joints sont dits concordants quand ils sont placĂ©s exactement au droit l'un de l'autre fig. 157. Ils sont dits alternĂ©s ou en quinconce quand les joints de l'une des files de rails se trouvent au droit du milieu des rails de l'autre file fig. 158. Enfin, ils sont chevauchĂ©s quand leur position se rapproche de la concordance mais avec un dĂ©calage de deux ou trois traverses seulement fig. 159. Si l'on se place du point de vue des chocs transmis de la voie au matĂ©riel roulant wagons et voitures, on peut dire avec les joints concordants fig. 157, au passage du joint affaissĂ©, l'essieu tombe des deux roues eu mĂȘme temps et le vĂ©hicule a une tendance Ă  piquer du nez, avec les joints alternĂ©s fig. 158, les vĂ©hicules qui portent sur quatre roues, restent suspendus sur trois roues au passage du joint affaissĂ©. S'il y a choc, celui-ci est moins violemment ressenti par le vĂ©hicule. Fig. 157. - Joints concordants. Fig. 158. - Joints alternĂ©s. Fig. 159. - Joints chevauchĂ©s. Mais le mouvement de celui-ci est plus irrĂ©gulier car il reçoit alternativement un choc Ă  droite, puis Ă  gauche, d'oĂč un mouvement de roulis. Le dispositif des joints chevauchĂ©s fig. 159 note 137 attĂ©nue les inconvĂ©nients des joints concordants. Les rĂ©seaux adoptent l'un ou l'autre systĂšme selon qu'ils estiment que le confort des voyageurs sera meilleur, mais, Ă  l'heure actuelle, les inconvĂ©nients signalĂ©s sont attĂ©nuĂ©s avec les vĂ©hicules Ă  trois essieux ou Ă  bogies. En fait, ce sont les joints concordants que l'on rencontre le plus frĂ©quemment. Comme les traverses sont rapprochĂ©es dans le voisinage du joint, si l'on se place du point de vue Ă©conomie de traverses », les joints concordants sont Ă  prĂ©fĂ©rer aux joints alternĂ©s et mĂȘme aux joints chevauchĂ©s. Lors du CongrĂšs international de Rome sept. - oct. 1950, le rapporteur italien a signalĂ© qu'il a Ă©tĂ© posĂ© rĂ©cemment en Italie plusieurs centaines de kilomĂštres de voies avec joints soit dĂ©calĂ©s soit alternĂ©s avec des longueurs de barres de 36 et de 48 mĂštres. Pour les barres de 36 m, l'alternance est de 18 m ; avec les joints dĂ©calĂ©s, elle est de 12 mĂštres. H. - Conclusion. Dans notre prĂ©cĂ©dente Ă©dition, nous avons dĂ©crit divers types de joints joint Ă  coussinets des chemins de fer nĂ©erlandais, joint soutenu des rĂ©gions françaises du Nord et de l'Est, joint appuyĂ© Ă  Ă©clisses longues du P. L. M., qui sont aujourd'hui abandonnĂ©s. Ces essais et la diversitĂ© des systĂšmes en usage montrent bien la difficultĂ© de trouver une solution satisfaisante Ă  ce problĂšme. Le joint idĂ©al est encore Ă  dĂ©couvrir. L'invention d'un systĂšme d'Ă©clissage qui supprimerait le forage de trous dans l'Ăąme du rail et partant Ă©liminerait l'une des causes principales des ruptures de rails, constituerait un progrĂšs considĂ©rable. Par ailleurs, les joints doivent ĂȘtre aussi simples que possible, peu coĂ»teux Ă  installer et Ă©conomiques Ă  entretenir. CHAPITRE IXLe cheminement des rails Le cheminement des rails est le dĂ©placement longitudinal et parallĂšle des rails sur les traverses. Le cheminement des rails entraĂźne parfois celui des traverses sur le ballast. Il arrive qu'un rail, gĂ©nĂ©ralement celui de gauche, chemine plus que l'autre, ce phĂ©nomĂšne s'appelle chevauchement ou cheminement diffĂ©rentiel. Dans ce cas, si les traverses sont entraĂźnĂ©es, elles prennent une position oblique qui rĂ©trĂ©cit la largeur de la voie. Le cheminement diffĂ©rentiel est donc plus grave que le cheminement ordinaire. Si le cheminement est. un fait, autre chose est d'en dĂ©terminer exactement les causes. Pour analyser le phĂ©nomĂšne qui se manifeste de façons trĂšs variables sur une mĂȘme ligne, il faut considĂ©rer sĂ©parĂ©ment les lignes Ă  double voie, celles Ă  simple voie, les courbes et les dĂ©clivitĂ©s. A. - Lignes Ă  double voie. Les rails sont soumis Ă  des efforts longitudinaux de sens contraires - les roues motrices et accouplĂ©es de la locomotive dĂ©terminent par leur adhĂ©rence, une action sur le rail dirigĂ©e en sens inverse de la marche, c'est le seul facteur qui agisse dans ce sens, - les roues porteuses de la locomotive, du tender et de tous les autres vĂ©hicules du train tendent au contraire Ă  pousser le rail en avant pour trois raisons 1° Les chocs successifs des roues sur les abouts des rails d'aval. 2° Le mouvement en avant est dĂ» Ă©galement Ă  la dĂ©formation du rail au passage de la roue. La barre est localement et temporairement allongĂ©e par la compression sous la roue. Cet effet de flexion et d'Ă©tirage se traduirait par un mouvement en avant sous la pression longitudinale que la roue exerce en avançant elle-mĂȘme. On a traduit cette idĂ©e sous une forme imagĂ©e au passage d'un train, la partie du rail qui se trouve directement au-dessous d'une roue et des deux cĂŽtĂ©s, prend une forme qui peut ĂȘtre comparĂ©e aux creux d'une vague ; la roue a toujours devant elle une lĂ©gĂšre obstruction, assimilable Ă  une rampe en miniature que, dans un certain sensuelle ne rĂ©ussit jamais Ă  gravir, mais qu'elle chasse devant elle. On constate que le cheminement est d'autant plus important que les traverses sont plus espacĂ©es ; sans doute parce que, dans ce cas, le rail flĂ©chit davantage entre deux traverses. De l'expĂ©rience de tous les chemins de fer, les pires cas de cheminement se produisent toujours sur une plateforme compressible oĂč une action ondulatoire visible prend naissance sous les charges. 3° Au cours du freinage, lorsque l'on exerce au moyen du sabot de frein une pression Q sur une roue chargĂ©e d'un poids P fig. 160, cette pression engendre une action tangentielle retardatrice Ă©gale Ă  fQ. D'autre part, la rĂ©action du rail sur la roue produit, au contraire, une action tangentielle horizontale φP tendant Ă  faire tourner la roue dans le sens de la marche du train. Fig. 160 Ces deux efforts doivent constamment se faire Ă©quilibre. Au fur et Ă  mesure que la pression Q croĂźt, φP augmente. Comme P est constant, le coefficient φ augmente. Il en rĂ©sulte que, lors des freinages, l'action horizontale φP des roues porteuses est augmentĂ©e. Par ailleurs, Ă  ce moment, le rĂ©gulateur de la prise de vapeur est fermĂ©, les roues motrices et accouplĂ©es deviennent porteuses et leur action antagoniste disparaĂźt ; il est clair que, dans ces conditions, le cheminement est plus accentuĂ©. Il est Ă  remarquer que φP, tout en augmentant, doit rester sous la limite d'adhĂ©rence si l'on veut Ă©viter le calage des roues, la pression Q doit donc rester dans une limite dĂ©terminĂ©e. DĂšs que le calage se produit, l'action retardatrice n'est plus le frottement des blocs de frein sur les roues, mais le frottement de glissement, beaucoup plus faible, des roues sur les rails. Le cheminement est maximum aux abords des gares et sur les lignes dĂ©clives oĂč le freinage est frĂ©quent et continu. La S. N. C. B. multiplie les dispositifs anticheminants sur les sections des lignes en forte pente. Pour un train de voyageurs de longueur moyenne et, Ă  fortiori, pour un train de marchandises, remorquĂ© par une locomotive Ă  vapeur ou Ă©lectrique, l'influence des chocs des roues aux abouts des rails est prĂ©dominant et semble suffire pour expliquer le cheminement en avant qui seul se constate. Sur une ligne Ă  double voie qui ne serait parcourue que par des automotrices ou des autorails pour lesquels le nombre de roues motrices est trĂšs grand par rapport au nombre de roues porteuses, le cheminement en avant pourrait ĂȘtre moindre. Enfin, si l'on envisage une ligne Ă  double voie, reliant, par exemple, un dĂ©pĂŽt de locomotives Ă  une gare, ligne sur laquelle ne circuleraient que des locomotives Ă  forte adhĂ©rence et roulant haut le pied », le cheminement pourrait se produire dans le sens opposĂ© Ă  celui de la circulation. De mĂȘme, le cheminement en avant peut ĂȘtre sĂ©rieusement freinĂ© sur un tronçon de voie oĂč les dĂ©marrages sont frĂ©quents note 140, lesquels s'accompagnent parfois du pivotement des roues motrices et accouplĂ©es. Si, comme nous l'avons dit, l'influence des chocs est prĂ©dominante, on comprendra, et c'est ce qui se constate, que le cheminement sera d'autant plus grand que les roues seront plus chargĂ©es, que le trafic tonnage sera plus grand et que la vitesse sera plus grande. Sur une ligne Ă  double voie, le cheminement est le plus accentuĂ© sur la voie la plus chargĂ©e. Courbes. - Dans les courbes, le cheminement est plus accusĂ© sur la file de rails oĂč la charge est la plus Ă©levĂ©e. Si le dĂ©vers est Ă©tabli pour les grandes vitesses, la file de rails du petit rayon de la courbe supporte des charges plus lourdes que celle du grand rayon, c'est alors le rail intĂ©rieur de la courbe qui doit cheminer le plus et c'est ce que l'on observe. Si, au contraire, le surhaussement du rail extĂ©rieur est insuffisant, c'est celui-ci qui aurait tendance Ă  prendre de l'avance sur le rail intĂ©rieur. DĂ©clivitĂ©s. - Sur les lignes fortement dĂ©clives, plus de 15 mm/m par exemple plan inclinĂ© d'Ans Ă  LiĂšge 33 mm/m, les effets de la dilatation s'ajoutent au cheminement provoquĂ© par la circulation et le freinage. Le rail s'allonge dans le sens de la pente lors d'une hausse de la tempĂ©rature et, Ă  cause de la gravitĂ©, ne remonte pas lors de la contraction due au refroidissement ultĂ©rieur. B. - Lignes Ă  simple voie. Sur les lignes Ă  voie unique, parcourues dans les deux sens, le cheminement ne s'observe guĂšre. S'il se produit, c'est alors dans le sens de circulation des trains les plus lourds et les plus rapides ou dans le sens des pentes ou encore dans les sections courbes. Parfois un rail d'une voie unique chemine plus que l'autre ou bien il chemine en sens contraire de l'autre sans qu'il soit possible d'expliquer ce fait. Sur une ligne Ă  voie unique aboutissant Ă  une gare en impasse, l'effet des freinages Ă  l'arrivĂ©e et celui des dĂ©marrages au dĂ©part pour repartir en sens inverse peuvent s'ajouter pour provoquer un cheminement dans la direction du heurtoir. C. - Nuisance et danger du cheminement. Le cheminement tend Ă  fermer les joints de dilatation dans le voisinage des points fixes vers l'aval en voies principales aiguillage, bifurcation, traversĂ©e, cuvette entre pente et rampe ; en voies accessoires les ponts tournants, les ponts Ă  peser. Ce resserrement des joints, en aval est naturellement accompagnĂ© d'une augmentation correspondante de l'ouverture des joints en amont. Tout cheminement qui n'est pas attĂ©nuĂ© suffisamment, exerce un grand effort sur tout obstacle en aval. Il y a alors de grands risques de flambement » de la voie dans son ensemble lorsque survient une brusque Ă©lĂ©vation de tempĂ©rature note 141. Ce flambement est accompagnĂ© d'un Ă©largissement ou d'un rĂ©trĂ©cissement de l'entrevoie. Si les traverses cheminent, elles se placent en porte Ă  faux sur leurs moules et tendent Ă  s'incliner. D. - Cheminement diffĂ©rentiel ou chevauchement. Le cheminement n'est pas toujours le mĂȘme pour les deux files de rails d'une mĂȘme voie, mĂȘme en alignement droit. Le rail du cĂŽtĂ© de l'accotement avance plus vite que celui du cĂŽtĂ© de l'entrevoie, c'est-Ă -dire que, sur les rĂ©seaux oĂč les trains prennent la gauche, le rail de gauche chevauche sur le rail de droite. Diverses raisons ont Ă©tĂ© mises en avant pour expliquer ce phĂ©nomĂšne sans que l'on soit parvenu Ă  Ă©lucider complĂštement la question. D'aucuns y trouvent une justification dans le fait que la traverse est moins bien soutenue du cĂŽtĂ© de l'accotement que du cĂŽtĂ© de l'entrevoie ; cette raison n'est pas pĂ©remptoire car le rail peut cheminer sur la traverse sans que celle-ci se dĂ©place. Sur certains rĂ©seaux, avec circulation Ă  gauche, on a cherchĂ© une relation entre le cheminement du rail de gauche et le fait que, sur ces chemins de fer, la manivelle motrice de gauche des locomotives est en avance sur la manivelle de droite. Cette explication, basĂ©e sur la dissymĂ©trie de la locomotive, trouverait une justification dans le fait que sur le Great Eastern Railway, oĂč la manivelle du cĂŽtĂ© droit des locomotives est en avance sur celle de gauche, il a Ă©tĂ© constatĂ©, au contraire, que c'Ă©tait le rail de droite qui, en alignement droit, cheminait plus que le rail de gauche. La mĂȘme observation a Ă©tĂ© faite sur les chemins de fer du Midi français. LĂ  oĂč les trains prennent la droite, c'est aussi le rail de gauche qui chemine. Sur les lignes Ă©lectriques Ă  mĂ©canisme moteur central, le cheminement parallĂšle existe mais pas le chevauchement. Comme le chevauchement a pour consĂ©quence que les traverses se disposent obliquement et que, dĂšs lors, l'Ă©cartement des rails diminue, il est indispensable d'y remĂ©dier dĂšs qu'il atteint quelques centimĂštres. Fig. 161 Exemple d'un chevauchement trĂšs particulier constatĂ© certain jour sur la ligne de Bruxelles Ă  Ostende aux abords de Bruges fig. 161. Il s'agit d'une pose en rails de 52 kg/m. Or, en vue de freiner le cheminement, les tirefonds traversaient les ailes des Ă©clisses corniĂšres des joints ; de ce chef, l'avance du rail de gauche sur le rail de droite avait entraĂźnĂ© les seules traverses de contre-joint, les traverses intermĂ©diaires Ă©taient restĂ©es normales Ă  la voie, les rails ayant simplement glissĂ© sur celles-ci par suite d'un serrage insuffisant des attaches. E. - Sur les Tramways Il ne se produit pas de cheminement pour les rails Ă  orniĂšre. Les raisons sont les suivantes Les rails sont soudĂ©s sur une grande longueur. Les charges par essieu sont plus faibles et partant les efforts dynamiques sont moindres. F. - RemĂšdes contre le cheminement. Il est difficile d'empĂȘcher le cheminement d'une façon radicale. On parvient assez bien Ă  rĂ©duire, voire Ă  annuler, le cheminement du rail par rapport aux traverses, mais il est plus difficile d'empĂȘcher que le rail se dĂ©place avec les traverses. Celles-ci cheminent avec un dĂ©placement du moule. Quoi qu'il en soit, un cheminement important est gĂ©nĂ©ralement l'indice que la voie est mal entretenue ou bien que sa superstructure n'est pas en rapport avec son trafic. Il en dĂ©coule que le premier remĂšde contre le cheminement est d'avoir une voie bien entretenue et une plateforme bien drainĂ©e. Evidemment, l'entretien de la voie ne peut s'opposer qu'au cheminement et non Ă  sa cause l'action dynamique des vĂ©hicules, mais l'effet de celle-ci augmente avec le dĂ©faut d'entretien. Le second remĂšde consiste Ă  rĂ©duire le nombre de joints par l'emploi de rails de grande longueur obtenus soit directement par laminage, soit par soudure de rails de longueur normale note 142. En effet, d'une part, Ă  longueur de voie Ă©gale, on rĂ©duit le nombre de chocs des roues sur les extrĂ©mitĂ©s des rails ; d'autre part, la rĂ©sistance de frottement du rail sur les traverses qui doit absorber l'effort de cheminement est d'autant plus grande que le rail est plus long. Enfin, le rail lui-mĂȘme est solidaire d'un plus grand nombre de traverses et par consĂ©quent le cheminement des traverses sur le ballast est plus efficacement combattu. Anti-cheminants. En ce qui concerne les mesures spĂ©ciales, nous poserons Ă  la base le principe suivant les mesures prises contre le cheminement ne doivent pas intĂ©resser le joint. La pratique qui consiste Ă  faire passer les tirefonds par des entailles ou des trous mĂ©nagĂ©s dans les ailes plates des Ă©clisses corniĂšres doit ĂȘtre condamnĂ©e. Les traverses de contre-joint ont dĂ©jĂ  une assez lourde tĂąche sans devoir remplir par surcroĂźt le rĂŽle de moyen de retenue contre le cheminement. Par ailleurs, l'assemblage des Ă©clisses aux rails supporte suffisamment d'Ă©branlements sans y ajouter encore un nouvel effort. La tendance moderne est d'employer des dispositifs spĂ©ciaux agissant sur les traverses intermĂ©diaires. Ces dispositifs peuvent ĂȘtre Ă  action positive, Ă  frottement. Les premiers comportent un dispositif d'arrĂȘt, par exemple, un bout d'Ă©clisse corniĂšre fig. 162 ou une plaque d'arrĂȘt, boulonnĂ©e au rail et venant buter contre une traverse intermĂ©diaire. Ces dispositifs nĂ©cessitent le forage de trous dans l'Ăąme du rail. Fig. 162. - Dispositif d'arrĂȘt boulonnĂ© au rail. Il existe des dispositifs Ă  frottement qui Ă©vitent ce forage. a Selle anti-cheminement Winsby fig. 163. Elle se compose de deux piĂšces Ă  mĂąchoires, le verrou et la semelle, qui enserrent de part et d'autre le patin du rail. Ces deux piĂšces s'agrafent par rainure et languette Ă  crochet suivant un joint oblique. Il en rĂ©sulte qu'en chassant le verrou dans la semelle, les mĂąchoires serrent de plus en plus sur le patin. Tout cheminement qui tend Ă  se produire, accentue le serrage sur le patin. La semelle comporte une face d'appui F en retour d'Ă©querre, portant contre la traverse intermĂ©diaire qui, par frottement sur le moule de ballast, doit rĂ©sister Ă  l'effort de cheminement. b La fig. 164 reprĂ©sente un autre modĂšle d'ancre anti-cheminante. Elle se compose de deux piĂšces une griffe en acier dĂ©coupĂ©, un coin en acier estampĂ© exactement au profil du patin du rail. Elle coĂ»te moins cher que la selle Winsby qui est en acier coulĂ©. ** * Pour Ă©viter que la traverse intermĂ©diaire qui reçoit l'effort des butĂ©es d'arrĂȘt boulonnĂ©es fig. 162, ne se dĂ©place sur le ballast, on la relie Ă  quatre ou cinq traverses en amont par rapport au sens du cheminement par des lattes de cheminement, fixĂ©es Ă  ces traverses par des tirefonds. Ces lattes se placent aujourd'hui parallĂšlement aux rails et Ă  l'extĂ©rieur de la voie oĂč leur action est plus efficace. Si la tendance au cheminement est grande, on peut multiplier le nombre de butĂ©es pour reporter l'effort sur un nombre suffisant de traverses intermĂ©diaires. A la S. N. C. B., lorsque les Ă©clisses d'arrĂȘt boulonnĂ©es ne suffisent pas, on ajoute, Ă  chaque traverse, une selle Winsby ou une ancre anti-cheminante et cela, pour Ă©viter de devoir forer de nouveaux trous dans l'Ăąme du rail. Avec la pose sur traverses mĂ©talliques, on place un anti-cheminant Ă  autant de traverses que de besoin. Le systĂšme d'attache des traverses Angleur-Athus dispense de l'emploi de dispositifs spĂ©ciaux pour combattre le cheminement du rail par rapport Ă  la traverse. QUATRIÈME PARTIELes Appareils de la Voie Introduction. Parmi les appareils de la voie, on distingue 1° Les appareils qui servent Ă  faire traverser une voie par une autre voie, ce sont les traversĂ©es qui peuvent ĂȘtre rectangulaires ou obliques fig. 165 et 166. 2° Les appareils qui permettent le passage des vĂ©hicules d'une voie sur une autre voie. On rencontre ici deux catĂ©gories d'appareils a ceux qui permettent le passage continu des vĂ©hicules, ce sont les branchements fig. 167 ; b les dispositifs qui exigent l'arrĂȘt du train et, le plus souvent, ne permettent le passage que des vĂ©hicules un Ă  un, ce sont les plaques tournantes, les transbordeurs. Le branchement comporte un changement de voie aiguillage et un croisement fig. 167, alors que la traversĂ©e fig. 168 est composĂ©e de quatre croisements deux croisements aigus ou croisements proprement dits et deux croisements obtus, communĂ©ment dĂ©nommĂ©s traversĂ©es dans le sens restreint du mot. On retrouve donc dans les traversĂ©es et les branchements une partie analogue le croisement. CHAPITRE ILes branchements 1. GĂ©nĂ©ralitĂ©s A. - Description. Les aiguilles aa', bb' fig. 169 sont manƓuvrĂ©es autour des talons a', b' ; ce sont les pointes a, b qui se dĂ©placent. Les deux files extĂ©rieures de rails sont continues. Les files intĂ©rieures comprennent les parties mobiles aa', bb' qu'on appelle les aiguilles parce que ce sont des tronçons de rails dont les extrĂ©mitĂ©s sont effilĂ©es. Les pointes des aiguilles peuvent ainsi venir s'appuyer, sans former de saillie sensible, contre las rails extĂ©rieurs aux points a et b. Fig. 169. - Le branchement - commande par tringle. GĂ©nĂ©ralement, les deux aiguilles se dĂ©placent ensemble. Elles sont reliĂ©es entre elles par une ou deux tringles d'Ă©cartement t articulĂ©es de telle maniĂšre que le parallĂ©logramme puisse se dĂ©former quand les aiguilles se dĂ©placent. Dans la position indiquĂ©e N du levier de manƓuvre, la position normale, la voie est faite pour la direction AB ; dans la position renversĂ©e R, elle serait faite pour la direction AC. A l'endroit du croisement c des rails intĂ©rieurs, des orniĂšres sont mĂ©nagĂ©es pour le passage des mentonnets des roues. Le branchement comporte en outre de l'aiguille et du croisement, l'arc de branchement a'a". B. - Types d'aiguillages. Un aiguillage peut ĂȘtre caractĂ©risĂ© par la forme des aiguilles aiguilles rigides qui peuvent ĂȘtre droites ou courbes, aiguilles flexibles ; par sa talonnabilitĂ© Ă©ventuelle ; par le nombre de voies qu'il commande Ă  deux directions, Ă  trois directions ; par le mode de commande des aiguilles commande Ă  la main, commande par transmission mĂ©canique rigide ou flexible, commande par transmission par fluide transmission Ă©lectrique ou pneumatique ou hydraulique. C. - Forme des aiguilles. On utilise des aiguilles rigides droites ou courbes et des aiguilles flexibles. Le plus souvent, la voie principale est la voie directe, c'est-Ă -dire qu'elle se prĂ©sente en alignement droit voir fig. 169. Dans ces conditions, l'aiguille bb' donnant accĂšs Ă  la voie directe est une aiguille droite, mais l'aiguille aa' donnant accĂšs Ă  la voie dĂ©viĂ©e peut ĂȘtre une aiguille droite ou une aiguille courbe. Les aiguilles droites sont simples, rĂ©sistantes Ă  la pointe et moins coĂ»teuses. Elles simplifient les approvisionnements qui ne comportent que deux modĂšles pour les dĂ©viations Ă  droite et Ă  gauche alors qu'il en faut quatre avec les aiguilles courbes. D. - TalonnabilitĂ©. Si le train arrive de B et se dirige vers A, il prend les aiguilles par le talon et trouve la voie ouverte si l'appareil est disposĂ© normalement comme le montre la figure 169. Si l'appareil Ă©tait dans la position renversĂ©e, reprĂ©sentĂ©e en pointillĂ©, les mentonnets des roues, roulant contre le rail extĂ©rieur, refouleraient les aiguilles dans la position convenable. Lorsque ce dĂ©placement forcĂ© peut se faire sans bris ou dĂ©formation d'aucune piĂšce, on dit que les aiguilles sont talonnables. E. - Dispositions adoptĂ©es pour les branchements. a Branchements simples. - Sur les plans, les branchements fig. 170 sont gĂ©nĂ©ralement reprĂ©sentĂ©s comme l'indique le croquis fig. 171, les axes des deux voies faisant entre eux l'angle α du croisement. D'une maniĂšre gĂ©nĂ©rale, la voie courbe du branchement se pose sans dĂ©vers, Ă  moins que cette voie ne soit importante et doive ĂȘtre parcourue Ă  vitesse assez grande ; dans ce cas, l'ensemble du branchement et partant les deux voies se posent en dĂ©vers note 148. b Branchements doubles. - Le branchement double est formĂ© d'une voie directe sur laquelle se greffent deux voies dĂ©viĂ©es. Les branchements doubles symĂ©triques comportent un changement Ă  trois voies, les voies dĂ©viĂ©es Ă  gauche et Ă  droite partant du mĂȘme point fig. 172. Fig. 174. - Branchement double dissymĂ©trique avec les deux dĂ©viations du mĂȘme cĂŽtĂ©. Ce systĂšme prĂ©sente l'inconvĂ©nient que les parties mobiles des appareils se maintiennent difficilement dans un mĂȘme plan horizontal et que des confusions dans la manƓuvre des aiguilles sont frĂ©quentes. Aussi prĂ©fĂšre-t-on faire chevaucher l'une des dĂ©viations sur l'autre fig. 173, ce qui donne une installation plus solide et permet de faire la pose avec des aiguilles ordinaires. On peut de la mĂȘme maniĂšre Ă©tablir des branchements doubles dissymĂ©triques dont les deux dĂ©viations sont du mĂȘme cĂŽtĂ© fig. 174. Ces branchements dissymĂ©triques sont encore dĂ©signĂ©s sous le nom de branchements enchevĂȘtrĂ©s. L'angle formĂ© par les deux voies se dĂ©finit par sa tangente, exprimĂ©e en fraction dĂ©cimale comme en France 0,09 - 0,11 - 0,125, etc. ou, ce qui est plus commode pour le tracĂ© des plans, en fraction ordinaire comme en Allemagne 1/11 - 1/9 - 1/8, etc. En Belgique, l'angle de croisement est exprimĂ© en degrĂ©s, minutes, secondes et dessinĂ© Ă  l'aide de la tangente = 5°1'24", tg= 0, ou 1/11,3 ; = 6°11'55", tg= 0, ou 1/9,2 ; = 7°7'30", tg= 0, ou 1/8 ; etc. F. - Pourquoi le branchement normal, c'est-Ă -dire Ă  aiguilles courtes 5 m ou de longueur moyenne 6 m, constitue-t-il un point faible dans la voie ? Pour trois raisons Le soutien imparfait des aiguilles. L'aiguille est, en effet, moins solidement Ă©tablie que le reste de la voie, car elle ne peut ĂȘtre supportĂ©e que par des coussinets sur lesquels elle doit pouvoir se dĂ©placer. La prĂ©sence d'un coude inĂ©vitable Ă  la pointe de l'aiguille angle de dĂ©viation de l'aiguille. Le faible rayon de courbure de la voie dĂ©viĂ©e. G. - Longueur des branchements. Il y a gĂ©nĂ©ralement grand intĂ©rĂȘt Ă  utiliser des branchements courts Pour permettre de donner aux voies des stations le maximum de longueur utile note 149 et de tirer ainsi tout le parti possible de la superficie disponible. Les appareils courts peuvent ĂȘtre groupĂ©s sur une Ă©tendue rĂ©duite d'oĂč facilitĂ© de manƓuvre et de surveillance. Les branchements courts rĂ©duisent le temps nĂ©cessaire au dĂ©gagement des itinĂ©raires ce qui accĂ©lĂšre les manƓuvres. Cependant, pour la facilitĂ© de la circulation, il conviendrait d'avoir des courbes de grand rayon. Mais alors le branchement s'allonge et la place occupĂ©e par l'appareil augmente ; en outre, les courbes de grand rayon conduisent Ă  un angle du croisement trĂšs aigu. Pour les appareils de bifurcation, quand la question de superficie disponible n'est pas en jeu, il peut y avoir, dans certains cas, intĂ©rĂȘt Ă  adopter un grand rayon plutĂŽt qu'un branchement court. La longueur du branchement dĂ©pend du rayon de la voie dĂ©viĂ©e formule 9, page 153. Puisque nous voulons employer des branchements courts, ce rayon devra ĂȘtre le plus petit possible compatible avec la vitesse de circulation. Les deux desiderata sont donc contradictoires. Dans les gares, les voies parcourues par des trains complets ne peuvent prĂ©senter des rayons infĂ©rieurs Ă  180 mĂštres. Évidemment, si on insĂšre dans les voies principales des branchements de petit rayon, on ne pourra circuler Ă  grande vitesse que sur la voie droite. Sur la voie dĂ©viĂ©e, en courbe de 180 m de rayon, les trains devront ralentir Ă  40 km/h. 2. - Relations A. Calcul de l'orniĂšre Ă  mĂ©nager au talon de l'aiguille de dĂ©viation. ConsidĂ©rons l'aiguille de dĂ©viation AO fig. 175. ThĂ©oriquement, son axe se raccorde tangentiellement Ă  celui du rail, l'aiguille Ă©tant entaillĂ©e pour pouvoir s'appliquer contre le rail. Fig. 175. - Aiguille de dĂ©viation OA. Au talon A de l'aiguille, il faudra mĂ©nager une orniĂšre d2 suffisante pour laisser passer le mentonnet des roues et pour Ă©viter que l'aiguille effacĂ©e ne soit Ă  aucun endroit touchĂ©e par le mentonnet de la roue. L'orniĂšre d2 reprĂ©sente la distance entre la face latĂ©rale du talon de l'aiguille et la face latĂ©rale du rail d'applique. Elle correspond Ă  la diffĂ©rence entre l'Ă©cartement normal des faces intĂ©rieures des rails voie neuve 1,435 m et la plus petite valeur de e fig. 177 . 1 Or, d'aprĂšs l'UnitĂ© Technique Internationale note 150, la distance rĂ©glementaire entre les faces intĂ©rieures des bandages des roues d'un mĂȘme essieu est de 1,360 m avec une tolĂ©rance de 3 mm en plus ou en moins, soit 1,357 m et 1,363 m. D'oĂč . 2 dl = largeur rĂ©glementaire du mentonnet = 33 mm note 151, mais il faut tenir compte des tolĂ©rances. Fig. 176 L'Ă©paisseur maximum de dl bandage neuf est Ă©gale Ă  fig. 177 . 3 Fig. 177. - Calcul de l'orniĂšre Ă  amĂ©nager au talon de l'aiguille. Mais quand le bandage est arrivĂ© Ă  sa limite d'usure, dl = 20 mm. Il s'ensuit que la valeur minimum de e est . 4 Dans ces conditions, puisque formule 1 la largeur d2 de l'orniĂšre doit ĂȘtre au moins Ă©gale Ă  d2 = 1,435 m voie neuve - emin, on a, d'aprĂšs la formule 4 d2 = 1,435 m - 1,377 m = 58 mm = 60 mm. 5 Souvent, on prend d2 = 60 mm pour tenir compte d'un Ă©largissement possible de la voie. Si nous voulons connaĂźtre la dĂ©viation » minimum, c'est-Ă -dire la distance d d'axe en axe de l'aiguille et du rail contre-aiguille fig. 175 et 177, nous devrons ajouter Ă  d2 deux demi-Ă©paisseurs de bourrelet du rail soit 72 mm avec le rail de 50 kg/m ou 62 mm avec le rail de 40 kg/m et nous aurons selon le cas d = d2 + 72 mm = 58 + 72 = 130 mm ou d = d2 + 62 mm = 58 + 62 = 120 mm. 6 B. - Relations entre les Ă©lĂ©ments de l'aiguille de dĂ©viation proprement dite. Fig. 178 DĂ©terminons le rayon de courbure R de l'aiguille en fonction de la largeur de l'orniĂšre d et de la longueur l de l'aiguille proprement dite fig. 178 l = AB = OA. Dans le cercle de rayon R, on a et en nĂ©gligeant d2 devant 2 R lÂČ = 2Rd d'oĂč La longueur de l'aiguille l dĂ©pend donc de la largeur d de l'orniĂšre au talon et du rayon R de la voie dĂ©viĂ©e. Or, d = 120 Ă  130 mm. Pour que R soit Ă©gal Ă  300 mĂštres, avec d = 130 mm, il faut . Pour que R soit Ă©gal Ă  500 mĂštres, avec d = 130 mm, il faut . Ordinairement, on n'emploie pas des aiguilles rigides aussi longues, ce serait insĂ©rer dans la voie un trop long tronçon de rail mal soutenu, exposĂ© Ă  flĂ©chir ; en outre, plus l'aiguille est longue, plus elle est lourde et plus sa manƓuvre devient dure. La longueur normale actuelle des aiguilles rigides note 153 est, Ă  la S. N. C. B., de 5 mĂštres. La formule 8 montre que l'emploi d'aiguilles courtes conduit Ă  des aiguilles de petit rayon. C. - Relations entre les Ă©lĂ©ments principaux du branchement. Fig. 179. - Le branchement. Soient, fig. 179 L = la longueur totale du branchement comprenant la longueur Aa de l'aiguille proprement dite, l'arc de raccord ab du branchement, la branche bC du croisement proprement dit jusqu'Ă  la pointe de cƓur mathĂ©matique C. R = le rayon de la voie dĂ©viĂ©e ACE = l'angle du croisement e = l'Ă©cartement de la voie. Quelle est l'influence de l'anglesur la longueur L du branchement et sur le rayon R de la voie dĂ©viĂ©e ? et, nĂ©gligeant AD devant 2 R, on a , d'oĂč or 10 on a successivement Il s'ensuit que les valeurs de L et de R du branchement augmentent au fur et Ă  mesure que l'angle a du croisement diminue, e Ă©tant une constante. La formule 13 dĂ©duite de 12, montre que des courbes de grand rayon donnent Ă  l'angledu croisement, une valeur trĂšs petite. Or, nous verrons combien l'acuitĂ© de cet angle constitue un danger. Le rayon R ne peut descendre au-dessous de 180 mĂštres pour les branchements parcourus par les trains Ă  l'entrĂ©e en gare. Cette limite imposĂ©e Ă  R, fixe en mĂȘme temps une limite Ă et dĂ©cide du choix des appareils de croisement. L'adoption d'un rayon de 180 mĂštres dans la voie dĂ©viĂ©e des branchements conduit Ă  un type d'appareil prĂ©sentant un croisement de tangente 1/9 en usage sur la plupart des rĂ©seaux angle d'environ 6°. Pour ne pas multiplier les types de croisement, les rĂ©seaux se bornent Ă  construire quelques modĂšles d'appareils. Par exemple, la S. N. C. B. a adoptĂ© Croisements en rails de 50 kg/m. Types Longueur des appareils Branche dĂ©viĂ©e Angle Ă  la pointe mathĂ©matique Angle Ă  la sortie Tangente de l’angle Ă  la sortie H0 8,750 R m 2° 51'44" 3° 8'55" 0, H1 6,000 R 561 m 4° 5' 0" 4°29'33" 0, H2 5,200 droite 5° 1'24" 5° 1'24" 0, H3 4,850 droite 6°11'55" 6°11'55" 0, H4 4,450 droite 7° 7'30" 7° 7'30" 0, H5 4,200 droite 8° 57' 1" 8°57' 1" 0, H6 4,000 droite 11°18'40" 11°18'40" 0, H7 3,500 droite 12°23'50" 12°23'50" 0, H8 3,200 droite 14°15' 0" 14°15' 0" 0, Remarque. - Les appareils H5 Ă  H8 ne sont utilisĂ©s que dans les traversĂ©es de voies. 3. - Construction des branchements A. - Calcul et tracĂ©. 1° Branchements Ă  aiguilles droites manƓuvrĂ©es par rotation autour du talon aiguilles articulĂ©es. Le tracĂ© de la voie dĂ©viĂ©e AC d'un branchement fig. 179 n'est pas rigoureusement tangent en A Ă  l'alignement de la voie AB parce qu'il est impossible de rĂ©aliser la lame de couteau » que cela exigerait ; le tracĂ© prĂ©sente, Ă  la pointe de l'aiguille, un angle de dĂ©viation» fig. 180. L'aiguille de dĂ©viation droite ou courbe est raccordĂ©e au croisement proprement dit par l'arc de branchement ab fig. 179, en forme d'arc de cercle de rayon R. Nous supposerons que les branches bC fig. 179 du croisement proprement dit sont conservĂ©es droites note 155_1. Fig. 180 L'angle de dĂ©viationdoit ĂȘtre minimum, mais la nĂ©cessitĂ© de donner Ă  la pointe de l'aiguille une soliditĂ© suffisante, ne permet pas de descendre au-dessous de 30 minutes. Par ailleurs, nous avons vu, page 152, que la dĂ©viation minimum d au talon de l'aiguille doit ĂȘtre de 120 mm Ă  130 mm selon le profil du rail. Pour rĂ©aliser cet angle de dĂ©viationde 30 minutes, au moyen d'aiguilles droites fig. 180, il faudrait leur donner une longueur de 13,745 m note 155_2 ; or, la longueur de 5 mĂštres est de rĂšgle actuellement Ă  la S. N. C. B. Remarque. - A mesure que la longueur AT de l'aiguille augmente, le rayon R de l'arc de branchement TB diminue. En effet fig. 181, partons d'un angle de dĂ©viation donnĂ©et d'une longueur donnĂ©e d'aiguille droite AT. Fig. 181. - A mesure que la longueur de l'aiguille augmente, le rayon de l'arc de branchement diminue. La longueur totale du branchement AC est dĂ©terminĂ©e par la condition pratique d'avoir deux tangentes Ă©gales ST-SB pour la courbe du rail intercalaire TSB. BD = l'alignement droit du croisement. Nous constatons que si nous allongeons l'aiguille AT jusqu'en T', la condition S'T' = S'B' refoule le croisement en C', mais plus le croisement recule, plus la longueur des tangentes diminue. La longueur de l'arc TSB diminue, mais son angle au centre, Ă©gal Ă , reste constant. Le rayon R de l'arc intercalaire est Ă©gal Ă  ,, il dĂ©pend donc de la longueur des tangentes, de la longueur de l'aiguille, de la valeur de l'angle au centre. Comme , nous voyons que, pour un angle de croisementdonnĂ©, plus l'angle de dĂ©viationest petit, plus l'angle au centreaugmente et par consĂ©quent plus le rayon de l'arc intercalaire diminue puisque . Plus l'angleest petit et plus le rayon augmente. 2° Branchements Ă  aiguille de dĂ©viation courbe manƓuvrĂ©e par rotation autour du talon. Les deux inconvĂ©nients que nous avons signalĂ©s Ă  propos de l'aiguille droite longueur exagĂ©rĂ©e des aiguilles et faible rayon de l'arc de branchement, sont attĂ©nuĂ©s par l'emploi d'aiguilles de dĂ©viation courbes, tracĂ©es en arc de cercle. Fig. 182 Deux solutions sont possibles tracer l'aiguille CA tangentiellement au rail d'applique AB fig. 180, p. 155 et substituer, Ă  l'extrĂ©mitĂ© de l'arc de cercle, une tangente CD rĂ©alisant l'angle de dĂ©viation minimum de 30 minutes ; tracer l'aiguille en arc de cercle coupant le rail d'applique sous un angle de 30 minutes fig. 182. Cette derniĂšre solution, qui pour un mĂȘme angle de dĂ©viation, donne une aiguille plus courte, doit ĂȘtre prĂ©fĂ©rĂ©e. Remarque. - Pour un mĂȘme angle de dĂ©viationĂ  la pointe, une aiguille courbe c fig. 183 pourra ĂȘtre plus courte qu'une aiguille droite d mais la course AA' de la pointe devra ĂȘtre plus grande et Ă©gale Ă  AA" pour dĂ©gager complĂštement l'orniĂšre entre le rail d'applique et l'aiguille. Cependant la course de la pointe qui doit ĂȘtre au moins Ă©gale Ă  la dĂ©viation d page 152 ne peut dĂ©passer une limite dĂ©terminĂ©e qui est en gĂ©nĂ©ral de 120 Ă  160 mm note 157_1. Avec les aiguilles courbes, Ă  cause de cette limite, l'orniĂšre d1 devient fig. 184, sur une certaine longueur de l'aiguille, plus petite que la dĂ©viation d au talon T, et, dĂšs lors, il est nĂ©cessaire d'adopter au talon une orniĂšre d2 plus grande qu'avec les aiguilles droites. a TracĂ© gĂ©omĂ©trique de l'aiguille courbe de dĂ©viation note 157_2. Soient AB et TP fig. 185, les bords intĂ©rieurs Ă  la voie des bourrelets du rail d'applique et de l'aiguille courbe, se coupant en P sous l'angle de dĂ©viation. L'aiguille TP est tracĂ©e en arc de cercle de rayon R. Fig. 185. - TracĂ© gĂ©omĂ©trique de l'aiguille courbe de la voie dĂ©viĂ©e. Emplacement du talon de l'aiguille. Étant donnĂ©et, R Ă©tant choisi en tenant compte des considĂ©rations dĂ©veloppĂ©es page 160, on dĂ©termine l'emplacement du talon T de façon que pour la facilitĂ© de la manƓuvre, l'aiguille soit la plus lĂ©gĂšre possible et, pour cela, elle devra ĂȘtre la plus courte possible ; dans sa position effacĂ©e, l'aiguille ne puisse ĂȘtre touchĂ©e par les mentonnets des roues. Il s'agit donc de dĂ©terminer l et d-f. On procĂšde par essais successifs Partant d'une longueur d'aiguille TP = l choisie approximativement, on dĂ©termine l'angle au centrede l'arc de cercle TP par la relation qui, traduite en degrĂ©s, donne . Dans le triangle OPN, la corde TP est Ă©gale Ă  l, on a d'oĂč 1 et la distance BT du talon au rail d'applique c'est-Ă -dire la dĂ©viation d est Ă©gale Ă  2 La manƓuvre de l'aiguille l'amĂšne dans la position TP'. Dans le cas d'une aiguille courbe, le dĂ©placement PP' = a de la pointe est limitĂ© Ă  ± 160 mm. L'arc a = PP' a pour rayon TP' = l, dĂšs lors, l'anglede rotation de l'aiguille est 3 Il se peut que cet anglesoit plus petit quec'est-Ă -dire que la tangente au talon de l'aiguille n'atteigne pas, pendant la manƓuvre, la parallĂšle Tt au rail d'applique menĂ©e par le talon T. Cherchons quelle est, dans ce cas, la valeur de l'orniĂšre rĂ©elle d-f. La flĂšche f de l'arc TP' dĂ©limitĂ© par cette parallĂšle Tt rĂ©sulte de la relation fig. 186 f = AO - OB = R - R cos 4 dans laquelle . Les formules 2 et 4 donnent 5 Enfin, les formules 1 Ă  4 donnent d-f en fonction de R, deet de a Il faut que la distance d-f soit au moins Ă©gale Ă  la distance minimum nĂ©cessaire pour mettre l'aiguille Ă  l'abri des chocs des mentonnets des roues. Fig. 186 Si l'on se donne l'angle de dĂ©viation, le rayon R et la course a, on dĂ©duit, puis ; au contraire, si l'on se donne, l et, on calcule R. DiffĂ©rents essais permettront de fixer la longueur minimum de l'aiguille pour la valeur admise pour le rayon R et pour la course PP' = a. Si la longueur trouvĂ©e pour l'aiguille Ă©tait trop grande, c'est-Ă -dire si elle Ă©tait incompatible avec une manƓuvre facile, c'est que le rayon R adoptĂ© pour l'aiguille serait trop grand et, dans ce cas, il faudrait reprendre les calculs en partant d'un rayon moindre. Remarque. - On rĂ©duit la longueur l de l'aiguille en augmentant la course de la pointe de façon que, dans ce cas f = 0. Si nous nous reportons aux figures 184 et 185, nous voyons que la valeur Ă  donner Ă  la course est Ă©gale Ă  dans laquelle d est la dĂ©viation minimum et l la longueur de la corde de l'aiguille. b Arc de raccord DT du branchement. - Choix du rayon. - Courbure uniforme depuis la pointe de l'aiguille jusqu'au croisement. ConsidĂ©rons la fig. 187. De l'extrĂ©mitĂ© D de la branche du croisement au talon T de l'aiguille, l'arc de raccord du branchement a un rayon R'. En T, oĂč commence l'aiguille, la courbure change et le rayon devient R. Fig. 187 La partie TP du branchement oĂč la courbure est diffĂ©rente de celle de l'arc de branchement DT correspond Ă  l'angle au centre. Le talon T, endroit oĂč la courbure change, se trouve Ă  une distance l" de l'extrĂ©mitĂ© du croisement, mesurĂ©e perpendiculairement Ă  la voie droite. On dĂ©montre note 160_1 que 6 Mais thĂ©oriquement, il y a intĂ©rĂȘt Ă  rĂ©aliser une courbure uniforme dans la voie dĂ©viĂ©e des branchements depuis la pointe de l'aiguillage jusqu'au croisement. Dans ce cas, la partie Ă  courbure diffĂ©rente de celle de l'arc de branchement disparait, que, l" devint l’ fig. 188 et la formule donne pour le rayon de courbure uniforme R' = R 7 oĂč l’ = la distance de l'extrĂ©mitĂ© de la branche du croisement au rail opposĂ© de la voie directe et= l'angle de croisement. Cette courbure uniforme R dĂ©pend donc de l'angle de dĂ©viationet des caractĂ©ristiques du croisement note 160_2. Mais la condition de la courbure uniforme dans l'aiguille et dans l'arc de branchement conduit Ă  multiplier les types d'aiguillage dont le nombre devient nĂ©cessairement aussi grand que celui des types de croisements employĂ©s. Aussi rĂ©alise-t-on seulement l'uniformitĂ© de courbure dans les branchements les plus aigus le plus petit oĂč se rencontrent les plus grands rayons et qui sont par consĂ©quent adoptĂ©s pour les voies parcourues aux vitesses les plus grandes. Fig. 188. - Rayon de courbure uniforme. On utilise les aiguillages de ces branchements avec des croisements moins aigus pour autant Ă©videmment que le rayon R' de l'arc de branchement ne devienne pas trop petit. Ces aiguillages ont des anglesetdĂ©terminĂ©s et correspondent Ă  une valeur d dĂ©terminĂ©e ; le croisement moins aigu a les caractĂ©ristiqueset l’ ce qui dĂ©termine l" = l’ - d. Le rayon R' de branchement dans le cas de la courbure non uniforme est donnĂ© par la formule 6. Il n'est toutefois pas recommandable de rĂ©aliser une courbure uniforme dans le branchement lorsque le croisement employĂ© est trĂšs aigu parce que la longueur des aiguilles devient trop grande. Remarque. - Pour adoucir l'entrĂ©e en courbe, certains rĂ©seaux, dont les chemins de fer belges, renoncent Ă  rĂ©aliser la condition de courbure uniforme dans la voie dĂ©viĂ©e des branchements schĂ©ma de la figure 189. Fig. 189 Au lieu d'un rayon uniforme R1 = O1A = O1C R1 = m, par exemple, tracĂ© interrompu de la figure, ils augmentent le rayon Ă  la pointe entre A et B par exemple R2 = O2A = O2B = m et le diminuent ensuite entre B et C par exemple R3 = O3B = O3C = m. c TracĂ© gĂ©omĂ©trique de l'aiguille T'O de la voie directe MN fig. 190. Dans tous les cas oĂč le rayon de la voie dĂ©viĂ©e MQ est plus petit que 400 mĂštres, il faut donner Ă  la voie dĂ©viĂ©e une surlargeur e dĂ©terminĂ©e par le rayon R de la courbe note 162. Cette surlargeur est rĂ©alisĂ©e par un dĂ©placement du rail intĂ©rieur de CF en C’E fig. 190. Au point C, c'est-Ă -dire Ă  la pointe du changement de voie qui constitue l'origine de la courbe, la surlargeur CC’ doit ĂȘtre Ă©gale Ă  e. En amont du branchement, la voie est Ă©largie suivant DC’. Fig. 190. - TracĂ© gĂ©omĂ©trique de l'aiguille de la voie directe. Pour permettre une construction facile, le rail d'applique C’E peut ĂȘtre rectiligne sur la longueur en contact avec l'aiguille. Pour cela, le rail dĂ©viĂ© DC’, au lieu d'ĂȘtre tangent Ă  l'arc de cercle C’C"E est tracĂ© suivant une sĂ©cante DC". Cependant, Ă  la en cas d'aiguilles courbes, le rail contre-aiguille dĂ©viĂ© est Ă©galement courbe. Les pointes des deux aiguilles sont en regard l'une de l'autre. L'aiguille T'O de la voie droite doit, pour venir en contact avec le rail contre-aiguille DC", avoir sa pointe P' tournĂ©e vers l'extĂ©rieur, Ă  cause de la surlargeur. On peut ou bien lui donner une forme rectiligne T'P' ou bien la forme brisĂ©e T’OP'. Dans le croisement proprement dit, la voie dĂ©viĂ©e est rectiligne et, au surplus, aucune surlargeur n'est rĂ©alisĂ©e afin que la roue soit bien guidĂ©e au passage des lacunes. La surlargeur est rĂ©alisĂ©e dans la courbe mĂȘme en traçant le rail intĂ©rieur suivant EF. A la S. N. C. F., EF est fixĂ©e Ă  3,50 m depuis l'origine de la courbe supposĂ©e en F. Les branchements Ă  aiguille de dĂ©viation courbe prĂ©sentent sur ceux Ă  aiguille droite le grand avantage d'un meilleur tracĂ© dans la voie dĂ©viĂ©e. En effet, les aiguilles courbes rĂ©duisent de moitiĂ© environ l'angle de dĂ©viationde l'aiguille droite, d'oĂč diminution du choc Ă  l'entrĂ©e de la voie dĂ©viĂ©e. Elles diminuent la longueur du branchement, l'angle de la tangente au talon de l'aiguille Ă©tant plus grand avec l'aiguille courbe qu'avec l'aiguille droite. Par contre, les branchements Ă  aiguille de dĂ©viation courbe nĂ©cessitent l'emploi d'appareils diffĂ©rents suivant que la voie dĂ©viĂ©e se dĂ©tache d'un cĂŽtĂ© ou de l'autre de la voie directe, tandis que le mĂȘme appareil peut servir dans les deux cas lorsque les aiguilles sont droites. B. - Changements de voie usuels de la S. N. C. B. note 163. 1° TracĂ© et construction du changement de voie Ă  aiguilles droites articulĂ©es au talon. En 1929, date Ă  partir de laquelle elle a Ă©tudiĂ© et rĂ©alisĂ© des changements de voie Ă  aiguilles flexibles, la S. N. C. B. n'utilisait plus qu'un seul changement de voie Ă  aiguilles articulĂ©es. Le schĂ©ma de cet appareil est donnĂ© figure 191. Fig. 191. - TracĂ© du changement de voie Ă  aiguilles droites articulĂ©es de la S. N. C. B. Ses caractĂ©ristiques principales sont les suivantes A. TracĂ© la construction est symĂ©trique par rapport Ă  l'axe AB ; les aiguilles et les rails contre-aiguilles sont droits ; l'angle de dĂ©viation Ă  la pointe des aiguilles est exactement de 1°30'46" et non de 1°30' comme l'indique la figure 191 ; l'Ă©cartement de la voie au joint de pointe jj’ est normal 1,435 m ; au talon, la surlargeur est de 10 mm Ă©cartement 1,445 m et l'orniĂšre cd est de 60 mm portĂ©e, depuis 1938, Ă  72 mm par rabotage, vers l'extĂ©rieur de la voie, du bourrelet des aiguilles. En joignant jF etj’E, Ă©cartĂ©s de 1,577 m, on obtient Ă  la pointe un Ă©cartement pp' de 1,455 m, soit 20 mm de surlargeur. B. Construction les aiguilles et les rails contre-aiguilles proviennent de rails ordinaires qui sont judicieusement rabotĂ©s ; les aiguilles ordinaires rigides sont articulĂ©es au talon, grĂące Ă  un Ă©clissage maintenu lĂąche ; les aiguilles et les rails contre-aiguilles sont posĂ©s verticalement alors que les rails de la voie courante sont posĂ©s Ă  l'inclinaison de 1/20. Dans ces conditions, l'assemblage de la voie courante Ă  l'appareil est assurĂ© par un Ă©clissage ordinaire qui, au serrage, provoque la torsion des Ă©lĂ©ments assemblĂ©s ; la pointe de l'aiguille est accolĂ©e Ă  la face latĂ©rale du rail contre-aiguille et fait lĂ©gĂšrement saillie sur celui-ci. Cette saillie peut prĂ©senter un danger pour la circulation des essieux dont le bandage est prĂšs d'atteindre la limite d'usure. La conception de ce changement de voie lui donne l'avantage d'une large utilisation ; par contre, elle conduit, dans tous les cas, Ă  une solution imparfaite. Ce changement de voie peut ĂȘtre combinĂ© indiffĂ©remment avec des croisements d'angles diffĂ©rents 4°5'0" - 5°1'24" - 6°11'55" - 7°7'30" - 8°57'01". Ainsi, il donne lieu Ă  une gamme de branchements qui rĂ©pondent Ă  tous les cas d'application. Il peut ĂȘtre posĂ© indiffĂ©remment en dĂ©viation droite, fig. 192, ou en dĂ©viation gauche, fig. 193, ainsi qu'en symĂ©trie complĂšte, fig. 194, ou en toute position intermĂ©diaire entre les positions droite et gauche. Mais le tracĂ© de la voie est fort irrĂ©gulier et s'oppose Ă  la circulation Ă  une vitesse supĂ©rieure Ă  40 km/h, quel que soit le rayon de la voie dĂ©viĂ©e dans le branchement. En effet, ce tracĂ© comporte toujours une dĂ©viation angulaire fort Ă©levĂ©e 1°30'46" ; un tronçon droit de 5 m longueur de l'aiguille ; un excĂšs de surlargeur Ă  la pointe 20 mm qui provoque un flottement des essieux qui parcourent la voie directe. Ce flottement donne lieu Ă  des chocs violents aux grandes vitesses. Quant aux essieux qui empruntent la voie dĂ©viĂ©e, l'angle sous lequel ils attaquent l'aiguille peut ĂȘtre supĂ©rieur Ă  l'angle de dĂ©viation de l'aiguille dĂ©jĂ  fort Ă©levĂ© si l'essieu se prĂ©sente Ă  la pointe de l'aiguille dans une position oblique Ă  la voie Ă  la faveur de cet Ă©cartement excessif. Enfin, l'articulation au talon rĂ©alisĂ©e par un Ă©clissage lĂąche, laisse Ă  l'aiguille une mobilitĂ© propice Ă  l'usure rapide et Ă  la destruction des piĂšces constitutives. 2° Changements de voie Ă  aiguilles flexibles ou aiguilles Ă©lastiques. La substitution d'aiguilles flexibles, manƓuvrant par flexion, aux aiguilles rigides, articulĂ©es au talon, permet de rĂ©aliser un meilleur tracĂ© dans la voie dĂ©viĂ©e. Le plus souvent, l'angle de dĂ©viation est de 30'. Quant au rayon Ă  la pointe, il atteint jusqu'Ă  m. La longueur des aiguilles flexibles est variable ; il en est qui mesurent jusqu'Ă  14 mĂštres. Une aiguille flexible aussi longue est lourde et rĂ©clame un plus grand effort de manƓuvre ; mais, grĂące au rapport des bras de levier, cet effort ne dĂ©passe pas celui que l'on peut demander Ă  l'aiguilleur. Pour localiser la flexion de l'aiguille prĂšs de l'encastrement, on entaille le patin du rail sur une certaine longueur et l'action du levier de manƓuvre est transmise Ă  l'aiguille en deux points situĂ©s, l'un prĂšs de la pointe, l'autre Ă  l'extrĂ©mitĂ© de la partie rabotĂ©e. Pendant la manƓuvre, l'aiguille qui s'Ă©carte de son rail d'applique flĂ©chit, tandis que l'autre se dĂ©tend. En d'autres termes, les aiguilles flexibles ne sont pas sous tension lorsqu'elles sont parcourues ; elles le sont seulement dans la position oĂč elles ne sont pas parcourues. IndĂ©pendamment du meilleur tracĂ© de la voie dĂ©viĂ©e, les aiguilles flexibles prĂ©sentent le grand avantage d'ĂȘtre Ă©clissĂ©es rigidement au talon et de rĂ©aliser ainsi une voie plus robuste que les aiguilles rigides articulĂ©es. Les changements de voie Ă  aiguilles flexibles, construits par la S. N. C. B., forment une sĂ©rie de quatre types diffĂ©rents. Cette sĂ©rie comporte Ă©galement quatre traversĂ©es-jonctions Ă  aiguilles flexibles. Ces changements de voie sont reprĂ©sentĂ©s schĂ©matiquement figure 195, leurs caractĂ©ristiques sont les suivantes A. TracĂ© 1. Leur construction est asymĂ©trique par rapport Ă  l'axe de la voie directe, chaque type comporte donc un appareil Ă  dĂ©viation Ă  droite et un appareil Ă  dĂ©viation Ă  gauche. Elles peuvent cependant ĂȘtre utilisĂ©es symĂ©triquement en les forçant lĂ©gĂšrement et en posant, sur les mĂȘmes piĂšces de bois, un demi-changement de voie de gauche, dĂ©viant Ă  gauche, avec un demi-changement de voie de droite, dĂ©viant Ă  droite, ou inversement. Les piĂšces employĂ©es sont symĂ©triques l'une par rapport Ă  l'autre et se maintiennent mutuellement en Ă©quilibre. Fig. 195. - TracĂ© des changements de voie Ă  aiguilles flexibles de la S. N. C. B. 2. Ils possĂšdent une aiguille courbe et une aiguille droite qui s'accollent respectivement Ă  un rail contre-aiguille droit et Ă  un rail contre-aiguille courbe. 3. La tangente Ă  la pointe de l'aiguille courbe fait un angle de 30' avec le rail contre-aiguille. L'angle de dĂ©viation Ă  la pointe est ainsi ramenĂ© au minimum compatible avec la construction de l'aiguille. Toutefois, dans le type IV, cet angle est portĂ© Ă  42' pour amĂ©liorer le tracĂ© en augmentant les rayons de l'aiguille et de l'arc de branchement. 4. Le tracĂ© de l'aiguille courbe comporte deux arcs consĂ©cutifs de rayons diffĂ©rents. L'arc dont le rayon est le plus grand prend naissance Ă  la pointe et s'Ă©tend jusqu'au point oĂč le bourrelet de l'aiguille se sĂ©pare de celui du rail contre-aiguille position collĂ©e, l'autre fait suite au prĂ©cĂ©dent et s'Ă©tend jusqu'au croisement. Pour les deux changements de voie qui offrent les plus grands rayons, l'arc est prolongĂ© jusqu'Ă  la sortie des croisements. Des croisements spĂ©ciaux ayant une branche courbe ont Ă©tĂ© construits Ă  cet effet. A titre documentaire, nous donnons ci-aprĂšs les caractĂ©ristiques des branchements en rails de 30 kg/m. Les types I, II, III, IV correspondent aux indicatifs F7H0, F6H1, F5H2, F4H3 du tableau. Branchements en rails de 50 kg/m. Types Longueur de l'aiguille Angle de dĂ©viation de l'aiguille Angle de sortie au talon de l'aiguille Rayon de la voie dĂ©viĂ©e Vitesse en voie dĂ©viĂ©e Pose sans devers Pose avec dĂ©vers F7H0 14 m 30’ 1° 1’24’’4 m 90 km/h 120 km/h F6H1 12 m 30’ 1°24’ 0’’5 561 m 90 km/h 80 km/h F5H2 10,500 m 30’ 1°57’18’’8 320 m 50 km/h 60 km/h F4H3 8,600 m 42’ 2°48’16’’15 203 m 40 km/h - F3H3 5 m 1°30’46’’ 1°30’46’’ 184 m 40 km/h - Remarque. - Les changements de voie F7, F6, F5 et F4 sont Ă  aiguilles flexibles et courbes ; seul F3 est Ă  aiguilles rigides et droites. B. Construction des aiguilles flexibles Les rails contre-aiguilles proviennent de rails de profil ordinaire, tandis que les aiguilles sont issues de rails Ă  Ăąme renforcĂ©e. Dans ces rails, l'Ă©paisseur de l'Ăąme est portĂ©e Ă  20 mm au lieu de 15 mm, afin de donner plus de rĂ©sistance Ă  l'aiguille dans la partie voisine de la pointe oĂč les rabotages ne laissent subsister que l'Ăąme du rail. Les aiguilles sont encastrĂ©es au talon par trois chĂąssis d'encastrement qui les solidarisent avec le rail contre-aiguille. Elles se meuvent par flexion de la barre. Cette flexion est localisĂ©e dans une zone, longue de 1,50 m Ă  1,75 m, voisine de la section d'encastrement, grĂące Ă  un affaiblissement adĂ©quat de la raideur de la barre, obtenu par rabotage du patin. Les rails contre-aiguilles sont inclinĂ©s au 1/20, comme les rails de la voie courante, tandis que les aiguilles sont verticales. Dans la zone d'encastrement, les aiguilles subissent une torsion Ă  chaud qui leur donne au talon l'inclinaison de 1/20. La construction d'aiguilles inclinĂ©es au 1/20 sur toute la longueur, ne constitue pas une impossibilitĂ© mais elle entraĂźnerait des difficultĂ©s de rĂ©alisation et de manƓuvre qui ont fait prĂ©fĂ©rer la solution ci-dessus. La pointe de l'aiguille est complĂštement dĂ©robĂ©e sons le bourrelet du rail contre-aiguille, lequel est ; d'ailleurs lĂ©gĂšrement entaillĂ© Ă  cet effet. L'aiguille sort progressivement de son logement pour prendre contact latĂ©ralement avec le mentonnet de la roue. Toute attaque de front de l'aiguille par le mentonnet est ainsi rendue impossible quel que soit le degrĂ© d'usure du bandage. Les changements de voie Ă  aiguilles Ă©lastiques sont conçus pour ĂȘtre combinĂ©s chacun Ă  un croisement d'angle dĂ©terminĂ©. On obtient ainsi des branchements qui rĂ©pondent chacun Ă  un cas d'application dĂ©terminĂ© et dont le tracĂ© est le plus favorable. Certains croisements H0, H1 qui entrent en combinaison avec les aiguilles flexibles sont du type Monobloc » en acier moulĂ© au manganĂšse, Ă  surfaces de roulement inclinĂ©es au 1/20. S'ils sont moins employĂ©s qu'autrefois, c'est Ă  cause de leur prix trĂšs Ă©levĂ©. Les angles de ces croisements et les vitesses maxima auxquelles peuvent ĂȘtre parcourues les voies dĂ©viĂ©es sont repris au tableau ci-dessus. C. -DĂ©tails de construction des aiguilles en gĂ©nĂ©ral. 1° Section transversale des aiguilles. Les aiguilles longues en rail Vignole ordinaire sont-elles assez robustes ? L'aiguille de dĂ©viation c'est-Ă -dire celle de la voie courbe, imprime aux trains un changement de direction, elle supporte de ce chef des efforts horizontaux transversaux d'autant plus grands que l'angle de dĂ©viation est moins aigu, c'est-Ă -dire que le changement de direction est plus brusque. Les aiguilles de dĂ©viation courbes sont donc moins sollicitĂ©es que les aiguilles rectilignes. Par ailleurs, comme nous l'avons dĂ©jĂ  soulignĂ©, les aiguilles ne sont pas comme les rails, fixĂ©es aux traverses, elles sont donc dans des conditions dĂ©favorables pour rĂ©sister aux efforts transversaux qui tendent Ă  les dĂ©former ou Ă  les renverser. Fig. 196Aiguille en profil spĂ©cial Sans doute, elles sont, d'une part, fixĂ©es au talon et s'appuyent, entre celui-ci et la pointe, contre le rail d'applique par l'intermĂ©diaire d'entretoises-butĂ©es judicieusement rĂ©parties. NĂ©anmoins, pour leur donner une grande rĂ©sistance transversale, certains rĂ©seaux ont substituĂ© au rail Vignole des barres de profil spĂ©cial fig. 196. En effet, si l'aiguille flĂ©chissait, il pourrait rĂ©sulter de cette courbure un entrebĂąillement Ă  la pointe et, au cas oĂč un vĂ©hicule aborderait l'aiguille par la pointe, il pourrait y avoir prise de deux voies et dĂ©raillement. Ce profil spĂ©cial prĂ©sente, par ailleurs, une hauteur rĂ©duite de maniĂšre Ă  offrir plus de stabilitĂ© au renversement. 2° Usinage des aiguilles. Lorsque l'aiguille ordinaire rigide est constituĂ©e d'un rail Vignole ordinaire, elle est ployĂ©e Ă  partir du point oĂč les bourrelets de l'aiguille et du rail d'applique se rencontrent. Le bourrelet et le patin de l'aiguille sont rabotĂ©s de maniĂšre que la pointe, rĂ©duite sensiblement Ă  l'Ăąme fig. 197, se dissimule sous le bourrelet du rail d'applique et Ă©chappe Ă  toute charge verticale jusqu'Ă  ce que son bourrelet ait atteint une largeur suffisante. Les aiguilles courbes sont d'abord rabotĂ©es droites puis cintrĂ©es. En outre, on rabote lĂ©gĂšrement la partie infĂ©rieure du bourrelet du rail d'applique vers la pointe de l'aiguille, ce qui permet de renforcer et de dĂ©rober celle-ci Ă  la pointe. Les figures 197 Ă  201 montrent cinq coupes successives d'une aiguille en rail Vignole. Fig. 197 Ă  201. - Coupes successives de la pointe vers le talon d'une aiguille en rail Vignole. L'aiguille est posĂ©e verticalement, le rail contre-aiguille est inclinĂ© au 1/20. Fig. 202 Ă  205. - Coupes successives de la pointe vers le talon d'une aiguille en profil spĂ©cial. Le rail contre-aiguille et l'aiguille sont posĂ©s verticalement. Les figures 202 Ă  205 reprĂ©sentent quatre coupes dans le cas du profil spĂ©cial. Lorsque le bandage de la roue aborde la pointe de l'aiguille, il continue Ă  porter uniquement sur le rail d'applique, l'aiguille sert simplement de guide, jusqu'au moment oĂč l'Ă©cart entre l'aiguille et le rail devient assez grand pour que la roue quitte le rail d'applique. 3° Coussinets de glissement. Les coussinets de glissement fig. 206 et 207 fournissent Ă  l'aiguille l'appui nĂ©cessaire pour rĂ©sister aux charges verticales et maintiennent le rail d'applique dans une position invariable. Leur longueur est en rapport avec la course de l'aiguille. Fig. 206 et 207Coussinet de glissement. 4° Talon de l'aiguille. Dans le cas des aiguilles en rails, la liaison du talon de l'aiguille au rail qui la suit s'effectue Ă  la faveur de la partie montante du coussinet du talon, laissant un certain jeu. Le profil spĂ©cial ne permet plus l'Ă©clissage des aiguilles avec les rails. Les aiguilles sont alors fixĂ©es aux traverses par un assemblage Ă  pivot fig. 208. Lors de la construction de ce pivot, on Ă©vite d'abaisser les piĂšces de bois » de fondation de l'appareil pour ne pas rendre le bourrage difficile. Fig. 208. - Assemblage Ă  pivot d'une aiguille en profil spĂ©cial. Ce pivot se dĂ©tĂ©riore rapidement sous l'action des chocs rĂ©pĂ©tĂ©s et du freinage et c'est pourquoi, Ă  la S. N. C. B., les aiguilles de profil trapu ont Ă©tĂ© abandonnĂ©es. Pour parer Ă  cet inconvĂ©nient, on peut forger le talon de l'aiguille de maniĂšre Ă  lui donner le profil Vignole et Ă  permettre l'assemblage au moyen d'un Ă©clissage normal. Dans le cas des aiguilles Ă©lastiques, le talon est rĂ©alisĂ© par un assemblage Ă©clissĂ© rigidement et renforcĂ© par des chĂąssis-entretoises page 167. D. - Pose en courbe des appareils de voie note 170. Les dĂ©veloppements qui prĂ©cĂšdent sont tous basĂ©s sur l'hypothĂšse que l'une des deux voies d'un branchement ou d'une traversĂ©e est en ligne droite. C'est ce que nous avons appelĂ© la voie directe et c'est cette voie droite qui est prise comme base des tracĂ©s gĂ©omĂ©triques. En pratique, il se fait souvent que des appareils doivent ĂȘtre posĂ©s dans des voies existantes dont le tracĂ© n'est pas rectiligne, mais courbe, cette courbe pouvant mĂȘme affecter la forme parabolique. 1° Solution idĂ©ale. La meilleure solution consisterait alors Ă  crĂ©er des appareils changements de voie, croisements, traversĂ©es Ă©pousant exactement la forme de la courbe et dont les Ă©lĂ©ments pourraient ĂȘtre calculĂ©s mathĂ©matiquement. Toutefois, en raison de la grande diversitĂ© des rayons de courbure, ceci exigerait la fabrication Ă  la piĂšce », qui se rĂ©vĂ©lerait beaucoup trop onĂ©reuse dans l'exploitation d'un rĂ©seau ferrĂ©. Les Français se rapprochent de cette solution en crĂ©ant des appareils cintrĂ©s suivant quelques rayons bien dĂ©terminĂ©s, soit 500, 800 et m pour les croisements et traversĂ©es tg 0,10 Ă  tg 0,13, ou 420, 600 et m pour les croisements Ă  angles plus petits. 2° MĂ©thode classique. Le procĂ©dĂ© classique consiste Ă  considĂ©rer le changement de voie et le croisement pour les branchements, ou les croisements et les traversĂ©es simples pour les traversĂ©es complĂštes, comme des tronçons de ligne droite qui doivent se raccorder tangentiellement aux tronçons de courbes intermĂ©diaires ou extrĂȘmes. Fig. 209. - Branchement posĂ© en courbe avec maintien du rayon. Mais dans ce genre de pose, si l'on conserve dans les intercalaires ab de la voie directe le rayon primitif R, le tracĂ© de la voie en courbe s'en trouve altĂ©rĂ© fig. 209. En effet, les extrĂ©mitĂ©s des intercalaires se prolongeront par des Ă©lĂ©ments droits tangents auxquels la voie courbe devra ensuite se raccorder, d'oĂč rĂ©duction de son rayon fig. 210, cĂŽtĂ© droit. Fig. 210 On est gĂ©nĂ©ralement amenĂ© Ă  Ă©viter cette anomalie de tracĂ©, mais ce au prix d'une rĂ©duction considĂ©rable du rayon de la courbe dans les intercalaires de la voie directe fig. 211 et 210, cĂŽtĂ© gauche ; ceci entraĂźne par voie de consĂ©quence une rĂ©duction de la vitesse autorisĂ©e sur le tronçon de voie envisagĂ©. Des procĂ©dĂ©s trigonomĂ©triques permettent de calculer dans chaque cas le rayon de la voie dĂ©viĂ©e ainsi que la longueur des rails intercalaires. 3° MĂ©thode belge. En Belgique, on utilise depuis une vingtaine d'annĂ©es un procĂ©dĂ© de pose qui donne entiĂšre satisfaction. Il repose sur deux principes fig. 212 Fig. 211. - Branchement posĂ© en courbe avec maintien du tracĂ©. 1° la voie directe Ă©tant censĂ©e former une courbe circulaire et ininterrompue, les changements de voie, croisements et traversĂ©es simples sont posĂ©s suivant les cordes des arcs auxquels ils se substituent, mais les calculs du rayon de la voie dĂ©viĂ©e et de la longueur des rails intercalaires se l'ont comme s'ils Ă©taient cintrĂ©s au rayon de la courbe ; Fig. 212. - Branchement posĂ© en courbe suivant la mĂ©thode belge. 2° la longueur totale d'un branchement et d'une demi-traversĂ©e note 172_1 est fixĂ©e une fois pour toutes ; il en rĂ©sulte que la longueur d'un des rails intercalaires ab de la voie directe celui qui n'est pas attenant au cƓur de croisement est constante, c'est-Ă -dire indĂ©pendante du rayon de la voie directe. On fait les calculs en s'aidant de la figure 213 dans laquelle A1B1 A1'B1' et A2B2 A2'B2' reprĂ©sentent chacun un appareil de voie s. Les points P1 et M2 sont les milieux des branches A1B1 et A2B2 ; P2 est situĂ© sur un rayon passant par M2 ; P1 et P2 sont appelĂ©s les points caractĂ©ristiques. Partant de la longueur courbe P1 P2, qui est constante par dĂ©finition et est reproduite dans des tableaux de calcul on l'appelle longueur caractĂ©ristique », en mĂȘme temps que des vecteurs P1'P1 et P2P2' ainsi que d'autres valeurs auxiliaires, on constitue le polygone P1SP2P2'S'P1'P1 dans lequel seuls les cĂŽtĂ©s P2'S' et S'P1' sont inconnus ; les vecteurs B2'S' et S'B1' forment les tangentes Ă  la courbe de la voie dĂ©viĂ©e. Fig. 213. - Étude gĂ©omĂ©trique d'une combinaison d'appareils en courbe. Pratiquement ces vecteurs ne sont jamais Ă©gaux le plus petit des deux servira au tracĂ© de la courbe ; sur l'autre, il restera une portion de droite inutilisĂ©e pour le tracĂ© de l'arc de cercle. En projetant successivement le polygone en question sur les axes U'U' et V'V', perpendiculaires respectivement Ă  P2'S' et S'P1', on Ă©limine alternativement chacune des deux inconnues, ce qui permet de dĂ©terminer l'autre. L'angle ' au sommet de la courbe dĂ©viĂ©e dĂ©coulant du calcul prĂ©alable de angle au sommet de la courbe de la voie directe et des angles et que forment les deux appareils de voie posĂ©s en combinaison, on calcule le rayon de la voie dĂ©viĂ©e et le dĂ©veloppement des trois rails intercalaires qui ne sont pas fixĂ©s d'avance. La connaissance de la longueur constante d'un des rails intercalaires de la voie directe ou de la longueur caractĂ©ristique ce qui, Ă  une constante prĂšs, est la mĂȘme chose est une aide prĂ©cieuse dans l'Ă©tude de groupements complexes d'appareils situĂ©s dans des voies concentriques, tels que celui reprĂ©sentĂ© Ă  la fig. 214. Sur cette figure, les longueurs caractĂ©ristiques lI, lII, lIII, lIV sont reprĂ©sentĂ©es en traits gras, et les longueurs rigides des appareils AIBI, AIIBII,... AVBV qui s'Ă©tendent par moitiĂ© de part et d'autre des points P ou M en traits d'Ă©paisseur moyenne. Fig. 214. - TracĂ© d'ensemble d'une liaison-traversĂ©e en courbe. Si l'on applique Ă  la combinaison de deux croisements II et III sur la figure une thĂ©orie analogue Ă  celle exposĂ©e pour les branchements et les demi-traversĂ©es, et si l'on fait jouer au hors-d'Ă©querre d'une traversĂ©e MIV - PIV sur la figure le rĂŽle d'une longueur caractĂ©ristique, on voit que par une succession de projections radiales des points caractĂ©ristiques sur une base courbe et concentrique aux voies considĂ©rĂ©es, on obtient sans peine des calculs effectuĂ©s Ă  la rĂšgle suffisent la position sur cette base de tous les points principaux joints des appareils du groupement A', B', C',... J' ; il suffit dĂšs lors de projeter par des procĂ©dĂ©s trigonomĂ©triques les points obtenus sur une base rectiligne tangente en un point quelconque Ă  la base courbe, p. ex. en 0 sur le rayon passant par PI, pour ĂȘtre Ă  mĂȘme de procĂ©der au montage sur le chantier de tout le groupement d'appareils points A", B", C", D",... J". Des tableaux et des abaques facilitent les calculs, et indiquent notamment d'avance au calculateur si la combinaison envisagĂ©e entre certains types d'appareils est permise en vertu des limitations de rayon minimum 250 m en voie directe et 150 m en voie dĂ©viĂ©e et si la voie dĂ©viĂ©e Ă  obtenir aura un tracĂ© convergent centre du mĂȘme cĂŽtĂ© de la voie directe que le centre de celle-ci ou divergent centres de cĂŽtĂ©s opposĂ©s ; dans un groupement d'appareils, en effet, il convient de s'efforcer de rĂ©aliser autant que possible une voie dĂ©viĂ©e Ă  tracĂ© entiĂšrement convergent ou divergent d'un bout Ă  l'autre. Cette facultĂ© permet de procĂ©der Ă  une Ă©tude prĂ©alable rapide et nĂ©anmoins absolument exacte de n'importe quel groupement d'appareils dans des courbes concentriques, sans se prĂ©occuper provisoirement du calcul toujours fastidieux de la longueur des rails intercalaires. Des abaques ont d'ailleurs Ă©galement facilitĂ© cette derniĂšre partie de l'Ă©tude. Fig. 215 Ă  219. - Aiguille de dilatation. E. - Aiguille de dilatation. Sur certains rĂ©seaux, les barres soudĂ©es de grande longueur et les rails des extrĂ©mitĂ©s des ponts mĂ©talliques se prolongent par un dispositif Ă  aiguille et rail contre-aiguille fig. 215 Ă  219. C'est une aiguille ordinaire mais qui ne se dĂ©tache jamais du rail. Les trous des boulons d'assemblage sont elliptiques ou en forme de boutonniĂšres de maniĂšre Ă  permettre la dilatation. CHAPITRE IICroisement Dans l'ensemble MNPQ fig. 220, l'appareil de croisement que l'on retrouve Ă  la fois dans les branchements et dans les traversĂ©es s'insĂšre sur une longueur de 3 Ă  5 mĂštres dans les deux files de rails intĂ©rieurs des voies qui se croisent. Fig. 220 Au centre de l'appareil, pour le passage des mentonnets des roues, les rails sont interrompus par des lacunes Ep, Fp, qui constituent de toute Ă©vidence un point faible dans la voie. Fig. 221 Si l'on se bornait Ă  pratiquer ces lacunes comme le montre la figure 221, une roue venant de B ou de C pourrait heurter les pointes E ou F et la roue aurait Ă  franchir une lacune importante. On remĂ©die Ă  ces inconvĂ©nients, en prolongeant le rail R1E fig. 222, parallĂšlement au rail R2R2, jusqu'en r1 ; de mĂȘme, le rail R2F jusqu'en r2. Les extrĂ©mitĂ©s r1 et r2 de ces contrerails sont lĂ©gĂšrement recourbĂ©es afin de donner de l'entrĂ©e et de ramener la roue si elle s'Ă©tait Ă©cartĂ©e. Les tronçons Er1, Fr2 s'appellent pattes de liĂšvre. La pointe p est dĂ©signĂ©e sous le nom de pointe de cƓur. Fig. 222 GrĂące Ă  la largeur l du bandage fig. 222, la roue, roulant de C vers A, ne quitte la pointe p que lorsqu'elle repose dĂ©jĂ  sur la patte de liĂšvre r1E, ce qui diminue sensiblement le choc vertical sur le rail au passage de la lacune pE. Mais la pointe de cƓur p est exposĂ©e aux chocs des roues circulant en sens contraire de A vers B ou de A vers C. On la prĂ©serve en l'inflĂ©chissant lĂ©gĂšrement fig. 223 ; de cette maniĂšre la roue ne l'attaque qu'en un point oĂč elle prĂ©sente dĂ©jĂ  assez de largeur pour pouvoir supporter la charge. La pointe de cƓur rĂ©elle p, est donc un peu au-delĂ  de la pointe mathĂ©matique p fig. 222 et 223. Fig. 223 En fait, au passage du croisement, la roue roulant sur le rail R1R1 fig. 224 suivra le chemin abc, elle sera donc supportĂ©e de a en b, par la patte de liĂšvre seulement, de b en c, par la patte de liĂšvre et la pointe de cƓur, Ă  partir de c, elle roulera normalement sur la pointe de cƓur. Remarquons encore que, par suite de la conicitĂ© de son bandage, la roue circulant par exemple de A vers C fig. 222 roule sur un diamĂštre de plus en plus petit aussi longtemps qu'elle porte sur le rail coudĂ© Er1 ; le cercle de roulement recule de a vers b fig. 225 et la roue tend Ă  s'abaisser de h, ce qui exige aussi que la pointe de cƓur soit inflĂ©chie pour ĂȘtre soustraite au contact prĂ©maturĂ© de la roue. Fig. 224 Mais nous n'avons pas encore Ă©cartĂ© tous les dangers. Fig. 225 ConsidĂ©rons fig. 220 un essieu mn venant de A et roulant vers B. Il se pourrait, Ă  la suite d'un mouvement de lacet, par exemple, que la roue n heurte la pointe de cƓur. Pour Ă©viter ce danger, on agit sur la roue conjuguĂ©e m que l'on astreint Ă  suivre de trĂšs prĂšs son rail au moyen d'un contrerail Cr1. Ce contrerail guide constamment l'essieu dans sa position normale pendant tout le temps que la roue circule sur la lacune. ** * Quel que soit le type d'aiguillage utilisĂ©, il faut adopter des croisements aussi aigus que possible et Ă  branches de croisement trĂšs courtes pour obtenir le plus grand rayon de courbure dans l'arc de branchement. Par exemple, en rail de 50 kg/m, il existe des croisements de 2°51'44" Ă  la pointe mathĂ©matique tableau p. 154. Il faut que la roue soit parfaitement guidĂ©e dans sa direction au passage de la lacune. Dans ce but, et aussi pour simplifier la construction, la branche correspondant Ă  la voie dĂ©viĂ©e Ă©tait autrefois construite en alignement droit dans le croisement. Il Ă©tait cependant alors de pratique courante, lors de la pose, de cintrer les extrĂ©mitĂ©s de cette branche. En fait, l'alignement droit Ă©tait ainsi limitĂ© Ă  la partie centrale du croisement. Actuellement, dans certains branchements, la branche dĂ©viĂ©e est construite suivant la courbure circulaire de l'arc de branchement. 1° Largeur de l'orniĂšre de protection ef entre le rail et le contrerail fig. 226. Fig. 226 Nous avons vu que pour Ă©viter que la roue A vienne heurter la pointe de cƓur, on limite son dĂ©placement transversal en guidant la roue conjuguĂ©e B par un contrerail. L'orniĂšre de protection ef doit ĂȘtre suffisamment petite pour que, en aucun cas, le mentonnet de la roue A puisse monter sur la pointe de cƓur. Fig. 227 L'hypothĂšse la plus dĂ©favorable Ă  envisager est celle des roues neuves montĂ©es sur l'essieu au maximum d'Ă©cartement 1,363 m fig. 227. Comme l'Ă©paisseur maximum d'un mentonnet neuf est de 34,5 mm note 178, la valeur de l'orniĂšre de protection ef sera de 1435 mm - 1363mm + 34,5 mm = 37,5 mm. GĂ©nĂ©ralement, on adopte une valeur un peu plus Ă©levĂ©e, 40 mm Ă  la S. N. C. F. et Ă  la S. N. C. B. Le calcul suppose que, dans le croisement, la voie est Ă  l'Ă©cartement normal 1,435 m. Lorsque le croisement est en courbe, ou bien, comme en Belgique, on maintient l'Ă©cartement normal 1,435 m ou bien, comme en France, on donne une surlargeur en majorant la distance entre le rail et le contrerail tout en maintenant rigoureusement constante la distance entre le contrerail et la pointe du croisement. Remarque. - En France, la notion d'orniĂšre a Ă©tĂ© remplacĂ©e par celle de cote de protection » reprĂ©sentĂ©e par 1,435 m - 0,040 m = 1,395 m avec les tolĂ©rances + 1 et - 5. Cette cote est matĂ©rialisĂ©e par une entretoise mĂ©tallique posĂ©e entre les rails. La mĂȘme notion est en cours d'application en Belgique. 2° Largeur de l'orniĂšre cd mĂ©nagĂ©e de part et d'autre de la pointe de cƓur fig. 226 et 227. Comme il s'agit d'Ă©viter les chocs des roues contre les pattes de liĂšvre, la largeur de L'orniĂšre cd sera, en principe, aussi grande que la distance minimum entre l'aiguille et le rail d'applique, soit 60 mm de bord Ă  bord voir page 152. Mais on adopte une largeur plus petite ± 45 mm pour rĂ©duire la longueur de la lacune. C'est qu'en effet fig. 226, la longueur thĂ©orique de la lacune ao en rĂ©alitĂ© ao + ob est Ă©gale Ă  . La lacune y est donc d'autant plus grande, d'une part, que l'angle du croisement est plus petit et d'autre part, que l'orniĂšre cd de la patte de liĂšvre est plus largo. C'est pourquoi, il convient de donner Ă  l'orniĂšre la plus petite valeur possible. Si l'Ă©paisseur d'un mentonnet arrivĂ© Ă  la limite d'usure est de 20 mm et si l'on considĂšre la distance minimum 1,357 m entre les faces intĂ©rieures des roues, on a cd = 1,435 m - 1,357 m + 20 mm = 58 mm. En pratique, on adopte une valeur plus petite variant de 40 Ă  50 mm afin d'Ă©viter une lacune de trop grande longueur. A la S. N. C. B., l'orniĂšre cd est fixĂ©e Ă  45 mm. Danger du croisement. Le danger que prĂ©sente un croisement rĂ©side dans la lacune y fig. 228 que la roue franchit sans ĂȘtre guidĂ©e. Or, cette lacune est d'autant plus grande que l'angleest plus aigu . Si le point de contact t du cercle de roulement de la roue fig. 229 quitte le sommet obtus o fig. 228 avant que le bord s du mentonnet de la roue ait atteint, la pointe de cƓur p, la roue pourra dĂ©vier, prendre une position oblique fig. 230 et heurter la pointe de cƓur, d'oĂč risque de dĂ©raillement. 1° Pour un angle donnĂ©, la longueur y de la lacune . a = cd = la distance entre le rail et la patte de liĂšvre, elle varie de 40 Ă  45 mm. Pour l'appareil n° 1, le plus aigu, en rails de 40,650 kg et d'oĂč . Pour le croisement n° 6, et , on a . 2° Le mentonnet de la roue intercepte une longueur de rail Ă©gale Ă  2x fig. 229. Pour que la sĂ©curitĂ© soit complĂšte, il faut que . Fig. 230 Si e = 35 mm = la saillie du mentonnet sur la surface du roulement de la roue et r = le rayon du cercle de roulement de la roue, dans le cercle extĂ©rieur, on a . Pour une roue de 1 mĂštre de diamĂštre 2 r = 1 m . La roue n'est donc pas guidĂ©e sur une longueur de y - x c'est-Ă -dire de 630 - 190 = 440 mm dans l'appareil n° 1 et de 225 - 190 = 35 mm dans l'appareil n° 6 note 181_1. Posant le problĂšme sous sa forme gĂ©nĂ©rale ; pour que la roue ne dĂ©vie pas, il faut que y y. l = Ă©cartement des rails. Dans le triangle OAC, on a , on doit avoir . Exprimons tout en fonction de , il vient ou et comme , on a posons a = 48 mm, l = 1,435 m, d'oĂč l-a = 1,387 m, on a et, pour cela, il faut que c'est-Ă -dire ou > 1/3,7. Comme un croisement d'angle aussi Ă©levĂ© est exceptionnel, il y a donc presque toujours danger. En rĂ©sumĂ©, le contrerail n'est efficace que dans une certaine mesure. La zone dangereuse dans les traversĂ©es obliques correspond Ă  la valeur y - z. Evidemment, au passage de la lacune, la roue continuera sa trajectoire et n'en dĂ©viera qu'Ă  l'intervention d'une cause extĂ©rieure, telle qu'un coup de lacet, une pierre engagĂ©e dans le croisement, un boulon d'Ă©clisse Ă©garĂ©, une piĂšce tombĂ©e d'un vĂ©hicule. On peut augmenter la protection en surĂ©levant le contrerail au-dessus du plan de roulement du rail fig. 229. 2x devient 2x' quand le surhaussement du contrerail est h note 184. D'ordinaire h = 40 mm ; de toutes façons, le surhaussement ne peut dĂ©passer 50 mm par suite des limites imposĂ©es par le gabarit du matĂ©riel roulant. On considĂšre qu'il est dangereux d'adopter un angle plus aigu que Ă  cause du risque de dĂ©raillement Ă  droite et Ă  gauche au passage des lacunes. On donne Ă  la largeur des orniĂšres entre les pointes et les rails coudĂ©s fig. 231, de 40 Ă  50 mm comme dans les croisements Ă  la S. N. C. B. 40 mm. B. - TraversĂ©es rectangulaires et Ă  grand angle. Deux cas sont Ă  envisager 1er cas. - Les deux voies qui se coupent sont l'une et l'autre de peu d'importance. Dans ce cas, on interrompt les rails des deux voies pour le passage des mentonnets des roues fig. 233. On installe des contrerails pour Ă©viter les chocs contre les bouts des rails sectionnĂ©s. Les contrerails font complĂštement dĂ©faut en regard des lacunes, mais la longueur de celles-ci n'est que de l'ordre de 40 mm alors que dans les croisements, on atteint jusqu'Ă  630 mm voir page 180. 2me cas. - Si l'une des voies est importante et parcourue par des trains rapides, tandis que l'autre est une voie vicinale ou une voie de tramway, on sacrifie la voie secondaire en conservant la continuitĂ© des rails de la voie la plus importante fig. 234 et 235. Comme les mentonnets des vĂ©hicules de la ligne secondaire doivent passer au-dessus des rails de la voie principale, la voie de la ligne secondaire est relevĂ©e par des plans inclinĂ©s mĂ©nagĂ©s de part et d'autre de la voie principale et les roues roulent sur leurs mentonnets. Les rails de la voie secondaire doivent prĂ©senter une orniĂšre de largeur suffisante pour laisser passer, non seulement les mentonnets des roues de la voie principale, mais la largeur du bandage lui-mĂȘme. Fig. 235. - TraversĂ©e d'une voie de la S. N. C. B, par une ligne vicinale. 3me cas. - Les deux voies sont importantes. Si la vitesse est faible, on fait usage du type reprĂ©sentĂ© fig. 233, soit en rails assemblĂ©s, soit en acier au manganĂšse. Si la vitesse est grande, on crĂ©e un saut de mouton. C. - Construction des croisements et des traversĂ©es. Les croisements et les traversĂ©es se font en rails assemblĂ©s fig. 236 ou bien ces appareils sont coulĂ©s en acier spĂ©cial au manganĂšse fig. 237 Ă  240. Les appareils en acier moulĂ© sont d'un coĂ»t beaucoup plus Ă©levĂ© que ceux en rails assemblĂ©s, mais ils sont beaucoup plus rĂ©sistants Ă  l'usure. Fig. 236. - Croisement en rails assemblĂ©s. Pour les appareils de voie croisements et traversĂ©es situĂ©s en voie trĂšs parcourue, la S. N. C. B., ainsi que bon nombre de compagnies Ă©trangĂšres, utilisent l'acier au manganĂšse du type Hadfield Ă  12 Ă  14 % de Mn avec teneur en carbone de 1 % minimum. Cet acier est austĂ©nitique note 186_1, il n'est donc pas dur, il ne le devient que par Ă©crouissage. Sa duretĂ© aprĂšs trempe Ă  l'eau ne dĂ©passe pas le chiffre Brinell de 207 diamĂštre 4,2 mm. Sa grande rĂ©sistance Ă  l'usure n'est obtenue que sur les surfaces de roulement oĂč l'austĂ©nite se transforme en martensite sur une faible couche et au fur et Ă  mesure de l'Ă©crouissage. Fig. 237 Ă  240. - Croisement coulĂ© en acier spĂ©cial au manganĂšse. La duretĂ© Brinell relevĂ©e Ă  la surface dĂ©passe alors couramment 400 diamĂštre 3,05 mm correspondant Ă  une rĂ©sistance d'environ 150 kg/mmÂČ. Ce type d'acier au Mn est inusinable par les moyens habituels note 186_2 et le calibrage des parties Ă  travailler doit se faire au moyen de meules appropriĂ©es. Les SociĂ©tĂ©s de Tramways utilisent Ă©galement beaucoup l'acier au manganĂšse pour les aiguillages et appareils situĂ©s en pavage pour Ă©viter les interruptions de la circulation routiĂšre provoquĂ©es par les remplacements frĂ©quents auxquels conduit l'emploi d'acier ordinaire. Les Compagnies de Tramways utilisent aussi pour leurs appareils sur une Ă©chelle assez large, les aciers au Nickel-Chrome qui, aprĂšs traitement thermique, donnent des duretĂ©s en surface comparables Ă  celles des aciers spĂ©ciaux au Mn et qui, au surplus, se prĂȘtent Ă  la soudure et au rechargement par mĂ©tal d'apport. A la S. N. C. B., certaines traversĂ©es Ă  niveau ont Ă©tĂ© rĂ©alisĂ©es en acier Nickel-Chrome, notamment la traversĂ©e Ă  niveau des voies de la S. N. C. B. par celles des Tramways Bruxellois au passage Ă  niveau de la rue Belliard Bruxelles-Quartier-LĂ©opold. Tous les appareils sont soudĂ©s entre eux de sorte que les rails de la S. N. C. B. ne comportent aucun joint dans toute l'Ă©tendue du pavage du passage Ă  niveau note 186_3. D. - Les traversĂ©es-jonctions. Supposons qu'il s'agisse de faire communiquer entre elles deux voies AB, CD, fig. 241 de telle maniĂšre que, de A, on puisse aller vers C ou vers B et, de B, vers D ou vers A. On pourra installer une double liaison 1-2, 3-4. On aura ainsi 4 branchements comportant chacun 1 changement de voie et 1 croisement et 4 appareils de manƓuvre. C'est une premiĂšre solution qui rĂ©clame une longueur l1 ; mais on peut recourir Ă  une bretelle 1-2, 3-4 fig. 242 qui comporte Ă©galement deux liaisons 1-2, 3-4 mais ces liaisons se coupent, ce qui permet de rĂ©duire l'encombrement en longueur de l1 Ă  l2. Fig. 243. - DĂ©tail de la bretelle. Remarquons cependant que pour ĂȘtre rĂ©alisĂ©e en matĂ©riel standard, la bretelle exige une surlargeur d'entrevoie 0,80 m minimum en Belgique, ce qui fait perdre une partie du bĂ©nĂ©fice rĂ©sultant du raccourcissement. Mais il faut Ă©galement 4 branchements et 4 appareils de manƓuvre, mais en plus une traversĂ©e complĂšte, comportant 2 croisements et 2 traversĂ©es simples fig. 243, c'est-Ă -dire un appareil plus compliquĂ©. TraversĂ©e-jonction T. J. ou traversĂ©e anglaise. A la diffĂ©rence de la bretelle qui rĂ©unit deux voies parallĂšles, la traversĂ©e-jonction Ă©tablit fig. 244 et 245 une communication directe entre deux voies AB et CD qui se croisent. Dans ce but, dans chacun des deux angles obtus de la traversĂ©e, on dispose deux rails courbes rr' et on introduit quatre changements de voies 1-2, 5-6, 3-4, 7-8. On obtient ainsi une traversĂ©e-jonction double. Ce double systĂšme d'aiguilles permet d'Ă©tablir entre les deux voies qui se coupent toutes les communications dĂ©sirables et cela, avec une concentration des appareils sur un espace relativement petit. Fig. 244. - SchĂ©ma montrant la naissance d'une traversĂ©e-jonction. Fig. 245. - TraversĂ©e-jonction double. Remarquons que les rails extĂ©rieurs r, r sont continus. Si le raccordement n'Ă©tait rĂ©alisĂ© que d'un seul cĂŽtĂ©, on aurait une traversĂ©e-jonction simple fig. 246. La traversĂ©e-jonction double de la figure 245 peut ĂȘtre figurĂ©e simplement comme le montre le schĂ©ma de la figure 247. A la S. N. C. B. sur les plans, on adopte le schĂ©ma figure 248. Fig. 246. - TraversĂ©e-jonction simple. Pour une traversĂ©e-jonction simple, le schĂ©ma est celui de la figure 249. Remarquons qu'un branchement correspond Ă  une traversĂ©e dont on a supprimĂ© l'une des branches fig. 250. Quand aura-t-on recours Ă  la traversĂ©e-jonction fig. 247 plutĂŽt qu'Ă  deux branchements disposĂ©s pointe Ă  pointe schĂ©ma 251 ? Si l'une des voies est plus importante que l'autre, par exemple AA, c'est-Ă -dire si elle est utilisĂ©e par des trains rapides et est trĂšs parcourue, la voie BB Ă©tant secondaire, on adoptera, Ă  moins que la place fasse dĂ©faut, le schĂ©ma plus Ă©conomique de la figure 251. Mais si les deux voies AA et BB sont Ă©galement importantes, on aura recours Ă  la traversĂ©e-jonction fig. 248. Fig. 252 Les traversĂ©es-jonctions sont trĂšs employĂ©es dans les grandes gares oĂč elles simplifient et accĂ©lĂšrent les manƓuvres et diminuent l'espace occupĂ© par les appareils de changement de voies. En Ă©tablissant, par exemple fig. 252, en travers des voies parallĂšles 1, 2, 3, 4 deux voies en bretelle AB, CD munies de traversĂ©es-jonctions T. J. Ă  leur intersection avec les voies 2 et 3, on pourra diriger un train de l'une quelconque des voies 1 Ă  4 sur une autre quelconque et cela dans les deux sens. Si l'on rĂ©alisait les mĂȘmes communications au moyen de changements de voie ordinaires fig. 253, d'une part, il faudrait un dĂ©veloppement plus grand en longueur et, d'autre part, on aurait sur les transversales, des sinuositĂ©s dĂ©favorables Ă  la circulation. Fig. 253 Il ne faut cependant jamais perdre de vue qu'une traversĂ©e-jonction double complĂšte pose comprise coĂ»te frs environ, en voie secondaire et frs environ, en voie principale prix de 1950 ; il est donc prudent, avant de dĂ©cider de son installation, de supputer son rendement probable note 190_1. Lorsqu'on examine le croquis de la figure 245, on constate que pour loger le double aiguillage entre les deux croisements aigus a, a' de la traversĂ©e-jonction fig. 245 sans donner aux rails courbes rr' une courbure trop prononcĂ©e, la distance aa' devrait ĂȘtre la plus longue possible, mais cette grande longueur conduit Ă  des croisements a, a' trĂšs aigus qui n'assurent pas la couverture de la lacune. Si, pour diminuer le danger du passage des lacunes aux croisements a et a', on adopte pour ceux-ci un grand angle, le rayon des rails courbes rr' diminue et la circulation dans ces courbes raides est dĂ©fectueuse. Par ailleurs, l'angle de dĂ©viation des aiguilles augmente. Mais, en fait, la limite infĂ©rieure de l'angleest dĂ©terminĂ©e par la traversĂ©e installĂ©e entre r et r' et la limite supĂ©rieure de cet angle par le rayon r. r'. A la S. N. C. B., il existe deux types de traversĂ©e-jonction l'une correspond Ă  l'angle H3 = 6°11'55" dont la tangente est Ă©gale Ă  0, et l'autre Ă  l'angle H4 = 7°7'30", tangente 0, Les deux changements de voie de chaque extrĂ©mitĂ© de la traversĂ©e-jonction sont manƓuvrĂ©s par un seul levier, il y a donc deux leviers par traversĂ©e-jonction. Fig. 254. - TraversĂ©e-jonction double. La manƓuvre se fait dans des conditions telles que 1er cas les deux aiguilles intĂ©rieures, par exemple, 2 et 3 fig. 245, se meuvent dans des sens opposĂ©s, autrement dit, la manƓuvre les rapproche l'une de l'autre ou les Ă©loigne l'une de l'autre. 2me cas les deux aiguilles intĂ©rieures 2 et 3 se dĂ©placent dans le mĂȘme sens c'est-Ă -dire que leurs courses sont parallĂšles fig. 254. Dans ce dernier cas, il suffit de rĂ©server pour la manƓuvre un espace E sensiblement moitiĂ© moindre que dans le 1er cas. Dans le 1er cas, il faut, en effet, disposer d'un espace 2E fig. 255, Ă©gal Ă  deux fois la course l, plus deux fois la largeur e de l'aiguille elle-mĂȘme ; dans le 2me cas fig. 256, une fois la course, plus deux fois la largeur de l'aiguille. Comme d'autre part, on est enfermĂ© dans le losange aa' formĂ© par la traversĂ©e, il faut, dans le 1er cas, pour loger l'espace minimum indispensable 2E, ramener les pointes des aiguilles vers le centre du losange alors que le tracĂ© le meilleur demande au contraire que les pointes se rapprochent le plus possible du sommet des angles aa'. Fig. 257. - TraversĂ©e-jonction double en rails de 50 kg/m, angle de 6°11'55", tg= 0, Le seul avantage du 1er cas fig. 245, c'est que l'on peut circuler sur la traversĂ©e-jonction selon deux itinĂ©raires successifs diffĂ©rents par exemple, sens AD, puis sens CB sans devoir manƓuvrer la traversĂ©e-jonction, ce qui n'est pas possible dans le dispositif de la figure 254. Pour la clartĂ© du dessin, l'angle de la traversĂ©e-jonction a Ă©tĂ© fortement exagĂ©rĂ© sur les figures 245 et 254 ; mais nous reproduisons Ă  l'Ă©chelle, figure 257, une traversĂ©e-jonction double en rails de 50 kg/m telle qu'elle se prĂ©sente sous un angle de 6°11'55". Le tableau ci-dessous donne les caractĂ©ristiques des traversĂ©es proprement dites des appareils du genre de ceux qui se font vis-Ă -vis au centre de la figure 257. TraversĂ©es en rails de 50 kg/m. Types Longueur des appareils Angle Tangente V3 3,950m 6°11'55" 0, V4 3,450 7° 7'30" 0, V5 3,400 8°57' 1" 0, V6 3,300 11°18'40" 0, V7 3,200 12°23'50" 0, V8 3,000 14°15' 0" 0, Il existe sur certains rĂ©seaux, notamment en Allemagne, une traversĂ©e-jonction Ă  changements de voie extĂ©rieurs E fig. 258 placĂ©s en dehors du losange aa'. Fig. 258. - TraversĂ©e-jonction Ă  aiguilles extĂ©rieures au losange aa'. Ce type prĂ©sente l'avantage de pouvoir s'appliquer Ă  des angles plus grands ou, inversement, d'obtenir des rayons plus grands. Il a l'inconvĂ©nient d'exiger des piĂšces trĂšs spĂ©ciales, par exemple, 3 cƓurs de croisements combinĂ©s et un rail R doublement concave. Enfin, ce dispositif est trĂšs encombrant. CHAPITRE IVAppareils de manƓuvre des aiguillages A. - Appareils de manƓuvre sur place Quand la manƓuvre des aiguilles se fait sur place, la tringle de connexion t fig. 259 qui rĂ©unit les deux pointes est prolongĂ©e par une tringle de manƓuvre reliĂ©e elle-mĂȘme au levier de manƓuvre OA fig. 260. Un rĂ©gulateur de connexion permet de rĂ©gler la longueur de la connexion de maniĂšre que les aiguilles s'appliquent bien contre les rails contre-aiguilles. C'est un simple manchon dont les extrĂ©mitĂ©s sont taraudĂ©es en sens inverse et dans lesquelles viennent s'engager les filets des tringles de connexion. Fig. 259 Un contrepoids C, fixĂ© au levier de manƓuvre, maintient l'aiguille fixe dans la position qu'on lui a donnĂ©e. Le levier de manƓuvre est Ă  simple action ou Ă  double action. A. - Le levier Ă  simple action fig. 260 n'a qu'une position d'Ă©quilibre OA ; amenĂ© dans sa position renversĂ©e OB, il revient dans sa position normale dĂšs qu'on l'abandonne Ă  lui-mĂȘme. Fig. 260. - Levier de manƓuvre Ă  simple action. On l'emploie lorsque le changement de voie doit occuper normalement une direction dĂ©terminĂ©e qui correspond Ă  la position d'Ă©quilibre du levier, par exemple, en voie principale, pour la manƓuvre des aiguillages pris normalement par la pointe par les trains en marche ou encore, sur les lignes Ă  simple voie, pour la manƓuvre des aiguillages qui donnent accĂšs Ă  la voie dĂ©doublĂ©e dans les stations ou enfin, sur les lignes Ă  double voie, aux aiguillages donnant accĂšs aux voies principales. La manƓuvre du levier Ă  simple action ainsi conçu n'est pas sans danger ; en effet, pour donner la position renversĂ©e, l'agent doit exercer un effort continu et fatigant pour tenir le contrepoids relevĂ© et cela, pendant tout le temps du passage de tous les vĂ©hicules un train de marchandises peut comporter 60 wagons, plus le fourgon et plus la ou les locomotives. Pour peu qu'il relĂąche son effort, l'aiguille s'entrebĂąille et les vĂ©hicules qui l'abordent reprennent la voie normale alors que les premiers ont pris l'autre voie, d'oĂč dĂ©raillement. B. - Le levier Ă  double action se maintient indiffĂ©remment dans la position normale ou renversĂ©e dans laquelle on l'abandonne. On l'utilise notamment pour la manƓuvre des aiguillages en voie principale pris par le talon par des trains en marche. Fig. 261. - Levier de manƓuvre du systĂšme RhĂ©nan Ă  double action. Il permet le talonnement du changement de voie, c'est-Ă -dire qu'un vĂ©hicule abordant l'aiguillage par le talon, peut Ă©carter la pointe de l'aiguille suffisamment pour la franchir sans la briser et sans la laisser entrebaillĂ©e aprĂšs son passage. La figure 261 reprĂ©sente le levier de manƓuvre systĂšme RhĂ©nan Ă  double action. Quand l'aiguilleur tourne le contrepoids de la position normale dans la position diamĂ©tralement opposĂ©e, le contrepoids fait basculer le levier, ce qui provoque le changement de voie. On peut transformer le levier systĂšme RhĂ©nan de double en simple action, simplement en empĂȘchant la rotation du contrepoids en le fixant par une broche b sur le levier L ; mais alors, il prĂ©sente le danger signalĂ© ci-dessus. Levier systĂšme Vanneste. Ce levier peut agir Ă  simple ou Ă  double action selon les positions respectives donnĂ©es Ă  ses Ă©lĂ©ments constitutifs fig. 262 Ă  265. Fig. 264. - Levier de manƓuvre systĂšme Vanneste Ă  simple action. Le levier principal AGB de l'appareil fig. 262 et 263 est construit de telle maniĂšre que le levier secondaire CD peut ĂȘtre montĂ© obliquement sur le levier principal, cas du levier Ă  simple action ou dans le prolongement de l'axe du levier principal, cas du levier Ă  double action. Pour la simple action, le support EF du contrepoids fait avec le levier secondaire un angle plus petit que 90° 90° - 11°30' ; pour la double action, un angle plus grand que 90° 90° + 11°30'. Montage Ă  simple action. - Pour renverser l'aiguillage fig. 264, l'agent amĂšne le contrepoids dans la position diamĂ©tralement opposĂ©e 2 par un simple mouvement de rotation. Dans cette position 2, le contrepoids provoque le basculement du levier et vient en 3. A l'inverse du systĂšme RhĂ©nan, l'aiguilleur maintient sans fatigue le contrepoids dans cette position 3. Mais, dĂšs qu'il l'abandonne, la gravitĂ© ramĂšne le contrepoids de 3 en 4 par un mouvement de rotation, puis de 4 en 1 par un basculement du levier qui ramĂšne l'aiguillage dans la position normale. Fig. 265. - Levier de manƓuvre systĂšme Vanneste Ă  double action. Montage Ă  double action fig. 265. - Pour renverser le levier, le contrepoids est amenĂ© de 1 en 2, la gravitĂ© le fait tomber en 3, le levier bascule entraĂźnant l'aiguillage. En tant que levier Ă  double action, le levier Vanneste n'accuse aucun avantage sur le systĂšme RhĂ©nan ; au contraire, il coĂ»te plus cher. Enfin, le systĂšme RhĂ©nan a Ă©tĂ© modifiĂ© par les chemins de fer belges comme l'indique la figure 266 en vue d'Ă©viter les difficultĂ©s et les risques de l'appareil utilisĂ© comme levier Ă  simple action. La tige du levier est coudĂ©e suivant un angle de 23° Ă  partir de son axe de rotation. La tige du contrepoids fait un angle de 78°30' 90° - 11°30' avec la tige du levier. L'appareil ainsi agencĂ© fonctionne comme levier Ă  simple action. Le maintien du levier dans la position renversĂ©e est assurĂ© dans les mĂȘmes conditions qu'avec le levier Vanneste, sans fatigue et sans risque. Dans l'appareil RhĂ©nan, Ă  double action, du type nouveau fig. 267, la tige du levier n'est pas coudĂ©e mais l'emmanchement de la tige du contrepoids sur le levier proprement dit est tel que l'angle des deux tiges est Ă©gal Ă  101°30' 90° + 11°30'. B. - ManƓuvre des aiguilles Ă  distance La manƓuvre des aiguilles sur place n'est pas possible dans les gares importantes oĂč le nombre des aiguilles est considĂ©rable. Les aiguilleurs devraient courir d'une aiguille Ă  l'autre pour les placer successivement dans la position convenable. Ces agents devraient ĂȘtre nombreux et seraient continuellement exposĂ©s aux dangers graves de la circulation Ă  travers les voies. On amĂ©liore dĂ©jĂ  la situation en concentrant un certain nombre de leviers au mĂȘme endroit poste Ă  terre », d'oĂč un seul agent donne, sans se dĂ©placer, la position dĂ©sirĂ©e aux aiguilles. Mais la solution complĂšte du problĂšme consiste Ă  rĂ©unir dans une cabine le plus grand nombre possible de leviers d'aiguilles. On y concentre aussi les leviers de manƓuvre des signaux qui commandent ou protĂšgent la circulation des trains ou des manƓuvres dans la gare. Cette concentration des leviers d'aiguilles et des leviers de signaux dans un mĂȘme poste permet d'Ă©tablir entre eux les solidaritĂ©s ou enclenchements note 198 nĂ©cessaires pour garantir la sĂ©curitĂ©. De ce poste central, la manƓuvre Ă  distance des aiguilles peut se faire par transmission mĂ©canique ou par fluide eau sous pression, air comprimĂ©, Ă©lectricitĂ©. Mais quel que soit le systĂšme employĂ©, il est indispensable que l'agent du poste central de manƓuvre ait la certitude que les aiguilles en campagne suivent bien le mouvement des leviers en cabine et qu'elles sont parfaitement appliquĂ©es contre les rails contre-aiguilles. Il importe encore que l'aiguilleur soit mis dans l'impossibilitĂ© de dĂ©placer les aiguilles pendant qu'elles sont parcourues par les trains. Pour satisfaire Ă  ces conditions, l'appareillage central de la manƓuvre doit donc comporter, non seulement des transmissions, mais encore ce que l'on appelle des sĂ©curitĂ©s ». 1. - Transmissions mĂ©caniques Ces transmissions sont du type rigide ou du type funiculaire. A. - Transmissions rigides ± 185 m. Les transmissions rigides sont constituĂ©es par des tuyaux Ă  gaz note 199 assemblĂ©s bout Ă  bout comme le montre la figure 268. Les transmissions sont supportĂ©es par des poulies ou par des galets fig. 269 ; d'autres galets empĂȘchent leur soulĂšvement. Des leviers coudĂ©s renvoient le mouvement soit dans un plan horizontal, soit dans un plan vertical. Fig. 270. - Compensateur pour transmission rigide. La course des transmissions par tringles varie de 22 Ă  28 centimĂštres. Les variations de tempĂ©rature pourraient provoquer l'entrebĂąillement des aiguilles ; pour y obvier, on intercale un compensateur dans la transmission dĂšs que sa longueur dĂ©passe 30 mĂštres fig. 270. Ce compensateur peut ĂȘtre constituĂ© par un balancier BB' Ă  bras Ă©gaux, dont les extrĂ©mitĂ©s sont reliĂ©es aux deux parties de la tringle de transmission par deux bielles AB, A'B', de mĂȘme longueur. Le pivot P du balancier est au mĂȘme niveau que l'axe des tringles et les extrĂ©mitĂ©s de celles-ci sont soutenues par des galets g, g'. Les deux extrĂ©mitĂ©s du tringlage Ă©tant fixes d'une part, le levier ; d'autre part, l'aiguillage, les variations de longueur se reportent sur les points B et B'. Le compensateur doit naturellement ĂȘtre installĂ© Ă  mi-longueur de la transmission. L'intercalation d'un compensateur a nĂ©cessairement pour effet de renverser le sens du mouvement de la transmission. Fig. 271. - Compensation partielle de la dilatation. Il faut aussi tenir compte de l'influence des Ă©querres de renvoi qui, dans certains cas, peuvent jouer le rĂŽle de compensateurs. Dans le cas de la figure 271, bien que la transmission ait 35 m de longueur, il ne faut pas de compensateur parce que les variations de longueur sur les 35 m sont compensĂ©es sur 10 m par l'Ă©querre de renvoi BOC et la tringle DC. Mais pour qu'il y ait possibilitĂ© de compensation du chef de la dilatation, il faut que, partant des points fixes A levier et D aiguille, les allongements aient pour tendance de faire tourner les deux bras BO et CO de l'Ă©querre de renvoi dans le mĂȘme sens et non en des sens opposĂ©s. Fig. 272 - Cas oĂč un compensateur est nĂ©cessaire. La figure 272 montre un cas oĂč un compensateur est nĂ©cessaire, une compensation automatique Ă©tant impossible car sous l'effet des dilatations le levier coudĂ© BOG est sollicitĂ© dans des sens opposĂ©s. B. - Transmissions funiculaires ± 600 m. Une transmission funiculaire ne peut agir que par traction alors qu'une transmission rigide peut transmettre l'effort dans les deux sens par traction et par poussĂ©e. Comme les aiguilles doivent ĂȘtre dĂ©placĂ©es dans les deux sens, il faut un double fil pour commander le mouvement fig. 273. Le fil diamĂštre 5 mm doit prĂ©senter une grande rĂ©sistance Ă  la rupture 100 Ă  125 kg/mmÂČ et un trĂšs faible allongement 5 % maximum mesurĂ© sur 200 mm. Fig. 273. - ManƓuvre d'un aiguillage par transmission Ă  double fil. Au point de dĂ©part, en cabine, une chaĂźne, rattachĂ©e au fil de manƓuvre, s'enroule sur une poulie P1 Ă  laquelle elle est attachĂ©e de sorte qu'en dĂ©plaçant, vers le haut ou vers le bas, le levier de manƓuvre solidaire de la poulie, l'on tire sur l'un ou l'autre brin du fil. Le levier doit ĂȘtre maintenu fixe dans ses deux positions extrĂȘmes et la poulie doit suivre tous ses mouvements. A l'autre extrĂ©mitĂ©, en campagne, les deux brins de la transmission aboutissent aux extrĂ©mitĂ©s de la chaĂźne qui actionne la poulie P2 commandant les aiguilles fig. 273. Cette poulie, logĂ©e dans une cuve en fonte, tourne autour d'un axe vertical. Elle porte sur chacune de ses faces un verrou circulaire V ; un galet d'entraĂźnement C ; une bielle B pourvue d'une coulisse E. Par la rotation de la poulie, le galet C s'engage dans la coulisse de la bielle et commande le mouvement de celle-ci. La bielle B, situĂ©e sur la face supĂ©rieure de la poulie, actionne l'aiguille de droite A ; la bielle B' situĂ©e sous la poulie actionne l'aiguille de gauche A'. Au repos, en position normale, la bielle actionnant l'aiguille A prise en pointe est verrouillĂ©e par le verrou V qui pĂ©nĂštre dans l'encoche correspondante de la bielle. Remarquons que les deux aiguilles ne se meuvent pas simultanĂ©ment, celle de gauche commence Ă  se mouvoir au moment oĂč celle de droite commence Ă  se dĂ©verrouiller ; celle de droite se meut encore pendant que celle de gauche se verrouille. Talonnement. Dans le cas oĂč le premier essieu d'un vĂ©hicule talonne l'aiguillage fig. 274, la roue de droite Rd attaque immĂ©diatement l'aiguille A ouverte de droite alors que l'aiguille A' fermĂ©e de gauche n'est pas encore en prise avec la roue de gauche Rg. Fig. 274. - Talonnement de l’aiguillage L'essieu roulant du talon de l'aiguille vers la pointe, l'aiguille de droite se dĂ©place, agit sur la bielle B qui actionne le galet C et par consĂ©quent la poulie. Ce dĂ©placement se poursuivant jusqu'Ă  ce que l'aiguille considĂ©rĂ©e soit en contact avec le rail contre-aiguille, la poulie effectue une rotation complĂšte. Quant Ă  l'aiguille de gauche A', elle a Ă©tĂ© entraĂźnĂ©e par la poulie. Naturellement, la transmission funiculaire, reliant la poulie au levier de commande de l'aiguillage, a suivi ce mouvement et l'a communiquĂ© Ă  la poulie de ce levier. Mais celui-ci n'est pas rigidement liĂ© Ă  la poulie. Compensateurs. Des prĂ©cautions doivent ĂȘtre prises en cas de variation de tempĂ©rature car les deux fils doivent rester tendus malgrĂ© la dilatation. Lorsque la longueur n'est pas trop considĂ©rable, on intercale des tendeurs Ă  main, l'un prĂšs du levier, l'autre prĂšs de l'aiguillage. Lorsque la distance dĂ©passe 200 mĂštres, ce moyen ne suffit plus. On compense alors l'effet de la dilatation en faisant agir sur la transmission un poids tendeur C fig. 275 qui descend quand le fil s'allonge sous l'effet d'une Ă©lĂ©vation de tempĂ©rature et qui remonte quand le fil se contracte. Une prĂ©caution supplĂ©mentaire doit ĂȘtre prise le renversement du levier de manƓuvre pourrait simplement soulever le poids tendeur C sans qu'il y ait mouvement correspondant de l'aiguillage. Pour transmettre intĂ©gralement Ă  l'appareil Ă  manƓuvrer toute la course du levier, on est donc amenĂ© Ă  complĂ©ter le compensateur par un dispositif qui cale le poids tendeur dĂšs que le levier de manƓuvre est mis en mouvement et l'immobilise pendant toute la durĂ©e de ce mouvement. Fig. 275 et 276. - Compensateur Ă  brins inclinĂ©s et poulie hĂ©licoĂŻdale. Le calage du poids tendeur s'obtient Ă  l'intervention d'une crĂ©maillĂšre fig. 275 et 276. Les deux fils de la transmission passent sous les poulies fixes P1 Ă  l'entrĂ©e du chevalet compensateur, puis sur les poulies mobiles Q, pour sortir en passant sous les poulies fixes P2. L'action du compensateur peut s'exercer de plusieurs maniĂšres compensateurs Ă  brins inclinĂ©s et poulie hĂ©licoĂŻdale ; compensateurs Ă  brins parallĂšles et poulie diffĂ©rentielle. a Dans le systĂšme Ă  brins inclinĂ©s et poulie hĂ©licoĂŻdale, les poulies mobiles sont suspendues Ă  une chaĂźnette qui, aprĂšs avoir passĂ© sur le tambour T, se relie Ă  une poulie Ă  gorge hĂ©licoĂŻdale H calĂ©e sur le mĂȘme arbre que la poulie circulaire B sur laquelle s'enroule la chaĂźne du contrepoids C. La fonction fondamentale du compensateur est de maintenir constante la tension malgrĂ© les variations de la tempĂ©rature. Si la force C du contrepoids est constante, la direction des fils f et f’ varie, il s'ensuit que l'action du contrepoids varie suivant la position en hauteur de l'Ă©trier, position qui modifie l'angle formĂ© par les deux brins f, f’. Pour que la tension reste constante dans la transmission, l'effort du contrepoids doit varier suivant l'ouverture de cet angle ; quand les brins se rapprochent de l'horizontale, la tension dans la chaĂźnette doit ĂȘtre faible et, alors, l'Ă©trier agit sur le grand rayon de la poulie hĂ©licoĂŻdale ; lorsque les brins se rencontrent sous un angle trĂšs aigu, c'est le petit rayon de la poulie qui intervient. Si R = le rayon uniforme de la poulie supportant le contrepoids constant et = le rayon variable de la poulie hĂ©licoĂŻdale retenant l'Ă©trier, l'Ă©quation des moments donne contrepoids x R = tension x par consĂ©quent Ă  une tension faible de la chaĂźnette brins horizontaux doit correspondre le grand rayon de la poulie. L'Ă©trier pend entre deux guides dont les faces, taillĂ©es en crĂ©maillĂšre, peuvent immobiliser l'Ă©trier quand ses extrĂ©mitĂ©s infĂ©rieures, taillĂ©es en biseau, viennent en contact avec elles. Lorsque la transmission est au repos, les deux fils ont une tension Ă©gale et l'Ă©trier ne vient pas en contact avec ses guides fig. 277. DĂšs lors, lorsque la tempĂ©rature varie, l'Ă©trier se dĂ©place verticalement sous l'action du poids tendeur. Mais, dĂšs que le levier de manƓuvre agit sur la transmission et que, par consĂ©quent, l'un des fils se dĂ©tend pendant que l'autre se surtend fig. 278 l'Ă©trier s'incline Ă  droite ou Ă  gauche, une de ses extrĂ©mitĂ©s biseautĂ©es mord dans la crĂ©maillĂšre et il s'immobilise dans le sens vers le bas oĂč s'exerce la traction. Ce rĂ©glage dans la position du fil sur la poulie hĂ©licoĂŻdale selon la tempĂ©rature rĂ©clame une prĂ©cision difficilement rĂ©alisable dans la pratique. C'est pourquoi, Ă  la S. N. C. B., on a renoncĂ© aux brins inclinĂ©s pour adopter les brins parallĂšles. b Compensateurs Ă  brins parallĂšles et poulie diffĂ©rentielle fig. 279. Ici la tension reste constante et la poulie hĂ©licoĂŻdale peut ĂȘtre supprimĂ©e. La chaĂźnette du contrepoids s'enroule alors sur une poulie diffĂ©rentielle D de rapport 1,6/1 pour les transmissions infĂ©rieures Ă  mĂštres et de rapport 2/1 pour celles supĂ©rieures Ă  mĂštres, la poulie diffĂ©rentielle n'ayant d'autre raison d'ĂȘtre que de diminuer l'importance du contrepoids. La chaĂźne supportant l'Ă©trier mobile se rattache au petit tambour, la chaĂźne supportant le contrepoids est fixĂ©e sur le grand tambour. Fig. 279. - Compensateur Ă  brins parallĂšles et poulie diffĂ©rentielle. ; Le calage du contrepoids se produit de la mĂȘme maniĂšre qu'avec les brins inclinĂ©s. Champ d’action du compensateur. Tout compensateur possĂšde un rayon d'action maximum calculĂ© en tenant compte des Ă©carts maxima de tempĂ©rature, -20° et + 40°, par exemple. Fig. 280. - Champ d'action du compensateur. Appelons h fig. 280, la course maximum de l'Ă©trier le long des crĂ©maillĂšres ; h dĂ©pend donc de la construction du compensateur. 2h = l'allongement que le compensateur peut racheter. Si = l'Ă©cart de tempĂ©rature le plus considĂ©rable, C = 0, le coefficient de dilatation linĂ©aire de l'acier, L = le champ d'action du compensateur, On aura d'oĂč note 205 . Pour h = 1 centimĂštre, on a Lm = X 0,01 m, d'oĂč Lm = 27,78 m. par consĂ©quent, chaque centimĂštre de longueur de course de l'Ă©trier compense 27,780 mĂštres de transmission. Si L = 600 mĂštres, h doit ĂȘtre Ă©gale Ă  . Si l'on veut Ă©viter de devoir installer plus d'un compensateur dans une mĂȘme transmission, on sera amenĂ© Ă  crĂ©er plusieurs types de compensateurs ayant des champs d'action de plus en plus Ă©tendus. ** * Pour supporter et guider les fils de transmission, on emploie des poulies Ă  gorge montĂ©es sur potelets dont l'Ă©cartement ne doit pas dĂ©passer 10 mĂštres dans les parties rectilignes. Aux changements de direction de plus de 5°, le fil n'ayant pas la flexibilitĂ© voulue, on fait passer la transmission sur une poulie horizontale ou verticale et on intercale dans le fil un bout de cĂąble ou de chaĂźnette qui s'enroule sur la poulie. Dans les transmissions funiculaires, le levier de commande de l'aiguillage est du mĂȘme type que celui employĂ© pour les signaux fig. 273, page 201. En position normale, il est inclinĂ© vers le bas ; pour le renverser, il faut lui faire dĂ©crire vers le haut un angle de 144° et entraĂźner dans ce mouvement la poulie, ce qui communique au fil une course de 500 mm. Mais alors que le levier de signal est invariablement fixĂ© Ă  la poulie, il ne peut en ĂȘtre ainsi avec le levier d'aiguillage parce que l'on s'impose d'ordinaire la condition que, en cas de talonnement de l'aiguillage, l'appareil de manƓuvre ne subisse aucune avarie. La manƓuvre Ă  double fil permet la commande des aiguillages Ă  la distance de 600 mĂštres. L'appareil central Ă  commande funiculaire se prĂȘte fort bien aux relations d'enclenchement Ă  rĂ©aliser entre les leviers des signaux et ceux des aiguillages, les champs rĂ©cepteurs et transmetteurs de l'appareil de block. C'est une des raisons pour lesquelles il se substitue de plus en plus Ă  l'appareil central Saxby Ă  commande par tringle note 206. Comparaison des systĂšmes rigide et funiculaire. Les transmissions rigides prĂ©sentent les avantages suivants elles comportent des compensateurs de construction simple et de fonctionnement plus certain ; elles offrent une grande sĂ©curitĂ© aux courtes distances, mais elles prĂ©sentent certains inconvĂ©nients elles sont plus coĂ»teuses ; elles demandent plus d'entretien. On estime que les charges annuelles d'entretien et d'amortissement des transmissions par tringles sont de 8 Ă  10 fois supĂ©rieures Ă  celles des transmissions par fil ; aux grandes distances, elles sont moins sĂ»res que les transmissions par fil. Effectivement, quand une rupture de tringle se produit Ă  une grande distance de la cabine, il peut arriver que l'aiguilleur renverse le levier de manƓuvre sans s'apercevoir que le dĂ©placement du tringlage n'a pas suivi son mouvement, la diminution de rĂ©sistance n'Ă©tant pas suffisamment sensible, parce que la plus grande partie de la rĂ©sistance est celle offerte par le dĂ©placement des tringles sur les galets. Dans le cas de la transmission funiculaire, une rupture de fil se fait immĂ©diatement sentir Ă  l'appareil de manƓuvre, l'appareillage devient inerte. La commande des aiguillages par tringles n'est possible que si la distance ne dĂ©passe pas 485 mĂštres, alors que la transmission par double fil permet d'atteindre 600 mĂštres. Aussi, Ă  la S. N. C. B., quand on renouvelle un poste de concentration Ă  transmission rigide, le remplace-t-on par un poste central Ă  transmission funiculaire. 2. - Transmissions par fluide La manƓuvre mĂ©canique ne convient pas pour les installations Ă©tendues des grandes gares, l'aiguilleur devant dĂ©ployer des efforts importants pour renverser successivement les trĂšs nombreux et lourds leviers. Il est indispensable que les postes centraux soient desservis par des agents se dĂ©pensant trĂšs peu physiquement, faisant office en quelque sorte de prĂ©parateurs du mouvement, une source d'Ă©nergie spĂ©ciale manƓuvrant les aiguillages. L'agent, ainsi soulagĂ©, peut prĂȘter toute son attention aux itinĂ©raires Ă  Ă©tablir. On a utilisĂ© des transmissions hydrodynamiques, pneumatiques, hydropneumatiques, Ă©lectriques, mais ces derniĂšres ont rapidement dĂ©trĂŽnĂ© toutes les autres. L'Ă©lectricitĂ©, en tant qu'agent de transport de force, prĂ©sente des qualitĂ©s trĂšs prĂ©cieuses les canalisations sont peu encombrantes, elles se posent aisĂ©ment, elles s'accommodent des diffĂ©rences de niveau, elles contournent les obstacles, elles sont insensibles aux variations de tempĂ©rature, les pertes dues Ă  l'emmagasinement et Ă  la distribution de l'Ă©nergie peuvent ĂȘtre aisĂ©ment rĂ©duites, la transmission du mouvement est instantanĂ©e, le champ d'action est pratiquement illimitĂ©. ManƓuvre Ă©lectrique des aiguillages note 208. Les appareils mĂ©caniques de manƓuvre ont un champ d'action restreint, leurs leviers sont volumineux, les bĂątis occupent beaucoup de place et l'aiguilleur doit dĂ©ployer de grands efforts. La manƓuvre Ă©lectrique supprime tous ces inconvĂ©nients. A la S. N. C. B., on s'impose les conditions suivantes Les aiguillages doivent pouvoir ĂȘtre manƓuvrĂ©s individuellement, c'est-Ă -dire chacun par un petit levier spĂ©cial ou par une manette distincte. L'agent, en cabine, doit pouvoir se rendre compte de la position de l'aiguillage en campagne ; il s'ensuit que les positions concordantes du levier et de l'aiguillage doivent ĂȘtre contrĂŽlĂ©es par un courant. Aucun contact accidentel de fils ne peut donner lieu Ă  une indication fausse en cabine. Les aiguillages doivent ĂȘtre talonnables, sauf dans les cas oĂč il s'agit d'aiguillages Ă©lastiques. Tous les appareils de contrĂŽle doivent ĂȘtre concentrĂ©s dans la cabine. Pour pouvoir mettre au passage un signal donnant accĂšs Ă  un itinĂ©raire, il faut que tous les aiguillages de cet itinĂ©raire se trouvent dans la position convenable. L'aiguillage est manƓuvrĂ© par un moteur Ă©lectrique sĂ©rie Ă  courant continu sous tension de 120 volts, muni de deux enroulements inducteurs bobinĂ©s en sens inverse de maniĂšre Ă  permettre de faire tourner l'induit dans les deux sens. Un jeu d'engrenages et une vis sans fin transforment le mouvement de rotation de l'induit en mouvement de translation transmis Ă  l'aiguillage au moyen d'une crĂ©maillĂšre fig. 294 et 295. En cas de suppression de courant, le moteur peut ĂȘtre manƓuvrĂ© Ă  la main par une manivelle que l'on adapte directement sur l'axe du moteur. Un cĂąble Ă  deux conducteurs relie le moteur Ă  la cabine, d'oĂč l'aiguillage est commandĂ© au moyen d'une manette, dite de champ d'aiguille, disposĂ©e dans l'appareil central. Chaque manette d'aiguillage peut occuper deux positions extrĂȘmes inclinĂ©e vers la droite, la manette se trouve dans sa position normale qui correspond Ă  la position normale de l'aiguillage ; inclinĂ©e vers la gauche, elle se trouve dans sa position renversĂ©e qui correspond Ă  la position renversĂ©e de l'aiguillage. A. - Appareil Siemens pour la manƓuvre des aiguillages. Le schĂ©ma dĂ©finitif est reprĂ©sentĂ© figures 290 Ă  292, nous allons le dĂ©composer et le dĂ©crire par Ă©tapes note 209. Par la rotation de la manette fig. 283, on dĂ©place le commutateur de manƓuvre C, qui met l'un ou l'autre des deux fils de manƓuvre du cĂąble en relation avec la source d'Ă©lectricitĂ© selon que l'aiguillage doit ĂȘtre renversĂ© ou ramenĂ© dans sa position normale. On utilise le courant continu Ă  120 volts. Pour permettre la rotation du moteur dans les deux sens, l'enroulement inducteur I2 est inverse de l'enroulement I1. Chacune de ces connexions comporte un interrupteur m1 m2 manƓuvrĂ© par la crĂ©maillĂšre actionnĂ©e par le moteur d'aiguille i fig. 295. Cet interrupteur est disposĂ© de telle sorte que le circuit de manƓuvre est coupĂ© aussitĂŽt que l'aiguillage se trouve dans la position extrĂȘme correspondant Ă  celle de la manette en cabine et par consĂ©quent, Ă  ce moment, le moteur s'arrĂȘte. Les figures 284, 285 et 286 montrent en traits forts le schĂ©ma des circuits empruntĂ©s par le courant de 120 volts dans chacune des trois positions en position normale. Les positions du commutateur C et de l'interrupteur m2 sont telles que le courant de commande de 120 volts ne peut passer aux inducteurs du moteur de manƓuvre fig. 284 ; pendant la course du moteur. Les positions du commutateur C et de l'interrupteur m1 permettent au courant de 120 volts d'arriver au moteur fig. 285 ; en position renversĂ©e. Le circuit du moteur est coupĂ© par m1 fig. 286 note 210. 1° ContrĂŽle. A chaque instant, il doit exister une relation entre la position de l'aiguillage en campagne et la position de la manette de manƓuvre en cabine, relation qui ne peut exister que s'il y a concordance entre les positions de la manette et de l'aiguillage. Cette relation est rĂ©alisĂ©e au moyen d'un courant de contrĂŽle qui n'excite l'Ă©lectro-aimant de contrĂŽle E du champ d'aiguille que lorsque cette concordance existe. Ce n'est que dans ce cas que l'on peut mettre le signal Ă  voie libre. Dans le cas oĂč l’électro-aimant de contrĂŽle E n'est pas excitĂ©, une sonnerie de contrĂŽle retentit en cabine. ComplĂ©tons les schĂ©mas des fig. 284 Ă  286 comme indiquĂ© aux fig. 287 Ă  289. Nous constatons que pour Ă©tablir le circuit de contrĂŽle E, les interrupteurs m1 et m2 du moteur sont en rĂ©alitĂ© des commutateurs, de sorte que, Ă  la fin de la course de la crĂ©maillĂšre, le courant de manƓuvre de 120 volts ne passe plus par le moteur, il est dĂ©rivĂ© par des fils spĂ©ciaux de maniĂšre Ă  exciter l'Ă©lectro-aimant de contrĂŽle E. Il s'ensuit que le circuit de contrĂŽle n'est Ă©tabli que si l'appareil de manƓuvre est arrivĂ© Ă  fond de course et a manƓuvrĂ© le commutateur de moteur correspondant m2. L'interrupteur n est manƓuvrĂ© par les tringles de contrĂŽle solidaires du mouvement des aiguilles. Afin d'Ă©viter de fausses indications de contrĂŽle en cas de mĂ©lange de fils, les fils de contrĂŽle sont reliĂ©s Ă  la terre dĂšs qu'ils ne doivent plus ĂȘtre parcourus par un courant. Le commutateur a contrĂŽle la concordance de la position mĂȘme de la manette par rapport Ă  celle du commutateur de manƓuvre. Ce commutateur est montĂ© sur l'axe mĂȘme de la manette, mais il faut compter avec un bris possible de piĂšce. LĂ©gende C commutateur commandĂ© par la manette de manƓuvre de l'aiguillage, m1, m2 commutateurs commandĂ©s par la crĂ©maillĂšre actionnĂ©e par le moteur, crĂ©maillĂšre qui manƓuvre les aiguilles, n, n - interrupteurs commandĂ©s par les tringles de contrĂŽle de la position des aiguilles. 2° Commutateur d'Ă©conomie. Si, pour la manƓuvre de l'aiguillage, un courant de 120 volts est nĂ©cessaire, 25 volts suffisent pour le courant de contrĂŽle. C'est pourquoi, dĂšs que le courant de contrĂŽle est Ă©tabli, un commutateur d'Ă©conomie e fig. 290 substitue automatiquement au courant de manƓuvre de 120 volts un courant de 25 volts. Ce commutateur, disposĂ© normalement de façon Ă  relier la batterie de 25 volts au circuit de contrĂŽle, est manƓuvrĂ© par la manette du champ d'aiguille, de façon Ă  relier le circuit de manƓuvre Ă  la batterie de 120 volts dĂšs le commencement de la course du moteur. A la fin de la course de l'aiguillage, dĂšs que l'Ă©lectro de contrĂŽle est excitĂ© par le courant de 120 volts, il attire son armature qui renverse automatiquement le commutateur d'Ă©conomie e, de façon Ă  Ă©tablir la connexion du circuit de contrĂŽle avec la batterie de 25 volts. Pour Ă©viter la manƓuvre intempestive d'un aiguillage, en cas de contact entre la source de 120 volts et le fil en relation avec le moteur, le commutateur d'Ă©conomie manƓuvre, en outre, un contact t fig. 290 qui relie Ă  la terre le fil de manƓuvre du moteur non parcouru par un courant. Le schĂ©ma dĂ©finitif des connexions d'un aiguillage dans l'appareil Siemens est dĂšs lors reprĂ©sentĂ© par les figures 290 Ă  292. ManƓuvre des deux aiguillages d'une liaison AB fig. 293. Fig. 293 Deux aiguillages formant liaison sont manƓuvrĂ©s par un seul champ d'aiguille. La manƓuvre se fait en parallĂšle et le contrĂŽle se fait en sĂ©rie. B. - Appareil des Ateliers de Constructions Électriques de Charleroi pour la manƓuvre des aiguillages. Les figures 294 et 295 reprĂ©sentent la disposition d'ensemble du moteur de manƓuvre avec sa dĂ©multiplication. La crĂ©maillĂšre C actionne deux contacts 7 et 6. Fig. 294. - SchĂ©ma de l'appareil de manƓuvre des aiguilles systĂšme A. C. E. C. Deux tringles de contrĂŽle T et T" sont reliĂ©es chacune Ă  une des pointes d'aiguille. Lorsque les deux tringles occupent l'une des positions extrĂȘmes, l'un des deux interrupteurs 8-9 est fermĂ©, soit 8. Lorsque les deux tringles occupent l'autre position extrĂȘme, l'autre interrupteur, soit 9, est fermĂ©. Fig. 295. - ManƓuvre des aiguilles systĂšme A. C. E. C. Fonctionnement. Le moteur actionne la crĂ©maillĂšre qui manƓuvre l'aiguillage. Au cours de la rotation du moteur, le contact 7 s'inverse en vue de prĂ©parer le circuit de 120 volts pour la manƓuvre dans l'autre sens. Quant aux contacts 8 et 9, Ă  la fin de la course, ils ont Ă©galement pris la position inverse Ă©tablissant le circuit de contrĂŽle de 25 volts pour la position correspondante de l'aiguillage. Fig. 296 Un embrayage Ă  tournevis E embrayage avec jeu permet au moteur de dĂ©marrer Ă  vide fig. 296. Enfin, deux cĂŽnes F et F' dont la pression est rĂ©glĂ©e par le ressort Ă  boudin r, jouent le rĂŽle de frein aux fins de course. Renversement de l'aiguillage. Pour renverser la manette d'aiguillage, le cabinier agit sur l'interrupteur d'Ă©conomie P fig. 297. S'il n'y a aucun vĂ©hicule sur le rail ri, isolĂ© Ă©lectriquement Ă  ses deux extrĂ©mitĂ©s note 214_1, l'Ă©lectro A s'excite, attire son armature qui libĂšre la manette de commande et permet la manƓuvre de cette derniĂšre. S'il y avait un essieu sur le rail isolĂ©, cet essieu mettrait en court-circuit les deux rails auxquels aboutissent les connexions de l'Ă©lectro A. Fig. 297 En mĂȘme temps qu'il manƓuvre l'interrupteur d'Ă©conomie P, le cabinier tourne la manette d'aiguillage, ce qui a pour effet de renverser mĂ©caniquement les contacts 1, 2 et 3 fig. 298 solidaires de l'armature de l’électro-sĂ©rie C note 214_2 et les met dans la position indiquĂ©e fig. 299, ainsi que les contacts 4 et 5 situĂ©s sur un tambour entraĂźnĂ© par la manette et les met dans la position indiquĂ©e sur cette mĂȘme figure. Le courant Ă  120 volts est dĂšs lors admis dans l'enroulement 1 du moteur qui se met Ă  tourner en entraĂźnant l'aiguillage dans la position renversĂ©e fig. 299. Remarquons que l'armature de l'Ă©lectro C est, Ă  la fin de la rotation de la manette de commande, mĂ©caniquement libĂ©rĂ©e par le dispositif spĂ©cial qui en avait produit le soulĂšvement ; mais, pendant la rotation du moteur, l'Ă©lectro-sĂ©rie C est excitĂ©, son armature reste donc collĂ©e et la position des contacts 1, 2 et 3 est maintenue. Les contacts 7 et 6 de la crĂ©maillĂšre, actionnĂ©s mĂ©caniquement par le moteur sont respectivement renversĂ©s au commencement et Ă  la fin de la course. De ce fait, le circuit de 120 volts vers le moteur est fig. 300 coupĂ© par 6 qui est actionnĂ© Ă  la fin de la course par la crĂ©maillĂšre de manƓuvre de l'aiguillage, l'Ă©lectro C se dĂ©sexcite et les contacts 1, 2 et 3 reprennent leur position premiĂšre de la figure 298. ContrĂŽle. Les contacts 8 et 9, actionnĂ©s par les deux tringles de contrĂŽle T, T" qui suivent le mouvement des aiguilles fig. 294 et 295 se renversent si ces derniĂšres occupent bien la position correspondant Ă  celle de la manette en cabine et se trouvent, l'une contre le rail avec un jeu infĂ©rieur Ă  5 mm et d'autre dans sa position extrĂȘme d'ouverture avec une tolĂ©rance de 20 mm. DĂšs lors fig. 300, le circuit de contrĂŽle de 25 volts est Ă©tabli comme suit 3, 8, 6, 4, 1 et Ă©lectro B. Ce dernier s'excite Ă  la condition que tous les contacts soient convenablement Ă©tablis. Un voyant mĂ» par l'armature de l'Ă©lectro B donne au cabinier l'indication que l'aiguillage a obĂ©i au mouvement du moteur. Remise de l'aiguillage en position normale. Le cabinier remet la manette d'aiguille en position normale en mĂȘme temps qu'il manƓuvre l'interrupteur d'Ă©conomie P de façon Ă  exciter l’électro A, dont l'armature maintenait la manette enclenchĂ©e dans sa position renversĂ©e. Par suite du jeu des contacts 1 et 7, et aussi des contacts 4 et 5 entraĂźnĂ©s par le tambour de la manette fig. 300, le courant Ă  120 volts passe dans l'enroulement inducteur 2, lequel, Ă©tant inverse de l'enroulement 1, provoque la rotation du moteur en sens contraire et ramĂšne l'aiguillage dans la position normale. ContrĂŽle. A la fin de la course du moteur, lors de la remise en position normale, tous les contacts sont ramenĂ©s dans la position reprĂ©sentĂ©e Ă  la figure 298, ce qui Ă©tablit le circuit de contrĂŽle de 25 volts comme suit contacts 3, 9, 7, 5, 1 et Ă©lectro B. Remarque. Les contacts 1, 2, 3, 4 et 5 suivent le mouvement de la manette de manƓuvre mais, grĂące Ă  un dispositif spĂ©cial, les contacts 1, 2 et 3, qui dĂ©pendent de l'Ă©lectro-sĂ©rie C reprennent la position de la figure 298 dĂšs que le moteur a terminĂ© sa course dans un sens ou dans l'autre. Dispositif de talonnement. Il en existe plusieurs, nous dĂ©crirons le plus simple. Le plus grand des engrenages fig. 295 se compose d'une couronne dentĂ©e cd qui engrĂšne avec le petit pignon p. La partie centrale de cette couronne est constituĂ©e par un plateau calĂ© sur le mĂȘme axe que l'engrenage attaquant directement la crĂ©maillĂšre. Un galet G, se logeant dans une encoche mĂ©nagĂ©e dans le bord intĂ©rieur de la couronne dentĂ©e, rend celle-ci normalement solidaire du plateau et cela, grĂące Ă  la pression de deux ressorts Ă  boudin fixĂ©s au plateau. Fig. 301 En cas de talonnement, la crĂ©maillĂšre en se dĂ©plaçant brusquement agit sur le plateau central, les ressorts Ă  boudin se compriment, le galet sort de son encoche et le choc se traduit simplement par un dĂ©placement du plateau par rapport Ă  la couronne dentĂ©e restĂ©e immobile. ManƓuvre d'une liaison. La succession des opĂ©rations pour la manƓuvre d'une liaison est identique Ă  celle dĂ©crite pour la manƓuvre d'un aiguillage simple. La manette de commande d'une liaison est enclenchĂ©e dans ses positions normale et renversĂ©e par les armatures de deux Ă©lectros A et A' fig. 301. En manƓuvrant l'interrupteur d'Ă©conomie P, les Ă©lectros A et A' sont simultanĂ©ment excitĂ©s si aucun rail isolĂ© n'est occupĂ© par un essieu. Les contacts 4 et 5 fig. 302 et 303 des circuits des deux moteurs sont situĂ©s sur un mĂȘme tambour solidaire de la manette de commande. Les contacts 1 et 2 sont solidaires de l'armature d'un mĂȘme Ă©lectro-sĂ©rie C. Un seul Ă©lectro de contrĂŽle B est nĂ©cessaire. En suivant le jeu des contacts fig. 303, on voit que les moteurs marchent en parallĂšle. Quant au circuit de contrĂŽle de 25 volts, il se fait en sĂ©rie, il se ferme par les contacts 9 de contrĂŽle de pointes d'aiguilles dans la position de la figure 302, position normale, et par les contacts 8 dans la position renversĂ©e. C. - Commande Ă©lectrique d'aiguille des Transports Urbains de l'agglomĂ©ration bruxelloise. Description. Une commande Ă©lectrique d'aiguille comporte 3 Ă©lĂ©ments principaux un contacteur de ligne, un relais sĂ©lecteur, un dispositif moteur commandant le dĂ©placement de l'aiguillage. Ces Ă©lĂ©ments sont connectĂ©s Ă©lectriquement comme indiquĂ© au schĂ©ma simplifiĂ© figure 304. 1. Le contacteur de ligne est fixĂ© sur le fil de trolley mais complĂštement isolĂ© de ce dernier. Il est constituĂ© par des lattes mĂ©talliques parallĂšles rĂ©alisant un chemin de roulement adaptĂ© au profil des roulettes de trolley. Quand la roulette aborde le contacteur, elle quitte le fil de trolley et roule sur le contacteur. Fig. 304. - Commande Ă©lectrique d'aiguille des Transports Urbains de l'agglomĂ©ration bruxelloise. 2. Le relais sĂ©lecteur est installĂ© sur poteau ou sur façade. Il consiste en un Ă©lectro E actionnant un doigt de contact c. Lors du passage d'une roulette de trolley sur le contacteur, l'Ă©lectro E se trouve insĂ©rĂ©, de par la construction mĂȘme du contacteur, dans le circuit des moteurs de la voiture. Le doigt de contact Ă©tablit, au repos, le contact d et, dans sa position levĂ©e, le contact g ; il n'est attirĂ© sur le contact g que pour autant que le courant d'excitation de l'Ă©lectro E soit supĂ©rieur Ă  15 ampĂšres. 3. Le dispositif moteur, commandant le dĂ©placement de l'aiguillage, est constituĂ© par 2 solĂ©noĂŻdes G et D et par un noyau magnĂ©tique commun N, tous trois logĂ©s dans un coffre hermĂ©tique et parfaitement Ă©tanche Ă  l'eau. Ce sont ces solĂ©noĂŻdes qui actionnent l'aiguille par leur noyau commun comme le montre schĂ©matiquement la figure. Fonctionnement. En principe, les wattmen des voitures allant Ă  droite » doivent passer sous le contacteur avec controller ouvert, c'est-Ă -dire sans courant, et les wattmen des voitures allant Ă  gauche », avec controller fermĂ© sur le 2me ou 3me plot sĂ©rie - Ă©ventuellement frein lĂ©gĂšrement serrĂ© - de telle maniĂšre que le courant voiture » soit supĂ©rieur Ă  15 ampĂšres. A. Fonctionnement pour une voiture allant Ă  droite » controller ouvert, courant moteurs » nul. Roulette en position 1 l'Ă©lectro E du relais sĂ©lecteur n'est pas excitĂ©, le doigt de contact c reste dans sa position de repos, sur le contact d. Roulette en position 2 par ses joues, la roulette Ă©tablit un contact entre les lattes A et B du contacteur, le solĂ©noĂŻde D du dispositif moteur est mis sous tension, l'aiguille s'Ă©carte du rail de droite pour livrer le passage Ă  droite. Roulette en position 3 le circuit de l'Ă©lectro D est coupĂ©. B. Fonctionnement pour une voiture allant a Ă  gauche » controller fermĂ©, courant moteurs » supĂ©rieur Ă  15 ampĂšres. Roulette en position 1 l'Ă©lectro E, excitĂ© par le courant moteurs », attire le doigt de contact c sur le contact g. Roulette en position 2 par ses joues, la roulette Ă©tablit un contact entre les lattes A et B du contacteur, le solĂ©noĂŻde G du dispositif moteur est mis sous tension, l'aiguille est refoulĂ©e contre le rail de droite assurant le passage Ă  gauche. Roulette en position 3 le circuit du solĂ©noĂŻde G est coupĂ©. Roulette en position 4 le doigt de contact c reprend sa position de repos, sur le contact d. CHAPITRE VLes SĂ©curitĂ©s A. - GĂ©nĂ©ralitĂ©s La manƓuvre Ă  distance des aiguillages quand ils sont abordĂ©s par la pointe comporte nĂ©cessairement des dispositifs de sĂ©curitĂ©. En effet, l'aiguilleur en cabine, Ă©loignĂ© des appareils qu'il manƓuvre, est dans l'incertitude sur la position rĂ©ellement occupĂ©e par les aiguilles du changement de voie. La course des aiguilles dĂ©pend de la course des transmissions, or, celle-ci est sujette Ă  des variations de longueur par suite de l'usure des articulations, de l'extension Ă©lastique, d'un Ă©quilibrage imparfait des dilatations. Il se peut mĂȘme que la transmission soit interrompue accidentellement. Il s'ensuit que les aiguilles peuvent n'obĂ©ir qu'incomplĂštement ou mĂȘme pas du tout Ă  la commande. L'aiguilleur ignore donc si l'aiguille colle contre le rail contre-aiguille, de quel cĂŽtĂ© elle colle, ou si l'aiguille occupe une position intermĂ©diaire. Si l'aiguilleur doit avoir la garantie que la position des aiguilles en campagne correspond bien Ă  celle du levier de manƓuvre ou de la manette de commande en cabine ; il doit, en outre, ĂȘtre empĂȘchĂ© de mettre le signal Ă  voie libre si les aiguilles ne se trouvent pas effectivement dans la position qui donne la direction indiquĂ©e par le signal au passage. Les dispositifs de sĂ©curitĂ© sont les verrous de calage des aiguilles, les dĂ©tecteurs de pointe et les pĂ©dales de calage. 1. Les verrous de calage des aiguilles. Le premier appareil de sĂ©curitĂ© employĂ© pour renseigner l'aiguilleur est le verrou de calage qui ne peut ĂȘtre introduit dans sa gĂąche que si les aiguilles sont bien placĂ©es d'un cĂŽtĂ© ou de l'autre. Le verrou cale l'aiguillage et en empĂȘche tout dĂ©placement aussi longtemps qu'il est engagĂ©. Le verrou n'a aucune relation avec le signal, il est intercalĂ© dans la transmission de commande de l'aiguillage ou bien il est manƓuvrĂ© par une transmission indĂ©pendante. En somme, le verrou n'a qu'un rĂŽle bloquer l'aiguillage. 2. Les dĂ©tecteurs de pointe. Le fait que l'on peut engager un verrou de calage constitue dĂ©jĂ  une dĂ©tection, mais ce n'est qu'une dĂ©tection Ă©lĂ©mentaire car l'aiguilleur ignore de quel cĂŽtĂ© l'aiguille est collĂ©e. C'est l'appareil dĂ©tecteur qui renseigne l'aiguilleur sur la position rĂ©elle de l'aiguille collĂ©e Ă  droite ou Ă  gauche ou dans une position intermĂ©diaire. Le dĂ©tecteur donnera non seulement une indication de position, mais il devra, en outre, empĂȘcher la mise au passage du signal correspondant si l'aiguille ne colle pas dans la position que donne la direction autorisĂ©e par l'ouverture de ce signal. A la diffĂ©rence du verrou, le dĂ©tecteur est intercalĂ© dans la transmission de commande du signal ou bien il libĂšre un petit levier ou une manette dont le renversement dĂ©gage lui-mĂȘme le levier de commande du signal. 3. Les pĂ©dales de calage. Le cabinier, opĂ©rant Ă  distance, doit ĂȘtre mis dans l'impossibilitĂ© de manƓuvrer l'aiguillage pendant qu'un vĂ©hicule ou un train est engagĂ© sur l'appareil ; sinon, il s'ensuivrait un dĂ©raillement. Les dispositifs qui rĂ©pondent Ă  ce but sont les pĂ©dales de calage. B. - Les appareils de verrouillage 1. Appareils de verrouillage indĂ©pendants du levier de manƓuvre du changement de voie. a Verrou Saxby. Le lançant peut ĂȘtre poussĂ© dans l'une ou l'autre des lumiĂšres de la tringle lorsque l'aiguillage occupe l'une ou l'autre de ses positions extrĂȘmes. Aussi longtemps que le verrou est engagĂ©, il est impossible de manƓuvrer l'aiguillage. Si, pour une cause quelconque, l'aiguillage n'achevait pas sa course, le lançant du verrou buterait contre la partie pleine de la tringle de connexion et le cabinier, ne parvenant pas Ă  amener son levier Ă  fond, serait averti de l'incident. Pour Ă©viter que le verrou puisse forcer sur la tringle de connexion et y pĂ©nĂ©trer avant que l'aiguille ait parcouru toute sa course, le verrou ne peut se terminer en pointe et son extrĂ©mitĂ© ne peut ĂȘtre arrondie. Remarquons cependant que si, aprĂšs le retrait du verrou, la connexion entre le verrou et son levier de manƓuvre venait Ă  ĂȘtre rompue, le verrou n'obĂ©irait plus Ă  la manƓuvre du levier. La sĂ©curitĂ© n'est donc assurĂ©e que si le verrou est complĂ©tĂ© par un dĂ©tecteur. b Verrou circulaire manƓuvrĂ© par transmission Ă  double fil. Fig. 307 Le verrou circulaire Ă  manƓuvre par double fil se compose essentiellement fig. 307 Ă  311 d'une cuve portant en son centre un axe de rotation A autour duquel tourne une poulie Ă  gorge P. Cette poulie porte sur sa face supĂ©rieure une nervure saillante de forme circulaire N. Enfin, dans la gorge de la poulie s'enroulent les chaĂźnettes reliĂ©es Ă  la transmission spĂ©ciale qui commande le verrou, de deux barres B1-B2, placĂ©es au-dessus de la poulie, coulissant dans deux coussinets C1-C2 portĂ©s par la cuve. Fig. 308 La barre B1 est reliĂ©e Ă  l'une des deux aiguilles, la barre B2 Ă  l'autre aiguille. Ces barres sont indĂ©pendantes des tringles de commande du mouvement des aiguilles, elles n'intĂ©ressent que le verrouillage. Chacune de ces barres porte deux encoches ; l'une mesure 36 mm, l'autre 22 mm. L'encoche la plus Ă©troite correspond Ă  la position de l'aiguille collĂ©e contre son rail contre-aiguille, position pour laquelle le verrouillage doit ĂȘtre trĂšs prĂ©cis ; l'encoche la plus large se rapporte Ă  la position de l'aiguille ouverte pour laquelle le verrouillage supporte une certaine tolĂ©rance. Fonctionnement. En position normale fig. 308, la nervure N est retirĂ©e des encoches des barres et son extrĂ©mitĂ© vient jusqu'Ă  proximitĂ© de la barre B1. Il s'ensuit que les deux aiguilles peuvent se dĂ©placer librement quand l'aiguilleur manƓuvre le levier du changement de voie. Fig. 309 Pour verrouiller l'aiguillage, il suffit de manƓuvrer la transmission spĂ©ciale qui commande la poulie P, celle-ci tourne, la nervure saillante N s'engage dans les encoches des barres B1-B2, immobilisant les deux aiguilles fig. 309. La figure 310 montre 1 le verrouillage de l'aiguille reliĂ©e Ă  la barre B1 lorsqu'elle est collĂ©e contre son rail contre-aiguille fig. 309 ; 2 le verrouillage de l'aiguille reliĂ©e Ă  B2 lorsqu'elle est dans sa position d'ouverture maximum fig. 309. La figure 311 reprĂ©sente le verrouillage des aiguilles dans la position renversĂ©e c'est-Ă -dire aiguille B1 ouverte, aiguille B2 fermĂ©e. Remarque. - Les aiguillages pourvus d'un verrou de calage indĂ©pendant du levier de manƓuvre du changement de voie ne sont pas talonnables, c'est-Ă -dire que, lorsqu'ils sont verrouillĂ©s, ils ne peuvent ĂȘtre parcourus du talon vers la pointe sans qu'il en rĂ©sulte un bris ou une dĂ©formation des parties constituantes. 2. Appareils de verrouillage dĂ©pendant du levier de manƓuvre de l'aiguillage. Avantages Ils ne demandent qu'une seule transmission pour manƓuvrer et verrouiller les aiguilles. Leur rĂ©glage est sensiblement indĂ©pendant de la transmission. On les range en deux catĂ©gories les appareils non talonnables, les appareils talonnables. a Appareils non talonnables. Verrous-aiguilles. Sous l'action de l'unique levier, le mouvement du verrou se dĂ©compose en trois phases fig. 312 dĂ©verrouillage de l'aiguillage, dĂ©placement des aiguilles, verrouillage de l'aiguillage dans sa nouvelle position. La transmission attaque une plaque prĂ©sentant une coulisse composĂ©e de deux rainures parallĂšles Ă  la voie et reliĂ©es par une rainure oblique. La distance des axes des deux rainures parallĂšles est Ă©gale Ă  la course de l'aiguillage. Fig. 312. - Verrou-aiguille. Un bouton, solidaire de la tringle de commande des aiguilles, coulisse dans la rainure et selon que ce bouton se trouve dans l'une des deux rainures parallĂšles ou dans la partie oblique, l'aiguille est dans une de ses positions extrĂȘmes ou dans une position intermĂ©diaire. Le dĂ©placement de la plaque manƓuvre l'aiguille et cale celle-ci. La figure reprĂ©sente la position de fin de course dans le sens indiquĂ© par la flĂšche. GrĂące Ă  la surcourse mĂ©nagĂ©e dans la coulisse, la position de l'aiguille n'est pas influencĂ©e par les variations de longueur de la transmission. b Appareils talonnables. 1. - Appareil de manƓuvre et de verrouillage Ă  disque pour transmission Ă  double fil. Nous ne dĂ©crirons que l'appareil Ă  deux bielles. Il comporte fig. 313 Ă  317 a Une cuve C qui supporte une poulie ou disque P, La poulie porte sur chacune de ses faces supĂ©rieure indices 1 et infĂ©rieure indices 2, un galet d'entraĂźnement G1-G2 et une nervure circulaire en saillie N1-N2. La gorge de la poulie reçoit les chaĂźnettes constituant les extrĂ©mitĂ©s de la transmission. Ces chaĂźnettes sont attachĂ©es Ă  la poulie par deux broches. Fig. 313 Fig. 314 Fig. 315 Fig. 316 Fig. 317 Fig. 313 Ă  317. - Appareil de manƓuvre et de verrouillage Ă  disque pour transmission Ă  double fil. La partie gauche de la figure reprĂ©sente la face infĂ©rieure de la poulie, la partie droite correspond Ă  la face supĂ©rieure. b Deux bielles de manƓuvre B1-B2 sont placĂ©es, l'une au-dessus, l'autre au-dessous de la poulie. Ces bielles sont indĂ©pendantes l'une de l'autre. Chaque bielle comprend une partie Ă©largie, entaillĂ©e jusqu'Ă  mi-Ă©paisseur, de maniĂšre Ă  former une coulisse R, assez longue et destinĂ©e Ă  recevoir le galet d'entraĂźnement G1 ou G2. Une seconde coulisse plus courte R2 est prĂ©vue pour recevoir la nervure N1 ou N2 de la poulie, nervure qui jouera le rĂŽle de verrou. Les deux bielles doivent ĂȘtre montĂ©es de maniĂšre que la face pourvue de coulisse soit tournĂ©e vers la poulie. Fonctionnement. Le fonctionnement se fait en trois temps. Au repos, eu position normale fig. 313, l'aiguille de gauche A, reliĂ©e Ă  la bielle supĂ©rieure B1, se trouve, par exemple, appliquĂ©e contre le rail de gauche. On voit que le galet supĂ©rieur G1 est sorti de la coulisse R1 mais que la nervure N1 est engagĂ©e dans la coulisse R2. L'aiguille de gauche est donc maintenue collĂ©e contre le rail par cette nervure qui constitue en fait un verrou circulaire. A la face infĂ©rieure de la poulie, le galet G2 reste au contraire engagĂ© dans la coulisse R1 de la bielle B2 reliĂ©e Ă  l'aiguille de droite B laquelle est Ă©cartĂ©e de 165 mm du rail ; la nervure infĂ©rieure N2 heurte une butĂ©e de fin de course. - Premier temps de la manƓuvre fig. 314. Lorsque l'on actionne la transmission, la poulie P tourne dans le sens de la flĂšche indiquĂ©e sur la figure 313, on constate que l'effet obtenu est diffĂ©rent suivant que l'on considĂšre la face supĂ©rieure ou la face infĂ©rieure. A la face supĂ©rieure fig. 314, la premiĂšre partie de la rotation de la poulie a pour rĂ©sultat de dĂ©gager la nervure N1 de la coulisse R2 et d'engager le galet G1 dans la coulisse R1 ; la bielle supĂ©rieure B1 reste immobile, car le galet ne l'attaque pas encore. A la face infĂ©rieure, le galet G2, Ă©tant engagĂ© dans la coulisse R1 de la bielle B2, entraĂźne immĂ©diatement celle-ci. Le premier temps de la manƓuvre a donc pour effet de dĂ©verrouiller l'aiguille de gauche A, sans la dĂ©placer et de commencer le dĂ©placement de l'aiguille de droite B. - DeuxiĂšme temps de la manƓuvre fig. 315. Les deux galets G1 et G2 Ă©tant maintenant engagĂ©s tous deux dans les coulisses R1 correspondantes des bielles B1 et B2, la rotation de la poulie a pour rĂ©sultat d'entraĂźner les deux bielles simultanĂ©ment par les galets G. Pendant le deuxiĂšme temps de la manƓuvre les deux aiguilles se dĂ©placent donc ensemble. - TroisiĂšme temps de la manƓuvre fig. 316. L'aiguille de droite B ayant commencĂ© son mouvement de translation avant l'aiguille de gauche A, arrivera avant celle-ci Ă  la fin de sa course, c'est-Ă -dire contre le rail de droite. A ce moment, Ă  la face infĂ©rieure, le galet G2 se dĂ©gage de la coulisse R1 de la bielle infĂ©rieure B2, tandis que la nervure N2 pĂ©nĂštre dans la coulisse R2 de cette mĂȘme bielle ; le mouvement de translation de celle-ci s'arrĂȘte donc et son verrouillage commence. A la face supĂ©rieure, le galet G1 reste au contraire encore engagĂ© dans la coulisse R1 de la bielle B1 qui continue Ă  se dĂ©placer ; en fin de course fig. 317, la nervure N1 vient s'arrĂȘter contre la butĂ©e de fin de course. L'aiguille ouverte se trouve alors Ă  165 mm du rail. Le troisiĂšme temps de la manƓuvre a donc pour effet d'assurer le verrouillage de l'aiguille de droite B et d'achever le mouvement d'ouverture de l'aiguille de gauche A. Remarques. Tous ces mouvements sont rĂ©versibles ; lorsque l'appareil de manƓuvre est actionnĂ© en sens inverse, l'aiguillage reprend sa position primitive en passant par les mĂȘmes phases. Les deux aiguilles ne se dĂ©plaçant pas simultanĂ©ment, elles doivent ĂȘtre absolument indĂ©pendantes l'une de l'autre et par consĂ©quent elles ne peuvent ĂȘtre reliĂ©es entre elles par des tringles d'Ă©cartement. TĂątonnement. Dans le cas oĂč le premier essieu d'un vĂ©hicule vient talonner un aiguillage reliĂ© Ă  un appareil de manƓuvre Ă  deux bielles fig. 313 page 225 et fig. 274 page 202 on remarque que l'aiguille ouverte B est touchĂ©e la premiĂšre par le mentonnet de la roue correspondante ; or, cette aiguille est reliĂ©e Ă  la bielle B2 non verrouillĂ©e et dont la coulisse est en contact avec le galet ; elle peut donc se dĂ©placer en entraĂźnant la poulie ce qui a pour rĂ©sultat de dĂ©verrouiller et de commencer le mouvement d'ouverture de l'aiguille collĂ©e A et cela avant que cette derniĂšre soit touchĂ©e par le mentonnet de l'autre roue du premier essieu, donc sans dĂ©formation ou bris de piĂšces. 2. - Appareil de manƓuvre avec calage des aiguilles par crochets systĂšme BĂŒssing. Les pointes des aiguilles a1 a2 fig. 318 Ă  321 sont rĂ©unies par une liaison articulĂ©e P101 et O2P2. Dans chaque position terminale de l'aiguillage, l'un des deux crochets de verrouillage C1 ou C2, solidaires des bielles P1O1, P2O2, saisit un coussinet A ou B fixĂ© au rail contre-aiguille R1 ou R2 de maniĂšre Ă  maintenir la pointe de l'aiguille solidement appliquĂ©e contre le rail. Quand le levier de commande de l'aiguillage passe d'une position limite Ă  l'autre, la tringle t se dĂ©place de 22 cm. Si, partant de la position de repos fig. 318, la tringle t se dĂ©place vers la gauche, le crochet C1 glisse sur la face du coussinet A et entraĂźne la pointe d'aiguille a1. La figure 319 reprĂ©sente la position de l'aiguillage quand la tringle a parcouru le tiers de sa course. On voit que le crochet C2 est libĂ©rĂ©. Fig. 318 Fig. 319 Fig. 320 Fig. 321 Fig. 318 Ă  321. - Appareil de calage d'aiguilles par crochets systĂšme BĂŒssing. AprĂšs le deuxiĂšme tiers de course fig. 320, le crochet C1 est prĂȘt Ă  saisir son coussinet A1 tandis que C2 aborde la face de glissement du coussinet B. AprĂšs le dernier tiers de course fig. 321, l'aiguille a1 est appliquĂ©e contre son rail contre-aiguille ; en mĂȘme temps, le crochet C1 est complĂštement verrouillĂ© fixant solidement l'aiguille dans cette position. Talonnement. Fig. 322. - Talonnement de l'appareil de calage par crochets systĂšme BĂŒssing. Lorsqu'un vĂ©hicule roulant dans le sens de la flĂšche 2 talonne l'aiguillage fig. 322, l'essieu d'avant appuie d'abord contre l'aiguille a2 fig. 321, celle-ci se rapproche du rail contre-aiguille R2 fig. 320, le patin du crochet C2 glisse comme on l'a vu sur son coussinet B. Le dĂ©placement de l'aiguille a2 n'entraĂźne donc pas l'aiguille a1 ; celle-ci ne bouge pas, mais le dĂ©placement de a2 dĂ©verrouille le crochet C1, la bielle O2P2 pivotant autour de P2 fig. 320 et 322. Les deux aiguilles se dĂ©placent ensuite simultanĂ©ment fig. 319 jusqu'au moment oĂč a2 colle contre le rail R2 ; a2 reste alors immobile, mais l'aiguille a1 continue Ă  se dĂ©placer, ce qui dĂ©termine le verrouillage de l'aiguille a2 fig. 318. Dans ces conditions, aucune action destructrice ne se produit. C. - Les dĂ©tecteurs Les dĂ©tecteurs permettent de contrĂŽler Ă  distance que les aiguillages se trouvent dans la position convenable pour les trains attendus. Ils sont intercalĂ©s dans les transmissions des signaux, de telle sorte que ceux-ci ne peuvent ĂȘtre mis Ă  voie libre que si les aiguilles auxquelles ils donnent accĂšs sont dans la position convenable. Les dĂ©tecteurs sont appliquĂ©s aussi parfois Ă  des aiguilles manƓuvrĂ©es sur place aussi bien qu'aux aiguilles manƓuvrĂ©es Ă  distance note 229. Lorsque les deux aiguilles sont reliĂ©es par une connexion rigide, on peut se contenter d'appliquer un dĂ©tecteur Ă  l'une d'elles. Mais la dĂ©tection est alors imparfaite puisqu'elle n'avertit pas le cabinier en cas de bris de la tringle d'Ă©cartement. Quand les aiguilles sont talonnables, on applique un dĂ©tecteur Ă  chaque aiguille et chacun de ces dĂ©tecteurs contrĂŽle, d'une part, si l'aiguille est appliquĂ©e contre son rail d'applique et, d'autre part, si, dans l'autre position, l'aiguille prĂ©sente l'ouverture voulue. A la S. N. C. B., les dĂ©tecteurs, mĂȘme pour aiguillages reliĂ©s par connexion rigide, comportent toujours deux tringles de contrĂŽle, une pour chaque aiguille. On rencontre des dĂ©tecteurs mĂ©caniques et des dĂ©tecteurs Ă©lectriques. 1. DĂ©tecteurs mĂ©caniques. a Le bolt-lock verrou-serrure, fig. 323 et 324. Ce dĂ©tecteur mĂ©canique de pointes est rĂ©alisĂ© de la maniĂšre suivante en face de l'aiguillage, une barre de fer AB de section rectangulaire est insĂ©rĂ©e dans la transmission tt qui relie le signal Ă  son levier de manƓuvre. Cette barre peut glisser parallĂšlement Ă  la voie dans deux guides appropriĂ©s. Elle porte une entaille E dans laquelle peut coulisser une barre CD disposĂ©e perpendiculairement Ă  la voie, barre rattachĂ©e Ă  la pointe de l'aiguille et se dĂ©plaçant avec elle. Cette derniĂšre barre CD prĂ©sente deux encoches e1, e2. Quand l'aiguille est Ă  fond de course d'un cĂŽtĂ© ou de l'autre, l'une des deux encoches e1, e2 vient se placer sous l'entaille E du bolt-lock AB. Dans ces conditions, le levier du signal peut ĂȘtre manƓuvrĂ© par la transmission tt, mais il ne peut l'ĂȘtre que pour autant que l'aiguillage occupe effectivement l'une de ses positions extrĂȘmes. En outre, le bolt-lock Ă©tant intercalĂ© dans la transmission qui relie le signal Ă  son levier de manƓuvre, le signaleur ne peut mettre le signal Ă  voie libre que si l'aiguillage donne la direction qui correspond Ă  ce signal au passage. Vers la transmission du signal et parallĂšle Ă  la voie. Solidaire de l'aiguille et perpendiculaire Ă  la voie. Fig. 323 et 324. - Bolt-lock. A la S. N. C. B., le bolt-lock n'est employĂ© que pour dĂ©tecter, dans sa position normale, l'aiguille donnant accĂšs Ă  la voie de dĂ©doublement des stations intermĂ©diaires des lignes Ă  voie unique. Dans ce cas, la barre CD ne comporte qu'une seule entaille. b La poulie de verrouillage, employĂ©e comme dĂ©tecteur mĂ©canique, s'apparente dans son principe au bolt-lock. Comme lui, elle comporte une barre telle que CD fig. 323 et 324 disposĂ©e perpendiculairement Ă  la voie ; cette barre est fixĂ©e Ă  la pointe de l'aiguille et se dĂ©place avec elle. Elle prĂ©sente aussi deux encoches telles que e1, e2 fig. 325 et 326 mais les ouvertures de celles-ci sont orientĂ©es vers le bas et non vers le haut comme dans le bolt-lock. La barre CD passe en effet au-dessus d'une poulie Ă  gorge sur laquelle s'enroule la transmission Ă  double fil qui commande la mise au passage du signal correspondant Ă  l'aiguillage. La poulie porte une nervure semi-circulaire qui, lorsque l'aiguille est dans la position correcte, peut s'engager dans l'une des deux encoches de la barre CD. Il s'ensuit que le cabinier peut alors manƓuvrer le levier du signal pour mettre celui-ci Ă  voie libre. Pour toute autre position de l'aiguille, la nervure semi-circulaire butera contre la partie pleine de la barre CD, s'opposant Ă  la rotation de la poulie et immobilisant ainsi la commande du signal. Remarque. - Lorsqu'ils sont intercalĂ©s dans la transmission du signal commandant l'aiguillage, les dĂ©tecteurs mĂ©caniques donnent lieu Ă  des rĂ©sistances passives supplĂ©mentaires qui peuvent nuire au bon fonctionnement de la transmission. Quand ils sont montĂ©s isolĂ©ment, ils imposent l'emploi de connexions et de leviers spĂ©ciaux ; il en rĂ©sulte une dĂ©pense et un encombrement supplĂ©mentaires ; leur efficacitĂ© est nulle en cas de bris de la transmission qui les commande. Les dĂ©tecteurs Ă©lectriques suppriment ces inconvĂ©nients. 2. Les dĂ©tecteurs Ă©lectriques fig. 327 et 328. Deux piĂšces de contact a et A sont solidaires chacune du mouvement de l'aiguillage. Chaque fois que l'aiguille se trouve Ă  fond de course, d'un cĂŽtĂ© ou de l'autre, ces piĂšces de contact ferment des circuits Ă©lectriques. Fig. 327 et 328. - DĂ©tecteur Ă©lectrique d'aiguilles. Quand l'aiguille n'est pas dans la position convenable, les contacts ne se produisent pas, le courant fait dĂ©faut et le levier de signal en cabine est immobilisĂ© par l'armature d'un Ă©lectro-aimant E1 ou E2 dĂ©sexcitĂ©. La barre solidaire du levier ne comporte qu'une encoche parce que l'on n'immobilise le signal que dans une position, la position normale signal Ă  l'arrĂȘt. D. - Les pĂ©dales de calage Les pĂ©dales de calage empĂȘchent le cabinier de manƓuvrer un aiguillage pris par la pointe avant le passage complet du train. Il existe des pĂ©dales mĂ©caniques et des pĂ©dales Ă©lectriques. 1. PĂ©dales mĂ©caniques ou lattes de calage fig. 329. La pĂ©dale mĂ©canique ou latte de calage est constituĂ©e par une barre en fer corniĂšre placĂ©e le long d'un des rails, Ă  l'intĂ©rieur de la voie et en avant de la pointe de l'aiguille. Cette barre est supportĂ©e par de petites manivelles, mobiles autour d'axes S fixĂ©s par des consoles au patin du rail fig. 330. Elle peut donc s'abaisser ou se relever dans un plan vertical. Fig. 329. - PĂ©dale mĂ©canique ou latte de calage. Une bielle et un renvoi la relient Ă  l'aiguille ou au verrou d'aiguille fig. 331 et rendent son dĂ©placement solidaire de l'aiguille ou du verrou. Fig. 330. - Manivelle de manƓuvre de la pĂ©dale de calage. - PĂ©dale abaissĂ©e. Lorsque l'appareil occupe l'une ou l'autre de ses positions extrĂȘmes, la table supĂ©rieure de la barre se trouve Ă  50 mm environ au-dessous du niveau de la table de roulement du rail. Pour pouvoir manƓuvrer l'aiguille et retirer le verrou, il faut soulever la pĂ©dale, mais aussi longtemps qu'une roue se trouve au-dessus de celle-ci, le mentonnet du bandage maintient la pĂ©dale abaissĂ©e et rend ainsi impossible le dĂ©placement de l'aiguille. Fig. 331. - PĂ©dale mĂ©canique de calage reliĂ©e au verrou d'aiguille. On place la pĂ©dale le plus prĂšs possible de la pointe de l'aiguille et on lui donne une longueur supĂ©rieure au plus grand Ă©cartement entre deux essieux consĂ©cutifs d'un wagon ou d'une voiture. 2. PĂ©dales Ă©lectriques de calage. Avec l'accroissement de la longueur des vĂ©hicules, l'Ă©cartement des essieux a atteint jusqu'Ă  15 mĂštres, les pĂ©dales mĂ©caniques deviennent alors trĂšs lourdes, elles se montent difficilement, la manƓuvre des leviers devient dure, les pĂ©dales se dĂ©tĂ©riorent frĂ©quemment, aussi cĂšdent-elles de plus en plus la place aux dispositifs Ă©lectriques auxquels, par extension de la signification du mot, on a conservĂ© le nom de pĂ©dales de calage fig. 332. Une pĂ©dale Ă©lectrique de calage comporte essentiellement la prĂ©sence en amont de l'aiguillage d'un rail R1 isolĂ© Ă©lectriquement des deux rails contigus. Pour rĂ©aliser l'isolement d'un rail, on intercale dans les deux joints d'extrĂ©mitĂ© une fourrure isolante cuir de bƓuf imbibĂ© d'huile de lin et les Ă©clisses ordinaires sont remplacĂ©es par des Ă©clisses en bois crĂ©osote ou en mĂ©tal garni de fibre isolante. Fig. 332. - PĂ©dale Ă©lectrique de calage d'aiguilles. Deux circuits 1-2 relient le rail isolĂ© R1 Ă  la cabine, le circuit 1 comprend une source de courant et un interrupteur d'Ă©conomie i ; le circuit 2, un Ă©lectro-aimant dont l'armature, lorsqu'elle est abandonnĂ©e, enclenche le levier L de manƓuvre de l'aiguille ou du verrou. Lorsqu'il n'y a pas d'essieu sur le rail isolĂ©, le courant de la pile emprunte le rail isolĂ© suivant ab et, parcourant le circuit 2, excite l'Ă©lectro dont l'armature en se relevant libĂšre le levier de manƓuvre. Mais lorsqu'un essieu se trouve sur le rail isolĂ©, le courant de la pile passe directement Ă  la terre au travers de cet essieu suivant ac et l'Ă©lectro dĂ©sexcitĂ© lĂąche son armature qui verrouille le levier. L'interrupteur i permet au cabinier de ne faire agir le courant qu'au moment de la manƓuvre du levier. Le rail isolĂ© doit avoir une longueur de 15 Ă  18 mĂštres. CINQUIÈME PARTIEVirage et translation des vĂ©hicules de chemins de fer A. - Plaques tournantes pour wagons et voitures Les plaques tournantes servent Ă  faire passer les vĂ©hicules d'une voie sur une autre, que ces voies soient convergentes ou parallĂšles. Elles ne permettent que le passage d'un vĂ©hicule Ă  la fois. Si on les subit dans les installations anciennes, on tend de plus en plus Ă  les remplacer par des liaisons par aiguillages et on ne les emploie plus guĂšre que dans les installations Ă©triquĂ©es, aux abords des magasins, des ateliers ou dans les raccordements industriels. Fig. 333 La plaque tournante se compose d'un plateau mobile sur un pivot central et soutenu Ă  la circonfĂ©rence par des galets qui roulent sur un chemin circulaire en acier. L'ensemble repose dans une cuve cylindrique encastrĂ©e dans la fondation. Fig. 334 Le plateau mobile est formĂ© de quatre poutres disposĂ©es en croix, reliĂ©es entre elles et supportant les rails ; les intervalles sont remplis par un plancher en bois ou en tĂŽle. Fig. 335 Quand les plaques sont placĂ©es Ă  l'intersection des voies et des traversĂ©es rectangulaires fig. 333, elles portent deux voies Ă  angle droit, de maniĂšre que ni la voie ni la traversĂ©e ne soient jamais interrompues. Des verrous immobilisent la plaque quand elle est abordĂ©e par les vĂ©hicules. La figure 335 montre que le mentonnet de la roue intercepte une longueur de rail 2 a ; dans le cas d'une roue de 1 mĂštre de diamĂštre, cette longueur est Ă©gale Ă  190 mm page 180. Dans ces conditions, le diamĂštre D de la plaque tournante en fonction de la jauge e de la voie et de l'empattement l du vĂ©hicule fig. 334 et 335, est donnĂ© par la formule . D'autre part fig. 333, la largeur minimum de l'entrevoie L est Ă©gale Ă  L = D-e. Ainsi, pour D = 6 mĂštres, la largeur minimum de l'entrevoie sera de 4,50 m, si le dĂ©placement latĂ©ral doit se faire normalement aux voies L = 6 m - 1,50 m. Si l'entrevoie ne peut dĂ©passer trois mĂštres, les plaques tournantes chevauchent fig. 336. Fig. 336 Si D = 6 mĂštres, le dĂ©calage x est Ă©gal Ă  . A la S. N. C. B., il existe encore quelques plaques tournantes de 4,80 m, mais le type normal est de 6 mĂštres. B. - Circuits de virage et ponts tournants Parvenues au point terminus de leur parcours, les locomotives doivent ĂȘtre virĂ©es bout pour bout pour reprendre la remorque, cheminĂ©e en avant, d'un autre train circulant en sens inverse. On utilise Ă  cet effet les circuits de virage et les ponts tournants. 1. Circuits de virage. On leur donne des formes diverses avec la prĂ©occupation de rĂ©aliser l'encombrement le plus rĂ©duit compatible, d'une part, avec le terrain disponible et, d'autre part, avec le rayon au-dessous duquel on ne dĂ©sire pas descendre pour les courbes de circulation. On s'inspire Ă©galement du souci de rĂ©aliser le maximum de rapiditĂ© dans les manƓuvres. 1° La raquette fig. 337. Fig. 337. - La raquette. C'est la solution la plus simple et la plus complĂšte. Il n'y a pas de rebroussement, par consĂ©quent les pertes de temps sont rĂ©duites au minimum et l'on peut virer toute une rame de vĂ©hicules en une fois. L'aiguille est toujours orientĂ©e dans la mĂȘme direction et ne nĂ©cessite l'intervention d'aucun agent. L'espace nĂ©cessaire s'inscrit dans un rectangle de surface L x l ; on a l = 2R et L = CO + OB = R + 2R cos 30° et comme cos 30° = , on a . La place occupĂ©e par cette solution est trĂšs considĂ©rable car si l'on s'impose, par exemple, que le rayon R ne peut descendre au-dessous de 150 mĂštres, on aura L = 409 mĂštresl = 300 mĂštres. Fig. 338. - Dispositif Ă  rebroussement unique. 2° Le dispositif Ă  rebroussement unique ABC de la figure 338. Il suppose que, d'une part, l'installation soit Ă©tablie sur la voie principale AB et, d'autre part, que la locomotive virĂ©e puisse repartir de B sans devoir revenir au point de dĂ©part A. Il comporte deux arcs de cercle de rayon R et un cul de sac CD dont la longueur l est dĂ©terminĂ©e par celle du vĂ©hicule ou de la rame Ă  tourner bout pour bout. La longueur L n'est plus que de 2 R au lieu de et la largeur de R + l au lieu de 2R, mais la largeur est Ă  prendre tout entiĂšre du mĂȘme cĂŽtĂ©. 3° Le triangle curviligne de virage fig. 339. Le triangle de virage ABC comporte deux rebroussements, d'oĂč pertes de temps pour arrĂȘts et remises en marche. Fig. 339. - Triangle de virage. Sous sa forme la plus rĂ©guliĂšre, il se prĂ©sente comme le montre la figure 339, avec des culs de sac BD et CE de longueur l pour les rebroussements. L = R + 2l cos 30°, or cos 30° = , . Si R = 150 mĂštres et l = 24 mĂštres, on aura . Sans doute cet encombrement est encore sĂ©rieux, mais il ne faut pas perdre de vue que le triangle de virage ne doit pas nĂ©cessairement se trouver au centre des installations mais qu'il peut ĂȘtre refoulĂ© Ă  un endroit propice. L'aiguille, manƓuvrĂ©e par un levier Ă  simple action page 194, est prise par le talon dans un sens et revient d'elle-mĂȘme dans la position convenable pour l'autre sens. Le chauffeur de la locomotive peut, par ailleurs, s'assurer de la bonne position de l'aiguille et Ă©ventuellement la manƓuvrer. La S. N. C. B. a installĂ© de nombreux triangles de virage. 4° Circuit de virage Ă  fleuron ou Ă©toilĂ© fig. 340 Ă  343. Dans la solution prĂ©cĂ©dente, les voies parcourues ne se recoupent pas. Si l'on admet le recoupement, on peut diminuer l'encombrement en adoptant les figures Ă  fleuron ou Ă©toilĂ©es note 237. Fig. 340. - Triangle de virage Ă  fleuron. Dans la pratique, il y a souvent une dimension pour laquelle on n'est pas gĂȘnĂ© et la difficultĂ© n'existe que pour la dimension perpendiculaire. Or celle-ci peut ĂȘtre sensiblement rĂ©duite dans le cas du triangle curviligne en adoptant la forme de fleuron fig. 340. L'encombrement minimum sera donnĂ© par x = y. La figure 341 reprĂ©sente le triangle de virage Ă  fleuron installĂ© en 1926 Ă  la gare belge d'Esschen proche de la frontiĂšre hollandaise. Le dispositif Ă  fleuron a Ă©tĂ© adoptĂ© parce que l'on ne disposait que d'une bande de terrain de 150 m de largeur seulement. Fig. 341. - Triangle de virage Ă  fleuron de la gare frontiĂšre belge d'Esschen. Avec les figures Ă©toilĂ©es, plus grand sera le nombre de sommets, plus rĂ©duit sera l'encombrement. Mais pratiquement, on ne peut songer Ă  dĂ©passer le pentagone Ă©toilĂ© fig. 342 lequel comporte trois rebroussements. Un pentagone Ă©toilĂ© ABCDE a Ă©tĂ© Ă©tabli Ă  Roulers par la S. N. C. B. en 1920, mais il a Ă©tĂ© supprimĂ© en 1947 pour permettre l'agrandissement d'un atelier. Le pentagone Ă©toile a Ă©tĂ© remplacĂ© par une plaque tournante de 22 m de diamĂštre. Fig. 342. - Pentagone de virage Ă©toilĂ© ABCDE de Roulers. La figure 343 reprĂ©sente le pentagone Ă©toile rĂ©alisĂ© Ă  la station italienne de Brennero. En ce point frontiĂšre de la ligne du Brenner, tous les trains changent de locomotives. L'Ă©tablissement d'un pont tournant y aurait Ă©tĂ© trĂšs onĂ©reux, il aurait fallu le protĂ©ger contre la neige en raison de l'altitude m. D'autre part, l'espace dont on disposait entre une route et la montagne 104 m Ă©tait insuffisant pour installer un triangle de virage ordinaire. Le problĂšme fut rĂ©solu par l'emploi d'une sorte de polygone Ă©toilĂ© Ă  cinq branches. Le rayon minimum des courbes est de 142 m. Pour Ă©viter toute dĂ©pense de personnel, les aiguilles sont talonnables, un contre-poids fixe les ramenant toujours en position normale. Fig. 343. - Pentagone Ă©toilĂ© de virage de la station italienne de Brennero. La longueur totale du dispositif de pointe Ă  pointe des aiguilles extrĂȘmes est de 220 m, sa largeur de 90 m. Le virage d'une locomotive demande 4 minutes environ. Remarque. - Les circuits de virage permettent la circulation des locomotives accouplĂ©es sous condition de donner aux culs de sac une longueur adĂ©quate. 2. Ponts tournants pour locomotives. Les ponts tournants se diffĂ©rencient des plaques tournantes en ce qu'ils ne comportent que les poutres portant les rails et n'ont pas de plateforme extĂ©rieurement Ă  ces poutres pour recouvrir la fosse. Ponts tournants Ă  Ă©quilibrage central. Dans ce systĂšme, la charge porte entiĂšrement sur le pivot central et les galets d'extrĂ©mitĂ© ne sont lĂ  que pour s'opposer au basculement du pont au moment oĂč la locomotive l'aborde ou le quitte. La position Ă  donner Ă  la locomotive sur le pont n'est pas indiffĂ©rente, la locomotive doit toujours ĂȘtre convenablement centrĂ©e de maniĂšre que le centre de gravitĂ© de l'ensemble locomotive et tender tombe le mieux possible Ă  l'aplomb du pivot. Le moment moteur pour la rotation du pont est rĂ©duit au minimum en concentrant les forces de frottement le plus prĂšs possible du pivot afin de leur donner un bras de levier minimum. La longueur des locomotives et par suite leur poids augmentant sans cesse, les ponts tournants sont toujours, Ă  l'heure actuelle, Ă©quipĂ©s d'un tracteur Ă©lectrique suffisamment lourd pour que son adhĂ©rence sur le rail circulaire, placĂ© Ă  la pĂ©riphĂ©rie de la fosse, suffise pour entraĂźner le pont tournant. Le diamĂštre des ponts tournants modernes varie de 22 Ă  30 mĂštres ; il en existe mĂȘme en AmĂ©rique qui mesurent 41 mĂštres pour le virage de locomotives de 537 tonnes. On se rend compte de l'importance que prennent les fondations du pivot des ponts tournants servant au virage des lourdes locomotives modernes. Il faut aussi considĂ©rer les fondations des culĂ©es qui ont Ă  rĂ©sister aux plus lourdes charges avec chocs. Dans la dĂ©termination des charges statiques assimilĂ©es, on recommande de multiplier le poids de l'essieu abordant par le coefficient 7,5. Les charges des extrĂ©mitĂ©s du pont tournant abordĂ© doivent normalement porter entiĂšrement sur les sabots de calage, mais il peut arriver que les charges portent partiellement oĂč mĂȘme totalement sur les galets de roulement et, dans le calcul des fondations des culĂ©es, il convient d'avoir Ă©gard Ă  cette derniĂšre hypothĂšse. La longueur et le poids croissants des locomotives, la nĂ©cessitĂ© Ă©conomique de plus en plus impĂ©rieuse d'un virage rapide ont soulignĂ© certains inconvĂ©nients des ponts Ă  Ă©quilibrage central. Fig. 344 Pour assurer le portage sur le pivot malgrĂ© la flexion des poutres, il faut mĂ©nager sous les extrĂ©mitĂ©s un jeu important qui oblige Ă  placer les rails du pont Ă  un niveau plus Ă©levĂ© que celui des voies aboutissantes fig. 344, d'oĂč rĂ©sultent des chocs importants au passage des locomotives. Il faut caler les extrĂ©mitĂ©s du pont avant que la locomotive puisse l'aborder, les dĂ©caler sous charge avant le virage et les recaler au moment oĂč la locomotive quitte le pont fig. 345. Le sabot de calage soutient le pont au moment oĂč la locomotive l'aborde, le verrou empĂȘche le pont de dĂ©vier Ă  droite ou Ă  gauche sous l'effet du choc d'abordage. Pour rĂ©aliser l'Ă©quilibre, le pont Ă  Ă©quilibrage central exige un diamĂštre plus grand que l'empattement de la locomotive et de son tender ; en effet, il faut, avant le virage, perdre du temps Ă  faire aller et venir la locomotive pour que son centre de gravitĂ© tombe le mieux possible Ă  l'aplomb du pivot. Les ponts Ă  Ă©quilibrage central se dĂ©rĂšglent facilement ce qui rend la manƓuvre parfois difficile. Les rĂ©parations sont frĂ©quentes. Fig. 345. - Verrouillage et calage d'un pont tournant Ă  Ă©quilibrage = verrou,S = sabot de calage,L = levier unique de manƓuvre du verrou et du sabot. Il existe d'autres types de ponts tournants qui suppriment ces inconvĂ©nients en rĂ©partissant la charge de la locomotive entre le pivot central et le chemin de roulement. Selon leur conception, on les range en deux catĂ©gories les ponts Ă  poutres continues Ă  trois appuis, parmi lesquels se classent les ponts Ă©tudiĂ©s par l'ingĂ©nieur Mundt des chemins de fer nĂ©erlandais ; les ponts composĂ©s de deux poutres Ă  deux appuis, rĂ©unies par une articulation au droit du pivot. Ces conceptions Ă©liminent tout basculement ou jeu entre galets et cercle de roulement et rĂ©duisent les chocs sur le pont lorsqu'une locomotive aborde celui-ci ou le quitte. DĂšs lors, ces ponts ne doivent plus ĂȘtre calĂ©s, ni dĂ©calĂ©s, mais simplement verrouillĂ©s et dĂ©verrouillĂ©s. Pour le cas oĂč la charge porterait uniquement sur la travĂ©e opposĂ©e au galet moteur, les poutres principales du pont Mundt sont rendues plus flexibles dans la zone du pivot que vers le milieu des deux travĂ©es de maniĂšre Ă  obtenir une adhĂ©rence suffisante Ă  l'extrĂ©mitĂ© motrice pour les plus mauvaises conditions de charge. Avec le pont Mundt Ă  poutres principales continues, lorsque le pont est soumis Ă  une charge Ă©quilibrĂ©e, le poids est pour les 5/8 supportĂ© par le pivot central et le surplus est uniformĂ©ment rĂ©parti entre les galets d'extrĂ©mitĂ©. Avec un pont articulĂ©, chargĂ© d'une maniĂšre analogue, la moitiĂ© du poids repose sur le pivot et un quart sur chacun des deux jeux de galets. Les poutres de ces ponts tournants sont sensiblement moins hautes et partant moins lourdes, il s'ensuit que la cuve peut ĂȘtre moins profonde que pour le type ordinaire. Enfin, la rĂ©partition de la charge permanente permet d'employer des fondations moins importantes. Le temps de virage est rĂ©duit puisqu'il n'est plus nĂ©cessaire d'Ă©quilibrer la locomotive sur le pont. De ce chef aussi, et toutes choses Ă©gales, le diamĂštre du pont peut ĂȘtre plus petit. La S. N. C. B. a installĂ© un pont Mundt de 20 mĂštres Ă  Gouvy, un de 24 mĂštres Ă  Stockem, Bruxelles-Nord, Bruxelles-Midi et Forest. Des ponts du type continu, lĂ©gĂšrement diffĂ©rents du type Mundt, ont Ă©tĂ© installĂ©s rĂ©cemment Ă  Kinkempois et Ă  Haine St Pierre. Remarque. - ComparĂ©s aux circuits de virage, les ponts tournants sont des ouvrages d'art coĂ»teux soumis Ă  des fatigues considĂ©rables et exigeant des fondations exceptionnelles. N'insistons pas sur la gravitĂ© d'une chute Ă©ventuelle de la locomotive dans la fosse par suite de nĂ©gligence dans le verrouillage du pont. C. - Transbordeurs Les transbordeurs peuvent servir au transfert des wagons, voitures et locomotives d'une voie sur une autre voie parallĂšle. On construit 1° Des transbordeurs avec fosse ou transbordeurs Ă  voies interrompues fig. 346. En France, dans certaines gares de coĂŻncidence, il existe des transbordeurs servant Ă  faire passer certaines voitures d'un train dans un autre sans devoir passer par la tĂȘte du faisceau. En Belgique, aux anciens quais du Sud du port d'Anvers, de part et d'autre du Steen, il existe encore des transbordeurs Ă  fosse pour le classement des wagons Ă  quai note 242, mais partout ailleurs au port, on a recours aux liaisons de voies par aiguillages. Fig. 346. - Transbordeur Ă  fosse. 2° Des transbordeurs sans fosse. Parmi ceux-ci, on distingue les transbordeurs surĂ©levĂ©s plus spĂ©cialement rĂ©servĂ©s au dĂ©placement des voitures et des wagons ; les transbordeurs mi-surbaissĂ©s affectĂ©s au dĂ©placement des vĂ©hicules lourds tels que les locomotives. En dehors des cas signalĂ©s ci-dessus, les transbordeurs sont surtout utilisĂ©s dans les remises Ă  locomotives et dans les ateliers de rĂ©paration du matĂ©riel roulant. La description de ces appareils ne rentre pas dans le cadre de cet ouvrage. U. LAMALLE. FĂ©vrier 1951. Notes note 002_1 En Russie 1,524 m, en Espagne et au Portugal 1,676 m. note 002_2 Pour le rail belge de 50 kg/m, par exemple, la distance d'axe en axe des rails est de 1,507 m voir Fascicule II, Pose de la Voie en Courbe, troisiĂšme Ă©dition, 1949, page 2. note 002_3 En alignement droit, avec 2 mĂštres d'entrevoie, le gabarit belge du matĂ©riel roulant, avec portiĂšre ouverte, empiĂšte sur le gabarit voisin, portiĂšre fermĂ©e, de 17 cm. Lorsqu'une portiĂšre s'ouvre en marche, elle tend Ă  se rabattre complĂštement contre la paroi, en vertu de l'inertie et de la vitesse. Quand le train s'arrĂȘte, elle tend au contraire Ă  se refermer. L'accrochage par ouverture de portiĂšre suppose qu'un train croise au moment mĂȘme oĂč la portiĂšre s'ouvrant, elle occupe la position normale Ă  la paroi ou lorsqu'elle tend Ă  se refermer lors d'un ralentissement ou d'un arrĂȘt. Quoi qu'il en soit, en Belgique, la tendance est d'augmenter la largeur de l'entrevoie de 15 Ă  20 cm. note 006 Les cendrĂ©es des fours Ă  zinc exceptĂ©es. note 008 Le petit granit » belge n'est qu'un calcaire dur. note 010 Le ballast 20 X 40 mm, devenu trĂšs cher parce qu'on l'utilise Ă  d'autres fins bĂ©ton, n'est plus guĂšre employĂ© Ă  la S. N. C. B. note 012 ConfĂ©rence du 11-10-1935 par Ch. Driessen Ă  l'Institut royal des ingĂ©nieurs hollandais. note 013 Rail maintenu sous tension. note 015 Die Reichsbahn - 10 octobre 1928. note 016 Une mĂšche de coton trempĂ©e dans cette solution mixte de chlorate et de carbonate, puis sĂ©chĂ©e, brĂ»le huit fois moins vite que si elle a Ă©tĂ© trempĂ©e dans la solution de chlorate pur. Les vĂȘtements ou chaussures mouillĂ©s par la solution deviennent, lorsqu'ils sont secs, extrĂȘmement inflammables. Il faut les laver Ă  grande eau s'ils ont Ă©tĂ© Ă©claboussĂ©s. Il est prudent de pourvoir les ouvriers de bottes et de tabliers en caoutchouc. Les souliers Ă  clous qui pourraient provoquer des Ă©tincelles, sont Ă  proscrire. Pour permettre de dĂ©celer la prĂ©sence de solution herbicide sur les vĂȘtements, on peut colorer cette solution. Enfin, les ouvriers ne doivent pas oublier que le chlorate est un poison. note 018 Locomotive type 1 4-6-2 de la S. N. C. B. note 019_1 C'D' = 2 0,40 + 0,90 + 0,30 = 3,20 m. note 019_2 Avec les charges de 36 tonnes par essieu des locomotives amĂ©ricaines, l'Ă©cartement des traverses est rĂ©duit Ă  50 cm. note 024 La distillation fractionnĂ©e du goudron de houille donne, selon la tempĂ©rature d'Ă©bullition, les distillats suivants huiles lĂ©gĂšres benzol, benzine, huiles moyennes benzine lourde, naphtaline, huiles lourdes huile de crĂ©osote, anthracĂšne. note 025 Une traverse de 2,60 m x 0,28 m x 0,14 m = 100 dĂ©cimÂł. Pour une traverse en chĂȘne, absorbant 4 kg de crĂ©osote, on obtient un taux d'imprĂ©gnation de 40 grammes par dĂ©cimÂł ; si la traverse est en hĂȘtre et absorbe 15 kg de crĂ©osote, le taux monte Ă  150 gr par dĂ©cimÂł. note 028_1 Le procĂ©dĂ© Bethell peut cependant ĂȘtre utilisĂ© Ă©galement pour le sulfate de cuivre et pour le chlorure de zinc. note 028_2 On emploie Ă©galement, mais sur une beaucoup moindre Ă©chelle, le chlorure de zinc avec le systĂšme RĂŒping. note 029 Dans les chantiers de crĂ©osotage des chemins de fer belges Ă  Wondelgem, chaque cylindre mesure 23 m de longueur sur 2,50 m de diamĂštre et l'on peut y enfourner une rame entiĂšre de wagonnets chargĂ©s au total d'environ 360 traverses, soit environ 90 traverses par wagonnet. note 032 Dans le chĂȘne, le cƓur est Ă  peu prĂšs rĂ©fractaire Ă  la pĂ©nĂ©tration. note 034 La charge dynamique au droit d'un essieu moteur peut ĂȘtre prĂšs du double de la charge statique. note 041 Tome II - Exploitation technique - 3° Ă©dition, 1949, page 102. note 042_1 Voir page 34, paragraphe 6. note 042_2 Selle mĂ©tallique d'appui pour voie en courbe avec attaches type Angleur. note 044 Pour Ă©viter cet inconvĂ©nient, dans certaines selles, le rebord est abattu complĂštement Ă  l'emplacement de la tĂšte du tirefond de fixation du rail selle de 50 kg modĂšle 28. note 045 Voir 3e partie Les Rails, chapitre IX. note 046 Deux rails de 27 mĂštres soudĂ©s. note 047_1 Tome III - Fascicule II, 3e Ă©dition, 1949 - Pose de la voie en courbe - page 9. note 047_2 36 t x fr la tonne par exemple = fr/km. note 051_1 Avantages propres aux traverses en bois page 41. note 051_2 En 1922, les usines d'OugrĂ©e-Marihaye laminaient des traverses mĂ©talliques sans trou. Le rail Ă©tait fixĂ© par selle Ă  crochet, crapaud et boulon dont la tĂȘte se logeait dans un creux embouti dans la table de la traverse. La selle elle-mĂȘme embrassait la table formant encorbellement et s'accrochait des deux cĂŽtĂ©s par un dispositif en queue d'aronde. Une cale complĂ©tait l'assemblage. Revue Universelle des mines - 16 juin 1923 - GĂ©nie Civil - 8 octobre 1922. note 051_3 Bulletin de documentation de l'Ossature mĂ©tallique - janvier-fĂ©vrier 1933. note 052 Voir 3me partie Les Rails - Chapitre IV Pose des rails de grande longueur ». note 054 Avec les traverses d'OugrĂ©e et d'Angleur, on ne pose pas d'anticheminants, sauf lors de la pose de la voie, c'est-Ă -dire pendant le rodage » et ce provisoirement. note 056_1 Par suite de la prĂ©sence de pyrites FeS dans le charbon dont proviennent les cendrĂ©es. note 056_2 Circuit de voie et block automatique - voir tome II, l'Exploitation technique - 3me Ă©dition - Signalisation - 2me partie - p. 102. note 057_1 La Suisse, par exemple, n'a que trĂšs peu de chĂȘne. note 057_2 Soufflage, voir le chapitre Entretien de la Voie. note 058 L'Italie consomme 3 millions de traverses en bois par an, l'Angleterre 5 millions, la France 5 millions et la Belgique ± La disproportion entre les besoins et les ressources s'aggrave d'annĂ©e en annĂ©e. note 059 Circuits de voie voir tome II. L'Exploitation technique - 3me Ă©dition - La Signalisation - 2me partie - p. 102. note 061_1 Bulletin du CongrĂšs International des Chemins de fer. Novembre 1921 - R. DESPRETS. Juin 1921 - DINO LEVI DE VEALI. note 061_2 M. VAGNEUX, IngĂ©nieur en chef Ă  l'ancienne compagnie française du P. L. M. note 072 On appelle traverse danseuse», une traverse qui, retenue par les attaches, est suspendue au rail Ă  la suite d'un affaissement du moule ». Au passage de chaque essieu, elle s'abaisse puis se relĂšve. Le moule » est la partie du ballast qui supporte directement la traverse. note 074_1 Niveau Van den Berghe de la S. N. C. B. ; il se compose d'une piĂšce mĂ©tallique formant pont entre les deux rails. Cette piĂšce porte en son milieu un secteur circulaire graduĂ© R = 1,30 m sur lequel glisse un niveau. Celui-ci, Ă©tant amenĂ© dans la position horizontale bulle entre les repĂšres, on lit directement sur la graduation du secteur, la dĂ©nivellation d'un rail par rapport Ă  l'autre. note 074_2 Le viseur se compose d'une lunette ordinaire, Ă  lecture renversĂ©e. La lunette comporte un rĂ©ticule Ă  deux fils horizontal et vertical. Un dispositif de rĂ©glage et un niveau permettent de rendre le rĂ©ticule parfaitement horizontal et de faire des visĂ©es dans un plan horizontal. Le viseur est fixĂ© au rail par deux pinces Ă  griffes, il peut pivoter autour de son axe vertical pour les visĂ©es dans les courbes. Une Ă©chelle graduĂ©e permet de fixer le viseur Ă  une hauteur dĂ©terminĂ©e au-dessus du rail. note 074_3 La mire est composĂ©e d'un cadre ajourĂ© portant trois Ă©chelles verticales graduĂ©es identiques. Elle se met en station sur le rail au moyen de pinces. Un niveau assure la parfaite horizontalitĂ© de la ligne des zĂ©ros. Sous les zĂ©ros, la mire est peinte en noir pour Ă©viter toute confusion de lecture. Une Ă©chelle graduĂ©e, placĂ©e sur la tige support, permet de rĂ©gler en hauteur la ligne des zĂ©ros. note 077 Diplorry ensemble de deux trucks lorry indĂ©pendants, composĂ©s chacun d'un chĂąssis montĂ© sur deux paires de roues et soutenant une traverse porteuse. La solidarisation des deux trucks se fait par le poids du chargement. note 080 Le mot anglais rail » signifie barre » d'oĂč l'expression railways » chemins en barres. note 082 Le Great Western Railway » avait cependant adoptĂ© la voie de 2,34 m 7 pieds anglais et l'a conservĂ©e longtemps. note 085 Voir chapitre IX Le cheminement des rails. note 086 Les rails Ă  patin furent prĂ©conisĂ©s aux États-Unis vers 1832 par Stevens et introduits en Europe en 1836 par l'anglais Vignole. note 088_1 C'est pourquoi les rĂšglements prescrivent des pesĂ©es pĂ©riodiques des locomotives, pour s'assurer que les essieux ont bien leur charge normale, notamment les essieux d'avant et d'arriĂšre qui sont appelĂ©s Ă  guider la locomotive en courbe. note 088_2 Nous traiterons la question de l'usure au chapitre VII. note 091 Cas du rail belge de 52 kg/m. note 093 Le patin, se refroidissant plus vite que le bourrelet, met d'abord le bourrelet en tension par effet de retrait mais, au fur et Ă  mesure du refroidissement, c'est l'inverse qui se produit ; le patin est alors mis en tension et la cambrure finale se forme avec patin Ă  l'extĂ©rieur de la courbe. note 096 U. V. F. 3. - Union des voies ferrĂ©es. - Profil n° 3. U. V. F. 3 R. - Union des voies ferrĂ©es. - Profil n° 3 renforcĂ©. note 098 Nous reparlerons ultĂ©rieurement du rail Compound ». note 100_1 TempĂ©rature en degrĂ©s centigrades prise sur le rail au moment de la pose. note 100_2 Si l'on touche un rail exposĂ© en plein soleil, on constate que le patin est moins chaud que le bourrelet. Sous un soleil ardent, les rails atteignent une tempĂ©rature telle qu'il est presque impossible d'y poser la main. note 100_3 Les chemins de fer vicinaux belges posent leurs rails Ă  orniĂšre et mĂȘme leurs rails Vignole sans joint de dilatation traverses recouvertes de ballast. note 102 Notamment, sur les fortes dĂ©clivitĂ©s et dans les rĂ©gions de freinage. note 104 Bulletin de l'Association internationale des Chemins de fer - fĂ©vrier 1921. Le calcul des rails » par M. DESPRETS, IngĂ©nieur en chef Ă  la S. N. C. B. note 108_1 Voir L'Ă©tat de la question des rails en acier Thomas sur le rĂ©seau de la S. N. C. B. » par J. SERVAIS - Bulletin du CongrĂšs des Chemins de fer - janvier 1951. note 108_2 Retassure phĂ©nomĂšne physique cavitĂ©, souvent en forme d'entonnoir, qui se produit dans la rĂ©gion supĂ©rieure des lingots par suite de retrait qui accompagne la solidification. note 108_3 SĂ©grĂ©gation phĂ©nomĂšne chimique dĂ©faut dĂ» Ă  l'accumulation des impuretĂ©s sulfureuses et phosphoreuses, etc., au centre et vers le sommet du lingot c'est-Ă -dire dans la partie qui se solidifie en dernier lieu. note 109_1 Une flĂšche dont la pointe indique le cĂŽtĂ© des rails correspondant Ă  la tĂȘte » du lingot est laminĂ©e en relief sur l'Ăąme des rails. Pour le rail 50 kg/m, le choc se donne au moyen d'un mouton de 1000 kg tombant librement de 6 m de hauteur sur coupons de rails reposant par le patin sur appuis espacĂ©s d'un mĂštre. AprĂšs chaque choc, la flĂšche est relevĂ©e. Toutes les chutes de tĂȘte doivent rĂ©sister Ă  un choc sans se briser. note 109_2 Les Ă©prouvettes sont prĂ©levĂ©es dans la chute de culasse en nombre correspondant Ă  25 % du nombre total des coulĂ©es. note 109_3 La rĂ©silience est la force vive ou travail absorbĂ© par l'Ă©prouvette pour provoquer sa rupture sous l'effet du mouton pendule. Elle s'exprime par le nombre de kgm nĂ©cessaires pour produire la rupture mais ce nombre est rapportĂ© au cmÂČ de la section exposĂ©e Ă  la rupture 10 mm x 8 mm. Pour l'Ă©prouvette Mesnager, le nombre de kgm nĂ©cessaire Ă  la rupture reprĂ©sente donc les 8/10 de la rĂ©silience. Les essais se pratiquent sur 20 % des coulĂ©es. note 109_4 Les bonnes fabrications donnent un pourcentage de rĂ©siliences, Ă©gales ou supĂ©rieures Ă  3 kgm, d'au moins 70 % du nombre total d'Ă©prouvettes. note 110_1 Essai de duretĂ©. - L'essai de duretĂ© Brinell consiste Ă  pratiquer une empreinte par pĂ©nĂ©tration, Ă  la surface de l'acier Ă  essayer, au moyen d'une pression P de 3000 kg exercĂ©e progressivement et maintenue pendant 15 secondes sur une bille en acier trempĂ© de 10 mm de diamĂštre. Le diamĂštre de l'empreinte ainsi obtenue est relevĂ© au moyen d'un microscope graduĂ©. Si S est la surface en mmÂČ de la calotte sphĂ©rique de l'empreinte laissĂ©e par la bille, le rapport P/S donne le chiffre de duretĂ© Brinell. Si D est le diamĂštre de la bille, d celui de l'empreinte relevĂ©e, on a . Des tables donnent directement le chiffre de duretĂ© Brinell correspondant aux empreintes obtenues. Pour les rails ordinaires nuance 70 Ă  80 kg/mmÂČ les chiffres de duretĂ© seront compris entre 200 et 242. Pour les mĂ©taux, on peut se faire une idĂ©e suffisamment approchĂ©e de la rĂ©sistance Ă  la rupture en kg/mmÂČ en se servant du chiffre de duretĂ© et en le multipliant par un coefficient qui pour les aciers est de 0,35. Les tables donnent Ă©galement les rĂ©sistances correspondant aux diamĂštres d'empreintes et aux chiffres de duretĂ©. note 110_2 Prise d'une empreinte Baumann distribution du soufre sur une section bien dressĂ©e et passĂ©e Ă  la lime douce. Le papier photographique au bromure ou au citrate d'argent est au prĂ©alable imprĂ©gnĂ© d'une solution d'acide sulfurique Ă  3° BaumĂ©, puis appliquĂ© sur la surface Ă  explorer. Il y a dĂ©gagement d'hydrogĂšne sulfurĂ© sous l'action de l'acide sulfurique et des taches de sulfure d'argent apparaissent lĂ  oĂč existent des sulfures dans le mĂ©tal. Lorsque l'image est suffisamment nette, on lave et on fixe par l'hyposulfite de soude comme s'il s'agissait d'une reproduction photographique. note 110_3 La plus ou moins grande aptitude Ă  la surchauffe est fonction de la grosseur du grain austĂ©nitique primaire propre Ă  chaque coulĂ©e d'acier. Voir La grosseur du grain austĂ©nitique de l'acier » par W. MEERT, IngĂ©nieur civil mĂ©tallurgiste - Bulletin de l'Union des IngĂ©nieurs de Louvain - FĂ©vrier 1946. note 111 La dĂ©formation des barres due au retrait aprĂšs refroidissement provient de l'inĂ©galitĂ© relative des masses entre bourrelet, Ăąme et patin des rails. note 115_1 On constate Ă©galement en courbe une tendance Ă  l'Ă©crasement du rail le plus chargĂ©, Ă©crasement qui se traduit par la formation de bavures mĂ©talliques, rĂ©sultant de l'Ă©coulement latĂ©ral du mĂ©tal. note 115_2 Bulletin du CongrĂšs des Chemins de fer - janvier 1940 - JACOPS, IngĂ©nieur de la note 115_3 Sinon les mentonnets des roues heurteraient les Ă©clisses de joints. note 117_1 Pour le procĂ©dĂ© de fabrication des rails compound», voir la Verkehrstechnik» du 5-X-1940. note 117_2 Initiation Ă  l'Ă©tude de la constitution physico-chimique des aciers de construction - Traitements thermiques - J. SERVAIS, chef du service des essais de la voie Ă  la - 2e Ă©dition, 1942. note 118 D'aprĂšs leur teneur en carbone, on distingue dans les alliages fer carbone la classification suivante le fer contenant de 0 Ă  0,04 % de C, les aciers ordinaires contenant de 0,04 Ă  0,9 % thĂ©oriquement jusqu'Ă  1,7 % de carbone aciers doux de 0,04 Ă  0,20 % de C ; aciers demi durs 0,20 Ă  0,35 % de C ; aciers durs de 0,35 Ă  0,9 % de C, la fonte contenant plus de 1,7 % de C. Les aciers de construction profilĂ©s divers, fers marchands, tĂŽles et larges plats sont en acier doux. Les piĂšces de forge sont en acier doux ou en acier demi dur. Les outils de coupe sont en acier au carbone trĂšs dur ou en acier spĂ©cial. Les aciers sont obtenus par affinage de la fonte dĂ©carburation et Ă©limination des Ă©lĂ©ments Ă©trangers par des procĂ©dĂ©s divers Affinage par le vent dans les convertisseurs Bessemer Ă  revĂȘtement intĂ©rieur Ă  rĂ©action acide revĂȘtement siliceux, Ă  revĂȘtement Ă  rĂ©action basique dolomie calcinĂ©e = carbonate naturel de chaux et de magnĂ©sie ; c'est le procĂ©dĂ© Thomas appliquĂ© aux fontes phosphoreuses le plus usuel en Belgique note 118_1. Affinage de la fonte sur la sole d'un four Martin Ă  revĂȘtement acide, Ă  revĂȘtement basique. L'acier est encore fabriquĂ© aux fours Ă©lectriques et aux fours Ă  creusets. Il existe aussi des procĂ©dĂ©s mixtes Talbot, Bertrand-Thiel, Duplex. La cĂ©mentite est un carbure de fer Fe3C qui, considĂ©rĂ©e en tant qu'Ă©lĂ©ment indĂ©pendant, contient 6,7 % de C. Les proportions relatives de ferrite et de perlite varient selon la teneur en C de l'alliage, de sorte que, entre les limites de 0 Ă  0,9 % de C des aciers usuels Ă  0 % de C, il n'y a que de la ferrite, Ă  0,9 % de C, il n'y a que de la perlite eutectoĂŻde fig. 141. PropriĂ©tĂ©s mĂ©caniques des constituants La ferrite est tendre. La cĂ©mentite Fe3C est un corps trĂšs dur et trĂšs cassant ; incorporĂ©e dans le fer, elle lui communique ses propriĂ©tĂ©s suivant la proportion absorbĂ©e. La ferrite faible rĂ©sistance Ă  la traction 28 Ă  35 kg/mmÂČ, grande ductilitĂ© ± 35 % d'allongement. La perlite agrĂ©gat de ferrite et de cĂ©mentite grande rĂ©sistance Ă  la traction 85 Ă  90 kg/mmÂČ, faible ductilitĂ© ± 8 % d'allongement. Il s'ensuit que la rĂ©sistance Ă  la traction des aciers croĂźt avec la proportion de perlite, laquelle est fonction de la teneur en C, tandis que le pourcentage d'allongement diminue dans les limites de 0 Ă  0,9 % de C. L'austĂ©nite est une solution solide» homogĂšne de carbure de fer dans le fer gamma. Il n'est pratiquement pas possible d'obtenir la structure austĂ©nitique avec l'acier au C sans alliage parce que le refroidissement n'est pas assez rapide. Pour obtenir l'austĂ©nite seule, il faut tremper des aciers spĂ©ciaux Ă  forte teneur en Mn ou en Ni ou bien tremper dans l'eau glacĂ©e un acier trĂšs carburĂ© 1 % de C par exemple et renfermant 2 de Mn. La martensite. - Si l'acier est fortement chauffĂ© c'est-Ă -dire jusqu'au-dessus du point critique supĂ©rieur tout le carbone se dissout et reste en solution aprĂšs refroidissement rapide trempe et forme la martensite. La martensite, trĂšs dure et trĂšs fragile, est la caractĂ©ristique de l'Ă©tat trempĂ© des aciers ordinaires suffisamment carburĂ©s. Pour obtenir cet Ă©tat trempĂ©, il faut empĂȘcher toute dĂ©composition avant d'atteindre les tempĂ©ratures basses auxquelles prend naissance la martensite, c'est-Ă -dire, franchir rapidement les zones oĂč cette dĂ©composition de l'austĂ©nite s'opĂšre Ă  grande vitesse. L'apparition de la martensite est donc accompagnĂ©e d'une augmentation de la duretĂ©. La troostite. - Quand, avant trempe, on part d'une tempĂ©rature infĂ©rieure Ă  celle qui donnerait la structure martensitique, on obtient de la troostite. Celle-ci est donc le constituant obtenu par la trempe douce de l'acier suffisamment carburĂ©. La sorbite. - C'est la structure obtenue par revenu, pratiquĂ© aprĂšs trempe, d'un acier martensitique. Lorsque les piĂšces Ă  traiter tels les rails doivent avoir une duretĂ© diffĂ©rente en profondeur Ă  partir de la surface, on peut pratiquer le revenu par conductibilitĂ©, c'est-Ă -dire, qu'on rĂ©chauffe les piĂšces jusqu'Ă  la tempĂ©rature de trempe et l'on trempe seulement la partie pour laquelle on recherche la duretĂ©. La chaleur rĂ©siduelle du restant de la piĂšce rĂ©chauffe alors la partie trempĂ©e jusqu'Ă  la tempĂ©rature du revenu. Selon la tempĂ©rature du revenu, la martensite subsiste ou disparaĂźt complĂštement. Au-dessous de 400°, la martensite disparaĂźt complĂštement et, avec elle, ses propriĂ©tĂ©s caractĂ©ristiques ; Ă  partir de ce moment, la sorbite possĂšde les propriĂ©tĂ©s de la perlite. La sorbite caractĂ©rise donc les aciers trempĂ©s et revenus. note 118_1 Par suite des facilitĂ©s d'approvisionnement en minerais phosphoreux des bassins de Briey et du Luxembourg. note 119 La teneur de 0,9 % de C correspond Ă  l'eutectoĂŻde. On appelle eutectoĂŻde l'eutectique qui se forme aux dĂ©pens d'une masse solide, l'appellation eutectique » Ă©tant rĂ©servĂ©e Ă  la structure qui prend naissance aux dĂ©pens d'un liquide. Un eutectique comporte des teneurs bien dĂ©finies de constituants. Il se caractĂ©rise, en outre, par le fait qu'il fond Ă  une tempĂ©rature nettement plus basse que celles auxquelles fondent les constituants. note 122_1 Sans rĂ©chauffage. note 122_2 Sans rĂ©chauffage. note 123_1 MesurĂ©e sur Ă©prouvette de 13,8 mm de diamĂštre dont le centre est Ă  10 mm de la surface de roulement. note 123_2 MaximilianshĂŒtte Ă  Rosenberg BaviĂšre. note 123_3 Sans rĂ©chauffage. note 125_1 Bulletin de l'Association Internationale du CongrĂšs des Chemins de fer - J. SERVAIS - avril 1936. note 125_2 Le mĂ©canisme par lequel les abouts des rails sont martelĂ©s par les roues au moment du franchissement du joint est encore assez obscur. Il semble qu'il se produise un choc direct sur le rail d'aval en mĂȘme temps qu'un rebondissement de la roue. Ce phĂ©nomĂšne provoque tantĂŽt l'Ă©crasement de l'extrĂ©mitĂ© du rail, tantĂŽt la formation d'une cuvette dont la position est variable mais qui paraĂźt s'Ă©loigner du joint d'autant plus que la vitesse est plus grande fig. 143. Fig. 143 note 126_1 La Locomotive par U. LAMALLE et F. LEGEIN - 4e Ă©dition 1948 - page 587. note 126_2 La Locomotive par U. LAMALLE et F. LEGEIN - 4e Ă©dition 1948 - page 550. Pose de la voie en courbe - Tome III du cours d'exploitation des chemins de fer, fascicule II, 1949 - U. LAMALLE. note 127 Voir, page 90, l'Ă©tude des portĂ©es d'Ă©clissage. note 128 Ancien type d'Ă©clissage. L'Ă©clissage actuel est reprĂ©sentĂ© figure 120, page 91. note 130_1 Largeur du patin ± 1 mm ; hauteur, largeur du bourrelet et Ă©paisseur de l'Ăąme ± 0,5 mm ; ouvertures des portĂ©es d'Ă©clissage + 0 mm, - 0,5 mm. note 130_2 Pour les Ă©clisses, tolĂ©rance sur le profil de la chambre d'Ă©clissage ± 0,5 mm sur les dimen-sions. Aucune tolĂ©rance n'est admise sur l'angle formĂ© par les portĂ©es d'Ă©clissage. note 131_1 Le rematriçage consiste Ă  refouler du mĂ©tal Ă  la presse et Ă  chaud vers le milieu de la portĂ©e supĂ©rieure des Ă©clisses de maniĂšre Ă  obtenir une forme bombĂ©e de la portĂ©e supĂ©rieure d'Ă©clissage, Ă©pousant de trĂšs prĂšs et, en tous cas, mieux que des Ă©clisses neuves, la portĂ©e usĂ©e des rails. note 131_2 Le traitement thermique a, comme nous le disons page 132, l'avantage de durcir les portĂ©es d'Ă©clissage et de les rendre moins vulnĂ©rables Ă  l'usure. note 132 Par limite Ă©lastique, il faut entendre ici la limite Ă©lastique apparente accusĂ©e par le commencement de la dĂ©formation permanente de l'Ă©prouvette. note 133 Bulletin de l'Association internationale du CongrĂšs des Chemins de fer - janvier 1938 - E. DESORGHER, IngĂ©nieur en chef Ă  la S. N. C. B. note 134_1 Bulletin de l'Association internationale du CongrĂšs des Chemins de fer - janvier 1938 - E. DESORGHER, IngĂ©nieur en chef Ă  la S. N. C. B. note 134_2 Union internationale des Tramways, etc. CongrĂšs de Zurich - Berne - juillet 1939. Voie progrĂšs rĂ©cents en matiĂšre de soudure et d'appareils de voie - H. D'OULTREMONT. note 137 Autrefois appliquĂ© sur la ligne de Ciney Ă  Statte. note 140 Quais de dĂ©part d'une station ou au pied d'un signal oĂč les trains sont frĂ©quemment arrĂȘtĂ©s. note 141 Au printemps de 1922, sur le plan inclinĂ© d'Ans Ă  LiĂšge, du chef du cheminement combinĂ© Ă  la dilatation due Ă  une hausse subite de tempĂ©rature, la voie a serpentĂ© au point de dĂ©placer de 40 centimĂštres l'axe de la voie. note 142 Voir page 132. note 148 Voir fascicule II Pose de la Voie en courbe - 3e Ă©dition, 1949 - page 25. note 149 Les vĂ©hicules au repos ne peuvent occuper les branchements. note 150 Tome III, fascicule II - 3e Ă©dition, 1949 - Pose de la Voie en courbe - page 1. note 151 Circulaire n° 61 du 18 avril 1931 - Service du MatĂ©riel de la S. N. C. B. note 153 Nous parlerons ultĂ©rieurement des aiguilles flexibles. note 155_1 A la S. N. C. B., il existe des croisements Ă  branche courbe pour les petits angles. note 155_2 d = l tg fig. 178. ; si= 30'et d = 120 mm, on a . note 157_1 On est limitĂ© par la course du levier et par sa dĂ©multiplication. note 157_2 MAY Les appareils de la voie - Branchements et traversĂ©es. note 160_1 fig. 187 l" =QV+VD, l" =TXsin+XDsin or TX=XD d’oĂč formule 1 d'autre part donc et comme, voir formule 1 il vient note 160_2 On peut Ă©galement dĂ©terminer R directement. On a, fig. 188 l’ = BN + ND, BN = PM sin, ND = MD sin d'oĂč l' = PM sin + MD sin mais PM = MD, on a l’ = MD sin + sin d'autre part donc d'oĂč note 162 Tome III, La Voie - Fascicule II. Pose de la voie en courbe - 3e Ă©dition, 1949 - Surlargeur pages 2 Ă  9. note 163 MASUY GEORGES, IngĂ©nieur Principal du Service de la Voie Ă  la S. N. C. B. note 170 Aanleg en Berekening van Wissels en Kruisingen in Gebogen Spoor Technisch-Wetenschappelijk Tijdschrift, nr 2, 1943, door A. JACOPS, Eerste IngĂ©nieur bij de N. M. B. S. note 172_1 Pour le calcul, une traversĂ©e complĂšte se subdivise en deux parties, comprenant chacune un croisement et une traversĂ©e simple c'est ce qu'on appelle une demi-traversĂ©e. note 172_2 Inutile de prĂ©ciser en principe s'il s'agit d'un changement de voie, d'un cƓur de croisement ou d'une demi-traversĂ©e le raisonnement mathĂ©matique est gĂ©nĂ©ral. note 178 note 181_1 Avec une orniĂšre de 40 mm au lieu de 45 mm, on a pour l'appareil n° 1, en rails de 40,650 kg, y = 40 mm x 14 = 560 mm, et pour l'appareil n° 6, y = 40mm x 5 = 200 mm. La roue n'est pas guidĂ©e sur une longueur de 560 - 190 = 370 mm dans l'appareil n° 1 et 200 - 190 = 10 mm dans l'appareil n° 6. note 181_2 Avec une orniĂšre de 40 mm au lieu de 45 mm et . note 184 , nĂ©gligeant h devant 2r + e, et tenant compte de ce que page 180, on a , mettant en Ă©vidence dans le second terme, on a e d'oĂč . Si h = 40 mm, x' = x x 1,45 = 275 mm ; mais si h = 50 mm, x' = x x 1,55 = 295 mm. Rappelons que x = 190 mm. note 186_1 Voir 3e partie Les Rails - Chapitre VI, page 120. note 186_2 En essayant d'entamer le mĂ©tal, l'outil l'Ă©crouit et transforme sa surface austĂ©nitique en martensite. note 186_3 Les voies des Tramways Ă©tant trĂšs parcourues Ă  cet endroit alors que les trains de la S. N. C. B. n'y circulent qu'Ă  faible vitesse courbe de 250 m de rayon, les deux voies ont Ă©tĂ© considĂ©rĂ©es comme Ă©tant de mĂȘme importance. note 190_1 On peut dĂ©terminer le rendement d'une T. J. au moyen d'un graphique d'utilisation note 190_2 Ă©tabli Ă  priori ou Ă  posteriori. - Par ailleurs, si l'on constate que les surfaces de roulement des rails d'une T. J. sont rouillĂ©es, on peut en dĂ©duire que son maintien en service est discutable. note 190_2 Graphique pour faciliter l'Ă©tude de l'utilisation intensive des voies des gares Ă  voyageurs. - R. DEVOOGHT, IngĂ©nieur principal de la S. N. C. B. - Bulletin du CongrĂšs des Chemins de fer - novembre 1934. note 198 Le chapitre Enclenchements» relĂšve de l'Exploitation technique, du tome II note 199 DiamĂštre extĂ©rieur de 33 Ă  45 mm - Épaisseur 4 mm. note 205 Ce calcul thĂ©orique ne tient pas compte des tensions initiales. note 206 La description de l'appareil central relĂšve de l'Exploitation technique du tome II. note 208 La manƓuvre Ă©lectrique des signaux repose sur les mĂȘmes principes. note 209 Symboles figure 281 le courant Ă©lectrique circule suivant ABC et est coupĂ© suivant ABD. figure 282 le courant Ă©lectrique passe suivant ABD et est interrompu suivant ABC. note 210 Remarque. - En rĂ©alitĂ©, dans la position de la figure 283, Ă©tant donnĂ©es les positions de C, m1 et m2 le courant de 120 volts ne peut passer au moteur ; c'est le courant de contrĂŽle de 25 volts qui emprunte le circuit abcd fig. 284. note 214_1 Rail isolĂ© - Voir Tome II, l'Exploitation technique - 3e Ă©dition, 1944 - page 168. note 214_2 Électro de faible rĂ©sistance, montĂ© en sĂ©rie. note 229 Notamment lorsque l'aiguillage n'est pas visitĂ© avant d'ĂȘtre pris en pointe par un train. note 237 Annales des Ponts de ChaussĂ©es de France - par GOUPIL - septembre 1908. note 242 La longueur de ces transbordeurs varie de 9 Ă  16,50 mĂštres, la distance de translation de M Ă  63 mĂštres. Sile froid s’accentue, aprĂšs dĂ©jĂ  plusieurs semaines de gel quasi quotidien, ces tempĂ©ratures ramĂšnent l’Alsace Ă  un hiver « normal », aprĂšs plusieurs annĂ©es atypiques. Nature et

L’hiver est bien lĂ  ! Voici 7 conseils pour protĂ©ger votre exploitation pendant cette pĂ©riode de froid. Il est bien connu que le bĂ©tail se porte mieux que les animaux domestiques par temps froid, cependant, les tempĂ©ratures froides, le vent, la pluie et la neige peuvent stresser et affecter les besoins de l’animal. Voici quelques conseils pratiques pour vous aider Ă  traverser la saison. Saviez-vous que l’ingestion des bovins peut augmenter jusqu’à 30% en raison de l’augmentation des besoins en Ă©nergie d’entretien ? Cela pourrait signifier que les vaches ne sont pas en mesure de manger suffisamment d’aliments pour rĂ©pondre Ă  leurs besoins Ă©nergĂ©tiques, en particulier lorsqu’elles sont nourries avec un fourrage de mauvaise qualitĂ©. Une astuce simple consiste Ă  fournir du fourrage de meilleure qualitĂ© ou Ă  complĂ©menter avec du grain ou des co-produits augmenter la ration de 3 Ă  5%. Stimuler l'ingestion en repoussant la RTM, en fournissant des repas plus frĂ©quents ou en augmentant l’appĂ©tence avec la mĂ©lasse. Si les vaches minces et jeunes ne reçoivent pas suffisamment d'Ă©nergie, elles peuvent entrer en vĂȘlage dans de mauvaises conditions corporelles, ce qui peut entraĂźner des difficultĂ©s de vĂȘlage, un colostrum de mauvaise qualitĂ©, une production de lait plus faible et un taux de conception mĂ©diocre. Il faut dans la mesure du possible nourrir les bovins en fin d'aprĂšs-midi ou en dĂ©but de soirĂ©e car la production de chaleur augmente jusqu'Ă  4 Ă  6 heures aprĂšs la consommation. Par consĂ©quent, les nourrir l'aprĂšs-midi ou le soir peut fournir plus de chaleur Ă  partir de la nuit. Comme toujours, l'eau est un Ă©lĂ©ment essentiel qui doit toujours ĂȘtre disponible, sinon cela pourrait entraĂźner une rĂ©duction de la consommation d'aliments. Assurer un approvisionnement continu en eau lorsque les tuyaux sont gelĂ©s doit ĂȘtre une prioritĂ© absolue dans les exploitations agricoles. La tempĂ©rature optimale de buvĂ©e pour l'eau est de 17 ° C. ProtĂ©ger l'entrĂ©e Ă  la salle de traite, les zones d'attente et de sortie. Le flux de vache vers et depuis la salle de traite peut ĂȘtre affectĂ© par la glace et le fumier gelĂ©. Il faut Ă©liminer tout obstacle potentiel. Il est recommandĂ© d’avoir quelques sacs de sel dans la grange pour garder la salle de traite aussi protĂ©gĂ©e que possible de la glace. Beaucoup vont rĂ©duire la zone sur laquelle les vaches marchent afin de pouvoir garder cette plus petite zone aussi libre que possible du gel. Les veaux de trois semaines et moins ont particuliĂšrement besoin de soins et d’une nutrition soutenue par temps froid. Ils auront besoin de 50 g de poudre de lait ou de 0,33 litre de lait supplĂ©mentaire par jour, pour chaque baisse de tempĂ©rature de 5°C Ă  moins de 15 °C. Assurez-vous de porter la tempĂ©rature de la boisson Ă  38-42 °C et assurez-vous que les nouveau-nĂ©s sont maintenus au sec et rapidement alimentĂ©s en colostrum plus que jamais. Les animaux consomment moins d'Ă©nergie si vous rĂ©duisez leur exposition au froid. Il faut assurer une litiĂšre suffisante et sĂšche pour Ă©viter la condensation dans le bĂątiment et fournir des brise-vent. L'utilisation d'une solution de post-trempage avec des niveaux accrus de glycĂ©rine est cruciale pour protĂ©ger, guĂ©rir et adoucir la peau par temps froid et dans des conditions hivernales rigoureuses. Par temps extrĂȘmement froid, utilisez une trempette de trayon Ă©prouvĂ©e en hiver pour protĂ©ger les trayons et faites attention aux gerçures et aux crevasses.

6images séquentielles de l'album "les trois brigands", deuxiÚme version, encrée. 6 images séquentielles de l'album : " à trois on a moins froid" de elsa duvernois et michel gay, école des loisirs. 6 images séquentielles de l'album : un tout petit coup de main de ann tompert , dessin de lynn munsinger, éditions kaleidoscope . 6 images séquentielles de l'album " jean de
PubliĂ© le 1 fĂ©vr. 2019 Ă  822Mis Ă  jour le 1 fĂ©vr. 2019 Ă  826Des incinĂ©rateurs de dĂ©chets mĂ©nagers aux sĂ©choirs des tuileries ou des briqueteries, en passant par les data centers, les sites industriels d'oĂč elle s'Ă©chappe sont innombrables. L'Ademe chiffre Ă  plus de la quantitĂ© d'Ă©tablissements de plus de 10 salariĂ©s en France dont les activitĂ©s libĂšrent une chaleur plus ou moins forte de +40 Ă  +100 °C, selon les secteurs d'activitĂ©. Des rejets thermiques par lesquels il faut bien en passer pour produire nombre de biens et de cette chaleur, dite fatale », a longtemps Ă©tĂ© ignorĂ©e avant qu'il n'en soit enfin fait cas aujourd'hui. Sa rĂ©cupĂ©ration est comptabilisĂ©e dans les objectifs Ă  atteindre par les Ă©nergies renouvelables », rappelle Marina Boucher, ingĂ©nieure au service entreprises et dynamique industrielle de l'Ademe. L'Agence de l'environnement et de la maĂźtrise de l'Ă©nergie, dans le scĂ©nario qu'elle a rĂ©cemment Ă©tabli pour la programmation pluriannuelle de l'Ă©nergie PPE, dont le projet a Ă©tĂ© prĂ©sentĂ© la semaine derniĂšre , propose d'au moins quintupler le volume de chaleur recyclĂ©e d'origine industrielle, en la faisant passer de 0,5 tĂ©rawattheure TWh par an fin 2016 Ă  3 TWh en 2028, selon le scĂ©nario le plus optimiste sinon 2,3 TWh.Le gros du filon dans le Nord et l'EstC'est lĂ  que se trouve la plus forte marge de progression de cette Ă©nergie. Celle Ă©mise par les incinĂ©rateurs d'ordures mĂ©nagĂšres, elle, est dĂ©jĂ  largement valorisĂ©e avec une puissance installĂ©e » de 8,5 TWh envoyĂ©s dans les rĂ©seaux de chaleur. Encore qu'elle pourrait croĂźtre de moitiĂ© d'ici Ă  ces chiffres paraissent bien modestes au regard du gisement estimĂ©. Dans l'industrie, il est Ă©norme. Pas moins de 109,5 TWh, dont presque la moitiĂ© Ă  une tempĂ©rature de +100 °C, chauffent les oiseaux. Sans surprise, les meilleurs filons se concentrent dans les rĂ©gions oĂč le secteur secondaire est le plus dĂ©veloppĂ© le Grand Est, les Hauts-de-France et Auvergne-RhĂŽne-Alpes, qui, Ă  elles trois, concentrent plus de 45 % du potentiel marchĂ© difficileLes projets Ă©mergent avec l'indispensable soutien de la puissance publique. Surtout celui de l'Ademe, qui fait jouer en leur faveur le fonds chaleur, rĂ©cemment revigorĂ© portĂ© de 215 Ă  300 millions d'euros en 2019. A ce jour, l'agence a soutenu la production de 0,6 TWh et a en vitrine plusieurs opĂ©rations. Kimberly Clark sur son site de Villey-Saint-Etienne Meurthe-et-Moselle rĂ©cupĂšre la chaleur des buĂ©es de sĂ©chage du papier. A Saint-ChĂ©ly-d'Apcher LozĂšre, ArcelorMittal valorise la chaleur de ses fours Ă  la fois en interne et pour alimenter le rĂ©seau de chauffage urbain. A Vire Calvados, la Compagnie des Fromages & RichesMonts met Ă  profit son unitĂ© de production de froid pour faire tourner une pompe Ă  chaleur qui chauffe son atelier de chaleur fatale peut donner largement de quoi faire aux industriels. Pourtant, ceux qui franchissent le pas sont encore peu nombreux, car son gisement est loin d'ĂȘtre exploitable partout dans des conditions Ă©conomiquement viables. Seulement 17 TWh sont Ă  une distance raisonnable d'un rĂ©seau de chaleur, le dĂ©bouchĂ© le plus sĂ»r. La rentabilitĂ© d'un projet de rĂ©cupĂ©ration de chaleur sur site propre, au profit d'un processus industriel, elle, est acquise en deux ans. La prise de dĂ©cision n'est pas aisĂ©e, car il s'agit d'opĂ©rations souvent complexes. Les industriels y vont rarement seuls », indique Marina Boucher. Des sociĂ©tĂ©s comme Kyotherm, Dalkia ou Cofely prennent position sur ce marchĂ© dont l'approche nĂ©cessite de solides compĂ©tences techniques et juridiques. Et ce, d'autant plus que les projets sont financiĂšrement risquĂ©s. Au point que nombre d'acteurs voudraient pouvoir s'appuyer sur un fonds de garantie, comme il en existe un pour la gĂ©othermie. Une fausse bonne idĂ©e, juge-t-on Ă  l'Ademe, vu l'extrĂȘme diversitĂ© des projets.
HystĂ©rieĂ  froid contre le FN. Marine Le Pen n’est pas ma tasse de thĂ©. J’explique pourquoi depuis une dizaine d’annĂ©es, et en quoi la ligne dite Philippot me dĂ©plaĂźt. Ça ne me donne que plus de libertĂ© pour m’ébahir de la vague d’hystĂ©rie Ă  froid dont le Front national est aujourd’hui victime.
Emile Zola L'Argent I Onze heures venaient de sonner à la Bourse, lorsque Saccard entra chez Champeaux, dans la salle blanc et or, dont les deux hautes fenÃÂȘtres donnent sur la place. D'un coup d'oeil, il parcourut les rangs de petites tables, oÃÂč les convives affamés se serraient coude à coude ; et il parut surpris de ne pas voir le visage qu'il cherchait. Comme, dans la bousculade du service, un garçon passait, chargé de plats " Dites donc, M. Huret n'est pas venu ? - Non, monsieur, pas encore. " Alors, Saccard se décida, s'assit à une table que quittait un client, dans l'embrasure d'une des fenÃÂȘtres. Il se croyait en retard ; et, tandis qu'on changeait la serviette, ses regards se portÚrent au-dehors, épiant les passants du trottoir. MÃÂȘme, lorsque le couvert fut rétabli, il ne commanda pas tout de suite, il demeura un moment les yeux sur la place, toute gaie de cette claire journée des premiers jours de mai. A cette heure oÃÂč le monde déjeunait, elle était presque vide sous les marronniers, d'une verdure tendre et neuve, les bancs restaient inoccupés ; le long de la grille, à la station des voitures, la file des fiacres s'allongeait, d'un bout à l'autre ; et l'omnibus de la Bastille s'arrÃÂȘtait au bureau, à l'angle du jardin, sans laisser ni prendre de voyageurs. Le soleil tombait d'aplomb, le monument en était baigné, avec sa colonnade, ses deux statues, son vaste perron, en haut duquel il n'y avait encore que l'armée des chaises, en bon ordre. Mais Saccard, s'étant tourné, reconnut Mazaud, l'agent de change, à la table voisine de la sienne Il tendit la main. " Tiens ! c'est vous. Bonjour ! - Bonjour ! " répondit Mazaud, en donnant une poignée de main distraite. Petit, brun, trÚs vif, joli homme, il venait d'hériter de la charge d'un de ses oncles, à trente-deux ans. Et il semblait tout au convive qu'il avait en face de lui, un gros monsieur à figure rouge et rasée, le célÚbre Amadieu, que la Bourse vénérait, depuis son fameux coup sur les Mines de Selsis. Lorsque les titres étaient tombés à quinze francs, et que l'on considérait tout acheteur comme un fou, il avait mis dans l'affaire sa fortune, deux cent mille francs, au hasard, sans calcul ni flair, par un entÃÂȘtement de brute chanceuse. Aujourd'hui que la découverte de filons réels et considérables avait fait dépasser aux titres le cours de mille francs, il gagnait une quinzaine de millions ; et son opération imbécile qui aurait dû le faire enfermer autrefois, le haussait maintenant au rang des vastes cerveaux financiers. Il était salué, consulté surtout. D'ailleurs, il ne donnait plus d'ordres, comme satisfait, trÎnant désormais dans son coup de génie unique et légendaire. Mazaud devait rÃÂȘver sa clientÚle. Saccard, n'ayant pu obtenir d'Amadieu mÃÂȘme un sourire, salua la table d'en face, oÃÂč se trouvaient réunis trois spéculateurs de sa connaissance, Pillerault, Moser et Salmon. " Bonjour ! ça va bien ? - Oui, pas mal... Bonjour ! " Chez ceux-ci encore, il sentit la froideur, l'hostilité presque. Pillerault pourtant, trÚs grand, trÚs maigre, avec des gestes saccadés et un nez en lame de sabre, dans un visage osseux de chevalier errant, avait d'habitude la familiarité d'un joueur qui érigeait en principe le casse-cou, déclarant qu'il culbutait dans des catastrophes, chaque fois qu'il s'appliquait à réfléchir. Il était d'une nature exubérante de haussier, toujours tourné à la victoire, tandis que Moser, au contraire, de taille courte, le teint jaune, ravagé par une maladie de foie, se lamentait sans cesse, en proie à de continuelles craintes de cataclysme. Quant à Salmon, un trÚs bel homme luttant contre la cinquantaine, étalant une barbe superbe, d'un noir d'encre, il passait pour un gaillard extraordinairement fort. Jamais il ne parlait, il ne répondait que par des sourires, on ne savait dans quel sens il jouait, ni mÃÂȘme s'il jouait ; et sa façon d'écouter impressionnait tellement Moser, que souvent celui-ci, aprÚs lui avoir fait une confidence, courait changer un ordre, démonté per son silence. Dans cette indifférence qu'on lui témoignait, Saccard était resté les regards fiévreux et provocants, achevant le tour de la salle. Et il nĂąâ‚Źâ„ąĂƒÂ©changea plus un signe de tÃÂȘte qu'avec un grand jeune homme, assis a trois tables de distance, le beau Sabatani, un Levantin, à la face longue et brune, qu'éclairaient des yeux noirs magnifiques, mais qu'une bouche mauvaise, inquiétante, gùtait. L'amabilité de ce garçon acheva de l'irriter quelque exécuté d'une Bourse étrangÚre, un de ces gaillards mystérieux aimé des femmes, tombé depuis le dernier automne sur le marché, qu'il avait déjà vu à l'oeuvre comme prÃÂȘte-nom dans un désastre de banque, et qui peu à peu conquérait la confiance de la corbeille et de la coulisse, par beaucoup de correction et une bonne grùce infatigable, mÃÂȘme pour les plus tarés. Un garçon était debout devant Saccard. " Qu'est-ce que monsieur prend ? - Ah ! oui... Ce que vous voudrez, une cÎtelette, des asperges. " Puis, il rappela le garçon. " Vous ÃÂȘtes sûr que M. Huret n'est pas venu avant moi et n'est pas reparti ? - Oh ! absolument sûr ! " Ainsi, il en était là , aprÚs la débùcle qui, en octobre, l'avait forcé une fois de plus à liquider sa situation, à vendre son hÎtel du parc Monceau, pour louer un appartement les Sabatanis seuls le saluaient, son entrée dans un restaurant, oÃÂč il avait régné, ne faisait plus tourner toutes les tÃÂȘtes, tendre toutes les mains. Il était beau joueur, il restait sans rancune, à la suite de cette derniÚre affaire de terrains, scandaleuse et désastreuse, dont il n'avait guÚre sauvé que sa peau. Mais une fiÚvre de revanche s'allumait dans son ÃÂȘtre ; et l'absence d'Huret qui avait formellement promis d'ÃÂȘtre là , dÚs onze heures, pour lui rendre compte de la démarche dont il s'était chargé prÚs de son frÚre Rougon, le ministre alors triomphant, l'exaspérait surtout contre ce dernier. Huret, député docile, créature du grand homme, n'était qu'un commissionnaire. Seulement, Rougon, lui qui pouvait tout, était-ce possible qu'il l'abandonnùt ainsi ? Jamais il ne s'était montré bon frÚre. Qu'il se fût fùché aprÚs la catastrophe, qu'il eût rompu ouvertement pour n'ÃÂȘtre point compromis lui-mÃÂȘme, cela s'expliquait ; mais, depuis six mois, n'aurait-il pas dû lui venir secrÚtement en aide et, maintenant, allait-il avoir le coeur de refuser le suprÃÂȘme coup d'épaule qu'il lui faisait demander par un tiers, n'osant le voir en personne, craignant quelque crise de colÚre qui l'emporterait ? Il n'avait qu'un mot à dire, il le remettrait debout, avec tout ce lùche et grand Paris sous les talons. " Quel vin désire monsieur ? demanda le sommelier. - Votre bordeaux ordinaire. " Saccard, qui laissait refroidir sa cÎtelette, absorbé, sans faim, leva les yeux, en voyant une ombre passer sur la nappe. C'était Massias, un gros garçon rougeaud, un remisier qu'il avait connu besogneux, et qui se glissait entre les tables, sa cote à la main. Il fut ulcéré de le voir filer devant lui, sans s'arrÃÂȘter, pour aller tendre la cote à Pillerault et à Moser. Distraits, engagés dans une discussion, ceux-ci y jetÚrent à peine un coup d'oeil non, ils n'avaient pas d'ordre à donner, ce serait pour une autre fois, Massias, n'osant s'attaquer au célÚbre Amadieu, penché au-dessus d'une salade de homard, en train de causer à voix basse avec Mazaud, revint vers Salmon, qui prit la cote, l'étudia longuement, puis la rendit, sans un mot. La salle s'animait. D'autres remisiers, à chaque minute, en faisaient battre les portes. Des paroles hautes s'échangeaient de loin, toute une passion d'affaires montait, à mesure que s'avançait l'heure. Et Saccard, dont les regards retournaient sans cesse au-dehors, voyait aussi la place se remplir peu à peu, les voitures et les piétons affluer ; tandis que, sur les marches de la Bourse, éclatantes de soleil, des taches noires, des hommes se montraient déjà , un à un. " Je vous répÚte, dit Moser de sa voix désolée, que ces élections complémentaires du 20 mars sont un symptÎme des plus inquiétants... Enfin, c'est aujourd'hui Paris tout entier acquis à l'opposition. " Mais Pillerault haussait les épaules. Carnot et Garnier-Pagés de plus sur les bancs de la gauche, quñ€ℱest-ce que ça pouvait faire ? " C'est comme la question des duchés, reprit Moser, eh bien, elle est grosse de complications... Certainement ! vous avez beau rire. Je ne dis pas que nous devions faire la guerre à la Prusse, pour l'empÃÂȘcher de s'engraisser aux dépens du Danemarck ; seulement, il y avait des moyens d'action... Oui, oui, lorsque les gros se mettent à manger les petits, on ne sait jamais oÃÂč ça s'arrÃÂȘte... Et, quant au Mexique... Pillerault, qui était dans un de ses jours de satisfaction universelle, l'interrompit d'un éclat de rire " Ah ! non, mon cher, ne vous ennuyez plus, avec vos terreurs sur le Mexique... Le Mexique, ce sera la page glorieuse du rÚgne... OÃÂč diable prenez-vous que lñ€ℱempire soit malade ? Est-ce qu'en janvier l'emprunt de trois cents millions n'a pas été couvert plus de quinze fois ? Un succÚs écrasant !... Tenez ! je vous donne rendez-vous en 67, oui, dans trois ans d'ici, lorsqu'on ouvrira l'Exposition universelle que l'empereur vient de décider. - Je vous dis que tout va mal ! affirma désespérément Moser. - Eh ! fichez-nous la paix, tout va bien ! " Salmon les regardait l'un aprÚs l'autre, en souriant de son air profond. Et Saccard, qui les avait écoutés, ramenait aux difficultés de sa situation personnelle cette crise oÃÂč l'empire semblait entrer. Lui, une fois encore, était par terre est-ce que cet empire, qui l'avait fait, allait comme lui culbuter, croulant tout d'un coup de la destinée la plus haute à la plus misérable ? Ah ! depuis douze ans, qu'il l'avait aimé et défendu, ce régime oÃÂč il s'était senti vivre, pousser, se gorger de sÚve, ainsi que l'arbre dont les racines plongent dans le terreau qui lui convient. Mais, si son frÚre voulait l'en arracher, si on le retranchait de ceux qui épuisaient le sol gras des jouissances, que tout fût donc emporté, dans la grande débùcle finale des nuits de fÃÂȘte ! Maintenant, il attendait ses asperges, absent de la salle oÃÂč l'agitation croissait sans cesse, envahi par des souvenirs. Dans une large glace, en face, il venait d'apercevoir son image ; et elle l'avait surpris. L'ùge ne mordait pas sur sa petite personne, ses cinquante ans n'en paraissaient guÚre que trente-huit, il gardait une maigreur, une vivacité de jeune homme. MÃÂȘme, avec les années, son visage noir et creusé de marionnette, au nez pointu, aux minces yeux luisants, s'était comme arrangé, avait pris le charme de cette jeunesse persistante, si souple, si active, les cheveux touffus encore, sans un fil blanc. Et, invinciblement, il se rappelait son arrivée à Paris, au lendemain du coup d'Etat, le soir d'hiver oÃÂč il était tombé sur le pavé, les poches vides, affamé, ayant toute une rage d'appétits à satisfaire. Ah ! cette premiÚre course à travers les rues, lorsque, avant mÃÂȘme de défaire sa malle, il avait eu le besoin de se lancer par la ville, avec ses bottes éculées, son paletot graisseux, pour la conquérir ! Depuis cette soirée, il était souvent monté trÚs haut, un fleuve de millions avait coulé entre ses mains, sans que jamais il eût possédé la fortune en esclave, ainsi qu'une chose à soi, dont on dispose, qu'on tient sous clef, vivante, matérielle. Toujours le mensonge, la fiction avait habité ses caisses, que des trous inconnus semblaient vider de leur or. Puis, voilà qu'il se retrouvait sur le pavé, comme à l'époque lointaine du départ, aussi jeune, aussi affamé, inassouvi toujours, torturé du mÃÂȘme besoin de jouissances et de conquÃÂȘtes. Il avait goûté à tout, et il ne s'était pas rassasié, n'ayant pas eu l'occasion ni le temps, croyait-il, de mordre assez profondément dans les personnes et dans les choses. A cette heure, il se sentait cette misÚre d'ÃÂȘtre, sur le pavé, moins qu'un débutant, qu'auraient soutenu l'illusion et l'espoir. Et une fiÚvre le prenait de tout recommencer pour tout reconquérir, de monter plus haut qu'il n'était jamais monté, de poser enfin le pied sur la cité conquise. Non plus la richesse menteuse de la façade, mais l'édifice solide de la fortune, la vraie royauté de l'or trÎnant sur des sacs pleins ! La voix de Moser qui s'élevait de nouveau, aigre et trÚs aiguÃ, tira un instant Saccard de ses réflexions. " L'expédition du Mexique coûte quatorze millions par mois, c'est Thiers qui l'a prouvé... Et il faut vraiment ÃÂȘtre aveugle pour ne pas voir que, dans la Chambre, la majorité est ébranlée. Ils sont trente et quelques maintenant, à gauche. L'empereur lui-mÃÂȘme comprend bien que le pouvoir absolu devient impossible, puisqu'il se fait le promoteur de la liberté. " Pillerault ne répondait plus, se contentait de ricaner d'un air de mépris. " Oui, je sais, le marché vous paraÃt solide, les affaires marchent. Mais attendez la fin... On a trop démoli et trop reconstruit, à Paris, voyez-vous ! Les grands travaux ont épuisé l'épargne. Quant aux puissantes maisons de crédit qui vous semblent si prospÚres, attendez qu'une d'elles fasse le saut, et vous les verrez toutes culbuter à la file... Sans compter que le peuple se remue. Cette Association internationale des travailleurs, qu'on vient de fonder pour améliorer la condition des ouvriers, m'effraie beaucoup, moi. Il y a, en France, une protestation, un mouvement révolutionnaire qui s'accentue chaque jour... Je vous dis que le ver est dans le fruit. Tout crÚvera. " Alors ce fut une protestation bruyante. Ce sacré Moser avait sa crise de foie, décidément. Mais lui-mÃÂȘme, en parlant, ne quittait pas des yeux la table voisine, oÃÂč Mazaud et Amadieu continuaient, dans le bruit, à causer trÚs bas. Peu à peu, la salle entiÚre s'inquiétait de ces longues confidences. Qu'avaient-ils à se dire, pour chuchoter ainsi ? Sans doute, Amadieu donnait des ordres, préparait un coup. Depuis trois jours, de mauvais bruits couraient sur les travaux de Suez. Moser cligna les yeux, baissa également la voix. " Vous savez, les Anglais veulent empÃÂȘcher qu'on travaille là -bas. On pourrait bien avoir la guerre. " Cette fois, Pillerault fut ébranlé, par l'énormité mÃÂȘme de la nouvelle. C'était incroyable, et tout de suite le mot vola de table en table, acquérant la force d'une certitude l'Angleterre avait envoyé un ultimatum, demandant la cessation immédiate des travaux. Amadieu, évidemment, ne causait que de ça avec Mazaud, à qui il donnait l'ordre de vendre tous ses Suez. Un bourdonnement de panique s'éleva dans l'air chargé d'odeurs grasses, au milieu du bruit croissant des vaisselles remuées. Et, à ce moment, ce qui porta l'émotion à son comble, ce fut l'entrée brusque d'un commis de l'agent de change, le petit Flory, un garçon à figure tendre, mangée d'une épaisse barbe chùtaine. Il se précipita, un paquet de fiches à la main, et les remit au patron, en lui parlant à l'oreille. " Bon ! " répondit simplement Mazaud, qui classa les fiches dans son carnet. Puis, tirant sa montre " BientÎt midi ! Dites à Berthier de m'attendre. Et soyez là vous- mÃÂȘme, montez chercher les dépÃÂȘches. " Lorsque Flory s'en fut allé, il reprit sa conversation avec Amadieu, tira d'autres fiches de sa poche, qu'il posa sur la nappe, à cÎté de son assiette ; et, à chaque minute, un client qui partait se penchait au passage, lui disait un mot, qu'il inscrivait rapidement sur un des bouts de papier, entre deux bouchées. La fausse nouvelle, venue on ne savait d'oÃÂč, née de rien, grossissait comme une nuée d'orage. " Vous vendez, n'est-ce pas ? " demanda Moser à Salmon.. Mais le muet sourire de ce dernier fut si aiguisé de finesse, qu'il en resta anxieux, doutant maintenant de cet ultimatum de l'Angleterre, qu'il ne savait mÃÂȘme pas avoir inventé. " Moi, j'achÚte tant qu'on voudra " , conclut Pillerault, avec sa témérité vaniteuse de joueur sans méthode. Les tempes chauffées par la griserie du jeu, que fouettait cette fin bruyante de déjeuner, dans l'étroite salle, Saccard s'était décidé à manger ses asperges, en s'irritant de nouveau contre Huret, sur lequel il ne comptait plus. Depuis des semaines, lui, si prompt à se résoudre, il hésitait, combattu d'incertitudes. Il sentait bien l'impérieuse nécessité de faire peau neuve, et il avait rÃÂȘvé d'abord une vie toute nouvelle, dans la haute administration ou dans la politique. Pourquoi le Corps législatif ne lñ€ℱaurait-il pas mené au conseil des ministres, comme son frÚre ? Ce qu'il reprochait à la spéculation, c'était la continuelle instabilité, les grosses sommes aussi vite perdues que gagnées jamais il n'avait dormi sur le million réel, ne devant rien à personne. Et, à cette heure oÃÂč il faisait son examen de conscience, il se disait qu'il était peut-ÃÂȘtre trop passionné pour cette bataille de l'argent, qui demandait tant de sang-froid. Cela devait expliquer comment, aprÚs une vie si extraordinaire de luxe et de gÃÂȘne, il sortait vidé, brûlé, de ces dix années de formidables trafics sur les terrains du nouveau Paris, dans lesquels tant d'autres, plus lourds, avaient ramassé de colossales fortunes. Oui, peut-ÃÂȘtre s'était-il trompé sur ses véritables aptitudes, peut-ÃÂȘtre triompherait-il d'un bond, dans la bagarre politique, avec son activité, sa foi ardente. Tout allait dépendre de la réponse de son frÚre. Si celui-ci le repoussait, le rejetait au gouffre de l'agio, eh bien ! ce serait sans doute tant pis pour lui et les autres, il risquerait le grand coup dont il ne parlait encore à personne, l'affaire énorme qu'il rÃÂȘvait depuis des semaines et qui l'effrayait lui-mÃÂȘme, tellement elle était vaste, faite, si elle réussissait ou si elle croulait, pour remuer le monde. Pillerault élevait la voix. " Mazaud, est-ce fini, l'exécution de Schlosser ? - Oui, répondit l'agent de change, l'affiche sera mise aujourd'hui... Que voulez-vous ? c'est toujours ennuyeux, mais j'avais reçu les renseignements les plus inquiétants et je l'ai escompté le premier. Il faut bien, de temps à autre, donner un coup de balai. - On m'a affirmé, dit Moser, que vos collÚgues, Jacoby et Delarocque, y étaient pour des sommes rondes. " L'agent eut un geste vague. " Bah ! c'est la part du feu... Ce Schlosser devait ÃÂȘtre d'une bande, et il en sera quitte pour aller écumer la Bourse de Berlin ou de Vienne. " Les yeux de Saccard s'étaient portés sur Sabatani, dont un hasard lui avait révélé l'association secrÚte avec Schlosser tous deux jouaient le jeu connu, l'un à la hausse, l'autre à la baisse sur une mÃÂȘme valeur, celui qui perdait en étant quitte pour partager le bénéfice de l'autre, et disparaÃtre. Mais le jeune homme payait tranquillement l'addition du déjeuner fin qu'il venait de faire. Puis, avec sa grùce caressante d'Oriental mùtiné d'Italien, il vint serrer la main de Mazaud, dont il était le client. Il se pencha, donna un ordre, que celui-ci écrivit sur une fiche. " Il vend ses Suez " , murmura Moser. Et, tout haut, cédant à un besoin, malade de doute " Hein ? que pensez-vous du Suez ? " Un silence se fit dans le brouhaha des voix, toutes les tÃÂȘtes des tables voisines se tournÚrent. La question résumait lñ€ℱanxiété croissante. Mais le dos dñ€ℱArnadieu qui avait simplement invité Mazaud pour lui recommander un de ses neveux, restait impénétrable, n'ayant rien à dire ; tandis que l'agent, que les ordres de vente qu'il recevait commençaient à étonner, se contentait de hocher la tÃÂȘte, par une habitude professionnelle de discrétion. " Le Suez, c'est trÚs bon ! " déclara de sa voix chantante Sabatani, qui, avant de sortir, se dérangea de son chemin, pour serrer galamment la main de Saccard. Et Saccard garda un moment la sensation de cette poignée de main, si souple, si fondante, presque féminine.. Dans son incertitude de la route à prendre, de sa vie à refaire, il les traitait tous de filous, ceux qui étaient là . Ah ! si on l'y forçait, comme il les traquerait, comme il les tondrait, les Moser trembleurs, les Pillerault vantards, et ces Salmon plus creux que des courges, et ces Amadieu dont le succÚs a fait le génie ! Le bruit des assiettes et des verres avait repris, les voix s'enrouaient, les portes battaient plus fort, dans la hùte qui les dévorait tous d'ÃÂȘtre là -bas, au jeu, si une débùcle devait se produire sur le Suez. Et, par la fenÃÂȘtre, au milieu de la place sillonnée de fiacres, encombrée de piétons, il voyait les marches ensoleillées de la Bourse comme mouchetées maintenant d'une montée continue d'insectes humains, des hommes correctement vÃÂȘtus de noir, qui peu à peu garnissaient la colonnade ; pendant que, derriÚre les grilles, apparaissaient quelques femmes, vagues, rÎdant sous les marronniers. Brusquement, au moment oÃÂč il entamait le fromage qu'il venait de commander, une grosse voix lui fit lever la tÃÂȘte. " Je vous demande pardon, mon cher. Il mñ€ℱa été impossible de venir plus tÎt. " Enfin, cĂąâ‚Źâ„ąĂƒÂ©tait Huret, un normand du Calvados, une figure épaisse et large de paysan rusé, qui jouait lñ€ℱhomme simple. Tout de suite, il se fit servir nñ€ℱimporte quoi, le plat du jour, avec un légume. " Eh bien " demanda sÚchement Saccard, qui se contenait. Mais lñ€ℱautre ne se pressait pas, le regardait en homme finassier et prudent. Puis, en se mettant à manger, avançant la face et baissant la voix " Et bien, jñ€ℱai vu le grand homme... Oui, chez lui, ce matin... Oh ! il a été trÚs gentil, trÚs gentil pour vous. " Il sñ€ℱarrÃÂȘta, but un grand verre de vin, se mit une pomme de terre dans la bouche. " Alors ? - Alors, mon cher, voici... Il veut bien faire pour vous tout ce quñ€ℱil pourra, il vous trouvera une trÚs jolie situation, mais pas en France... Ainsi, par exemple, gouverneur dans une de nos colonies, une des bonnes. Vous y seriez le maÃtre, un vrai petit prince. " Saccard était devenu blÃÂȘme. " Dites donc, cñ€ℱest pour rire, vous vous fichez du monde !... Pourquoi pas tout de suite la déportation !... Ah ! Il veut se débarrasser de moi. Quñ€ℱil prenne garde que je finisse par le gÃÂȘner pour de bon ! " Huret restait la bouche pleine, conciliant. " Voyons, voyons, on ne veut que votre bien, laissez-nous faire. - Que je me laisse supprimer, nñ€ℱest-ce pas ?... Tenez ! tout à lñ€ℱheure, on disait que lñ€ℱempire nñ€ℱaurait bientÎt plus une faute à commettre. Oui, la guerre dñ€ℱItalie, le Mexique, lñ€ℱattitude vis-à -vis de la Prusse. Ma parole, cñ€ℱest la vérité !... Vous ferez tant de bÃÂȘtises et de folies, que la France entiÚre se lÚvera pour vous flanquer dehors " Du coup, le député, la fidÚle créature du ministre, sñ€ℱinquiéta, palissant, regardant autour de lui. " Ah ! permettez, permettez, je ne peux pas vous suivre... Rougon est un honnÃÂȘte homme, il n'y a pas de danger, tant qu'il sera là ... Non, n'ajoutez rien, vous le méconnaissez, je tiens à le dire. " Violemment, étouffant sa voix entre ses dents serrées, Saccard l'interrompit. " Soit, aimez-le, faites votre cuisine ensemble... Oui ou non, veut- il me patronner ici, à Paris ? - A Paris, jamais ! " Sans ajouter un mot, il se leva, appela le garçon, pour payer, tandis que, trÚs calme, Huret, qui connaissait ses colÚres, continuait à avaler de grosses bouchées de pain et le laissait aller, de peur d'un esclandre. Mais, à ce moment, dans la salle, il y eut une forte émotion. Gundermann venait d'entrer, le banquier roi, le maÃtre de la Bourse et du monde, un homme de soixante ans, dont l'énorme tÃÂȘte chauve, au nez épais, aux yeux ronds, à fleur de tÃÂȘte, exprimait un entÃÂȘtement et une fatigue immenses. Jamais il n'allait à la Bourse, affectant mÃÂȘme de n'y pas envoyer de représentant officiel ; jamais non plus il ne déjeunait dans un lieu public. Seulement, de loin en loin, il lui arrivait, comme ce jour-là , de se montrer au restaurant Champeaux, oÃÂč il s'asseyait à une des tables pour se faire simplement servir un verre d'eau de Vichy, sur une assiette. Souffrant depuis vingt ans d'une maladie d'estomac, il ne se nourrissait absolument que de lait. Tout de suite, le personnel fut en l'air pour apporter le verre d'eau, et tous les convives présents s'aplatirent. Moser, l'air anéanti, contemplait cet homme qui savait les secrets, qui faisait à son gré la hausse ou la baisse, comme Dieu fait le tonnerre. Pillerault lui-mÃÂȘme le saluait, n'ayant foi qu'en la force irrésistible du milliard. Il était midi et demi, et Mazaud, qui lùchait vivement Amadieu, revint, se courba devant le banquier, dont il avait parfois l'honneur de recevoir un ordre. Beaucoup de boursiers étaient ainsi en train de partir, qui restÚrent debout, entourant le dieu, lui faisant une cour dĂąâ‚Źâ„ąĂƒÂ©chines respectueuses, au milieu de la débandade des nappes salies ; et ils le regardaient avec vénération prendre le verre d'eau, d'une main tremblante, et le porter à ses lÚvres décolorées. Autrefois, dans les spéculations sur les terrains de la plaine Monceau ; Saccard avait eu des discussions, toute une brouille mÃÂȘme avec Gundermann. Ils ne pouvaient sñ€ℱentendre, l'un passionné et jouisseur, l'autre sobre et dñ€ℱune froide logique. Aussi le premier, dans sa colÚre, exaspéré encore par cette entrée triomphale, sñ€ℱen allait-il, lorsque l'autre l'appela. " Dites donc, mon bon ami, est-ce vrai ? vous les affaires... Ma foi, vous faites bien, ça vaut mieux. " Ce fut, pour Saccard, un coup de fouet en plein visage. Il redressa sa petite taille, il répliqua d'une voie aiguà comme une épée " Je fonde une maison de crédit au capital de vingt-cinq millions, et je compte aller vous voir bientÎt. " Et il sortit, laissant derriÚre lui le brouhaha ardent de la salle, oÃÂč tout le monde se bousculait, pour ne pas manquer l'ouverture de la Bourse. Ah ! réussir enfin, remettre le talon sur ces gens qui lui tournaient lui tournaient le dos, et lutter de puissance avec ce roi de l'or, et l'abattre peut-ÃÂȘtre un jour ! Il n'était pas décidé à lancer sa grande affaire, il demeurait surpris de la phrase que le besoin de répondre lui avait tirée. Mais pourrait-il tenter la fortune ailleurs, maintenant que son frÚre l'abandonnait et que les hommes et les choses le blessaient pour le rejeter à la lutte, comme le taureau saignant est ramené dans l'arÚne ? Un instant, il resta frémissant, au bord du trottoir. C'était l'heure active oÃÂč la vie de Paris semble affluer sur cette place centrale, entre la rue Montmartre et la rue Richelieu, les deux artÚres engorgées qui charrient la foule. Des quatre carrefours, ouverts aux quatre angles de la place, des flots ininterrompus de voitures coulaient, sillonnant le pavé, au milieu des remous d'une cohue de piétons. Sans arrÃÂȘt, les deux files de fiacres de la station, le long des grilles, se rompaient et se reformaient ; tandis que, sur la rue Vivienne, les victorias des remisiers s'allongeaient en un rang pressé, que dominaient les cochers, guides en main, prÃÂȘts à fouetter au premier ordre. Envahis, les marches et le péristyle étaient noirs d'un fourmillement de redingotes ; et, de la coulisse, installée déjà sous l'horloge et fonctionnant, montait la clameur de l'offre et de la demande, ce bruit de marée de l'agio, victorieux du grondement de la ville. Des passants tournaient la tÃÂȘte, dans le désir et la crainte de ce qui se faisait là , ce mystÚre des opérations financiÚres oÃÂč peu de cervelles françaises pénÚtrent, ces ruines, ces fortunes brusques, qu'on ne s'expliquait pas, parmi cette gesticulation et ces cris barbares. Et lui, au bord du ruisseau, assourdi par les voix lointaines, coudoyé par la bousculade des gens pressés, il rÃÂȘvait une fois de plus la royauté de l'or, dans ce quartier de toutes les fiÚvres, oÃÂč la Bourse, d'une heure à trois, bat comme un coeur énorme, au milieu. Mais, depuis sa déconfiture, il n'avait point osé rentrer à la Bourse ; et, ce jour-là encore, un sentiment de vanité souffrante, la certitude d'y ÃÂȘtre accueilli, en vaincu, l'empÃÂȘchait de monter les marches. Comme les amants chassés de l'alcÎve d'une maÃtresse, qu'ils désirent davantage, mÃÂȘme en croyant l'exécrer, il revenait fatalement là , il faisait le tour de la colonnade sous des prétextes, traversant le jardin, marchant d'un pas de promeneur, à lñ€ℱombre des marronniers. Dans cette sorte de square poussiéreux, sans gazon ni fleurs, oÃÂč grouillait sur les bancs, parmi les urinoirs et les kiosques à journaux, un mélangé de spéculateurs louches et de femmes du quartier, en cheveux, allaitant des poupons, il affectait une flùnerie désintéressée, levait les yeux, guettait, avec la furieuse pensée qu'il faisait le siÚge du monument, qu'il l'enserrait d'un cercle étroit, pour y rentrer un jour en triomphateur. Il pénétra dans l'angle de droite, sous les arbres qui font face à la rue de la Banque, et tout de suite il tomba sur la petite bourse des valeurs déclassées les " Pieds humides " , comme on appelle avec un ironique mépris ces joueurs de la brocante, qui cotent en plein vent, dans la boue des jours pluvieux, les titres des compagnies mortes. Il y avait là , en un groupe tumultueux, toute une juiverie malpropre, de grasses faces luisantes, des profils desséchés d'oiseaux voraces, une extraordinaire réunion de nez typiques, rapprochés les uns des autres, ainsi que sur une proie, s'acharnant au milieu de cris gutturaux, et comme prÚs de se dévorer entre eux. Il passait, lorsqu'il aperçut un peu à l'écart un gros homme, en train de regarder au soleil un rubis, qu'il levait en l'air, délicatement, entre ses doigts énormes et sales. " Tiens, Busch !... Vous me faites songer que je voulais monter chez vous. " Busch, qui tenait un cabinet d'affaires, rue Feydeau, au coin de la rue Vivienne, lui avait, à plusieurs reprises, été d'une utilité grande, en des circonstances difficiles. Il restait extasié, à examiner l'eau de la pierre précieuse, sa large face plate renversée, ses gros yeux gris comme éteints par la lumiÚre vive ; et l'on voyait, roulée en corde, la cravate blanche qu'il portait toujours ; tandis que sa redingote d'occasion, anciennement superbe, mais extraordinairement rùpée et, maculée de taches, remontait jusque dans ses cheveux pùles, qui tombaient en mÚches rares et rebelles de son crùne nu. Son chapeau, roussi par le soleil, lavé par les averses, n'avait plus d'ùge. Enfin, il se décida à redescendre sur terre. " Ah ! monsieur Saccard, vous faites un petit tour par ici.. - Oui... C'est une lettre en langue russe, une lettre d'un banquier russe, établi à Constantinople. Alors, j'ai pensé à votre frÚre, pour me la traduire. " Busch, qui, d'un mouvement inconscient et tendre, roulait toujours le rubis dans sa main droite, tendit la gauche, en disant que, le soir mÃÂȘme, la traduction serait envoyée. Mais Saccard expliqua qu'il s'agissait seulement de dix lignes. " Je vais monter, votre frÚre me lira ça tout de suite... " Et il fut interrompu par l'arrivée d'une femme énorme, Mme Méchain, bien connue des habitués de la Bourse, une de ces enragées et misérables joueuses, dont les mains grasses tripotent dans toutes sortes de louches besognes. Son visage de pleine lune, bouffi et rouge, aux minces yeux bleus, au petit nez perdu, à la petite bouche d'oÃÂč sortait une voix flûtée d'enfant, semblait déborder du vieux chapeau mauve, noué de travers par des brides grenat ; et la gorge géante, et le ventre hydropique, crevaient la robe de popeline verte, mangée de boue, tournée au jaune. Elle tenait au bras un antique sac de cuir noir, immense, aussi profond qu'une valise, qu'elle ne quittait jamais. Ce jour-là , le sac gonflé, plein à crever, la tirait à droite, penchée comme un arbre. " Vous voilà , dit Busch qui devait l'attendre. - Oui, et j'ai reçu les papiers de VendÎme, je les apporte. - Bon ! filons chez moi... Rien à faire aujourd'hui, ici " Saccard avait eu un regard vacillant sur le vaste sac de cuir. Il savait que, fatalement, allaient tomber là les titres délassés, les actions des sociétés mises en faillite, sur lesquelles les Pieds humides agiotent encore, des actions de cinq cents francs qu'ils se disputent à vingt sous, à dix sous, dans le vague espoir d'un relÚvement improbable, ou plus pratiquement comme une marchandise scélérate, qu'ils cÚdent avec bénéfice aux banquiers désireux de gonfler leur passif. Dans les batailles meurtriÚres de la finance, la Méchain était le corbeau qui suivait les armées en marche ; pas une compagnie, pas une grande maison de crédit ne se fondait, sans qu'elle apparût, avec son sac, sans qu'elle flairùt l'air, attendant les cadavres, mÃÂȘme aux heures prospÚres des émissions triomphantes ; car elle savait bien que la déroute était fatale, que le jour du massacre viendrait, oÃÂč il y aurait des morts à manger, des titres à ramasser pour rien dans la boue et dans le sang. Et lui, qui roulait son grand projet d'une banque, eut un léger frisson, fut traversé d'un pressentiment, à voir ce sac, ce charnier des valeurs dépréciées, dans lequel passait tout le sale papier balayé de la Bourse. Comme Busch emmenait la vieille femme, Saccard le retint. " Alors, je puis monter, je suis certain de trouver votre frÚre ? " Les yeux du juif s'adoucirent, exprimÚrent une surprise inquiÚte. " Mon frÚre, mais certainement ! OÃÂč voulez-vous quñ€ℱil soit ? - TrÚs bien, à tout à l'heure ! " Et, Saccard, les laissant s'éloigner, poursuivit sa marche lente, le long des arbres, vers la rue Notre-Dame des Victoires. Ce cÎté de la place est un des plus fréquentés, occupé par des fonds de commerce, des industries en chambre, dont les enseignes d'or flambaient sous le soleil. Des stores battaient aux balcons, toute une famille de province restait béante, à la fenÃÂȘtre d'un hÎtel meublé. Machinalement, il avait levé la tÃÂȘte, regardé ces gens dont l'ahurissement le faisait sourire, en le réconfortant par cette pensée qu'il y aurait toujours, dans les départements, des actionnaires. DerriÚre son dos, la clameur de la Bourse, le bruit de la marée lointaine continuait, l'obsédait, ainsi qu'une menace d'engloutissement qui allait le rejoindre. Mais une nouvelle rencontre l'arrÃÂȘta. " Comment, Jordan, vous à la Bourse ? " s'écria-t-il, en serrant la main d'un grand jeune homme brun, aux petites moustaches, à l'air décidé et volontaire. Jordan, dont le pÚre, un banquier de Marseille, s'était autrefois suicidé, à la suite de spéculations désastreuses, battait depuis dix ans le pavé de Paris, enragé de littérature, dans une lutte brave contre la misÚre noire. Un de ses cousins, installé à Plassans, oÃÂč il connaissait la famille de Saccard, l'avait autrefois recommandé à ce dernier, lorsque celui-ci recevait tout Paris, dans son hÎtel du parc Monceau. " Oh ! à la Bourse, jamais ! " répondÃt le jeune homme, avec un geste violent, comme s'il chassait le souvenir tragique de son pÚre. Puis, se remettant à sourire " Vous savez que je me suis marié... Oui, avec une petite amie d'enfance. On nous avait fiancés aux jours oÃÂč j'étais riche, et elle s'est entÃÂȘtée à vouloir quand mÃÂȘme du pauvre diable que je suis devenu. - Parfaitement, j'ai reçu la lettre de faire part, dit Saccard. Et imaginez-vous que j'ai été en rapport, autrefois, avec votre beau-pÚre, M. Maugendre, lorsqu'il avait sa manufacture de bùches, à la Villette. Il a dû y gagner une jolie fortune. " Cette conversation avait lieu prés d'un banc, et Jordan lñ€ℱinterrompit, pour présenter un monsieur gros et court, à l'aspect militaire, qui se trouvait assis, et avec lequel il causait, lors de la rencontre. " Monsieur le capitaine Chave, un oncle de ma femme... Mme Maugendre, ma belle-mÚre, est une Chave, de Marseille " Le capitaine s'était levé, et Saccard salua. Celui-ci connaissait de vue cette figure apoplectique, au cou raidi par l'usage du col de crin, un de ces types d'infimes joueurs au comptant, qu'on était certain de rencontrer tous les jours là , d'une heure à trois. C'est un jeu de gagne-petit, un gain presque assuré de quinze à vingt francs, qu'il faut réaliser dans la mÃÂȘme Bourse. Jordan avait ajouté avec son bon rire expliquant sa présence " Un boursier féroce, mon oncle, dont je ne fais, parfois, que serrer la main en passant. - Dame ! dit simplement le capitaine, il faut bien jouer, puisque le gouvernement, avec sa pension, me laisse crever de faim. " Ensuite, Saccard, que le jeune homme intéressait par sa bravoure à vivre, lui demanda si les choses de la littérature marchaient. Et Jordan, s'égayant encore, raconta l'installation de son pauvre ménage à un cinquiÚme de l'avenue de Clichy ; car les Maugendre, qui se défiaient d'un poÚte, croyant avoir beaucoup fait en consentant au mariage, n'avaient rien donné, sous le prétexte que leur fille, aprÚs eux, aurait leur fortune intacte, engraissée d'économies. Non, la littérature ne nourrit pas son homme, il avait en projet un roman qu'il ne trouvait pas le temps d'écrire, et il était entré forcément dans le journalisme, oÃÂč il bùclait tout ce qui concernait son état, depuis des chroniques, jusqu'à des comptes rendus de tribunaux et mÃÂȘme des faits divers. " Eh bien, dit Saccard, si je monte ma grande affaire, j'aurai peut- ÃÂȘtre besoin de vous. Venez donc me voir. " AprÚs avoir salué, il tourna derriÚre la Bourse. Là , enfin, la clameur lointaine, les abois du jeu cessÚrent, ne furent qu'une rumeur vague, perdue dans le grondement de la place. De ce cÎté, les marches étaient également envahies de monde ; mais le cabinet des agents de change, dont on voyait les tentures rouges par les hautes fenÃÂȘtres, isolait du vacarme de la grande salle la colonnade, oÃÂč des spéculateurs, les délicats, les riches, s'étaient assis commodément à l'ombre, quelques-uns seuls, d'autres par petits groupes, transformant en une sorte de club ce vaste péristyle ouvert au plein ciel. C'était un peu, ce derriÚre du monument, comme l'envers d'un théùtre, l'entrée des artistes, avec la rue louche et relativement tranquille, cette rue Notre-Dame-des-Victoires, occupée toute par des marchands de vin, des cafés, des brasseries, des tavernes, grouillant d'une clientÚle spéciale, étrangement mÃÂȘlée. Les enseignes indiquaient aussi la végétation mauvaise, poussée au bord d'un grand cloaque voisin des compagnies d'assurances mal famées, des journaux financiers de brigandage, des sociétés, des banques, des agences, des comptoirs, la série entiÚre des modestes coupe-gorge, installés dans des boutiques ou à des entresols, larges comme la main. Sur les trottoirs, au milieu de la chaussée partout, des hommes rÎdaient, attendaient, ainsi qu'à la corne d'un bois. Saccard s'était arrÃÂȘté à l'intérieur des grilles. Levant les yeux sur la porte qui conduit au cabinet des agents de d'ange, avec le regard aigu d'un chef d'armée examinant sous toutes ses faces la place dont il veut tenter l'assaut, lorsquñ€ℱun grand gaillard, qui sortait d'une taverne, traversa la rue et vint s'incliner trÚs bas. " Ah ! monsieur Saccard, n'avez-vous rien pour moi ? J'ai quitté définitivement le Crédit mobilier, je cherche une situation. " Jantrou était un ancien professeur, venu de Bordeaux à Paris, à la suite d'une histoire restée louche. Obligé de quitter l'Université, déclassé, mais beau garçon avec sa barbe noire en éventail et sa calvitie précoce, d'ailleurs lettré, intelligent et aimable, il était débarqué à la Bourse vers vingt-huit ans, s'y était traÃné et sali pendant dix années comme remisier, en n'y gagnant guÚre que l'argent nécessaire a ses vices. Et, aujourd'hui, tout à fait chauve, se désolant ainsi qu'une fille dont les rides menacent le gagne-pain, il attendait toujours l'occasion qui devait le lancer au succÚs, à la fortune. Saccard, à le voir si humble, se rappela avec amertume, le salut de Sabatani, chez Champeaux décidément, les tarés et les ratés seuls lui restaient. Mais il n'était pas sans estime pour l'intelligence vive de celui-ci, et il savait bien qu'on fait les troupes les plus braves avec les désespérés, ceux qui osent tout, ayant tout à gagner. Il se montra bonhomme. " Une situation, répéta-t-il. Eh ! ça peut se trouver. Venez me voir. - Rue Saint-Lazare, maintenant, n'est-ce pas ? - Oui, rue Saint-Lazare. Le matin. " Ils causÚrent. Jantrou était trÚs animé contre la Bourse, répétant qu'il fallait ÃÂȘtre un coquin pour y réussir, avec la rancune d'un homme qui n'avait pas eu la coquinerie chanceuse. C'était fini, il voulait tenter autre chose, il lui semblait que, grùce à sa culture universitaire, à sa connaissance du monde, il pouvait se faire une belle place dans lñ€ℱadministration. Saccard l'approuvait d'un hochement de tÃÂȘte. Et, comme ils étaient sortis des grilles, longeant le trottoir jusqu'à la rue Brongniart, tous deux s'intéressÚrent à un coupé sombre, d'un attelage trÚs correct, qui était arrÃÂȘté dans cette rue, le cheval tourné vers la rue Montmartre. Tandis que le dos du cocher, haut perché, demeurait d'une immobilité de pierre, ils avaient remarqué qu'une tÃÂȘte de femme, à deux reprises, paraissait a la portiÚre et disparaissait, vivement. Tout d'un coup, la tÃÂȘte se pencha, s'oublia, avec un long regard d'impatience en arriÚre, du cÎté de la Bourse. " La baronne Sandorff " , murmura Saccard. C'était une tÃÂȘte brune trÚs étrange, des yeux noirs brûlants sous des paupiÚres meurtries, un visage de passion à la bouche saignante, et que gùtait seulement un nez trop long. Elle semblait fort jolie, d'une maturité précoce, pour ses vingt-cinq ans, avec son air de bacchante habillée par les grands couturiers du rÚgne. " Oui, la baronne, répéta Jantrou. Je l'ai connue, quand elle était jeune fille, chez son pÚre, le comte de Ladricourt. Oh ! un enragé joueur, et d'une brutalité révoltante. J'allais prendre ses ordres chaque matin, il a failli me battre un jour. Je ne l'ai pas pleuré, celui-là , quand il est mort d'un coup de sang, ruiné, à la suite d'une série de liquidations lamentables... La petite alors à dû se résoudre à épouser le baron Sandorff, conseiller à l'ambassade d'Autriche, qui avait trente-cinq ans de plus qu'elle, et qu'elle avait positivement rendu fou, avec ses regards de feu. - Je sais " , dit simplement Saccard. De nouveau, la tÃÂȘte de la baronne avait replongé dans le coupé. Mais, presque aussitÎt, elle reparut, plus ardente, le cou tordu pour voir au loin, sur la place. " Elle joue, n'est-ce pas ? - Oh ! comme une perdue ! Tous les jours de crise, on peut la voir la, dans sa voiture, guettant les cours, prenant fiévreusement des notes sur son carnet, donnant des ordres... Et, tenez ! c'était Massias qu'elle attendait le voici qui la rejoint. " En effet, Massias courait de toute la vitesse de ses jambes courtes, sa cote a la main, et ils le virent qui s'accoudait a la portiÚre du coupé, y plongeant la tÃÂȘte a son tour, en grande conférence avec la baronne. Puis, comme ils s'écartaient un peu, pour ne pas ÃÂȘtre surpris dans leur espionnage, et comme le remisier revenait, toujours courant, ils l'appelÚrent. Lui, d'abord, jeta un regard de cÎté, s'assurant que le coin de la rue le cachait ; ensuite, il s'arrÃÂȘta net, essoufflé, son visage fleuri congestionné, gai quand mÃÂȘme, avec ses gros yeux bleus d'une limpidité enfantine. " Mais qu'est-ce qu'ils ont ? cria-t-il. Voilà le Suez qui dégringole. On parle d'une guerre avec l'Angleterre. Une nouvelle qui les révolutionne, et qui vient on ne sait d'oÃÂč... Je vous le demande un peu, la guerre ! qui est-ce qui peut bien avoir inventé ça ? A moins que ça ne se soit inventé tout seul... Enfin, un vrai coup de chien. " Jantrou cligna des yeux. " La dame mord toujours ? - Oh ! enragée ! Je porte ses ordres a Nathansohn. " Saccard, qui écoutait, fit tout haut une réflexion. " Tiens ! c'est vrai, on m'a dit que Nathansohn était entré à la coulisse. - Un garçon trÚs gentil, Nathansohn, déclara Jantrou, et qui mérite de réussir. Nous avons été ensemble au Crédit mobilier... Mais il arrivera, lui, car il est juif. Son pÚre, un Autrichien, est établi à Besançon, horloger, je crois... Vous savez que ça l'a pris un jour, là - bas, au Crédit, en voyant comment ça se manigançait. Il s'est dit que ce n'était pas si malin, qu'il n'y avait qu'à avoir une chambre et à ouvrir un guichet ; et il a ouvert un guichet... Vous ÃÂȘtes content, vous, Massias ? - Oh ! content ! Vous y avez passé, vous avez raison de dire qu'il faut ÃÂȘtre juif ; sans ça, inutile de chercher à comprendre, on n'y a pas la main, c'est la déveine noire... Quel sale métier ! Mais on y est, on y reste. Et puis, j'ai encore de bonnes jambes, jñ€ℱespÚre tout de mÃÂȘme. " Et il repartit, courant et riant. On le disait fils d'un magistrat de Lyon, frappé d'indignité, tombé lui-mÃÂȘme à la Bourse, aprÚs la disparition de son pÚre, n'ayant pas voulu continuer ses études de droit. Saccard et Jantrou, à petits pas, revinrent vers la rue Brongniart ; et ils y retrouvÚrent le coupé de la baronne ; mais les glaces étaient levées, la voiture mystérieuse paraissait vide, tandis que l'immobilité du cocher semblait avoir grandi, dans cette attente qui se prolongeait souvent jusqu'au dernier cours. " Elle est diablement excitante, reprit brutalement Saccard. Je comprends le vieux baron. " Jantrou eut un sourire singulier. " Oh ! le baron, il y a longtemps qu'il en a assez, je crois. Il est trÚs ladre, dit-on... Alors, vous savez avec qui elle s'est mise, pour payer ses factures, le jeu ne suffisant jamais ? - Non. - Avec Delcambre. - Delcambre, le procureur général ! ce grand homme sec, si jaune, si rigide !... Ah ! je voudrais bien les voir ensemble ! " Et tous deux, trÚs égayés, trÚs allumés, se séparÚrent avec une vigoureuse poignée de main, aprÚs que lñ€ℱun ait rappelé à l'autre qu'il se permettrait d'aller le voir prochainement. DÚs qu'il se retrouva seul, Saccard fut repris par la voix haute de la Bourse, qui déferlait avec lñ€ℱentÃÂȘtement du flux à son retour. Il avait tourné le coin, il descendait vers la rue Vivienne, par ce cÎté de la place que l'absence de cafés rend sévÚre. Il longea commerce, le bureau de poste, les grandes agences dñ€ℱannonces, de plus en plus assourdi et enfiévré, à mesure quñ€ℱil revenait devant la façade principale ; et, quand il put enfiler le péristyle d'un regard oblique, il fit une nouvelle pause comme s'il ne voulait pas encore achever le tour de la colonnade, cette sorte d'investissement passionné dont il l'enserrait. Là , sur cet élargissement du pavé, la vie s'étalait, éclatait un flot de consommateurs envahissait les cafés, la boutique du pùtissier ne désemplissait pas, les étalages attroupaient la foule, celui dñ€ℱun orfÚvre surtout, flambant de grosses piÚces d'argenterie. Et, par les quatre angles, les quatre carrefours, il semblait que le fleuve des fiacres et des piétons augmentùt, dans un enchevÃÂȘtrement inextricable ; tandis que le bureau des omnibus aggravait les embarras et que les voitures des remisiers, en ligne, barraient le trottoir presque dñ€ℱun bout à l'autre de la grille. Mais ses yeux sĂąâ‚Źâ„ąĂƒÂ©taient fixés sur les marches hautes, oÃÂč des redingotes sĂąâ‚Źâ„ąĂƒÂ©grenaient au plein soleil. Puis, ils remontÚrent vers les colonnes dans la masse compacte, un grouillement noir, à peine éclairé par les taches pùles des visages. Tous étaient debout, on ne voyait pas les chaises, le rond que faisait la coulisse, assise sous l'horloge, ne se devinait quñ€ℱà une sorte de bouillonnement, une furie de gestes et de paroles dont l'air frémissait. Vers la gauche, le groupe des banquiers occupés à des arbitrages, à des opérations sur le change et sur les chÚques anglais, restait plus calme, sans cesse traversé par la queue de monde qui entrait, allant au télégraphe. Jusque sous les galeries latérales, les spéculateurs débordaient, s'écrasaient ; et, entre les colonnes, appuyés aux rampes de fer, il y en avait qui présentaient le ventre ou le dos, comme chez eux, contre le velours d'une loge. La trépidation, le grondement de machine sous vapeur, grandissait, agitait la Bourse entiÚre, dans un vacillement de flamme. Brusquement, il reconnut le remisier Massias qui descendait les marches à toutes jambes, puis qui sauta dans sa voiture, dont le cocher lança le cheval au galop. Alors, Saccard sentit ses poings se serrer. Violemment, il s'arracha, il tourna dans la rue Vivienne, traversant la chaussée pour gagner le coin de la rue Feydeau, oÃÂč se trouvait la maison de Busch. Il venait de se rappeler la lettre russe qu'il avait à se faire traduire. Mais, comme il entrait, un jeune homme, planté devant la boutique du papetier qui occupait le rez-de-chaussée, le salua ; et il reconnut Gustave Sédille, le fils d'un fabricant de soie de la rue des Jeûneurs, que son pÚre avait placé chez Mazaud, pour étudier le mécanisme des affaires financiÚres. Il sourit paternellement à ce grand garçon élégant, se doutant bien de ce qu'il faisait là , en faction. La papeterie Conin fournissait de carnets toute la Bourse, depuis que la petite Mme Conin y aidait son mari, le gros Conin, qui, lui, ne sortait jamais de son arriÚre-boutique, s'occupait de la fabrication, tandis qu'elle, toujours, allait et venait, servant au comptoir, faisant les courses dehors. Elle était grasse, blonde, rose, un vrai petit mouton frisé, avec des cheveux de soie pùle, trÚs gracieuse, trÚs cùline, et d'une continuelle gaieté. Elle aimait bien son mari, disait-on, ce qui ne l'empÃÂȘchait pas, quand un boursier de la clientÚle lui plaisait, d'ÃÂȘtre tendre ; mais pas pour de l'argent, uniquement pour le plaisir, et une seule fois, dans une maison amie du voisinage, à ce que racontait la légende. En tout cas, les heureux qu'elle faisait devaient se montrer discrets et reconnaissants, car elle restait adorée, fÃÂȘtée, sans un vilain bruit autour d'elle. Et la papeterie continuait de prospérer, c'était un coin de vrai bonheur. En passant, Saccard aperçut Mme Conin qui souriait à Gustave à travers les vitres. Quel joli petit mouton ! Il en eut une sensation délicieuse de caresse. Enfin ; il monta. Depuis vingt ans, Busch occupait tout en haut, au cinquiÚme étage, un étroit logement composé de deux chambres et d'une cuisine. Né à Nancy, de parents allemands, il était débarqué là de sa ville natale, il y avait peu à peu étendu son cercle d'affaires, d'une extraordinaire complication, sans éprouver le besoin d'un cabinet plus grand, abandonnant à son frÚre Sigismond la piÚce sur la rue, se contentant de la petite piÚce sur la cour, oÃÂč les paperasses ; les dossiers, les paquets de toutes sortes s'empilaient tellement, que la place d'une unique chaise, contre le bureau, se trouvait réservée. Une de ses grosses affaires était bien le trafic sur les valeurs dépréciées ; il les centralisait, il servait dñ€ℱintermédiaire entre la petite Bourse et les " Pieds humides " et les banqueroutiers, qui ont des trous à combler dans leur bilan ; aussi suivait-il les cours, achetant directement parfois, alimenté surtout par les stocks qu'on lui apportait. Mais, outre l'usure et tout un commerce caché sur les bijoux et les pierres précieuses, il s'occupait particuliÚrement de l'achat des créances. C'était là ce qui emplissait son cabinet à en faire craquer les murs, ce qui le lançait dans Paris, aux quatre coins, flairant, guettant, avec des intelligences dans tous les mondes. DÚs qu'il apprenait une faillite, il accourait, rÎdait autour du syndic, finissait par acheter tout ce dont on ne pouvait rien tirer de bon immédiatement. Il surveillait les études de notaire, attendait les ouvertures de successions difficiles, assistait aux adjudications des créances désespérées. Lui-mÃÂȘme publiait des annonces, attirait les créanciers impatients qui aimaient mieux toucher quelques sous tout de suite que de courir le risque de poursuivre leurs débiteurs. Et, de ces sources multiples, du papier arrivait, de véritables hottes, le tas sans cesse accru d'un chiffonnier de la dette billets impayés, traités inexécutés, reconnaissances restées vaines, engagements non tenus. Puis, là -dedans, commençait le triage, le coup de fourchette dans cet arlequin gùté, ce qui demandait un flair spécial, trÚs délicat. Dans cette mer de créanciers disparus ou insolvables, il fallait faire un choix, pour ne pas trop éparpiller son effort. En principe, il professait que toute créance, mÃÂȘme la plus compromise, peut redevenir bonne, et il avait une série de dossiers admirablement classés, auxquels correspondait un répertoire des noms, qu'il relisait de temps à autre, pour s'entretenir la mémoire. Mais, parmi les insolvables, il suivait naturellement de plus prÚs ceux qu'il sentait avoir des chances de fortune prochaine son enquÃÂȘte dénudait les gens, pénétrait les secrets de famille, prenait note des parentés riches, des moyens d'existence, des nouveaux emplois surtout, qui permettaient de lancer des oppositions. Pendant des années souvent, il laissait ainsi mûrir un homme, pour l'étrangler au premier succÚs. Quant aux débiteurs disparus, ils le passionnaient plus encore, le jetaient dans une fiÚvre de recherches continuelles, l'oeil sur les enseignes et sur les noms que les journaux imprimaient, quÃÂȘtant les adresses comme un chien quÃÂȘte le gibier. Et, dÚs qu'il les tenait, les disparus et les insolvables, il devenait féroce, les mangeait de frais, les vidait jusqu'au sang, tirant cent francs de ce qu'il avait payé dix sous, en expliquant brutalement ses risques de joueur, forcé de gagner avec ceux qu'il empoignait ce qu'il prétendait perdre sur ceux qui lui filaient entre les doigts, ainsi qu'une fumée. Dans cette chasse aux débiteurs, la Méchain était une des aides que Busch aimait le mieux à employer ; car, s'il devait avoir ainsi une petite troupe de rabatteurs à ses ordres, il vivait dans la défiance de ce personnel, mal famé et affamé ; tandis que la Méchain avait pignon sur rue, possédait derriÚre la butte Montmartre toute une cité, la Cité de Naples, un vaste terrain planté de huttes branlantes qu'elle louait au mois un coin d'épouvantable misÚre, des meurt-de-faim en tas dans l'ordure, des trous à pourceau qu'on se disputait et dont elle balayait sans pitié les locataires avec leur fumier, dÚs qu'ils ne payaient plus. Ce qui la dévorait, ce qui lui mangeait les bénéfices de sa cité, c'était sa passion malheureuse du jeu. Et elle avait aussi le goût des plaies d'argent, des ruines, des incendies, au milieu desquels on peut voler des bijoux fondus. Lorsque Busch la chargeait d'un renseignement à prendre, d'un débiteur à déloger, elle y mettait parfois du sien, se dépensait pour le plaisir. Elle se disait veuve, mais personne n'avait connu son mari. Elle venait on ne savait d'oÃÂč, et elle paraissait avoir eu toujours cinquante ans, débordante, avec sa mince voix de petite fille. Ce jour-là , dÚs que la Méchain se trouva assise sur l'unique chaise, le cabinet fut plein, comme bouché par ce dernier paquet de chair, tombé à cette place. Devant son bureau, Busch, prisonnier, semblait enfoui, ne laissant émerger que sa tÃÂȘte carrée, au-dessus de la mer des dossiers. " Voici, dit-elle en vidant son vieux sac de l'énorme tas de papiers qui le gonflait, voici ce que Fayeux m'envoie de VendÎme... Il a tout acheté pour vous, dans cette faillite Charpier que vous m'aviez dit de lui signaler... Cent dix francs. Fayeux, qu'elle appelait son cousin, venait d'installer là -bas un bureau de receveur de rentes. Il avait pour négoce avoué de toucher les coupons des petits rentiers du pays ; et, dépositaire de ces coupons et de l'argent, il jouait frénétiquement. " Ça ne vaut pas grand-chose, la province, murmura Busch, mais on y fait des trouvailles tout de mÃÂȘme. " Il flairait les papiers, les triait déjà d'une main experte, les classait en gros d'aprÚs une premiÚre estimation, à l'odeur. Sa face plate se rembrunissait, il eut une moue désappointée. " Hum ! il n'y a pas gras, rien à mordre. Heureusement que ça n'a pas coûté cher... Voici des billets... Encore des billets... Si ce sont des jeunes gens, et s'ils sont venus à Paris, nous les rattraperons peut- ÃÂȘtre... " Mais il eut une légÚre exclamation de surprise. " Tiens ! qu'est-ce que c'est que ça ? " Il venait de lire, au bas d'une feuille de papier timbre, la signature du comte de Beauvilliers, et la feuille ne portait que trois lignes, d'une grosse écriture sénile. " Je m'engage à payer la somme de dix mille francs mademoiselle Léonie Cron, le jour de sa majorité. " " Le comte de Beauvilliers, reprit-il lentement, réfléchissant tout haut, oui, il a eu des fermes, tout un domaine, du cÎté de VendÎme... Il est mort d'un accident de chasse, il a laissé une femme et deux enfants dans la gÃÂȘne. J'ai eu des billets autrefois, qu'ils ont payés difficilement... Un farceur, un pas-grand-chose... " Tout d'un coup, il éclata d'un gros rire, reconstruisant l'histoire. " Ah ! le vieux filou, c'est lui qui a fichu dedans la petite !... Elle ne voulait pas, et il l'aura décidée avec ce chiffon de papier, qui était légalement sans valeur. Puis, il est mort... Voyons, c'est daté de 1854, il y a dix ans. La fille doit ÃÂȘtre majeure, que diable ! Comment cette reconnaissance pouvait-elle se trouver entre les mains de Charpier ?... Un marchand de grains, ce Charpier, qui prÃÂȘtait à la petite semaine. Sans doute la fille lui a laissé ça en dépÎt pour quelques écus ; ou bien peut-ÃÂȘtre s'était-il chargé du recouvrement... - Mais, interrompit la Méchain, c'est trÚs bon, ça, un vrai coup ! Busch haussa dédaigneusement les épaules. " Eh ! non, je vous dis qu'en droit ça ne vaut rien... Que je présente ça aux héritiers, et ils peuvent m'envoyer promener, car il faudrait faire la preuve que l'argent est réellement dû... Seulement, si nous retrouvons la fille, j'espÚre les amener à ÃÂȘtre gentils et à s'entendre avec nous, pour éviter un tapage désagréable... Comprenez- vous ? cherchez cette Léonie Cron, écrivez à Fayeux pour qu'il nous déniche là -bas. Ensuite, nous verrons à rire. " Il avait fait des papiers deux tas qu'il se promettait d'examiner à fond, quand il serait seul, et il restait immobile, les mains ouvertes, une sur chaque tas. AprÚs un silence, la Méchain reprit " Je me suis occupée des billets Jordan... J'ai bien cru que j'avais retrouvé notre homme. Il a été employé quelque part, il écrit maintenant dans les journaux. Mais on vous reçoit si mal, dans les journaux ; on refuse de vous donner les adresses. Et puis, je crois qu'il ne signe pas ses articles de son vrai nom. " Sans une parole, Busch avait allongé le bras pour prendre, à sa place alphabétique, le dossier Jordan. C'étaient six billets de cinquante francs, datés de cinq années déjà et échelonnés de mois en mois, une somme totale de trois cents francs, que le jeune homme avait souscrite à un tailleur, aux jours de misÚre. Impayés à leur présentation, les billets s'étaient grossis de frais énormes, et le dossier débordait d'une formidable procédure. A cette heure, la dette atteignait sept cent trente francs quinze centimes. " Si c'est un garçon d'avenir, murmura Busch, nous le pincerons toujours. " Puis, une liaison d'idées se faisant sans doute en lui, il s'écria " Et dites donc, l'affaire Sicardot, nous l'abandonnons ? " La Méchain leva au ciel ses gros bras éplorés. Toute sa monstrueuse personne en eut un remous de désespoir. " Ah ! Seigneur Dieu ! gémit-elle de sa voix de flûte, j'y laisserai ma peau ! " L'affaire Sicardot était toute une histoire romanesque qu'elle aimait conter. Une petite-cousine à elle, Rosalie Chavaille, la fille tardive d'une soeur de son pÚre avait été prise à seize ans, un soir, sur les marches de l'escalier, dans une maison de la rue de la Harpe, oÃÂč elle et sa mÚre occupaient un petit logement au sixiÚme. Le pis était que le monsieur, un homme marié, débarqué depuis huit jours à peine, avec sa femme, dans une chambre que sous-louait une dame du second, s'était montré si amoureux, que la pauvre Rosalie, renversée d'une main trop prompte contre l'angle d'une marche, avait eu l'épaule démise. De là , juste colÚre de la mÚre, qui avait failli faire un esclandre affreux, malgré les larmes de la petite, avouant qu'elle avait bien voulu, que c'était un accident et qu'elle aurait trop de peine, si l'on envoyait le monsieur en prison. Alors, la mÚre, se taisant, s'était contentée d'exiger de celui-ci une somme de six cents francs, répartie en douze billets, cinquante francs par mois, pendant une année ; et il n'avait pas eu de marché vilain, cĂąâ‚Źâ„ąĂƒÂ©tait mÃÂȘme modeste, car sa fille, qui finissait son apprentissage de couturiÚre, ne gagnait plus rien, malade, au lit, coûtant gros, si mal soignée d'ailleurs, que, les muscles de son bras s'étant rétractés, elle devenait infirme. Avant la fin du premier mois, le monsieur avait disparu, sans laisser son adresse. Et les malheurs continuaient, tapaient dru comme grÃÂȘle " Rosalie accouchait d'un garçon, perdait sa mÚre, tombait à une sale vie, à une misÚre noire. Echouée à la Cité de Naples, chez sa petite-cousine, elle avait traÃné les rues jusqu'à vingt-six ans, ne pouvant se servir de son bras, vendant parfois des citrons aux Halles, disparaissant pendant des semaines avec des hommes, qui la renvoyaient ivre et bleue de coups. Enfin, l'année d'auparavant, elle avait eu la chance de crever, des suites d'une bordée plus aventureuse que les autres. Et la Méchain avait dû garder l'enfant, Victor ; et il ne restait de toute cette aventure que les douze billets unpayés, signés Sicardot. On n'avait jamais pu en savoir davantage le monsieur s'appelait Sicardot. Dñ€ℱun nouveau geste, Busch prit le dossier Sicardot, une mince chemise de papier gris. Aucun frais n'avait été fait, il n'y avait là que les douze billets. " Encore si Victor était gentil ! expliquait lamentablement la vieille femme. Mais imaginez-vous, un enfant épouvantable... Ah ! c'est dur de faire des héritages pareils, un gamin qui finira sur l'échafaud, et ces morceaux de papier dont jamais je ne tirerai rien ! " Busch tenait ses gros yeux pùles obstinément fixés sur les billets. Que de fois il les avait étudiés ainsi, espérant, dans un détail inaperçu, dans la forme des lettres, jusque dans le grain du papier timbré, découvrir un indice. Il prétendait que cette écriture pointue et fine ne devait pas lui ÃÂȘtre inconnue. " C'est curieux, répétait-il une fois encore, j'ai certainement vu déjà des a et des o pareils, si allongés, qu'ils ressemblent à des i . " Juste à ce moment, on frappa ; et il pria la Méchain d'allonger la main pour ouvrir ; car la piÚce donnait directement sur l'escalier. Il fallait la traverser si l'on voulais gagner l'autre, celle qui avait vue sur la rue. Quant à la cuisine, un trou sans air, elle se trouvait de l'autre cÎté du palier. " Entrez, monsieur. " Et ce fut Saccard qui entra. Il souriait, égayé intérieurement par la plaque de cuivre, vissée sur la porte et portant en grosses lettres noires le mot Contentieux. " Ah ! oui, monsieur Saccard, vous venez pour cette traduction... Mon frÚre est là , dans l'autre piÚce... Entrez, entrez donc. " Mais la Méchain bouchait absolument le passage, et elle dévisageait le nouveau venu, l'air de plus en plus surpris. Il fallut tout une manoeuvre lui recula dans l'escalier, elle-mÃÂȘme sortit, s'effaçant sur le palier, de façon qu'il pût entrer et gagner enfin la chambre voisine, oÃÂč il disparut. Pendant ces mouvements compliqués, elle ne l'avait pas quitté des yeux. " Oh ! souffla-t-elle, oppressée, ce M. Saccard, je ne l'avais jamais tant vu... Victor est tout son portrait. " Busch sans comprendre d'abord, la regardait. Puis, une brusque illumination se fit, il eut un juron étouffé. " Tonnerre de Dieu ! c'est ça, je savais bien que j'avais vu ça quelque part ! " Et, cette fois, il se leva, bouleversa les dossiers, finit par trouver une lettre que Saccard lui avait écrite, l'année précédente, pour lui demander du temps en faveur d'une dame insolvable. Vivement, il compara l'écriture des billets à celle de cette lettre c'étaient bien les mÃÂȘmes a et les mÃÂȘmes o , devenus avec le temps plus aigus encore et il y avait aussi une identité de majuscules évidente. " C'est lui, c'est lui, répétait-il. Seulement, voyons, pourquoi Sicardot, pourquoi pas Saccard ? " Mais, dans sa mémoire, une histoire confuse sĂąâ‚Źâ„ąĂƒÂ©veillait, le passé de Saccard, qu'un agent d'affaires Larsonneau, millionnaire aujourd'hui, lui avait conté. Saccard tombant à Paris au lendemain du coup dñ€ℱEtat, venant exploiter la puissance naissante de son frÚre Rougon, et dñ€ℱabord sa misÚre dans les rues noires de lñ€ℱancien Quartier latin, et ensuite sa fortune rapide, à la faveur d'un louche mariage quand il avait eu la chance dñ€ℱenterrer sa femme. C'était lors de ces débuts difficiles quñ€ℱil avait changé son nom de Rougon contre celui de Saccard, en transformant simplement le nom de cette premiÚre femme, qui se nommait Sicardot. " Oui, oui, Sicardot, je me souviens parfaitement, murmura Busch. Il a eu le front de signer le nom du nom de sa femme. Sans doute le ménage avait donné ce nom, en descendant rue de la Harpe. Et puis, le bougre prenait toutes sortes de précautions, devait déménager à la moindre alerte... Ah ! il ne guettait pas que les écus, il culbutait aussi les gamines dans les escaliers ! C'est bÃÂȘte, ça finira par lui jouer un vilain tour. - Chut ! chut, reprit la Méchain. Nous le tenons, et on peut bien dire qu'il y a un bon Dieu. Enfin, je vas donc ÃÂȘtre récompensée de tout ce que j'ai fait pour ce pauvre petit Victor, que j'aime bien tout de mÃÂȘme, allez, quoiqu'il soit indécrottable. " Elle rayonnait, ses yeux minces pétillaient dans la graisse fondante de son visage. Mais Busch, aprÚs le coup de fiÚvre de cette solution longtemps cherchée, que le hasard lui apportait, se refroidissait à la réflexion, hochait la tÃÂȘte. Sans doute Saccard, bien que ruiné pour le moment, était encore bon à tondre. On pouvait tomber sur un pÚre moins avantageux. Seulement, il ne se laisserait pas ennuyer, il avait la dent terrible. Et puis, quoi ? il ne savait certainement pas lui-mÃÂȘme qu'il avait un fils, il pourrait nier, malgré cette ressemblance extraordinaire qui stupéfiait la Méchain. Du reste, il était une seconde fois veuf, libre, il ne devait compte de son passé à personne, de sorte que, mÃÂȘme s'il acceptait le petit, aucune peur, aucune menace n'était à exploiter contre lui. Quant à ne tirer de sa paternité que les six cents francs des billets, c'était en vérité trop misérable, ça ne valait pas la peine d'avoir été si miraculeusement aidé par le hasard. Non, non ! il fallait réfléchir, nourrir ça, trouver le moyen de couper la moisson en pleine maturité. " Ne nous pressons pas, conclut Busch. D'ailleurs, il est par terre, laissons-lui le temps de se relever. " Et, avant de congédier la Méchain, il acheva d'examiner avec elle les menues affaires dont elle était chargée, une jeune femme qui avait engagé ses bijoux pour un amant, un gendre dont la dette serait payée par sa belle-mÚre, sa maÃtresse, si l'on savait s'y prendre, enfin les variétés les plus délicates du recouvrement si complexe et si difficile des créances. Saccard, en entrant dans la chambre voisine, était resté quelques secondes ébloui par la clarté blanche de la fenÃÂȘtre, aux vitres ensoleillées, sans rideaux. Cette piÚce, tapissée d'un papier pùle à fleurettes bleues, était nue simplement un petit lit de fer dans un coin, une table de sapin au milieu, et deux chaises de paille. Le long de la cloison de gauche, des planches à peine rabotées servaient de bibliothÚque, chargées de livres, de brochures, de journaux, de papiers de toutes sortes. Mais la grande lumiÚre du ciel, à ces hauteurs, mettait dans cette nudité comme une gaieté de jeunesse, un rire de fraÃcheur ingénue. Et le frÚre de Busch, Sigismond, un garçon de trente- cinq ans, imberbe, aux cheveux chùtains, longs et rares, se trouvait là , assis devant la table, son vaste front bossu dans sa maigre main, si absorbé par la lecture d'un manuscrit, qu'il ne tourna point la tÃÂȘte, n'ayant pas entendu la porte s'ouvrir. C'était une intelligence, ce Sigismond, élevé dans les universités allemandes, qui, outre le français, sa langue maternelle, parlait l'allemand, l'anglais et le russe. En 1849, à Cologne, il avait connu Karl Marx, était devenu le rédacteur le plus aimé de sa Nouvelle Gazette rhénane ; et, dÚs ce moment, sa religion s'était fixée, il professait le socialisme avec une foi ardente, ayant fait le don de sa personne entiÚre à l'idée d'une prochaine rénovation sociale, qui devait assurer le bonheur des pauvres et des humbles. Depuis que son maÃtre, banni d'Allemagne, forcé de s'exiler de Paris à la suite des journées de Juin, vivait à Londres, écrivait, s'efforçait d'organiser le parti, lui végétait de son cÎté, dans ses rÃÂȘves, tellement insoucieux de sa vie matérielle, qu'il serait sûrement mort de faim, si son frÚre ne l'avait recueilli, rue Feydeau, prÚs de la Bourse, en lui donnant la pensée d'utiliser sa connaissance des langues pour s'établir traducteur. Ce frÚre aÃné adorait son cadet, d'une passion maternelle, loup féroce aux débiteurs, trÚs capable de voler dix sous dans le sang d'un homme, mais tout de suite attendri aux larmes, d'une tendresse passionnée et minutieuse de femme, dÚs qu'il s'agissait de ce grand garçon distrait, resté enfant. Il lui avait donné la belle chambre sur la rue, il le servait comme une bonne, menait leur étrange ménage, balayant, faisant les lits, s'occupant de la nourriture qu'un petit restaurant du voisinage montait deux fois par jour. Lui, si actif, la tÃÂȘte bourrée de mille affaires, le tolérait oisif, car les traductions ne marchaient pas, entravées de travaux personnels ; et il lui défendait mÃÂȘme de travailler, inquiet d'une petite toux mauvaise ; et malgré son dur amour de l'argent, sa cupidité assassine qui mettait dans la conquÃÂȘte de l'argent l'unique raison de vivre, il souriait indulgemment des théories du révolutionnaire, il lui abandonnait le capital comme un joujou à un gamin, quitte à le lui voir briser. Sigismond, de son cÎté, ne savait mÃÂȘme pas ce que son frÚre faisait dans la piÚce voisine. Il ignorait tout de cet effroyable négoce sur les valeurs déclassées et sur l'achat des créances, il vivait plus haut, dans un songe souverain de justice. L'idée de charité le blessait, le jetait hors de lui la charité, c'était l'aumÎne, l'inégalité consacrée par la bonté ; et il n'admettait que la justice ; les droits de chacun reconquis, posés en immuables principes de la nouvelle organisation sociale. Aussi, à la suite de Karl Marx, avec lequel il était en continuelle correspondance, épuisait-il ses jours à étudier cette organisation, modifiant, améliorant sans cesse sur le papier la société de demain, couvrant de chiffres d'immenses pages, basant sur la science l'échafaudage compliqué de l'universel bonheur. Il retirait le capital aux uns pour le répartir entre tous les autres, il remuait les milliards, déplaçait d'un trait de plume la fortune du monde ; et cela, dans cette chambre nue, sans une autre passion que son rÃÂȘve, sans un besoin de jouissance à satisfaire, d'une frugalité telle, que son frÚre devait se fùcher pour qu'il bût du vin et mangeùt de la viande. Il voulait que le travail de tout homme, mesuré selon ses forces, assurùt le contentement de ses appétits lui, se tuait à la besogne et vivait de rien. Un vrai sage, exalté dans l'étude, dégagé de la vie matérielle, trÚs doux et trÚs pur. Depuis le dernier automne, il toussait de plus en plus, la phtisie l'envahissant qu'il daignùt mÃÂȘme s'en apercevoir et se soigner. Mais Saccard ayant fait un mouvement, Sigismond enfin leva ses grands yeux vagues, et s'étonna, bien qu'il connût le visiteur. " C'est pour une lettre à traduire. " La surprise du jeune homme augmentait, car il avait découragé les clients, les banquiers, les spéculateurs, les agents de change, tout ce monde de la Bourse, qui reçoit particuliÚrement d'Angleterre et d'Allemagne, une correspondance nombreuse, des circulaires, des statuts de société. " Oui, une lettre en langue russe. Oh ! dix lignes seulement. " Alors, il tendit la main, le russe étant resté sa spécialité, lui seul le traduisant couramment, au milieu des autres traducteurs du quartier, qui vivaient de l'allemand et de l'anglais. La rareté des documents russes, sur le marché de Paris, expliquait ses longs chÎmages. Tout haut, il lut la lettre, en français. C'était, en trois phrases, une réponse favorable d'un banquier de Constantinople, un simple oui, dans une affaire. " Ah ! merci " , s'écria Saccard, qui parut enchanté. Et il pria Sigismond d'écrire les quelques lignes de la traduction au revers de la lettre. Mais celui-ci fut pris d'un terrible accÚs de toux, qu'il étouffa dans son mouchoir, pour ne pas déranger son frÚre, qui accourait, dÚs qu'il l'entendait tousser ainsi. Puis, la crise passée, il se leva, alla ouvrir la fenÃÂȘtre toute grande, étouffant, voulant respirer l'air. Saccard, qui l'avait suivi, jeta un coup d'oeil dehors, eut une légÚre exclamation. " Tiens ! vous voyez la Bourse. Oh ! qu'elle est drÎle, dñ€ℱici " Jamais, en effet, il ne l'avait vue sous un si singulier aspect, à vol d'oiseau, avec les quatre vastes pentes de zinc de sa toiture, extraordinairement développées, hérissées d'une forÃÂȘt de tuyaux. Les pointes des paratonnerres se dressaient, pareilles à des lances gigantesques menaçant le ciel. Et le monument lui-mÃÂȘme n'était plus qu'un cube de pierre, strié réguliÚrement par les colonnes, un cube d'un gris sale, nu et laid, planté d'un drapeau en loques. Mais, surtout, les marches et le péristyle l'étonnaient, piquetés de fourmis noires, toute une fourmiliÚre en révolution, s'agitant, se donnant un mouvement énorme, qu'on ne s'expliquait plus, de si haut, et qu'on prenait en pitié. " Comme ça rapetisse ! reprit-il. On dirait qu'on va tous les prendre dans la main, d'une poignée. " Puis, connaissant les idées de son interlocuteur, il ajouta en riant " Quand balayez-vous tout ça, d'un coup de pied ? " Sigismond haussa les épaules. " A quoi bon ? vous vous démolissez bien vous-mÃÂȘmes. " Et, peu à peu, il s'anima, il déborda du sujet dont il était plein. Un besoin de prosélytisme le lançait, au moindre mot, dans l'exposition de son systÚme. " Oui, oui, vous travaillez pour nous, sans vous en douter... Vous ÃÂȘtes là quelques usurpateurs, qui expropriez la masse du peuple ; et quand vous serez gorgés, nous n'aurons qu'à vous exproprier à notre tour... Tout accaparement, toute centralisation conduit au collectivisme. Vous nous donnez une leçon pratique, de mÃÂȘme que les grandes propriétés absorbant les lopins de terre, les grands producteurs dévorant les ouvriers en chambre, les grandes maisons de crédit et les grands magasins tuant toute concurrence, s'engraissant de la ruine des petites banques et des petites boutiques, sont un acheminement lent, mais certain, vers le nouvel état social... Nous attendons que tout craque, que le mode de production actuelle ait abouti au malaise intolérable des ses derniÚres conséquences. Alors, les bourgeois et les paysans eux-mÃÂȘmes nous aideront. " Saccard, intéressé, le regardait avec une vague inquiétude, bien quñ€ℱil le prÃt pour un fou. " Mais enfin, expliquez-moi, quñ€ℱest-ce que cñ€ℱest que votre collectivisme ? Le collectivisme, cñ€ℱest la transformation des capitaux privés, vivant des luttes de la concurrence, en un capital social unitaire, exploité par le travail de tous.... Imaginez une société oÃÂč les instruments de la production sont la propriété de tous, oÃÂč tout le monde travaille selon son intelligence et sa vigueur, et oÃÂč les produits de cette coopération sociale sont distribués à chacun, au prorata de son effort. Rien nñ€ℱest plus simple, nñ€ℱest-ce pas ? une production commune dans les usines, les chantiers et les ateliers de la nation ; puis, un échange, un paiement en nature. Si il y a surcroÃt de production, on le met dans des entrepÎts publics, dñ€ℱoÃÂč il est repris pour combler les déficits qui peuvent se produire. C'est une balance à faire... Et cela, comme dñ€ℱun coup de hache, abat lñ€ℱarbre pourri. Plus de concurrence, plus de capital privé, donc plus dñ€ℱaffaires dñ€ℱaucune sorte, ni commerce, ni marchés, ni Bourses. Lñ€ℱidée de gain nñ€ℱa plus aucun sens. Les sources de la spéculation, les rentes gagnées sans travail, sont taries. Oh ! oh ! interrompit Saccard, ça changerait diablement les habitudes de bien du monde ! Mais ceux qui ont des rentes aujourdñ€ℱhui, quñ€ℱen faite vous ? Ainsi, Gundermann, vous lui prenez son milliard ? - Nullement, nous ne sommes pas des voleurs. Nous le rachÚterions son milliard, toutes ses valeurs, ses titres de rente, par de bons de jouissance, divisés en annuités. Et vous imaginez-vous ce capital immense remplacé ainsi par une richesse suffocante de moyens de consommation en moins de cent années, les descendants de votre Gundermann seraient réduits, comme les autres citoyens, au travail personnel ; car les annuités finiraient bien par s'épuiser, et ils n'auraient pu capitaliser leurs économies forcées, le trop-plein de cet écrasement de provisions, en admettant mÃÂȘme qu'on conserve intact le droit d'héritage... Je vous dis que cela balaie d'un coup, non seulement les affaires individuelles, les sociétés d'actionnaires, les associations de capitaux privés, mais encore toutes les sources indirectes de rentes, tous les systÚmes de crédit, prÃÂȘts, loyers, fermages... Il n'y a plus, comme mesure de la valeur, que le travail. Le salaire se trouve naturellement supprimé, n'étant pas, dans l'état capitaliste actuel, équivalent au produit exact du travail, puisqu'il ne représente jamais que ce qui est strictement nécessaire au travailleur pour son entretien quotidien. Et il faut reconnaÃtre que l'état actuel est seul coupable, que le patron le plus honnÃÂȘte est bien forcé de suivre la dure loi de la concurrence, d'exploiter ses ouvriers, s'il veut vivre. C'est notre systÚme social entier à détruire... Ah ! Gundermann étouffant sous l'accablement de ses bons de jouissance ! les héritiers de Gundermann n'arrivant pas à tout manger, obligés de donner aux autres et de reprendre la pioche ou l'outil, comme les camarades ! " Et Sigismond éclata d'un bon rire d'enfant en récréation, toujours debout prÚs de la fenÃÂȘtre, les regards sur la Bourse, oÃÂč grouillait la noire fourmiliÚre du jeu. Des rougeurs ardentes montaient à ses pommettes, il n'avait d'autre amusement que de s'imaginer ainsi les plaisantes ironies de la justice de demain. Le malaise de Saccard avait grandi. Si ce rÃÂȘveur éveillé disait vrai, pourtant ? s'il avait deviné l'avenir ? Il expliquait des choses qui semblaient trÚs claires et sensées. " Bah ! murmura-t-il pour se rassurer, tout ça n'arrivera pas l'année prochaine. - Certes ! reprit le jeune homme, redevenu grave et las. Nous sommes dans la période transitoire, la période d'agitation. Peut-ÃÂȘtre y aura-t- il des violences révolutionnaires, elles sont souvent inévitables. Mais les exagérations, les emportements sont passagers... Oh ! je ne me dissimule pas les grandes difficultés immédiates. Tout cet avenir rÃÂȘvé semble impossible, on n'arrive pas à donner aux gens une idée raisonnable de cette société future, cette société de juste travail, dont les moeurs seront si différentes des nÎtres. C'est comme un autre monde dans une autre planÚte... Et puis, il faut bien le confesser, la réorganisation n'est pas prÃÂȘte, nous cherchons encore. Moi, qui ne dors plus guÚre, j'y épuise mes nuits. Par exemple, il est certain qu'on peut nous dire " Si les choses sont ce qu'elles sont, c'est que la logique des faits humains les a faites ainsi. " DÚs lors, quel labeur pour ramener le fleuve à sa source et le diriger dans une autre vallée !... Certainement, l'état social actuel a dû sa prospérité séculaire au principe individualiste, que l'émulation, l'intérÃÂȘt personnel rend d'une fécondité de production sans cesse renouvelée. Le collectivisme arrivera-t-il jamais à cette fécondité, et par quel moyen activer la fonction productive du travailleur, quand l'idée de gain sera détruite ? Là est, pour moi, le doute, l'angoisse, le terrain faible oÃÂč il faut que nous nous battions, si nous voulons que la victoire du socialisme s'y décide un jour... Mais nous vaincrons, parce que nous sommes la justice. Tenez ! vous voyez ce monument devant vous... Vous le voyez ? " - La Bourse ? dit Saccard. Parbleu ! oui, je la vois ! - Eh bien, ce serait bÃÂȘte de la faire sauter, qu'on la rebùtirait ailleurs... Seulement, je vous prédis qu'elle sautera d'elle-mÃÂȘme, quand l'Etat l'aura expropriée, devenu logiquement l'unique et universelle banque de la nation ; et, qui sait ? elle servira alors d'entrepÎt public à nos richesses trop grandes, un des greniers d'abondance oÃÂč nos petits-fils trouveront le luxe de leurs jours de fÃÂȘte ! " D'un geste large, Sigismond ouvrait cet avenir de bonheur général et moyen. Et il s'était tellement exalté, qu'un nouvel accÚs de toux le secoua, revenu à sa table, les coudes parmi ses papiers, la tÃÂȘte entre les mains, pour étouffer le rùle déchiré de sa gorge. Mais, cette fois, il ne se calmait pas. Brusquement, la porte s'ouvrit, Busch accourut, ayant congédié la Méchain, l'air bouleversé, souffrant lui-mÃÂȘme de cette toux abominable. Tout de suite, il s'était penché, avait pris son frÚre dans ses grands bras, comme un enfant dont on berce la douleur. " Voyons, mon petit, qu'est-ce que tu as encore, à t'étrangler ? Tu sais, je veux que tu fasses venir un médecin. Ce n'est pas raisonnable... Tu auras trop causé, cñ€ℱest sûr. " Et il regardait d'un oeil oblique Saccard, resté au milieu de la piÚce, décidément bousculé par ce qu'il venait d'entendre, dans la bouche de ce grand diable, si passionné et si malade, qui, de sa fenÃÂȘtre, là -haut, devait jeter un sort sur la Bourse, avec ses histoires de tout balayer pour tout reconstruire. " Merci, je vous laisse, dit le visiteur, ayant hùte d'ÃÂȘtre dehors. Envoyez-moi ma lettre, avec les dix lignes de traduction... J'en attends d'autres, nous réglerons le tout ensemble. " Mais, la crise étant finie, Busch le retint un instant encore. " A propos, la dame qui était là tout à lñ€ℱheure vous a connu autrefois, oh, il y a longtemps. - Ah ! OÃÂč donc ? - Rue de la harpe, en 52 " Si maÃtre qu'il fût de lui, Saccard devint pùle. Un tic nerveux tira sa bouche. Ce n'était point qu'il se rappelùt à cette minute, la gamine culbutée dans l'escalier il ne lñ€ℱavait mÃÂȘme pas sue enceinte, il ignorait l'existence de l'enfant. Mais le rappel des misérables années de ses débuts lui était toujours désagréable. " Rue de la Harpe, oh ! je n'y ai habité que huit jours lors de mon arrivée à Paris, le temps de rechercher un logement... Au revoir ! ! - Au revoir ! " accentua Busch, qui se trompa, voyant un aveu dans cet embarras, et qui déjà cherchait de quelle façon large il exploiterait l'aventure. De nouveau dans la rue, Saccard retourna machinalement vers la place de la Bourse. Il était tout frissonnant, il ne regarda mÃÂȘme pas la petite Mme Conin, dont la jolie figure blonde souriait, à la porte de la papeterie. Sur la place, l'agitation avait grandi, la clameur du jeu venait battre les trottoirs grouillant de monde, avec la violence débridée d'une marée haute. C'était le coup de gueule de trois heures moins un quart, la bataille des derniers cours, l'enragement à savoir qui s'en irait les mains pleines. Et, debout à l'angle de la rue de la Bourse en face du péristyle, il croyait reconnaÃtre, dans la bousculade confuse, sous les colonnes, le baissier Moser et le haussier Pillerault, tous les deux aux prises ; tandis quñ€ℱil s'imaginait entendre, sortie du fond de la grande salle, la voix aiguà de l'agent de change Mazaud, que couvraient par moments les éclats de Nathansohn, assis sous lñ€ℱhorloge, à la coulisse. Mais une voiture, qui rasait le ruisseau, faillit l'éclabousser. Massias sauta, avant mÃÂȘme que le cocher eût arrÃÂȘté, monta les marches d'un bond, apportant, hors d'haleine, le dernier ordre d'un client. Et lui, toujours immobile et debout, les yeux sur la mÃÂȘlée, là -haut, remùchait sa vie, hanté par le souvenir de ses débuts, que la question de Busch venait de réveiller. Il se rappelait la rue de la Harpe, puis la rue Saint-Jacques, oÃÂč il avait traÃné ses bottes éculées d'aventurier conquérant, débarqué à Paris pour le soumettre ; et une fureur le reprenait, à l'idée qu'il ne l'avait pas soumis encore, qu'il était de nouveau sur le pavé, guettant la fortune, inassouvi, torturé d'une faim de jouissance telle, que jamais il n'en avait souffert davantage. Ce fou de Sigismond le disait avec raison le travail ne peut faire vivre, les misérables et les imbéciles travaillent seuls, pour engraisser les autres. Il n'y avait que le jeu, le jeu qui, du soir au lendemain, donne d'un coup le bien- ÃÂȘtre, le luxe, la vie large, la vie tout entiÚre. Si ce vieux monde social devait crouler un jour, est-ce qu'un homme comme lui n'allait pas encore trouver le temps et la place de combler ses désirs, avant l'effondrement ? Mais un passant le coudoya, qui ne se retourna mÃÂȘme pas pour s'excuser. Il reconnut Gundermann faisant sa petite promenade de santé, il le regarda entrer chez un confiseur, d'oÃÂč ce roi de l'or rapportait parfois une boÃte de bonbons d'un franc à ses petites-filles. Et ce coup de coude, à cette minute, dans la fiÚvre dont lñ€ℱaccÚs montait en lui, depuis qu'il tournait ainsi autour de la Bourse, coude, à cette minute, dans la fiÚvre dont l'accÚs montait fut comme le cinglement, la poussée derniÚre qui le décida. Il avait achevé d'enserrer la place, il donnerait l'assaut. C'était le serment d'une lutte sans merci il ne quitterait pas la France, il braverait son frÚre, il jouerait la partie suprÃÂȘme, une bataille de terrible audace, qui lui mettrait Paris sous les talons, ou qui le jetterait au ruisseau, les reins cassés. Jusqu'à la fermeture, Saccard s'entÃÂȘta, debout à son poste d'observation et de menace. Il regarda le péristyle se vider, les marches se couvrir de la lente débandade de tout ce monde échauffé et las. Autour de lui, l'encombrement du pavé et des trottoirs continuait, un flot ininterrompu de gens, l'éternelle foule à exploiter, les actionnaires de demain, qui ne pouvaient passer devant cette grande loterie de la spéculation, sans tourner la tÃÂȘte, dans le désir et la crainte de ce qui se faisait là , ce mystÚre des opérations financiÚres, d'autant plus attirant pour les cervelles françaises, que trÚs peu d'entre elles le pénÚtrent. II - AprÚs sa derniÚre et désastreuse affaire de terrains, lorsque Saccard dut quitter son palais du parc Monceau, qu'il abandonnait à ses créanciers, pour éviter une catastrophe plus grande, son idée fut d'abord de se réfugier chez son fils Maxime. Celui-ci, depuis la mort de sa femme, qui dormait dans un petit cimetiÚre de la Lombardie, occupait seul un hÎtel de l'avenue de l'Impératrice, oÃÂč il avait organisé sa vie avec un sage et féroce égoïsme ; il y mangeait la fortune de la morte sans une faute, en garçon de faible santé que le vice avait précocement mûri ; et, d'une voix nette, il refusa à son pÚre de le prendre chez lui, pour continuer à vivre tous deux en bon accord, expliquait-il de son air souriant et avisé. DÚs lors, Saccard songea à une autre retraite. Il allait louer une petite maison à Passy, un asile bourgeois de commerçant retiré, lorsqu'il se souvint que le rez-de-chaussée et le premier étage de l'hÎtel d'Orviedo, rue Saint-Lazare, n'étaient toujours pas occupés, portes et fenÃÂȘtres closes. La princesse d'Orviedo, installée dans trois chambres du second depuis la mort de son mari, n'avait pas mÃÂȘme fait mettre d'écriteau à la porte cochÚre, que les herbes envahissaient. Une porte basse, à l'autre bout de la façade, menait au deuxiÚme étage, par un escalier de service. Et, souvent en rapport d'affaires avec la princesse, dans les visites qu'il lui rendait, il s'était étonné de la négligence qu'elle apportait à tirer un parti convenable de son immeuble. Mais elle hochait la tÃÂȘte, elle avait sur les choses de l'argent des idées à elle. Pourtant, lorsqu'il se présenta pour louer en son nom, elle consentit tout de suite, elle lui céda, moyennant un loyer dérisoire de dix mille francs, ce rez-de-chaussée et ce premier étage somptueux, d'installation princiÚre, qui en valait certainement le double. On se souvenait du faste affiché par le prince d'Orviedo. C'était dans le coup de fiÚvre de son immense fortune financiÚre, lorsqu'il était venu d'Espagne, débarquant à Paris au milieu d'une pluie de millions, qu'il avait acheté et fait réparer cet hÎtel, en l'attendant le palais de marbre et d'or dont il rÃÂȘvait d'étonner le monde. La construction datait du siÚcle dernier, une de ces maisons de plaisance, bùties au milieu de vastes jardins par des seigneurs galants ; mais, démolie en partie, rebùtie dans de plus sévÚres proportions, elle n'avait gardé, de son parc d'autrefois, qu'une large cour bordée d'écuries et de remises, que la rue projetée du Cardinal-Fesch allait sûrement emporter. Le prince la tenait de la succession d'une demoiselle Saint-Germain, dont la propriété s'étendait jadis jusqu'à la rue des Trois-FrÚres, l'ancien prolongement de la rue Taitbout. D'ailleurs, l'hÎtel avait conservé son entrée sur la rue Saint-Lazare, cÎte à cÎte avec une grande bùtisse de la mÃÂȘme époque, la Folie-Beauvilliers d'autrefois, que les Beauvilliers occupaient encore, à la suite d'une ruine lente ; et eux possédaient un reste d'admirable jardin, des arbres magnifiques, condamnés aussi à disparaÃtre, dans le bouleversement prochain du quartier. Au milieu de son désastre, Saccard traÃnait une queue de serviteurs, les débris de son trop nombreux personnel un valet de chambre, un chef de cuisine et sa femme, chargée de la lingerie, une autre femme restée on ne savait pourquoi, un cocher et deux palefreniers ; et il encombra les écuries et les remises, y mit deux chevaux, trois voitures, installa au rez-de-chaussée un réfectoire pour ses gens. C'était l'homme qui n'avait pas cinq cents francs solides dans sa caisse, mais qui vivait sur un pied de deux ou trois cent mille francs par an. Aussi trouva-t-il le moyen de remplir de sa personne les vastes appartements du premier étage, les trois salons, les cinq chambres à coucher, sans compter l'immense salle à manger, oÃÂč l'on dressait une table de cinquante couverts. Là , autrefois, une porte ouvrait sur un escalier intérieur, conduisant au second étage, dans une autre salle à manger, plus petite ; et la princesse, qui avait récemment loué cette partie du second à un ingénieur, M. Hamelin, un célibataire vivant avec sa soeur, s'était contentée de faire condamner la porte, à l'aide de deux fortes vis. Elle partageait ainsi l'ancien escalier de service avec ce locataire, tandis que Saccard avait seul la jouissance du grand escalier. Il meubla en partie quelques piÚces de ses dépouilles du parc Monceau, laissa les autres vides, parvint quand mÃÂȘme à rendre la vie à cette enfilade de murailles tristes et nues, dont une main obstinée semblait avoir arraché jusqu'aux moindres bouts de tenture, dÚs le lendemain de la mort du prince. Et il put recommencer le rÃÂȘve d'une grande fortune. La princesse d'Orviedo était alors une des curieuses physionomies de Paris. Il y avait quinze ans, elle s'était résignée à épouser le prince, qu'elle n'aimait point, pour obéir à un ordre formel de sa mÚre, la duchesse de Combeville. A cette époque, cette jeune fille de vingt ans avait un grand renom de beauté et de sagesse, trÚs religieuse, un peu trop grave, bien qu'aimant le monde avec passion. Elle ignorait les singuliÚres histoires qui couraient sur le prince, les origines de sa royale fortune évaluée à trois cents millions, toute une vie de vols effroyables, non plus au coin des bois, à main armée, comme les nobles aventuriers de jadis, mais en correct bandit moderne, au clair soleil de la Bourse, dans la poche du pauvre monde crédule, parmi les effondrements et la mort. Là -bas en Espagne, ici en France, le prince s'était, pendant vingt années, fait sa part du lion dans toutes les grandes canailleries restées légendaires. Bien que ne soupçonnant rien de la boue et du sang oÃÂč il venait de ramasser tant de millions, elle avait éprouvé pour lui, dÚs la premiÚre rencontre, une répugnance que sa religion devait rester impuissante à vaincre ; et, bientÎt, une rancune sourde, grandissante, s'était jointe à cette antipathie, celle de n'avoir pas un enfant de ce mariage subi par obéissance. La maternité lui aurait suffi, elle adorait les enfants, elle en arrivait à la haine contre cet homme qui, aprÚs avoir désespéré l'amante, ne pouvait mÃÂȘme contenter la mÚre. C'était à ce moment qu'on avait vu la princesse se jeter dans un luxe inouï, aveugler Paris de l'éclat de ses fÃÂȘtes, mener un train fastueux, que les Tuileries, disait-on, jalousaient. Puis, brusquement, au lendemain de la mort du prince, foudroyé par une apoplexie, l'hÎtel de la rue Saint-Lazare était tombé à un silence absolu, à une nuit complÚte. Plus une lumiÚre, plus un bruit, les portes et les fenÃÂȘtres demeuraient closes, et la rumeur se répandait que la princesse, aprÚs avoir déménagé violemment le rez-de-chaussée et le premier étage, s'était retirée comme une recluse, dans trois petites piÚces du second, avec une ancienne femme de chambre de sa mÚre, la vielle Sophie, qui l'avait élevée. Quand elle avait reparu, elle était vÃÂȘtue d'une simple robe de laine noire, les cheveux cachés sous un fichu de dentelle, petite et grasse toujours, avec son front étroit, son joli visage rond aux dents de perles entre des lÚvres serrées, mais ayant déjà le teint jaune, le visage muet, enfoncé dans une volonté unique, d'une religieuse cloÃtrée depuis longtemps. Elle venait d'avoir trente ans, elle n'avait plus vécu depuis lors que pour des oeuvres immenses de charité. Dans Paris, la surprise était grande, et il circula toutes sortes d'histoires extraordinaires. La princesse avait hérité de la fortune totale, les fameux trois cents millions dont la chronique des journaux eux-mÃÂȘmes s'occupait. Et la légende qui finit par s'établir fut romantique. Un homme, un inconnu vÃÂȘtu de noir, racontait-on, comme la princesse allait se mettre au lit, était un soir apparu tout d'un coup dans sa chambre, sans qu'elle eût jamais compris par quelle porte secrÚte il avait pu entrer ; et ce que cet homme lui avait dit, personne au monde ne le savait ; mais il devait lui avoir révélé l'origine abominable des trois cents millions, en exigeant peut-ÃÂȘtre d'elle le serment de réparer tant d'iniquités, si elle voulait éviter d'affreuses catastrophes. Ensuite, l'homme avait disparu. Depuis cinq ans qu'elle se trouvait veuve, était-ce en effet pour obéir à un ordre venu de l'au- delà , était-ce plutÎt dans une simple révolte d'honnÃÂȘteté, lorsqu'elle avait eu en main le dossier de sa fortune ? la vérité était qu'elle ne vivait plus que dans une ardente fiÚvre de renoncement et de réparation. Chez cette femme qui n'avait pas été amante et qui n'avait pu ÃÂȘtre mÚre, toutes les tendresses refoulées, surtout l'amour avorté de l'enfant, s'épanouissaient en une véritable passion pour les pauvres, pour les faibles, les déshérités, les souffrants, ceux dont elle croyait détenir les millions volés, ceux à qui elle jurait de les restituer royalement, en pluie d'aumÎnes. DÚs lors, l'idée fixe s'empara d'elle, le clou de l'obsession entra dans son crùne elle ne se considéra plus que comme un banquier, chez qui les pauvres avaient déposé trois cents millions, pour qu'ils fussent employés au mieux de leur usage ; elle ne fut plus qu'un comptable, un homme d'affaires, vivant dans les chiffres, au milieu d'un peuple de notaires, d'ouvriers et d'architectes. Au-dehors, elle avait installé tout un vaste bureau avec une vingtaine d'employés. Chez elle, dans ses trois piÚces étroites, elle ne recevait que quatre ou cinq intermédiaires, ses lieutenants ; et elle passait là ses journées, à un bureau, comme un directeur de grandes entreprises, cloÃtrée loin des importuns, parmi un amoncellement paperasses qui la débordait. Son rÃÂȘve était de soulager toutes les misÚres, depuis l'enfant qui souffre d'ÃÂȘtre né jusqu'au vieillard qui ne peut mourir sans souffrance. Pendant ces cinq années, jetant l'or à pleines mains, elle avait fondé, à la Villette, la CrÚche Sainte-Marie, avec des berceaux blancs pour les tout-petits, des lits bleus pour les plus grands, une vaste et claire installation que fréquentaient déjà trois cents enfants ; un orphelinat à Saint-Mandé, l'Orphelinat Saint-Joseph, oÃÂč cent garçons et cent filles recevaient une éducation et une instruction telles qu'on les donne dans les familles bourgeoises ; enfin, un asile pour les vieillards à Chùtillon, pouvant admettre cinquante hommes et cinquante femmes, et un hÎpital de deux cents lits dans un faubourg, l'HÎpital Saint-Marceau, dont on venait seulement d'ouvrir les salles. Mais son oeuvre préférée, celle qui absorbait en ce moment tout son coeur, était l'Oeuvre du Travail, une création à elle, une maison qui devait remplacer la maison de correction, oÃÂč trois cents enfants, cent cinquante filles et cent cinquante garçons, ramassés sur le pavé de Paris, dans la débauche et dans le crime, étaient régénérés par de bons soins et par l'apprentissage d'un métier. Ces diverses fondations, des dons considérables, une prodigalité folle dans la charité, lui avaient dévoré prÚs de cents millions en cinq ans. Encore quelques années de ce train, et elle serait ruinée, sans avoir réservé mÃÂȘme la petite rente nécessaire au pain et au lait dont elle vivait maintenant. Lorsque sa vieille bonne, Sophie, sortant de son continuel silence, la grondait d'un mot rude, en lui prophétisant qu'elle mourrait sur la paille, elle avait un faible sourire, le seul qui parût désormais sur ses lÚvres décolorées, un divin sourire d'espérance. Ce fut justement à l'occasion de l'Oeuvre du Travail que Saccard fit la connaissance de la princesse d'Orviedo. Il était un des propriétaires du terrain qu'elle acheta pour cette oeuvre, un ancien jardin planté de beaux arbres, qui touchait au parc de Neuilly et qui se trouvait en bordure, le long du boulevard Bineau. Il l'avait séduite par la façon vive dont il traitait les affaires, elle voulut le revoir, à la suite de certaines difficultés avec ses entrepreneurs. Lui-mÃÂȘme s'était intéressé aux travaux, l'imagination prise, charmé du plan grandiose qu'elle imposait à l'architecte deux ailes monumentales, l'une pour les garçons, l'autre pour les filles, reliées entre elles par un corps de logis, contenant la chapelle, la communauté, l'administration, tous les services ; et chaque aile avait son préau immense, ses ateliers, ses dépendances de toutes sortes. Mais surtout ce qui le passionnait, dans son propre goût du grand et du fastueux, c'était le luxe déployé, la construction énorme et faite de matériaux à défier les siÚcles, les marbres prodigués, une cuisine revÃÂȘtue de faïence oÃÂč l'on aurait fait cuire un boeuf, des réfectoires gigantesques aux riches lambris de chÃÂȘne, des dortoirs inondés de lumiÚre, égayés de claires peintures, une lingerie, une salle de bains, une infirmerie installées avec des raffinements excessifs ; et, partout, des dégagements vastes, des escaliers, des corridors, aérés l'été, chauffés l'hiver ; et la maison entiÚre baignant dans le soleil, une gaieté de jeunesse, un bien-ÃÂȘtre de grosse fortune. Quand l'architecte, inquiet, trouvant toute cette magnificence inutile, parlait de la dépense, la princesse l'arrÃÂȘtait d'un mot elle avait eu le luxe, elle voulait le donner aux pauvres, pour qu'ils en jouissent à leur tour, eux qui font le luxe des riches. Son idée fixe était faite de ce rÃÂȘve combler les misérables, les coucher dans les lits, les asseoir à la table des heureux de ce monde, non plus l'aumÎne d'une croûte de pain, d'un grabat de hasard, mais la vie large au travers de palais oÃÂč ils seraient chez eux, prenant leur revanche, goûtant les jouissances des triomphateurs. Seulement, dans ce gaspillage, au milieu des devis énormes, elle était abominablement volée ; une nuée d'entrepreneurs vivaient d'elle, sans compter les pertes dues à la mauvaise surveillance ; on dilapidait le bien des pauvres. Et ce fut Saccard qui lui ouvrit les yeux, en la priant de le laisser tirer les comptes au clair, absolument désintéressé d'ailleurs, pour l'unique plaisir de régler cette folle danse de millions qui l'enthousiasmait. Jamais il ne s'était montré si scrupuleusement honnÃÂȘte. Il fut, dans cette affaire colossale et compliquée, le plus actif, le plus probe des collaborateurs, donnant son temps, son argent mÃÂȘme, simplement récompensé par cette joie des sommes considérables qui lui passaient entre les mains. On ne connaissait guÚre que lui à l'Oeuvre du Travail, oÃÂč la princesse n'allait jamais, pas plus qu'elle n'allait visiter ses autres fondations, cachée au fond de ses trois petites piÚces, comme la bonne déesse invisible ; et lui, adoré, il y était béni, accablé de toute la reconnaissance dont elle semblait ne pas vouloir. Sans doute, depuis cette époque, Saccard nourrissait un vague projet, qui, tout d'un coup, lorsqu'il fut installé dans l'hÎtel d'Orviedo comme locataire, prit la netteté aiguà d'un désir. Pourquoi ne se consacrerait-il pas tout entier à l'administration des bonnes oeuvres de la princesse ? Dans l'heure de doute oÃÂč il était, vaincu de la spéculation, ne sachant quelle fortune refaire, cela lui apparaissait comme une incarnation nouvelle, une brusque montée d'apothéose devenir le dispensateur de cette royale charité, canaliser ce flot d'or qui coulait sur Paris. Il restait deux cents millions, quelles oeuvres à créer encore, quelle cité du miracle à faire sortir du sol ! Sans compter que, lui, les ferait fructifier, ces millions, les doublerait, les triplerait, saurait si bien les employer qu'il en tirerait un monde. Alors, avec sa passion, tout s'élargit, il ne vécut plus que de cette pensée grisante, les répandre en aumÎnes sans fin, en noyer la France heureuse ; et il s'attendrissait, car il était d'une probité parfaite, pas un sou ne lui demeurait aux doigts. Ce fut, dans son crùne de visionnaire, une idylle géante, l'idylle d'un inconscient, oÃÂč ne se mÃÂȘlait aucun désir de racheter ses anciens brigandages financiers. D'autant plus que, tout de mÃÂȘme, au bout, il y avait le rÃÂȘve de sa vie entiÚre, sa conquÃÂȘte de Paris. Etre le roi de la charité, le Dieu adoré de la multitude des pauvres, devenir unique et populaire, occuper de lui le monde, cela dépassait son ambition. Quels prodiges ne réaliserait-il pas, s'il employait à ÃÂȘtre bon ses facultés d'homme d'affaires, sa ruse, son obstination, son manque complet de préjugés ! Et il aurait la force irrésistible qui gagne les batailles, l'argent, l'argent à pleins coffres, l'argent qui fait tant de mal souvent et qui ferait tant de bien, le jour oÃÂč l'on mettrait à donner son orgueil et son plaisir ! Puis, agrandissant encore son projet, Saccard en arriva à se demander pourquoi il n'épouserait pas la princesse d'Orviedo. Cela fixerait les positions, empÃÂȘcherait les interprétations mauvaises. Pendant un mois, il manoeuvra adroitement, exposa des plans superbes, crut se rendre indispensable ; et un jour, d'une voix tranquille, redevenu naïf, il fit sa proposition, développa son grand projet. C'était une véritable association qu'il offrait, il se donnait comme le liquidateur des sommes volées par le prince, il s'engageait à les rendre aux pauvres, décuplées. D'ailleurs, la princesse, dans son éternelle robe noire, avec son fichu de dentelle sur la tÃÂȘte, l'écouta attentivement, sans qu'une émotion quelconque animùt sa face jaune. Elle était trÚs frappée des avantages que pourrait avoir une association pareille, indifférente, du reste, aux autres considérations. Puis, ayant remis sa réponse au lendemain, elle finit par refuser sans doute elle avait réfléchi qu'elle ne serait plus seule maÃtresse de ses aumÎnes, et elle entendait en disposer en souveraine absolue, mÃÂȘme follement. Mais elle expliqua qu'elle serait heureuse de le garder comme conseiller, elle montra combien précieuse elle estimait sa collaboration, en le priant de continuer à s'occuper de l'Oeuvre du Travail, dont il était le véritable directeur. Toute une semaine, Saccard éprouva un violent chagrin, ainsi qu'à la perte d'une idée chÚre ; non pas qu'il se sentÃt retomber au gouffre du brigandage ; mais, de mÃÂȘme qu'une romance sentimentale met des larmes aux yeux des ivrognes les plus abjects, cette colossale idylle du bien fait à coups de millions avait attendri sa vieille ùme de corsaire. Il tombait une fois encore, et de trÚs haut il lui semblait ÃÂȘtre détrÎné. Par l'argent, il avait toujours voulu, en mÃÂȘme temps que la satisfaction de ses appétits, la magnificence d'une vie princiÚre ; et jamais il ne l'avait eue, assez haute. Il s'enrageait, à mesure que chacune de ses chutes emportait un espoir. Aussi, lorsque son projet croula devant le refus tranquille et net de la princesse, se trouva-t-il rejeté à une furieuse envie de bataille. Se battre, ÃÂȘtre le plus fort dans la dure guerre de la spéculation, manger les autres pour ne pas qu'ils vous mangent, c'était, aprÚs sa soif de splendeur et de jouissance, la grande cause, l'unique cause de sa passion des affaires. S'il ne thésaurisait pas, il avait l'autre joie, la lutte des gros chiffres, les fortunes lancées comme des corps d'armée, les chocs des millions adverses, avec les déroutes, avec les victoires, qui le grisaient. Et tout de suite reparut sa haine de Gundermann, son effréné besoin de revanche abattre Gundermann, cela le hantait d'un désir chimérique, chaque fois qu'il était par terre, vaincu. S'il sentait l'enfantillage d'une pareille tentative, ne pourrait-il du moins l'entamer, se faire une place en face de lui, le forcer au partage, comme ces monarques de contrées voisines et d'égale puissance, qui se traitent de cousins ? Ce fut alors que, de nouveau, la Bourse l'attira, la tÃÂȘte emplie d'affaires à lancer, sollicité en tous sens par des projets contraires, dans une telle fiÚvre, qu'il ne sut que décider, jusqu'au jour oÃÂč une idée suprÃÂȘme, démesurée, se dégagea des autres et s'empara peu à peu de lui tout entier. Depuis qu'il habitait l'hÎtel d'Orviedo, Saccard apercevait parfois la soeur de l'ingénieur Hamelin qui habitait le petit appartement du second, une femme d'une taille admirable, Mme Caroline, comme on la nommait familiÚrement. Surtout, ce qui l'avait frappé, à la premiÚre rencontre, c'était ses cheveux blancs superbes, une royale couronne de cheveux blancs, d'un si singulier effet sur ce front de femme jeune encore, ùgée de trente-six ans à peine. DÚs vingt-cinq ans, elle était ainsi devenue toute blanche. Ses sourcils, restés noirs et trÚs fournis, gardaient une jeunesse, une étrangeté vive à son visage encadré d'hermine. Elle n'avait jamais été jolie, avec son menton et son nez trop forts, sa bouche large dont les grosses lÚvres exprimaient une bonté exquise. Mais, certainement, cette toison blanche, cette blancheur envolée de fins cheveux de soie, adoucissait sa physionomie un peu dure, lui donnait un charme souriant de grand-mÚre, dans une fraÃcheur et une force de belle amoureuse. Elle était grande, solide, la démarche franche et trÚs noble. Chaque fois qu'il la rencontrait, Saccard, plus petit qu'elle, la suivait des yeux, intéressé, enviant sourdement cette taille haute, cette carrure saine. Et, peu à peu, par l'entourage, il connut toute l'histoire des Hamelin. Ils étaient, Caroline et Georges, les enfants d'un médecin de Montpellier, savant remarquable, catholique exalté, mort sans fortune. Lorsque le pÚre s'en alla, la fille avait dix-huit ans, le garçon dix-neuf ; et, comme celui-ci venait d'entrer à l'Ecole polytechnique, elle le suivit à Paris, oÃÂč elle se plaça institutrice. Ce fut elle qui lui glissa des piÚces de cent sous, qui l'entretint d'argent de poche, pendant les deux années de cours ; plus tard, lorsque, sorti dans un mauvais rang, il dut battre le pavé, ce fut elle encore qui le soutint, en attendant qu'il trouvùt une situation. Ces deux enfants s'adoraient, faisaient le rÃÂȘve de ne se quitter jamais. Pourtant, un mariage inespéré s'étant présenté, la bonne grùce et l'intelligence vive de la jeune fille ayant conquis un brasseur millionnaire, dans la maison oÃÂč elle était en place, Georges voulut qu'elle acceptùt ce dont il se repentit cruellement, car, au bout de quelques années de ménage, Caroline fut obligée d'exiger une séparation pour ne pas ÃÂȘtre tuée par son mari, qui buvait et la poursuivait avec un couteau, dans des crises d'imbécile jalousie. Elle était alors ùgée de vingt-six ans, elle se retrouvait pauvre, s'étant obstinée à ne réclamer aucune pension de l'homme qu'elle quittait. Mais son frÚre avait enfin, aprÚs bien des tentatives, mis la main sur une besogne qui lui plaisait il allait partir pour l'Egypte, avec la Commission chargée des premiÚres études du canal de Suez ; et il emmena sa soeur, elle s'installa vaillamment à Alexandrie, recommença à donner des leçons, pendant que lui courait le pays. Ils restÚrent ainsi en Egypte jusqu'en 1859, ils assistÚrent aux premiers coups de pioche sur la plage de Port- Saïd une maigre équipe de cent cinquante terrassiers à peine, perdue au milieu des sables, commandée par une poignée d'ingénieurs. Puis, Hamelin, envoyé en Syrie pour assurer les approvisionnements, y resta, à la suite d'une fùcherie avec ses chefs. Il fit venir Caroline à Beyrouth, oÃÂč d'autres élÚves l'attendaient, il se lança dans une grosse affaire, patronnée par une compagnie française, le tracé d'une route carrossable de Beyrouth à Damas, la premiÚre, l'unique voie ouverte à travers les gorges du Liban ; et ils vécurent encore trois années là , jusqu'à l'achÚvement de la route, lui visitant les montagnes, s'absentant deux mois pour un voyage à Constantinople, à travers le Taurus, elle le suivant dÚs qu'elle pouvait s'échapper, épousant les projets de réveil qu'il faisait, à battre cette vieille terre endormie sous la cendre des civilisations mortes. Il avait amassé tout un portefeuille débordant d'idées et de plans, il sentait l'impérieuse nécessité de rentrer en France, s'il voulait donner un corps à ce vaste ensemble d'entreprises, former des sociétés, trouver des capitaux. Et, aprÚs neuf années de séjour en Orient, ils partirent, ils eurent la curiosité de repasser par l'Egypte, oÃÂč les travaux du canal de Suez les enthousiasmÚrent une ville avait poussé en quatre ans dans les sables de la plage de Port-Saïd, tout un peuple s'agitait là , les fourmis humaines s'étaient multipliées, changeaient la face de la terre. Mais, à Paris, une malchance noire attendait Hamelin. Depuis quinze mois, il s'y débattait avec ses projets, sans pouvoir communiquer sa foi à personne, trop modeste, peu bavard, échoué à ce deuxiÚme étage de l'hÎtel d'Orviedo, dans un petit appartement de cinq piÚces qu'il louait douze cents francs, plus loin du succÚs que lorsqu'il courait les monts et les plaines de l'Asie. Leurs économies s'épuisaient rapidement, le frÚre et la soeur en arrivaient à une grande gÃÂȘne. Ce fut mÃÂȘme ce qui intéressa Saccard, cette tristesse croissante de Mme Caroline, dont la belle gaieté s'assombrissait du découragement oÃÂč elle voyait tomber son frÚre. Dans leur ménage, elle était un peu l'homme. Georges, qui lui ressemblait beaucoup physiquement, en plus frÃÂȘle, avec des facultés de travail rares ; mais il s'absorbait dans ses études, il ne fallait point l'en sortir. Jamais il n'avait voulu se marier, n'en éprouvant pas le besoin, adorant sa soeur, ce qui lui suffisait. Il devait avoir des maÃtresses d'un jour, qu'on ne connaissait pas. Et cet ancien piocheur de l'Ecole polytechnique, aux conceptions si vastes, d'un zÚle si ardent pour tout ce qu'il entreprenait, montrait parfois une telle naïveté, qu'on l'aurait jugé un peu sot. Elevé dans le catholicisme le plus étroit, il avait gardé sa religion d'enfant, il pratiquait, trÚs convaincu ; tandis que sa soeur s'était reprise par une lecture immense, par toute la vaste instruction qu'elle se donnait à son cÎté, aux longues heures oÃÂč il s'enfonçait dans ses travaux techniques. Elle parlait quatre langues, elle avait lu les économistes, les philosophes, passionnée un instant pour les théories socialistes et évolutionnistes ; mais elle s'était calmée, elle devait surtout à ses voyages, à son long séjour parmi des civilisations lointaines, une grande tolérance, un bel équilibre de sagesse. Si elle ne croyait plus, elle demeurait trÚs respectueuse de la foi de son frÚre. Entre eux, il y avait eu une explication, et jamais ils n'en avaient reparlé. Elle était une intelligence, dans sa simplicité et sa bonhomie ; et, d'un courage à vivre extraordinaire, d'une bravoure joyeuse qui résistait aux cruautés du sort, elle avait coutume de dire qu'un seul chagrin était resté saignant en elle, celui de n'avoir pas eu d'enfant. Saccard put rendre à Hamelin un service, un petit travail qu'il lui procura, des commanditaires qui avaient besoin d'un ingénieur pour un rapport sur le rendement d'une machine nouvelle. Et il força ainsi l'intimité du frÚre et de la soeur, il monta fréquemment passer une heure entre eux, dans leur salon, leur seule grande piÚce, qu'ils avaient transformée en cabinet de travail. Cette piÚce restait d'une nudité absolue, meublée seulement d'une longue table à dessiner, d'une autre table plus petite, encombrée de papiers, et d'une demi-douzaine de chaises. Sur la cheminée, des livres s'empilaient. Mais, aux murs, une décoration improvisée égayait ce vide, une série de plans, une suite d'aquarelles claires, chaque feuille fixée avec quatre clous. C'était son portefeuille de projets qu'Hamelin avait ainsi étalé, les notes prises en Syrie, toute sa fortune future ; et les aquarelles étaient de Mme Caroline, des vues de là -bas, des types, des costumes, ce qu'elle avait remarqué et croqué en accompagnant son frÚre, avec un sens trÚs personnel de coloriste, sans aucune prétention d'ailleurs. Deux larges fenÃÂȘtres, ouvrant sur le jardin de l'hÎtel Beauvilliers, éclairaient d'une lumiÚre vive cette débandade de dessins, qui évoquait une vie autre, le rÃÂȘve d'une antique société tombant en poudre, que les épures, aux lignes fermes et mathématiques, semblaient vouloir remettre debout, comme sous l'étayement du solide échafaudage de la science moderne. Et quand il se fut rendu utile, avec cette dépense d'activité qui le faisait charmant, Saccard s'oublia surtout devant les plans et les aquarelles, séduit, demandant sans cesse de nouvelles explications. Dans sa tÃÂȘte, tout un vaste lançage germait déjà . Un matin, il trouva Mme Caroline seule, assise à la petite table dont elle avait fait son bureau. Elle était mortellement triste, les mains abandonnées parmi les papiers. " Que voulez-vous ? cela tourne décidément mal... je suis brave pourtant. Mais tout va nous manquer à la fois ; et ce qui me navre, c'est l'impuissance ou le malheur réduit mon pauvre frÚre, car il n'est vaillant, il n'a de force qu'au travail... J'avais songé à me replacer institutrice quelque part, pour l'aider au moins. J'ai cherché et je n'ai rien trouvé... Pourtant, je ne puis pas me mettre à faire des ménages. " Jamais Saccard ne l'avait vue ainsi démontée, abattue. " Que diable ! vous n'en ÃÂȘtes pas là ! " cria-t-il. Elle hocha la tÃÂȘte, elle se montrait amÚre contre la vie, qu'elle acceptait d'habitude si gaillardement, mÃÂȘme mauvaise. Et Hamelin étant rentré à ce moment, rapportant la nouvelle d'un dernier échec, elle eut de grosses larmes lentes, elle ne parla plus, les poings serrés, à sa table, les yeux perdus devant elle. " Et dire, laissa échapper Hamelin, qu'il y a, là -bas, des millions qui nous attendent, si quelqu'un voulait seulement m'aider à les gagner ! " Saccard s'était planté devant une épure représentant l'élévation d'un pavillon construit au centre de vastes magasins. " Qu'est-ce donc ? demanda-t-il. - Oh ! je me suis amusé, expliqua l'ingénieur. C'est un projet d'habitation " là -bas, à Beyrouth, pour le directeur de la Compagnie que j'ai rÃÂȘvée, vous savez, la Compagnie générale des Paquebots réunis. " Il s'animait, il donna de nouveaux détails. Pendant son séjour en Orient, il avait constaté combien le service des transports était défectueux. Les quelques sociétés, installées à Marseille, se tuaient par la concurrence, n'arrivaient pas à avoir le matériel suffisant et confortable ; et une de ses premiÚres idées, à la base mÃÂȘme de tout l'ensemble de ses entreprises, était de syndiquer ces sociétés, de les réunir en une vaste Compagnie, pourvue de millions, qui exploiterait la Méditerranée entiÚre et s'en assurerait la royauté, en établissant des lignes pour tous les ports de l'Afrique, de l'Espagne, de l'Italie, de la GrÚce, de l'Egypte, de l'Asie, jusqu'au fond de la mer Noire. Rien n'était à la fois, d'un organisateur de plus de flair, ni d'un meilleur citoyen c'était l'Orient conquis, donné à la France, sans compter qu'il rapprochait ainsi la Syrie, oÃÂč allait s'ouvrir le vaste champ de ses opérations. " Les syndicats, murmura Saccard, l'avenir semble ÃÂȘtre là , aujourd'hui... C'est une forme si puissante de l'association ! Trois ou quatre petites entreprises, qui végÚtent isolément, deviennent d'une vitalité et d'une prospérité irrésistibles, si elles se réunissent... Oui, demain est aux gros capitaux, aux efforts centralisés des grandes masses. Toute l'industrie, tout le commerce finiront par n'ÃÂȘtre qu'un immense bazar unique, oÃÂč l'on s'approvisionnera de tout. " Il s'était arrÃÂȘté encore, debout cette fois devant une aquarelle qui représentait un site sauvage, une gorge aride, que bouchait un écroulement gigantesque de rochers, couronnés de broussailles. " Oh ! oh ! reprit-il, voici le bout du monde. On ne doit pas ÃÂȘtre coudoyé par les passants dans ce coin-là . - Une gorge du Carmel, répondit Hamelin Ma soeur a pris ça, pendant les études que j'ai faites de ce cÎté. " Et il ajouta simplement " Tenez ! entre les calcaires crétacés et les porphyres qui ont relevé ces calcaires, sur tout le flanc de la montagne, il y a là un filon d'argent sulfuré considérable, oui ! une mine d'argent dont l'exploitation, d'aprÚs mes calculs, assurerait des bénéfices énormes. - Une mine d'argent " , répéta vivement Saccard. Mme Caroline, les yeux toujours au loin, dans sa tristesse, avait entendu ; et, comme si une vision se fût évoquée " Le Carmel, ah ! quel désert, quelles journées de solitude ! C'est plein de myrtes et de genÃÂȘts, cela sent bon l'air tiÚde en est embaumé. Et il y a des aigles, sans cesse, qui planent trÚs haut... Mais tout cet argent qui dort dans ce sépulcre, à cÎté de tant de misÚre. On voudrait des foules heureuses, des chantiers, des villes naissantes, un peuple régénéré par le travail. - Une route serait facilement ouverte du Carmel à Saint-Jean-d'Acre, continua Hamelin. Et je crois bien qu'on découvrirait également du fer, car il abonde dans les montagnes du pays... J'ai aussi étudié un nouveau mode d'extraction, qui réaliserait d'importantes économies. Tout est prÃÂȘt, il ne s'agit plus que de trouver des capitaux. - La Société des mines d'argent du Carmel ! " murmura Saccard. Mais c'était maintenant l'ingénieur qui, les regards levés, allait d'un plan à l'autre, repris par le labeur de toute sa vie, enfiévré à la pensée de l'avenir éclatant qui dormait là , pendant que la gÃÂȘne le paralysait. " Et ce ne sont que les petites affaires du début, reprit-il. Regardez cette série de plans, c'est ici le grand coup, tout un systÚme de chemins de fer traversant l'Asie Mineure, de part en part... Le manque de communications commodes et rapides, telle est la cause premiÚre de la stagnation oÃÂč croupit ce pays si riche. Vous n'y trouveriez pas une voie carrossable, les voyages et les transports s'y font toujours à dos de mulet ou de chameau... Imaginez alors quelle révolution, si des lignes ferrées pénétraient jusqu'aux confins du désert ! Ce serait l'industrie et le commerce décuplés, la civilisation victorieuse, l'Europe s'ouvrant enfin les portes de l'Orient... Oh ! pour peu que cela vous intéresse, nous en causerons en détail. Et vous verrez, vous verrez ! " Tout de suite, du reste, il ne put s'empÃÂȘcher d'entrer dans des explications. C'était surtout pendant son voyage à Constantinople, qu'il avait étudié le tracé de son systÚme de chemins de fer. La grande, l'unique difficulté se trouvait dans la traversée des monts Taurus ; mais il avait parcouru les différents cols, il affirmait la possibilité d'un tracé direct et relativement peu dispendieux. D'ailleurs, il ne songeait pas à exécuter d'un coup le systÚme complet. Lorsqu'on aurait obtenu du sultan la concession totale, il serait sage de n'entreprendre d'abord que la branche mÚre, la ligne de Brousse à Beyrouth par Angora et Alep. Plus tard, on songerait à l'embranchement de Smyrne à Angora, et à celui de Trébizonde à Angora, par Erzeroum et Sivas. " Plus tard, plus tard encore... " , continua-t-il. Et il n'acheva pas, il se contentait de sourire, n'osant dire jusqu'oÃÂč il avait poussé l'audace de ses projets. C'était le rÃÂȘve. " Ah ! les plaines au pied du Taurus, reprit Mme Caroline de sa voix lente de dormeuse éveillée, quel paradis délicieux ! On n'a qu'à gratter la terre, les moissons poussent, débordantes. Les arbres fruitiers, les pÃÂȘchers, les cerisiers, les figuiers, les amandiers, cassent sous les fruits. Et quels champs d'oliviers et de mûriers, pareils à de grands bois ! Et quelle existence naturelle et facile, dans cet air léger, constamment bleu ! " Saccard se mit à rire, de ce rire aigu de bel appétit, qu'il avait lorsqu'il flairait la fortune. Et, comme Hamelin parlait encore d'autres projets, notamment de la création d'une banque à Constantinople, en disant un mot des relations toutes-puissantes qu'il y avait laissées, surtout prÚs du grand vizir, il l'interrompit gaiement. " Mais c'est un pays de cocagne, on en vendrait ! " Puis, trÚs familier, appuyant les deux mains aux épaules de Mme Caroline, toujours assise " Ne vous désespérez donc pas, madame ! Je vous aime bien, vous verrez que je ferai avec votre frÚre quelque chose de trÚs bon pour nous tous... Ayez de la patience. Attendez. " Pendant le mois qui suivit, Saccard procura de nouveau à l'ingénieur quelques petits travaux ; et, s'il ne reparlait plus des grandes affaires, il devait y penser constamment, préoccupé, hésitant devant l'ampleur écrasante des entreprises. Mais ce qui resserra davantage le lien naissant de leur intimité, ce fut la façon toute naturelle dont Mme Caroline vint à s'occuper de son intérieur d'homme seul, dévoré de frais inutiles, d'autant plus mal servi qu'il avait davantage de serviteurs. Lui, si habile au-dehors, réputé pour sa main vigoureuse et adroite dans le gùchis des grands vols, laissait aller chez lui tout à la débandade, insoucieux du coulage effrayant qui triplait ses dépenses ; et l'absence d'une femme se faisait aussi cruellement sentir, jusque dans les plus petites choses. Lorsque Mme Caroline s'aperçut du pillage, elle lui donna d'abord des conseils, puis finit par s'entremettre et lui faire réaliser deux ou trois économies ; si bien qu'en riant, un jour, il lui offrit d'ÃÂȘtre son intendante pourquoi pas ? elle avait cherché une place d'institutrice, elle pouvait bien accepter une situation honorable pour elle, qui lui permettrait d'attendre. L'offre, faite en maniÚre de plaisanterie, devint sérieuse. N'était-ce pas une façon de s'occuper, de soulager son frÚre, avec les trois cents francs que Saccard voulait donner par mois ? Et elle accepta, elle réforma la maison en huit jours, renvoya le chef et sa femme pour ne prendre qu'une cuisiniÚre, qui, avec le valet de chambre et le cocher, devait suffire au service. Elle ne garda aussi qu'un cheval et une voiture, prit la haute main sur tout, examina les comptes avec un soin si scrupuleux, qu'à la fin de la premiÚre quinzaine elle avait obtenu une réduction de moitié. Il était ravi, il plaisantait en disant que c'était lui qui la volait maintenant, et qu'elle aurait dû exiger un tant pour cent sur tous les bénéfices qu'elle lui faisait faire. Alors, une vie trÚs étroite avait commencé. Saccard venait d'avoir l'idée de faire enlever les vis qui condamnaient la porte de communication entre les deux appartements, et l'on remontait librement, d'une salle à manger dans l'autre, par l'escalier intérieur ; de sorte que, pendant que son frÚre travaillait en haut, enfermé du matin au soir pour mettre en ordre ses dossiers d'Orient, Mme Caroline, laissant son propre ménage aux soins de l'unique bonne qui les servait, descendait à chaque heure de la journée, donner des ordres, comme chez elle. C'était devenu la joie de Saccard, la continuelle apparition de cette grande belle femme, qui traversait les piÚces de son pas solide et superbe, avec la gaieté toujours inattendue de ses cheveux blancs, envolés autour de son jeune visage. Elle était de nouveau trÚs gaie, elle avait retrouvé sa bravoure à vivre, depuis qu'elle se sentait utile, occupant ses heures, continuellement debout. Sans affectation de simplicité, elle ne portait plus qu'une robe noire, dans la poche de laquelle on entendait la sonnerie claire du trousseau de clefs ; et cela l'amusait certainement, elle la savante, la philosophe, de n'ÃÂȘtre plus qu'une bonne femme de ménage, la gouvernante d'un prodigue, qu'elle se mettait à aimer, comme on aime les enfants mauvais sujets. Lui, un instant trÚs séduit, calculant qu'il n'y avait aprÚs tout qu'une différence de quatorze ans entre eux, s'était demandé ce qu'il arriverait, s'il la prenait un beau soir entre ses bras. Etait-il admissible que, depuis dix ans, depuis sa fuite forcée de chez son mari, dont elle avait reçu autant de coups que de caresses, elle eût vécu en guerriÚre voyageuse, sans voir un homme ? Peut-ÃÂȘtre les voyages l'avaient-ils protégée. Cependant, il savait qu'un ami de son frÚre, un M. Beaudoin, un négociant resté à Beyrouth, et dont le retour était prochain, l'avait beaucoup aimée, au point d'attendre pour l'épouser la mort de son mari, qu'on venait d'enfermer dans une maison de santé, fou d'alcoolisme. Evidemment, ce mariage n'aurait fait que régulariser une situation bien excusable, presque légitime. DÚs lors, puisqu'il devait y en avoir eu un, pourquoi n'aurait-il pas été le second ? Mais Saccard en restait au raisonnement, la trouvant si bonne camarade, que la femme souvent disparaissait. Lorsque, à la voir passer, avec sa taille admirable, il se posait sa question savoir ce qu'il arriverait s'il l'embrassait, il se répondait qu'il arriverait des choses fort ordinaires, ennuyeuses peut-ÃÂȘtre ; et il remettait l'expérience à plus tard, il lui donnait des poignées de main vigoureuses, heureux de sa cordialité. Puis, tout d'un coup, Mme Caroline retomba à un grand chagrin. Un matin, elle descendit abattue, trÚs pùle, les yeux gros ; et il ne put rien apprendre d'elle ; il cessa de l'interroger devant son obstination à dire qu'elle n'avait rien, qu'elle était comme tous les jours. Ce fut le lendemain seulement qu'il comprit, en trouvant en haut une lettre de faire part, la lettre qui annonçait le mariage de M. Beaudoin avec la fille d'un consul anglais, trÚs jeune et immensément riche. Le coup avait dû ÃÂȘtre d'autant plus dur, que la nouvelle était arrivée par cette lettre banale, sans aucune préparation, sans mÃÂȘme un adieu. C'était tout un écroulement dans l'existence de la malheureuse femme, la perte de l'espoir lointain oÃÂč elle se raccrochait, aux heures de désastre. Et, le hasard ayant, lui aussi, des cruautés abominables, elle avait justement appris, l'avant-veille, que son mari était mort, elle venait enfin de croire, pendant quarante-huit heures, à la réalisation prochaine de son rÃÂȘve. Sa vie s'effondrait, elle en restait anéantie. Le soir mÃÂȘme, une autre stupeur l'attendait comme, à son habitude, avant de remonter se coucher, elle entrait chez Saccard causer des ordres du lendemain, il lui parla de son malheur, si doucement, qu'elle éclata en sanglots ; puis, dans cet attendrissement invincible, dans une sorte de paralysie de sa volonté, elle se trouva entre ses bras, elle lui appartint, sans joie ni pour l'un ni pour l'autre. Quand elle se reprit, elle n'eut pas de révolte, mais sa tristesse en fut accrue, à l'infini. Pourquoi avait- elle laissé s'accomplir cette chose ? elle n'aimait pas cet homme, lui- mÃÂȘme ne devait pas l'aimer. Ce n'était point qu'il lui parût d'un ùge et d'une figure indignes de tendresse ; sans beauté certes, et vieux déjà , il l'intéressait par la mobilité de ses traits, par l'activité de toute sa petite personne noire ; et, l'ignorant encore, elle voulait le croire serviable, d'une intelligence supérieure, capable de réaliser les grandes entreprises de son frÚre, avec l'honnÃÂȘteté moyenne de tout le monde. Seulement, quelle chute imbécile ! Elle, si sage, si instruite par la dure expérience, si maÃtresse d'elle-mÃÂȘme, avoir ainsi succombé, sans savoir pourquoi ni comment, dans une crise de larmes, en grisette sentimentale ! Le pis était qu'elle le sentait, autant qu'elle, étonné, presque fùché de l'aventure. Lorsque, cherchant à la consoler, il lui avait parlé de M. Beaudoin comment d'un amant ancien, dont la basse trahison ne méritait que l'oubli, et qu'elle s'était récriée, en jurant que jamais rien ne s'était passé entre eux, il avait d'abord cru qu'elle mentait, par une fierté de femme ; mais elle était revenue sur ce serment avec tant de force, elle montrait des yeux si beaux, si clairs de franchise, qu'il avait fini par ÃÂȘtre convaincu de la vérité de cette histoire, elle par droiture et dignité se gardant pour le jour des noces, l'homme patientant deux années, puis se lassant et en épousant une autre, quelque occasion trop tentante de jeunesse et de richesse. Et le singulier était que cette découverte, cette conviction qui aurait dû passionner Saccard, l'emplissait au contraire d'une sorte d'embarras, tellement il comprenait la fatalité sotte de sa bonne fortune. Du reste, ils ne recommencÚrent pas, puisque ni l'un ni l'autre ne paraissait en avoir l'envie. Pendant quinze jours, Mme Caroline resta ainsi affreusement triste. La force de vivre, cette impulsion qui fait de la vie une nécessité et une joie, l'avait abandonnée. Elle vaquait à ses occupations si multiples, mais comme absente, sans s'illusionner mÃÂȘme sur la raison et l'intérÃÂȘt des choses. C'était la machine humaine travaillant dans le désespoir du néant de tout. Et, au milieu de ce naufrage de sa bravoure et de sa gaieté, elle ne goûtait qu'une distraction, celle de passer toutes ses heures libres le front aux vitres d'une fenÃÂȘtre du grand cabinet de travail, les regards fixés sur le jardin de l'hÎtel voisin, cet hÎtel Beauvilliers, oÃÂč, depuis les premiers jours de son installation, elle devinait une détresse, une de ces misÚres cachées, si navrantes dans leur effort à sauvegarder les apparences. Il y avait là aussi des ÃÂȘtres qui souffraient, et son chagrin était comme trempé de ces larmes, elle agonisait de mélancolie, jusqu'à se croire insensible et morte dans la douleur des autres. Ces Beauvilliers, qui autrefois, sans compter leurs immenses domaines de la Touraine et de l'Anjou, possédaient, rue de Grenelle, un hÎtel magnifique, n'avaient plus à Paris que cette ancienne maison de plaisance, bùtie en dehors de la ville au commencement du siÚcle dernier, et qui se trouvait aujourd'hui enclavée parmi les constructions noires de la rue Saint-Lazare. Les quelques beaux arbres du jardin restaient là comme au fond d'un puits, la mousse mangeait les marches du perron, émietté et fendu. On eût dit un coin de nature mis en prison, un coin doux et morne, d'une muette désespérance, oÃÂč le soleil ne descendait plus qu'en un jour verdùtre, dont le frisson glaçait les épaules. Et, dans cette paix humide de cave, en haut de ce perron disjoint, la premiÚre personne que Mme Caroline avait aperçue était la comtesse de Beauvilliers, une grande femme maigre de soixante ans, toute blanche, l'air trÚs noble, un peu surannée. Avec son grand nez droit, ses lÚvres minces, son cou particuliÚrement long, elle avait l'air d'un cygne trÚs ancien, d'une douceur désolée. Puis, derriÚre elle, presque aussitÎt, s'était montrée sa fille, Alice de Beauvilliers, ùgée de vingt-cinq ans, mais si appauvrie, qu'on l'aurait prise pour une fillette, sans le teint gùté et les traits déjà tirés du visage. C'était la mÚre encore, chétive, moins l'aristocratique noblesse, le cou allongé jusqu'à la disgrùce, n'ayant plus que le charme pitoyable d'une fin de grande race. Les deux femmes vivaient seules, depuis que le fils, Ferdinand de Beauvilliers, s'était engagé dans les zouaves pontificaux, à la suite de la bataille de Castelfidardo, perdue par LamoriciÚre. Tous les jours, lorsqu'il ne pleuvait pas, elles apparaissaient ainsi, l'une derriÚre l'autre, elles descendaient le perron, faisaient le tour de l'étroite pelouse centrale, sans échanger une parole ; il n'y avait que des bordures de lierre, les fleurs n'auraient pas poussé, ou peut-ÃÂȘtre auraient-elles coûté trop cher. Et cette promenade lente, sans doute une simple promenade de santé, par ces deux femmes si pùles, sous ces arbres centenaires qui avaient vu tant de fÃÂȘtes et que les bourgeoises maisons du voisinage étouffaient, prenait une mélancolique douleur, comme si elles eussent promené le deuil des vieilles choses mortes. Alors, intéressée, Mme Caroline avait guetté ses voisines par une sympathie tendre, sans curiosité mauvaise ; et, peu à peu, dominant le jardin, elle pénétra leur vie, qu'elles cachaient avec un soin jaloux, sur la rue. Il y avait toujours un cheval dans l'écurie, une voiture sous la remise, que soignait un vieux domestique, à la fois valet de chambre, cocher et concierge ; de mÃÂȘme qu'il y avait une cuisiniÚre, qui servait aussi de femme de chambre ; mais, si la voiture sortait de la grand-porte, correctement attelée, menant ces dames à leurs courses, si la table gardait un certain luxe, l'hiver, aux dÃners de quinzaine oÃÂč venaient quelques amis, par quels longs jeûnes, par quelles sordides économies de chaque heure était achetée cette apparence menteuse de fortune ! Dans un petit hangar, à l'abri des yeux, c'étaient de continuels lavages, pour réduire la note de la blanchisseuse, de pauvres nippes usées par le savon, rapiécées fil à fil ; c'étaient quatre légumes épluchés pour le repas du soir, du pain qu'on faisait rassir sur une planche, afin d'en manger moins ; c'étaient toutes sortes de pratiques avaricieuses, infimes et touchantes, le vieux cocher recousant les bottines trouées de mademoiselle, la cuisiniÚre noircissant a l'encre les bouts de gants trop défraÃchis de madame ; et les robes de la mÚre qui passaient à la fille aprÚs d'ingénues transformations, et les chapeaux qui duraient des années, grùce à des échanges de fleurs et de rubans. Lorsqu'on n'attendait personne, les salons de réception, au rez-de-chaussée, étaient fermés soigneusement, ainsi que les grandes chambres du premier étage ; car, de toute cette vaste habitation, les deux femmes n'occupaient plus qu'une étroite piÚce, dont elles avaient fait leur salle à manger et leur boudoir. Quand la fenÃÂȘtre s'entrouvrait, on pouvait apercevoir la comtesse raccommodant son linge, comme une petite bourgeoise besogneuse ; tandis que la jeune fille, entre son piano et sa boÃte d'aquarelle, tricotait des bas et des mitaines pour sa mÚre. Un jour de gros orage, toutes deux furent vues descendant au jardin, ramassant le sable que la violence de la pluie emportait. Maintenant, Mme Caroline savait leur histoire. La comtesse de Beauvilliers avait beaucoup souffert de son mari, qui était un débauché, et dont elle ne s'était jamais plainte. Un soir, on le lui avait rapporté, à VendÎme, rùlant, avec un coup de feu au travers du corps. On avait parlé d'un accident de chasse quelque balle envoyée par un garde jaloux, dont il devait avoir pris la femme ou la fille. Et le pis était que s'anéantissait avec lui cette fortune des Beauvilliers, autrefois colossale, assise sur des terres immenses, des domaines royaux, que la Révolution avait déjà trouvée amoindrie, et que son pÚre et lui venaient d'achever. De ces vastes biens fonciers, une seule ferme demeurait, les Aublets, à quelques lieues de VendÎme, rapportant environ quinze mille francs de rente, l'unique ressource de la veuve et de ses deux enfants. L'hÎtel de la rue de Grenelle était depuis longtemps vendu, celui de la rue Saint-Lazare mangeait la grosse part des quinze mille francs de la ferme, écrasé d'hypothÚques, menacé d'ÃÂȘtre mis en vente à son tour, si l'on ne payait pas les intérÃÂȘts ; et il ne restait guÚre que six ou sept mille francs pour l'entretien de quatre personnes, ce train d'une noble famille qui ne voulait pas abdiquer. Il y avait déjà huit ans, lorsqu'elle était devenue veuve, avec un garçon de vingt ans et une fille de dix-sept, au milieu de l'écroulement de sa maison, la comtesse s'était raidie dans son orgueil nobiliaire, en se jurant qu'elle vivrait de pain plutÎt que de déchoir. DÚs lors, elle n'avait plus eu qu'une pensée, se tenir debout à son rang, marier sa fille à un homme d'égale noblesse, faire de son fils un soldat. Ferdinand lui avait causé d'abord de mortelles inquiétudes, à la suite de quelques folies de jeunesse, des dettes qu'il fallut payer ; mais, averti de leur situation en un solennel entretien, il n'avait pas recommencé, coeur tendre au fond, simplement oisif et nul, écarté de tout emploi, sans place possible dans la société contemporaine. Maintenant, soldat du pape, il était toujours pour elle une cause d'angoisse secrÚte, car il manquait de santé, délicat sous son apparence fiÚre, de sang épuisé et pauvre, ce qui lui rendait le climat de Rome dangereux. Quant au mariage d'Alice, il tardait tellement, que la triste mÚre en avait les yeux pleins de larmes, quand elle la regardait, vieillie déjà , se flétrissant à attendre. Avec son air d'insignifiance mélancolique, elle n'était point sotte, elle aspirait ardemment à la vie, à un homme qui l'aurait aimée, à du bonheur ; mais, ne voulant pas désoler davantage la maison, elle feignait d'avoir renoncé à tout, plaisantant le mariage, disant qu'elle avait la vocation d'ÃÂȘtre vieille fille ; et, la nuit, elle sanglotait dans son oreiller, elle croyait mourir de la douleur d'ÃÂȘtre seule. La comtesse, par ses miracles d'avarice, était pourtant arrivée à mettre de cÎté vingt mille francs, toute la dot d'Alice ; elle avait également sauvé du naufrage quelques bijoux, un bracelet, des bagues, des boucles d'oreilles, qu'on pouvait estimer à une dizaine de mille francs ; dot bien maigre, corbeille de noces dont elle n'osait mÃÂȘme parler, à peine de quoi faire face aux dépenses immédiates, si l'épouseur attendu se présentait. Et, cependant, elle ne voulait pas désespérer, luttant quand mÃÂȘme, n'abandonnant pas un des privilÚges de sa naissance, toujours aussi haute et de fortune convenable, incapable de sortir à pied et de retrancher un entre-mets un soir de réception, mais rognant sur sa vie cachée, se condamnant à des semaines de pommes de terre sans beurre, pour ajouter cinquante francs à la dot éternellement insuffisante de sa fille. C'était un douloureux et puéril héroïsme quotidien, tandis que, chaque jour, la maison croulait un peu plus sur leurs tÃÂȘtes. Cependant, jusque-là , Mme Caroline n'avait point eu l'occasion de parler à la comtesse et à sa fille. Elle finissait par connaÃtre les détails les plus intimes de leur vie, ceux qu'elles croyaient cacher au monde entier, et il n'y avait eu encore entre elles que des échanges de regards, ces regards qui se tournent dans une brusque sensation de sympathie, derriÚre soi. La princesse d'Orviedo devait les rapprocher. Elle avait eu l'idée de créer, pour son Oeuvre du Travail, une sorte de commission de surveillance, composée de dix dames, qui se réunissaient deux fois par mois, visitaient l'Oeuvre en détail, contrÎlaient tous les services. Comme elle s'était réservé de choisir elle-mÃÂȘme ces dames, elle avait désigné, parmi les premiÚres, Mme de Beauvilliers, une de ses grandes amies d'autrefois, devenue simplement sa voisine, aujourd'hui qu'elle s'était retirée du monde. Et il était arrivé que, la commission de surveillance ayant brusquement perdu son secrétaire, Saccard, qui gardait la haute main sur l'administration de l'établissement, venait d'avoir l'idée de recommander Mme Caroline, comme un secrétaire modÚle, qu'on ne trouverait nulle part en effet, la besogne était assez pénible, il y avait beaucoup d'écritures, mÃÂȘme des soins matériels qui répugnaient un peu à ces dames ; et, dÚs le début, Mme Caroline s'était révélée une hospitaliÚre admirable, que sa maternité inassouvie, son amour désespéré des enfants, enflammait d'une tendresse active pour tous ces pauvres ÃÂȘtres, qu'on tùchait de sauver du ruisseau parisien. Donc, à la derniÚre séance de la commission, elle s'était rencontrée avec la comtesse de Beauvilliers ; mais celle-ci ne lui avait adressé qu'un salut un peu froid, cachant sa secrÚte gÃÂȘne, ayant sans doute la sensation qu'elle avait en elle un témoin de sa misÚre. Toutes deux, maintenant, se saluaient, chaque fois que leurs yeux se rencontraient et qu'il y aurait eu une trop grosse impolitesse à feindre de ne pas se reconnaÃtre. Un jour, dans le grand cabinet, pendant qu'Hamelin rectifiait un plan d'aprÚs de nouveaux calculs, et que Saccard, debout, suivait son travail, Mme Caroline, devant la fenÃÂȘtre, comme à son habitude, regardait la comtesse et sa fille faire leur tour de jardin. Ce matin- là , elle leur voyait, aux pieds, des savates qu'une chiffonniÚre n'aurait pas ramassées contre une borne. " Ah ! les pauvres femmes ! murmura-t-elle, que cela doit ÃÂȘtre terrible, cette comédie du luxe qu'elles se croient forcées de jouer. " Et elle se reculait, se cachait derriÚre le rideau de vitrage, de peur que la mÚre ne l'aperçût et ne souffrit davantage d'ÃÂȘtre ainsi guettée. Elle-mÃÂȘme s'était apaisée, depuis trois semaines qu'elle s'oubliait, chaque matin, à cette fenÃÂȘtre le grand chagrin de son abandon s'endormait, il semblait que la vue du désastre des autres lui fit accepter plus courageusement le sien, cet écroulement qu'elle avait cru ÃÂȘtre celui de toute sa vie. De nouveau, elle se surprenait à rire. Un instant encore, elle suivit les deux femmes dans le jardin vert de mousse, d'un air de profonde songerie. Puis, se retournant vers Saccard, vivement " Dites-moi donc pourquoi je ne peux pas ÃÂȘtre triste... Non, ça ne dure pas, ça n'a jamais duré, je ne peux pas ÃÂȘtre triste, quoi qu'il m'arrive... Est-ce de l'égoïsme ? Vraiment, je ne crois pas. Ce serait trop vilain, et d'ailleurs j'ai beau ÃÂȘtre gaie, j'ai le coeur fendu tout de mÃÂȘme au spectacle de la moindre douleur. Arrangez cela, je suis gaie et je pleurerais sur tous les malheurs qui passent, si je ne me retenais, comprenant que le moindre morceau de pain ferait bien mieux leur affaire que mes larmes inutiles. " En disant cela, elle riait de son beau rire de bravoure, en vaillante qui préférait l'action aux apitoiements bavards. " Dieu sait pourtant, continua-t-elle, si j'ai eu lieu de désespérer de tout. Ah ! la chance ne m'a pas gùtée jusqu'ici... AprÚs mon mariage, dans l'enfer oÃÂč je suis tombée, injuriée, battue, j'ai bien cru qu'il ne me restait qu'à me jeter à l'eau. Je ne m'y suis pas jetée, j'étais vibrante d'allégresse, gonflée d'un espoir immense, quinze jours aprÚs, quand je suis partie avec mon frÚre pour l'Orient... Et, lors de notre retour à Paris, lorsque tout a failli nous manquer, j'ai eu des nuits abominables, oÃÂč je nous voyais mourant de faim sur nos beaux projets. Nous ne sommes pas morts, je me suis remise à rÃÂȘver des choses énormes, des choses heureuses qui me faisaient rire parfois toute seule... Et, derniÚrement, quand j'ai reçu ce coup affreux dont je n'ose parler encore, mon coeur a été comme déraciné ; oui, je l'ai positivement senti qui ne battait plus ; je l'ai cru fini, je me suis crue finie, anéantie moi-mÃÂȘme. Puis, pas du tout ! voici que l'existence me reprend, je ris aujourd'hui, demain, j'espérerai ! je voudrai vivre encore, vivre toujours... Est-ce extraordinaire, de ne pas pouvoir ÃÂȘtre triste longtemps ! " Saccard, qui riait lui aussi, haussa les épaules. " Bah ! vous ÃÂȘtes comme tout le monde. C'est l'existence, ça. - Croyez-vous, s'écria-t-elle, étonnée. Il me semble, à moi, qu'il y a des gens si tristes, qui ne sont jamais gais, qui se rendent la vie impossible, tellement ils se la peignent en noir... Oh ! ce n'est pas que je m'abuse sur la douceur et la beauté qu'elle offre. Elle a été trop dure, je l'ai trop vue de prÚs, partout et librement. Elle est exécrable, quand elle n'est pas ignoble. Mais, que voulez-vous ! je l'aime. Pourquoi ? je n'en sais rien. Autour de moi, tout a beau péricliter, s'effondrer, je suis quand mÃÂȘme, dÚs le lendemain, gaie et confiante sur les ruines... J'ai pensé souvent que mon cas est, en petit, celui de l'humanité, qui vit, certes, dans une misÚre affreuse, mais que ragaillardit la jeunesse de chaque génération. A la suite de chacune des crises qui m'abattent, c'est comme jeunesse nouvelle, un printemps dont les promesses de sÚve me réchauffent et me relÚvent le coeur. Cela est tellement vrai, que, aprÚs une grosse peine, si je sors dans la rue, au soleil, tout de suite je me remets à aimer, à espérer, à ÃÂȘtre heureuse. Et l'ùge n'a pas de prise sur moi, j'ai la naïveté de vieillir sans m'en apercevoir... Voyez-vous, j'ai beaucoup trop lu pour une femme, je ne sais plus du tout oÃÂč je vais, pas plus, d'ailleurs, que ce vaste monde ne le sait lui-mÃÂȘme. Seulement, c'est malgré moi, il me semble que je vais, que nous allons tous à quelque chose de trÚs bien et de parfaitement gai. " Elle finissait par tourner à la plaisanterie, émue pourtant, voulant cacher l'attendrissement de son espoir ; tandis que son frÚre, qui avait levé la tÃÂȘte, la regardait avec une adoration pleine de gratitude. " Oh ! toi, déclara-t-il, tu es faite pour les catastrophes, tu es l'amour de la vie ! " Dans ces quotidiennes causeries du matin, une fiÚvre s'était peu à peu déclarée, et si Mme Caroline retournait à cette joie naturelle, inhérente à sa santé mÃÂȘme, cela provenait du courage que leur apportait Saccard, avec sa flamme active des grandes affaires. C'était chose presque décidée, on allait exploiter le fameux portefeuille. Sous les éclats de sa voix aiguÃ, tout s'animait, s'exagérait. D'abord, on mettait la main sur la Méditerranée, on la conquérait, par la Compagnie générale des Paquebots réunis ; et il énumérait les ports de tous les pays du littoral oÃÂč l'on créerait des stations, et il mÃÂȘlait des souvenirs classiques effacés à son enthousiasme d'agioteur, célébrant cette mer, la seule que le monde ancien eût connue, cette mer bleue autour de laquelle la civilisation a fleuri, dont les flots ont baigné les antiques villes, AthÚnes, Rome, Tyr, Alexandrie, Carthage, Marseille, toutes celles qui ont fait l'Europe. Puis, lorsqu'on s'était assuré ce vaste chemin de l'Orient, on débutait là -bas, en Syrie, par la petite affaire de la Société des mines d'argent du Carmel, rien que quelques millions à gagner en passant, mais un excellent lançage, car cette idée d'une mine d'argent, de l'argent trouvé dans la terre, ramassé à la pelle, était toujours passionnante pour le public, surtout quand on pouvait y accrocher l'enseigne d'un nom prodigieux et retentissant comme celui du Carmel. Il y avait aussi là -bas des mines de charbon, du charbon à fleur de roche, qui vaudrait de l'or, lorsque le pays se couvrirait d'usines ; sans compter les autres menues entreprises qui serviraient d'entractes, des créations de banques, des syndicats pour les industries florissantes, une exploitation des vastes forÃÂȘts du Liban, dont les arbres géants pourrissent sur place, faute de routes. Enfin, il arrivait au gros morceau, à la Compagnie des chemins de fer d'Orient, et là , il délirait, car ce réseau de lignes ferrées, jeté d'un bout à l'autre sur l'Asie Mineure, comme un filet, c'était pour lui la spéculation, la vie de l'argent, prenant d'un coup ce vieux monde, ainsi qu'une proie nouvelle, encore intacte, d'une richesse incalculable, cachée sous l'ignorance et la crasse des siÚcles. Il en flairait le trésor, il hennissait comme un cheval de guerre, à l'odeur de la bataille. Mme Caroline, d'un bon sens si solide, trÚs réfractaire d'habitude aux imaginations trop chaudes, se laissait pourtant aller à cet enthousiasme, n'en voyait plus nettement l'outrance. A la vérité, cela caressait en elle sa tendresse pour l'Orient, son regret de cet admirable pays, oÃÂč elle s'était crue heureuse ; et, sans calcul, par un contre-effet logique, c'était elle, ses descriptions colorées, ses renseignements débordants, qui fouettaient de plus en plus la fiÚvre de Saccard. Quand elle parlait de Beyrouth, elle avait habité trois ans, elle ne tarissait pas Beyrouth, au pied du Liban, sur sa langue de terre, entre des grÚves de sable rouge et des écroulements de rochers, Beyrouth avec ses maisons en amphithéùtre, au milieu de vastes jardins, un paradis délicieux planté d'orangers, de citronniers et de palmiers. Puis, c'étaient toutes les villes de la cÎte, au nord Antioche, déchue de sa splendeur, au sud Saida, l'ancienne Sidon, Saint-Jean-d'Acre, Jaffa et Tyr, la Sour actuelle, qui les résume toutes, Tyr dont les marchands étaient des rois, dont les marins avaient fait le tour de l'Afrique, et qui, aujourd'hui, avec son port comblé par les sables, n'est plus qu'un champ de ruines, une poussiÚre de palais, oÃÂč ne se dressent, misérables et éparses, que quelques cabanes de pécheurs. Elle avait accompagné son frÚre partout, elle connaissait Alep, Angora, Brousse, Smyrne, jusqu'à Trézibonde ; elle avait vécu un mois à Jérusalem, endormie dans le trafic des lieux saints, puis deux autres mois à Damas, la reine de l'Orient, au centre de sa vaste plaine, la ville commerçante et industrielle, dont les caravanes de La Mecque et de Bagdad font un centre grouillant de foule. Elle connaissait aussi les vallées et les montagnes, les villages des Maronites et des Druses perchés sur les plateaux, perdus au fond des gorges, les champs cultivés et les champs stériles. Et, des moindres coins, des déserts muets comme des grandes villes, elle avait rapporté la mÃÂȘme admiration pour l'inépuisable, la luxuriante nature, la mÃÂȘme colÚre contre les hommes stupides et mauvais. Que de richesses naturelles dédaignées ou gùchées ! Elle disait les charges qui écrasent le commerce et l'industrie, cette loi imbécile qui empÃÂȘche de consacrer les capitaux à l'agriculture, au- delà d'un certain chiffre, et la routine qui laisse aux mains du paysan la charrue dont on se sert avant Jésus-Christ, et l'ignorance oÃÂč croupissent encore de nos jours ces millions d'hommes, pareils à des enfants idiots, arrÃÂȘtés dans leur croissance. Autrefois, la cÎte se trouvait trop petite, les villes se touchaient ; maintenant, la vie s'en est allée vers l'Occident, il semble qu'on traverse un immense cimetiÚre abandonné. Pas d'écoles, pas de routes, le pire des gouvernements, la justice vendue, un personnel administratif exécrable, des impÎts trop lourds, des lois absurdes, la paresse, le fanatisme ; sans compter les continuelles secousses des guerres viles, des massacres qui emportent des villages entiers. Alors, elle se fùchait, elle demandait s'il était permis de gùter ainsi l'oeuvre de la nature, une terre bénie, d'un charme exquis, oÃÂč tous les climats se retrouvaient, les plaines ardentes, les flancs tempérés des montagnes, les neiges éternelles des hauts sommets. Et son amour de la vie, sa vivace espérance la faisaient se passionner, à l'idée du coup de baguette tout-puissant dont la science et la spéculation pouvaient frapper cette vieille terre endormie, pour la réveiller. " Tenez ! criait Saccard, cette gorge du Carmel, que vous avez dessinée là , oÃÂč il n'y a que des pierres et des lentisques, eh bien, dÚs que la mine d'argent sera en exploitation, il y poussera d'abord un village, puis une ville... Et tous ces ports encombrés de sable, nous les nettoierons, nous les protégerons de fortes jetées. Des navires de haut bord stationneront oÃÂč des barques n'osent s'amarrer aujourd'hui... Et, dans ces plaines dépeuplées, ces cols déserts, que nos lignes ferrées traverseront, vous verrez toute une résurrection, oui ! les champs se défricher, des routes et des canaux s'établir, des cités nouvelles sortir du sol, la vie enfin revenir comme elle revient à un corps malade, lorsque, dans les veines appauvries, on active la circulation d'un sang nouveau... Oui ! l'argent fera des prodiges. " Et, devant l'évocation de cette voix perçante, Mme Caroline voyait réellement se lever la civilisation prédite. Ces épures sÚches, ces tracés linéaires s'animaient, se peuplaient c'était le rÃÂȘve qu'elle avait fait parfois d'un Orient débarbouillé de sa crasse, tiré de son ignorance, jouissant du sol fertile, du ciel charmant, avec tous les raffinement de la science. Déjà , elle avait assisté au miracle, ce Port- Saïd qui, en si peu d'années, venait de pousser sur une plage nue, d'abord des cabanes pour abriter les quelques ouvriers de la premiÚre heure, puis la cité de deux mille ùmes, la cité de dix mille ùmes, des maisons, des magasins immenses, une jetée gigantesque, de la vie et du bien-ÃÂȘtre créés avec entÃÂȘtement par les fourmis humaines. Et c'était bien cela qu'elle voyait se dresser de nouveau, la marche en avant, irrésistible, la poussée sociale qui se rue au plus de bonheur possible, le besoin d'agir, d'aller devant soi, sans savoir au juste oÃÂč l'on va, mais d'aller plus à l'aise, dans des conditions meilleures ; et le globe bouleversé par la fourmiliÚre qui refait sa maison, et le continuel travail, de nouvelles jouissances conquises, le pouvoir de l'homme décuplé, la terre lui appartenant chaque jour davantage. L'argent, aidant la science, faisait le progrÚs. Hamelin, qui écoutait en souriant, avait eu alors un mot sage. " Tout cela, c'est la poésie des résultats, et nous n'en sommes mÃÂȘme pas à la prose de la mise en oeuvre. " Mais Saccard ne s'échauffait que par l'outrance de ses conceptions, et ce fut pis le jour oÃÂč, s'étant mis à lire des livres sur l'Orient, il ouvrit une histoire de l'expédition d'Egypte. Déjà , le souvenir des Croisades le hantait, ce retour de l'Occident vers l'Orient, son berceau, ce grand mouvement qui avait ramené l'extrÃÂȘme Europe aux pays d'origine, en pleine floraison encore, et oÃÂč il y avait tant à apprendre. Seulement, la haute figure de Napoléon le frappa davantage, allant guerroyer là -bas, dans un but grandiose et mystérieux. S'il parlait de conquérir l'Egypte, d'y installer un établissement français, de donner ainsi à la France le commerce du Levant, il ne disait certainement pas tout ; et Saccard voulait voir, dans le cÎté de l'expédition qui est resté vague et énigmatique, il ne savait au juste quel projet de colossale ambition, un immense empire reconstruit, Napoléon couronné à Constantinople, empereur d'Orient et des Indes, réalisant le rÃÂȘve d'Alexandre, plus grand que César et Charlemagne. Ne disait-il pas, à Sainte-HélÚne, en parlant de Sidney, le général anglais qui l'avait arrÃÂȘté devant Saint-Jean-d'Acre " Cet homme m'a fait manquer ma fortune ? " Et ce que les Croisades avaient tenté, ce que Napoléon n'avait pu accomplir, c'était cette pensée gigantesque de la conquÃÂȘte de l'Orient qui enflammait Saccard, mais une conquÃÂȘte raisonnée, réalisée par la double force de la science et de l'argent. Puisque la civilisation était allée de l'est en l'ouest, pourquoi donc ne reviendrait-elle pas vers l'est, retournant au premier jardin de l'humanité, à cet Eden de la presqu'Ãle hindoustanique, qui dormait dans la fatigue des siÚcles ? Ce serait une nouvelle jeunesse, il galvanisait le paradis terrestre, le refaisait habitable par la vapeur et l'électricité, replaçait l'Asie Mineure comme centre du vieux monde, comme point de croisement des grands chemins naturels qui relient les continents. Ce n'étaient plus des millions à gagner, mais des milliards et des milliards. DÚs lors, chaque matin, Hamelin et lui eurent de longues conférences. Si l'espoir était vaste, les difficultés se présentaient, nombreuses, énormes. L'ingénieur, qui justement était à Beyrouth, en 1862, pendant l'horrible boucherie que les Druses firent des chrétiens maronites, et qui nécessita l'intervention de la France, ne cachait pas les obstacles qu'on rencontrerait parmi ces populations en continuelle bataille, livrées au bon plaisir des autorités locales. Seulement, il avait, à Constantinople, de puissantes relations, il s'était assuré l'appui du grand vizir, Fuad-Pacha, homme de réel mérite, partisan déclaré des réformes ; et il se flattait d'obtenir de lui toutes les concessions nécessaires. D'autre part, bien qu'il prophétisùt la banqueroute fatale de l'empire Ottoman, il voyait plutÎt une circonstance favorable dans ce besoin effréné d'argent, ces emprunts qui se suivaient d'année en année un gouvernement besogneux, s'il n'offre pas de garantie personnelle, est tout prÃÂȘt à s'entendre avec les entreprises particuliÚres, dÚs qu'il y trouve le moindre bénéfice. Et n'était-ce pas une maniÚre pratique de trancher l'éternelle et encombrante question d'Orient, en intéressant l'empire à de grands travaux civilisateurs, en l'amenant au progrÚs, pour qu'il ne fût plus cette monstrueuse borne, plantée entre l'Europe et l'Asie ? Quel beau rÎle patriotique joueraient là des compagnies françaises ! Puis, un matin, tranquillement, Hamelin aborda le programme secret auquel il faisait parfois allusion, ce qu'il appelait, en souriant, le couronnement de l'édifice. " Alors, quand nous serons les maÃtres, nous referons le royaume de Palestine, et nous y mettrons le pape... D'abord, on pourra se contenter de Jérusalem, avec Jaffa comme port de mer. Puis, la Syrie sera déclarée indépendante, et on la joindra... Vous savez que les temps sont proches oÃÂč la papauté ne pourra rester dans Rome, sous les révoltantes humiliations qu'on lui prépare. C'est pour ce jour-là qu'il nous faudra ÃÂȘtre prÃÂȘts. " Saccard, béant, l'écoutait dire ces choses d'une voix simple, avec sa foi profonde de catholique. Lui-mÃÂȘme ne reculait pas devant les imaginations extravagantes, mai jamais il ne serait allé jusqu'à celle- ci. Cet homme de science, d'apparence si froide, le stupéfiait. Il cria " C'est fou ! La Porte ne donnera pas Jérusalem. - Oh ! pourquoi ? reprit paisiblement Hamelin. Elle a tant besoin d'argent ! Jérusalem l'ennuie, ce sera un bon débarras. Souvent, elle ne sait quel parti prendre, entre les diverses communions qui se disputent la possession des sanctuaires... D'ailleurs, le pape aurait en Syrie un véritable appui parmi les Maronites, car vous n'ignorez pas qu'il a installé, à Rome, un collÚge pour leurs prÃÂȘtres... Enfin, j'ai bien réfléchi, j'ai tout prévu, et ce sera l'Úre nouvelle, l'Úre triomphale du catholicisme. Peut-ÃÂȘtre dira-t-on que c'est aller trop loin, que le pape se trouvera comme séparé, désintéressé des affaires de l'Europe. Mais de quel éclat, de quelle autorité ne rayonnera-t-il pas, lorsqu'il trÎnera aux lieux saints, parlant au nom du Christ, de la terre sacrée oÃÂč le Christ a parlé ! C'est là qu'est son patrimoine, c'est là que doit ÃÂȘtre son royaume. Et, soyez tranquille, nous le ferons puissant et solide, ce royaume, nous le mettrons à l'abri des perturbations politiques, en basant son budget, avec la garantie des ressources du pays, sur une vaste banque dont les catholiques du monde entier se disputeront les actions. " Saccard, qui s'était mis a sourire, déjà séduit par l'énormité du projet, sans ÃÂȘtre convaincu, ne put s'empÃÂȘcher de baptiser cette banque, dans un cri joyeux de trouvaille. " Le trésor du Saint-Sépulcre, hein ? superbe ! l'affaire est là ! " Mais il rencontra le regard raisonnable de Mme Caroline, qui souriait elle aussi, sceptique, un peu fùchée mÃÂȘme ; et il eut honte de son enthousiasme. " N'importe, mon cher Hamelin, nous ferons bien de tenir secret ce couronnement de l'édifice, comme vous dites. On se moquerait de nous. Et puis, notre programme est déjà terriblement chargé, il est bon d'en réserver les conséquences extrÃÂȘmes, la fin glorieuse, aux seuls initiés. - Sans doute, telle a toujours été mon intention, déclara l'ingénieur. Ceci sera le mystÚre. " Et ce fut sur ce mot, ce jour-là , que l'exploitation du portefeuille, la mise en oeuvre de toute l'énorme série des projets fut définitivement résolue. On commencerait par créer une modeste maison de crédit pour lancer les premiÚres affaires ; puis, le succÚs aidant, peu à peu on se rendrait maÃtre du marché, on conquerrait le monde. Le lendemain, comme Saccard était monté chez la princesse d'Orviedo, pour prendre un ordre au sujet de l'Oeuvre du Travail, le souvenir lui revint du rÃÂȘve qu'il avait caressé un moment, d'ÃÂȘtre le prince époux de cette reine de l'aumÎne, simple dispensateur et administrateur de la fortune des pauvres. Et il sourit, car il trouvait cela un peu niais, à cette heure. Il était bùti pour faire de la vie et non pour panser les blessures que la vie a faites. Enfin, il allait se retrouver sur son chantier, en plein dans la bataille des intérÃÂȘts, dans cette course au bonheur qui a été la marche mÃÂȘme de l'humanité, de siÚcle en siÚcle, vers plus de joie et plus de lumiÚre. Ce mÃÂȘme jour, il trouva Mme Caroline seule, dans le cabinet aux épures. Elle était debout devant une des fenÃÂȘtres, retenue là par une apparition de la comtesse de Beauvilliers et de sa fille, dans le jardin voisin, à une heure inaccoutumée. Les deux femmes lisaient une lettre, d'un air de grande tristesse sans doute une lettre du fils, de Ferdinand, dont la situation ne devait pas ÃÂȘtre brillante, à Rome. " Regardez, dit Mme Caroline, en reconnaissant Saccard. Encore quelque chagrin pour ces malheureuses. Les pauvresses, dans la rue, me font moins de peine. - Bah ! s'écria-t-il gaiement, vous les prierez de venir me voir. Nous les enrichirons, elles aussi, puisque nous allons faire la fortune de tout le monde. " Et, dans sa fiÚvre heureuse, il chercha ses lÚvres, pou les baiser. Mais, d'un mouvement brusque, elle avait retiré la tÃÂȘte, devenue grave et pùlie d'un involontaire malaise. " Non, je vous en prie. " C'était la premiÚre fois qu'il tentait de la reprendre, depuis qu'elle s'était abandonnée à lui, dans une minute de complÚte inconscience. Les affaires sérieuses arrangées, il pensait à sa bonne fortune, voulant aussi, de ce cÎté, régler la situation. Ce vif mouvement de recul l'étonna. " Bien vrai, cela vous ferait de la peine ? - Oui, beaucoup de peine. " Elle se calmait, elle souriait à son tour. " D'ailleurs, avouez que vous-mÃÂȘme n'y tenez guÚre. - Oh ! moi, je vous adore. - Non, ne dites pas ça, vous allez ÃÂȘtre si occupé ! Et puis, je vous assure que je suis prÃÂȘte à avoir de la vraie amitié pour vous, si vous ÃÂȘtes l'homme actif que je crois, et si vous faites toutes les grandes choses que vous dites... Voyons, c'est bien meilleur, l'amitié ! " Il l'écoutait, souriant toujours, gÃÂȘné et combattu pourtant. Elle le refusait, c'était ridicule de ne l'avoir eue qu'une fois, par surprise. Mais sa vanité seule en souffrait. " Alors ? amis seulement ? - Oui, je serai votre camarade, je vous aiderai... Amis, grands amis ! " Elle tendit ses joues, et, conquis, trouvant qu'elle avait raison, il y posa deux gros baisers. III - La lettre du banquier russe de Constantinople, que Sigismond avait traduite, était une réponse favorable, attendue pour mettre à Paris l'affaire en branle ; et, dÚs le sur-lendemain, Saccard, à son réveil, eut l'inspiration qu'il fallait agir ce jour-là mÃÂȘme, qu'il devait avoir, d'un, coup, avant la nuit, formé le syndicat dont il voulait ÃÂȘtre sûr, pour placer à l'avance les cinquante mille actions de cinq cents francs de sa société anonyme, lancée au capital de vingt-cinq millions. En sautant du lit, il venait de trouver enfin le titre de cette société, l'enseigne qu'il cherchait depuis longtemps. Les mots la Banque universelle, avaient brusquement flambé devant lui, comme en caractÚres de feu, dans la chambre encore noire. " La Banque universelle, ne cessa-t-il de répéter, tout en s'habillant, la Banque universelle, c'est simple, c'est grand, ça englobe tout, ça couvre le monde... Oui, oui, excellent ! la Banque universelle ! " Jusqu'à neuf heures et demie, il marcha à travers les vastes piÚces, absorbé, ne sachant par oÃÂč il commencerait sa chasse aux millions, dans Paris. Vingt-cinq millions, cela se trouve encore au tournant d'une rue ; mÃÂȘme, c'était l'embarras du choix qui le faisait réfléchir, car il y voulait mettre quelque méthode. Il but une tasse de lait, il ne se fùcha pas, lorsque le cocher monta lui expliquer que le cheval n'était pas bien, à la suite d'un refroidissement sans doute, et qu'il serait plus sage de faire venir le vétérinaire. " C'est bon, faites... Je prendrai un fiacre. " Mais, sur le trottoir, il fut surpris par le vent aigre qui soufflait un brusque retour de l'hiver, dans ce mai si doux la veille encore. Il ne pleuvait pourtant pas, de gros nuages montaient à l'horizon. Et il ne prit pas de fiacre, pour se réchauffer en marchant ; il se dit qu'il descendrait d'abord à pied chez Mazaud, l'agent de change, rue de la Banque ; car l'idée lui était venue de le sonder sur Daigremont, le spéculateur bien connu, l'homme heureux de tous les syndicats, seulement, rue Vivienne, du ciel envahi de nuées livides, une telle giboulée creva, mÃÂȘlée de grÃÂȘle, qu'il se réfugia sous une porte cochÚre. Depuis une minute, Saccard était là , à regarder tomber l'averse, lorsque, dominant le roulement de l'eau, une claire sonnerie de piÚces d'or lui fit dresser l'oreille. Cela semblait sortir des entrailles de la terre, continu, léger et musical, comme dans un conte des Mille et une Nuits . Il tourna la tÃÂȘte, se reconnut, vit qu'il se trouvait sous la porte de la maison Kolb, un banquier qui s'occupait surtout d'arbitrages sur l'or, achetant le numéraire dans les Etats oÃÂč il était à bas cours, puis le fondant, pour vendre les lingots ailleurs, dans les pays oÃÂč l'or était en hausse ; et, du matin au soir, les jours de fonte, montait du sous-sol ce bruit cristallin des piÚces d'or, remuées à la pelle, prises dans des caisses, jetées dans le creuset. Les passants du trottoir en ont les oreilles qui tintent, d'un bout de l'année à l'autre. Maintenant, Saccard souriait complaisamment à cette musique, qui était comme la voix souterraine de ce quartier de la Bourse, il y vit un heureux présage. La pluie ne tombait plus, il traversa la place, se trouva tout de suite chez Mazaud. Par une exception, le jeune agent de change avait son domicile personnel, au premier étage, dans la maison mÃÂȘme oÃÂč les bureaux de sa charge étaient installés, occupant tout le second. Il avait simplement repris l'appartement de son oncle, lorsque, à la mort de celui-ci, il s'était entendu avec ses cohéritiers pour racheter la charge. Dix heures sonnaient, et Saccard monta directement aux bureaux, à la porte desquels il se rencontra avec Gustave Sédille. " Est-ce que M. Mazaud est là ? - Je ne sais pas, monsieur, j'arrive. " Le jeune homme souriait, toujours en retard, prenant à l'aise son emploi de simple amateur, qu'on ne payait pas, résigné à passer là un an ou deux pour faire plaisir à son pÚre, le fabricant de soie de la rue des Jeûneurs. Saccard traversa la caisse, salué par le caissier d'argent et par le caissier des titres ; puis, il entra dans le cabinet des deux fondés de pouvoirs, oÃÂč il ne trouva que Berthier, celui des deux qui était chargé des relations avec les clients et qui accompagnait le patron à la Bourse. " Est-ce que M. Mazaud est là ? - Mais je le pense, je sors de son cabinet... Tiens non, il n'y est plus... C'est qu'il est dans le bureau du comptant. " Il avait poussé une porte voisine, il faisait du regard le tour d'une assez vaste piÚce, oÃÂč cinq employés travaillaient, sous les ordres du premier commis. " Non, c'est particulier !... Voyez donc vous-mÃÂȘme à la liquidation, là , à cÎté. " Saccard entra dans le bureau de la liquidation. C'était là que le liquidateur, le pivot de la charge, aidé de sept employés, dépouillait le carnet que lui remettait l'agent chaque jour, aprÚs la Bourse, puis appliquait aux clients les affaires faites selon les ordres reçus, en s'aidant de fiches, conservées pour savoir les noms ; car le carnet ne porte pas les noms, ne contient que l'indication brÚve de l'achat ou de la vente telle valeur, telle quantité, tel cours, de tel agent. " Est-ce que vous avez vu M. Mazaud ? " demanda Saccard. Mais on ne lui répondit mÃÂȘme pas. Le liquidateur étant sorti, trois employés lisaient leur journal, deux autres regardaient en l'air ; tandis que l'entrée de Gustave Sédille venait d'intéresser vivement le petit Flory, qui, le matin, faisait des écritures, échangeait des engagements, et qui, l'aprÚs-midi, à la Bourse, était chargé des télégrammes. Né à Saintes, d'un pÚre employé à l'enregistrement, d'abord commis à Bordeaux chez un banquier, tombé ensuite à Paris chez Mazaud, vers la fin du dernier automne, il n'y avait d'autre avenir que d'y doubler peut-ÃÂȘtre ses appointements, en dix années. Jusque-là , il s'y était bien conduit, régulier, consciencieux. Seulement depuis un mois que Gustave était entré à la charge, il se dérangeait, entraÃné par son nouveau camarade, trÚs élégant, trÚs lancé, pourvu d'argent, et qui lui avait fait connaÃtre des femmes. Flory, le visage mangé de barbe, avait là -dessous un nez à passions, une bouche aimable, des yeux tendres ; et il en était aux petites parties fines, pas chÚres, avec Mlle Chuchu, une figurante des Variétés, une maigre sauterelle du pavé parisien, la fille ensauvée d'une concierge de Montmartre, amusante avec sa figure de papier mùché, oÃÂč luisaient de grands yeux bruns admirables. Gustave, avant mÃÂȘme d'Îter son chapeau, lui contait sa soirée. " Oui, mon cher, j'ai bien cru que Germaine me flanquerait dehors, parce que Jacoby est venu. Mais c'est lui qu'elle a trouvé le moyen de mettre à la porte, ah ! je ne sais comment, par exemple ! Et je suis resté. " Tous deux s'étouffÚrent de rire. Il s'agissait de Germaine Coeur, une superbe fille de vingt-cinq ans, un peu indolente et molle, dans l'opulence de sa gorge, qu'un collÚgue de Mazaud, le juif Jacoby, entretenait au mois. Elle avait toujours été avec des boursiers, et toujours au mois, ce qui est commode pour des hommes trÚs occupés, la tÃÂȘte embarrassée de chiffres, payant l'amour comme le reste, sans trouver le temps d'une vraie passion. Elle était agitée d'un souci unique, dans son petit appartement de la rue de la MichodiÚre, celui d'éviter les rencontres entre les messieurs qui pouvaient se connaÃtre. " Dites donc, questionna Flory, je croyais que vous vous réserviez pour la jolie papetiÚre ? " Mais cette allusion à Mme Conin rendit Gustave sérieux. Celle-ci, on la respectait c'était une femme honnÃÂȘte ; et, quand elle voulait bien, il n'y avait pas d'exemple qu'un homme se fût montré bavard, tellement on restait bons amis. Aussi, ne voulant pas répondre, Gustave posa-t-il à son tour une question. " Et Chuchu, vous l'avez menée à Mabille ? - Ma foi, non ! c'est trop cher. Nous sommes rentrés, nous avons fait du thé. " DerriÚre les jeunes gens, Saccard avait entendu ces noms de femme, qu'ils chuchotaient d'une voix rapide. Il eut un sourire. Il s'adressa à Flory. " Est-ce que vous n'avez pas vu M. Mazaud ? - Si, monsieur, il est venu me donner un ordre, et il est redescendu à son appartement... Je crois que son petit garçon est malade, on l'a averti que le docteur était là ... Vous devriez sonner chez lui, car il peut trÚs bien sortir, sans remonter. " Saccard remercia, se hùta de descendre un étage. Mazaud était un des plus jeunes agents de change, comblé par le sort, ayant eu cette chance de la mort de son oncle, qui l'avait rendu titulaire d'une des plus fortes charges de Paris, à un ùge oÃÂč l'on apprend encore les affaires. Dans sa petite taille, il était de figure agréable, avec de minces moustaches brunes, des yeux noirs perçants ; et il montrait une grande activité, l'intelligence trÚs alerte, elle aussi. On le citait déjà , à la corbeille, pour cette vivacité d'esprit et de corps, si nécessaire dans le métier, et qui, jointe à beaucoup de flair, à une intuition remarquable, allait le mettre au premier rang ; sans compter qu'il avait une voix aiguÃ, des renseignements de Bourses étrangÚres de premiÚre main, des relations chez tous les grands banquiers, enfin un arriÚre- cousin, disait-on, à l'agence Havas. Sa femme, épousée par amour, lui avait apporté douze cent mille francs de dot, une jeune femme charmante dont il avait déjà deux enfants, une fillette de trois ans et un petit garçon de dix-huit mois. Justement, Mazaud reconduisait jusqu'au palier le docteur, qui le rassurait, en riant. " Entrez donc, dit-il à Saccard. C'est vrai, avec ces petits ÃÂȘtres, on s'inquiÚte tout de suite, on les croit perdus pour le moindre bobo. " Et il l'introduisit ainsi dans le salon, oÃÂč sa femme se trouvait encore, tenant le bébé sur ses genoux, tandis que la petite fille, heureuse de voir sa mÚre gaie, se haussait pour l'embrasser. Tous les trois étaient blonds, d'une fraÃcheur de lait, la jeune mÚre d'air aussi délicat et ingénu que les enfants. Il lui mit un baiser sur les cheveux. " Tu vois bien que nous étions fous. - Ah ! ça ne fait rien, mon ami, je suis si contente qu'il nous ait rassurés ! " Devant ce grand bonheur, Saccard s'était arrÃÂȘté, en saluant. La piÚce, luxueusement meublée, sentait bon la vie heureuse de ce ménage, que rien encore n'avait désuni ; à peine, depuis quatre ans qu'il était marié, donnait-on à Mazaud une courte curiosité pour une chanteuse de l'opéra-Comique. Il restait un mari fidÚle, de mÃÂȘme qu'il avait la réputation de ne pas encore trop jouer pour son compte, malgré la fougue de sa jeunesse. Et cette bonne odeur de chance, de félicité sans nuage, se respirait réellement dans la paix discrÚte des tapis et des tentures, dans le parfum dont un gros bouquet de roses, débordant d'un vase de Chine, avait imprégné toute la piÚce. Mme Mazaud, qui connaissait un peu Saccard, lui dit gaiement " N'est-ce pas, monsieur, qu'il suffit de le vouloir pour ÃÂȘtre toujours heureux ? - J'en suis convaincu, madame, répondit-il. Et puis, il y a des personnes si belles et si bonnes, que le malheur n'ose jamais les toucher. " Elle s'était levée, rayonnante. Elle embrassa à son tour son mari, elle s'en alla, emportant le petit garçon, suivie de la fillette, qui s'était pendue au cou de son pÚre. Celui-ci, voulant cacher son émotion, se retourna vers le visiteur, avec un mot de blague parisienne. " Vous voyez, on ne s'embÃÂȘte pas, ici. " Puis, vivement " Vous avez quelque chose à me dire ?... Montons, voulez-vous ? nous serons mieux. " En haut, devant la caisse, Saccard reconnut Sabatani, qui venait toucher des différences ; et il fut surpris de la poignée de main cordiale que l'agent échangea avec son client. D'ailleurs, dÚs qu'il fut assis dans le cabinet, il expliqua sa visite, en le questionnant sur, les formalités, pour faire admettre une valeur à la cote officielle. Négligemment, il dit l'affaire qu'il allait lancer, la Banque universelle, au capital de vingt-cinq millions. Oui, une maison de crédit créée surtout dans le but de patronner de grandes entreprises, qu'il indiqua d'un mot. Mazaud l'écoutait, ne bronchait pas ; et, avec une obligeance parfaite, il expliqua les formalités à remplir. Mais il n'était pas dupe, il se doutait que Saccard ne se serait pas dérangé pour si peu. Aussi, lorsque ce dernier prononça enfin le nom de. Daigremont, eut-il un sourire involontaire. Certes, Daigremont avait l'appui d'une fortune colossale ; on disait bien qu'il n'était pas d'une fidélité trÚs sûre ; seulement, qui était fidÚle, en affaires et en amour ? personne ! Du reste, lui, Mazaud, se serait fait un scrupule de dire la vérité sur Daigremont, aprÚs leur rupture, qui avait occupé toute la Bourse. Celui-ci, maintenant, donnait la plupart de ses ordres à Jacoby, un juif de Bordeaux, un grand gaillard de soixante ans, à large figure gaie, dont la voix mugissante était célÚbre, mais qui devenait lourd, le ventre empùté ; et c'était comme une rivalité qui se posait entre les deux agents, le jeune favorisé par la chance, le vieux arrivé à l'ancienneté, ancien fondé de pouvoirs à qui des commanditaires avaient enfin permis d'acheter la charge de son patron, d'une pratique et d'une ruse extraordinaires, perdu malheureusement par une passion du jeu, toujours à la veille d'une catastrophe, malgré des gains considérables. Tout se fondait dans les liquidations. Germaine Coeur ne lui coûtait que quelques billets de mille francs, et on ne voyait jamais sa femme. " Enfin, dans cette affaire de Caracas, conclut Mazaud, cédant à la rancune malgré sa grande correction, il est certain que Daigremont a trahi et qu'il a raflé les bénéfices... Il est trÚs dangereux. " Puis, aprÚs un silence " Mais pourquoi ne vous adressez-vous pas à Gundermann ? - Jamais ! " cria Saccard, que la passion emportait. A ce moment, Berthier, le fondé de pouvoirs, entra et chuchota quelques mots à l'oreille de l'agent. C'était la baronne Sandorff qui venait payer des différences et qui soulevait toutes sortes de chicanes, pour réduire son compte. D'habitude, Mazaud s'empressait, recevait lui-mÃÂȘme la baronne ; mais, quand elle avait perdu, il l'évitait comme la peste, certain d'un trop rude assaut à sa galanterie. Il n'y a pires clientes que les femmes, d'une mauvaise foi plus absolue, dÚs qu'il s'agit de payer. " Non, non, dites que je n'y suis pas, répondit-il avec humeur. Et ne faites pas grùce d'un centime, entendez-vous ! " Et, lorsque Berthier fut parti, voyant au sourire de Saccard qu'il avait entendu. " C'est vrai, mon cher, elle est trÚs gentille, celle-là , mais vous n'avez pas idée de cette rapacité... Ah ! les clients, comme ils nous aimeraient, s'ils gagnaient toujours ! Et plus ils sont riches, plus ils sont du beau monde, Dieu me pardonne ! plus je me méfie, plus je tremble de n'ÃÂȘtre pas payé... Oui, il y a des jours oÃÂč, en dehors des grandes maisons, j'aimerais mieux n'avoir qu'une clientÚle de province. " La porte s'était rouverte, un employé lui remit un dossier qu'il avait demandé le matin, et sortit. " Tenez ! ça tombe bien. Voici un receveur de rentes, installé à VendÎme, un sieur Fayeux... Eh bien, vous n'avez pas idée de la quantité d'ordres que je reçois de ce correspondant. Sans doute, ces ordres sont de peu d'importance, venant de petits bourgeois, de petits commerçants, de fermiers. Mais il y a le nombre... En vérité, le meilleur de nos maisons, le fond mÃÂȘme est fait des joueurs modestes, de la grande foule anonyme qui joue. " Une association d'idées se fit, Saccard se rappela Sabatani au guichet de la caisse. " Vous avez donc Sabatani, maintenant ? demanda-t-il. - Depuis un an, je crois, répondit l'agent d'un air d'aimable indifférence. C'est un gentil garçon, n'est-ce pas ? il a commencé petitement, il est trÚs sage et il fera quelque chose. " Ce qu'il ne disait point, ce dont il ne se souvenait mÃÂȘme plus, c'était que Sabatani avait seulement déposé chez lui une couverture de deux mille francs. De là le jeu si modéré du début. Sans doute, comme tant d'autres, le Levantin attendait que la médiocrité de cette garantie fût oubliée ; et il donnait des preuves de sagesse, il n'augmentait que graduellement l'importance de ses ordres, en attendant le jour oÃÂč, culbutant dans une grosse liquidation, il disparaÃtrait. Comment montrer de la défiance vis-à -vis d'un charmant garçon dont on est devenu l'ami ? comment douter de sa solvabilité, lorsqu'on le voit gai, d'apparence riche, avec cette tenue élégante qui est indispensable, comme l'uniforme mÃÂȘme du vol à la Bourse ? " TrÚs gentil, trÚs intelligent " répéta Saccard, qui prit soudain la résolution de songer à Sabatani, le jour oÃÂč il aurait besoin d'un gaillard discret et sans scrupules. Puis, se levant et prenant congé " Allons, adieu !... Lorsque nos titres seront prÃÂȘts, je vous reverrai, avant de tùcher de les faire admettre à la cote. " Et comme Mazaud, sur le seuil du cabinet, lui serrait la main, en disant " Vous avez tort, voyez donc Gundermann pour votre syndicat. - Jamais ! " cria-t-il de nouveau, l'air furieux. Enfin, il sortait, lorsqu'il reconnut devant le guichet de la caisse Moser et Pillerault le premier empochait d'un air navré son gain de la quinzaine, sept ou huit billets de mille francs ; tandis que l'autre, qui avait perdu, payait une dizaine de mille francs, avec des éclats de voix, l'air agressif et superbe, comme aprÚs une victoire. L'heure du déjeuner et de la Bourse approchait, la charge allait se vider en partie ; et, la porte du bureau de la liquidation s'étant entrouverte, des rires s'en échappÚrent, le récit que Gustave faisait à Flory d'une partie de canot, dans laquelle la barreuse, tombée à la Seine, avait perdu jusqu'à ses bas. Dans la rue, Saccard regarda sa montre. Onze heures, que de temps perdu ! Non, il n'irait pas chez Daigremont ; et, bien qu'il se fût emporté au seul nom de Gundermann, il se décida brusquement à monter le voir. D'ailleurs, ne l'avait-il pas prévenu de sa visite, chez Champeaux, en lui annonçant sa grande affaire, pour lui clouer aux lÚvres son mauvais rire ? Il se donna mÃÂȘme comme excuse qu'il n'en voulait rien tirer, qu'il désirait seulement le braver, triompher de lui, qui affectait de le traiter en petit garçon. Et, une nouvelle giboulée s'étant mise à battre le pavé d'un ruissellement de fleuve, il sauta dans un fiacre, il cria l'adresse au cocher, rue de Provence. Gundermann occupait là un immense hÎtel, tout juste assez grand pour son innombrable famille. Il avait cinq filles et quatre garçons, dont trois filles et trois garçons mariés, qui lui avaient déjà donné quatorze petits-enfants. Lorsque, au repas du soir, cette descendance se trouvait réunie, ils étaient, en les comptant, sa femme et lui, trente et un à table. Et, à part deux de ses gendres qui n'habitaient pas l'hÎtel, tous les autres avaient là leurs appartements, dans les ailes de gauche et de droite, ouvertes sur le jardin ; tandis que le bùtiment central était pris entiÚrement par l'installation des vastes bureaux de la banque. En moins d'un siÚcle, la monstrueuse fortune d'un milliard était née, avait poussé, débordé dans cette famille, par l'épargne, par l'heureux concours aussi des événements. Il y avait là comme une prédestination, aidée d'une intelligence vive, d'un travail acharné, d'un effort prudent et invincible, continuellement tendu vers le mÃÂȘme but. Maintenant, tous les fleuves de l'or allaient à cette mer, les millions se perdaient dans ces millions, c'était un engouffrement de la richesse publique au fond de cette richesse d'un seul, toujours grandissante ; et Gundermann était le vrai maÃtre, le roi tout-puissant, redouté et obéi de Paris et du monde. Pendant que Saccard montait le large escalier de pierre, aux marches usées par le continuel va-et-vient de la foule, plus usées déjà que le seuil des vieilles églises, il se sentait contre cet homme un soulÚvement d'une inextinguible haine. Ah ! le juif ! il avait contre le juif l'antique rancune de race, qu'on trouve surtout dans le midi de la France ; et c'était comme une révolte de sa chair mÃÂȘme, une répulsion de peau qui, à l'idée du moindre contact, l'emplissait de dégoût et de violence, en dehors de tout raisonnement, sans qu'il pût se vaincre. Mais le singulier était que lui, Saccard, ce terrible brasseur d'affaires, ce bourreau d'argent aux mains louches, perdait la conscience de lui-mÃÂȘme, dÚs qu'il s'agissait d'un juif, en parlait avec une ùpreté, avec des indignations vengeresses d'honnÃÂȘte homme, vivant du travail de ses bras, pur de tout négoce usuraire. Il dressait le réquisitoire contre la race, cette race maudite qui n'a plus de patrie, plus de prince, qui vit en parasite chez les nations, feignant de reconnaÃtre les lois, mais en réalité n'obéissant qu'à son Dieu de vol, de sang et de colÚre ; et il la montrait remplissant partout la mission de féroce conquÃÂȘte que ce Dieu lui a donnée, s'établissant chez chaque peuple, comme l'araignée au centre de sa toile, pour guetter sa proie, sucer le sang de tous, s'engraisser de la vie des autres. Est-ce qu'on a jamais vu un juif faisant oeuvre de ses dix doigts ? est-ce qu'il y a des juifs paysans, des juifs ouvriers ? Non, le travail déshonore, leur religion le défend presque, n'exalte que l'exploitation du travail d'autrui. Ah ! les gueux ! Saccard semblait pris d'une rage d'autant plus grande, qu'il les admirait, qu'il leur enviait leurs prodigieuses facultés financiÚres, cette science innée des chiffres, cette aisance naturelle dans les opérations les plus compliquées, ce flair et cette chance qui assurent le triomphe de tout ce qu'ils entreprennent. A ce jeu de voleurs, disait-il, les chrétiens ne sont pas de force, ils finissent toujours par se noyer ; tandis que prenez un juif qui ne sache mÃÂȘme pas la tenue des livres, jetez-le dans l'eau trouble de quelque affaire véreuse, et il se sauvera, et il emportera tout le gain sur son dos. C'est le don de la race, sa raison d'ÃÂȘtre à travers les nationalités qui se font et se défont. Et il prophétisait avec emportement la conquÃÂȘte finale de tous les peuples par les juifs, quand ils auront accaparé la fortune totale du globe, ce qui ne tarderait pas, puisqu'on leur laissait chaque jour étendre librement leur royauté, et qu'on pouvait déjà voir, dans Paris, un Gundermann régner sur un trÎne plus solide et plus respecté que celui de l'empereur. En haut, au moment d'entrer dans la vaste antichambre, Saccard eut un mouvement de recul, en la voyant pleine de remisiers, de solliciteurs, d'hommes, de femmes, de tout un grouillement tumultueux de foule. Les remisiers surtout luttaient à qui arriverait le premier, dans l'espoir improbable d'emporter un ordre ; car le grand banquier avait ses agents à lui ; mais c'était déjà un honneur, une recommandation que d'ÃÂȘtre reçu, et chacun d'eux voulait pouvoir s'en vanter. Aussi l'attente n'était-elle jamais longue, les deux garçons de bureau ne servaient guÚre qu'à organiser le défilé, un défilé incessant, un véritable galop, par les portes battantes. Et, malgré la foule, Saccard presque tout de suite fut introduit dans le flot. Le cabinet de Gundermann était une immense piÚce, dont il n'occupait qu'un petit coin, au fond, prÚs de la derniÚre fenÃÂȘtre. Assis devant un simple bureau d'acajou, il se plaçait de façon à tourner, le dos à la lumiÚre, il avait le visage complÚtement dans l'ombre. Levé dÚs cinq heures, il était au travail, lorsque Paris dormait encore ; et quand, vers neuf heures, la bousculade des appétits se ruait, galopant devant lui, sa journée déjà était faite. Au milieu du cabinet, à des bureaux plus vastes, deux de ses fils et un de ses gendres l'aidaient, rarement assis, s'agitant au milieu des allées et venues d'un monde d'employés. Mais c'était là le fonctionnement intérieur de la maison. La rue traversait toute la piÚce, n'allait qu'à lui, au maÃtre, dans son coin modeste ; tandis que, durant des heures, jusqu'au déjeuner, l'air impassible et morne, il recevait, souvent d'un signe, parfois d'un mot, s'il voulait se montrer trÚs aimable. DÚs que Gundermann aperçut Saccard, sa figure s'éclaira d'un faible sourire goguenard. " Ah ! c'est vous, mon bon ami... Asseyez-vous donc un instant, si vous avez quelque chose à me dire. Je suis à vous tout à l'heure. " Ensuite, il affecta de l'oublier. Saccard, du reste, ne s'impatientait pas, intéressé par le défilé des remisiers, qui, les uns sur les talons des autres, entraient avec le mÃÂȘme salut profond, tiraient de leur redingote correcte le mÃÂȘme petit carton, leur cote portant les cours de la Bourse, qu'ils présentaient au banquier du mÃÂȘme geste suppliant et respectueux. Il en passait dix, il en passait vingt. Le banquier, chaque fois, prenait la cote, y jetait un coup d'oeil, puis la rendait ; et rien n'égalait sa patience, si ce n'était son indifférence complÚte, sous cette grÃÂȘle d'offres. Mais Massias se montra, avec son air gai et inquiet de bon chien battu. On le recevait si mal parfois, qu'il en aurait pleuré. Ce jour- là , sans doute il était à bout d'humilité, car il se permit une insistance inattendue. " Voyez donc, monsieur, le Mobilier est trÚs bas... Combien faut-il que je vous en achÚte ? " Gundermann, sans prendre la cote, leva ses yeux glauques sur ce jeune homme si familier. Et, rudement " Dites donc, mon ami, croyez-vous que ça m'amuse de vous recevoir ? - Mon Dieu ! monsieur, reprit Massias devenu pùle, ça m'amuse encore moins de venir chaque matin pour rien, depuis trois mois. - Eh bien, ne revenez pas. " Le remisier salua et se retira, aprÚs avoir échangé, avec Saccard, le coup d'oeil furieux et navré d'un garçon qui avait la brusque conscience qu'il ne ferait jamais fortune. Saccard se demandait, en effet, quel intérÃÂȘt Gundermann pouvait avoir à recevoir tout ce monde. Evidemment, il avait une faculté d'isolement spéciale, il s'absorbait, il continuait de penser ; sans compter qu'il devait y avoir là une discipline, une façon de procéder chaque matin à une revue du marché, dans laquelle il trouvait toujours un gain à faire, si minime fut-il. TrÚs ùprement, il rabattit quatre-vingts francs à un coulissier, qu'il avait chargé d'un ordre la veille, et qui le volait d'ailleurs. Puis, un marchand de curiosités arriva, avec une boite en or émaillé du dernier siÚcle, un objet refait en partie, dont le banquier flaira immédiatement le truquage. Ensuite, ce furent deux dames, une vieille à nez d'oiseau de nuit, une jeune, brune, trÚs belle, qui avaient à lui montrer, chez elles, une commode Louis XV, qu'il refusa nettement d'aller voir. Il vint encore un bijoutier avec des rubis, deux inventeurs, des Anglais, des Allemands, des Italiens, toutes les langues, tous les sexes. Et le défilé des remisiers se poursuivait quand mÃÂȘme, coupant les autres visites, s'éternisant, avec la reproduction du mÃÂȘme geste, la présentation mécanique de la cote ; pendant que le flot des employés, à mesure que l'heure de la Bourse approchait, traversait la piÚce plus nombreux, apportant des dépÃÂȘches, venant demander des signatures. Mais ce fut le comble au tapage un petit garçon de cinq ou six ans, à cheval sur un bùton, fit irruption dans le cabinet en jouant de la trompette ; et, coup sur coup, il vint encore deux enfants, deux fillettes, l'une de trois ans, l'autre de huit, qui assiégÚrent le fauteuil du grand-pÚre, lui tirÚrent les bras, se pendirent à son cou ; ce qu'il laissa faire placidement, les baisant lui-mÃÂȘme avec cette passion juive de la famille, de la lignée nombreuse qui fait la force et qu'on défend. Tout d'un coup, il parut se souvenir de Saccard. " Ah ! mon bon ami, vous m'excuserez, vous voyez que je n'ai pas une minute à moi... Vous allez m'expliquer votre affaire. " Et il commençait à l'écouter, lorsqu'un employé qui avait introduit un grand monsieur blond, vint lui dire un nom à l'oreille, il se leva aussitÎt, sans hùte pourtant, alla conférer avec le monsieur devant une autre des fenÃÂȘtres, tandis qu'un de ses fils continuait à recevoir les remisiers et les coulissiers à sa place. Malgré sa sourde irritation, Saccard commençait à ÃÂȘtre envahi d'un respect. Il avait reconnu le monsieur blond, le représentant d'une des grandes puissances, plein de morgue aux Tuileries, ici la tÃÂȘte légÚrement inclinée, souriant en solliciteur. D'autres fois, c'étaient de hauts administrateurs, des ministres de l'empereur eux-mÃÂȘmes, qui étaient reçus ainsi debout dans cette piÚce, publique comme une place, emplie d'un vacarme d'enfants. Et là s'affirmait la royauté universelle de cet homme qui avait des ambassadeurs à lui dans toutes les cours du monde, des consuls dans toutes les provinces, des agences dans toutes les villes et des vaisseaux sur toutes les mers. Il n'était point un spéculateur, un capitaine d'aventures, manoeuvrant les millions des autres, rÃÂȘvant, à l'exemple de Saccard, des combats héroïques oÃÂč il vaincrait, oÃÂč il gagnerait pour lui un colossal butin, grùce à l'aide de l'or mercenaire, engagé sous ses ordres ; il était, comme il le disait avec bonhomie, un simple marchand d'argent, le plus habile, le plus zélé qui pût ÃÂȘtre. Seulement, pour asseoir sa puissance, il lui fallait bien dominer la Bourse ; et c'était ainsi, à chaque liquidation, une nouvelle bataille, oÃÂč la victoire lui restait infailliblement, par la vertu décisive des gros bataillons. Un instant, Saccard, qui le regardait, resta accablé sous cette pensée que tout cet argent qu'il faisait mouvoir était à lui, qu'il avait à lui, dans ses caves, sa marchandise inépuisable, dont il trafiquait en commerçant rusé et prudent, en maÃtre absolu, obéi sur un coup d'oeil, voulant tout entendre, tout voir, tout faire par lui-mÃÂȘme. Un milliard à soi, ainsi manoeuvré, est une force inexpugnable. " Nous n'aurons pas une minute, mon bon ami, revint dire Gundermann. Tenez ! je vais déjeuner, passez donc avec moi dans la salle voisine. On nous laissera tranquilles peut-ÃÂȘtre. " C'était la petite salle à manger de l'hÎtel celle du matin, oÃÂč la famille ne se trouvait jamais au complet. Ce jour-là , ils n'étaient que dix-neuf à table, dont huit enfants. Le banquier occupait le milieu, et il n'avait devant lui qu'un bol de lait. Il resta un instant les yeux fermés, épuisé de fatigue, la face trÚs pùle et contractée, car il souffrait du foie et des reins ; puis, lorsqu'il eut, de ses mains tremblantes porté le bol à ses lÚvres et bu une gorgée, il soupira " Ah ! je suis éreinté, aujourd'hui ! - Pourquoi ne vous reposez-vous pas ? " demanda Saccard. Gundermann tourna vers lui des yeux stupéfaits ; et, naïvement " Mais je ne peux pas ! " En effet, on ne le laissait pas mÃÂȘme boire son lait tranquille, car la réception des remisiers avait repris, le galop maintenant traversait la salle à manger, tandis que les personnes de la famille, les hommes, les femmes, habitués à cette bousculade, riaient, mangeaient fortement des viandes froides et des pùtisseries, et que les enfants excités par deux doigts de vin pur, menaient un vacarme assourdissant. Et Saccard, qui le regardait toujours, s'émerveillait de le voir avaler son lait à lentes gorgées, d'un tel effort, qu'il semblait ne devoir jamais atteindre le fond du bol. On l'avait mis au régime du lait, il ne pouvait mÃÂȘme plus toucher à une viande, ni à un gùteau. Alors, à quoi bon un milliard ? Jamais non plus les femmes ne l'avaient tenté durant quarante ans, il était resté d'une fidélité stricte à la sienne, et, aujourd'hui, sa sagesse était forcée, irrévocablement définitive. Pourquoi donc se lever dÚs cinq heures, faire ce métier abominable, s'écraser de cette fatigue immense, mener une vie de galérien que pas un loqueteux n'aurait acceptée, la mémoire bourrée de chiffres, le crùne éclatant de tout un monde de préoccupations ? Pourquoi cet or inutile ajouté à tant d'or, lorsqu'on ne peut acheter et manger dans la rue une livre de cerises, emmener à une guinguette au bord de l'eau la fille qui passe, jouir de tout ce qui se vend, de la paresse et de la liberté ? Et Saccard, qui, dans ses terribles appétits, faisait cependant la part de l'amour désintéressé de l'argent, pour la puissance qu'il donne, se sentait pris d'une sorte de terreur sacrée, à voir se dresser cette figure, non plus de l'avarice classique qui thésaurise, mais de l'ouvrier impeccable, sans besoin de chair, devenu comme abstrait dans sa vieillesse souffreteuse, qui continuait à édifier obstinément sa tour de millions, avec l'unique rÃÂȘve de la léguer aux siens pour qu'ils la grandissent encore, jusqu'à ce qu'elle dominùt la terre. Enfin, Gundermann se pencha, se fit expliquer à demi-voix la création projetée de la Banque universelle. D'ailleurs, Saccard fut sobre de détails, ne fit qu'une allusion aux projets du portefeuille d'Hamelin, ayant senti, dÚs les premiers mots, que le banquier cherchait à le confesser, résolu d'avance à l'éconduire ensuite. " Encore une banque, mon bon ami, encore une banque ! répéta-t-il de son air narquois. Mais une affaire oÃÂč je mettrais plutÎt de l'argent, ce serait dans une machine, oui, une guillotine à couper le cou à toutes ces banques qui se fondent... Hein ? un rùteau à nettoyer la Bourse. Votre ingénieur n'a pas ça, dans ses papiers ? " Puis, affectant de se faire paternel, avec une cruauté tranquille " Voyons, soyez raisonnable, vous savez ce que je vous ai dit... Vous avez tort de rentrer dans les affaires, c'est un vrai service que je vous rends, en refusant de lancer votre syndicat... Infailliblement, vous ferez la culbute, c'est mathématique, ça ; car vous ÃÂȘtes beaucoup trop passionné, vous avez trop d'imagination ; puis, ça finit toujours mal, quand on trafique avec l'argent des autres... Pourquoi votre frÚre ne vous trouve-t-il pas une bonne place, hein ? une préfecture, ou bien une recette ; non, pas une recette, c'est trop dangereux... Méfiez-vous, méfiez-vous, mon bon ami. " Saccard s'était levé, frémissant. " C'est bien décidé, vous ne prendrez pas d'actions, vous ne voulez pas ÃÂȘtre avec nous ? - Avec vous, jamais de la vie !... Vous serez mangé avant trois ans. " Il y eut un silence, gros de batailles, un échange aigu de regards qui se défiaient. " Alors, bonsoir... Je n'ai pas encore déjeuné et j'ai trÚs faim. Faudra voir qui est-ce qui sera mangé. " Et il le laissa, au milieu de sa tribu qui finissait de se bourrer bruyamment de pùtisseries, recevant les derniers courtiers attardés, fermant par instants les yeux de lassitude, pendant qu'il achevait son bol à petits coups, les lÚvres toutes blanches de lait. Saccard se jeta dans son fiacre, en donnant l'adresse de la rue Saint-Lazare. Une heure sonnait, c'était une journée perdue, il rentrait déjeuner, hors de lui. Ah ! le sale juif ! en voilà un, décidément, qu'il aurait eu du plaisir à casser d'un coup de dents, comme un chien casse un os ! Certes, le manger, c'était un morceau terrible et trop gros. Mais est-ce qu'on savait ? les plus grands empires s'étaient bien écroulés, il y a toujours une heure oÃÂč les puissants succombent. Non, pas le manger, l'entamer d'abord, lui arracher des lambeaux de son milliard ; ensuite, le manger, oui ! pourquoi pas ? les détruire, dans leur roi incontesté, ces juifs qui se croyaient les maÃtres du festin ! Et ces réflexions, cette colÚre qu'il emportait de chez Gundermann, soulevaient Saccard d'un furieux zÚle, d'un besoin de négoce, de succÚs immédiat il aurait voulu bùtir d'un geste sa maison de banque, la faire fonctionner, triompher, écraser les maisons rivales. Brusquement, le souvenir de Daigremont lui revint ; et, sans discuter, d'un mouvement irrésistible, il se pencha, il cria au cocher de monter la rue La Rochefoucauld. S'il voulait voir Daigremont, il devait se hùter, quitte à déjeuner plus tard, car il savait que celui-ci sortait vers une heure. Sans doute, ce chrétien-là valait deux juifs, et il passait pour un ogre dévorateur des jeunes affaires qu'on mettait en garde chez lui. Mais, à cette minute, Saccard aurait traité avec Cartouche, pour la conquÃÂȘte, mÃÂȘme à la condition de partager. Plus tard, on verrait bien, il serait le plus fort. Cependant, le fiacre, qui montait avec peine la rude cÎte de la rue, s'arrÃÂȘta devant la haute porte monumentale d'un des derniers grands hÎtels de ce quartier, qui en a compté de fort beaux. Le corps de bùtiments, au fond d'une vaste cour pavée, avait un air de royale grandeur ; et le jardin qui le suivait, planté encore d'arbres centenaires, restait un véritable parc, isolé des rues populeuses. Tout Paris connaissait cet hÎtel pour ses fÃÂȘtes splendides, surtout pour l'admirable collection de tableaux, que pas un grand-duc en voyage ne manquait de visiter. Marié à une femme célÚbre par sa beauté, comme ses tableaux, et qui remportait dans le monde de vifs succÚs de cantatrice, le maÃtre du logis menait un train princier, était aussi glorieux de son écurie de course que de sa galerie, appartenait à un des grands clubs, affichait les femmes les plus coûteuses, avait loge à l'Opéra, chaise à l'hÎtel Drouot et petit banc dans les lieux louches à la mode. Et toute cette large vie, ce luxe flambant dans une apothéose de caprice et d'art, était uniquement payé par la spéculation, une fortune sans cesse mouvante, qui semblait infinie comme la mer, mais qui en avait le flux et le reflux, des différences de deux et trois cent mille francs, à chaque liquidation de quinzaine. Lorsque Saccard eut gravi le majestueux perron, un valet l'annonça, lui fit traverser trois salons encombrés de merveilles, jusqu'à un petit fumoir, oÃÂč Daigremont achevait un cigare, avant de sortir. Agé déjà de quarante-cinq ans, celui-ci luttait contre l'embonpoint, de haute taille, trÚs élégant avec sa coiffure soignée, ne portant que les moustaches et la barbiche, en fanatique des Tuileries. Il affectait une grande amabilité, d'une confiance absolue en soi, certain de vaincre. Tout de suite, il se précipita. " Ah ! mon cher ami, que devenez-vous ? Je pensais encore à vous, l'autre jour... Mais n'ÃÂȘtes-vous pas mon voisin " Pourtant, il se calma, renonça à cette effusion qu'il gardait pour le troupeau, lorsque Saccard, jugeant les finesses de transition inutiles, aborda immédiatement le but de sa visite. Il dit sa grande affaire, expliqua qu'avant de créer la Banque universelle, au capital de vingt- cinq millions, il cherchait à former un syndicat d'amis, de banquiers, d'industriels, qui assurerait à l'avance le succÚs de l'émission, en s'engageant à prendre les quatre cinquiÚmes de cette émission, soit quarante mille actions au moins. Daigremont était devenu trÚs sérieux, l'écoutait, le regardait, comme s'il l'eût fouillé jusqu'au fond de la cervelle, pour voir quel effort, quel travail utile à lui-mÃÂȘme, il pourrait encore tirer de cet homme, qu'il avait connu si actif, si plein de merveilleuses qualités, dans sa fiÚvre brouillonne. D'abord, il hésita. " Non, non, je suis accablé, je ne veux rien entreprendre de nouveau. " Puis, tenté pourtant, il posa des questions, voulut connaÃtre les projets que patronnerait la nouvelle maison de crédit, projets dont son interlocuteur avait la prudence de ne parler qu'avec la plus extrÃÂȘme réserve. Et, lorsqu'il connut la premiÚre affaire qu'on lancerait, cette idée de syndiquer toutes les compagnies de transports de la Méditerranée, sous la raison sociale de Compagnie générale des Paquebots réunis, il parut trÚs frappé, il céda tout d'un coup. - Eh bien, je consens à en ÃÂȘtre. Seulement, c'est à une condition... Comment ÃÂȘtes-vous avec votre frÚre le ministre ? " Saccard, surpris, eut la franchise de montrer son amertume. " Avec mon frÚre... Oh ! il fait ses affaires, et je fais les miennes. Il n'a pas la corde trÚs fraternelle, mon frÚre. " - Alors, tant pis ! déclara nettement Daigremont. Je ne veux ÃÂȘtre avec vous que si votre frÚre y est aussi... Vous entendez bien, je ne veux pas que vous soyez fùchés. " D'un geste colÚre d'impatience, Saccard protesta. Est-ce qu'on avait besoin de Rougon ? est-ce que ce n'était pas aller chercher des chaÃnes, pour se lier pieds et mains ? Mais, en mÃÂȘme temps, une voix de sagesse, plus forte que son irritation, lui disait qu'il fallait au moins s'assurer de la neutralité du grand homme. Cependant, il refusait brutalement. " Non, non, il a toujours été trop cochon avec moi. Jamais je ne ferai le premier pas. - Ecoutez, reprit Daigremont j'attends Huret à cinq heures, pour une commission dont il s'est chargé... Vous allez courir au Corps législatif, vous prendrez Huret dans un coin, vous lui conterez votre affaire, il en parlera tout de suite à Rougon, il saura ce que ce dernier en pense, et nous aurons la réponse ici, à cinq heures... Hein ! rendez-vous à cinq heures ? " La tÃÂȘte basse, Saccard réfléchissait. " Mon Dieu ! si vous y tenez ! - Oh ! absolument ! sans Rougon, rien ; avec Rougon, tout ce que vous voudrez. - C'est bon, j'y vais. " Il partait, aprÚs une vigoureuse poignée de main, lorsque que l'autre le rappela. " Ah ! dites donc, si vous sentez que les choses s'emmanchent, passez donc, en revenant, chez le marquis de Bohain et chez Sédille, faites- leur savoir que j'en suis et demandez-leur d'en ÃÂȘtre... Je veux qu'ils en soient ! " A la porte, Saccard retrouva son fiacre, qu'il avait gardé, bien qu'il n'eût qu'à descendre le bout de la rue, pour ÃÂȘtre chez lui. Il le renvoya, comptant qu'il pourrait faire atteler, l'aprÚs-midi ; et il rentra vivement déjeuner. On ne l'attendait plus, ce fut la cuisiniÚre qui lui servit elle-mÃÂȘme un morceau de viande froide, qu'il dévora, tout en se querellant avec le cocher ; car, celui-ci, qu'il avait fait monter, lui ayant rendu compte de la visite du vétérinaire, il en résultait qu'il fallait laisser le cheval se reposer trois ou quatre jours. Et, la bouche pleine, il accusait le cocher de mauvais soins, il le menaçait de Mme Caroline, qui mettrait ordre à tout ça. Enfin, il lui cria d'aller au moins chercher un fiacre. De nouveau, une ondée diluvienne balayait la rue, il dut attendre plus d'un quart d'heure la voiture, dans laquelle il monta, sous des torrents d'eau, en jetant l'adresse " Au Corps législatif ! " Son plan était d'arriver avant la séance, de façon à prendre Huret au passage et à l'entretenir tranquillement. Par malheur, on redoutait ce jour-là un débat passionné, car un membre de la gauche devait soulever l'éternelle question du Mexique ; et Rougon, sans doute, serait forcé de répondre. Comme Saccard entrait dans la salle des Pas-Perdus, il eut la chance de tomber sur le député. Il l'entraÃna au fond d'un des petits salons voisins, ils s'y trouvÚrent seuls, grùce à la grosse émotion qui régnait dans les couloirs. L'opposition devenait de plus en plus redoutable, le vent de catastrophe commençait à souffler, qui devait grandir et tout abattre. Aussi, Huret, préoccupé, ne comprit-il pas d'abord, et se fit- il expliquer à deux reprises la mission dont on le chargeait. Son effarement s'en augmenta. " Oh ! mon cher ami, y pensez-vous ! parler à Rougon en ce moment ! il m'enverra coucher, c'est sûr. " Puis, l'inquiétude de son intérÃÂȘt personnel se fit jour. Il n'existait, lui, que par le grand homme, à qui il devait sa candidature officielle, son élection, sa situation de domestique bon à tout faire, vivant des miettes de la faveur du maÃtre. A ce métier, depuis deux ans, grùce aux pots-de-vin, aux gains prudents ramassés sous la table, il arrondissait ses vastes terres du Calvados, avec la pensée de s'y retirer et d'y trÎner aprÚs la débùcle. Sa grosse face de paysan malin s'était assombrie, exprimait l'embarras oÃÂč le jetait cette demande d'intervention, sans qu'on lui donnùt le temps de se rendre compte s'il y aurait là , pour lui, bénéfice ou dommage. " Non, non ! je ne peux pas... Je vous ai transmis la volonté de votre frÚre, je ne peux pas aller le relancer encore. Que diable ! songez un peu à moi. Il n'est guÚre tendre, quand on l'embÃÂȘte ; et, dame ! je n'ai pas envie de payer pour vous, en y laissant mon crédit. " Alors, Saccard, comprenant, ne s'attacha plus qu'à le convaincre des millions qu'il y aurait à gagner, dans le lancement de la Banque universelle. A larges traits, avec sa parole ardente qui transformait une affaire d'argent en un conte de poÚte, il expliqua les entreprises superbes, le succÚs certain et colossal. Daigremont, enthousiasmé, se mettait à la tÃÂȘte du syndicat. Bohain et Sédille avaient déjà demandé d'en ÃÂȘtre. Il était impossible que lui, Huret, n'en fût pas ces messieurs le voulaient absolument avec eux, à cause de sa haute situation politique. MÃÂȘme on espérait bien qu'il consentirait à faire partie du conseil d'administration, parce que son nom signifiait ordre et probité. A cette promesse d'ÃÂȘtre nommé membre du conseil, le député le regarda bien en face. " Enfin, qu'est-ce que vous désirez de moi, quelle réponse voulez- vous que je tire de Rougon ? - Mon Dieu ! reprit Saccard, moi, je me serais passé volontiers de mon frÚre. Mais c'est Daigremont qui exige que je me réconcilie. Peut- ÃÂȘtre a-t-il raison... Alors, je crois que vous devez simplement parler de notre affaire au terrible homme, et obtenir, sinon qu'il nous aide, du moins qu'il ne soit pas contre nous. " Huret, les yeux à demi fermés, ne se décidait toujours pas. " Voilà ! si vous apportez un mot gentil, rien qu'un mot gentil, entendez-vous ! Daigremont s'en contentera, et nous bùclons ce soir la chose à nous trois. - Eh bien, je vais essayer, déclara brusquement le député, en affectant une rondeur paysanne ; mais il faut que ce soit pour vous, car il n'est pas commode, oh ! non, surtout quand la gauche le taquine... A cinq heures. - A cinq heures ! " Saccard resta prÚs d'une heure encore, trÚs inquiet des bruits de lutte qui couraient. Il entendit un des grands orateurs de l'opposition annoncer qu'il prendrait la parole. A cette nouvelle, il eut un instant l'envie de retrouver Huret, pour lui demander s'il ne serait pas sage de remettre au lendemain l'entretien avec Rougon. Puis, fataliste, croyant à la chance, il trembla de tout compromettre, s'il changeait ce qui était arrÃÂȘté. Peut-ÃÂȘtre, dans la bousculade, son frÚre lùcherait-il plus facilement le mot attendu. Et, pour laisser aller les choses, il partit, il remonta dans son fiacre, qui reprenait déjà le pont de la Concorde, lorsqu'il se souvint du désir exprimé par Daigremont. " Cocher, rue de Babylone. " C'était rue de Babylone que demeurait le marquis de Bohain. Il occupait les anciennes dépendances d'un grand hÎtel, un pavillon qui avait abrité le personnel des écuries, et dont on avait fait une trÚs confortable maison moderne. L'installation était luxueuse, avec un bel air d'aristocratie coquette. On ne voyait, du reste, jamais sa femme, souffrante, disait-il, retenue dans son appartement par des infirmités. Cependant, la maison, les meubles étaient à elle, il logeait en garni chez elle, n'ayant à lui que ses effets, une malle qu'il aurait pu emporter sur un fiacre, séparé de biens depuis qu'il vivait du jeu. Dans deux catastrophes déjà , il avait refusé nettement de payer ses différences, et le syndic, aprÚs s'ÃÂȘtre rendu compte de la situation, ne s'était pas mÃÂȘme donné la peine de lui envoyer du papier timbré. On passait l'éponge, simplement. Il empochait, tant qu'il gagnait. Puis, dÚs qu'il perdait, il ne payait pas on le savait et on s'y résignait. Il avait un nom illustre, il était extrÃÂȘmement décoratif dans les conseils d'administration ; aussi les jeunes compagnies, en quÃÂȘte d'enseignes dorées, se le disputaient-elles jamais il ne chÎmait. A la Bourse, il avait sa chaise, du cÎté de la rue Notre-Dame-des-Victoires, le cÎté de la spéculation riche, qui affectait de se désintéresser des petits bruits du jour. On le respectait, on le consultait beaucoup. Souvent il avait influencé le marché. Enfin, tout un personnage. Saccard, qui le connaissait bien, fut quand mÃÂȘme impressionné par la réception hautement polie de ce beau vieillard de soixante ans, à la tÃÂȘte trÚs petite posée sur un corps de colosse, la face blÃÂȘme, encadrée d'une perruque brune, du plus grand air. " Monsieur le marquis, je viens en véritable solliciteur... " Il dit le motif de la visite, sans entrer d'abord dans les détails. D'ailleurs, dÚs les premiers mots, le marquis l'arrÃÂȘta. " Non, non, tout mon temps est pris, j'ai en ce moment dix propositions que je dois refuser. " Puis, comme Saccard, souriant, ajoutait " C'est Daigremont qui m'envoie, il a songé à vous. " Il s'écria aussitÎt " Ah ! vous avez Daigremont là -dedans... Bon ! bon ! si Daigremont en est, j'en suis. Comptez sur moi. " Et le visiteur ayant alors voulu lui fournir au moins quelques renseignements, pour lui apprendre dans quelle sorte d'affaire il allait entrer, il lui ferma la bouche, avec la désinvolture aimable d'un grand seigneur qui ne descend pas à ces détails et qui a une confiance naturelle dans la probité des gens. " Je vous en prie, n'ajoutez pas un mot... Je ne veux pas savoir. Vous avez besoin de mon nom, je vous le prÃÂȘte, et j'en suis trÚs heureux, voilà tout... Dites seulement à Daigremont qu'il arrange ça comme il lui plaira. " En remontant dans son fiacre, Saccard, égayé, riait d'un rire intérieur. " Il nous coûtera cher, pensait-il, mais il est vraiment trÚs bien. " Puis, à voix haute " Cocher, rue des Jeûneurs. " La maison Sédille avait là ses magasins et ses bureaux, tenant, au fond d'une cour, tout un vaste rez-de-chaussée. AprÚs trente ans de travail, Sédille, qui était de Lyon et qui avait gardé là -bas des ateliers, venait enfin de faire de son commerce de soie un des mieux connus et des plus solides de Paris, lorsque la passion du jeu, à la suite d'un incident de hasard, s'était déclarée et propagée en lui avec la violence destructive d'un incendie. Deux gains considérables, coup sur coup, l'avaient affolé. A quoi bon donner trente ans de sa vie, pour gagner un pauvre million, lorsque, en une heure, par une simple opération de Bourse, on peut le mettre dans sa poche ? DÚs lors, il s'était désintéressé peu à peu de sa maison qui marchait par la force acquise ; il ne vivait plus que dans l'espoir d'un coup d'agio triomphant ; et, comme la déveine était venue, persistante, il engloutissait là tous les bénéfices de son commerce. A cette fiÚvre, le pis est qu'on se dégoûte du gain légitime, qu'on finit mÃÂȘme par perdre la notion exacte de l'argent. Et la ruine était fatalement au bout, si les ateliers de Lyon rapportaient deux cent mille francs, lorsque le jeu en emportait trois cent mille. Saccard trouva Sédille agité, inquiet, car celui-ci était un joueur sans flegme, sans philosophie. Il vivait dans le remords, toujours espérant, toujours abattu, malade d'incertitude, et cela parce qu'il restait honnÃÂȘte au fond. La liquidation de la fin d'avril venait de lui ÃÂȘtre désastreuse. Pourtant, sa face grasse, aux gros favoris blonds, se colora, dÚs les premiÚres paroles. " Ah ! mon cher, si c'est la chance que vous m'apportez, soyez le bienvenu ! " Ensuite, il fut pris d'une terreur. " Non, non ! ne me tentez pas. Je ferais mieux de m'enfermer avec mes piÚces de soie et de ne plus bouger de mon comptoir. " Voulant le laisser se calmer, Saccard lui parla de son fils Gustave, qu'il dit avoir vu le matin, chez Mazaud. Mais c'était, pour le négociant, un autre sujet de chagrin, car il avait rÃÂȘvé de se décharger de sa maison sur ce fils, et celui-ci méprisait le commerce, ùme de joie et de fÃÂȘte, apportant les dents blanches des fils de parvenu, bonnes seulement à croquer les fortunes faites. Son pÚre l'avait mis chez Mazaud pour voir s'il mordrait aux questions de finance. " Depuis la mort de sa pauvre mÚre, murmura-t-il, il m'a donné bien peu de satisfaction. Enfin, peut-ÃÂȘtre apprendra-t-il là -bas, à la charge, des choses qui me seront utiles. - Eh bien, reprit brusquement Saccard, ÃÂȘtes-vous avec nous ? Daigremont m'a dit de venir vous dire qu'il en était. " Sédille leva au ciel des bras tremblants. Et, la voix altérée de désir et de crainte " Mais oui ! j'en suis ! vous savez bien que je ne peux pas faire autrement que d'en ÃÂȘtre ! si je refusais et que votre affaire marchùt, j'en serais malade de regret... Dites à Daigremont que j'en suis. " Lorsque Saccard se retrouva dans la rue, il tira sa montre et vit qu'il était à peine quatre heures. Le temps qu'il avait devant lui, l'envie qu'il éprouvait de marcher un peu, lui firent lùcher son fiacre. Il s'en repentit presque tout de suite, car il n'était pas au boulevard, qu'une nouvelle averse, un déluge mÃÂȘlé de grÃÂȘle, le força de nouveau à se réfugier sous une porte. Quel chien de temps, lorsqu'on avait Paris à battre ! AprÚs avoir regardé l'eau tomber pendant un quart d'heure, l'impatience le prit, il héla une voiture vide qui passait. C'était une victoria, il eut beau ramener sur ses jambes le tablier de cuir, il arriva trempé rue La Rochefoucauld, et en avance d'une grande demi- heure. Dans le fumoir oÃÂč le valet le laissa, en disant que monsieur n'était pas rentré encore, Saccard marcha à petits pas, regardant les tableaux. Mais une voix de femme superbe, un contralto d'une puissance mélancolique et profonde, s'étant élevée dans le silence de l'hÎtel, il s'approcha de la fenÃÂȘtre restée ouverte, pour écouter c'était madame qui répétait, au piano, un morceau qu'elle devait sans doute chanter le soir, dans quelque salon. Puis, bercé par cette musique, il en vint à songer aux histoires extraordinaires que l'on contait de Daigremont l'histoire de l'Hadamantine surtout, cet emprunt de cinquante millions dont il avait gardé en main le stock entier, le faisant vendre et revendre cinq fois par des courtiers à lui, jusqu'à ce qu'il eût créé un marché, établi un prix ; puis, la vente sérieuse, la dégringolade fatale de trois cents francs à quinze francs, les bénéfices énormes sur tout un petit monde de naïfs, ruinés du coup. Ah ! il était fort, un terrible monsieur ! La voix de dame continuait, exhalant une plainte de tendresse, éperdue, d'une ampleur tragique ; tandis que Saccard, revenu au milieu de la piÚce, s'était arrÃÂȘté devant un Meissonier, qu'il estimait cent mille francs. Mais quelqu'un entra, et il fut surpris de reconnaÃtre Huret. " Comment, c'est déjà vous ? il n'est pas cinq heures... La séance est donc finie ? - Ah ! oui, finie... Ils se chamaillent. " Et il expliqua que, le député de l'opposition parlant toujours, Rougon, certainement, ne pourrait répondre que le lendemain. Alors, quand il avait vu ça, il s'était risqué à relancer le ministre, pendant une courte suspension de séance, entre deux portes. " Eh bien, demanda Saccard, nerveusement, qu'a-t-il dit, mon illustre frÚre ? " Huret ne répondit pas tout de suite. " Oh ! il était d'une humeur de dogue... Je vous avoue que je comptais sur l'exaspération oÃÂč je le voyais, espérant bien qu'il allait simplement m'envoyer promener... Donc, je lui ai lùché votre affaire, je lui ai dit que vous ne vouliez rien entreprendre sans son approbation. - Et alors ? - Alors, il m'a saisi par les deux bras, il m'a secoué, en me criant dans la figure " Qu'il aille se faire pendre ! " Et il m'a planté là . " Saccard, devenu blÃÂȘme, eut un rire forcé. " C'est gentil. - Dame ! oui, c'est gentil, reprit le député, d'un ton convaincu. Je n'en demandais pas tant... Avec ça, nous pouvons marcher. " Et, comme il entendit, dans le salon voisin, le pas de Daigremont qui rentrait, il ajouta tout bas " Laissez-moi faire. " Evidemment, Huret avait la plus grande envie de voir se fonder la Banque universelle, et d'en ÃÂȘtre. Sans doute, il s'était déjà rendu compte du rÎle qu'il y pourrait jouer. Aussi, dÚs qu'il eut serré la main de Daigremont, prit-il un visage rayonnant, en agitant un bras en l'air. " Victoire ! cria-t-il, victoire ! - Ah ! vraiment. Contez-moi donc ça. - Mon Dieu ! le grand homme a été ce qu'il devait ÃÂȘtre. Il m'a répondu " Que mon frÚre réussisse ! " Du coup. Daigremont se pùma, trouva le mot charmant. " Qu'il réussisse ! " ça contenait tout qu'il ne fasse pas la bÃÂȘtise de ne pas réussir, ou je le lùche ; mais qu'il réussisse, je l'aiderai. Exquis, en vérité ! " Et, mon cher Saccard, nous réussirons, soyez tranquille... Nous allons faire tout ce qu'il faudra pour ça " Puis, comme les trois hommes s'étaient assis, afin d'arrÃÂȘter les points principaux, Daigremont se releva et alla fermer la fenÃÂȘtre ; car la voix de madame, peu à peu enflée, jetait un sanglot d'une désespérance infinie, qui les empÃÂȘchait de s'entendre. Et, mÃÂȘme la fenÃÂȘtre close, cette lamentation étouffée les accompagna, pendant qu'ils décidaient la création d'une maison de crédit, la Banque universelle, au capital de vingt-cinq millions, divisé en cinquante mille actions de cinq cents francs. Il était en outre entendu que Daigremont, Huret, Sédille, le marquis de Bohain et quelques-uns de leurs amis, formaient un syndicat, qui, d'avance, prenait et se partageait les quatre cinquiÚmes des actions, soit quarante mille ; de sorte que le succÚs de l'émission était assuré, et que, plus tard, détenant les titres, les rendant rares sur le marché, ils pourraient les faire monter à leur gré. Seulement, tout faillit ÃÂȘtre rompu, lorsque Daigremont exigea une prime de quatre cent mille francs, à répartir sur les quarante mille actions, soit dix francs par action. Saccard se récria, déclara qu'il n'était pas raisonnable de faire crier la vache avant mÃÂȘme que de la traire. Les commencements seraient difficiles, pourquoi embarrasser la situation davantage ? Pourtant, il dut céder, devant l'attitude d'Huret qui, tranquillement, trouvait la chose toute naturelle, disant que ça se faisait toujours. Ils se séparaient, en prenant un rendez-vous pour le lendemain, rendez-vous auquel l'ingénieur Hamelin devait assister, lorsque Daigremont se frappa brusquement le front, d'un air de désespoir. " Et Kolb que j'oubliais ! Oh ! il ne me le pardonnerait pas il faut qu'il en soit... Mon petit Saccard, si vous étiez gentil, vous iriez chez lui tout de suite. Il n'est pas six heures, vous le trouveriez encore... Oui, vous-mÃÂȘme, et pas demain, ce soir, parce que ça le touchera et qu'il peut nous ÃÂȘtre utile. " Docilement, Saccard se remit en marche, sachant que les journées de chance ne se recommencent pas. Mais il avait de nouveau renvoyé son fiacre, espérant rentrer chez lui, à deux pas ; et, la pluie ayant l'air enfin de cesser, il descendit à pied, heureux de sentir sous ses talons ce pavé de Paris, qu'il reconquérait. Rue Montmartre, quelques gouttes d'eau lui firent prendre par les passages. Il enfila le passage Verdeau, le passage Jouffroy ; puis, dans le passage des Panoramas, comme il suivait une galerie latérale pour raccourcir et tomber rue Vivienne, il fut surpris de voir sortir d'une allée obscure Gustave Sédille, qui disparut, sans s'ÃÂȘtre retourné. Lui, s'était arrÃÂȘté, regardant la maison, un discret hÎtel meublé, lorsque, dans une petite femme blonde, voilée, qui sortait à son tour, il reconnut positivement Mme Conin, la jolie papetiÚre. C'était donc là , quand elle avait un coup de tendresse, qu'elle amenait ses amants d'un jour, tandis que son bon gros garçon de mari la croyait en course pour des factures ! Ce coin de mystÚre, au beau milieu du quartier, était fort gentiment choisi, et un hasard seul venait de livrer le secret. Saccard souriait, trÚs égayé, enviant Gustave Germaine Coeur le matin, Mme Conin l'aprÚs-midi, il mettait les morceaux doubles, le jeune homme ! Et, à deux reprises, il regarda encore la porte, afin de la bien reconnaÃtre, tenté d'en ÃÂȘtre, lui aussi. Rue Vivienne, au moment oÃÂč il entrait chez Kolb, Saccard tressaillit et s'arrÃÂȘta de nouveau. Une musique légÚre, cristalline, qui sortait du sol, pareille à la voix des fées légendaires, l'enveloppait ; et il reconnut la musique de l'or, la continuelle sonnerie de ce quartier du négoce et de la spéculation, entendue déjà le matin. La fin de la journée en rejoignait le commencement. Il s'épanouit, à la caresse de cette voix, comme si elle lui confirmait le bon présage. Justement, Kolb se trouvait en bas, à l'atelier de fonte ; et, en ami de la maison, Saccard descendit l'y rejoindre. Dans le sous-sol nu, que de larges flammes de gaz éclairaient éternellement, les deux fondeurs vidaient à la pelle les caisses doublées de zinc, pleines, ce jour-là , de piÚces espagnoles, qu'ils jetaient au creuset, sur le grand fourneau carré. La chaleur était forte, il fallait parler haut pour s'entendre, au milieu de cette sonnerie d'harmonica, vibrante sous la voûte basse. Des lingots fondus, des pavés d'or, d'un éclat vif de métal neuf, s'alignaient le long de la table du chimiste-essayeur, qui en arrÃÂȘtait les titres. Et, depuis le matin, plus de six millions avaient passé là , assurant au banquier un bénéfice de trois ou quatre cents francs à peine ; car l'arbitrage sur l'or, cette différence réalisée entre deux cours, étant des plus minimes, s'appréciant par milliÚmes, ne peut donner un gain que sur des quantités considérables de métal fondu. De là , ce tintement d'or, ce ruissellement d'or, du matin au soir, d'un bout de l'année à l'autre, au fond de cette cave, oÃÂč l'or venait en piÚces monnayées, d'oÃÂč il partait en lingots, pour revenir en piÚces et repartir en lingots, indéfiniment, dans l'unique but de laisser aux mains du trafiquant quelques parcelles d'or. DÚs que Kolb, un homme petit, trÚs brun, dont le nez en bec d'aigle, sortant d'une grande barbe, décelait l'origine juive, eut compris l'offre de Saccard, que l'or courrait d'un bruit de grÃÂȘle, il accepta. " Parfait ! cria-t-il. TrÚs heureux d'en ÃÂȘtre, si Daigremont en est ! Et merci de ce que vous vous ÃÂȘtes dérangé ! " Mais ils s'entendaient à peine, ils se turent, restÚrent là un instant encore, étourdis, béats dans cette sonnerie si claire et exaspérée, dont leur chair frémissait toute, comme d'une note trop haute tenue sans fin sur les violons, jusqu'au spasme. Dehors, malgré le beau temps revenu, une limpide soirée de mai, Saccard, brisé de fatigue, reprit un fiacre pour rentrer. Une rude journée, mais bien remplie ! IV - Des difficultés surgirent, l'affaire traÃna, cinq mois s'écoulÚrent sans que rien pût se conclure. On était déjà aux derniers jours de septembre, et Saccard enrageait de voir que, malgré son zÚle, de continuels obstacles renaissaient, toute une série de questions secondaires, qu'il fallait résoudre d'abord, si l'on voulait fonder quelque chose de sérieux et de solide. Son impatience devint telle, qu'il fut un moment sur le point d'envoyer promener le syndicat, hanté et séduit par la brusque idée de faire l'affaire avec la princesse d'Orviedo, toute seule. Elle avait les millions nécessaires au premier lancement, pourquoi ne les mettrait-elle pas dans cette opération superbe, quitte à laisser venir la petite clientÚle, lors des futures augmentations du capital, qu'il projetait déjà ? Il était d'une bonne foi absolue, il avait la conviction de lui apporter un placement oÃÂč elle décuplerait sa fortune, cette fortune des pauvres, qu'elle répandrait en aumÎnes plus larges encore. Donc, un matin, Saccard monta chez la princesse, et, en ami doublé d'un homme d'affaires, il lui expliqua la raison d'ÃÂȘtre et le mécanisme de la banque qu'il rÃÂȘvait. Il dit tout, étala le portefeuille d'Hamelin, n'omit pas une des entreprises d'Orient. MÃÂȘme, cédant à cette faculté qu'il avait de se griser de son propre enthousiasme, d'arriver à la foi par son désir brûlant de réussir, il lùcha le rÃÂȘve fou de la papauté à Jérusalem, il parla du triomphe définitif du catholicisme, le pape trÎnant aux lieux saints, dominant le monde, assuré d'un budget royal, grùce à la création du Trésor du Saint-Sépulcre. La princesse, d'une ardente dévotion, ne fut guÚre frappée que de ce projet suprÃÂȘme, ce couronnement de l'édifice, dont la grandeur chimérique flattait en elle l'imagination déréglée qui lui faisait jeter ses millions en bonnes oeuvres d'un luxe colossal et inutile. Justement, les catholiques de France venaient d'ÃÂȘtre atterrés et irrités de la convention que l'empereur avait conclu avec le roi d'Italie, par laquelle il s'engageait, sous de certaines conditions de garantie, à retirer le corps de troupes français occupant Rome ; il était bien certain que c'était Rome livrée à l'Italie, on voyait déjà le pape chassé, réduit à l'aumÎne, errant par les villes avec le bùton des mendiants ; et quel dénouement prodigieux, le pape se retrouvant pontife et roi à Jérusalem, installé là et soutenu par une banque dont les chrétiens du monde entier tiendraient à honneur d'ÃÂȘtre les actionnaires ! C'était si beau, que la princesse déclara l'idée la plus grande du siÚcle, digne de passionner toute personne bien née ayant de la religion. Le succÚs lui semblait assuré, foudroyant. Son estime s'en accrut pour l'ingénieur Hamelin, qu'elle traitait avec considération, ayant su qu'il pratiquait. Mais elle refusa nettement d'ÃÂȘtre de l'affaire, elle entendait rester fidÚle au serment qu'elle avait fait de rendre ses millions aux pauvres, sans jamais plus tirer d'eux un centime d'intérÃÂȘt, voulant que cet argent du jeu se perdÃt fût bu par la misÚre, comme une eau empoisonnée qui devait disparaÃtre. L'argument que les pauvres profiteraient de la spéculation ne la touchait pas, l'irritait mÃÂȘme. Non, non ! la source maudite serait tarie, elle ne s'était pas donné d'autre mission. Saccard, déconcerté, ne put qu'utiliser sa sympathie pour obtenir d'elle une autorisation, vainement sollicitée jusque-là . Il avait eu la pensée, dÚs que la Banque universelle serait fondée, de l'installer dans l'hÎtel mÃÂȘme ; ou du moins c'était Mme Caroline qui lui avait soufflé cette idée, car, lui, voyait plus grand, aurait voulu tout de suite un palais. On se contenterait de vitrer la cour, pour servir de hall central ; on aménagerait en bureaux tout le rez-de-chaussée, les écuries, les remises ; au premier étage, il donnerait son salon qui deviendrait la salle du conseil, sa salle à manger et six autres piÚces dont on ferait des bureaux encore, ne garderait qu'une chambre à coucher et un cabinet de toilette, quitte à vivre en haut avec les Hamelin, mangeant, passant les soirées chez eux ; de sorte qu'à peu de frais on installerait la banque d'une façon un peu étroite mais fort sérieuse. La princesse, comme propriétaire, avait d'abord refusé, dans sa haine de tout trafic d'argent jamais son toit n'abriterait cette abomination. Puis, ce jour-là , mettant la religion dans l'affaire, émue de la grandeur du but, elle consentit. C'était une concession extrÃÂȘme, elle se sentait prise d'un petit frisson, lorsqu'elle songeait à cette machine infernale d'une maison de crédit, d'une maison de Bourse et d'agio, dont elle laissait ainsi établir sous elle les rouages de ruine et de mort. Enfin, une semaine aprÚs cette tentative avortée, Saccard eut la joie de voir l'affaire, si empÃÂȘtrée d'obstacles, se bùcler brusquement, en quelques jours. Daigremont vint un matin lui dire qu'il avait toutes les adhésions, qu'on pouvait marcher. DÚs lors, on étudia une derniÚre fois le projet des statuts, on rédigea l'acte de société. Et il était grand temps aussi pour les Hamelin, à qui la vie commençait à redevenir dure. Lui, depuis des années, n'avait qu'un rÃÂȘve, ÃÂȘtre l'ingénieur-conseil d'une grande maison de crédit comme il le disait, il se chargerait d'amener l'eau au moulin. Aussi, peu à peu, la fiÚvre de Saccard l'avait-elle gagné, brûlant du mÃÂȘme zÚle et de la mÃÂȘme impatience. Au contraire, Mme Caroline, aprÚs s'ÃÂȘtre enthousiasmée à l'idée des belles et utiles choses qu'on allait accomplir, semblait plus froide, l'air songeur, depuis qu'on entrait dans les broussailles et les fondriÚres de l'exécution. Son grand bon sens, sa nature droite flairaient toutes sortes de trous obscurs et malpropres ; et elle tremblait surtout pour son frÚre, qu'elle adorait, qu'elle traitait parfois en riant de " grosse bÃÂȘte " , malgré sa science ; non qu'elle soupçonnùt le moins du monde l'honnÃÂȘteté parfaite de leur ami, qu'elle voyait si dévoué à leur fortune ; mais elle avait une singuliÚre sensation de terrain mouvant, une inquiétude de chute et d'engloutissement, au premier faux pas. Ce matin-là , Saccard, lorsque Daigremont l'eut quitté, monta rayonnant à la salle des épures. " Enfin, c'est fait ! " cria-t-il. Hamelin, saisi, les yeux humides, vÃnt lui serrer les mains, à les briser. Et, comme Mme Caroline s'était simplement tournée vers lui, un peu pùle, il ajouta " Eh bien, quoi donc ; c'est tout ce que vous me dites ?... Ça ne vous fait pas plus de plaisir, à vous ?... " Elle eut un bon sourire. " Mais si, je suis trÚs contente, trÚs contente, je vous assure. " Puis, quand il eut donné à son frÚre des détails sur le syndicat, définitivement formé, elle intervint de son air paisible. " Alors, c'est permis, n'est-ce pas ? de se réunir ainsi à plusieurs, pour se distribuer les actions d'une banque, avant mÃÂȘme que l'émission soit faite ? " Violemment, il eut un geste d'affirmation. " Mais, certainement, c'est permis !... Est-ce que vous nous croyez assez niais, pour risquer un échec ? Sans compter que nous avons besoin de gens solides, maÃtres du marché, si les débuts sont difficiles... Voilà toujours les quatre cinquiÚmes de nos titres placés en des mains sûres. On va pouvoir aller signer l'acte de société chez le notaire. " Elle osa lui tenir tÃÂȘte. " Je croyais que la loi exigeait la souscription intégrale du capital social. " Cette fois, trÚs surpris, il la regarda en face. " Vous lisez donc le Code ? " Et elle rougit légÚrement, car il avait deviné la veille, cédant à son malaise, cette peur sourde et sans cause précise, elle avait lu la loi sur les sociétés. Un instant, elle fut sur le point de mentir. Puis, avouant, riant " C'est vrai, j'ai lu le Code, hier. J'en suis sortie, en tùtant mon honnÃÂȘteté et celle des autres, comme on sort des livres de médecine, avec toutes les maladies. " Mais lui se fùchait, car ce fait d'avoir voulu se renseigner, la lui montrait méfiante, prÃÂȘte à le surveiller, de ses yeux de femme, fureteurs et intelligents. " Ah ! reprit-il avec un geste qui jetait bas les vains scrupules, si vous croyez que nous allons nous conformer aux chinoiseries du Code ! Mais nous ne pourrions faire deux pas, nous serions arrÃÂȘtés par des entraves, à chaque enjambée, tandis que les autres, nos rivaux, nous devanceraient, à toutes jambes !... Non, non, je n'attendrai certainement pas que tout le capital soit souscrit ; je préfÚre, d'ailleurs, nous réserver des titres, et je trouverai un homme à nous auquel j'ouvrirai un compte, qui sera notre prÃÂȘte-nom enfin. - C'est défendu, déclara-t-elle simplement de sa belle voix grave. - Eh ! oui, c'est défendu, mais toutes les sociétés le font. - Elles ont tort, puisque c'est mal. " Saccard, se calmant par un brusque effort de volonté, crut alors devoir se tourner vers Hamelin, qui, gÃÂȘné, écoutait, sans intervenir. " Mon cher ami, j'espÚre que vous ne doutez pas de moi... Je suis un vieux routier de quelque expérience, vous pouvez vous remettre entre mes mains, pour le cÎté financier de l'affaire. Apportez-moi de bonnes idées, et je me charge de tirer d'elles tout le bénéfice désirable, en courant le moins de risques possible. Je crois qu'un homme pratique ne peut pas dire mieux. " L'ingénieur, avec son fond invincible de timidité et de faiblesse, tourna la chose en plaisanterie, pour éviter de répondre directement. " Oh ! vous aurez, dans Caroline, un vrai censeur. Elle est née maÃtre d'école. - Mais je veux bien aller à sa classe " , déclara galamment Saccard. Mme Caroline elle-mÃÂȘme s'était remise à rire. Et la conversation continua sur un ton de familiÚre bienveillance. " C'est que j'aime beaucoup mon frÚre, c'est que je vous aime vous- mÃÂȘme plus que vous ne pensez, et cela me ferait un gros chagrin de vous voir vous engager dans des trafics louches, oÃÂč il n'y a, au bout, que désastre et que tristesse... Ainsi, tenez ! puisque nous en sommes là - dessus, la spéculation, le jeu à la Bourse, eh bien ! j'en ai une terreur folle. J'étais si heureuse, dans le projet de statuts, que vous m'avez fait recopier, d'avoir lu, à l'article 8, que la société s'interdisait rigoureusement toute opération à terme. C'était s'interdire le jeu, n'est-ce pas ? Et puis, vous m'avez désenchantée, en vous moquant de moi, en m'expliquant que c'était là un simple article d'apparat, une formule de style que toutes les sociétés tenaient à honneur d'inscrire et que pas une n'observait... Vous ne savez pas ce que je voudrais, moi ? ce serait qu'à la place de ces actions, ces cinquante mille actions que vous allez lancer, vous n'émettiez que des obligations. Oh ! vous voyez que je suis trÚs forte, depuis que je lis le Code, je n'ignore plus qu'on ne joue pas sur une obligation, qu'un obligataire est un simple prÃÂȘteur qui touche tant pour cent sur son prÃÂȘt, sans ÃÂȘtre intéressé dans les bénéfices, tandis que l'actionnaire est un associé courant la chance des bénéfices et des pertes... Dites, pourquoi pas des obligations, ça me rassurerait tant, je serais si heureuse ! " Elle outrait plaisamment la supplication de sa requÃÂȘte, pour cacher sa réelle inquiétude. Et Saccard répondit sur le mÃÂȘme ton, avec un emportement comique. " Des obligations, des obligations ! mais jamais !... Que voulez-vous fiche avec des obligations ? C'est de la matiÚre morte... Comprenez donc que la spéculation, le jeu est le rouage central, le coeur mÃÂȘme, dans une vaste affaire comme la nÎtre. Oui ! il appelle le sang, il le prend partout par petits ruisseaux, l'amasse, le renvoie en fleuves dans tous les sens, établit une énorme circulation d'argent, qui est la vie mÃÂȘme des grandes affaires. Sans lui, les grands mouvements de capitaux, les grands travaux civilisateurs qui en résultent, sont radicalement impossibles... C'est comme pour les sociétés anonymes, a-t-on assez crié contre elles, a-t-on assez répété qu'elles étaient des tripots et des coupe-gorge. La vérité est que, sans elles, nous n'aurions ni les chemins de fer, ni aucune des énormes entreprises modernes, qui ont renouvelé le monde ; car pas une fortune n'aurait suffi à les mener à bien, de mÃÂȘme que pas un individu, ni mÃÂȘme un groupe d'individus, n'aurait voulu en courir les risques. Les risques, tout est là , et la grandeur du but aussi. Il faut un projet vaste, dont l'ampleur saisisse l'imagination ; il faut l'espoir d'un gain considérable, d'un coup de loterie qui décuple la mise de fonds, quand elle ne l'emporte pas ; et alors les passions s'allument, la vie afflue, chacun apporte son argent, vous pouvez repétrir la terre. Quel mal voyez-vous là ? Les risques courus sont volontaires, répartis sur un nombre infini de personnes, inégaux et limités selon la fortune et l'audace de chacun. On perd, mais on gagne, on espÚre un bon numéro, mais on doit s'attendre toujours à en tirer un mauvais, et l'humanité n'a pas de rÃÂȘve plus entÃÂȘté ni plus ardent, tenter le hasard, obtenir tout de son caprice, ÃÂȘtre roi, ÃÂȘtre dieu ! " Peu à peu, Saccard ne riait plus, se redressait sur ses petites jambes, s'enflammait d'une ardeur lyrique, avec des gestes qui jetaient ses paroles aux quatre coins du ciel. " Tenez, nous autres, avec notre Banque universelle, n'allons-nous pas couvrir l'horizon le plus large, toute une trouée sur le vieux monde de l'Asie, un champ sans limite à la pioche du progrÚs et à la rÃÂȘverie des chercheurs d'or. Certes, jamais ambition n'a été plus colossale, et, je l'accorde, jamais non plus conditions de succÚs ou d'insuccÚs n'ont été plus obscures. Mais c'est justement pour cela que nous sommes dans les termes mÃÂȘmes du problÚme, et que nous déterminerons, j'en ai la conviction, un engouement extraordinaire dans le public, dÚs que nous serons connus... Notre Banque universelle, mon Dieu ! elle va ÃÂȘtre d'abord la maison classique qui traitera de toutes affaires de banque, de crédit et d'escompte, recevra des fonds en comptes courants, contractera, négociera ou émettra des emprunts. Seulement, l'outil que j'en veux faire surtout, c'est une machine à lancer les grands projets de votre frÚre là sera son véritable rÎle, ses bénéfices croissants, sa puissance peu à peu dominatrice. Elle est fondée, en somme, pour prÃÂȘter son concours à des sociétés financiÚres et industrielles, que nous établirons dans les pays étrangers, dont nous placerons les actions, qui nous devront la vie et nous assurerons la souveraineté... Et, devant cet avenir aveuglant de conquÃÂȘtes, vous venez me demander s'il est permis de se syndiquer et d'avantager d'une prime les syndicataires, quitte à la porter au compte de premier établissement ; vous vous inquiétez des petites irrégularités fatales, des actions non souscrites, que la société fera bien de garder, sous le couvert d'un prÃÂȘte-nom ; enfin, vous partez en guerre contre le jeu, contre le jeu, Seigneur ! qui est l'ùme mÃÂȘme, le foyer, la flamme de cette géante mécanique que je rÃÂȘve !... Sachez donc que ce n'est rien encore, tout ça ! que ce pauvre petit capital de vingt-cinq millions est un simple fagot jeté sous la machine, pour le premier coup de feu ! que j'espÚre bien le doubler, le quadrupler, le quintupler, à mesure que nos opérations s'élargiront ! qu'il nous faut la grÃÂȘle des piÚces d'or, la danse des millions, si nous voulons, là -bas, accomplir les prodiges annoncés !... Ah ! dame ! je ne réponds pas de la casse, on ne remue pas le monde, sans écraser les pieds de quelques passants. " Elle le regardait, et, dans son amour de la vie, de tout ce qui était fort et actif, elle finissait par le trouver beau, séduisant de verve et de foi. Aussi, sans se rendre à ses théories qui révoltaient la droiture de sa claire intelligence, feignit-elle d'ÃÂȘtre vaincue. " C'est bon, mettons que je ne sois qu'une femme et que les batailles de l'existence m'effraient... Seulement, n'est-ce pas ? tùchez d'écraser le moins de monde possible, et surtout n'écrasez personne de ceux que j'aime. " Saccard, grisé de son accÚs d'éloquence, et qui triomphait de ce vaste plan exposé, comme si la besogne était faite, se montra tout à fait bonhomme. " N'ayez donc pas peur ! Je fais l'ogre, c'est pour rire... Tout le monde sera trÚs riche. " Ils causÚrent ensuite tranquillement des dispositions à prendre, et il fut convenu que, le lendemain mÃÂȘme de la constitution définitive de la société, Hamelin se rendrait à Marseille, puis de là en Orient, pour hùter la mise en oeuvre des grandes affaires. Mais déjà , sur le marché de Paris, des bruits se répandaient, une rumeur ramenait le nom de Saccard, du fond trouble oÃÂč il s'était noyé un instant ; et les nouvelles, d'abord chuchotées, peu à peu dites à voix plus haute, sonnaient si clairement le succÚs prochain, que, de nouveau, comme au parc Monceau jadis, son antichambre s'emplissait de solliciteurs, chaque matin. Il voyait Mazaud monter, par hasard, pour lui serrer la main et causer des nouvelles du jour ; il recevait d'autres agents de change, le juif Jacoby, avec sa voix tonitruante, et son beau-frÚre Delarocque, un gros roux, qui rendait sa femme si malheureuse. La coulisse venait aussi, dans la personne de Nathansohn, un petit blond trÚs actif, que la chance portait. Et quant à Massias, résigné à sa dure besogne de remisier malchanceux, il se présentait déjà chaque jour, bien qu'il n'y eût pas encore d'ordres à recevoir. C'était toute une foule montante. Un matin, dÚs neuf heures, Saccard trouva l'antichambre pleine. N'ayant pas arrÃÂȘté encore de personnel spécial, il était fort mal secondé par son valet de chambre et, le plus souvent, il se donnait la peine d'introduire les gens lui-mÃÂȘme. Ce jour-là , comme il ouvrait la porte de son cabinet, Jantrou voulut entrer ; mais il avait aperçu Sabatani, qu'il faisait chercher depuis deux jours. " Pardon, mon ami " , dit-il en arrÃÂȘtant l'ancien professeur, pour recevoir d'abord le Levantin. Sabatani, avec son inquiétant sourire de caresse, sa souplesse de couleuvre, laissa parler Saccard ; qui, trÚs nettement d'ailleurs, en homme qui le connaissait, lui fit sa proposition. " Mon cher, j'ai besoin de vous... Il nous faut un prÃÂȘte-nom. Je vous ouvrirai un compte, je vous ferai acheteur d'un certain nombre de nos titres, que vous paierez simplement par un jeu d'écritures... Vous voyez que je vais droit au but et que je vous traite en ami. " Le jeune homme le regardait de ses beaux yeux de velours, si doux dans sa longue face brune. " La loi, cher maÃtre, exige d'une façon formelle le versement en espÚces... Oh ! ce n'est pas pour moi que je vous dis ça. Vous me traitez en ami, et j'en suis trÚs fier... Tout ce que vous voudrez ! " Alors, Saccard, pour lui ÃÂȘtre agréable, lui dit l'estime oÃÂč le tenait Mazaud, qui avait fini par prendre ses ordres, sans ÃÂȘtre couvert. Puis, il le plaisanta sur Germaine Coeur, avec laquelle il l'avait rencontré la veille, faisant allusion crûment au bruit qui le douait d'un véritable prodige, une exception géante, dont rÃÂȘvaient les filles du monde de la Bourse, tourmentées de curiosité. Et Sabatani ne niait pas, riait de son rire équivoque sur ce sujet scabreux oui, oui ! ces dames étaient trÚs drÎles à courir aprÚs lui, elles voulaient voir. " Ah ! à propos, interrompit Saccard, nous aurons aussi besoin de signatures, pour régulariser certaines opérations, les transferts, par exemple... Pourrai-je envoyer chez vous les paquets de papiers à signer ? - Mais certainement, cher maÃtre. Tout ce que vous voudrez ! " Il ne soulevait mÃÂȘme pas la question de paiement, sachant que cela est sans prix, lorsqu'on rend de pareils services ; et, comme l'autre ajoutait qu'on lui donnerait un franc par signature, pour le dédommager de sa perte de temps, il acquiesça d'un simple mouvement de tÃÂȘte. Puis, avec son sourire " J'espÚre aussi, cher maÃtre, que vous ne me refuserez pas des conseils. Vous allez ÃÂȘtre si bien placé, je viendrai aux renseignements. - C'est ça, conclut Saccard, qui comprit. Au revoir... Ménagez-vous, ne cédez pas trop à la curiosité des dames. " Et, s'égayant de nouveau, il le congédia par une porte de dégagement, qui lui permettait de renvoyer les gens, sans leur faire retraverser la salle d'attente. Ensuite, Saccard, étant allé rouvrir l'autre porte, appela Jantrou. D'un coup d'oeil, il le vit ravagé, sans ressources, avec une redingote dont les manches s'étaient usées sur les tables des cafés, à attendre une situation. La Bourse continuait d'ÃÂȘtre une marùtre, et il portait beau pourtant, la barbe en éventail, cynique et lettré, lùchant encore de temps à autre une phrase fleurie d'ancien universitaire. " Je vous aurais écrit prochainement, dit Saccard. Nous dressons la liste de notre personnel, oÃÂč je vous ai inscrit un des premiers, et je crois bien que je vous appellerai au bureau des émissions. " Jantrou l'arrÃÂȘta d'un geste. " Vous ÃÂȘtes bien aimable, je vous remercie... Mais j'ai une affaire à vous proposer. " Il ne s'expliqua pas tout de suite, débuta par des généralités, demanda quelle serait la part des journaux, dans le lancement de la Banque universelle. L'autre prit feu aux premiers mots, déclara qu'il était pour la publicité la plus large, qu'il y mettrait tout l'argent disponible. Pas une trompette n'était à dédaigner, mÃÂȘme les trompettes de deux sous, car il posait en axiome que tout bruit était bon, en tant que bruit. Le rÃÂȘve serait d'avoir tous les journaux à soi ; seulement, ça coûterait trop cher. " Tiens ! est-ce que vous auriez l'idée de nous organiser notre publicité. Ce ne serait peut-ÃÂȘtre pas bÃÂȘte. Nous en causerons. " Oui, plus tard, si vous voulez.. Mais qu'est-ce que vous diriez d'un journal à vous, complÚtement à vous, dont je serais le directeur. Chaque matin, une page vous serait réservée, des articles qui chanteraient vos louanges, de simples notes rappelant l'attention sur vous, des allusions dans des études complÚtement étrangÚres aux finances, enfin une campagne en rÚgle, à propos de tout et de rien, vous exaltant sans relùche sur l'hécatombe de vos rivaux... Est-ce que ça vous tente ? - Dame ! si ça ne coûtait pas les yeux de la tÃÂȘte. - Non, le prix serait raisonnable. " Et il nomma enfin le journal L'Espérance , une feuille fondée, depuis deux ans, par un petit groupe de personnalités catholiques, les violents du parti, qui faisaient à l'empire une guerre féroce. Le succÚs était, d'ailleurs, absolument nul, et le bruit de la disparition du journal courait chaque matin. Saccard se récria. " Oh ! il ne tire pas à deux mille ! - Ça, ce sera notre affaire, d'arriver à un plus gros tirage. - Et puis, c'est impossible il traÃne mon frÚre dans la boue, je ne peux pas me fùcher avec mon frÚre dÚs le début. " Jantrou haussa doucement les épaules. " Il ne faut se fùcher avec personne... Vous savez comme moi que, lorsqu'une maison de crédit a un journal, peu importe qu'il soutienne ou attaque le gouvernement s'il est officieux, la maison est certaine de faire partie de tous les syndicats que forme le ministre des Finances pour assurer le succÚs des emprunts de l'Etat et des communes ; s'il est opposant, le mÃÂȘme ministre a toutes sortes d'égards pour la banque qu'il représente, un désir de le désarmer et de l'acquérir, qui se traduit souvent par plus de faveurs encore... Ne vous inquiétez donc pas de la couleur de L'Espérance . Ayez un journal, c'est une force. " Un instant silencieux, Saccard, avec cette vivacité d'intelligence qui lui faisait d'un coup s'approprier l'idée d'un autre, la fouiller, l'adapter à ses besoins, au point qu'il la rendait complÚtement sienne, développait tout un plan. Il achetait L'Espérance , en éteignait les polémiques acerbes, la mettait aux pieds de son frÚre qui était bien forcé de lui en avoir de la reconnaissance, mais lui conservait son odeur catholique, la gardait comme une menace, une machine toujours prÃÂȘte à reprendre sa terrible campagne, au nom des intérÃÂȘts de la religion. Et, si l'on n'était pas aimable avec lui, il brandissait Rome, il risquait le grand coup de Jérusalem. Ce serait un joli tour, pour finir. " Serions-nous libres ? demanda-t-il brusquement. - Absolument libres. Ils en ont assez, le journal est tombé entre les mains d'un gaillard besogneux qui nous le livrera pour une dizaine de mille francs. Nous en ferons ce qu'il nous plaira. " Une minute encore, Saccard réfléchit. " Eh bien, c'est fait. Prenez rendez-vous, amenez-moi votre homme ici... Vous serez directeur, et je verrai à centraliser entre vos mains toute notre publicité, que je veux exceptionnelle, énorme, oh ! plus tard, quand nous aurons de quoi chauffer sérieusement la machine. " Il s'était levé. Jantrou se leva également, cachant sa joie de trouver du pain, sous son rire blagueur de déclassé, las de la boue parisienne. " Enfin, je vais donc rentrer dans mon élément, mes chÚres belles- lettres ! - N'engagez personne encore, reprit Saccard en le reconduisant. Et, pendant que j'y songe, prenez donc note d'un protégé à moi, de Paul Jordan, un jeune homme à qui je trouve un talent remarquable, et dont vous ferez un excellent rédacteur littéraire. Je vais lui écrire d'aller vous voir. " Jantrou sortait par la porte de dégagement, lorsque cette heureuse disposition des deux issues le frappa. " Tiens ! c'est commode, dit-il avec sa familiarité. On escamote le monde... Quand il vient de belles dames, comme celle que j'ai saluée tout à l'heure dans l'anti-chambre, la baronne Sandorff... " Saccard ignorait qu'elle fût là ; et d'un haussement d'épaules, il voulut dire son indifférence ; mais l'autre ricanait, refusait de croire à ce désintéressement. Les deux hommes échangÚrent une vigoureuse poignée de main. Lorsqu'il fut seul, Saccard, instinctivement, se rapprocha de la glace, releva ses cheveux, oÃÂč pas un fil blanc n'apparaissait encore. Il n'avait pourtant pas menti, les femmes ne le préoccupaient guÚre, depuis que les affaires le reprenaient tout entier ; et il ne cédait qu'à l'involontaire galanterie qui fait qu'un homme, en France, ne peut se trouver seul avec une femme, sans craindre de passer pour un sot, s'il ne la conquiert pas. DÚs qu'il eut fait entrer la baronne, il se montra trÚs empressé. " Madame, je vous en prie, veuillez vous asseoir... " Jamais il ne l'avait vue si étrangement séduisante, avec ses lÚvres rouges, ses yeux brûlants, aux paupiÚres meurtries, enfoncés sous les sourcils épais. Que pouvait-elle lui vouloir ? et il demeura surpris, presque désenchanté, lorsqu'elle lui eut expliqué le motif de sa visite. " Mon Dieu ! monsieur, je vous demande pardon de vous déranger, inutilement pour vous ; mais, entre gens du mÃÂȘme monde, il faut bien se rendre de ces petits services... Vous avez eu derniÚrement un chef de cuisine, que mon mari est sur le point d'engager. Je viens donc tout simplement aux renseignements. " Alors, il se laissa questionner, répondit avec la plus grande obligeance, tout en ne la quittant pas du regard ; car il croyait deviner que c'était là un prétexte elle se moquait bien du chef de cuisine, elle venait pour autre chose, évidemment. Et, en effet, elle manoeuvra, finit par nommer un ami commun, le marquis de Bohain, qui lui avait parlé de la Banque universelle. On avait tant de peine à placer son argent, à trouver des valeurs solides ! Enfin, il comprit qu'elle prendrait volontiers des actions, avec la prime de dix pour cent abandonnée aux syndicataires ; et il comprit mieux encore que, s'il lui ouvrait un compte, elle ne paierait pas. " J'ai ma fortune personnelle, mon mari ne s'en mÃÂȘle jamais. Ça me donne beaucoup de tracas, ça m'amuse aussi un peu, je l'avoue... N'est- ce pas ? lorsqu'on voit me femme s'occuper d'argent, surtout une jeune femme, ça étonne, on est tenté de l'en blùmer... Il y a des jours oÃÂč je suis dans le plus mortel embarras, n'ayant pas d'amis qui veuillent me conseiller. L'autre quinzaine encore, faute d'un renseignement, j'ai perdu une somme considérable... Ah ! maintenant que vous allez ÃÂȘtre en si bonne position pour savoir, si vous étiez assez gentil, si vous vouliez... " La joueuse perçait sous la femme du monde, la joueuse ùpre, enragée, cette fille des Ladricourt dont un ancÃÂȘtre avait pris Antioche, cette femme d'un diplomate saluée trÚs bas par la colonie étrangÚre de Paris, et que sa passion promenait en solliciteuse louche chez tous les gens de finance. Ses lÚvres saignaient, ses yeux flambaient davantage, son désir éclatait, soulevait la femme ardente qu'elle semblait ÃÂȘtre. Et il eut la naïveté de croire qu'elle était venue s'offrir, simplement pour ÃÂȘtre de sa grande affaire et avoir, à l'occasion, d'utiles renseignements de Bourse. " Mais, cria-t-il, je ne demande pas mieux, madame, que de mettre à vos pieds mon expérience. " Il avait rapproché sa chaise, il lui prit la main. Du coup, elle parut dégrisée. Ah ! non, elle n'en était pas encore là , il serait toujours temps qu'elle payùt d'une nuit la communication d'une dépÃÂȘche. C'était déjà , pour elle, une corvée abominable que sa liaison avec le procureur général Delcambre, cet homme si sec et si jaune, que la ladrerie de son mari l'avait forcée d'accueillir. Et son indifférence sensuelle, le mépris secret oÃÂč elle tenait l'homme, venait de se montrer en une lassitude blÃÂȘme, sur son visage de fausse passionnée, que l'espoir du jeu seul enflammait. Elle se leva, dans une révolte de sa race et de son éducation, qui lui faisaient encore manquer des affaires. " Alors, monsieur, vous dites que vous étiez content de ce chef de cuisine ? " Etonné, Saccard se mit debout à son tour. Qu'avait-elle donc espéré ? qu'il l'inscrirait et la renseignerait pour rien ? Décidément, il fallait se méfier des femmes, elles apportaient dans les marchés la plus insigne mauvaise foi. Et, bien qu'il eût envie de celle-ci, il n'insista pas, il s'inclina avec un sourire qui signifiait " A votre aise, chÚre madame, quand il vous plaira " , tandis que, tout haut, il disait " TrÚs content, je vous le répÚte. Une question de réforme intérieure m'a seule décidé à me séparer de lui. " La baronne Sandorff eut une hésitation d'une seconde à peine, non qu'elle regrettùt sa révolte, mais sans doute elle sentait combien il était naïf de venir chez un Saccard, avant d'ÃÂȘtre résignée aux conséquences. Cela l'irritait contre elle-mÃÂȘme, car elle avait la prétention d'ÃÂȘtre une femme sérieuse. Elle finit par répondre d'une simple inclinaison de tÃÂȘte au respectueux salut dont il la congédiait ; et il l'accompagnait jusqu'à la petite porte, lorsque celle-ci fut brusquement ouverte, d'une main familiÚre. C'était Maxime, qui déjeunait chez son pÚre, ce matin-là , et qui arrivait en intime, par le couloir. Il s'effaça, salua également, pour laisser sortir la baronne. Puis, quand elle fut partie, il eut un léger rire. " Ça commence, ton affaire ? tu touches tes primes ? " Malgré sa grande jeunesse encore, il avait un aplomb d'homme d'expérience, incapable de se dépenser inutilement dans un plaisir hasardeux. Son pÚre comprit son attitude de supériorité ironique. " Non, justement, je n'ai rien touché du tout, et ce n'est point par sagesse, car, mon petit je suis aussi fier d'avoir toujours vingt ans que tu parais l'ÃÂȘtre d'en avoir soixante. " Le rire de Maxime s'accentua, son ancien rire perlé de fille, dont il avait gardé le roucoulement équivoque, dans l'attitude correcte qu'il s'était faite de garçon rangé, désireux de ne pas gùter sa vie davantage. Il affectait la plus grande indulgence, pourvu que rien de lui ne fût menacé. " Ma foi, tu as bien raison, du moment que ça ne te fatigue pas... Moi, tu sais, j'ai déjà des rhumatismes. " Et, s'installant à l'aise dans un fauteuil, prenant un journal " Ne t'occupe pas de moi, finis de recevoir, si je ne te gÃÂȘne pas... Je suis venu trop tÎt, parce que j'avais à passer chez mon médecin et que je ne l'ai pas trouvé. " A ce moment, le valet de chambre entrait dire que Mme la comtesse de Beauvilliers demandait à ÃÂȘtre reçue. Saccard, un peu surpris, bien qu'il eût déjà rencontré à l'Oeuvre du Travail sa noble voisine, comme il la nommait, donna l'ordre de l'introduire immédiatement ; puis, rappelant le valet, il lui commanda de renvoyer tout le monde, fatigué, ayant trÚs faim. Lorsque la comtesse entra, elle n'aperçut mÃÂȘme pas Maxime, que le dossier du grand fauteuil cachait. Et Saccard s'étonna davantage, en voyant qu'elle avait amené avec elle sa fille Alice. Cela donnait plus de solennité à la démarche ces deux femmes si tristes et si pùles, la mÚre mince, grande, toute blanche, à l'air suranné, la fille vieillie déjà , le cou trop long, jusqu'à la disgrùce. Il avança des siÚges, d'une politesse agitée, pour mieux montrer sa déférence. " Madame, je suis extrÃÂȘmement honoré... Si j'avais le bonheur de pouvoir vous ÃÂȘtre utile... " D'une grande timidité, sous son allure hautaine, la comtesse finit par expliquer le motif de sa visite. " Monsieur, c'est à la suite d'une conversation avec mon amie, Mme la princesse d'Orviedo, que la pensée m'est venue de me présenter chez vous... Je vous avoue que j'ai hésité d'abord, car on ne refait pas facilement ses idées à mon ùge et j'ai toujours eu grand-peur des choses d'aujourd'hui que je ne comprends pas... Enfin, j'en ai causé avec ma fille, je crois qu'il est de mon devoir de passer sur mes scrupules pour tenter d'assurer le bonheur des miens. " Et elle continua, elle dit comment la princesse lui avait parlé de la Banque universelle, certes une main de crédit telle que les autres, aux yeux des profanes, mais qui, aux yeux des initiés, allait avoir une excuse sans réplique, un but tellement méritoire et haut, qu'il devait imposer silence aux consciences les plus timorées. Elle ne prononça ni le nom du pape ni celui de Jérusalem c'était là ce qu'on ne disait pas, ce qu'on chuchotait à peine entre fidÚles, le mystÚre qui passionnait ; mais, de chacune de ses paroles, de ses allusions et de ses sous-entendus, un espoir et une foi se dégageaient, qui mettaient toute une flamme religieuse dans sa croyance au succÚs de la nouvelle banque. Saccard lui-mÃÂȘme fut étonné de son émotion contenue, du tremblement de sa voix. Il n'avait encore parlé de Jérusalem que dans l'excÚs lyrique de sa fiÚvre, il se méfiait au fond de ce projet fou, y flairant quelque ridicule, disposé à l'abandonner et à en rire, si des plaisanteries l'accueillaient. Et la démarche émue de cette sainte femme qui amenait sa fille, la façon profonde dont elle donnait à entendre qu'elle et tous les siens, toute la noblesse française croirait et s'engouerait, le frappait vivement, donnait un corps à une rÃÂȘverie pure, élargissait à l'infini son champ d'évolution. C'était donc vrai qu'il y avait là un levier, dont l'emploi allait lui permettre de soulever le monde ! Avec son assimilation si rapide, il entra d'un coup dans la situation, parla lui-aussi en termes mystérieux de ce triomphe final qu'il poursuivrait en silence ; et sa parole était pénétrée de ferveur, il venait réellement d'ÃÂȘtre touché de la foi, de la foi en l'excellence du moyen d'action que la crise traversée par la papauté lui mettait aux mains. Il avait la faculté heureuse de croire, dÚs que l'exigeait l'intérÃÂȘt de ses plans. " Enfin, monsieur, continuait la comtesse, je suis décidée à une chose qui m'a répugné jusqu'ici... Oui, l'idée de faire travailler de l'argent, de le placer à intérÃÂȘts, ne m'est jamais entrée dans la tÃÂȘte des façons anciennes d'entendre la vie, des scrupules qui deviennent un peu sots, je le sais ; mais, que voulez-vous ? on ne va point aisément contre les croyances qu'on a sucées avec le lait, et je m'imaginais que la terre seule, la grande propriété devait nourrir des gens tels que nous... Malheureusement, la grande propriété... " Elle rougit faiblement, car elle en arrivait à l'aveu de cette ruine qu'elle dissimulait avec tant de soin. " La grande propriété n'existe plus guÚre... Nous autres avons été trÚs éprouvés... Il ne nous reste plus qu'une ferme. " Saccard, alors, pour lui éviter toute gÃÂȘne, renchérit, s'enflamma. " Mais, madame, personne ne vit plus de la terre... L'ancienne fortune domaniale est une forme caduque de la richesse, qui a cessé d'avoir sa raison d'ÃÂȘtre. Elle était la stagnation mÃÂȘme de l'argent, dont nous avons décuplé la valeur, en le jetant dans la circulation, et par le papier-monnaie, et par les titres de toutes sortes, commerciaux et financiers. C'est ainsi que le monde va ÃÂȘtre renouvelé, car rien n'était possible sans l'argent, l'argent liquide qui coule, qui pénÚtre partout, ni les applications de la science, ni la paix finale, universelle... Oh ! la fortune domaniale ! elle est allée rejoindre les pataches. On meurt avec un million de terres, on vit avec le quart de ce capital placé dans de bonnes affaires, à quinze, vingt et mÃÂȘme trente pour cent. " Doucement, avec sa tristesse infinie, la comtesse hocha la tÃÂȘte. " Je ne vous entends guÚre, et, je vous l'ai dit, je suis restée d'une époque oÃÂč ces choses effrayaient, comme des choses mauvaises et défendues... Seulement, je ne suis pas seule, je dois surtout songer à ma fille. Depuis quelques années, j'ai réussi à mettre de cÎté, oh ! une petite somme... " Sa rougeur reparaissait. " Vingt mille francs qui dorment chez moi, dans un tiroir. Plus tard, j'aurais peut-ÃÂȘtre un remords de les avoir laissés ainsi improductifs ; et, puisque votre oeuvre est bonne, ainsi que me l'a confié mon amie, puisque vous allez travailler à ce que nous souhaitons tous ; de nos voeux les plus ardents, je me risque... Enfin je vous serai reconnaissante, si vous pouvez me réserver des actions de votre banque, pour une somme de dix à douze mille francs. J'ai tenu à ce que ma fille m'accompagnùt, car je ne vous cache pas que cet argent est à elle. " Jusque-là , Alice n'avait pas ouvert la bouche, l'air effacé, malgré son vif regard d'intelligence. Elle eut un geste de reproche tendre. " Oh ! à moi ! maman, est-ce que j'ai quelque chose à moi qui ne soit pas à vous ? - Et ton mariage, mon enfant ? - Mais vous savez bien que je ne veux pas me marier ! " Elle avait dit cela trop vite, le chagrin de sa solitude criait dans sa voix grÃÂȘle. Sa mÚre la fit taire d'un coup d'oeil navré ; et toutes deux se regardÚrent un instant, ne pouvant se mentir, dans le partage quotidien de ce qu'elles avaient à souffrir et à cacher. Saccard était trÚs ému. " Madame, il n'y aurait plus d'actions, que j'en trouverais quand mÃÂȘme pour vous. Oui, s'il le faut, j'en prendrai sur les miennes... Votre démarche me touche infiniment, je suis trÚs honoré de votre confiance... " Et, à cet instant, il croyait réellement faire la fortune de ces malheureuses, il les associait, pour une part, à la pluie d'or qui allait pleuvoir sur lui et autour de lui. Ces dames s'étaient levées et se retiraient. A la porte seulement, la comtesse se permit une allusion directe à la grande affaire dont on ne parlait pas. " J'ai reçu de mon fils Ferdinand, qui est à Rome, une lettre désolante sur la tristesse produite là -bas par l'annonce du retrait de nos troupes. - Patience ! déclara Saccard avec conviction, nous sommes là pour tout sauver. " Il y eut de profonds saluts, et il les accompagna jusqu'au palier, en passant cette fois à travers l'antichambre, qu'il croyait libre. Mais, comme il revenait, il aperçut, assis sur une banquette, un homme d'une cinquantaine d'années, grand et sec, vÃÂȘtu en ouvrier endimanché, qui avait avec lui une jolie fille de dix-huit ans, mince et pùle. " Quoi ? que voulez-vous ? " La jeune fille s'était levée la premiÚre, et l'homme, intimidé par cet accueil brusque, se mit à bégayer une explication confuse. " J'avais donné l'ordre de renvoyer tout le monde ! Pourquoi ÃÂȘtes- vous là ?... Dites-moi votre nom ; au moins. - Dejoie, monsieur, et je viens avec ma fille Nathalie... " De nouveau, il s'embrouilla, si bien que Saccard, impatienté, allait le pousser à la porte, lorsqu'il comprit enfin que c'était Mme Caroline qui le connaissait depuis longtemps et qui lui avait dit d'attendre. " Ah ! vous ÃÂȘtes recommandé par Mme Caroline. Il fallait le dire tout de suite... Entrez et dépÃÂȘchez-vous, car j'ai trÚs faim. Dans le cabinet, il laissa Dejoie et Nathalie debout, ne s'assit pas lui-mÃÂȘme, pour les expédier plus vite. Maxime qui, à la sortie de la comtesse, avait quitté son fauteuil, n'eut plus la discrétion de s'écarter, dévisageant les nouveaux venus, l'air curieux. Et Dejoie, longuement, racontait son affaire. " Voici, monsieur... J'ai fait mon congé, puis je suis entré comme garçon de bureau chez M. Durieu, le mari de Mme Caroline, quand il vivait et qu'il était brasseur. Puis, je suis entré chez M. Lamberthier, le facteur à la halle. Puis, je suis entré chez M. Blaisot, un banquier que vous connaissez bien il s'est fait sauter la cervelle, il y a deux mois, et alors je suis sans place... Il faut vous dire, avant tout, que je m'étais marié. Oui, j'avais épousé ma femme Joséphine, quand j'étais justement chez M. Durieu, et qu'elle était, elle, cuisiniÚre, chez la belle-soeur de monsieur, Mme LévÃÂȘque, que Mme Caroline a bien connue. Ensuite, quand j'ai été chez M. Lamberthier, elle n'a pas pu y entrer, elle s'est placée chez un médecin de Grenelle, M. Renaudin. Ensuite, elle est allée au magasin des Trois-FrÚres, rue Rambuteau, oÃÂč, comme par un guignon, il n'y a jamais eu de place pour moi... - Bref, interrompit Saccard, vous venez me demander un emploi, n'est-ce pas ? " Mais Dejoie tenait à expliquer le chagrin de sa vie, la mauvaise chance qui lui avait fait épouser une cuisiniÚre, sans que jamais il eût réussi à se placer dans les mÃÂȘmes maisons qu'elle. C'était quasiment comme si l'on n'avait pas été marié, n'ayant jamais une chambre à tous les deux, se voyant chez les marchands de vin, s'embrassant derriÚre les portes des cuisines. Et une fille était née, Nathalie, qu'il avait fallu laisser en nourrice jusqu'à huit ans, jusqu'au jour oÃÂč le pÚre, ennuyé d'ÃÂȘtre seul, l'avait reprise dans son étroit cabinet de garçon. Il était ainsi devenu la vraie mÚre de la petite, l'élevant, la menant à l'école, la surveillant avec des soins infinis, le coeur débordant d'une adoration grandissante. " Ah ! je puis bien dire, monsieur, qu'elle m'a donné de la satisfaction. C'est instruit, c'est honnÃÂȘte... Et, vous la voyez, il n'y a pas sa pareille pour la gentillesse. " En effet, Saccard la trouvait charmante, cette fleur blonde du pavé parisien, avec sa grùce chétive, ses larges yeux sous les petits frisons de ses cheveux pùles. Elle se laissait adorer par son pÚre, sage encore, n'ayant eu aucun intérÃÂȘt à ne pas l'ÃÂȘtre, d'un féroce et tranquille égoïsme, dans cette clarté si limpide de ses yeux. " Alors donc, monsieur, la voici en ùge de se marier, et il y a justement un beau parti qui se présente, le fils du cartonnier, notre voisin. Seulement, c'est un garçon qui veut s'établir, et il demande six mille francs. Ça n'est pas trop, il pourrait prétendre à une fille qui aurait davantage... Il faut vous dire que j'ai perdu ma femme, il y a quatre ans, et qu'elle nous a laissé des économies, ses petits bénéfices de cuisiniÚre, n'est-ce pas ?... J'ai quatre mille francs ; mais ça ne fait pas six mille, et le jeune homme est pressé, Nathalie aussi... " La jeune fille qui écoutait, souriante, avec son clair regard si froid et si décidé, eut une brusque affirmation du menton. " Bien sûr... Je ne m'amuse pas, je veux en finir, d'une maniÚre ou d'une autre. " De nouveau, Saccard les interrompit. Il avait jugé l'homme, borné, mais trÚs adroit, trÚs bon, rompu à la discipline militaire. Puis, il suffisait qu'il se présentùt au nom de Mme Caroline. " C'est parfait, mon ami... Je vais avoir un journal, je vous prends comme garçon de bureau... Laissez-moi votre adresse, et au revoir. " Cependant, Dejoie ne s'en allait point. Il continua, avec embarras " Monsieur est bien obligeant, j'accepte la place avec reconnaissance, parce qu'il faudra que je travaille, quand j'aurai casé Nathalie... Mais j'étais venu pour autre chose. Oui, j'ai su, par Mme Caroline et par d'autres personnes encore, que monsieur va se trouver dans de grandes affaires et qu'il pourra faire gagner tout ce qu'il voudra à ses amis et connaissances... Alors, si monsieur voulait bien s'intéresser à nous, si monsieur consentait à nous donner de ses actions... " Saccard, une seconde fois, fut ému, plus ému qu'il ne venait de l'ÃÂȘtre, la premiÚre lorsque la comtesse lui avait confié, elle aussi, la dot de sa fille. Cet homme simple, ce tout petit capitaliste aux économies grattées sou à sou, n'était-ce pas la foule croyante, confiante, la grande foule qui fait les clientÚles nombreuses et solides, l'armée fanatisée qui arme une maison de crédit d'une force invincible ? si ce brave homme accourait ainsi, avant toute publicité, que serait-ce lorsque les guichets seraient ouverts ? Son attendrissement souriait à ce premier petit actionnaire, il voyait là le présage d'un gros succÚs. " Entendu, mon ami, vous aurez des actions. " La face de Dejoie rayonna, comme à l'annonce d'une grùce inespérée. " Monsieur est trop bon... N'est-ce pas ? en six mois, de façon à compléter la somme... Et, puisque monsieur je puis bien, avec mes quatre mille, en gagner deux mille, y consent, j'aime mieux régler ça tout de suite. J'ai apporté l'argent. " Il se fouilla, tira une enveloppe, qu'il tendit à Saccard, immobile, silencieux, saisi d'une admiration charmée, à ce dernier trait. Et le terrible corsaire, qui avait déjà écumé tant de fortunes, finit par éclater d'un bon rire, résolu honnÃÂȘtement à l'enrichir aussi, cet homme de foi. " Mais, mon brave, ça ne se fait point ainsi... Gardez votre argent, je vous inscrirai, et vous paierez en temps et lieu. " Cette fois, il les congédia, aprÚs que Dejoie l'eut tait remercier par Nathalie, dont un sourire de contentement éclairait les beaux yeux durs et candides. Lorsque Maxime se retrouva enfin seul avec son pÚre, il dit, de son air d'insolence moqueuse " Voilà que tu dotes les jeunes filles, maintenant. - Pourquoi pas ? répondit gaiement Saccard. C'est un bon placement que le bonheur des autres. " Il rangeait quelques papiers, avant de quitter son cabinet. Puis, brusquement " Et toi, tu n'en veux pas, des actions ? " Maxime, qui marchait à petits pas, se retourna d'un sursaut, se planta devant lui. " Ah ! non, par exemple ! Est-ce que tu me prends pour un imbécile ? " Saccard eut un geste de colÚre, trouvant la réponse d'un irrespect et d'un esprit déplorables, prÃÂȘt à lui crier que l'affaire était réellement superbe, qu'il le jugeait vraiment trop bÃÂȘte, s'il le croyait un simple voleur, comme les autres. Mais, en le regardant, une pitié lui vint de son pauvre garçon, épuisé à vingt-cinq ans, rangé, avare mÃÂȘme, si vieilli de vices, si inquiet de sa santé, qu'il ne risquait plus une dépense ni une jouissance, sans en avoir réglementé le bénéfice. Et, tout consolé, tout fier de l'imprudence passionnée de ses cinquante ans, il se remit à rire, il lui tapa sur l'épaule. " Tiens ! allons déjeuner, mon pauvre petit, et soigne tes rhumatismes. Ce fut le surlendemain, le 5 octobre, que Saccard, assisté d'Hamelin et de Daigremont, se rendit chez maÃtre Lelorrain, notaire, rue Sainte- Anne ; et l'acte fut reçu, qui constituait, sous la dénomination de société de la Banque universelle, une société anonyme, au capital de vingt-cinq millions, divisé en cinquante mille actions de cinq cents francs chacune, dont le quart seul était exigible. Le siÚge de la société était fixé rue Saint-Lazare, à l'hÎtel d'Orviedo. Un exemplaire des statuts, dressés suivant l'acte, fut déposé en l'étude de maÃtre Lelorrain. Il faisait, ce jour-là , un trÚs clair soleil d'automne, et ces messieurs, lorsqu'ils sortirent de chez le notaire, allumÚrent des cigares, remontÚrent doucement par le boulevard et la rue de la Chaussée-d'Antin, heureux de vivre, s'égayant comme des collégiens échappés. L'assemblée générale constitutive n'eut lieu que la semaine suivante, rue Blanche, dans la salle d'un petit bal qui avait fait faillite, et oÃÂč un industriel tùchait d'organiser des expositions de peinture. Déjà , les syndicataires avaient placé celles des actions souscrites par eux, qu'ils ne gardaient pas ; et il vint cent vingt-deux actionnaires, représentant prÚs de quarante mille actions, ce qui aurait dû donner un total de deux mille voix, le chiffre de vingt actions étant nécessaire pour avoir le droit de siéger et de voter. Cependant, comme un actionnaire ne pouvait exprimer plus de dix voix, quel que fût le chiffre de ses titres, le nombre exact des suffrages fut de seize cent quarante-trois. Saccard tint absolument à ce qu'Hamelin présidùt. Lui, s'était volontairement perdu dans le troupeau, il avait inscrit l'ingénieur, et s'était inscrit lui-mÃÂȘme, chacun pour cinq cents actions, qu'il devait payer par un jeu d'écritures. Tous les syndicataires étaient là Daigremont, Huret, Sédille, Kolb, le marquis de Bohain, chacun avec le groupe d'actionnaires qui marchait sous ses ordres. On remarquait également Sabatani, un des plus gros souscripteurs, ainsi que Jantrou, au milieu de plusieurs des hauts employés de la banque, en fonctions depuis l'avant-veille. Et toutes les décisions à prendre avaient été si bien prévues et réglées d'avance, que jamais assemblée constitutive ne fut si belle de calme, de simplicité et de bonne entente. A l'unanimité des voix, on reconnut sincÚre la déclaration de la souscription intégrale du capital, ainsi que celle du versement des cent vingt-cinq francs par action. Puis, solennellement, on déclara la société constituée. Le conseil d'administration fut ensuite nommé il devait se composer de vingt membres qui, outre les jetons de présence, chiffrés à un total annuel de cinquante mille francs, auraient à toucher, d'aprÚs un article des statuts, le dix pour cent sur les bénéfices. Cela n'étant pas à dédaigner, chaque syndicataire avait exigé de faire partie du conseil ; et Daigremont, Huret, Sédille, Kolb, le marquis de Bohain ainsi qu'Hamelin, que l'on voulait porter à la présidence, passÚrent naturellement en tÃÂȘte de liste, avec quatorze autres de moindre importance, triés parmi les plus obéissants et les plus décoratifs des actionnaires. Enfin, Saccard, resté dans l'ombre jusque-là , apparut lorsque, le moment de choisir un directeur étant arrivé, Hamelin le proposa. Un murmure sympathique accueillit son nom, il obtint lui aussi l'unanimité. Et il n'y avait plus qu'à élire les deux commissaires censeurs, chargés de présenter à l'assemblée un rapport sur le bilan et de contrÎler ainsi les comptes fournis par les administrateurs fonction délicate autant qu'inutile, pour laquelle Saccard avait désigné un sieur Rousseau et un sieur LavigniÚre, le premier complÚtement inféodé au second, celui-ci grand, blond, trÚs poli, approuvant toujours, dévoré de l'envie d'entrer plus tard dans le conseil, lorsqu'on serait content de ses services. Rousseau et LavigniÚre nommés, on allait lever la séance, lorsque le président crut devoir parler de la prime de dix pour cent accordée aux syndicataires, en tout quatre cent mille francs, que l'assemblée, sur sa proposition, passa aux frais de premier établissement. C'était une vétille, il fallait bien faire la part du feu ; et, laissant la foule des petits actionnaires s'écouler avec le piétinement d'un troupeau, les gros souscripteurs restÚrent les derniers, échangÚrent encore sur le trottoir des poignées de main, l'air souriant. DÚs le lendemain, le conseil se réunit à l'hÎtel d'Orviedo, dans l'ancien salon de Saccard, transformé en salle des séances. Une vaste table, recouverte d'un tapis de velours vert, entourée de vingt fauteuils tendus de la mÃÂȘme étoffe, en occupait le centre ; et il n'y avait pas d'autres meubles que deux corps de bibliothÚque, aux vitres garnies à l'intérieur de petits rideaux de soie également verte. Les tentures d'un rouge foncé assombrissaient la piÚce, dont les trois fenÃÂȘtres ouvraient sur le jardin de l'hÎtel Beauvilliers. Il ne venait de là qu'un jour crépusculaire, comme une paix de vieux cloÃtre, endormi sous l'ombre verte de ses arbres. Cela était sévÚre et noble, on entrait dans une honnÃÂȘteté antique. Le conseil se réunissait pour former son bureau ; et il se trouva presque tout de suite au grand complet, comme sonnaient quatre heures. Le marquis de Bohain, avec sa grande taille, sa petite tÃÂȘte blÃÂȘme et aristocratique, était vraiment trÚs vieille France ; tandis que Daigremont, affable, représentait la haute fortune impériale, dans son succÚs fastueux. Sédille, moins tourmenté que de coutume, causait avec Kolb d'un mouvement imprévu qui venait de se produire sur le marché de Vienne ; et, autour d'eux, les deux autres administrateurs, la bande, écoutaient, tùchaient de saisir un renseignement, ou bien s'entretenaient aussi de leurs occupations personnelles, n'étant là que pour faire nombre et pour ramasser leur part, les jours de butin. Ce fut, comme toujours, Huret qui arriva en retard, essoufflé, échappé à la derniÚre minute d'une commission de la Chambre. Il s'excusa, et l'on s'assit sur les fauteuils, entourant la table. Le doyen d'ùge, le marquis de Bohain, avait pris place au fauteuil présidentiel, un fauteuil plus haut et plus doré que les autres. Saccard, comme directeur, s'était placé en face de lui. Et, immédiatement, lorsque le marquis eut déclaré qu'on allait procéder à la nomination du président, Hamelin se leva, pour décliner toute candidature il croyait savoir que plusieurs de ces messieurs avaient songé à lui pour la présidence ; mais il leur faisait remarquer qu'il devait partir dÚs le lendemain pour l'Orient, qu'il était en outre d'une inexpérience absolue en matiÚre de comptabilité, de banque et de Bourse, qu'enfin il y avait là une responsabilité dont il ne pouvait accepter le poids. TrÚs surpris, Saccard l'écoutait, car, la veille encore, la chose était entendue ; et il devinait l'influence de Mme Caroline sur son frÚre, sachant que, le matin, ils avaient eu une longue conversation ensemble. Aussi, ne voulant pas d'un autre président qu'Hamelin, quelque indépendant qui le gÃÂȘnerait peut-ÃÂȘtre, se permit-il d'intervenir, en expliquant que la fonction était surtout honorifique, qu'il suffisait que le président fÃt acte de présence, au moment des assemblées générales, pour appuyer les propositions du conseil et prononcer les discours d'usage. D'ailleurs, on allait élire un vice-président qui donnerait les signatures. Et, pour le reste, pour la partie purement technique, la comptabilité, la Bourse, les mille détails intérieurs d'une grande maison de crédit, est-ce qu'il ne serait pas là , lui, Saccard, le directeur, justement nommé à cet effet ? Il devait, d'aprÚs les statuts, diriger le travail des bureaux, effectuer les recettes et les dépenses, gérer les affaires courantes, assurer les délibérations du conseil, ÃÂȘtre en un mot le pouvoir exécutif de la société. Ces raisons semblaient bonnes. Hamelin ne s'en débattit pas moins longtemps encore, il fallut que Daigremont et Huret insistassent eux-mÃÂȘmes de la maniÚre la plus pressante. Majestueux, le marquis de Bohain se désintéressait. Enfin, l'ingénieur céda, il fut nommé président, et l'on choisit pour vice-président un obscur agronome, ancien conseiller d'Etat, le vicomte de Robin-Chagot, homme doux et ladre, excellente machine à signatures. Quant au secrétaire, il fut pris en dehors du conseil, dans le personnel des bureaux de la banque, le chef du service des émissions. Et, comme la nuit venait, dans la grande piÚce grave, une ombre verdie d'une infinie tristesse, on jugea la besogne bonne et suffisante, on se sépara aprÚs avoir réglé les séances à deux par mois, le petit conseil le quinze, et le grand conseil le trente. Saccard et Hamelin remontÚrent ensemble dans la salle des épures, oÃÂč Mme Caroline les attendait. Elle vit bien tout de suite, à l'embarras de son frÚre, qu'il venait de céder une fois encore, par faiblesse ; et, un instant, elle en fut trÚs fùchée. " Mais, voyons, ce n'est pas raisonnable ! cria Saccard. Songez que le président touche trente mille francs, chiffre qui sera doublé, lorsque nos affaires s'étendront. Vous n'ÃÂȘtes pas assez riches pour dédaigner cet avantage... Et que craignez-vous, dites ? - Mais je crains tout, répondit Mme Caroline. Mon frÚre ne sera pas là , moi-mÃÂȘme je n'entends rien à l'argent... Tenez ! ces cinq cents actions que vous avez inscrites pour lui sans qu'il les paie tout de suite, eh bien, n'est-ce pas irrégulier, ne serait-il pas en faute, si l'opération tournait mal ? " Il s'était mis à rire. " Une belle histoire ! cinq cents actions, un premier versement de soixante-deux mille cinq cents francs ! Si, au premier bénéfice, avant six mois, il ne pouvait rembourser cela, autant vaudrait-il nous aller jeter sur-le-champ à la Seine, plutÎt que de nous donner le souci de rien entreprendre... Non, vous pouvez ÃÂȘtre tranquille, la spéculation ne dévore que les maladroits. " Elle restait sévÚre, dans l'ombre croissante de la piÚce. Mais on apporta deux lampes, et les murs furent largement éclairés, les vastes plans, les aquarelles vives, qui la faisaient si souvent rÃÂȘver des pays de là -bas. La plaine encore était nue, les montagnes barraient l'horizon, elle évoquait la détresse de ce vieux monde endormi sur ses trésors, et que la science alliait réveiller dans sa crasse et dans son ignorance. Que de grandes et belles et bonnes choses à accomplir ! Peu à peu, une vision lui montrait des générations nouvelles, toute une humanité plus forte et plus heureuse poussant de l'antique sol, labouré à nouveau par le progrÚs. " La spéculation, la spéculation, répéta-t-elle machinalement, combattue de doute. Ah ! j'en ai le coeur troublé d'angoisse. " Saccard, qui connaissait bien ses habituelles pensées, avait suivi sur son visage cet espoir de l'avenir. " Oui, la spéculation. Pourquoi ce mot vous fait-il peur ?... Mais la spéculation, c'est l'appùt mÃÂȘme de la vie, c'est l'éternel désir qui force à lutter et à vivre... Si j'osais une comparaison, je vous convaincrais... " Il riait de nouveau, pris d'un scrupule de délicatesse. Puis, il osa tout de mÃÂȘme, volontiers brutal devant les femmes. " Voyons, pensez-vous que sans... comment dirai-je ? sans la luxure, on ferait beaucoup d'enfants ?... Sur cent enfants qu'on manque de faire, il arrive qu'on en fabrique un à peine. C'est l'excÚs qui amÚne le nécessaire, n'est-ce pas ? - Certes, répondit-elle, gÃÂȘnée. - Eh bien, sans la spéculation, on ne ferait pas d'affaires, ma chÚre amie... Pourquoi diable voulez-vous que je sorte mon argent, que je risque ma fortune, si vous ne me promettez pas une jouissance extraordinaire, un brusque bonheur qui m'ouvre le ciel ?... Avec la rémunération légitime et médiocre du travail, le sage équilibre des transactions quotidiennes, c'est un désert d'une platitude extrÃÂȘme que l'existence, un marais oÃÂč toutes les forces dorment et croupissent ; tandis que, violemment, faites flamber un rÃÂȘve à l'horizon, promettez qu'avec un sou on en gagnera cent, offrez à tous ces endormis de se mettre à la chasse de l'impossible, des millions conquis en deux heures, au milieu des plus effroyables casse-cou ; et la course commence, les énergies sont décuplées, la bousculade est telle, que, tout en suant uniquement pour leur plaisir, les gens arrivent parfois à faire des enfants, je veux dire des choses vivantes, grandes et belles... Ah ! dame ! il y a beaucoup de saletés inutiles, mais certainement le monde finirait sans elles. " Mme Caroline s'était décidée à rire, elle aussi ; car elle n'avait point de pruderie. " Alors, dit-elle, votre conclusion est qu'il faut s'y résigner, puisque cela est dans le plan de la nature... Vous avez raison, la vie n'est pas propre. " Et une véritable bravoure lui était venue, à cette idée que chaque pas en avant s'était fait dans le sang et la boue. Il fallait vouloir. Le long des murs, ses yeux n'avaient pas quitté les plans et les dessins, et l'avenir s'évoquait, des ports, des canaux, des routes, des chemins de fer, des campagnes aux fermes immenses et outillées comme des usines, des villes nouvelles, saines, intelligentes, oÃÂč l'on vivait trÚs vieux et trÚs savant. " Allons, reprit-elle gaiement, il faut bien que je cÚde, comme toujours... Tùchons de faire un peu de bien pour qu'on nous pardonne. " Son frÚre, resté silencieux, s'était approché et l'embrassait. Elle le menaça du doigt. " Oh ! toi, tu es un cùlin. Je te connais... Demain, quand tu nous auras quittés, tu ne t'inquiéteras guÚre de savoir ce qui se passe ici ; et, là -bas, dÚs que tu te seras enfoncé dans tes travaux, tout ira bien, tu rÃÂȘveras de triomphe, pendant que l'affaire craquera sous nos pieds peut-ÃÂȘtre. - Mais, cria plaisamment Saccard, puisqu'il est entendu qu'il vous laisse prÚs de moi comme un gendarme, pour m'empoigner, si je me conduis mal ! " Tous trois éclatÚrent. " Et vous pouvez y compter, que je vous empoignerais !... Rappelez- vous ce que vous nous avez promis à nous d'abord, puis à tant d'autres, par exemple à mon brave Dejoie, que je vous recommande bien... Ah ! et à nos voisines aussi, ces pauvres dames de Beauvilliers, que j'ai vues aujourd'hui surveillant le lavage de quelques nippes fait par leur cuisiniÚre, sans doute pour diminuer le compte de la blanchisseuse. " Un instant encore, ils causÚrent trÚs amicalement tous trois, et le départ d'Hamelin fut réglé d'une façon définitive. Comme Saccard redescendait à son cabinet, le valet de chambre lui dit qu'une femme s'était obstinée à l'attendre, bien qu'il lui eût répondu qu'il y avait conseil et que monsieur ne pourrait sans doute pas la recevoir. D'abord, fatigué, il s'emporta, donna l'ordre de la renvoyer ; puis, la pensée qu'il se devait au succÚs, la crainte de changer la veine, s'il fermait sa porte, le firent se raviser. Le flot des solliciteurs augmentait chaque jour, et cette foule lui apportait une ivresse. Une seule lampe éclairait le cabinet, il ne voyait pas bien la visiteuse. " C'est M. Busch qui m'envoie, monsieur... " La colÚre le tint debout, et il ne lui dit mÃÂȘme pas de s'asseoir. Cette voix grÃÂȘle, dans ce corps débordant, venait de lui faire reconnaÃtre Mme Méchain. Une jolie actionnaire, cette acheteuse d'actions à la livre ! Elle, tranquillement, expliquait que Busch l'envoyait pour avoir des renseignements sur l'émission de la Banque universelle. Restait-il des titres disponibles ? Pouvait-on espérer en obtenir, avec la prime accordée aux syndicataires ? Mais ce n'était là , sûrement, qu'un prétexte, une façon d'entrer, de voir la maison, d'espionner ce qu'il s'y faisait, et de le tùter lui-mÃÂȘme ; car ses yeux minces percés à la vrille dans la graisse de son visage, furetaient partout, revenaient sans cesse le fouiller jusqu'à l'ùme. Busch, aprÚs avoir patienté longtemps, mûrissant la fameuse affaire de l'enfant abandonné, se décidait à agir et l'envoyait en éclaireur. " Il n'y a plus rien " , répondit brutalement Saccard. Elle sentit qu'elle n'en apprendrait pas davantage, qu'il serait imprudent de tenter quelque chose. Aussi, ce jour-là , sans lui laisser le temps de la pousser dehors, fit-elle d'elle-mÃÂȘme un pas vers la porte. " Pourquoi ne me demandez-vous pas des actions pour vous ? " reprit- il, voulant ÃÂȘtre blessant. De sa voix zézayante, sa voix pointue qui avait l'air de se moquer, elle répondit " Oh ! moi, ce n'est pas mon genre d'opérations... Moi, j'attends. " Et, à cette minute, ayant aperçu le vaste sac de cuir usé, qui ne la quittait point, il fut traversé d'un frisson. Un jour oÃÂč tout avait marché à souhait, le jour oÃÂč il était si heureux de voir naÃtre enfin la maison de crédit tant désirée, est-ce que cette vieille coquine allait ÃÂȘtre la fée mauvaise, celle qui jette un sort sur les princesses au berceau ? Il le sentait plein de valeurs dépréciées, de titres déclassés, ce sac qu'elle venait promener dans les bureaux de sa banque naissante ; il croyait comprendre qu'elle menaçait d'attendre aussi longtemps qu'il serait nécessaire, pour y enterrer à leur tour ses actions à lui, quand la maison croulerait. C'était le cri du corbeau qui part avec l'armée en marche, la suit jusqu'au soir du carnage, plane et s'abat, sachant qu'il y aura des morts à manger. " Au revoir, monsieur " , dit la Méchain en se retirant, essoufflée et trÚs polie. V - Un mois plus tard, dans les premiers jours de novembre, l'installation de la Banque universelle n'était pas terminée. Il y avait encore des menuisiers qui posaient des boiseries, des peintres qui achevaient de mastiquer l'énorme toiture vitrée dont on avait couvert la cour. Cette lenteur venait de Saccard, qui, mécontent de la mesquinerie de l'installation, prolongeait les travaux par des exigences de luxe ; et, ne pouvant repousser les murs, pour contenter son continuel rÃÂȘve de l'énorme, il avait fini par se fùcher et par se décharger sur Mme Caroline du soin de congédier enfin les entrepreneurs. Celle-ci surveillait donc la pose des derniers guichets. Il y avait un nombre de guichets extraordinaire ; la cour, transformée hall central, en était entourée guichets grillagés, sévÚres et dignes, surmontés de belles plaques de cuivre, portant les indications en lettres noires. En somme, l'aménagement, bien que réalisé dans un local un peu étroit, était d'une disposition heureuse au rez-de-chaussée, les services qui devaient ÃÂȘtre en relation suivie avec le public, les différentes caisses, les émissions, toutes les opérations courantes de banque ; et, en haut, le mécanisme en quelque sorte intérieur, la direction, la correspondance, la comptabilité, les bureaux du contentieux et du personnel. Au total, dans un espace si resserré, s'agitaient là plus de deux cent employés. Et ce qui frappait déjà , en entrant, mÃÂȘme au milieu de la bousculade des ouvriers, finissant de taper leurs clous, c'était cet air de sévérité, un air de probité antique, fleurant vaguement la sacristie, qui provenait sans doute du local, de ce vieil hÎtel humide et noir, silencieux, à l'ombre des arbres du jardin voisin. On avait la sensation de pénétrer dans une maison dévote. Un aprÚs-midi, revenant de la Bourse, Saccard lui-mÃÂȘme eut cette sensation, qui le surprit. Cela le consola des dorures absentes. Il témoigna de son contentement à Mme Caroline. " Eh bien, tout de mÃÂȘme, pour commencer, c'est gentil. On a l'air en famille, une vraie petite chapelle. Plus tard, on verra... Merci, ma belle amie, de la peine que vous vous donnez, depuis que votre frÚre est absent. Et, comme il avait pour principe d'utiliser les circonstances imprévues, il s'ingénia dÚs lors à développer cette apparence austÚre de la maison, il exigea de ses employés une tenue de jeunes officiants, on ne parla plus que d'une voix mesurée, on reçut et on donna l'argent avec une discrétion toute cléricale. Jamais Saccard, dans sa vie tumultueuse, ne s'était dépensé avec autant d'activité. Le matin, dÚs sept heures, avant tous les employés, et avant mÃÂȘme que le garçon de bureau eût allumé le feu, il était dans son cabinet, à dépouiller le courrier, à répondre déjà aux lettres les plus pressées. Puis, c'était, jusqu'à onze heures, un interminable galop, les amis et les clients considérables, les agents de change, les coulissiers, les remisiers, toute la nuée de la finance ; sans compter le défilé des chefs de service de la maison venant aux ordres. Lui-mÃÂȘme, dÚs qu'il avait une minute de répit, se levait, faisait une rapide inspection des divers bureaux, oÃÂč les employés vivaient dans la terreur de ses apparitions brusques, qui se produisaient à des heures sans cesse différentes. A onze heures il montait déjeuner avec Mme Caroline, mangeait largement, buvait de mÃÂȘme, avec une aisance d'homme maigre, sans en ÃÂȘtre incommodé ; et l'heure pleine qu'il employait là n'était pas perdue, car c'était le moment oÃÂč, comme il le disait, il confessait sa belle amie, c'est-à -dire oÃÂč il lui demandait son avis sur les hommes et sur les choses, quitte à ne pas savoir le plus souvent profiter de sa grande sagesse. A midi, il sortait, allait à la Bourse, voulant y ÃÂȘtre un des premiers, pour voir et causer. Du reste, il ne jouait pas ouvertement, se trouvait là ainsi qu'à un rendez-vous naturel, oÃÂč il était certain de rencontrer les clients de sa banque. Pourtant, son influence s'y indiquait déjà , il y était rentré en victorieux, en homme solide, appuyé désormais sur de vrais millions ; et les malins se parlaient à voix basse en le regardant, chuchotaient des rumeurs extraordinaires, lui prédisaient la royauté. Vers trois heures et demie, il était toujours rentré, il s'attelait à la fastidieuse besogne des signatures, tellement entraÃné à cette course mécanique de la main, qu'il mandait des employés, donnait des réponses, réglait des affaires, la tÃÂȘte libre et parlant à l'aise, sans discontinuer de signer. Jusqu'à six heures, il recevait encore des visites, terminait le travail du jour, préparait celui du lendemain. Et, quand il remontait prÚs de Mme Caroline, c'était pour un repas plus copieux que celui de onze heures, des poissons fins et du gibier surtout, avec des caprices de vins qui le faisaient dÃner au bourgogne, au bordeaux, au champagne, selon l'heureux emploi de sa journée. " Dites que je ne suis pas sage ! s'écriait-il parfois, en riant. Au lieu de courir les femmes, les cercles, les théùtres, je vis là , en bon bourgeois, prÚs de vous... Il faut écrire cela à votre frÚre, pour le rassurer. " Il n'était pas si sage qu'il le prétendait, ayant eu, à cette époque, la fantaisie d'une petite chanteuse des Bouffes ! et il s'était mÃÂȘme un jour oublié, à son tour, chez Germaine Coeur, oÃÂč il n'avait trouvé aucune satisfaction. La vérité était que, le soir, il tombait de fatigue. Il vivait, d'ailleurs, dans un tel désir, dans une telle anxiété du succÚs, que ses autres appétits allaient en rester comme diminués et paralysés, tant qu'il ne se sentirait pas triomphant, maÃtre indiscuté de la fortune. " Bah ! répondait gaiement Mme Caroline, mon frÚre a toujours été si sage, que la sagesse est pour lui une condition de nature, et non un mérite... Je lui ai écrit hier que je vous avais déterminé à ne pas faire redorer la salle du conseil. Cela lui fera plus de plaisir. " Ce fut donc par un aprÚs-midi trÚs froid des premiers jours de novembre, au moment oÃÂč Mme Caroline donnait au maÃtre peintre l'ordre de lessiver simplement les peintures de cette salle, qu'on lui apporta une carte, en lui disant que la personne insistait beaucoup pour la voir. La carte, malpropre, portait le nom de Busch, imprimé grossiÚrement. Elle ne connaissait pas ce nom, elle donna l'ordre de faire monter chez elle, dans le cabinet de son frÚre, oÃÂč elle recevait. Si Busch, depuis bientÎt six grands mois, patientait, n'utilisait pas l'extraordinaire découverte qu'il avait faite d'un fils naturel de Saccard, c'était d'abord pour les raisons qu'il avait pressenties, le médiocre résultat qu'il y aurait à tirer seulement de lui les six cents francs de billets souscrits à la mÚre, la difficulté extrÃÂȘme de le faire chanter pour en obtenir davantage, une somme raisonnable de quelques milliers de francs. Un homme veuf, libre de toutes entraves, que le scandale n'effrayait guÚre, comment le terroriser, lui faire payer cher ce vilain cadeau d'un enfant de hasard, poussé dans la boue, graine de souteneur et d'assassin ? Sans doute, la Méchain avait laborieusement dressé un gros compte de frais, environ six mille francs des piÚces de vingt sous prÃÂȘtées à Rosalie Chavaille, sa cousine, la mÚre du petit, puis ce que lui avait coûté la maladie de la malheureuse, son enterrement, l'entretien de sa tombe, enfin ce qu'elle dépensait pour Victor lui-mÃÂȘme depuis qu'il était tombé à sa charge, la nourriture, les vÃÂȘtements, un tas de choses. Mais, dans le cas oÃÂč Saccard n'aurait point la paternité tendre, n'était-il pas croyable qu'il allait les envoyer promener ? car rien au monde ne la prouverait, cette paternité, sinon la ressemblance de l'enfant ; et ils ne tireraient toujours de lui que l'argent des billets, encore s'il n'invoquait pas la prescription. D'autre part, si Busch avait tant tardé, c'était qu'il venait de passer des semaines d'affreuse inquiétude, prÚs de son frÚre Sigismond, couché, terrassé par la phtisie. Pendant quinze jours surtout, ce terrible remueur d'affaires avait tout négligé, tout oublié des mille pistes enchevÃÂȘtrées qu'il suivait, ne paraissant plus à la Bourse, ne traquant plus un débiteur, ne quittant pas le chevet du malade, qu'il veillait, soignait, changeait, comme une mÚre. Devenu prodigue, lui d'une ladrerie immonde, il appelait les premiers médecins de Paris, aurait voulu payer les remÚdes plus cher au pharmacien, pour qu'ils fussent plus efficaces ; et, comme les médecins avaient défendu tout travail, et que Sigismond s'entÃÂȘtait, il lui cachait ses papiers, ses livres. Entre eux, c'était devenu une guerre de ruses. DÚs que, vaincu par la fatigue, son gardien s'endormait, le jeune homme, trempé de sueur, dévoré de fiÚvre, retrouvait un bout de crayon, une marge de journal, se remettait à des calculs, distribuant la richesse selon son rÃÂȘve de justice, assurant à chacun sa part de bonheur et de vie. Et Busch, à son réveil, s'irritait de le voir plus malade, le coeur crevé de ce qu'il donnait ainsi à sa chimÚre le peu qu'il lui restait d'existence. Faire joujou avec ces bÃÂȘtises-là , il le lui permettait, comme on permet des pantins à un enfant, lorsqu'il était en bonne santé ; mais s'assassiner avec des idées folles, impraticables, vraiment c'était imbécile ! Enfin, ayant consenti à ÃÂȘtre sage, par affection pour son grand frÚre, Sigismond avait repris quelque force, et il commençait à se lever. Ce fut alors que Busch, se remettant à ses besognes, déclara qu'il fallait liquider l'affaire Saccard, d'autant plus que Saccard était rentré en conquérant à la Bourse et qu'il redevenait un personnage d'une solvabilité indiscutable. Le rapport de Mme Méchain, qu'il avait envoyée rue Saint-Lazare, était excellent. Cependant, il hésitait encore à attaquer son homme de face, il temporisait en cherchant par quelle tactique il le vaincrait, lorsqu'une parole échappée à la Méchain sur Mme Caroline, cette dame qui tenait la maison, dont tous les fournisseurs du quartier lui avaient parlé, le lança dans un nouveau plan de campagne. Est-ce que, par hasard, cette dame était la vraie maÃtresse, celle qui avait la clef des armoires et du coeur ? Il obéissait assez souvent à ce qu'il appelait le coup de l'inspiration, cédant à une divination brusque, partant en chasse sur une simple indication de son flair, quitte ensuite à tirer des faits une certitude et une résolution. Et ce fut ainsi qu'il se rendit rue Saint-Lazare, pour voir Mme Caroline. En haut, dans la salle des épures, Mme Caroline resta surprise devant ce gros homme mal rasé, à la figure plate et sale, vÃÂȘtu d'une belle redingote graisseuse et cravaté de blanc. Lui-mÃÂȘme la fouillait jusqu'à l'ùme, la trouvait telle qu'il la souhaitait, si grande, si saine, avec ses admirables cheveux blancs, qui éclairaient de gaieté et de douceur son visage resté jeune ; et il était surtout frappé par l'expression de la bouche un peu forte, une telle expression de bonté, que tout de suite il se décida. " Madame, dit-il, j'aurais désiré parler à M. Saccard, mais on vient de me répondre qu'il était absent... " Il mentait, il ne l'avait mÃÂȘme pas demandé, car il savait fort bien qu'il n'y était point, ayant guetté son départ pour la Bourse. " Et je me suis alors permis de m'adresser à vous, préférant cela au fond, n'ignorant pas à qui je m'adresse... Il s'agit d'une communication si grave, si délicate... " Mme Caroline, qui, jusque-là , ne lui avait pas dit de s'asseoir, lui indiqua un siÚge, avec un empressement inquiet. " Parlez, monsieur, je vous écoute. " Busch, en relevant avec soin les pans de sa redingote, qu'il semblait craindre de salir, se posa à lui-mÃÂȘme, comme un point acquis, qu'elle couchait avec Saccard. " C'est que, madame, ce n'est point commode à dire, et je vous avoue qu'au dernier moment je me demande si je fais bien de vous confier une pareille chose... J'espÚre que vous verrez, dans ma démarche, l'unique désir de permettre à M. Saccard de réparer d'anciens torts... " D'un geste, elle le mit à l'aise, ayant compris de son cÎté à quel personnage elle avait affaire, désirant abréger les protestations inutiles. Du reste, il n'insista pas, conta longuement l'ancienne histoire, Rosalie séduite rue de la Harpe, l'enfant naissant aprÚs la disparition de Saccard, et la mÚre morte dans la débauche, et Victor laissé à la charge d'une cousine trop occupée pour le surveiller, poussant au milieu de l'abjection. Elle l'écouta, étonnée d'abord par ce roman qu'elle n'attendait point, car elle s'était imaginé qu'il s'agissait de quelque louche aventure d'argent ; puis, visiblement, elle s'attendrit, émue du triste sort de la mÚre et de l'abandon du petit, profondément remuée dans sa maternité de femme restée stérile. " Mais, dit-elle, ÃÂȘtes-vous certain, monsieur, des faits que vous me racontez ?... Il faut des preuves bien fortes, absolues, dans ces sortes d'histoires. " Il eut un sourire. " Oh ! madame, il y a une preuve aveuglante, la ressemblance extraordinaire de l'enfant... Puis, les dates sont là , tout s'accorde et prouve les faits jusqu'à la derniÚre évidence. " Elle demeurait tremblante, et il l'observait. AprÚs un silence, il continua " Vous comprenez maintenant, madame, combien j'étais embarrassé pour m'adresser directement à M. Saccard. Moi, je n'ai aucun intérÃÂȘt là - dedans, je ne viens qu'au nom de Mme Méchain, la cousine, qu'un hasard seul a mise sur la trace du pÚre tant cherché ; car j'ai eu l'honneur de vous dire que les douze billets de cinquante francs, donnés à la malheureuse Rosalie, étaient signés du nom de Sicardot, chose que je ne me permets pas de juger, excusable, mon Dieu ! dans cette terrible vie de Paris. Seulement, n'est-ce pas ? M. Saccard aurait pu se méprendre sur le caractÚre de mon intervention... Et c'est alors que j'ai eu l'inspiration de vous voir la premiÚre, madame, pour m'en remettre complÚtement à vous sur la marche à suivre, sachant quel intérÃÂȘt vous portez à M. Saccard... Voilà ! vous avez notre secret, pensez-vous que je doive l'attendre et lui tout dire, dÚs aujourd'hui ? " Mme Caroline montra une émotion croissante. " Non, non, plus tard. " Mais elle-mÃÂȘme ne savait que faire, dans l'étrangeté de la confidence. Il continuait de l'étudier, satisfait de la sensibilité extrÃÂȘme qui la lui livrait, achevant de bùtir son plan, certain désormais de tirer d'elle plus que Saccard n'aurait jamais donné. " C'est que, murmura-t-il, il faudrait prendre un parti. - Eh bien, j'irai... Oui, j'irai à cette cité, j'irai voir cette Mme Méchain et l'enfant... Cela vaut mieux, beaucoup mieux que je me rende d'abord compte des choses. " Elle pensait tout haut, la résolution lui venait de faire une soigneuse enquÃÂȘte, avant de rien dire au pÚre. Ensuite, si elle était convaincue, il serait temps de l'avertir. N'était-elle pas là pour veiller sur sa maison et sur sa tranquillité ? " Malheureusement, ça presse, reprit Busch, l'amenant peu à peu oÃÂč il voulait. Le pauvre gamin souffre. Il est dans un milieu abominable. " Elle s'était levée. " Je mets un chapeau et j'y vais à l'instant. " A son tour, il dut quitter sa chaise, et négligemment " Je ne vous parle pas du petit compte qu'il y aura à régler. L'enfant a coûté, naturellement ; et il y a aussi de l'argent prÃÂȘté, du vivant de la mÚre... Oh ! moi, je ne sais pas au juste. Je n'ai voulu me charger de rien. Tous les papiers sont là -bas. - Bon ! je vais voir. " Alors, il parut s'attendrir lui-mÃÂȘme. " Ah ! madame, si vous saviez toutes les drÎles de choses que je vois, dans les affaires ! Ce sont les gens les plus honnÃÂȘtes qui ont à souffrir plus tard de leurs passions, ou, ce qui est pis, des passions de leurs parents... Ainsi, je pourrais vous citer un exemple. Vos infortunées voisines, ces dames de Beauvilliers... " D'un mouvement brusque, il s'était approché d'une des fenÃÂȘtres, il plongeait ses regards ardemment curieux dans le jardin voisin. Sans doute, depuis qu'il était entré, il méditait ce coup d'espionnage, aimant à connaÃtre ses terrains de bataille. Dans l'affaire de la reconnaissance de dix mille francs, signée par le comte à la fille Léonie Cron, il avait deviné juste, les renseignements envoyés de VendÎme disaient l'aventure prévue la fille séduite, restée sans un sou, à la mort du comte, avec son chiffon de papier inutile, et dévorée de l'envie dé venir à Paris, et finissant par laisser le papier en nantissement à l'usurier Charpier, pour cinquante francs peut-ÃÂȘtre. Seulement, s'il avait tout de suite retrouvé les Beauvilliers, il faisait battre Paris depuis six mois par la Méchain, sans pouvoir mettre la main sur Léonie. Elle y était tombée bonne à tout faire, chez un huissier, et il la suivait dans trois places ; puis, chassée pour inconduite notoire, elle disparaissait, il avait en vain fouillé tous les ruisseaux. Cela l'exaspérait d'autant plus, qu'il ne pouvait rien tenter sur la comtesse, tant qu'il n'aurait pas la fille comme une menace vivante de scandale. Mais il n'en nourrissait pas moins l'affaire, il était heureux, debout devant la fenÃÂȘtre, de connaÃtre le jardin de l'hÎtel, dont il n'avait vu encore que la façade, sur la rue. " Est-ce que ces dames seraient également menacées de quelque ennui ? " demanda Mme Caroline, avec une inquiÚte sympathie. Il fit l'innocent. " Non, je ne crois pas... Je voulais parler simplement de la triste situation oÃÂč les a laissées la mauvaise conduite du comte... Oui, j'ai des amis à VendÎme, je sais leur histoire. " Et, comme il se décidait enfin à quitter la fenÃÂȘtre, il eut, dans l'émotion qu'il jouait, un brusque et singulier retour sur lui-mÃÂȘme. " Encore, quand ce ne sont que des plaies d'argent ! mais c'est lorsque la mort entre dans une maison ! " Cette fois, de vraies larmes mouillaient ses yeux. Il venait de songer à son frÚre, il étouffait. Elle crut qu'il avait récemment perdu un des siens, elle ne le questionna pas, par discrétion. Jusque-là , elle ne s'était pas trompée sur les basses besognes du personnage, à la répugnance qu'il lui inspirait ; et ces larmes inattendues la déterminaient davantage que la plus savante des tactiques son désir s'accrut de courir tout de suite à la cité de Naples. " Madame, je compte donc sur vous. - Je pars à l'instant. " Une heure plus tard, Mme Caroline, qui avait pris une voiture, errait derriÚre la butte Montmartre, sans pouvoir trouver la cité. Enfin, dans une des rues désertes qui se relient à la rue Marcadet, une vieille femme la désigna au cocher. C'était, à l'entrée, comme un chemin de campagne, défoncé, obstrué de boue et de détritus, s'enfonçant au milieu d'un terrain vague ; et l'on ne distinguait qu'aprÚs un coup d'oeil attentif les misérables constructions, faites de terre, de vieilles planches et de vieux zinc, pareilles à des tas de démolitions, rangés autour de la cour intérieure. Sur la rue, une maison à un étage, bùtie en moellons, celle-là , mais d'une décrépitude et d'une crasse repoussantes, semblait commander l'entrée, ainsi qu'une geÎle. Et, en effet, Mme Méchain demeurait là , en propriétaire vigilante, sans cesse aux aguets, exploitant elle-mÃÂȘme son petit peuple de locataires affamés. DÚs que Mme Caroline fut descendue de voiture, elle la vit apparaÃtre sur le seuil, énorme, la gorge et le ventre coulant dans une ancienne robe de soie bleue, limée aux plis, craquée aux coutures, les joues si bouffies et si rouges, que le nez petit, disparu, semblait cuire entre deux brasiers. Elle hésitait, prise de malaise, lorsque la voix trÚs douce, d'un charme aigrelet de pipeau champÃÂȘtre, la rassura. " Ah ! madame, c'est M. Busch qui vous envoie. Vous venez pour le petit Victor... Entrez, entrez donc. Oui, c'est bien ici la cité de Naples. La rue n'est pas classée, nous n'avons pas encore de numéros... Entrez, il faut causer de tout ça, d'abord. Mon Dieu ! c'est si ennuyeux, c'est si triste ! " Et Mme Caroline dut accepter une chaise dépaillée, dans une salle à manger noire de graisse, oÃÂč un poÃÂȘle rouge entretenait une chaleur et une odeur asphyxiantes. La Méchain, maintenant, se récriait sur la chance que la visiteuse avait de la rencontrer, car elle avait tant d'affaires dans Paris, elle ne remontait guÚre avant six heures. Il fallut l'interrompre. " Pardon, madame, je venais pour ce malheureux enfant. - Parfaitement, madame, je vais vous le montrer... Vous savez que sa mÚre était ma cousine. Ah ! je puis dire que j'ai fait mon devoir... Voici les papiers, voici les comptes. " D'un buffet, elle tirait un dossier, bien en ordre, classé dans une chemise bleue, comme chez un agent d'affaires. Et elle ne tarissait plus sur la pauvre Rosalie sans doute elle avait fini par mener une vie tout à fait dégoûtante, allant avec le premier venu, rentrant ivre et en sang, aprÚs des bordées de huit jours ; seulement, n'est-ce pas ? Il fallait comprendre, car elle était bonne ouvriÚre avant que le pÚre lui eût démis l'épaule, le jour oÃÂč il l'avait prise sur l'escalier ; et ce n'était pas, avec son infirmité, en vendant des citrons aux Halles, qu'elle pouvait vivre sage. " Vous voyez, madame, c'est par vingt sous, par quarante sous, que je lui ai prÃÂȘté tout ça. Les dates y sont le 20 juin, vingt sous ; le 27 juin, encore vingt sous ; le 3 juillet, quarante sous. Et, tenez ! elle a dû ÃÂȘtre malade à cette époque, parce que voici des quarante sous à n'en plus finir... Puis, il y avait Victor que j'habillais. J'ai mis un V devant toutes les dépenses faites pour le gamin... Sans compter que, lorsque Rosalie a été morte, oh ! bien salement, dans une maladie qui était une vraie pourriture, il est tombé complÚtement à ma charge. Alors, regardez, j'ai mis cinquante francs par mois. C'est trÚs raisonnable. Le pÚre est riche, il peut bien donner cinquante francs par mois pour son garçon... Enfin, ça fait cinq mille quatre cent trois francs ; et, si nous ajoutons les six cents francs des billets, nous arrivons au total de six mille francs... Oui, tout pour six mille francs, voilà ! " Malgré la nausée qui la pùlissait, Mme Caroline fit une réflexion. " Mais les billets ne vous appartiennent pas, ils sont la propriété de l'enfant. - Ah ! pardon, reprit la Méchain, aigrement, j'ai avancé de l'argent dessus. Pour rendre service à Rosalie, je les lui ai escomptés. Vous voyez derriÚre mon endos... C'est encore gentil de ma part de ne pas réclamer des intérÃÂȘts... On réfléchira, ma bonne dame, on ne voudra pas faire perdre un sou à une pauvre femme comme moi. " Sur un geste las de la bonne dame, qui acceptait le compte, elle se calma. Et elle retrouva sa petite voix flûtée pour dire " Maintenant, je vais faire appeler Victor. " Mais elle eut beau envoyer coup sur coup trois mioches qui rÎdaient, se planter sur le seuil, faire de grands gestes il fut acquis que Victor refusait de se déranger. Un des mioches rapporta mÃÂȘme, pour toute réponse, un mot ignoble. Alors, elle s'ébranla, disparut comme pour aller le chercher par une oreille. Puis, elle reparut seule, ayant réfléchi, trouvant bon sans doute de le montrer dans toute son horreur. " Si madame veut bien prendre la peine de me suivre. " Et, en marchant, elle fournit des détails sur la cité de Naples, que son mari tenait d'un oncle. Ce mari devait ÃÂȘtre mort, personne ne l'avait connu, et elle n'en parlait jamais que pour expliquer la provenance de sa propriété. Une mauvaise affaire qui la tuerait, disait- elle, car elle y trouvait plus de soucis que de profits, surtout depuis que la préfecture la tracassait, lui envoyait des inspecteurs qui exigeaient des réparations, des améliorations, sous le prétexte que les gens crevaient chez elle comme des mouches. D'ailleurs, elle se refusait énergiquement à dépenser un sou. Est-ce qu'on n'allait pas bientÎt exiger des cheminées ornées de glaces, dans des chambres qu'elle louait deux francs par semaine ! Et ce qu'elle ne disait point, c'était son ùpreté à toucher ses loyers, jetant les familles à la rue, dÚs qu'on ne lui donnait pas d'avance ses deux francs, faisant elle-mÃÂȘme sa police, si redoutée, que les mendiants sans asile n'auraient osé dormir pour rien contre un de ses murs. Le coeur serré, Mme Caroline examinait la cour, un terrain ravagé, creusé de fondriÚres, que les ordures accumulées transformaient en un cloaque. On jetait tout là , il n'y avait ni fosse ni puisard, c'était un fumier sans cesse accru, empoisonnant l'air ; et heureusement qu'il faisait froid, car la peste s'en dégageait, sous les grands soleils. D'un pied inquiet, elle cherchait à éviter les débris de légumes et les os, en promenant ses regards aux deux bords, sur les habitations, des sortes de taniÚres sans nom, des rez-de-chaussée effondrés à demi, masures en ruine consolidées avec les matériaux les plus hétéroclites. Plusieurs étaient simplement couvertes de papier goudronné. Beaucoup n'avaient pas de porte, laissaient entrevoir des trous noirs de cave, d'oÃÂč sortait une haleine nauséabonde de misÚre. Des familles de huit et dix personnes s'entassaient dans ces charniers, sans mÃÂȘme avoir un lit souvent, les hommes, les femmes, les enfants se pourrissant les uns les autres, comme les fruits gùtés, livrés dÚs la petite enfance à l'instinctive luxure par la plus monstrueuse des promiscuités. Aussi des bandes de mioches, hùves, chétifs, mangés de la scrofule et de la syphilis héréditaires, emplissaient-elles sans cesse la cour, pauvres ÃÂȘtres poussés sur ce fumier ainsi que des champignons véreux, dans le hasard d'une étreinte, sans qu'on sût au juste quel pouvait ÃÂȘtre le pÚre. Lorsqu'une épidémie de fiÚvre typhoïde ou de variole soufflait, elle balayait d'un coup au cimetiÚre la moitié de la cité. " Je vous expliquais donc, Madame, reprit la Méchain, que Victor n'a pas eu de trop bons exemples sous les yeux, et qu'il serait temps de songer à son éducation, car le voilà qui achÚve ses douze ans... Du vivant de sa mÚre, n'est-ce pas ? il voyait des choses pas trÚs convenables, attendu qu'elle ne se gÃÂȘnait guÚre, quand elle était soûle. Elle amenait les hommes, et tout ça se passait devant lui... Ensuite, moi, je n'ai jamais eu le temps de le surveiller d'assez prÚs, à cause de mes affaires dans Paris. Il courait toute la journée sur les fortifications. Deux fois, j'ai dû aller le réclamer, parce qu'il avait volé, oh ! des bÃÂȘtises seulement. Et puis, dÚs qu'il a pu, ç'a été avec les petites filles, tant sa pauvre mÚre lui en avait montré. Avec ça, vous allez le voir, à douze ans, c'est déjà un homme. Enfin, pour qu'il travaille un peu, je l'ai donné à la mÚre Eulalie, une femme qui vend à Montmartre des légumes au panier. Il l'accompagne à la Halle, il lui porte un de ses paniers. Le malheur est qu'en ce moment elle a des abcÚs à la cuisse... Mais nous y voici, madame, veuillez entrer. " Mme Caroline eut un mouvement de recul. C'était, au fond de la cour, derriÚre une véritable barricade d'immondices, un des trous les plus puants, une masure écrasée dans le sol, pareille à un tas de gravats que des bouts de planches soutenaient. Il n'y avait pas de fenÃÂȘtre. Il fallait que la porte, une ancienne porte vitrée, doublée d'une feuille de zinc, restùt ouverte, pour qu'on vÃt clair ; et le froid entrait, terrible. Dans un coin, elle aperçut une paillasse, jetée simplement sur la terre battue. Aucun autre meuble n'était reconnaissable, parmi le pÃÂȘle-mÃÂȘle de tonneaux éclatés, de treillages arrachés, de corbeilles à demi pourries, qui devaient servir de siÚges et de tables. Les murs suintaient, d'une humidité gluante. Une crevasse, une fente verte dans le plafond noir, laissait couler la pluie, juste au pied de la paillasse. Et l'odeur, l'odeur surtout était affreuse, l'abjection humaine dans l'absolu dénuement. " MÚre Eulalie, cria la Méchain, c'est une dame qui veut du bien à Victor... Qu'est-ce qu'il a, ce crapaud, à ne pas venir, quand on l'appelle ? " Un paquet de chair informe grouilla sur la paillasse, dans un lambeau de vieille indienne qui servait de drap ; et Mme Caroline distingua une femme d'une quarantaine d'années, toute nue là -dedans, faute de chemise, semblable à une outre à moitié vide, tant elle était molle et coupée de plis. La tÃÂȘte n'était point laide, fraÃche encore, encadrée de petits cheveux blonds frisés. " Ah ! geignit-elle, qu'elle entre, si c'est pour notre bien, car il n'est pas Dieu possible que ça continue !... Quand on pense, madame, que voilà quinze jours que je n'ai pu me lever, à cause de ces saletés de gros boutons qui me font des trous dans la cuisse !... Alors, il n'y a plus un sou, naturellement. Impossible de continuer le commerce. J'avais deux chemises que Victor est allé vendre ; et je crois bien que, ce soir, nous serions claqués de faim. " Puis, haussant la voix " C'est bÃÂȘte, à la fini sors donc de là , petit... La dame ne veut pas te faire du mal. " Et Mme Caroline tressaillit, en voyant se dresser d'un panier un paquet, qu'elle avait pris pour un tas de loques. C'était Victor, vÃÂȘtu des restes d'un pantalon et d'une veste de toile, par les trous desquels sa nudité passait. Il se trouvait en plein dans la clarté de la porte, elle restait béante, stupéfiée de son extraordinaire ressemblance avec Saccard. Tous ses doutes s'en allÚrent, la paternité était indéniable. " Je veux pas, moi, déclara-t-il, qu'on m'embÃÂȘte pour aller à l'école. " Mais elle le regardait toujours envahie d'un malaise croissant. Dans cette ressemblance qui la frappait, il était inquiétant, ce gamin, avec toute une moitié de la face plus grosse que l'autre, le nez tordu à droite, la tÃÂȘte comme écrasée sur la marche oÃÂč sa mÚre, violentée, l'avait conçu. En outre, il paraissait prodigieusement développé pour son ùge, pas trÚs grand, trapu, entiÚrement formé à douze ans, déjà poilu, ainsi qu'une bÃÂȘte précoce. Les yeux hardis, dévorants, la bouche sensuelle, étaient d'un homme. Et, dans cette grande enfance, au teint si pur encore, avec certains coins délicats de fille, cette virilité, si brusquement épanouie gÃÂȘnait et effrayait, ainsi qu'une monstruosité. " L'école vous fait donc bien peur mon petit ami ? finit par dire Mme Caroline. Vous y seriez pourtant mieux qu'ici... OÃÂč couchez-vous ? " D'un geste, il montra la paillasse. " Là , avec elle. " Contrariée de cette réponse franche, la mÚre Eulalie s'agita, cherchant une explication. " Je lui avais fait un lit avec un petit matelas ; et puis, il a fallu le vendre... On couche comme on peut, n'est-ce pas ? quand tout a filé. " La Méchain crut devoir intervenir, bien qu'elle n'ignorùt rien de ce qui se passait. " Ce n'est tout de mÃÂȘme pas convenable, Eulalie... Et toi, garnement, tu aurais bien pu venir coucher chez moi, au lieu de coucher avec elle. " Mais Victor se planta sur ses courtes et fortes jambes, se carrant dans sa précocité de mùle. " Pourquoi donc, c'est ma femme ! " Alors, la mÚre Eulalie, vautrée dans sa molle graisse, prit le parti de rire, tùchant de sauver l'abomination, en en parlant d'un air de plaisanterie. Et une admiration tendre perçait en elle. " Oh ! ça, bien sûr que je ne lui confierais pas ma fille, si j'en avais une... C'est un vrai petit homme. " Mme Caroline frémit. Le coeur lui manquait, dans une nausée affreuse. Eh quoi ? ce gamin de douze ans, ce petit monstre, avec cette femme de quarante, ravagée et malade, sur cette paillasse immonde, au milieu de ces tessons et de cette puanteur ! Ah ! misÚre, qui détruit et pourrit tout ! Elle laissa vingt francs, se sauva, revint se réfugier chez la propriétaire, pour prendre un parti et s'entendre définitivement avec celle-ci. Une idée s'était éveillée en elle, devant un tel abandon, celle de l'Oeuvre du Travail n'avait-elle pas été justement créée, cette oeuvre, pour des déchéances pareilles, les misérables enfants du ruisseau qu'on tùchait de régénérer par de l'hygiÚne et un métier ? Au plus vite, il fallait enlever Victor de ce cloaque, le mettre là -bas, lui refaire une existence. Elle en était restée toute tremblante. Et, dans cette décision, il lui venait une délicatesse de femme ne rien dire encore à Saccard, attendre d'avoir décrassé un peu le monstre, avant de le lui montrer ; car elle éprouvait comme une pudeur pour lui de cet effroyable rejeton, elle souffrait de la honte qu'il en aurait eue. Quelques mois suffiraient sans doute, elle parlerait ensuite, heureuse de sa bonne action. La Méchain comprit difficilement. " Mon Dieu, madame, comme il vous plaira... Seulement, je veux mes six mille francs tout de suite. Victor ne bougera pas de chez moi, si je n'ai pas mes six mille francs. " Cette exigence désespéra Mme Caroline. Elle n'avait pas la somme, elle ne voulait pas la demander au pÚre, naturellement. En vain, elle discuta, supplia. " Non, non ! si je n'avais plus mon gage, je pourrais me fouiller. Je connais ça. " Enfin, voyant que la somme était grosse et qu'elle n'obtiendrait rien, elle fit un rabais. " Eh bien, donnez-moi deux mille francs tout de suite. J'attendrai pour le reste. " Mais l'embarras de Mme Caroline restait le mÃÂȘme, et elle se demandait oÃÂč prendre ces deux mille francs, lorsque la pensée lui vint de s'adresser à Maxime. Elle ne voulut pas la discuter. Il consentirait bien à ÃÂȘtre du secret, il ne refuserait pas l'avance de ce peu d'argent, que certainement son pÚre lui rembourserait. Et elle s'en alla en annonçant qu'elle reviendrait prendre Victor le lendemain. Il n'était que cinq heures, elle avait une telle fiÚvre d'en finir, qu'en remontant dans son fiacre, elle donna au cocher l'adresse de Maxime, avenue de l'impératrice. Quand elle arriva, le valet de chambre lui dit que monsieur était à sa toilette, mais qu'il allait tout de mÃÂȘme l'annoncer. Un instant, elle étouffa, dans le salon oÃÂč elle attendait. C'était un petit hÎtel installé avec un raffinement exquis de luxe et de bien-ÃÂȘtre. Les tentures, les tapis s'y trouvaient prodigués ; et une odeur fine, ambrée, s'exhalait, dans le tiÚde silence des piÚces. Cela était joli, tendre et discret, bien qu'il n'y eût pas là de femme ; car le jeune veuf, enrichi par la mort de la sienne, avait réglé sa vie pour l'unique culte de lui-mÃÂȘme, fermant sa porte, en garçon d'expérience, à tout nouveau partage. Cette jouissance de vivre, qu'il devait à une femme, il n'entendait pas qu'une autre femme la lui gùtùt. Désabusé du vice, il ne continuait à en prendre que comme d'un dessert qui lui était défendu, à cause de son estomac déplorable. Il avait abandonné depuis longtemps son idée d'entrer au Conseil d'Etat, il ne faisait mÃÂȘme plus courir, les chevaux l'ayant rassasié comme les filles. Et il vivait seul, oisif, parfaitement heureux, mangeant sa fortune avec art et précaution, d'une férocité de beau-fils pervers et entretenu, devenu sérieux. " Si madame veut me suivre, revint dire le valet. Monsieur la recevra tout de suite dans sa chambre. " Mme Caroline avait avec Maxime des rapports familiers, depuis qu'il la voyait installée en intendante fidÚle, chaque fois qu'il allait dÃner chez son pÚre. En entrant dans la chambre, elle trouva les rideaux fermés, six bougies brûlant sur la cheminée et sur un guéridon, éclairant d'une flamme tranquille ce nid de duvet et de soie, une chambre trop douillette de belle dame à vendre, avec ses siÚges profonds, son immense lit, d'une mollesse de plumes. C'était la piÚce aimée, oÃÂč il avait épuisé les délicatesses, les meubles et les bibelots précieux, des merveilles du siÚcle dernier, fondus, perdus dans le plus délicieux fouillis d'étoffes qui se pût voir. Mais la porte donnant sur le cabinet de toilette était grande ouverte, et il parut, disant " Quoi donc, qu'est-il arrivé ?... Papa n'est pas mort ? " Au sortir du bain, il venait de passer un élégant costume de flanelle blanche, la peau fraÃche et embaumée, avec sa jolie tÃÂȘte de fille, déjà fatiguée, les yeux bleus et clairs sur le vide du cerveau. Par la porte, on entendait encore l'égouttement d'un des robinets de la baignoire, tandis qu'un parfum de violente fleur montait, dans la douceur de l'eau tiÚde. " Non, non, ce n'est pas si grave, répondit-elle, gÃÂȘnée par le ton tranquillement plaisant de la question. Et ce que j'ai à vous dire pourtant m'embarrasse un peu... Vous m'excuserez de tomber ainsi chez vous... - C'est vrai, je dÃne en ville, mais j'ai bien le temps de m'habiller... Voyons, qu'y a-t-il ? " Il attendait, et elle hésitait maintenant, balbutiait, saisie de ce grand luxe, de ce raffinement jouisseur, qu'elle sentait autour d'elle. Une lùcheté la prenait, elle ne retrouvait plus son courage à tout dire. Etait-ce possible que l'existence, si dure à l'enfant de hasard, là -bas, dans le cloaque de la cité de Naples, se fût montrée si prodigue, pour celui-ci, au milieu de cette savante richesse ? Tant de saletés ignobles, la faim et l'ordure inévitable d'un cÎté, et de l'autre une telle recherche de l'exquis, l'abondance, la vie belle ! L'argent serait-il donc l'éducation, la santé, l'intelligence ? Et, si la mÃÂȘme boue humaine restait dessous, toute la civilisation n'était-elle pas dans cette supériorité de sentir bon et de bien vivre ? " Mon Dieu ! c'est une histoire. Je crois que je fais bien en vous la racontant... Du reste, j'y suis forcée, j'ai besoin de vous. " Maxime l'écouta, d'abord debout ; puis, il s'assit devant elle, les jambes cassées par la surprise. Et, lorsqu'elle se tut " Comment ! comment ! je ne suis pas tout seul de fils, voilà un affreux petit frÚre qui me tombe du ciel, sans crier gare ! " Elle le crut intéressé, fit une allusion à la question d'héritage. " Oh ! l'héritage de papa ! " Et il eut un geste d'insouciance ironique, qu'elle ne comprit pas. Quoi ? que voulait-il dire ? Ne croyait-il pas aux grandes qualités, à la fortune certaine de son pÚre ? " Non, non, mon affaire est faite, je n'ai besoin de personne... Seulement, en vérité, c'est si drÎle, ce qui arrive, que je ne puis m'empÃÂȘcher d'en rire. " Il riait, en effet, mais vexé, inquiet sourdement, ne songeant qu'à lui, n'ayant pas encore eu le temps d'examiner ce que l'aventure pouvait lui apporter de bon ou de mauvais. Il se sentit à l'écart, il lùcha un mot ou, brutalement, il se mit tout entier. " Au fond, je m'en fiche, moi ! " S'étant levé, il passa dans le cabinet de toilette, en revint tout de suite avec un polissoir d'écaille, dont il se frottait doucement les ongles. " Et qu'est-ce que vous allez en faire, de votre monstre ? On ne peut pas le mettre à la Bastille, comme le Masque de fer. " Elle parla alors des comptes de la Méchain, expliqua son idée de faire entrer Victor à l'Oeuvre du Travail, et lui demanda les deux mille francs. " Je ne veux pas que votre pÚre sache rien encore, je n'ai que vous à qui m'adresser, il faut que vous fassiez cette avance. Mais il refusa net. " A papa, jamais de la vie ! pas un sou !... Ecoutez, c'est un serment, papa aurait besoin d'un sou pour passer un pont que je ne le lui prÃÂȘterais pas... Comprenez donc ! il y a des bÃÂȘtises trop bÃÂȘtes, je ne veux pas ÃÂȘtre ridicule ! " De nouveau, elle le regardait, troublée des choses vilaines qu'il insinuait. En ce moment de passion, elle n'avait ni le désir ni le temps de le faire causer. " Et à moi, reprit-elle d'une voix brusque, me les prÃÂȘterez-vous, ces deux mille francs ? - A vous, à vous... " Il continuait de se polir les ongles, d'un mouvement joli et léger, tout en l'examinant de ses yeux clairs, qui fouillaient les femmes jusqu'au sang du coeur. " A vous, tout de mÃÂȘme, je veux bien.. Vous ÃÂȘtes une gobeuse, vous me les ferez rendre. " Puis, quand il fut allé chercher les deux billets dans un petit meuble, et qu'il les lui eut remis, il lui prit les mains, les garda un instant entre les siennes, d'un air de gaieté amicale, en beau-fils qui a de la sympathie pour sa belle-maman. " Vous avez des illusions sur papa, vous !... Oh ! ne vous en défendez pas, je ne vous demande pas vos affaires... Les femmes, c'est si bizarre, ça se distrait parfois à se dévouer ; et, naturellement, elles ont bien raison de prendre leur plaisir oÃÂč elles le trouvent... N'importe, si un jour vous en étiez mal récompensée, venez donc me voir, nous causerons. " Lorsque Mme Caroline se retrouva dans son fiacre, étouffée encore par la tiédeur molle du petit hÎtel, par le parfum d'héliotrope qui avait pénétré ses vÃÂȘtements, elle était frissonnante comme au sortir d'un lieu suspect, effrayée aussi de ces réticences, de ces plaisanteries du fils sur le pÚre, qui aggravaient son soupçon de l'inavouable passé. Mais elle ne voulait rien savoir, elle avait l'argent, elle se calma en combinant sa journée du lendemain, de façon que, dÚs le soir, l'enfant fût sauvé de son vice. Aussi, le matin, dut-elle se mettre en course, car elle avait toutes sortes de formalités à remplir, pour ÃÂȘtre certaine que son protégé serait accueilli à l'Oeuvre du Travail. Sa situation de secrétaire du conseil de surveillance, que la princesse d'Orviedo, la fondatrice, avait composé de dix dames du monde, lui facilita d'ailleurs ces formalités ; et, l'aprÚs-midi, elle n'eut plus qu'à aller chercher Victor à la cité de Naples. Elle avait emporté des vÃÂȘtements convenables, elle n'était pas au fond sans inquiétude sur la résistance que le petit allait leur opposer, lui qui ne voulait pas entendre parler de l'école. Mais la Méchain, à qui elle avait envoyé une dépÃÂȘche et qui l'attendait, lui apprit dÚs le seuil une nouvelle, dont elle était bouleversée elle-mÃÂȘme dans la nuit, brusquement, la mÚre Eulalie était morte, sans que le médecin eût pu dire au juste de quoi, une congestion peut-ÃÂȘtre, quelque ravage du sang gùté ; et l'effrayant, c'était que le gamin, couché avec elle, ne s'était aperçu de la mort, dans l'obscurité, qu'en la sentant contre lui devenir toute froide. Il avait fini sa nuit chez la propriétaire, hébété de ce drame, travaillé d'une sourde peur, si bien qu'il se laissa habiller et qu'il parut content, à l'idée de vivre dans une maison qui avait un beau jardin. Rien ne le retenait plus là , puisque la grosse, comme il disait, allait pourrir dans le trou. Cependant, la Méchain, en écrivant son reçu des deux mille francs, posait ses conditions. " C'est bien entendu, n'est-ce pas ? vous compléterez les six mille en un seul paiement, à six mois... Autrement, je m'adresserai à M. Saccard. - Mais, dit Mme Caroline, c'est M. Saccard lui-mÃÂȘme qui vous paiera... Aujourd'hui, je le remplace, simplement. " Les adieux de Victor et de la vieille cousine furent sans tendresse un baiser sur les cheveux, une hùte du petit à monter dans la voiture, tandis qu'elle, grondée par Busch d'avoir consenti à ne recevoir qu'un acompte, continuait à mùcher sourdement son ennui de voir ainsi son gage lui échapper. " Enfin, madame, soyez honnÃÂȘte avec moi, autrement je vous jure que je saurai bien vous en faire repentir. " De la cité de Naples à l'Oeuvre du Travail, boulevard Bineau, Mme Caroline ne put tirer que des monosyllabes de Victor, dont les yeux luisants dévoraient la route, les larges avenues, les passants et les maisons riches. Il ne savait pas écrire, à peine lire, ayant toujours déserté l'école pour des bordées sur les fortifications ; et, de sa face d'enfant mûri trop vite, ne sortaient que les appétits exaspérés de sa race, une hùte, une violence à jouir, aggravées par le terreau de misÚre et d'exemples abominables dans lequel il avait grandi. Boulevard Bineau, ses yeux de jeune fauve étincelÚrent davantage, lorsque, descendu de voiture, il traversa la cour centrale, que le bùtiment des garçons et celui des filles bordaient à droite et à gauche. Déjà , il avait fouillé d'un regard les vastes préaux plantés de beaux arbres, les cuisines revÃÂȘtues de faïence, dont les fenÃÂȘtres ouvertes exhalaient des odeurs de viandes, les réfectoires ornés de marbre, longs et hauts comme des nefs de chapelle, tout ce luxe royal que la princesse, s'entÃÂȘtant à ses restitutions, voulait donner aux pauvres. Puis, arrivé au fond, dans le corps de logis que l'administration occupait, promené de service en service pour ÃÂȘtre admis avec les formalités d'usage, il écouta sonner ses souliers neufs le long des immenses corridors, des larges escaliers, de ces dégagements inondés d'air et de lumiÚre, d'une décoration de palais. Ses narines frémissaient, tout cela allait ÃÂȘtre à lui. Mais, comme Mme Caroline, redescendue au rez-de-chaussée pour la signature d'une piÚce, lui faisait suivre un nouveau couloir, elle l'amena devant une porte vitrée, et il put voir un atelier oÃÂč des garçons de son ùge, debout devant des établis, apprenaient la sculpture sur bois. " Vous voyez, mon petit ami, dit-elle, on travaille ici parce qu'il faut travailler, si l'on veut ÃÂȘtre bien portant et heureux... Le soir, il y a des classes, et je compte, n'est-ce pas ? que vous serez sage, que vous étudierez bien... C'est vous qui allez décider de votre avenir, un avenir tel que vous ne l'avez jamais rÃÂȘvé. " Un pli sombre avait coupé le front de Victor. Il ne répondit pas, et ses yeux de jeune loup ne jetÚrent plus sur ce luxe étalé, prodigué, que des regards obliques de bandit envieux avoir tout ça, mais sans rien faire ; le conquérir, s'en repaÃtre, à la force des ongles et des dents. DÚs lors, il ne fut plus là qu'en révolté, qu'en prisonnier qui rÃÂȘve de vol et d'évasion. " Maintenant, tout est réglé, reprit Mme Caroline. Nous allons monter à la salle de bains. " L'usage était que chaque nouveau pensionnaire, à son entrée, prenait un bain ; et les baignoires se trouvaient en haut, dans des cabinets attenant à l'infirmerie, qui elle-mÃÂȘme, composée de deux petits dortoirs, l'un pour les garçons, l'autre pour les filles, était voisine de la lingerie. Les six soeurs de la communauté régnaient là , dans cette lingerie superbe, tout en érable verni, à trois étages de profondes armoires, dans cette infirmerie modÚle, d'une clarté, d'une blancheur sans tache, gaie et propre comme la santé. Souvent aussi, les dames du conseil de surveillance venaient y passer une heure de l'aprÚs-midi, moins pour contrÎler que pour donner à l'oeuvre l'appui de leur dévouement. Et, justement, la comtesse de Beauvilliers se trouvait là , avec sa fille Alice, dans la salle qui séparait les deux infirmeries. Souvent, elle l'amenait ainsi pour la distraire, en lui donnant le plaisir de la charité. Ce jour-là , Alice aidait une des soeurs à faire des tartines de confiture, pour deux petites convalescentes, à qui on avait permis de goûter. " Ah ! dit la comtesse, à la vue de Victor qu'on venait de faire asseoir en attendant son bain, voici un nouveau. " D'habitude, elle restait cérémonieuse à l'égard de Mme Caroline, ne la saluant que d'un signe de tÃÂȘte, sans jamais lui adresser la parole, de crainte peut-ÃÂȘtre d'avoir à lier avec elle des relations de voisinage. Mais ce garçon que celle-ci amenait, l'air d'active bonté dont elle s'occupait de lui, la touchaient sans doute, la faisaient sortir de sa réserve. Et elles causÚrent à demi-voix. " Si vous saviez, madame, de quel enfer je viens de le tirer ! Je le recommande à votre surveillance, comme je l'ai recommandé à toutes ces dames et à tous ces messieurs. " " Est-ce qu'il a des parents ? Est-ce que vous les connaissez ? - Non, sa mÚre est morte... Il n'a plus que moi. - Pauvre gamin !... Ah ! que de misÚre ! " Pendant ce temps, Victor ne quittait pas des yeux les tartines. Ses regards s'étaient allumés d'une féroce convoitise ; et, de cette confiture que le couteau étalait, il remontait aux fluettes mains blanches d'Alice, à son cou trop, à toute sa personne de vierge chétive, qui s'émaciait l'attente vaine du mariage. S'il s'était trouvé seul avec elle, d'un bon coup de tÃÂȘte dans le ventre, comme il l'aurait envoyée rouler contre le mur, pour lui prendre ses tartines ! Mais la jeune fille avait remarqué ses regards gloutons ; et, d'un coup d'oeil, ayant consulté la religieuse " Est-ce que vous avez faim, mon petit ami ? - Oui. - Et vous ne détestez pas la confiture ? - Non. - Alors, ça vous irait si je vous faisais deux tartines, que vous mangeriez en sortant du bain ? - Oui. - Beaucoup de confiture sur pas beaucoup de pain, n'est-ce pas ? - Oui. " Elle riait, plaisantait, mais lui restait grave et béant, avec ses yeux dévorateurs qui la mangeaient, elle et ses bonnes choses. A ce moment, des cris de joie, tout un violent tapage monta du préau des garçons, oÃÂč la récréation de quatre heures commençait. Les ateliers se vidaient, les pensionnaires avaient une demi-heure pour goûter et se dégourdir les jambes. " Vous voyez, reprit Mme Caroline, en l'amenant prÚs d'une fenÃÂȘtre, si l'on travaille, on joue aussi... Vous aimez travailler ? - Non. - Mais vous aimez jouer ? - Oui. - Eh bien, si vous voulez jouer, il faudra travailler... Tout cela s'arrangera, vous serez raisonnable, j'en suis sûre. " Il ne répondit pas. Une flamme de plaisir lui avait chauffé la face, à la vue de ses camarades lùchés, sautant et criant ; et ses regards revinrent vers ses tartines que la jeune fille achevait et posait sur une assiette. Oui ! de la liberté, de la jouissance, tout le temps, il ne voulait rien d'autre. Son bain était prÃÂȘt, on l'emmena. " Voilà un petit monsieur qui ne sera guÚre commode, je crois, dit doucement la religieuse. Je me méfie d'eux, quand ils n'ont pas la figure d'aplomb. - Il n'est pourtant pas laid, celui-ci, murmura Alice, et on lui donnerait dix-huit ans, à le voir vous regarder. - C'est vrai, conclut Mme Caroline avec un léger frisson, il est trÚs avancé pour son ùge. " Et, avant de s'en aller, ces dames voulurent se donner le plaisir de voir les petites convalescentes manger leurs tartines. L'une surtout était trÚs intéressante, une blonde fillette de dix ans, avec des yeux savants déjà , un air de femme, la chair hùtive et malade des faubourgs parisiens. C'était, d'ailleurs, la commune histoire un pÚre ivrogne qui amenait ses maÃtresses ramassées sur le trottoir, qui venait de disparaÃtre avec une d'elles ; une mÚre qui avait pris un autre homme, puis un autre, tombée elle-mÃÂȘme à la boisson ; et la petite, là -dedans, battue par tous ces mùles, quand ils n'essayaient pas de la violer. Un matin, la mÚre avait dû la retirer des bras d'un maçon, ramené par elle, la veille. On lui permettait pourtant, à cette mÚre misérable, de venir voir son enfant, car c'était elle qui avait supplié qu'on la lui enlevùt, ayant gardé dans son abjection un ardent amour maternel. Et elle se trouvait précisément là , une femme maigre et jaune, dévastée, avec des paupiÚres brûlées de larmes, assise prÚs du lit blanc, oÃÂč sa gamine, trÚs propre, le dos appuyé contre des oreillers, mangeait gentiment ses tartines. Elle reconnut Mme Caroline, étant allée chez Saccard chercher des secours. " Ah madame, voilà encore ma pauvre Madeleine sauvée une fois. C'est tout notre malheur qu'elle a dans le sang, voyez-vous, et le médecin m'avait bien dit qu'elle ne vivrait pas, si elle continuait à ÃÂȘtre bousculée chez nous... Tandis qu'ici elle a de la viande, elle a du vin ; et puis, elle respire, elle est tranquille... Je vous en prie, madame, dites bien à ce bon monsieur que je ne vis pas une heure de mon existence sans le bénir. " Un sanglot la suffoqua, son coeur se fondait de reconnaissance. C'était de Saccard qu'elle parlait, car elle ne connaissait que lui, comme la plupart des parents qui avaient des enfants à l'Oeuvre du Travail. La princesse d'Orviedo ne paraissait point, tandis que lui s'était longtemps prodigué, peuplant l'oeuvre, ramassant toutes les misÚres du ruisseau pour voir plus vite fonctionner cette machine charitable qui était un peu sa création, se passionnant du reste comme toujours, distribuant des piÚces de cent sous de sa poche aux tristes familles dont il sauvait les petits. Et il restait le seul et vrai bon Dieu, pour tous ces misérables. " N'est-ce pas ? madame, dites-lui bien qu'il y a quelque part une pauvre femme qui prie pour lui... Oh ! ce n'est pas que j'aie de la religion, je ne veux point mentir, je n'ai jamais été hypocrite. Non, les églises et nous, c'est fini, parce que nous n'y songeons seulement plus, tout ça ne servait à rien, d'aller y perdre son temps... Mais ça n'empÃÂȘche qu'il y a tout de mÃÂȘme quelque chose au-dessus de nous, et alors ça soulage, quand quelqu'un a été bon, d'appeler sur lui les bénédictions du Ciel. " Ses larmes débordÚrent, coulÚrent sur ses joues flétries. " Ecoute-moi, Madeleine, écoute... " La fillette, si pùle dans sa chemise de neige, et qui léchait la confiture de sa tartine d'un petit bout de langue gourmande, avec des yeux de bonheur, leva la tÃÂȘte, devint attentive, sans cesser son régal. " Chaque soir, avant de t'endormir dans ton lit, tu joindras tes mains comme ça, et tu diras " Mon Dieu, " faites que M. Saccard soit récompensé de sa bonté, qu'il ait de longs jours et qu'il soit heureux. Tu entends, tu me le promets ? - Oui, maman. " Les semaines qui suivirent, Mme Caroline vécut dans un grand trouble moral. Elle n'avait plus sur Saccard d'idées nettes. L'histoire de la naissance et de l'abandon de Victor, cette triste Rosalie prise sur une marche d'escalier, si violemment, qu'elle en était restée infirme, et les billets signés et impayés, et le malheureux enfant sans pÚre grandi dans la boue, tout ce passé lamentable lui donnait une nausée au coeur. Elle écartait les images de ce passé, de mÃÂȘme qu'elle n'avait pas voulu provoquer les indiscrétions de Maxime certainement, il y avait là des tares anciennes, qui l'effrayaient, dont elle aurait eu trop de chagrin. Puis, c'était cette femme en pleurs, joignant les mains de sa petite fille, la faisant prier pour cet homme ; c'était Saccard adoré comme le Dieu de bonté, et véritablement bon, et ayant réellement sauvé des ùmes, dans cette activité passionnée de brasseur d'affaires, qui se haussait à la vertu, lorsque la besogne était belle. Aussi arriva-t-elle à ne plus vouloir le juger, en se disant, pour mettre en paix sa conscience de femme savante, ayant trop lu et trop réfléchi, qu'il y avait chez lui, comme chez tous les hommes, du pire et du meilleur. Cependant, elle venait d'avoir un réveil sourd de honte à la pensée qu'elle lui avait appartenu. Cela la stupéfiait toujours, elle se tranquillisait en se jurant que c'était fini que cette surprise d'un moment ne pouvait recommencer. Et trois mois s'écoulÚrent, pendant lesquels, deux fois par semaine, elle allait voir Victor ; et, un soir, elle se retrouva dans les bras de Saccard, définitivement à lui, laissant s'établir des relations réguliÚres. Que se passait-il donc en elle ? Etait-elle, comme les autres, curieuse ? ces troubles amours de jadis, remués par elle, lui avaient-ils donné le sensuel désir de savoir ? Ou plutÎt n'était-ce pas l'enfant qui était devenu le lien, le rapprochement fatal entre lui, le pÚre, et elle, la mÚre de rencontre et d'adoption ? Oui, il ne devait y avoir eu là qu'une perversion sentimentale. Dans son grand chagrin de femme stérile, cela certainement l'avait attendrie jusqu'à la débùcle de sa volonté, de s'ÃÂȘtre occupée du fils de cet homme, au milieu de si poignantes circonstances. Chaque fois qu'elle le revoyait, elle se donnait davantage, et une maternité était au fond de son abandon. D'ailleurs, elle était femme de clair bon sens, elle acceptait les faits de la vie, sans s'épuiser à tacher de s'en expliquer les mille causes complexes. Pour elle, dans ce dévidage du coeur et de la cervelle, dans cette analyse raffinée des cheveux coupés en quatre, il n'y avait qu'une distraction de mondaines inoccupées, sans ménage à tenir, sans enfant à aimer, des farceuses intellectuelles qui cherchent des excuses à leurs chutes, qui masquent de leur science de l'ùme les appétits de la chair, communs aux duchesses et aux filles d'auberge. Elle, d'une érudition trop vaste, qui avait perdu son temps, autrefois, à brûler de connaÃtre le vaste monde et à prendre parti dans les querelles des philosophes, en était revenue avec le grand dédain de ces récréations psychologiques, qui tendent à remplacer le piano et la tapisserie, et dont elle disait en riant qu'elles ont débauché plus de femmes qu'elles n'en ont corrigé. Aussi, les jours oÃÂč des trous se produisaient en elle, oÃÂč elle sentait une cassure dans son libre arbitre préférait-elle avoir le courage d'accepter les faits, aprÚs l'avoir constaté ; et elle comptait sur le travail de la vie pour effacer la tare, pour réparer le mal, de mÃÂȘme que la sÚve qui monte toujours ferme d'un chÃÂȘne, refait du bois et de l'écorce. Si elle était maintenant à Saccard sans l'avoir voulu, sans ÃÂȘtre certaine qu'elle l'estimait, elle se relevait de cette déchéance en ne le jugeant pas indigne d'elle, séduite par ses qualités d'homme d'action, par son énergie à vaincre, le croyant bon et utile aux autres. Sa honte premiÚre s'en était allée, dans ce besoin que l'on a de purifier ses fautes, et rien n'était en effet plus naturel ni plus tranquille que leur liaison un ménage de raison simplement, lui heureux de l'avoir là , le soir, quand il ne sortait pas, elle presque maternelle, d'une affection calmante, avec sa vive intelligence et sa droiture. Et c'était vraiment, pour ce forban du pavé de Paris, brûlé et tanné dans tous les guets-apens financiers, une chance imméritée, une récompense volée comme le reste, que d'avoir à lui cette adorable femme, si jeune et si saine à trente-six ans, sous la neige de son épaisse chevelure blanche, d'un bon sens si brave et d'une sagesse si humaine, dans sa foi à la vie, telle qu'elle est, malgré la boue que le torrent emporte. Des mois se passÚrent, et il faut dire que Mme Caroline trouva Saccard trÚs énergique et trÚs prudent, durant tous ces pénibles débuts de la Banque universelle. Ses soupçons de trafics louches, ses craintes qu'il ne les compromit elle et son frÚre, se dissipÚrent mÃÂȘme entiÚrement, à le voir sans cesse en lutte avec les difficultés, se dépensant du matin au soir pour assurer le bon fonctionnement de cette grosse mécanique neuve, dont les rouages grinçaient, prÚs d'éclater ; et elle lui en eut de la reconnaissance, elle l'admira. L'Universelle, en effet, ne marchait pas comme il l'avait espéré, car elle avait contre elle la sourde hostilité de la haute banque de mauvais bruits couraient, des obstacles renaissaient, immobilisant le capital, ne permettant pas les grandes tentatives fructueuses. Aussi s'était-il fait une vertu de cette lenteur d'allures, à laquelle on le réduisait, n'avançant que pas à pas sur un terrain solide, guettant les fondriÚres, trop occupé à éviter une chute pour oser se lancer dans les hasards du jeu. Il se rongeait d'impatience, piétinant comme une bÃÂȘte de course réduite à un petit trot de promenade ; mais jamais commencements d'une maison de crédit ne furent plus honorables ni plus corrects ; et la Bourse en causait, étonnée. Ce fut de la sorte qu'on atteignit l'époque de la premiÚre assemblée générale. Elle avait été fixée au 25 avril. DÚs le 20, Hamelin débarqua d'Orient, tout exprÚs pour la présider, rappelé en hùte par Saccard, qui étouffait dans la maison trop étroite. Il rapportait, d'ailleurs, d'excellentes nouvelles les traités étaient conclus pour la formation de la Compagnie générale des Paquebots réunis et, d'autre part, il avait en poche les concessions qui assuraient à une société française l'exploitation des mines d'argent du Carmel ; sans parler de la Banque nationale turque, dont il venait de jeter les bases à Constantinople, et qui serait une véritable succursale de l'Universelle. Quant à la grosse question des chemins de fer de l'Asie Mineure, elle n'était pas mûre, il fallait la réserver ; du reste, il devait retourner là -bas, pour continuer ses études, dÚs le lendemain de l'assemblée. Saccard, ravi, eut avec lui une longue conversation, à laquelle assistait Mme Caroline, et il leur persuada aisément qu'une augmentation du capital social était une nécessité absolue, si l'on voulait faire face à ces entreprises. Déjà , les forts actionnaires, Daigremont, Huret, Sédille, Kolb, consultés avaient approuvé cette augmentation ; de sorte qu'en deux jours la proposition put ÃÂȘtre étudiée et présentée au conseil d'administration, la veille mÃÂȘme de la réunion des actionnaires. Ce conseil d'urgence fut solennel, tous les administrateurs y assistÚrent, dans la salle grave, verdie par le voisinage des grands arbres de l'hÎtel Beauvilliers. D'ordinaire, il y avait deux conseils par mois le petit, vers le 15, le plus important, celui auquel ne paraissaient que les vrais chefs, les administrateurs d'affaires ; et le grand, vers le 30, la réunion d'apparat, oÃÂč tous venaient, les muets et les décoratifs, approuver les travaux préparés d'avance et donner des signatures. Ce jour-là , le marquis de Bohain, avec sa petite tÃÂȘte aristocratique, arriva un des premiers, apportant avec lui, dans son grand air fatigué, l'approbation de toute la noblesse française. Et le vicomte de Robin-Chagot, le vice-président, homme doux et ladre, avait charge de guetter les administrateurs qui n'étaient point au courant, les prenait à part et leur communiquait d'un mot les ordres du directeur, le vrai maÃtre. Chose entendue, tous promettaient d'obéir, d'un signe de tÃÂȘte. Enfin, on entra en séance. Hamelin fit connaÃtre au conseil le rapport qu'il devait lire devant l'assemblée générale. C'était le gros travail que Saccard préparait depuis longtemps, qu'il venait de rédiger en deux jours, augmenté des notes apportées par l'ingénieur, et qu'il écoutait modestement, d'un air de vif intérÃÂȘt, comme s'il n'en avait pas connu un seul mot. D'abord, le rapport parlait des affaires faites par la Banque universelle, depuis sa fondation elles n'étaient que bonnes, de petites affaires au jour le jour, réalisées de la veille au lendemain, le courant banal des maisons de crédit. Pourtant, d'assez gros bénéfices s'annonçaient sur l'emprunt mexicain, qui venait d'ÃÂȘtre lancé le mois d'auparavant, aprÚs le départ de l'empereur Maximilien pour Mexico un emprunt de gùchis et de primes folles, dans lequel Saccard regrettait mortellement de n'avoir pu barboter davantage, faute d'argent. Tout cela était ordinaire, mais ou avait vécu. Pour le premier exercice, qui ne comprenait que trois mois, du 5 octobre, date de la fondation, 31 décembre, l'excédent des bénéfices était seulement de quatre cent et quelques mille francs, ce qui avait permis d'amortir d'un quart les frais de premier établissement, de payer aux actionnaires leur cinq pour cent et de verser dix pour cent au fonds de réserve ; en outre, les administrateurs avaient prélevé le dix pour cent que leur accordaient les statuts, et il restait une somme d'environ soixante-huit mille francs, qu'on avait portée à l'exercice suivant. Seulement, il n'y avait pas eu de dividende. Rien à la fois de plus médiocre ni de plus honorable. C'était comme pour les cours des actions de l'Universelle en Bourse, ils avaient lentement monté de cinq cents à six cents francs, sans secousse, d'une façon normale, ainsi que les cours des valeurs de toute banque qui se respecte ; et, depuis deux mois, ils demeuraient stationnaires, n'ayant aucune raison de s'élever davantage, dans le petit train journalier oÃÂč semblait s'endormir la maison naissante. Puis, le rapport passait à l'avenir, et ici c'était un brusque élargissement, le vaste horizon ouvert de toute une série de grandes entreprises. Il insistait particuliÚrement sur la Compagnie générale des Paquebots réunis, dont l'Universelle allait avoir à émettre les actions une compagnie au capital de cinquante millions, qui monopoliserait tous les transports de la Méditerranée, et oÃÂč se trouveraient syndiquées les deux grandes sociétés rivales, la Phocéenne, pour Constantinople, Smyrne et Trébizonde, par le Pirée et les Dardanelles, et la Société Maritime, pour Alexandrie, par Messine et la Syrie, sans compter des maisons moindres qui entraient dans le syndicat, les Combarel et Cie, pour l'Algérie et la Tunisie, la veuve Henri Liotard, pour l'Algérie également, par l'Espagne et le Maroc, enfin les Féraud-Giraud frÚres, pour l'Italie, Naples et les villes de l'Adriatique, par Civita-Vecchia. On conquérait la Méditerranée entiÚre, en faisant une seule compagnie de ces sociétés et de ces maisons rivales qui se tuaient les unes les autres. Grùce aux capitaux centralisés, on construirait des paquebots types, d'une vitesse et d'un confort inconnus, on multiplierait les départs, on créerait des escales nouvelles, on ferait de l'Orient le faubourg de Marseille ; et quelle importance prendrait la Compagnie, lorsque, le canal de Suez achevé, il lui serait permis de créer des services pour les Indes, le Tonkin, la Chine et le Japon ! Jamais affaire ne s'était présentée, d'une conception plus large ni plus sûre. Ensuite, viendrait l'appui donné à la Banque nationale turque, sur laquelle le rapport fournissait de longs détails techniques, qui en démontraient l'inébranlable solidité. Et il terminait cet exposé des opérations futures, en annonçant que l'Universelle prenait encore sous son patronage la Société française des mines d'argent du Carmel, fondée au capital de vingt-cinq millions. Des analyses de chimistes indiquaient, dans les échantillons du minerai, une proportion considérable d'argent. Mais, plus encore que la science, l'antique poésie des lieux saints faisait ruisseler cet argent en une pluie miraculeuse, éblouissement divin que Saccard avait mis à la fin d'une phrase dont il était trÚs content. Enfin, aprÚs ces promesses d'un avenir glorieux, le rapport concluait à l'augmentation du capital. On le doublait, on l'élevait de vingt-cinq à cinquante millions. Le systÚme d'émission adopté était le plus simple du monde, pour qu'il entrùt aisément dans toutes les cervelles cinquante mille actions nouvelles seraient créées, et on les réserverait titre pour titre aux porteurs des cinquante mille actions primitives ; de façon qu'il n'y aurait pas mÃÂȘme de souscription publique. Seulement, ces actions nouvelles seraient de cinq cent vingt francs, dont une prime de vingt francs, formant au total une somme d'un million, qu'on porterait au fonds de réserve. Il était juste et prudent de frapper les actionnaires de ce petit impÎt, puisqu'on les avantageait. D'ailleurs, le quart seul des actions était exigible, plus la prime. Lorsque Hamelin cessa de lire, il se produisit un brouhaha d'approbation. C'était parfait, pas une observation à faire. Pendant tout le temps qu'avait duré la lecture, Daigremont, trÚs intéressé par un examen soigneux de ses ongles, avait souri à des pensées vagues ; et le député Huret, renversé dans son fauteuil, les yeux clos, sommeillait à demi, se croyant à la Chambre ; tandis que Kolb, le banquier, tranquillement, sans se cacher, s'était livré à un long calcul, sur les quelques feuilles de papier qu'il avait devant lui, ainsi que chaque administrateur. Pourtant, Sédille, toujours anxieux et méfiant, voulut poser une question que deviendraient les actions abandonnées par ceux des actionnaires qui ne voudraient pas user de leur droit ? la société les garderait-elle à son compte, ce qui était illicite, puisque la déclaration légale ne pouvait avoir lieu, chez le notaire, que lorsque le capital était intégralement souscrit ? et, si elle s'en débarrassait, à qui et comment comptait-elle les céder ? Mais, dés les premiers mots du fabricant de soie, le marquis de Bohain, voyant l'impatience de Saccard, lui coupa la parole, en disant, de son grand air noble, que le conseil s'en remettait de ces détails à son président et au directeur, tous les deux si compétents et si dévoués. Et il n'y eut plus que des congratulations, la séance fut levée au milieu du ravissement de tous. Le lendemain, l'assemblée générale donna lieu à des manifestations vraiment touchantes. Elle se tint encore dans la salle de la rue Blanche, oÃÂč un entrepreneur de bals publics avait fait faillite ; et, avant l'arrivée du président, dans cette salle déjà pleine, couraient les meilleurs bruits, un surtout qu'on se chuchotait à oreille violemment attaqué par l'opposition grandissante, Rougon, le ministre, le frÚre du directeur, était disposé à favoriser l'Universelle, si le journal de la société, L'Espérance , un ancien organe catholique, défendait le gouvernement. Un député de la gauche venait de lancer le terrible cri " Le 2 décembre est un crime ! " qui avait retenti d'un bout de la France à l'autre, comme un réveil de la conscience publique. Il était nécessaire de répondre par de grands actes, la prochaine Exposition universelle décuplerait le chiffre des affaires, on allait gagner gros au Mexique et ailleurs, dans le triomphe de l'empire à son apogée. Et, parmi un petit groupe d'actionnaires, qu'endoctrinaient Jantrou et Sabatani, on riait beaucoup d'un autre député qui, lors de la discussion sur l'armée, avait eu l'extraordinaire fantaisie de proposer d'établir en France le systÚme de recrutement de la Prusse. La Chambre s'en était amusée fallait-il que la terreur de la Prusse troublùt certaines cervelles, à la suite de l'affaire du Danemark et sous le coup de la rancune sourde que nous gardait l'Italie, depuis Solferino ! Mais le bruit des conversations particuliÚres, le grand murmure de la salle, tomba brusquement, lorsque Hamelin et le bureau parurent. Plus modeste encore que dans le conseil de surveillance, Saccard s'effaçait, perdu au milieu de la foule ; et il se contenta de donner le signal des applaudissements, approuvant le rapport qui soumettait à l'assemblée les comptes du premier exercice, revus et acceptés par les commissaires- censeurs, LavigniÚre et Rousseau, et qui lui proposait de doubler le capital. Elle seule était compétente pour autoriser cette augmentation, qu'elle décida d'ailleurs d'enthousiasme, absolument grisée par les millions de la Compagnie générale des Paquebots réunis et de la Banque nationale turque, reconnaissant la nécessité de mettre le capital en rapport avec l'importance que l'Universelle allait prendre. Quant aux mines d'argent du Carmel, elles furent accueillies par un frémissement religieux. Et, lorsque les actionnaires se furent séparés, en votant des remerciements au président, au directeur et aux administrateurs, tous rÃÂȘvÚrent du Carmel, de cette miraculeuse pluie d'argent, tombant des lieux saints, au milieu d'une gloire. Deux jours aprÚs, Hamelin et Saccard, accompagnés cette fois du vice- président, le vicomte de Robin-Chagot, retournÚrent rue Sainte-Anne, chez maÃtre Lelorrain pour déclarer l'augmentation du capital, qu'ils affirmaient avoir été intégralement souscrit. La vérité était que trois mille actions environ, refusées par les premiers actionnaires à qui elles appartenaient de droit, restaient aux mains de la société, laquelle les passa de nouveau au compte Sabatani, par un jeu d'écritures. C'était l'ancienne irrégularité, aggravée, le systÚme qui consistait à dissimuler dans les caisses de l'Universelle une certaine quantité de ses propres valeurs, une sorte de réserve de combat, qui lui permettait de spéculer, de se jeter en pleine bataille de Bourse, s'il le fallait, pour soutenir les cours, au cas d'une coalition de baissiers. D'ailleurs, Hamelin, tout en désapprouvant cette tactique illégale, avait fini par s'en remettre complÚtement à Saccard, pour les opérations financiÚres ; et il y eut une conversation à ce sujet, entre eux et Mme Caroline, relative seulement aux cinq cents actions qu'il les avait forcés de prendre, lors de la premiÚre émission, et que la seconde, naturellement, venait de doubler mille actions en tout, représentant, pour le versement du quart et la prime, une somme de cent trente-cinq mille francs, que le frÚre et la soeur voulurent absolument payer, un héritage inattendu d'environ trois cent mille francs leur étant tombé d'une tante, morte dix jours aprÚs son fils unique, tous deux emportés par la mÃÂȘme fiÚvre. Saccard les laissa faire, sans s'expliquer lui-mÃÂȘme sur la maniÚre dont il comptait libérer ses propres actions. " Ah ! cet héritage, dit en riant Mme Caroline, c'est la premiÚre chance qui nous arrive... Je crois bien que vous nous portez bonheur. Mon frÚre avec ses trente mille francs de traitement, ses frais de déplacement considérables, et tout cet or qui tombe sur nous, parce que nous n'en avons plus besoin sans doute... Nous voilà riches. " Elle regardait Saccard, avec sa gratitude de bon coeur, vaincue désormais, confiante en lui, perdant chaque jour de sa clairvoyance, dans la tendresse croissante qu'il lui inspirait. Puis, emportée tout de mÃÂȘme par sa gaie franchise, elle continua " N'importe, si je l'avais gagné, cet argent, je vous réponds que je ne le risquerais pas dans vos affaires... Mais une tante que nous avons à peine connue, un argent auquel nous n'avions jamais pensé, enfin de l'argent trouvé par terre, quelque chose qui ne me semble mÃÂȘme pas trÚs honnÃÂȘte et dont j'ai un peu honte... Vous comprenez, il ne me tient pas au coeur, je veux bien le perdre. - Justement dit Saccard, plaisantant à son tour, il va grossir et vous donner des mimons. Il n'y a rien de tel pour profiter comme l'argent volé.. Avant huit jours, vous verrez, vous verrez la hausse ! " Et, en effet, Hamelin, ayant dû retarder son départ, assista avec surprise à une hausse rapide des actions de l'Universelle. A la liquidation de la fin de mai, le cours de sept cents francs fut dépassé. Il y avait là l'ordinaire résultat que produit toute augmentation de capital c'est le coup classique, la façon de cravacher le succÚs, de donner un temps de galop aux cours, à chaque émission nouvelle. Mais il y avait aussi la réelle importance des entreprises que la maison allait lancer ; et de grandes affiches jaunes, collées dans tout Paris, annonçant la prochaine exploitation des mines d'argent du Carmel, achevaient de troubler les tÃÂȘtes, y allumaient un commencement de griserie, cette passion qui devait croÃtre et emporter toute raison. Le terrain était préparé, le terreau impérial, fait de débris en fermentation, chauffé des appétits exaspérés, extrÃÂȘmement favorable à une de ces poussées folles de la spéculation, qui, toutes les dix à quinze années, obstruent et empoisonnent la Bourse, ne laissant aprÚs elles que des ruines et du sang. Déjà , les sociétés véreuses naissaient comme des champignons, les grandes compagnies poussaient aux aventures financiÚres, une fiÚvre intense du jeu se déclarait, au milieu de la prospérité bruyante du rÚgne, tout un éclat de plaisir et de luxe, dont la prochaine Exposition promettait d'ÃÂȘtre la splendeur finale, la menteuse apothéose de féerie. Et, dans le vertige qui frappait la foule, parmi la bousculade des autres belles affaires s'offrant sur le trottoir, l'Universelle enfin se mettait en marche, en puissante machine destinée à tout affoler, à tout broyer, et que des mains violentes chauffaient sans mesure, jusqu'à l'explosion. Lorsque son frÚre fut reparti pour l'Orient, Mme Caroline se retrouva seule avec Saccard, reprenant leur étroite vie d'intimité, presque conjugale. Elle s'entÃÂȘtait à s'occuper de sa maison, à lui faire réaliser des économies, en intendante fidÚle, bien que leur fortune à tous deux eût changé. Et, dans sa paix souriante, son humeur toujours égale, elle n'éprouvait qu'un trouble, son cas de conscience au sujet de Victor, l'hésitation de savoir si elle devait cacher plus longtemps au pÚre l'existence de son fils. On était trÚs mécontent de ce dernier, à l'Oeuvre du Travail, qu'il ravageait. Les six mois d'expérience étaient écoulés, allait-elle produire le petit monstre, avant de l'avoir décrassé de ses vices ? Elle en ressentait parfois une vraie souffrance. Un soir, elle fut sur le point de parler. Saccard, que l'installation mesquine de l'Universelle désespérait, venait de décider le conseil à louer le rez-de-chaussée de la maison voisine, pour agrandir les bureaux, en attendant qu'il osùt proposer la construction de l'hÎtel luxueux de ses rÃÂȘves. De nouveau, il faisait percer des portes de communication, abattre des cloisons, poser encore des guichets. Et, comme elle revenait du boulevard Bineau, désespérée d'une abomination de Victor, qui avait presque mangé l'oreille à un camarade, elle le pria de monter avec elle, chez eux. " Mon ami, j'ai quelque chose à vous dire. " Mais, en haut, quand elle le vit, une épaule couverte de plùtre, enchanté d'une nouvelle idée d'agrandissement qu'il venait d'avoir, celle de vitrer aussi la cour de la maison voisine, elle n'eut pas le courage de le bouleverser, avec le déplorable secret. Non, elle attendrait encore, il faudrait bien que l'affreux vaurien se corrigeùt. Elle était sans force devant la peine des autres. " Eh bien, mon ami, c'était pour cette cour. J'avais eu justement la mÃÂȘme idée que vous. " VI - Les bureaux de L'Espérance , le journal catholique en détresse que, sur l'offre de Jantrou, Saccard avait acheté, pour travailler au lancement de l'Universelle, se trouvaient rue Saint-Joseph, dans un vieil hÎtel noir et humide, dont ils occupaient le premier étage, au fond de la cour. Un couloir partait de l'antichambre, oÃÂč le gaz brûlait éternellement ; et il y avait, à gauche, le cabinet de Jantrou, le directeur, puis une piÚce que Saccard s'était réservée, tandis que s'alignaient, à droite, la salle commune de la rédaction, le cabinet du secrétaire, des cabinets destinés aux différents services. De l'autre cÎté du palier, étaient installées l'administration et la caisse, qu'un couloir intérieur, tournant derriÚre l'escalier, reliait à la rédaction. Ce jour-là , Jordan, en train d'achever une chronique, dans la salle commune, oÃÂč il s'était installé de bonne heure pour n'ÃÂȘtre pas dérangé, en sortit comme quatre heures sonnaient, et vint trouver Dejoie, le garçon de bureau, qui, à la flamme large du gaz, malgré la radieuse journée de juin qu'il faisait dehors, lisait avidement le bulletin de la Bourse, qu'on apportait et dont il prenait le premier connaissance. " Dites donc, Dejoie, c'est M. Jantrou qui vient d'arriver ? - Oui, monsieur Jordan. " Le jeune homme eut une hésitation, un court malaise qui l'arrÃÂȘta pendant quelques secondes. Dans les commencements difficiles de son heureux ménage, des dettes anciennes étaient tombées ; et, malgré sa chance d'avoir trouvé ce journal oÃÂč il plaçait des articles, il traversait une atroce gÃÂȘne, d'autant plus qu'une saisie-arrÃÂȘt était mise sur ses appointements et qu'il avait à payer, ce jour-là , un nouveau billet, sous la menace de voir ses quatre meubles vendus. Déjà , deux fois, il avait demandé vainement une avance au directeur, qui s'était retranché derriÚre la saisie-arrÃÂȘt faite entre ses mains. Pourtant, il se décidait, s'approchait de la porte, lorsque le garçon de bureau reprit " C'est que M. Jantrou n'est pas seul. - Ah !... Avec qui est-il ? - Il est arrivé avec M. Saccard, et M. Saccard m'a bien dit de ne laisser entrer que M. Huret, qu'il attend. " Jordan respira, soulagé par ce délai, tant les demandes d'argent lui étaient pénibles. " C'est bon, je vais finir mon article. Avertissez-moi, quand le directeur sera libre. " Mais, comme il s'en allait, Dejoie le retint, avec un éclat de jubilation extrÃÂȘme. " Vous savez que l'Universelle a fait 750. " D'un geste, le jeune homme dit qu'il s'en moquait bien, et il rentra dans la salle de rédaction. Presque chaque jour, Saccard montait ainsi au journal, aprÚs la Bourse, et souvent mÃÂȘme il donnait des rendez-vous dans la piÚce qu'il s'était réservée, traitant là des affaires spéciales et mystérieuses. Jantrou du reste, bien qu'officiellement il ne fût que directeur de L'Espérance , oÃÂč il écrivait des articles politiques d'une littérature universitaire soignée et fleurie, que ses adversaires eux- mÃÂȘmes reconnaissaient " du plus pur atticisme " , était son agent secret, l'ouvrier complaisant des besognes délicates. Et, entre autres choses, c'était lui qui venait d'organiser toute une vaste publicité autour de l'Universelle. Parmi les petites feuilles financiÚres qui pullulaient, il en avait choisi et acheté une dizaine. Les meilleures appartenaient à de louches maisons de banque, dont la tactique, trÚs simple, consistait à les publier et à les donner pour deux ou trois francs par an, somme qui ne représentait mÃÂȘme pas le prix de l'affranchissement ; et elles se rattrapaient d'autre part, trafiquant sur l'argent et les titres des clients que leur amenait le journal. Sous le prétexte de publier les cours de la Bourse, les numéros sortis des valeurs à lots, tous les renseignements techniques, utiles aux petits rentiers, peu à peu des réclames se glissaient, en forme de recommandations et de conseils, d'abord modestes, raisonnables, bientÎt sans mesure, d'une impudence tranquille, soufflant la ruine parmi les abonnés crédules. Dans le tas, au milieu des deux ou trois cents publications qui ravageaient ainsi Paris et la France, son flair venait d'ÃÂȘtre de choisir celles qui n'avaient pas trop menti encore ; qui n'étaient point trop déconsidérées. Mais la grosse affaire qu'il méditait, c'était d'acheter une d'elles, La Cote financiÚre , qui avait déjà douze ans de probité absolue ; seulement, ça menaçait d'ÃÂȘtre trÚs cher, une probité pareille ; et il attendait que l'Universelle fût plus riche et se trouvùt dans une de ces situations oÃÂč un dernier coup de trompette détermine les sonneries assourdissantes du triomphe. Son effort, d'ailleurs, ne s'était pas borné à grouper un bataillon docile de ces feuilles spéciales, célébrant dans chaque numéro la beauté des opérations de Saccard ; il traitait aussi à forfait avec les grands journaux politiques et littéraires, y entretenait un courant de notes aimables, d'articles louangeurs, à tant la ligne, s'assurait de leur concours par des cadeaux de titres, lors des émissions nouvelles. Sans parler de la campagne quotidienne menée sous ses ordres, par L'Espérance , non point une campagne brutale, violemment approbative, mais des explications, de la discussion mÃÂȘme, une façon lente de s'emparer du public et de l'étrangler, correctement. Ce jour-là , c'était pour causer du journal que Saccard s'enfermait avec Jantrou. Il avait trouvé, dans le numéro du matin, un article d'Huret d'un éloge si outré sur un discours de Rougon, prononcé la veille à la Chambre, qu'il était entré dans une violente colÚre, et qu'il attendait le député, pour s'en expliquer avec lui. Est-ce qu'on le croyait à la solde de son frÚre ? est-ce qu'on le payait pour qu'il laissùt compromettre la ligne du journal par une approbation sans réserve des moindres actes du ministre ? Lorsqu'il l'entendit parler de la ligne du journal, Jantrou eut un muet sourire. D'ailleurs, il l'écoutait, trÚs calme, en s'examinant les ongles, du moment que l'orage ne menaçait pas de crever sur ses épaules. Lui, avec son cynisme de lettré désabusé, avait le plus parfait dédain pour la littérature, pour la une et la deux, comme il disait en désignant les pages du journal oÃÂč paraissaient les articles, mÃÂȘme les siens ; et il ne commençait à s'émouvoir qu'aux annonces. Maintenant, il était tout flambant neuf, serré dans une élégante redingote, la boutonniÚre fleurie d'une rosette panachée de couleurs vives, portant l'été, sur le bras, un mince pardessus de nuance claire, enfoncé l'hiver dans une fourrure de cent louis, soignant surtout sa coiffure, des chapeaux irréprochables, d'un luisant de glace. Avec cela, il gardait des trous dans son élégance, la vague impression d'une malpropreté persistant en dessous, l'ancienne crasse du professeur déclassé, tombé du lycée de Bordeaux à la Bourse de Paris, la peau pénétrée et teinte des saletés immondes qu'il y avait essuyées pendant dix ans ; de mÃÂȘme que, dans l'arrogante assurance de sa nouvelle fortune, il avait de basses humilités, s'effaçant, pris de la peur brusque de quelque coup de pied au derriÚre, ainsi qu'autrefois. Il gagnait cent mille francs par an, en mangeait le double, on ne savait à quoi, car il n'affichait pas de maÃtresse, tenaillé sans doute par quelque ignoble vice, la cause secrÚte qui l'avait fait chasser de l'Université. L'absinthe, du reste, le dévorait peu à peu, depuis ses jours de misÚre, continuant son oeuvre, des infùmes cafés de jadis au cercle luxueux d'aujourd'hui, fauchant ses derniers cheveux, plombant son crùne et sa face, dont sa barbe noire en éventail demeurait l'unique gloire, une barbe de bel homme qui faisait illusion encore. Et Saccard, ayant de nouveau invoqué la ligne du journal, il l'avait arrÃÂȘté d'un geste, de l'air fatigué d'un homme qui, n'aimant point perdre son temps en passion inutile, se décidait à lui parler d'affaires sérieuses, puisque Huret se faisait attendre. Depuis quelque temps, Jantrou nourrissait des idées neuves de publicité. Il songeait d'abord à écrire une brochure, une vingtaine de pages sur les grandes entreprises que lançait l'Universelle, mais en leur donnant l'intérÃÂȘt d'un petit roman, dramatisé en un style familier ; et il voulait inonder la province de cette brochure, qu'on distribuerait pour rien, au fond des campagnes les plus reculées. Ensuite, il projetait de créer une agence qui rédigerait et ferait autographier un bulletin de la Bourse, pour l'envoyer à une centaine des meilleurs journaux des départements on leur ferait cadeau de ce bulletin, ou ils le paieraient un prix dérisoire, et l'on aurait bientÎt ainsi dans les mains une arme puissante, une force avec laquelle toutes les maisons de banque rivales seraient obligées de compter. Connaissant Saccard, il lui soufflait ainsi ses idées, jusqu'à ce que ce dernier les adoptùt, les fit siennes, les élargÃt au point de les recréer réellement. Les minutes s'écoulaient, tous deux en étaient venus à régler l'emploi des fonds de la publicité pour le trimestre, les subventions à payer aux grands journaux, le terrible bulletinier d'une maison adverse dont il fallait acheter le silence, une part à prendre dans la mise aux enchÚres de la quatriÚme page d'une trÚs ancienne feuille, trÚs respectée. Et, de leur prodigalité, de tout cet argent qu'ils jetaient de la sorte en vacarme, aux quatre coins du ciel, se dégageait surtout leur dédain immense du public, le mépris de leur intelligence d'hommes d'affaires pour la noire ignorance du troupeau, prÃÂȘt à croire tous les contes, tellement fermé aux opérations compliquées de la Bourse, que les raccrochages les plus éhontés allumaient les passants et faisaient pleuvoir les millions. Comme Jordan cherchait encore cinquante lignes pour arriver à ses deux colonnes, il fut dérangé par Dejoie, qui l'appelait. " Ah ! dit-il, M. Jantrou est seul ? - Non, monsieur Jordan, pas encore... C'est votre dame qui est là et qui vous demande. " TrÚs inquiet, Jordan se précipita. Depuis quelques mois, depuis que la Méchain avait enfin découvert qu'il écrivait sous son nom dans L'Espérance , il était traqué par Busch, pour les six billets de cinquante francs, signés autrefois à un tailleur. La somme de trois cents francs que représentaient les billets, il l'aurait encore payée ; mais ce qui l'exaspérait, c'était l'énormité des frais, ce total de sept cent trente francs quinze centimes, auquel était montée la dette. Pourtant, il avait pris un arrangement, s'était engagé à donner cent francs par mois ; et, comme il ne le pouvait pas, son jeune ménage ayant des besoins plus pressants, chaque mois les frais montaient davantage, les ennuis recommençaient, intolérables. En ce moment, il en était de nouveau à une crise aiguÃ. " Quoi donc ? " demanda-t-il à sa femme, qu'il trouva dans l'antichambre. Mais elle n'eut pas le temps de répondre, la porte du cabinet du directeur s'ouvrait violemment, et Saccard paraissait, criant " Ah ! ça, à la fin ! Dejoie, et M. Huret ? " Interloqué, le garçon de bureau bégaya. " Dame ! monsieur, il n'est pas là , je ne peux pas le faire venir plus vite, moi. " La porte fut refermée avec un juron, et Jordan, qui avait emmené sa femme dans un des cabinets voisins, put l'interroger à l'aise. " Quoi donc ? chérie. " Marcelle, si gaie et si brave d'habitude, dont la petite personne grasse et brune, le clair visage aux yeux rieurs, à la bouche saine, exprimait le bonheur, mÃÂȘme dans les heures difficiles, semblait complÚtement bouleversée. " Oh ! Paul, si tu savais, il est venu un homme, oh ! un vilain homme affreux, qui sentait mauvais et qui avait bu, je crois... Alors, il m'a dit que c'était fini, que la vente de nos meubles était pour demain... Et il avait une affiche qu'il voulait absolument coller en bas, à la porte... - Mais c'est impossible ! cria Jordan. Je n'ai rien reçu, il y a d'autres formalités. - Ah ! oui, tu t'y connais encore moins que moi. Quand il vient des papiers, tu ne les lis seulement pas... Alors, pour qu'il ne collùt pas l'affiche, je lui ai donné deux francs, et j'ai couru, et j'ai voulu te prévenir tout de suite. " Ils se désespérÚrent. Leur pauvre petit ménage de l'avenue de Clichy, ces quatre meubles d'acajou et de reps bleu qu'ils avaient payés si difficilement à tant par mois, dont ils étaient si fiers, bien qu'ils en riaient parfois, le trouvant d'un goût bourgeois abominable ! Ils l'aimaient, parce qu'il avait fait partie de leur bonheur, dÚs la nuit des noces, dans ces deux étroites piÚces, si ensoleillées, si ouvertes à l'espace, là -bas, jusqu'au mont Valérien ; et lui qui avait planté tant de clous, et elle qui s'était ingéniée à draper de l'andrinople, pour donner au logement un air artiste ! Etait-ce possible qu'on allait leur vendre tout ça, qu'on les chasserait de ce coin gentil, oÃÂč mÃÂȘme la misÚre leur était délicieuse ? " Ecoute, dit-il, je comptais demander une avance, je vais faire ce que je pourrai, mais je n'ai pas beaucoup d'espoir. " Alors, hésitante, elle lui confia son idée. " Moi, voici à quoi j'avais songé... Oh ! je ne l'aurais pas fait sans que tu veuilles bien ; et la preuve, c'est que je suis venue pour en causer avec toi... Oui, j'ai envie de m'adresser à mes parents. " Vivement, il refusa. " Non, non, jamais ! Tu sais que je ne veux rien leur devoir. " Certes, les Maugendre restaient trÚs convenables. Mais il gardait sur le coeur leur attitude refroidie, lorsque, aprÚs le suicide de son pÚre, dans l'écroulement de sa fortune, ils n'avaient consenti au mariage depuis longtemps projeté de leur fille, que sur la volonté formelle de cette derniÚre, et en prenant contre lui des précautions blessantes, entre autres celle de ne pas donner un sou, convaincus qu'un garçon qui écrivait dans les journaux devait tout manger. Plus tard, leur fille hériterait. Et tous deux, elle autant que lui d'ailleurs, avaient mis jusque-là une coquetterie à crever de faim, sans rien demander aux parents, en dehors du repas qu'ils faisaient chez eux, une fois par semaine, le dimanche soir. " Je t'assure, reprit-elle, c'est ridicule, notre réserve. Puisqu'ils n'ont que moi d'enfant, puisque tout doit me revenir un jour !... Mon pÚre répÚte à qui veut l'entendre qu'il a gagné quinze mille francs de rentes, dans son commerce de bùches, à la Villette ; et, en plus, il y a leur petit hÎtel, avec ce beau jardin, oÃÂč ils se sont retirés... C'est stupide de nous faire tant de peine, lorsqu'ils regorgent de tout. Ils n'ont jamais été méchants, au fond. Je te dis que je vais aller les voir ! " Elle avait une bravoure souriante, l'air décidé, trÚs pratique dans son désir de rendre heureux son cher mari, qui travaillait tant, sans avoir trouvé encore, chez la critique et dans le public, autre chose que beaucoup d'indifférence et quelques gifles. Ah ! l'argent, elle aurait voulu en avoir des baquets pour les lui apporter, et il aurait été bien bÃÂȘte de faire le délicat, puisqu'elle l'aimait et qu'elle lui devait tout. C'était son conte de fées, sa Cendrillon à elle les trésors de sa royale famille, qu'elle mettait, de ses petites mains, aux pieds de son prince ruiné, pour l'aider dans sa marche vers la gloire, à la conquÃÂȘte du monde. " Voyons, dit-elle gaiement, en l'embrassant, il faut bien que je te serve à quelque chose, tu ne peux pas avoir toute la peine. " Il céda, il fut convenu qu'elle allait tout de suite remonter aux Batignolles, rue Legendre, oÃÂč ses parents demeuraient, et qu'elle reviendrait apporter l'argent, afin qu'il pût encore essayer de payer, le soir mÃÂȘme. Et, comme il l'accompagnait jusqu'au palier, aussi ému que si elle était partie pour un grand danger, ils durent s'effacer et laisser passer Huret, qui arrivait enfin. Quand il retourna finir sa chronique dans la salle de rédaction, il entendit un violent fracas de voix sortir du cabinet de Jantrou. Saccard, puissant à cette heure, redevenu le maÃtre, voulait ÃÂȘtre obéi, sachant qu'il les tenait tous par l'espoir du gain et la terreur de la perte, dans la partie de colossale fortune qu'il jouait avec eux. " Ah ! vous voilà donc, cria-t-il en apercevant Huret Est-ce que c'est pour offrir au grand homme votre article encadré, que vous vous ÃÂȘtes attardé à la Chambre ?... J'en ai assez, vous savez, des coups d'encensoir dont vous lui cassez la figure, et je vous ai attendu pour vous dire que c'est fini, qu'il faudra, à l'avenir, nous donner autre chose. " Interloqué, Huret regarda Jantrou. Mais celui-ci, bien décidé à ne pas s'attirer des ennuis en le secourant, s'était mis à passer les doigts dans sa belle barbe, les yeux perdus. " Comment, autre chose ? finit par répondre le député, mais je vous donne ce que vous m'avez demandé !... Quand vous avez pris L'Espérance , cette feuille avancée du catholicisme et de la royauté, qui menait une si rude campagne contre Rougon, c'est vous qui m'avez prié d'écrire une série d'articles élogieux, pour montrer à votre frÚre que vous n'entendiez pas lui ÃÂȘtre hostile, et pour bien indiquer ainsi la nouvelle ligne du journal. - La ligne du journal, précisément, reprit Saccard avec plus de violence, c'est la ligne du journal que je vous accuse de compromettre... Est-ce que vous croyez que je veux m'inféoder à mon frÚre ? Certes, je n'ai jamais marchandé mon admiration et mon affection reconnaissantes à l'empereur, je n'oublie pas ce que nous lui devons tous, ce que je lui dois, moi, en particulier. Seulement, ce n'est pas attaquer l'empire, c'est faire au contraire son devoir de sujet fidÚle, que de signaler les fautes commises... La voilà , la ligne du journal dévouement à la dynastie, mais indépendance entiÚre à l'égard des ministres, des personnalités ambitieuses qui s'agitent et qui se disputent la faveur des Tuileries ! " Et il se livra à un examen de la situation politique, pour prouver que l'empereur était mal conseillé. Il accusait Rougon de n'avoir plus son énergie autoritaire, sa foi de jadis au pouvoir absolu, de pactiser enfin avec les idées libérales, dans l'unique but de garder son portefeuille. Lui, se tapait du poing contre la poitrine, en se disant immuable, bonapartiste de la premiÚre heure, croyant du coup d'Etat, convaincu que le salut de la France était, aujourd'hui comme autrefois, dans le génie et la force d'un seul. Oui, plutÎt que d'aider à l'évolution de son frÚre, plutÎt que de laisser l'empereur se suicider par de nouvelles concessions, il rallierait les intransigeants de la dictature, il ferait cause commune avec les catholiques, pour enrayer la chute rapide qu'il prévoyait. Et que Rougon prit garde, car L'Espérance pouvait reprendre sa campagne en faveur de Rome ! Huret et Jantrou l'écoutaient, stupéfaits de sa colÚre, n'ayant jamais soupçonné en lui des convictions politiques si ardentes. Le premier s'avisa de vouloir défendre les derniers actes du gouvernement. " Dame ! mon cher, si l'empire va à la liberté, c'est que toute la France est là qui pousse ferme... L'empereur est entraÃné, Rougon se trouve bien obligé de le suivre. " Mais Saccard, déjà , sautait à d'autres griefs, sans se soucier de mettre quelque logique dans ses attaques. " Et, tenez ! c'est comme notre situation extérieure, eh bien, elle est déplorable... Depuis le traité de Villafranca, aprÚs Solferino, l'Italie nous garde rancune de ne pas ÃÂȘtre allés jusqu'au bout de la campagne et de ne pas lui avoir donné la Vénétie ; si bien que la voici alliée avec la Prusse, dans la certitude que celle-ci l'aidera à battre l'Autriche... Lorsque la guerre éclatera, vous allez voir la bagarre, et quel ennui sera le nÎtre ; d'autant plus que nous avons eu grand tort de laisser Bismarck et le roi Guillaume s'emparer des duchés, dans l'affaire du Danemark, au mépris d'un traité que la France avait signé c'est un soufflet, il n'y a pas à dire, nous n'avons plus qu'à tendre l'autre joue... Ah ! la guerre, elle est certaine, vous vous rappelez la baisse du mois dernier sur les fonds français et italiens, quand on a cru à une intervention possible de notre part dans les affaires d'Allemagne. Avant quinze jours peut-ÃÂȘtre, l'Europe sera en feu. " De plus en plus surpris, Huret se passionna, contre son habitude. " Vous parlez comme les journaux de l'opposition, vous ne voulez pourtant pas que L'Espérance emboÃte le pas derriÚre Le SiÚcle et les autres... Il ne vous reste plus qu'à insinuer, à l'exemple de ces feuilles, que, si l'empereur s'est laissé humilier, dans l'affaire des duchés, et s'il permet à la Prusse de grandir impunément, c'est qu'il a immobilisé tout un corps d'armée, pendant de longs mois, au Mexique. Voyons, soyez de bonne foi, c'est fini, le Mexique, nos troupes reviennent... Et puis, je ne vous comprends pas, mon cher, si vous voulez garder Rome au pape, pourquoi avez-vous l'air de blùmer la paix hùtive de Villafranca ? La Vénétie à l'Italie, mais c'est les Italiens à Rome avant deux ans, vous le savez comme moi ; et Rougon le sait aussi, bien qu'il jure le contraire, à la tribune... - Ah ! vous voyez que c'est un fourbe ! cria superbement Saccard. Jamais on ne touchera au pape, entendez-vous ! sans que la France catholique entiÚre se lÚve pour le défendre... Nous lui porterions notre argent, oui ! tout l'argent de l'Universelle ! J'ai mon projet, notre affaire est là , et vraiment, à force de m'exaspérer, vous me feriez dire des choses que je ne veux pas dire encore ! " Jantrou, trÚs intéressé, avait brusquement dressé l'oreille, commençant à comprendre, tùchant de faire son profit d'une parole surprise au passage. " Enfin, reprit Huret, je désire savoir à quoi m'en tenir, moi, à cause de mes articles, et il s'agit de nous entendre... Voulez-vous qu'on intervienne, voulez-vous qu'on n'intervienne pas ? si nous sommes pour le principe des nationalités, de quel droit irions-nous nous mÃÂȘler des affaires de l'Italie et de l'Allemagne ?... Voulez-vous que nous fassions une campagne contre Bismarck ? oui ! au nom de nos frontiÚres menacées... " Mais Saccard, hors de lui, debout, éclata. " Ce que je veux, c'est que Rougon ne se fiche pas moi davantage !... Comment ! aprÚs tout ce que j'ai fait ! J'achÚte un journal, le pire de ses ennemis, j'en fais un organe dévoué à sa politique, je vous laisse pendant des mois y chanter ses louanges. Et jamais ce bougre-là ne nous donnerait un coup d'épaule, j'en suis encore à attendre un service de sa part ! " Timidement, le député fit remarquer que, là -bas, en Orient, l'appui du ministre avait singuliÚrement aidé l'ingénieur Hamelin, en lui ouvrant toutes les portes, en exerçant une pression sur certains personnages. " Laissez-moi donc tranquille ! Il n'a pas pu faire autrement... Mais est-ce qu'il m'a jamais averti, la veille d'une hausse ou d'une baisse, lui qui est si bien placé pour tout savoir ? Souvenez-vous ! vingt fois je vous ai chargé de le sonder, vous qui le voyez tous les jours, et vous en ÃÂȘtes encore à m'apporter un vrai renseignement utile... Ce ne serait pourtant pas si grave, un simple mot que vous me répéteriez. - Sans doute, mais il n'aime pas ça, il dit que ce sont des tripotages dont on se repent toujours. - Allons donc ! est-ce qu'il a de ces scrupules avec Gundermann ! Il fait de l'honnÃÂȘteté avec moi, et il renseigne Gundermann. - Oh ! Gundermann, sans doute ! Ils ont tous besoin de Gundermann, ils ne pourraient pas faire un emprunt sans lui. " Du coup, Saccard triompha violemment, tapant dans ses mains. " Nous y voilà donc, vous avouez ! L'empire est vendu aux juifs, aux sales juifs. Tout notre argent est condamné à tomber entre leurs pattes crochues. L'Universelle n'a plus qu'à crouler devant leur toute- puissance. " Et il exhala sa haine héréditaire, il reprit ses accusations contre cette race de trafiquants et d'usuriers, en marche depuis des siÚcles à travers les peuples, dont ils sucent le sang, comme les parasites de la teigne et de la gale, allant quand mÃÂȘme, sous les crachats et les coups, à la conquÃÂȘte certaine du monde, qu'ils posséderont un jour par la force invincible de l'or. Et il s'acharnait surtout contre Gundermann, cédant à sa rancune ancienne, au désir irréalisable et enragé de l'abattre, malgré le pressentiment que celui-là était la borne oÃÂč il s'écraserait, s'il entrait jamais en lutte. Ah ! ce Gundermann ! un Prussien à l'intérieur, bien qu'il fût né en France ! car il faisait évidemment des voeux pour la Prusse, il l'aurait volontiers soutenue de son argent, peut-ÃÂȘtre mÃÂȘme la soutenait-il en secret ! N'avait-il pas osé dire, un soir, dans un salon, que, si jamais une guerre éclatait entre la Prusse et la France, cette derniÚre serait vaincue ! " J'en ai assez, comprenez-vous, Huret ! et mettez-vous bien ça dans la tÃÂȘte c'est que, si mon frÚre ne me sert à rien, j'entends ne lui servir à rien non plus... Quand vous m'aurez apporté de sa part une bonne parole, je veux dire un renseignement que nous puissions utiliser, je vous laisserai reprendre vos dithyrambes en sa faveur. Est-ce clair ? " C'était trop clair. Jantrou, qui retrouvait son Saccard, sous le théoricien politique, s'était remis à peigner sa barbe du bout de ses doigts. Mais Huret, bousculé dans sa finasserie prudente de paysan normand, paraissait fort ennuyé, car il avait placé sa fortune sur les deux frÚres, et il aurait bien voulu ne se fùcher ni avec l'un ni avec l'autre. " Vous avez raison, murmura-t-il, mettons une sourdine, d'autant plus qu'il faut voir venir l'événement. Et je vous promets de tout faire pour obtenir les confidences du grand homme. A la premiÚre nouvelle qu'il m'apprend, je saute dans un fiacre et je vous l'apporte. " Déjà , ayant joué son rÎle, Saccard plaisantait. " C'est pour vous tous que je travaille, mes bons amis... Moi, j'ai toujours été ruiné et j'ai toujours mangé un million par an. " Et, revenant à la publicité " Ah ! dites donc, Jantrou, vous devriez bien égayer un peu votre bulletin de la Bourse... Oui, vous savez des mots pour rire, des calembours. Le public aime ça, rien ne l'aide comme l'esprit à avaler les choses... N'est-ce pas ? des calembours ! " Ce fut le tour du directeur d'ÃÂȘtre contrarié. Il se piquait de distinction littéraire. Mais il dut promettre. Et, comme il inventa une histoire, des femmes trÚs bien qui lui avaient offert de se faire tatouer des annonces aux endroits les plus délicats de leur personne, les trois hommes, riant trÚs fort, redevinrent les meilleurs amis du monde. Cependant, Jordan avait enfin terminé sa chronique, et l'impatience le prenait de voir revenir sa femme. Des rédacteurs arrivaient, il causa, puis retourna dans l'antichambre. Et, là , il était resté un peu scandalisé, de surprendre Dejoie, l'oreille collée contre la porte du directeur, en train d'écouter, tandis que sa fille Nathalie faisait le guet. " N'entrez pas, balbutia le garçon de bureau, M. Saccard est toujours là ... Je croyais qu'on m'avait appelé... " La vérité était que, mordu d'un ùpre désir de gain, depuis qu'il avait acheté huit actions entiÚrement libérées de l'Universelle, avec les quatre mille francs d'économies laissées par sa femme, il ne vivait plus que pour l'émotion joyeuse de voir monter ces actions ; et, à genoux devant Saccard, recueillant ses moindres mots, comme des paroles d'oracle, il ne pouvait résister, quand il le savait là , au besoin de connaÃtre le fond de ses pensées, ce que disait le dieu dans le secret du sanctuaire. D'ailleurs, cela était encore dégagé de tout égoïsme, il ne songeait qu'à sa fille, il venait de s'exalter en calculant que ses huit actions, au cours de sept cent cinquante francs, lui donnaient déjà un gain de douze cents francs ce qui, joint au capital, lui faisait cinq mille deux cents francs. Plus que cent francs de hausse, et il avait les six mille francs rÃÂȘvés, la dot que le cartonnier exigeait pour laisser son fils épouser la petite. A cette idée, son coeur se fondait, il regardait avec des larmes cette enfant qu'il avait élevée, dont il était la vraie mÚre, dans le petit ménage si heureux qu'ils menaient ensemble, depuis le retour de nourrice. Mais il continua, trÚs troublé, lùchant des paroles quelconques, pour cacher son indiscrétion. " Nathalie, qui est montée me dire un petit bonjour, vient de rencontrer votre dame, monsieur Jordan. - Oui, expliqua la jeune fille, elle tournait dans la rue Feydeau. Oh ! elle courait ! " Son pÚre la laissait sortir à sa guise, certain d'elle, disait-il. Et il avait raison de compter sur sa bonne conduite, car elle était trop froide au fond, trop résolue à faire elle-mÃÂȘme son bonheur, pour compromettre par une sottise le mariage si longuement préparé. Avec sa taille mince, ses grands yeux dans son joli visage pùle, elle s'aimait, d'une égoïste obstination, l'air souriant. Jordan, surpris, ne comprenant pas, s'écria " Comment, dans la rue Feydeau ? " Et il n'eut pas le temps de questionner davantage, car Marcelle entra, essoufflée. Tout de suite, il l'emmena dans le cabinet voisin, y trouva le rédacteur des tribunaux, dut se contenter de s'asseoir avec elle sur une banquette, au fond du couloir. " Eh bien ? - Eh bien, mon chéri, c'est fait, mais ça n'a pas été sans peine. " Dans son contentement, il voyait qu'elle avait le coeur gros ; et elle lui dit tout, d'une voix basse et rapide, car elle avait beau se promettre de lui cacher certaines choses ; elle ne pouvait avoir de secrets. Depuis quelque temps, les Maugendre changeaient à l'égard de leur fille. Elle les trouvait moins tendres, préoccupés, lentement envahis d'une passion nouvelle, le jeu. C'était la commune histoire le pÚre, un gros homme calme et chauve, à favoris blancs, la mÚre, sÚche, active, ayant gagné sa part de la fortune, tous deux vivant trop grassement dans leur maison, de leurs quinze mille francs de rentes, s'ennuyant à ne plus rien faire. Lui, n'avait eu, dÚs lors, d'autre distraction que de toucher son argent. A cette époque, il tonnait contre toute spéculation, il haussait les épaules de colÚre et de pitié, en parlant des pauvres imbéciles qui se font dépouiller, dans un tas de voleries aussi sottes que malpropres. Mais, vers ce temps-là , une somme importante lui étant rentrée, il avait eu l'idée de l'employer en reports ça, ce n'était pas de la spéculation, c'était un simple placement ; seulement, à partir de ce jour, il avait pris l'habitude, aprÚs son premier déjeuner, de lire avec soin, dans son journal, la cote de la Bourse, pour suivre les cours. Et le mal était parti de là , la fiÚvre l'avait brûlé peu à peu, à voir la danse des valeurs, à vivre dans cet air empoisonné du jeu, l'imagination hantée de millions conquis en une heure, lui qui avait mis trente années à gagner quelques centaines de mille francs. Il ne pouvait s'empÃÂȘcher d'en entretenir sa femme, pendant chacun de leurs repas quels coups il aurait faits, s'il n'avait pas juré de ne jamais jouer ! et il expliquait l'opération, il manoeuvrait ses fonds avec la savante tactique d'un général en chambre, il finissait toujours par battre triomphalement les parties adverses imaginaires, car il se piquait d'ÃÂȘtre devenu de premiÚre force dans les questions de primes et de reports. Sa femme, inquiÚte, lui déclarait qu'elle aimerait mieux se noyer tout de suite, plutÎt que de lui voir hasarder un sou ; mais il la rassurait, pour qui le prenait-elle ? Jamais de la vie ! Pourtant, une occasion s'était présentée, tous deux, depuis longtemps, avaient la folle envie de faire construire dans leur jardin, une petite serre de cinq ou six mille francs ; si bien qu'un soir, les mains tremblantes d'une émotion délicieuse, il avait posé, sur la table à ouvrage de sa femme, les six billets, en disant qu'il venait de gagner ça à la Bourse un coup dont il était sûr, une débauche qu'il promettait bien de ne pas recommencer, qu'il avait risquée uniquement à cause de la serre. Elle, partagée entre la colÚre et le saisissement de sa joie, n'avait point osé le gronder. Le mois suivant, il se lançait dans une opération à primes, en lui expliquant qu'il ne craignait rien, du moment oÃÂč il limitait sa perte. Puis, que diable ! dans le tas, il y avait tout de mÃÂȘme de bonnes affaires, il aurait été bien sot de laisser le voisin en profiter. Et, fatalement, il s'était mis à jouer à terme, petitement d'abord, s'enhardissant peu à peu, tandis qu'elle, toujours agitée par ses angoisses de bonne ménagÚre, les yeux en flammes pourtant au moindre gain, continuait à lui prédire qu'il mourrait sur la paille. Mais, surtout, le capitaine Chave, le frÚre de Mme Maugendre, blùmait son beau-frÚre. Lui qui ne pouvait se suffire avec les dix-huit cents francs de sa retraite, jouait bien à la Bourse ; seulement, il était le malin des malins. Il allait là comme un employé va à son bureau, n'opérant que sur le comptant, ravi quand il emportait sa piÚce de vingt francs le soir des opérations quotidiennes, faites à coup sûr, d'une modestie telle, qu'elles échappaient aux catastrophes. Sa soeur lui avait offert une chambre chez elle, dans la maison trop vaste, depuis que Marcelle était mariée ; mais il avait refusé, tenant à ÃÂȘtre libre, ayant des vices, occupant une seule piÚce, au fond d'un jardin de la rue Nollet, oÃÂč continuellement se glissaient des jupes. Ses gains devaient passer en bonbons et en gùteaux pour ses petites amies. Toujours il avait mis en garde Maugendre, lui répétant de ne pas jouer, de faire la vie plutÎt ; et, quand ce dernier lui criait " Mais vous ? " il avait un geste énergique oh ! lui, c'était différent, il n'avait pas quinze mille francs de rente, sans ça ! S'il jouait, la faute en était à cette saleté de gouvernement qui marchandait aux vieux braves la joie de leur vieillesse. Son grand argument contre le jeu était que, mathématiquement, le joueur devait toujours perdre s'il gagne, il a à déduire le courtage et le droit de timbre ; s'il perd, il a en plus à payer les mÃÂȘmes droits ; de sorte que, mÃÂȘme en admettant qu'il gagne aussi souvent qu'il perd, il sort encore de sa poche le timbre et le courtage. Annuellement, à la Bourse de Paris, ces droits produisent l'énorme total de quatre-vingts millions. Et il brandissait ce chiffre, quatre-vingts millions que ramassent l'Etat, les coulissiers et les agents de change. Sur la banquette, au fond du corridor, Marcelle confessait à son mari une partie de cette histoire. " Mon chéri, il faut dire que je suis mal tombée. Maman faisait une querelle à papa, à cause d'une perte qu'il a éprouvée à la Bourse... Oui, il parait qu'il n'en sort plus. Ça m'a l'air si drÎle, lui qui autrefois n'admettait que le travail... Enfin, ils se disputaient, et il y avait là un journal, La Cote financiÚre , que maman lui agitait sous le nez, en lui criant qu'il n'y entendait rien, qu'elle avait bien prévu la baisse, elle. Alors, il est allé chercher autre journal, justement L'Espérance , et il a voulu lui montrer l'article oÃÂč il avait pris son renseignement... Imagine-toi, c'est plein de journaux chez eux, ils sont fourrés là -dedans du matin au soir, et je crois, Dieu me pardonne ! que maman commence à jouer, elle aussi malgré son air furieux. " Jordan ne put s'empÃÂȘcher de rire, tellement elle était amusante, dans son chagrin à mimer la scÚne. " Bref, je leur ai dit notre gÃÂȘne, je les ai priés de nous prÃÂȘter deux cents francs, pour arrÃÂȘter les poursuites. Et si tu les avais entendus alors se récrier deux cents francs, lorsqu'ils en perdaient deux mille à la Bourse ! Est-ce que je me moquais d'eux ? est-ce que je voulais les ruiner ?... Jamais je ne les ai vus comme ça. Eux qui étaient si gentils pour moi, qui auraient tout dépensé pour me faire des cadeaux ! Il faut vraiment qu'ils deviennent fous, car ça n'a pas de bon sens de se gùter ainsi la vie, lorsqu'ils sont si heureux dans leur belle maison, sans un tracas, n'ayant plus qu'à manger à l'aise la fortune si durement gagnée. - J'espÚre bien que tu n'as pas insisté, dit Jordan. - Mais si, j'ai insisté, et alors ils sont tombés sur toi... Tu vois que je te dis tout, je m'étais tant promis de garder ça pour moi, et puis ça m'a échappé.. Ils m'ont répété qu'ils l'avaient bien prévu, que ce n'est pas un métier d'écrire dans les journaux, que nous finirions à l'hÎpital... Enfin, comme je me mettais en colÚre à mon tour, j'allais partir, lorsque le capitaine est arrivé. Tu sais qu'il m'a toujours adorée, l'onde Chave. Et, devant lui, ils sont devenus raisonnables, d'autant plus qu'il triomphait, qu'il demandait à papa s'il allait continuer à se faire voler... Maman m'a prise à l'écart, m'a glissé cinquante francs dans la main, en me disant qu'avec ça nous obtiendrions quelques jours, le temps de nous retourner. - Cinquante francs ! une aumÎne ! et tu les as acceptés ? " Marcelle lui avait tendrement saisi les mains, le calmant de toute sa tranquille raison. " Voyons, ne te fùche pas... Oui, je les ai acceptés. Et j'ai si bien compris que jamais tu n'oserais les porter à l'huissier, que j'y suis allée tout de suite moi-mÃÂȘme, chez cet huissier, tu sais, rue Cadet. Mais figure-toi qu'il a refusé de les prendre, en m'expliquant qu'il avait des ordres formels de M. Busch, et que M. Busch seul pouvait arrÃÂȘter les poursuites... Oh ! Ce Busch ! Je ne hais personne, mais ce qu'il m'exaspÚre et me dégoûte, celui-là ! Ça ne fait rien, j'ai couru chez lui, rue Feydeau, et il a bien fallu qu'il se contentùt des cinquante francs et voilà ! nous en avons pour quinze jours à ne pas ÃÂȘtre tourmentés. " Une grosse émotion avait contracté le visage de Jordan, tandis que des larmes qu'il retenait mouillaient le bord de ses yeux. " Tu as fait cela, petite femme, tu as fait cela ! - Mais oui, je ne veux pas qu'on t'ennuie davantage, moi ! Qu'est-ce que ça me fait de recevoir des sottises, si on te laisse travailler tranquille ! " Et elle riait maintenant, elle racontait son arrivée chez Busch, dans la crasse de ses dossiers, la façon brutale dont il l'avait accueillie, ses menaces de ne pas leur laisser une nippe, s'il n'était pas payé à l'instant de toute la dette. Le drÎle était qu'elle avait pris le régal de le mettre hors de lui, en lui contestant la légitime propriété de cette dette, ces trois cents francs de billets, montés avec les frais à sept cent trente francs quinze centimes, et qui ne lui avaient peut-ÃÂȘtre pas coûté cent sous, dans quelque lot de vieux chiffons. Il étranglait de fureur d'abord, il les avait justement achetés trÚs cher, ceux-là ; puis, et son temps perdu, et la fatigue des courses qu'il avait faites pendant deux ans pour retrouver le signataire, et l'intelligence qu'il lui fallait déployer dans cette chasse à l'homme, est-ce qu'il ne devait pas se rembourser, de tout ça ? Tant pis pour ceux qui se laissaient pincer ! Enfin, il avait tout de mÃÂȘme pris les cinquante francs, parce que son systÚme de prudence était de transiger toujours. " Ah ! petite femme, que tu es brave et que je t'aime ! " dit Jordan, qui se laissa aller à embrasser Marcelle, bien qu'à ce moment le secrétaire de la rédaction passùt. Puis, baissant la voix " Combien te reste-t-il à la maison ? - Sept francs. - Bon ! reprit-il, trÚs heureux, nous avons de quoi aller deux jours, et je ne vais pas demander une avance, qu'on me refuserait d'ailleurs. Ça me coûte trop... Demain, j'irai voir si l'on veut me prendre un article au Figaro... Ah ! si j'avais fini mon roman, si ça se vendait un petit peu ! " Marcelle à son tour l'embrassait. " Oui, va, ça marchera trÚs bien !... Tu remontes avec moi n'est-ce pas ? Ce sera gentil et nous achÚterons, pour demain matin, un hareng saur, au coin de la rue de Clichy, oÃÂč j'en ai vu de superbes. Ce soir, nous avons des pommes de terre au lard. " Jordan aprÚs avoir prié un camarade de revoir ses épreuves, partit avec sa femme. D'ailleurs, Saccard et Huret s'en allaient, eux aussi. Dans la rue, un coupé s'arrÃÂȘtait justement devant la porte du journal ; et ils en virent descendre la baronne Sandorff, qui les salua d'un sourire, puis qui monta lestement. Parfois, elle rendait ainsi visite à Jantrou. Saccard, qu'elle excitait beaucoup, avec ses grands yeux meurtris, fut sur le point de remonter. En haut, dans le cabinet du directeur, la baronne ne voulut mÃÂȘme pas s'asseoir. Un petit bonjour en passant, uniquement l'idée de lui demander s'il ne savait rien. Malgré sa brusque fortune, elle le traitait toujours comme à l'époque oÃÂč il venait chaque matin chez son pÚre, M. de Ladricourt, avec l'échine basse du remisier en quÃÂȘte d'un ordre. Son pÚre était d'une brutalité révoltante, elle ne pouvait oublier le coup de pied dont il l'avait jeté à la porte, dans la colÚre d'une grosse perte. Et, maintenant qu'elle le voyait à la source des nouvelles, elle était redevenue familiÚre, elle tùchait de le confesser. " Eh bien, rien de nouveau ? - Ma foi, non, je ne sais rien. " Mais elle continuait de le regarder en souriant persuadée qu'il ne voulait rien dire. Alors, pour le forcer aux confidences, elle parla de cette bÃÂȘte de guerre qui allait mettre aux prises l'Autriche, l'Italie et la Prusse. La spéculation s'affolait, une terrible baisse se déclarait sur les fonds italiens, ainsi que sur toutes les valeurs, du reste. Et elle était fort ennuyée, car elle ignorait jusqu'à quel point elle devait suivre ce mouvement, ayant d'assez grosses sommes engagées pour la liquidation prochaine. " Votre mari ne vous renseigne donc pas ? demanda plaisamment Jantrou. Il est pourtant bien placé, à l'ambassade. - Oh ! mon mari, murmura-t-elle avec un geste dédaigneux, mon mari, je n'en tire plus rien. " Il s'égaya davantage, il poussa les choses jusqu'à faire allusion au procureur général Delcambre, l'amant qui, disait-on, payait ses différences, quand elle se résignait à les payer. " Et vos amis, ils ne savent donc rien, ni à la cour, palais ? " Elle affecta de ne pas comprendre, elle reprit, suppliante, sans le quitter des yeux " Voyons, vous, soyez aimable... Vous savez quelque chose. " Déjà une fois, dans son enragement aprÚs toutes les jupes, malpropres ou élégantes, qui l'effleuraient, il avait songé à se la payer, comme il disait brutalement, cette joueuse, si familiÚre avec lui. Mais, au premier mot, au premier geste, elle s'était redressée, si répugnée, si méprisante, qu'il avait bien juré de ne pas recommencer. Avec cet homme que son pÚre recevait à coups de pied, ah ! jamais ! Elle n'en était pas encore là . " Aimable, pourquoi le serais-je ? dit-il en riant d'un air gÃÂȘné. Vous ne l'ÃÂȘtes guÚre avec moi. " Tout de suite, elle redevint grave, les yeux durs. Et elle lui tournait le dos pour s'en aller, lorsque, de dépit, cherchant à la blesser, il ajouta " Vous venez de rencontrer Saccard à la porte, n'est-ce pas ? Pourquoi ne l'avez-vous pas interrogé lui, puisqu'il n'a rien à vous refuser ? " Elle revint brusquement. " Que voulez-vous dire ? - Dame ! ce qu'il vous plaira de comprendre... Voyons, ne faites donc pas la cachottiÚre, je vous ai vue chez lui, je le connais ! " Une révolte la soulevait, tout l'orgueil de sa race, vivant encore, remontait du fond trouble, de la boue oÃÂč sa passion la noyait un peu chaque jour. D'ailleurs, elle ne s'emporta pas, elle dit simplement d'une voix nette et rude " Ah ! ça, mon cher, pour qui me prenez-vous ? Vous ÃÂȘtes fou... Non, je ne suis pas la maÃtresse de votre Saccard, parce que je n'ai pas voulu. " Et lui, alors, avec sa politesse fleurie de lettré, la salua d'une révérence. " Eh bien, madame, vous avez eu le plus grand tort... Croyez-moi, si c'est à recommencer, ne manquez pas l'affaire, parce que, vous qui ÃÂȘtes toujours à la chasse des renseignements, vous les trouveriez, sans tant de peine sous le traversin de ce monsieur-là ... Oh ! mon Dieu ! oui, le nid y sera bientÎt, vous n'aurez qu'à y fourrer vos jolis doigts. " Elle prit le parti de rire, comme résignée à faire la part de son cynisme. Quand elle lui serra la main, il sentit la sienne toute froide. Vraiment, s'en serait-elle tenue à sa corvée avec le glacial et osseux Delcambre. Cette femme aux lÚvres si rouges, que l'on disait insatiable ? Le mois de juin s'écoula, l'Italie avait déclaré, le 15, la guerre à l'Autriche. D'autre part, la Prusse, en deux semaines à peine, par une marche foudroyante, venait d'envahir le Hanovre, de conquérir les deux Hesses, Bade, la Saxe, en surprenant en pleine paix des populations désarmées. La France n'avait pas bougé, les gens bien informés chuchotaient tout bas, à la Bourse, qu'une entente secrÚte la liait à la Prusse, depuis que Bismarck s'était rendu prÚs de l'empereur, à Biarritz ; et l'on parlait mystérieusement des compensations qui devaient payer sa neutralité. Mais la baisse ne s'en accentuait pas moins, d'une désastreuse façon. Lorsque, le 4 juillet, arriva la nouvelle de Sadowa, ce coup de tonnerre si brusque, ce fut un effondrement de toutes les valeurs. On croyait à une continuation acharnée de la guerre ; car, si l'Autriche était battue par la Prusse, elle avait vaincu l'Italie, à Custozza ; et l'on disait déjà qu'elle rassemblait les débris de son armée, en abandonnant la BohÚme Les ordres de vente pleuvaient à la corbeille, on ne trouvait plus d'acheteurs. Le 4 juillet, Saccard, qui était monté au journal trÚs tard, vers six heures, n'y trouva pas Jantrou, que ses passions, depuis quelque temps, dérangeaient des disparitions brusques, des bordées, d'oÃÂč il revenait anéanti, les yeux troubles, sans qu'on pût savoir qui, des filles ou de l'alcool, le ravageait davantage. A ce moment-là , le journal se vidait, il ne restait guÚre que Dejoie, dÃnant sur le coin de sa table, dans l'antichambre. Et Saccard, aprÚs avoir écrit deux lettres, allait partir, lorsque, le sang au visage, Huret entra en tempÃÂȘte, sans mÃÂȘme prendre le temps de refermer les portes. " Mon bon ami, mon bon ami... " Il étouffait, il mit les deux mains sur sa poitrine. " Je sors de chez Rougon... J'ai couru, parce que je n'avais pas de fiacre. Enfin, j'en ai trouvé un... Rougon a reçu une dépÃÂȘche de là -bas. Je l'ai vue... Une nouvelle, une nouvelle... D'un geste violent, Saccard l'arrÃÂȘta, et il se précipita pour fermer la porte, ayant aperçu Dejoie qui rÎdait déjà , l'oreille tendue. " Enfin, quoi ? - Eh bien, l'empereur d'Autriche cÚde la Vénétie à l'empereur des Français, en acceptant sa médiation, et ce dernier va s'adresser aux rois de Prusse et d'Italie pour amener un armistice. " Il y eut un silence. " C'est la paix, alors ? - Evidemment. " Saccard, saisi, sans idée encore, laissa échapper un juron. " Tonnerre de Dieu ! et toute la Bourse qui est à la baisse ! " Puis, machinalement " Et cette nouvelle, pas une ùme ne la sait ? - Non, la dépÃÂȘche est confidentielle, la note ne paraÃtra pas mÃÂȘme demain matin au Moniteur . Paris ne saura sans doute rien avant vingt-quatre heures. " Alors, ce fut le coup de foudre, l'illumination brusque. Il courut de nouveau à la porte, l'ouvrit pour voir si personne n'écoutait. Et il était hors de lui, il revint se planter devant le député, le saisit par les deux revers de sa redingote. " Taisez-vous ! pas si haut !... Nous sommes les maÃtres, si Gundermann et sa bande ne sont pas avertis... Entendez-vous ! pas un mot, à personne au monde ! ni à vos amis, ni à votre femme !... Justement, une chance ! Jantrou n'est pas là , nous serons seuls à savoir, nous aurons le temps d'agir... Oh ! je ne veux pas travailler que pour moi. Vous en ÃÂȘtes, nos collÚgues de l'Universelle en sont aussi. Seulement, un secret ne se garde point à plusieurs. Tout est perdu, si la moindre indiscrétion se commet demain, avant la Bourse. " Huret, trÚs ému, bouleversé de la grandeur du coup qu'ils allaient tenter, promit d'ÃÂȘtre absolument muet. Et ils se distribuÚrent la besogne, ils décidÚrent qu'il fallait tout de suite entrer en campagne. Saccard avait déjà son chapeau, quand une question lui vint aux lÚvres. " Alors, c'est Rougon qui vous a chargé de m'apporter cette nouvelle ? - Sans doute. " Il avait hésité, il mentait la dépÃÂȘche, simplement, traÃnait sur le bureau du ministre, oÃÂč il avait eu l'indiscrétion de la lire, étant resté seul une minute. Mais, son intérÃÂȘt se trouvant dans une entente cordiale des deux frÚres, ce mensonge lui parut ensuite trÚs adroit, d'autant plus qu'il les savait peu désireux de se voir et de causer de ces choses. " Allons, déclara Saccard, il n'y a pas à dire, il a été gentil, cette fois... En route ! " Dans l'antichambre, il n'y avait toujours que Dejoie, qui s'était efforcé d'entendre, sans rien saisir de distinct. Ils le sentirent pourtant fiévreux, ayant flairé la proie énorme qui passait dans l'air, si agité de cette odeur d'argent, qu'il se mit à la fenÃÂȘtre du palier, pour les voir traverser la cour. La difficulté était d'agir vivement, avec la plus grande prudence. Aussi se quittÚrent-ils dans la rue Huret se chargeait de la petite Bourse du soir, tandis que Saccard, malgré l'heure tardive, se lançait à la recherche des remisiers, des coulissiers, des agents de change, pour donner des ordres d'achat. Seulement, ces ordres, il désirait les diviser, les éparpiller le plus possible, par crainte d'éveiller un soupçon ; et, surtout, il voulut avoir l'air de rencontrer les gens, au lieu d'aller les relancer chez eux, ce qui aurait paru singulier. Le hasard le servit heureusement, il aperçut sur le boulevard l'agent de change Jacoby, avec qui il plaisanta, et qui chargea d'une forte opération, sans trop l'étonner. Cent pas plus loin, il tombait sur une grande fille blonde, qu'il savait ÃÂȘtre la maÃtresse d'un autre agent, Delarocque, le beau-frÚre de Jacoby ; et, comme elle disait justement qu'elle l'attendait, cette nuit-là , il la chargea de lui remettre deux mots écrits au crayon sur une carte. Puis, sachant que Mazaud se rendait le soir à un banquet d'anciens condisciples, il s'arrangea pour se trouver au restaurant, il changea les positions qu'il l'avait chargé de prendre, le jour mÃÂȘme. Mais sa plus grande chance, au moment oÃÂč il rentrait, vers minuit, ce fut d'ÃÂȘtre accosté par Massias, qui sortait des Variétés. Ils remontÚrent ensemble vers la rue Saint-Lazare, il eut le temps de se poser en original qui croyait à la hausse, oh ! pas tout de suite ; si bien qu'il finit par le charger d'ordres d'achat multiples pour Nathansohn et d'autres coulissiers, en disant qu'il agissait au nom d'un groupe d'amis, ce qui était vrai en somme. Quand il se coucha, il avait pris position à la hausse, pour plus de cinq millions de valeurs. Le lendemain matin, dÚs sept heures, Huret était chez Saccard, lui racontant comment il avait opéré, à la petite Bourse, devant le passage de l'Opéra, sur le trottoir, oÃÂč il avait fait acheter le plus possible, avec mesure cependant, pour ne pas trop relever les cours. Ses ordres montaient à un million, et tous deux, jugeant le coup beaucoup trop modeste encore, résolurent de rentrer en campagne. Ils avaient la matinée. Mais, auparavant, ils se jetÚrent sur les journaux, tremblant d'y trouver la nouvelle, une note, une simple ligne qui ferait crouler leur combinaison. Non ! la presse ne savait rien, elle était toute à la guerre, encombrée par des dépÃÂȘches, par de longs détails sur la bataille de Sadowa. Si aucun bruit ne transpirait avant deux heures de l'aprÚs- midi, s'ils avaient à eux une heure de Bourse, une demi-heure seulement, le coup était fait, ils opéraient la grande rafle sur la juiverie, comme disait Saccard. Et ils se séparÚrent de nouveau, chacun courut de son cÎté engager d'autres millions dans la bataille. Cette matinée-là , Saccard la passa à battre le pavé, flairant l'air, ayant un tel besoin de marcher, qu'il avait renvoyé sa voiture, aprÚs sa premiÚre course faite, il entra chez Kolb, oÃÂč le tintement de l'or lui fut délicieux à l'oreille, ainsi qu'une promesse de victoire ; et il eut la force de ne rien dire au banquier, qui ne savait rien. Il monta ensuite chez Mazaud, non pour donner un nouvel ordre, simplement pour feindre d'ÃÂȘtre inquiet au sujet de celui qu'il avait donné la veille. Là aussi, on ignorait tout encore. Le petit Flory seul lui causa quelque inquiétude, par la persistance avec laquelle il tournait autour de lui la cause unique en était la profonde admiration du jeune employé pour l'intelligence financiÚre du directeur de l'Universelle ; et, comme Mlle Chuchu commençait à lui coûter gros il risquait quelques petites opérations, il rÃÂȘvait de connaÃtre les ordres de son grand homme et de se mettre dans son jeu. Enfin, aprÚs un déjeuner rapide chez Champeaux, oÃÂč il avait eu la joie profonde d'entendre les doléances pessimistes de Moser et de Pillerault lui-mÃÂȘme, pronostiquant une nouvelle dégringolade des cours, Saccard, dÚs midi et demi, se trouva sur la place de la Bourse. Il désirait, selon son expression, voir arriver le monde. La chaleur était accablante, un soleil ardent tombait d'aplomb, blanchissant les marches, dont la réverbération chauffait le péristyle d'un air lourd et embrasé de four ; et les chaises vides craquaient dans ces flammes, tandis que les spéculateurs, debout, cherchaient les minces raies d'ombre des colonnes. Sous un arbre du jardin, il aperçut Busch et la Méchain, qui se mirent à causer en le vivement voyant ; mÃÂȘme il lui sembla que tous deux étaient sur le point de l'aborder, puisqu'ils se ravisaient savaient-ils donc quelque chose, ces bas chiffonniers des valeurs tombées au ruisseau, en continuelle quÃÂȘte ? un instant, il en eut le frisson. Mais une voix l'appela, et il reconnut sur un banc Maugendre et le capitaine Chave, tous les deux en querelle, car le premier, maintenant, était plein de moqueries pour le petit jeu misérable du capitaine, ce louis gagné sur le comptant, comme au fond d'un café de province, aprÚs des parties de piquet acharnées voyons, ce jour-là ne pouvait-il risquer à coup sûr une opération sérieuse ? la baisse n'était-elle pas certaine, aussi éclatante que le soleil ? Et il appelait Saccard à témoin n'est-ce pas qu'on baisserait ? Lui, avait pris à la baisse une forte position, si convaincu, qu'il y avait mis sa fortune. Ainsi interrogé directement, Saccard répondit par des sourires, des hochements de tÃÂȘte vagues avec le remords de ne pas avertir ce pauvre homme qu'il avait connu si laborieux, d'esprit si net, lorsqu'il vendait des bùches ; mais il s'était juré le silence absolu, il avait la férocité du joueur qui ne veut pas déranger la chance. Puis, à ce moment, il eut une distraction le coupé de la baronne Sandorff passait, il le suivit des yeux, le vit s'arrÃÂȘter cette fois rue de la Banque. Tout d'un coup, il songea au baron Sandorff ; conseiller à l'ambassade d'Autriche la baronne savait sûrement, elle allait tout perdre par quelque maladresse de femme. Déjà , il avait traversé la rue, il rÎdait autour du coupé, immobile, muet, l'air mort, avec le cocher raidi sur le siÚge. Pourtant une des glaces s'abaissa, et il salua, s'approcha galamment. " Eh bien, monsieur Saccard, nous baissons encore ? " Il crut à un piÚge. " Mais oui, madame. " Puis, comme elle le regardait anxieusement, avec un vacillement des yeux qu'il connaissait bien chez les joueurs, il comprit qu'elle non plus ne savait rien. Un flot de sang tiÚde lui remonta au crùne, l'inonda de délices. " Alors, monsieur Saccard, vous n'avez rien à me dire ? - Ma foi, madame, rien que vous ne sachiez déjà , sans doute. " Et il la quitta en pensant " Toi, tu n'as pas été gentille, ça m'amusera que tu boives un coup. Peut-ÃÂȘtre, une autre fois, ça te rendra-t-il plus aimable. " Jamais elle ne lui avait paru plus désirable, il était certain de l'avoir à son heure. Comme il revenait sur la place de la Bourse, la vue de Gundermann, au loin, débouchant de la rue Vivienne, lui donna un nouveau frisson au coeur. Si rapetissé qu'il fût par l'éloignement, c'était bien lui, avec sa marche lente, sa tÃÂȘte qu'il portait droite et blÃÂȘme, sans regarder personne, comme seul, dans sa royauté, au milieu de la foule. Et il le suivait avec terreur, interprétait chacun de ses mouvements. L'ayant vu aborder Nathansohn, il crut tout perdu. Mais le coulissier se retirait, l'air déconfit, et il reprit espoir. Il trouvait décidément au banquier son air de tous les jours. Puis, brusquement, son coeur sauta de joie Gundermann venait d'entrer chez le confiseur faire son achat de bonbons pour ses petites filles ; et c'était là un signe certain, jamais il n'y entrait, les jours de crise. Une heure sonna, la cloche annonça l'ouverture du marché. Ce fut une Bourse mémorable, une de ces grandes journées de désastre, d'un de ces désastres à la hausse, si rares, dont le souvenir reste légendaire. Dans l'accablante chaleur, au début, les cours baissÚrent encore. Puis, des achats brusques, isolés, comme des coups de feu de tirailleurs avant que la bataille s'engage, étonnÚrent. Mais les opérations restaient lourdes quand mÃÂȘme, au milieu de la méfiance générale. Les achats se multipliÚrent, s'allumÚrent de toutes parts, à la coulisse, au parapet ; on n'entendait plus que les voix de Nathansohn sous la colonnade, de Mazaud, de Jacoby, de Delarocque à la corbeille, criant qu'ils prenaient toutes les valeurs, à tous les prix ; et ce fut alors un frémissement, une houle croissante, sans que personne pourtant osùt se risquer, dans le désarroi de ce revirement inexplicable. Les cours avaient légÚrement monté, Saccard eut le temps de donner de nouveaux ordres à Massias, pour Nathansohn. Il pria également le petit Flory qui passait en courant, de remettre à Mazaud une fiche, oÃÂč il le chargeait d'acheter, d'acheter toujours ; si bien que Flory, ayant lu la fiche, frappé d'un accÚs de foi, joua le jeu de son grand homme, acheta lui aussi pour son compte. Et ce fut à cette minute, à deux heures moins un quart, que le tonnerre éclata en pleine Bourse l'Autriche cédait la Vénétie à l'empereur, la guerre était finie. D'oÃÂč venait cette nouvelle ? personne ne le sut, elle sortait de toutes les bouches à la fois, des pavés eux-mÃÂȘmes. Quelqu'un l'avait apportée, tous la répétaient dans une clameur, qui grossissait avec la voix haute d'une marée d'équinoxe. Par bonds furieux, les cours se mirent à monter, au milieu de l'effroyable vacarme. Avant le coup de cloche de la clÎture, ils s'étaient relevés de quarante, de cinquante francs. Ce fut une mÃÂȘlée inexprimable, une de ces batailles confuses oÃÂč tous se ruent, soldats et capitaines, pour sauver leur peau, assourdis, aveuglés, n'ayant plus la conscience nette de la situation. Les fronts ruisselaient de sueur, l'implacable soleil qui tapait sur les marches, mettait la Bourse dans un flamboiement d'incendie. Et, à la liquidation, lorsqu'on put évaluer le désastre, il apparut immense. Le champ de bataille restait jonché de blessés et de ruines. Moser, le baissier, était parmi les plus atteints. Pillerault expiait durement sa faiblesse, pour l'unique fois qu'il avait désespéré de la hausse. Maugendre perdait cinquante mille francs, sa premiÚre perte sérieuse. La baronne Sandorff eut à payer de si grosses différences, que Delcambre, disait-on, se refusait à les donner ; et elle était toute blanche de colÚre et de haine, au seul nom de son mari, le conseiller d'ambassade, qui avait eu la dépÃÂȘche entre les mains avant Rougon lui- mÃÂȘme, sans lui en rien dire. Mais la haute banque, la banque juive, surtout, avait essuyé une défaite terrible, un vrai massacre. On affirmait que Gundermann, simplement pour sa part, y laissait huit millions. Et cela stupéfiait, comment n'avait-il pas été averti ? lui le maÃtre indiscuté du marché, dont les ministres n'étaient que les commis et qui tenait les Etats dans sa souveraine dépendance ! Il y avait là un de ces concours de circonstances extraordinaires qui font les grands coups du hasard. C'était un effondrement imprévu, imbécile, en dehors de toute raison et de toute logique. Cependant, l'histoire se répandit, Saccard passa grand homme. D'un coup de rùteau, il venait de ramasser la presque totalité de l'argent perdu par les baissiers. Personnellement, il avait mis en poche deux millions. Le reste allait entrer dans les caisses de l'Universelle, ou plutÎt se fondre aux mains des administrateurs. A grand-peine, il finit par persuader à Mme Caroline que la part d'Hamelin, dans ce butin si légitimement conquis sur les juifs, était d'un million. Huret, lui, ayant été à la besogne, s'était taillé son morceau, royalement. Quant aux autres, les Daigremont les marquis de Bohain, ils ne se firent nullement prier. Tous votÚrent des remerciements et des félicitations à l'éminent directeur. Et un coeur surtout brûlait de gratitude pour Saccard, celui de Flory, qui avait gagné dix mille francs, une fortune, de quoi habiter avec Chuchu un petit logement de la rue Condorcet et aller ensemble, le soir, rejoindre Gustave Sédille et Germaine Coeur dans des restaurants chers. Au journal, il fallut donner une gratification à Jantrou, qui s'emportait de ce qu'on ne l'avait pas prévenu. Seul Dejoie demeurait mélancolique, car il devait garder l'éternel regret d'avoir senti, un soir, la fortune passer dans l'air, mystérieuse et vague, inutilement. Ce premier triomphe de Saccard sembla ÃÂȘtre comme une floraison de l'empire à son apogée. Il entrait dans l'éclat du rÚgne, il en était un des reflets glorieux. Le soir mÃÂȘme oÃÂč il grandissait parmi les fortunes écroulées, à l'heure oÃÂč la Bourse n'était plus qu'un champ morne de décombres, Paris entier se pavoisait, s'illuminait, ainsi que pour une grande victoire ; et des fÃÂȘtes aux Tuileries, des réjouissances dans les rues, célébraient Napoléon III maÃtre de l'Europe si haut, si grand, que les empereurs et les rois le choisissaient comme arbitre dans leurs querelles et lui remettaient des provinces pour qu'il en disposùt entre eux. A la Chambre, des voix avaient bien protesté, des prophÚtes de malheur annonçaient confusément le terrible avenir, la Prusse grandie de tout ce que la France avait toléré, l'Autriche battue, l'Italie ingrate. Mais des rires, des cris de colÚre étouffaient ces voix inquiÚtes, et Paris, centre du monde, flambait par toutes ses avenues et tous ses monuments, au lendemain de Sadowa, en attendant les nuits noires et glacées, les nuits sans gaz, traversées par la mÚche rouge des obus. Ce soir-là , Saccard, débordant de son succÚs, battit les rues, la place de la Concorde, les Champs-Elysées, tous les trottoirs oÃÂč brûlaient des lampions. Emporté dans le flot montant des promeneurs, les yeux aveuglés par cette clarté de plein jour, il pouvait croire qu'on illuminait pour le fÃÂȘter n'était-il pas, lui aussi, le vainqueur inattendu, celui qui s'élevait au milieu des désastres ? Un seul ennui venait de gùter sa joie, la colÚre de Rougon, qui terrible, avait chassé Huret, quand il avait compris d'oÃÂč venait le coup de Bourse. Ce n'était donc pas le grand homme qui s'était montré bon frÚre, en lui envoyant la nouvelle ? Faudrait-il qu'il se passùt de ce haut patronage, mÃÂȘme qu'il attaquùt le tout-puissant ministre ? Brusquement, en face du palais de la Légion d'honneur, que surmontait une gigantesque croix de feu, brasillant dans le ciel noir, il en prit la résolution hardie, pour le jour oÃÂč il se sentirait les reins assez forts. Et, grisé par les chants de la foule et les claquements des drapeaux, il revint rue Saint-Lazare, au travers de Paris en flammes. Deux mois aprÚs, en septembre, Saccard, que sa victoire sur Gundermann rendait audacieux, décida qu'il fallait donner un nouvel élan à l'Universelle. Dans l'assemblée générale qui avait eu lieu à la fin d'avril, le bilan présenté portait, pour l'année 1864, un bénéfice de neuf millions, en y comprenant les vingt francs de primes sur chacune des cinquante mille actions nouvelles, lors du doublement du capital. On avait amorti complÚtement le compte de premier établissement, servi aux actionnaires leur cinq pour cent et aux administrateurs leur dix pour cent, laissé à la réserve une somme de cinq millions, outre le dix pour cent réglementaire ; et, avec le million qui restait, on était arrivé à distribuer un dividende de dix francs par action. C'était un beau résultat pour une société qui n'avait pas deux ans d'existence. Mais Saccard procédait par coups de fiÚvre, appliquant au terrain financier la méthode de la culture intensive, chauffant, surchauffant le sol, au risque de brûler la récolte ; et il fit accepter, d'abord par le conseil d'administration, ensuite par une assemblée générale extraordinaire, qui se réunit le 15 septembre, une seconde augmentation du capital on le doublait encore, on l'élevait de cinquante à cent millions, en créant cent mille actions nouvelles, exclusivement réservées aux actionnaires, titre pour titre. Seulement, cette fois, les titres étaient émis à 675 francs, soit une prime de 175 francs, destinée à ÃÂȘtre versée au fonds de réserve. Les succÚs croissants, les affaires heureuses déjà faites, surtout les grandes entreprises que l'Universelle allait lancer, étaient les raisons invoquées pour justifier cette énorme augmentation du capital, doublé ainsi coup sur coup ; car il fallait bien donner à la maison une importance et une solidité en rapport avec les intérÃÂȘts qu'elle représentait. D'ailleurs, le résultat fut immédiat les actions qui, depuis des mois, restaient stationnaires à la Bourse, au cours moyen de sept cent cinquante, montÚrent à neuf cents, en trois jours. Hamelin n'avait pu revenir d'Orient, pour présider l'assemblée générale extraordinaire, et il écrivit à sa soeur une lettre inquiÚte, oÃÂč il exprimait des craintes sur cette façon de mener l'Universelle au galop, d'un train fou. Il devinait bien qu'on avait fait encore, chez maÃtre Lelorrain, des déclarations mensongÚres. En effet, toutes les actions nouvelles n'avaient pas été légalement souscrites, la société était restée propriétaire des titres que refusaient les actionnaires ; et, les versements n'étant point exécutés, un jeu d'écritures avait passé ces titres au compte Sabatani. En outre, d'autres prÃÂȘte-noms, des employés, des administrateurs, lui avaient permis de souscrire elle-mÃÂȘme à sa propre émission ; de sorte qu'elle détenait alors prÚs de trente mille de ses actions, représentant une somme de dix-sept millions et demi. Outre qu'elle était illégale, la situation pouvait devenir dangereuse, car l'expérience a démontré que toute maison de crédit qui joue sur ses valeurs est perdue. Mais Mme Caroline n'en répondit pas moins gaiement à son frÚre, le plaisantant de ce qu'il devenait trembleur aujourd'hui, au point que c'était elle, jadis soupçonneuse, qui devait le rassurer. Elle disait veiller toujours, ne rien voir de louche, ÃÂȘtre émerveillée, au contraire, des grandes choses, claires et logiques, auxquelles elle assistait. La vérité était qu'elle ne savait naturellement rien de ce qu'on lui cachait, et que, sur le reste, son admiration pour Saccard, l'émotion de sympathie oÃÂč la jetaient l'activité et l'intelligence de ce petit homme, l'aveuglaient. En décembre, le cours de mille francs fut dépassé. Et alors, en face de l'Universelle triomphante, la haute banque s'émut, on rencontra Gundermann, sur la place de la Bourse, l'air distrait, entrant acheter des bonbons chez le confiseur, de son pas automatique. Il avait payé ses huit millions de perte sans une plainte, sans qu'un seul de ses familiers eût surpris sur ses lÚvres une parole de colÚre et de rancune. Quand il perdait ainsi, chose rare, il disait d'ordinaire que c'était bien fait, que cela lui apprendrait à ÃÂȘtre moins étourdi ; et l'on souriait, car l'étourderie de Gundermann ne s'imaginait guÚre. Mais, cette fois, la dure leçon devait lui rester en travers du coeur, l'idée d'avoir été battu par ce casse-cou de Saccard, ce fou passionné, lui si froid, si maÃtre des faits et des hommes, lui était assurément insupportable. Aussi, dÚs cette époque, se mit-il à le guetter, certain de sa revanche. Tout de suite, devant l'engouement qui accueillait l'Universelle, il avait pris position, en observateur convaincu que les succÚs trop rapides, les prospérités mensongÚres menaient aux pires désastres. Cependant, le cours de mille francs était encore raisonnable, et il attendait pour se mettre à la baisse. Sa théorie était qu'on ne provoquait pas les événements à la Bourse, qu'on pouvait au plus les prévoir et en profiter, quand ils s'étaient produits. La logique seule régnait, la vérité était, en spéculation comme ailleurs, une force toute-puissante. DÚs que les cours s'exagéreraient par trop, ils s'effondreraient la baisse alors se ferait mathématiquement, il serait simplement là pour voir son calcul se réaliser et empocher son gain. Et, déjà , il fixait au cours de quinze cents francs son entrée en guerre. A quinze cents, il commença donc à vendre de l'Universelle, peu d'abord, davantage à chaque liquidation, d'aprÚs un plan arrÃÂȘté d'avance. Pas besoin d'un syndicat de baissiers, lui seul suffirait, les gens sages auraient la nette sensation de la vérité et joueraient son jeu. Cette Universelle bruyante, cette Universelle qui encombrait si rapidement le marché et qui se dressait comme une menace devant la haute banque juive, il attendait froidement qu'elle se lézardùt d'elle-mÃÂȘme, pour la jeter par terre d'un coup d'épaule. Plus tard, on raconta que ce fut mÃÂȘme Gundermann qui, en secret, facilita à Saccard l'achat d'une antique bùtisse, rue de Londres, que celui-ci avait l'intention de démolir, pour élever à la place l'hÎtel de ses rÃÂȘves, le palais oÃÂč logerait fastueusement son oeuvre. Il était parvenu à convaincre le conseil d'administration, les ouvriers se mirent au travail, dÚs le milieu d'octobre. Le jour mÃÂȘme oÃÂč la premiÚre pierre fut posée, en grande cérémonie, Saccard se trouvait au journal, vers quatre heures, à attendre Jantrou, qui était allé porter des comptes rendus de la solennité dans les feuilles amies, lorsqu'il reçut la visite de la baronne Sandorff. Elle avait d'abord demandé le rédacteur en chef, puis était tombée, comme par hasard, sur le directeur de l'Universelle, qui s'était mis galamment à sa disposition pour tous les renseignements qu'elle désirerait, en l'emmenant dans la piÚce réservée, au fond du corridor. Et là , à la premiÚre attaque brutale, elle céda, sur le divan, ainsi qu'une fille, d'avance résignée à l'aventure. Mais une complication se produisit, il arriva que Mme Caroline, en course dans le quartier Montmartre, monta au journal. Elle y tombait parfois de la sorte, pour donner une réponse à Saccard, ou simplement pour prendre des nouvelles. D'ailleurs, elle connaissait Dejoie qu'elle y avait placé, elle s'arrÃÂȘtait toujours à causer une minute, heureuse de la gratitude qu'il lui témoignait. Ce jour-là , ne l'ayant pas trouvé dans l'antichambre, elle enfila le couloir, se heurta contre lui, comme il revenait d'écouter à la porte. Maintenant, c'était une maladie, il tremblait de fiÚvre, il collait son oreille à toutes les serrures, pour surprendre les secrets de Bourse. Seulement, ce qu'il avait entendu et compris, cette fois, l'avait un peu gÃÂȘné ; et il souriait d'un air vague. " Il est là , n'est-ce pas ? " dit Mme Caroline, en voulant passer outre. Il l'avait arrÃÂȘtée, balbutiant, n'ayant pas le temps de mentir. " Oui, il est là , mais vous ne pouvez pas entrer. - Comment, je ne peux pas entrer ? - Non, il est avec une dame. " Elle devint toute blanche, et lui, qui ne savait rien de la situation, clignait les yeux, allongeait le cou, indiquait, par une mimique expressive, l'aventure. " Quelle est cette dame ? " demanda-t-elle d'une voix brÚve. Il n'avait aucune raison de lui cacher le nom, à elle, sa bienfaitrice. Il se pencha à son oreille. " La baronne Sandorff... Oh ! il y a longtemps qu'elle tourne autour ! " Mme Caroline resta immobile un instant. Dans l'ombre du couloir, on ne pouvait distinguer la pùleur livide de son visage. Elle venait d'éprouver, en plein coeur, une douleur si aiguÃ, si atroce, qu'elle ne se souvenait pas d'avoir jamais tant souffert ; et c'était la stupeur de cette affreuse blessure qui la clouait là . Qu'allait-elle faire à présent, enfoncer cette porte, se ruer sur cette femme, les souffleter tous les deux d'un scandale ? Et, comme elle demeurait sans volonté encore, étourdie, elle fut gaiement abordée par Marcelle, qui était montée pour prendre son mari. La jeune femme avait derniÚrement fait sa connaissance. " Tiens ! c'est vous, chÚre madame... Imaginez-vous que nous allons au théùtre, ce soir ! Oh, c'est toute une histoire, il ne faut pas que ça coûte cher... Mais Paul a découvert un petit restaurant oÃÂč nous nous régalons pour trente-cinq sous par tÃÂȘte... " Jordan arrivait, il interrompit sa femme en riant. " Deux plats, un carafon de vin, du pain à discrétion. - Et puis, continua Marcelle, nous ne prenons pas de voiture, c'est si amusant de rentrer à pied, quand il est trÚs tard !... Ce soir, comme nous sommes riches, nous remonterons un gùteau aux amandes de vingt sous... FÃÂȘte complÚte, noce à tout casser ! " Elle s'en alla, enchantée, au bras de son mari. Et Mme Caroline, qui était revenue avec eux dans l'antichambre, avait retrouvé la force de sourire. " Amusez-vous bien " , murmura-t-elle, la voix tremblante. Puis, elle partit à son tour. Elle aimait Saccard, elle en emportait l'étonnement et la douleur, comme d'une plaie honteuse qu'elle ne voulait pas montrer. VII - Deux mois plus tard, par un aprÚs-midi gris et doux de novembre, Mme Caroline monta à la salle des épures, tout de suite aprÚs le déjeuner, pour se mettre au travail. Son frÚre, alors à Constantinople, oÃÂč il s'occupait de sa grande affaire des chemins de fer d'Orient, l'avait chargée de revoir toutes les notes prises autrefois par lui, dans leur premier voyage, puis de rédiger une sorte de mémoire, qui serait comme un résumé historique de la question ; et, depuis deux grandes semaines, elle tùchait de s'absorber tout entiÚre dans cette besogne. Ce jour-là , il faisait si chaud, qu'elle laissa mourir le feu et ouvrit la fenÃÂȘtre, d'oÃÂč elle regarda un instant, avant de s'asseoir, les grands arbres nus de l'hÎtel Beauvilliers, violùtres sur le ciel pùle. Il y avait prÚs d'une demi-heure qu'elle écrivait, lorsque le besoin d'un document l'égara dans une longue recherche, parmi les dossiers entassés sur sa table. Elle se leva, alla remuer d'autres papiers, revint s'asseoir, les mains pleines ; et, comme elle classait des feuilles volantes, elle tomba sur des images de sainteté, une vue enluminée du Saint-Sépulcre, une priÚre encadrée des instruments de la Passion, souveraine pour assurer le salut, dans les moments de détresse oÃÂč l'ùme est en danger. Alors, elle se souvint, son frÚre avait acheté ces images à Jérusalem, en grand enfant pieux. Une émotion soudaine la saisit, des larmes mouillÚrent ses joues. Ah ! ce frÚre, si intelligent, si longtemps méconnu, qu'il était heureux de croire, de ne pas sourire devant ce Saint-Sépulcre naïf pour boÃte à bonbons, de puiser une sereine force dans sa foi à l'efficacité de cette priÚre, rimée en vers de confiseur ! Elle le revoyait trop confiant, trop facile à se laisser duper peut-ÃÂȘtre, mais si droit, si tranquille, sans une révolte, sans une lutte mÃÂȘme. Et elle qui, depuis deux mois, luttait et souffrait, elle qui ne croyait plus, brûlée de lectures, dévastée de raisonnements, avec quelle ardeur elle souhaitait, aux heures de faiblesse, d'ÃÂȘtre restée simple et ingénue comme lui, au point de pouvoir endormir son coeur saignant, en répétant trois fois, matin et soir, l'oraison enfantine que les clous et la lance, la couronne et l'éponge de la Passion entouraient ! Au lendemain du hasard brutal qui lui avait appris la liaison de Saccard et de la baronne Sandorff, elle s'était raidie de toute sa volonté, pour résister au besoin de les surveiller et de savoir. Elle n'était point la femme de cet homme, elle ne voulait point ÃÂȘtre sa maÃtresse passionnée jalouse jusqu'au scandale ; et sa misÚre était qu'elle continuait à ne pas se refuser, dans leur intimité de chaque heure. Cela venait de la façon paisible, simplement affectueuse, dont elle avait d'abord considéré leur aventure une amitié ayant abouti fatalement au don de la personne, comme il arrive entre homme et femme. Elle n'avait plus vingt ans, elle était devenue d'une grande tolérance, aprÚs la dure expérience de son mariage. A trente-six ans étant si sage, se croyant sans illusions, ne pouvait-elle donc fermer les yeux, se conduire plus en mÚre qu'en amante, à l'égard de cet ami auquel elle s'était résignée sur le tard, dans une minute d'absence morale, et qui, lui aussi, avait singuliÚrement dépassé l'ùge des héros ? Parfois, elle répétait qu'on accordait trop d'importance à ces rapports des sexes, simples rencontres souvent, dont on embarrassait ensuite l'existence entiÚre. D'ailleurs, elle souriait la premiÚre de l'immoralité de sa remarque, car n'étaient pas alors toutes les fautes permises, toutes les femmes à tous les hommes ? Et, pourtant, que de femmes sont raisonnables en acceptant le partage avec une rivale, que la pratique courante l'emporte en heureuse bonhomie sur la jalouse idée de la possession unique et totale ! Mais ce n'étaient là que des façons théoriques de rendre la vie supportable, elle avait beau se forcer à l'abnégation, continuer à ÃÂȘtre l'intendante dévouée, la servante d'intelligence supérieure qui veut bien donner son corps, quand elle a donné son coeur et son cerveau une révolte de sa chair, de sa passion la soulevait, elle souffrait affreusement de ne pas tout savoir, de ne pas rompre violemment, aprÚs avoir jeté à la face de Saccard l'affreux mal qu'il lui faisait. Elle s'était domptée cependant, au point de se taire, de rester calme et souriante, et jamais, dans son existence si rude jusque- là , elle n'avait eu besoin de plus de force. Encore un instant, elle regarda les images de sainteté, qu'elle tenait toujours, avec son sourire douloureux d'incrédule, tout ému de tendresse. Mais elle ne les voyait plus, elle reconstruisait ce que Saccard avait pu faire la veille, ce qu'il faisait ce jour-là mÃÂȘme, par un travail involontaire et incessant de son esprit, qui retournait d'instinct à cet espionnage, dÚs qu'elle ne l'occupait plus. Saccard, d'ailleurs, semblait mener sa vie accoutumée, le matin les tracas de sa direction, l'aprÚs-midi la Bourse, le soir les invitations à dÃner, les premiÚres représentations, une vie de plaisirs, des filles de théùtre dont elle n'était point jalouse. Et, cependant, elle sentait bien un nouvel intérÃÂȘt en lui, une chose qui lui prenait des heures occupées auparavant d'une autre façon, sans doute cette femme, des rendez-vous dans quelque endroit qu'elle se défendait de connaÃtre. Cela la rendait soupçonneuse et méfiante, elle se remettait malgré elle à " faire le gendarme " , comme disait son frÚre en riant, mÃÂȘme au sujet des affaires de l'Universelle, qu'elle avait cessé de surveiller, tant sa confiance un moment était devenue grande. Des irrégularités la frappaient et la chagrinaient. Puis, elle était toute surprise de s'en moquer au fond, de ne pas trouver la force de parler ni d'agir, tellement une seule angoisse la tenait au coeur, cette trahison qu'elle aurait voulu accepter, qui l'étouffait. Et, honteuse de sentir les larmes la gagner de nouveau, elle cacha les images, avec le mortel regret de ne pouvoir aller s'agenouiller et se soulager dans une église, en pleurant pendant des heures toutes les larmes de son corps. Depuis dix minutes, Mme Caroline, calmée, s'était remise à rédiger le mémoire, lorsque le valet de chambre vint lui dire que Charles, un cocher renvoyé la veille, voulait absolument parler à madame. C'était Saccard qui, aprÚs l'avoir engagé lui-mÃÂȘme, l'avait surpris volant sur l'avoine. Elle hésita, puis consentit à le recevoir. Grand, beau garçon, avec la face et le cou rasés, se dandinant de l'air assuré et fat des hommes que les femmes paient, Charles se présenta insolemment. " Madame, c'est pour les deux chemises que la blanchisseuse m'a perdues et dont elle refuse de me tenir compte. Sans doute, madame ne pense pas que je puisse faire une perte pareille... Et, comme madame est responsable, je veux que madame me rembourse mes chemises... Oui, je veux quinze francs. " Sur ces questions de ménage, elle était trÚs sévÚre. Peut-ÃÂȘtre aurait-elle donné les quinze francs, pour éviter toute discussion. Mais l'effronterie de cet homme, pris la veille la main dans le sac, la révolta. " Je ne vous dois rien, je ne vous donnerai pas un sou... D'ailleurs, monsieur m'a mise en garde et m'a absolument défendu de faire quelque chose pour vous. " Alors, Charles s'avança, menaçant. " Ah ! monsieur a dit ça, je m'en doutais, et il a eu tort, monsieur, parce que nous allons rire... Je ne suis pas assez bÃÂȘte pour ne pas avoir remarqué que madame était la maÃtresse... " Rougissante, Mme Caroline se leva, voulant le chasser. Mais il ne lui en laissa pas le temps, il continuait plus haut " Et peut-ÃÂȘtre que madame sera contente de savoir oÃÂč va monsieur, de quatre à six, deux et trois fois par semaine, quand il est sûr de trouver la personne seule... " Elle était redevenue brusquement trÚs pùle, tout son sang refluait à son coeur. D'un geste violent, elle tenta de lui rentrer dans la gorge ce renseignement qu'elle évitait d'apprendre depuis deux mois. " Je vous défends bien... " Seulement, il criait plus fort qu'elle. " C'est Mme la baronne Sandorff... M. Delcambre l'entretient et a loué, pour l'avoir à son aise, un petit rez-de-chaussée de la rue Caumartin, presque au coin de la rue Saint-Nicolas, dans une maison oÃÂč il y a une fruitiÚre... Et monsieur y va donc prendre la place toute chaude... " Elle avait allongé le bras vers la sonnette, pour qu'on jetùt cet homme dehors ; mais il aurait certainement continué devant les domestiques. " Oh ! quand je dis chaude !... J'ai une amie là -dedans, Clarisse, la femme de chambre, qui les a regardés ensemble, et qui a vu sa maÃtresse, un vrai glaçon, lui faire un tas de saletés... - Taisez-vous, malheureux !... Tenez ! voici vos quinze francs. " Et, d'un geste d'indicible dégoût, elle lui remit l'argent, comprenant que c'était la seule façon de le renvoyer. Tout de suite, en effet, il redevint poli. " Moi, je ne veux que le bien de madame... La maison oÃÂč il y a une fruitiÚre. Le perron au fond de la cour... C'est aujourd'hui jeudi, il est quatre heures, si madame veut les surprendre... " Elle le poussait vers la porte, sans desserrer les lÚvres, livide. " D'autant plus qu'aujourd'hui madame assisterait peut-ÃÂȘtre bien à quelque chose de rigolo... Plus souvent que Clarisse resterait dans une boÃte pareille ! Et, quand on a eu de bons maÃtres, on leur laisse un petit souvenir, n'est-ce pas ?... Bonsoir, madame. " Enfin, il était parti. Mme Caroline resta quelques secondes immobile, cherchant, comprenant qu'une scÚne pareille menaçait Saccard. Puis, sans force, avec un long gémissement, elle vint s'abattre sur sa table de travail ; et les larmes qui l'étouffaient depuis si longtemps ruisselÚrent. Cette Clarisse, une maigre fille blonde, venait simplement de trahir sa maÃtresse, en offrant à Delcambre de la lui faire surprendre avec un autre homme, dans le logement mÃÂȘme qu'il payait. Elle avait d'abord exigé cinq cents francs ; mais, comme il était fort avare, elle dut, aprÚs marchandage, se contenter de deux cents francs, payables de la main à la main, au moment oÃÂč elle lui ouvrirait la porte de la chambre. Elle couchait là , dans une petite piÚce, derriÚre le cabinet de toilette. La baronne l'avait prise par une délicatesse, pour ne pas confier le soin du ménage à la concierge. Le plus souvent, elle vivait oisive, n'ayant rien à faire entre les rendez-vous, au fond de ce logement vide, s'effaçant du reste, disparaissant, dÚs que Delcambre ou Saccard arrivait. C'était dans la maison qu'elle avait connu Charles qui longtemps était venu, la nuit, occuper avec elle le grand lit des maÃtres, encore ravagé par la débauche de la journée ; et mÃÂȘme c'était elle qui l'avait recommandé à Saccard, comme un trÚs bon sujet, trÚs honnÃÂȘte. Depuis son renvoi, elle épousait sa rancune, d'autant plus que sa maÃtresse lui faisait des " crasses " et qu'elle avait une place oÃÂč elle gagnerait cinq francs de plus par mois. D'abord, Charles voulait écrire au baron Sandorff ; mais elle avait trouvé plus drÎle et plus lucratif d'organiser, avec Delcambre, une surprise. Et, ce jeudi-là , ayant tout préparé pour le grand coup, elle attendit. A quatre heures, lorsque Saccard arriva, la baronne Sandorff était déjà là , allongée sur la chaise longue, devant le feu. Elle se montrait d'habitude trÚs exacte, en femme d'affaires qui sait le prix du temps. Les premiÚres fois, il avait eu la désillusion de ne pas trouver l'ardente amoureuse qu'il espérait, chez cette femme si brune, aux paupiÚres bleues, à la provocante allure de bacchante en folie. Elle était de marbre, lasse de son inutile effort à la recherche d'une sensation qui ne venait point, tout entiÚre prise par le jeu, dont l'angoisse au moins lui chauffait le sang. Puis, l'ayant sentie curieuse, sans dégoût, résignée à la nausée, si elle croyait y découvrir un frisson nouveau, il l'avait dépravée, obtenant d'elle toutes les caresses. Elle causait Bourse, lui tirait des renseignements ; et, comme le hasard aidant sans doute, elle gagnait depuis sa liaison, elle traitait un peu Saccard en fétiche, l'objet ramassé que l'on garde et que l'on baise, mÃÂȘme malpropre, pour la chance qu'il vous porte. Clarisse avait fait un si grand feu, ce jour-là , qu'ils ne se mirent pas au lit, par un raffinement de rester devant les hautes flammes, sur la chaise longue. Dehors, la nuit allait se faire. Mais les volets étaient fermés, les rideaux soigneusement tirés ; et deux grosses lampes, aux globes dépolis, sans abat-jour, les éclairaient d'une lumiÚre crue. A peine Saccard était-il entré, que Delcambre, à son tour descendit de voiture. Le procureur général Delcambre, personnellement lié avec l'empereur, en passe de devenir ministre, était un homme maigre et jaune de cinquante ans, à la haute taille solennelle, à la face rase, coupée de plis profonds d'une austÚre sévérité. Son nez dur, en bec d'aigle, semblait sans défaillance comme sans pardon. Et, lorsqu'il monta le perron, de son pas ordinaire, mesuré et grave, il avait toute sa dignité, son air froid des grands jours d'audience. Personne ne le connaissait dans la maison, il n'y venait guÚre qu'à la nuit tombée. Clarisse l'attendait dans l'étroite antichambre. " Si monsieur veut me suivre, et je recommande bien à monsieur de ne pas faire de bruit. " Il hésitait, pourquoi ne pas entrer par la porte qui ouvrait directement sur la chambre ? Mais, à voix trÚs basse, elle lui expliqua que le verrou était mis sûrement, qu'il faudrait briser tout et que madame, avertie, aurait le temps de s'arranger. Non ! ce qu'elle voulait, c'était la lui faire surprendre telle qu'elle l'avait vue, un jour, en risquant un oeil au trou de la serrure. Pour cela, elle avait imaginé quelque chose de bien simple. Sa chambre, autrefois, communiquait avec le cabinet de toilette par une porte, aujourd'hui fermée à clef ; et, la clef ayant été ensuite jetée au fond d'un tiroir, elle avait eu seulement à la reprendre là , puis à rouvrir ; de sorte que, grùce à cette porte condamnée, oubliée, on pouvait maintenant pénétrer sans bruit dans le cabinet de toilette, qui lui-mÃÂȘme n'était séparé de la chambre que par une portiÚre. Certainement, madame n'attendait personne de ce cÎté. " Que monsieur se confie entiÚrement à moi. J'ai intérÃÂȘt, n'est-ce pas ? à la réussite. " Elle se glissa par la porte entrebùillée, disparut un instant, laissant Delcambre seul, dans son étroite chambre de bonne, au lit en désordre, à la cuvette d'eau savonneuse, et dont elle avait déjà déménagé sa malle, le matin, pour filer, dÚs que le coup serait fait. Puis, elle revint, referma doucement la porte sur elle. " Il faut que monsieur attende un petit peu. Ce n'est pas encore ça. Ils causent. " Delcambre restait digne, sans un mot, debout et immobile sous les regards vaguement blagueurs de cette fille qui le dévisageait. Cependant, il se lassait, un tic nerveux tirait toute la moitié gauche de son visage, dans la rage contenue dont le flot montait à son crùne. Le furieux mùle, aux appétits d'ogre, qu'il y avait en lui, caché derriÚre la glaciale sévérité de son masque professionnel, commençait à gronder sourdement, irrité de cette chair qu'on lui volait. Faisons vite, faisons vite " , répéta-t-il, sans savoir ce qu'il disait, les mains fiévreuses. Mais, lorsque Clarisse, disparue de nouveau, revint, un doigt sur les lÚvres, elle le supplia de patienter encore. " Je vous assure, monsieur, soyez raisonnable, autrement vous perdrez le plus beau... Dans un moment, ça y sera en plein. " Et, Delcambre, les jambes brusquement cassées, dut s'asseoir sur le petit lit de bonne. La nuit tombait, il resta ainsi dans l'ombre, tandis que la femme de chambre, aux écoutes, ne perdait aucun des bruits légers qui venaient de la chambre, et qu'il entendait, lui, décuplés par un tel bourdonnement de ses oreilles, qu'ils lui paraissaient ÃÂȘtre le piétinement d'une armée en marche. Enfin, il sentit la main de Clarisse tùtonnant le long de son bras. Il comprit, lui donna, sans une parole, une enveloppe ; oÃÂč il avait glissé les deux cents francs promis. Et elle marcha la premiÚre, écarta la portiÚre du cabinet, le poussa dans la chambre, en disant " Tenez ! les v'lù ! " Devant le grand feu, aux braises ardentes, Saccard était sur le dos, couché au bord de la chaise longue, n'ayant gardé que sa chemise, qui, roulée, remontée jusqu'aux aisselles, découvrait, de ses pieds à ses épaules, sa peau brune, envahie avec l'ùge d'un poil de bÃÂȘte ; tandis que la baronne, entiÚrement nue, toute rose des flammes qui la cuisaient, était agenouillée ; et les deux grosses lampes les éclairaient d'une clarté si vive, que les moindres détails s'accusaient, avec un relief d'ombre excessif. Béant, suffoqué par ce flagrant délit anormal, Delcambre s'était arrÃÂȘté, pendant que les deux autres, comme foudroyés, stupides de voir entrer cet homme par le cabinet, ne bougeaient pas, les yeux élargis et fous. " Ah ! cochons ! bégaya enfin le procureur général, cochons ! cochons ! " Il ne trouvait que ce mot, il le répéta sans fin, l'accentua du mÃÂȘme geste saccadé, pour lui donner plus de force. Cette fois, d'un bond, la femme s'était levée, éperdue de sa nudité, tournant sur elle-mÃÂȘme, cherchant ses vÃÂȘtements, qu'elle avait laissés dans le cabinet de toilette, oÃÂč elle ne pouvait aller les reprendre ; et, ayant mis la main sur un jupon blanc resté là , elle s'en couvrit les épaules, garda les deux bouts de la ceinture entre les dents, afin de le serrer autour de son cou, contre sa poitrine. L'homme, qui avait quitté aussi la chaise longue, rabattit sa chemise, l'air trÚs ennuyé. " Cochons ! répéta encore Delcambre, cochons ! dans cette chambre que je paie ! " Et, montrant le poing à Saccard, s'affolant de plus en plus, à l'idée que ces ordures se faisaient sur un meuble acheté avec son argent, il délira. " Vous ÃÂȘtes ici chez moi, cochon que vous ÃÂȘtes ! Et cette femme est à moi, vous ÃÂȘtes un cochon et un voleur ! " Saccard, qui ne se fùchait pas, aurait voulu le calmer, fort embarrassé d'ÃÂȘtre ainsi en chemise, et tout à fait contrarié de l'aventure. Mais le mot de voleur le blessa. " Dame ! monsieur, répondit-il, quand on veut avoir une femme à soi tout seul, on commence par lui donner ce dont elle a besoin. " Cette allusion à son avarice acheva d'enrager Delcambre. Il était méconnaissable, effroyable, comme si le bouc humain, tout le priape caché lui sortait de la peau. Ce visage, si digne et si froid, avait brusquement rougi, et il se gonflait, se tuméfiait, s'avançait en un mufle furieux. L'emportement lùchait la brute charnelle, dans l'affreuse douleur de cette fange remuée. " Besoin, besoin, balbutia-t-il, besoin du ruisseau... Ah ! Garce ! " Et il eut vers la baronne un geste si violent, qu'elle prit peur. Elle était restée debout, immobile, ne parvenant à se voiler la gorge, avec le jupon, qu'en laissant à découvert le ventre et les cuisses. Alors, ayant compris que cette nudité coupable, ainsi étalée, l'exaspérait davantage, elle recula jusqu'à la chaise, s'y assit en serrant les jambes, en remontant les genoux, de façon à cacher tout ce qu'elle pouvait. Puis, elle demeura là , sans un geste, sans un mot, la tÃÂȘte un peu basse, les yeux obliques et sournois sur la bataille en femelle que les hommes se disputent, et qui attend, pour ÃÂȘtre au vainqueur. Saccard, courageusement, s'était jeté devant elle. " Vous n'allez pas la battre, peut-ÃÂȘtre ! " Les deux hommes se trouvÚrent face à face. " Enfin, monsieur, reprit-il, il faut en finir. Nous ne pouvons pas nous disputer comme des cochers... C'est trÚs vrai, je suis l'amant de madame. Et je vous répÚte que, si vous avez payé les meubles ici, moi j'ai payé... - Quoi ? - Beaucoup de choses par exemple, l'autre jour, les dix mille francs de son ancien compte chez Mazaud, que vous aviez absolument refusé de régler... J'ai autant de droits que vous. Un cochon, c'est possible ! mais un voleur, ah ! non ! Vous allez retirer le mot. " Hors de lui, Delcambre cria " Vous ÃÂȘtes un voleur, et je vais vous casser la tÃÂȘte, si vous ne déguerpissez pas à l'instant. " Mais Saccard, à son tour, s'irritait. Tout en remettant son pantalon, il protesta. " Ah ! ça, dites donc, vous m'embÃÂȘtez, à la fin ! Je m'en irai si je veux... Ce n'est pas encore vous que me ferez peur, mon bonhomme ! " Et, quand il eut enfilé ses bottines, il tapa résolument des pieds sur le tapis, en disant " Là , maintenant, je suis d'aplomb, je reste. " Etouffant de rage, Delcambre s'était rapproché, le mufle en avant. " Sale cochon, veux-tu filer ! - Pas avant toi, vieille crapule ! - Et si je te flanque ma main sur la figure ! - Moi, je te plante mon pied quelque part ! " Nez à nez, les crocs dehors, ils aboyaient. Oublieux d'eux-mÃÂȘmes, dans cette débùcle de leur éducation, dans ce flot de vase immonde du rut qu'ils se disputaient, le magistrat et le financier en vinrent à une querelle de charretiers ivres, à des mots abominables, qu'ils se lançaient, avec un besoin croissant de l'ordure, comme des crachats. Leurs voix s'étranglaient dans leur gorge, ils écumaient de la boue. Sur sa chaise, la baronne attendait toujours que l'un des deux eût jeté l'autre dehors. Et, calmée déjà , arrangeant l'avenir, elle n'était plus gÃÂȘnée que par la présence de la femme de chambre, qu'elle devinait derriÚre la portiÚre du cabinet de toilette, restée là pour se faire un peu de bon sang. Cette fille, en effet, ayant allongé la tÃÂȘte, avec un ricanement d'aise, à entendre des messieurs se dirent des choses si dégoûtantes, les deux femmes s'aperçurent, la maÃtresse accroupie et nue, la servante droite et correcte, avec son petit col plat ; et elles échangÚrent un flamboyant regard, la haine séculaire des rivales, dans cette égalité des duchesses et des vachÚres, quand elles n'ont plus de chemise. Mais Saccard, lui aussi, avait vu Clarisse. Il achevait de s'habiller violemment, enfilait son gilet et revenait lùcher une injure dans la figure de Delcambre, passait la manche gauche de sa redingote et en criait une autre, passait la manche droite et en trouvait d'autres, d'autres toujours, à pleins baquets, à la volée. Puis, tout d'un coup, pour en finir " Clarisse, venez donc !... Ouvrez les portes, ouvrez les fenÃÂȘtres, pour que toute la maison et toute la rue entendent !... M. le Procureur général veut qu'on sache qu'il est ici, et je vais le faire connaÃtre, moi ! " Pùlissant, Delcambre recula, en le voyant se diriger vers une des fenÃÂȘtres, comme s'il voulait en tourner la crémone. Ce terrible homme était trÚs capable d'exécuter sa menace, lui qui se moquait du scandale. " Ah ! canaille, canaille ! murmura le magistrat. Ça fait bien la paire, vous et cette catin. Et je vous la laisse... - C'est ça, décampez ! On n'a pas besoin de vous... Au moins, ses factures seront payées, elle ne pleurera plus misÚre... Tenez ! voulez- vous six sous, pour prendre l'omnibus ? " Sous l'insulte, Delcambre s'arrÃÂȘta un instant, au seuil du cabinet de toilette. Il avait de nouveau sa haute taille maigre, sa face blÃÂȘme, coupée de plis rigides. Il étendit le bras, il fit un serment. " Je jure que vous me paierez tout ça... Oh ! je vous retrouverai, prenez garde ! " Puis, il disparut. Tout de suite, derriÚre lui, on entendit la fuite d'une jupe c'était la femme de chambre qui, par crainte d'une explication, se sauvait, trÚs égayée, à l'idée de la bonne farce. Saccard, secoué encore, piétinant, alla fermer les portes, revint dans la chambre, oÃÂč la baronne était restée ; douée sur sa chaise. Il se promena à grands pas, repoussa dans la cheminée un tison qui s'écroulait ; et, la voyant seulement alors, si singuliÚre et si peu couverte, avec ce jupon sur les épaules, il se montra trÚs convenable. " Habillez-vous donc, ma chÚre... Et ne vous émotionnez pas. C'est bÃÂȘte, mais ce n'est rien, rien du tout... Nous nous reverrons ici, aprÚs-demain, pour nous arranger, n'est-ce pas ? Moi, il faut que je file, j'ai un rendez-vous avec Huret. " Et, comme elle remettait enfin sa chemise, et qu'il partait, il lui cria de l'antichambre " Surtout, si vous achetez de l'Italien, pas de bÃÂȘtise ! ne le prenez qu'à prime. " Pendant ce temps, à la mÃÂȘme heure, Mme Caroline, la tÃÂȘte abattue sur sa table de travail, sanglotait. Le brutal renseignement du cocher, cette trahison de Saccard qu'elle ne pouvait ignorer désormais, remuait en elle tous les soupçons, toutes les craintes qu'elle avait voulu y ensevelir. Elle s'était forcée à la tranquillité et à l'espoir, dans les affaires de l'Universelle, complice, par l'aveuglement de sa tendresse, de ce qu'on ne lui disait pas, de ce qu'elle ne cherchait pas à apprendre. Aussi, maintenant, se reprochait-elle, avec un violent remords, la lettre rassurante qu'elle avait écrite à son frÚre, lors de la derniÚre assemblée générale ; car elle le savait, depuis que sa jalousie lui ouvrait de nouveau les yeux et les oreilles, les irrégularités continuaient, s'aggravaient sans cesse, ainsi le compte Sabatani avait grossi, la société jouait de plus en plus, sous le couvert de ce prÃÂȘte-nom, sans parler des réclames énormes et mensongÚres, des fondations de sable et de boue qu'on donnait à la colossale maison, dont la montée si prompte, comme miraculeuse, la frappait de plus de terreur que de joie. Ce qui surtout l'angoissait, c'était ce terrible train, ce galop continu dont on menait l'Universelle, pareille à une machine, bourrée de charbon, lancée sur des rails diaboliques, jusqu'à ce que tout crevùt et sautùt, sous un dernier choc. Elle n'était point une naïve, une nigaude, que l'on pût tromper ; mÃÂȘme ignorante de la technique des opérations de banque, elle comprenait parfaitement les raisons de ce surmenage, de cet enfiÚvrement, destiné à griser la foule, à l'entraÃner dans cette épidémique folie de la danse des millions. Chaque matin devait apporter sa hausse, il fallait faire croire toujours à plus de succÚs, à des guichets monumentaux, des guichets enchantés qui absorbaient des riviÚres, pour rendre des fleuves, des océans d'or. Son pauvre frÚre, si crédule, séduit, emporté, allait-elle donc le trahir, l'abandonner à ce flot qui menaçait, un jour, de les noyer tous ? Elle était désespérée de son inaction et de son impuissance. Cependant, le crépuscule assombrissait la salle des épures, que le foyer éteint n'éclairait mÃÂȘme pas d'un reflet ; et, dans ces ténÚbres accrues, Mme Caroline pleurait plus fort. C'était lùche de pleurer ainsi, car elle sentait bien que tant de larmes ne venaient point de son inquiétude sur les affaires de l'Universelle. Saccard, certainement, menait à lui seul le terrible galop, fouaillait la bÃÂȘte avec une férocité, une inconscience morale extraordinaire, quitte à la tuer. Il était l'unique coupable, elle avait un frisson à tùcher de lire en lui, dans cette ùme obscure d'un homme d'argent, ignorée de lui-mÃÂȘme, oÃÂč l'ombre cachait de l'ombre, l'infini boueux de toutes les déchéances. Ce qu'elle n'y distinguait pas encore nettement, elle le soupçonnait, elle en tremblait. Mais la découverte lente de tant de plaies, la crainte d'une catastrophe possible ne l'auraient pas ainsi jeté sur cette table, pleurante et sans force, l'auraient au contraire redressée, dans un besoin de lutte et de guérison. Elle se connaissait, elle était une guerriÚre. Non ! si elle sanglotait si fort, telle qu'une enfant débile, c'était qu'elle aimait Saccard et que Saccard, à cette minute mÃÂȘme, se trouvait avec une autre femme. Et cet aveu qu'elle était obligée de se faire, l'emplissait de honte, redoublait ses pleurs, au point de l'étouffer. " N'avoir pas plus de fierté, mon Dieu ! balbutiait-elle à voix haute. Etre à ce point fragile et misérable ! Ne pas pouvoir, quand on veut ! " A ce moment, dans la piÚce noire, elle eut l'étonnement d'entendre une voix. C'était Maxime qui, en familier de la maison, venait d'entrer. " Comment ! vous ÃÂȘtes sans lumiÚre, et vous pleurez ! " Confuse d'ÃÂȘtre ainsi surprise, elle s'efforça de maÃtriser ses sanglots, pendant qu'il ajoutait " Je vous demande pardon, je croyais mon pÚre revenu de la Bourse... Une dame m'a prié de le lui amener à dÃner. " Mais le valet de chambre apportait une lampe, et il se retira, aprÚs l'avoir posée sur la table. Toute la vaste piÚce s'était éclairée de la calme lumiÚre qui tombait de l'abat-jour. " Ce n'est rien, voulut expliquer Mme Caroline, un bobo de femme, moi qui suis pourtant si peu nerveuse. " Et, les yeux secs, le buste droit, elle souriait déjà , de son air héroïque de combattante. Un instant, le jeune homme la regarda, si fiÚrement redressée, avec ses grands yeux clairs, ses fortes lÚvres, son visage de bonté virile, l'épaisse couronne de ses cheveux blancs avait adouci et pénétré d'un grand charme ; et il la trouvait jeune encore, toute blanche ainsi, les dents également trÚs blanches, une femme adorable, devenue belle. Puis il songea à son pÚre, il eut un haussement d'épaules plein d'une méprisante pitié. " C'est lui, n'est-ce pas ? qui vous met dans un état pareil. " Elle voulut nier, mais elle étranglait, des larmes remontaient à ses paupiÚres. " Ah ! ma pauvre madame, je vous disais bien que vous aviez des illusions sur papa et que vous en seriez mal récompensée... C'était fatal, qu'il vous mangeùt, vous aussi ! " Alors, elle se souvint du jour oÃÂč elle était allée lui emprunter les deux mille francs, pour l'acompte sur la rançon de Victor. Ne lui avait- il pas promis de causer avec elle, lorsqu'elle voudrait savoir ? L'occasion ne s'offrait-elle pas de tout apprendre du passé ? en le questionnant ? Et un irrésistible besoin la poussait maintenant qu'elle avait commencé de descendre, il lui fallait toucher le fond. Cela seul était brave, digne d'elle, utile à tous. Mais elle répugnait à cette enquÃÂȘte, elle prit un détour, ayant l'air de rompre la conversation. " Je vous dois toujours deux mille francs, dit-elle. Vous ne m'en voulez pas trop, de vous faire attendre ? " Il eut un geste, pour lui donner tout le temps désirable. Puis, brusquement " A propos, et mon petit frÚre, ce monstre ? - Il me désole, je n'ai encore rien dit à votre pÚre... Je voudrais tant décrasser un peu le pauvre ÃÂȘtre, pour qu'on pût l'aimer ! " Un rire de Maxime l'inquiéta, et comme elle l'interrogeait des yeux " Dame ! je crois que vous prenez encore là un souci bien inutile. Papa ne comprendra guÚre toute cette peine... Il en a tant vu, des ennuis de famille ! " Elle le regardait toujours, si correct dans son égoïste jouissance de la vie, si joliment désabusé des liens humains, mÃÂȘme de ceux que crée le plaisir. Il avait souri, goûtant seul la méchanceté cachée de sa derniÚre phrase. Et elle eut conscience qu'elle touchait au secret de ces deux hommes. " Vous avez perdu votre mÚre de bonne heure ? - Oui, je l'ai à peine connue... J'étais encore à Plassans, au collÚge, lorsqu'elle est morte, ici, à Paris... Notre oncle, le docteur Pascal, a gardé là -bas avec lui ma soeur Clotilde que je n'ai jamais revue qu'une fois. - Mais votre pÚre s'est remarié ? " Il eut une hésitation. Ses yeux si clairs, si vides, s'étaient troublés d'une petite fumée rousse. " Oh ! oui, oui, remarié... La fille d'un magistrat, une Béraud du Chùtel... Renée, pas une mÚre pour moi, une bonne amie... " Puis, d'un mouvement familier, s'asseyant prÚs d'elle " Voyez-vous, il faut comprendre papa. Il n'est pas, mon Dieu ! pire que les autres. Seulement, ses enfants, ses femmes, enfin tout ce qui l'entoure, ça ne passe pour lui qu'aprÚs l'argent... Oh ! entendons- nous, il n'aime pas l'argent en avare, pour en avoir un gros tas, pour le cacher dans sa cave. Non ! s'il en veut faire jaillir de partout, s'il en puise à n'importe quelles sources, c'est pour le voir couler chez lui en torrents, c'est pour toutes les jouissances qu'il en tire, de luxe, de plaisir, de puissance... Que voulez-vous ? il a ça dans le sang, il nous vendrait, vous, moi, n'importe qui, si nous entrions dans quelque marché. Et cela en homme inconscient et supérieur, car il est vraiment le poÚte du million, tellement l'argent le rend fou et canaille, oh ! canaille dans le trÚs grand ! " C'était bien ce que Mme Caroline avait compris, et elle écoutait Maxime, en approuvant d'un hochement de tÃÂȘte. Ah ! l'argent, cet argent pourrisseur, empoisonneur, qui desséchait les ùmes, en chassait la bonté, la tendresse, l'amour des autres ! Lui seul était le grand coupable, l'entremetteur de toutes les cruautés et de toutes les saletés humaines. A cette minute, elle le maudissait, l'exécrait dans la révolte indignée de sa noblesse et de sa droiture de femme. D'un geste, si elle en avait eu le pouvoir, elle aurait anéanti tout l'argent du monde, comme on écraserait le mal d'un coup de talon, pour sauver la santé de la terre. " Et votre pÚre s'est remarié " , répéta-t-elle au bout d'un silence, d'une voix lente et embarrassée, dans un éveil confus de souvenirs. Qui donc, devant elle, avait fait allusion à cette histoire ? Elle n'aurait pu le dire une femme sans doute, quelque amie, aux premiers temps de son installation rue Saint-Lazare, lorsque le nouveau locataire était venu habiter le premier étage. Ne s'agissait-il pas d'un mariage d'argent, de quelque marché honteux conclu, et, plus tard, le crime n'était-il pas tranquillement entré dans le ménage, toléré et vivant là , un adultÚre monstrueux, touchant à l'inceste ? " Renée, reprit Maxime trÚs bas, comme malgré lui, n'avait que quelques années de plus que moi... " Il avait levé la tÃÂȘte, il regardait Mme Caroline ; et, dans un abandon subit, dans une confiance irraisonnée en cette femme, qui lui semblait si bien portante et si sage, il conta le passé, non pas en phrases suivies, mais par lambeaux, par aveux incomplets, comme involontaire, qu'elle devait coudre. Etait-ce une ancienne rancune contre son pÚre qu'il soulageait, cette rivalité qui avait existé entre eux, qui les faisait étrangers, aujourd'hui encore, sans intérÃÂȘts communs ? Il ne l'accusait pas, semblait incapable de colÚre ; mais son petit rire tournait au ricanement, il parlait de ces abominations avec la joie mauvaise et sournoise de le salir, en remuant tant de vilenies. Et ce fut ainsi que Mme Caroline apprit tout au long l'effrayante histoire Saccard vendant son nom, épousant pour de l'argent une fille séduite ; Saccard, par son argent, sa vie folle et éclatante, achevant de détraquer cette grande enfant malade ; Saccard, dans un besoin d'argent, ayant à obtenir d'elle une signature, tolérant chez lui les amours de sa femme et de son fils, fermant les yeux en bon patriarche qui veut bien qu'on s'amuse. L'argent, l'argent roi, l'argent Dieu, au- dessus du sang, au-dessus des larmes, adoré plus haut que les vains scrupules humains, dans l'infini de sa puissance ! Et, à mesure que l'argent grandissait, que Saccard se révélait à elle avec cette diabolique grandeur, Mme Caroline se trouvait prise d'une véritable épouvante, glacée, éperdue, à l'idée qu'elle était au monstre, aprÚs tant d'autres. " Voilà ! dit en s'amusant Maxime. Vous me faites de la peine, il vaut mieux que vous soyez prévenue cela ne vous fùche pas avec mon pÚre. J'en serais désolé, parce que ce serait encore vous qui en pleureriez, et pas lui... Comprenez-vous maintenant pourquoi je refuse de lui prÃÂȘter un sou ? " Comme elle ne répondait point, la gorge serrée, frappée au coeur, il se leva, donna un coup d'oeil à une glace, avec la tranquille aisance d'un joli homme, certain de sa correction dans la vie. Puis, il revint devant elle. " N'est-ce pas ? des exemples pareils vous vieillissent vite... Moi, je me suis rangé tout de suite, j'ai épousé une jeune fille qui était malade et qui est morte, je jure bien aujourd'hui qu'on ne me fera pas refaire des bÃÂȘtises... Non ! voyez-vous, papa est incorrigible, parce qu'il n'a pas de sens moral. " Il lui prit la main, la garda un instant dans la sienne, en la sentant toute froide. " Je m'en vais, puisqu'il ne rentre pas... Mais ne vous faites donc pas de chagrin ! Je vous croyais si forte ! Et dites-moi merci, car il n'y a qu'une chose de bÃÂȘte c'est d'ÃÂȘtre dupe. " Enfin il partait, lorsqu'il s'arrÃÂȘta à la porte, riant, ajoutant encore " J'oubliais, dites-lui que Mme de Jeumont veut l'avoir à dÃner... Vous savez, Mme de Jeumont, celle qui a couché avec l'empereur, pour cent mille francs... Et n'ayez pas peur car, si fou que papa soit resté, j'ose espérer qu'il n'est pas capable de payer une femme ce prix-là . " Seule, Mme Caroline ne bougea pas. Elle demeurait anéantie sur sa chaise, dans la vaste piÚce tombée à un lourd silence, regardant fixement la lampe, de ses yeux élargis. C'était comme un brusque déchirement du voile ce qu'elle n'avait pas voulu distinguer nettement jusque-là , ce qu'elle ne faisait que soupçonner en tremblant, elle le voyait à cette heure dans sa crudité affreuse, sans complaisance possible. Elle voyait Saccard à nu, cette ùme dévastée d'un homme d'argent, compliquée et trouble dans sa décomposition, il était en effet sans liens ni barriÚres, allant à ses appétits avec l'instinct déchaÃné de l'homme qui ne connaÃt d'autre borne que son impuissance. Il avait partagé sa femme avec son fils, vendu son fils, vendu sa femme, vendu tous ceux qui lui étaient tombés sous la main ; il s'était vendu lui- mÃÂȘme, et il la vendrait elle aussi, il vendrait son frÚre, battrait monnaie avec leurs coeurs et leurs cerveaux. Ce n'était plus qu'un faiseur d'argent, qui jetait à la fonte les choses et les ÃÂȘtres pour en tirer de l'argent. Dans une brÚve lucidité, elle vit l'Universelle suer l'argent de toutes parts, un lac, un océan d'argent, au milieu duquel, avec un craquement effroyable, tout d'un coup, la maison croulait à pic. Ah ! l'argent, l'horrible argent qui salit et dévore ! D'un mouvement emporté, Mme Caroline se leva. Non, non ! c'était monstrueux, c'était fini, elle ne pouvait rester davantage avec cet homme. Sa trahison, elle la lui aurait pardonnée ; mais un écoeurement la prenait de toute cette ordure ancienne, une terreur l'agitait devant la menace des crimes possibles du lendemain. Elle n'avait plus qu'à partir sur-le-champ, si elle ne voulait pas elle-mÃÂȘme ÃÂȘtre éclaboussée de boue, écrasée sous les décombres. Et le besoin lui venait d'aller loin, trÚs loin, de rejoindre son frÚre au fond de l'Orient, plus encore pour disparaÃtre que pour l'avertir. Partir, partir tout de suite ! Il n'était pas six heures, elle pouvait prendre le rapide de Marseille, à sept heures cinquante-cinq, car cela lui semblait au-dessus de ses forces de revoir Saccard. A Marseille, avant de s'embarquer, elle ferait ses achats. Rien qu'un peu de linge dans une malle, une robe de rechange, et elle partait. En un quart d'heure, elle allait ÃÂȘtre prÃÂȘte. Puis, la vue de son travail, sur la table, le mémoire commencé, l'arrÃÂȘta un instant. A quoi bon emporter cela, puisque tout devait crouler, pourri à la base ? Elle se mit pourtant à ranger avec soin les documents, les notes, par une habitude de bonne ménagÚre qui ne voulait rien laisser en désordre derriÚre elle. Cette besogne lui prit quelques minutes, calma la premiÚre fiÚvre de sa décision. Et c'était dans la pleine possession d'elle-mÃÂȘme qu'elle donnait un dernier coup d'oeil autour de la piÚce, avant de la quitter, lorsque le valet de chambre reparut et lui remit un paquet de journaux et de lettres. D'un coup d'oeil machinal, Mme Caroline regarda les suscriptions et, dans le tas, reconnut une lettre de son frÚre, qui lui était adressée. Elle arrivait de Damas, oÃÂč Hamelin se trouvait alors, pour l'embranchement projeté, de cette ville à Beyrouth. D'abord, elle commença à la parcourir, debout, prÚs de la lampe, se promettant de la lire lentement, plus tard, dans le train. Mais chaque phrase la retenait, elle ne pouvait plus sauter un mot, elle fini par se rasseoir devant la table et par se donner tout entiÚre à la lecture passionnante de cette longue lettre, qui avait douze pages. Hamelin, justement, était dans un de ses jours de gaieté. Il remerciait sa soeur des derniÚres bonnes nouvelles qu'elle lui avait adressées de Paris, et il lui envoyait des nouvelles meilleures encore de là -bas, car tout y marchait à souhait. Le premier bilan de la Compagnie générale des Paquebots réunis s'annonçait superbe, les nouveaux transports à vapeur réalisaient de grosses recettes, grùce à leur installation parfaite et à leur vitesse plus grande. En plaisantant, il disait qu'on y voyageait pour le plaisir, et il montrait les ports de la cÎte envahis par le monde de l'Occident, il racontait qu'il ne pouvait faire une course à travers les sentiers perdus, sans se trouver nez à nez avec quelque Parisien du boulevard. C'était réellement, comme il l'avait prévu, l'Orient ouvert à la France. BientÎt, des villes repousseraient aux flancs fertiles du Liban. Mais, surtout, il faisait une peinture trÚs vive de la gorge écartée du Carmel, oÃÂč la mine d'argent était en pleine exploitation. Le site sauvage s'humanisait, on avait découvert des sources dans l'écroulement gigantesque de rochers qui bouchait le vallon au nord ; et des champs se créaient, le blé remplaçait les lentisques, tandis que tout un village déjà s'était bùti prÚs de la mine, d'abord de simples cabanes de bois, un baraquement pour abriter les ouvriers, maintenant de petites maisons de pierre avec des jardins, un commencement de cité qui allait grandir, tant que les filons ne s'épuiseraient pas. Il y avait là prÚs de cinq cents habitants, une route venait d'ÃÂȘtre achevée, qui reliait le village à Saint-Jean-d'Acre Du matin au soir, les machines d'extraction ronflaient, des chariots s'ébranlaient au claquement des fouets sonores, des femmes chantaient, des enfants jouaient et criaient, dans ce désert, dans ce silence de mort oÃÂč seuls les aigles autrefois mettaient le bruit lent de leurs ailes. Et les myrtes et les genÃÂȘts embaumaient toujours l'air tiÚde, d'une délicieuse pureté. Enfin, Hamelin ne tarissait pas sur la premiÚre ligne ferrée qu'il devait ouvrir, de Brousse à Beyrouth, par Angora et Alep. Toutes les formalités étaient terminées à Constantinople ; certaines modifications heureuses qu'il avait fait subir au tracé, pour le passage difficile des cols du Taurus, l'enchantaient ; et il parlait de ces cols, des plaines qui s'étendaient au pied des montagnes, avec le ravissement d'un homme de science qui y avait trouvé de nouvelles mines de charbon et qui croyait voir le pays se couvrir d'usines. Ses points de repÚre étaient posés, les emplacements des stations choisis, quelques-uns en pleine solitude une ville ici, une ville plus loin, des villes naÃtraient autour de chacune des stations, au croisement des routes naturelles. Déjà la moisson des hommes et des grandes choses futures était semée, tout germait, ce serait avant quelques années un monde nouveau. Et il finissait en embrassant bien tendrement sa soeur adorée, heureux de l'associer à cette résurrection d'un peuple, lui disant qu'elle y serait pour beaucoup, elle qui depuis si longtemps l'aidait de sa bravoure et de sa belle santé. Mme Caroline avait achevé sa lecture, la lettre restait ouverte sur la table, et elle songeait, les yeux de nouveau sur la lampe. Puis, machinalement, ses regards se levÚrent, firent le tour des murs, s'arrÃÂȘtant à chacun des plans, à chacune des aquarelles. A Beyrouth, le pavillon pour le directeur de la Compagnie des Paquebots réunis était à cette heure construit, au milieu de vastes magasins. Au mont Carmel, c'était ce fond de gorge sauvage, obstrué de broussailles et de pierres, qui se peuplait, pareil au nid gigantesque d'une population naissante. Dans le Taurus, ces nivellements, ces profils changeaient les horizons, ouvraient un chemin au libre commerce. Et, devant elle, de ces feuilles aux lignes géométriques, aux teintes lavées, que quatre pointes simplement clouaient, toute une évocation surgissait du lointain pays parcouru autrefois, tant aimé pour son beau ciel éternellement bleu, pour sa terre si fertile. Elle revoyait les jardins étagés de Beyrouth, les vallées du Liban aux grands bois d'oliviers et de mûriers, les plaines d'Antioche et d'Alep, immenses vergers de fruits délicieux. Elle se revoyait avec son frÚre en continuelles courses par cette merveilleuse contrée, dont les richesses incalculables se perdaient, ignorées ou gùchées, sans routes, sans industrie ni agriculture, sans écoles, dans la paresse et l'ignorance. Mais tout cela, maintenant, se vivifiait, sous une extraordinaire poussée de sÚve jeune. L'évocation de cet Orient de demain dressait déjà devant ses yeux des cités prospÚres, des campagnes cultivées, toute une humanité heureuse. Et elle les voyait, et elle entendait la rumeur travailleuse des chantiers, et elle constatait que cette vieille terre endormie, réveillée enfin, venait d'entrer en enfantement. Alors, Mme Caroline eut la brusque conviction que l'argent était le fumier dans lequel poussait cette humanité de demain. Des phrases de Saccard lui revenaient, des lambeaux de théories sur la spéculation. Elle se rappelait cette idée que, sans la spéculation, il n'y aurait pas de grandes entreprises vivantes et fécondes, pas plus qu'il n'y aurait d'enfants, sans la luxure. Il faut cet excÚs de la passion, toute cette vie bassement dépensée et perdue, à la continuation mÃÂȘme de la vie. Si, là -bas, son frÚre s'égayait, chantait victoire, au milieu des chantiers qui s'organisaient, des constructions qui sortaient du sol, c'était qu'à Paris l'argent pleuvait, pourrissait tout, dans la rage du jeu. L'argent, empoisonneur et destructeur, devenait le ferment de toute végétation sociale, servait de terreau nécessaire aux grands travaux dont l'exécution rapprocherait les peuples et pacifierait la terre. Elle avait maudit l'argent, elle tombait maintenant devant lui dans une admiration effrayée lui seul n'était-il pas la force qui peut raser une montagne, combler un bras de mer, rendre la terre enfin habitable aux hommes, soulagés du travail, désormais simples conducteurs de machines ? Tout le bien naissait de lui, qui faisait tout le mal. Et elle ne savait plus, ébranlée jusqu'au fond de son ÃÂȘtre, décidée déjà à ne pas partir, puisque le succÚs paraissait complet en Orient et que la bataille était à Paris, mais incapable encore de se calmer, le coeur saignant toujours. Mme Caroline se leva, vint appuyer son front à la vitre d'une des fenÃÂȘtres qui donnaient sur le jardin de l'hÎtel Beauvilliers. La nuit s'était faite, elle ne distinguait qu'une faible lueur dans la petite piÚce écartée oÃÂč la comtesse et sa fille vivaient, pour ne rien salir et ne pas dépenser de feu. Vaguement, derriÚre la mince mousseline des rideaux, elle distinguait le profil de la comtesse, raccommodant elle- mÃÂȘme quelque nippe, tandis qu'Alice peignait des aquarelles, bùclées à la douzaine, qu'elle devait vendre en cachette. Un malheur leur était arrivé, une maladie de leur cheval, qui pendant deux semaines les avait clouées chez elles, entÃÂȘtées à ne pas ÃÂȘtre vues à pied, et reculant devant une location. Mais, dans cette gÃÂȘne si héroïquement cachée, un espoir désormais les tenait debout, plus vaillantes, la hausse continue des actions de l'Universelle, ce gain déjà trÚs gros, qu'elles voyaient resplendir et tomber en pluie d'or, le jour oÃÂč elles réaliseraient, au cours le plus élevé. La comtesse se promettait une robe vraiment neuve, rÃÂȘvait de donner quatre dÃners par mois, l'hiver, sans se mettre pour cela au pain et à l'eau pendant quinze jours. Alice ne riait plus, de son air d'indifférence affectée, lorsque sa mÚre lui parlait mariage, l'écoutait avec un léger tremblement des mains, en commençant à croire que cela se réaliserait peut-ÃÂȘtre, qu'elle pourrait avoir, elle aussi, un mari et des enfants. Et Mme Caroline, à regarder brûler la petite lampe qui les éclairait, sentait monter vers elle un grand calme, un attendrissement, frappée de cette remarque que l'argent encore, rien qu'un espoir d'argent, suffisait au bonheur de ces pauvres créatures. Si Saccard les enrichissait, ne le béniraient-elles pas, ne resterait-il pas, pour elles deux, charitable et bon ? La bonté était donc partout, mÃÂȘme chez les pires, qui sont toujours bons pour quelqu'un, qui ont toujours, au milieu de l'exécration d'une foule, d'humbles voix isolées les remerciant et les adorant. A cette réflexion, sa pensée, tandis que ses yeux s'aveuglaient sur les ténÚbres du jardin, s'en était allée vers l'Oeuvre du Travail. La veille, de la part de Saccard, elle y avait distribué des jouets et des dragées, en réjouissance d'un anniversaire ; et elle souriait involontairement, au souvenir de la joie bruyante des enfants. Depuis un mois, on était plus content de Victor, elle avait lu des notes satisfaisantes chez la princesse d'Orviedo, avec laquelle, deux fois par semaine, elle causait longuement de la maison. Mais, à cette image de Victor, qui tout d'un coup apparaissait, elle s'étonnait de l'avoir oublié, dans sa crise de désespoir, lorsqu'elle voulait partir. Aurait-elle pu l'abandonner ainsi, compromettre la bonne action menée avec tant de peine ? De plus en plus pénétrante, une douceur montait de l'obscurité des grands arbres, un flot d'ineffable renoncement, de tolérance divine qui lui élargissait le coeur ; tandis que la petite lampe pauvre des dames de Beauvilliers continuait à briller là -bas, comme une étoile. Lorsque Mme Caroline revint devant sa table, elle eut un léger frisson. Quoi donc ? elle avait froid ! Et cela l'égaya, elle qui se vantait de passer l'hiver sans feu. Elle était comme au sortir d'un bain glacé, rajeunie et forte, le pouls trÚs calme. Les matins de belle santé, elle se levait ainsi. Puis, elle eut l'idée de remettre une bûche dans la cheminée ; et, en voyant que le feu était mort, elle s'amusa à le rallumer elle-mÃÂȘme, sans vouloir sonner le domestique. Ce fut tout un travail, elle n'avait pas de petit bois, elle parvint à embraser les bûches, simplement avec de vieux journaux, qu'elle brûlait un à un. A genoux devant l'ùtre, elle en riait toute seule. Un instant, elle resta là , heureuse et surprise. Voilà donc qu'une de ses grandes crises était encore passée, elle espérait de nouveau, quoi ? elle n'en savait toujours rien, l'éternel inconnu qui était au bout de la vie, au bout de l'humanité. Vivre, cela devait suffire, pour que la vie lui apportùt sans cesse la guérison des blessures que la vie lui faisait. Une fois de plus, elle se rappelait les débùcles de son existence, son mariage affreux, sa misÚre à Paris, son abandon par le seul homme qu'elle eût aimé ; et, à chaque écroulement, elle retrouvait la vivace énergie, la joie immortelle qui la remettait debout, au milieu des ruines. Tout ne venait-il pas de crouler ? Elle restait sans estime pour son amant, en face de son effroyable passé, comme de saintes femmes sont devant les plaies immondes qu'elles pansent matin et soir, sans compter les cicatriser jamais. Elle allait continuer à lui appartenir, en le sachant à d'autres, en ne cherchant mÃÂȘme pas à le leur disputer. Elle allait vivre dans un brasier, dans la forge haletante de la spéculation, sous l'incessante menace d'une catastrophe finale, oÃÂč son frÚre pouvait laisser son honneur et son sang. Et elle était quand mÃÂȘme debout, presque insouciante, ainsi qu'au matin d'un beau jour, goûtant à faire face au danger une allégresse de bataille. Pourquoi ? pour rien raisonnablement, pour le plaisir d'ÃÂȘtre ! Son frÚre le lui disait, elle était l'invincible espoir. Saccard, lorsqu'il rentra, vit Mme Caroline enfoncée dans son travail, achevant, de sa ferme écriture, une page du mémoire sur les chemins de fer d'Orient. Elle leva la tÃÂȘte, lui sourit d'un air paisible, tandis qu'il effleurait des lÚvres sa belle et rayonnante chevelure blanche. " Vous avez beaucoup couru, mon ami ? - Oh ! des affaires à n'en plus finir ! J'ai vu le ministre des Travaux publics, j'ai fini par rejoindre Huret, j'ai dû retourner chez le ministre, oÃÂč il n'y avait plus qu'un secrétaire... Enfin, j'ai la promesse pour là -bas. " En effet, depuis qu'il avait quitté la baronne Sandorff, il ne s'était plus arrÃÂȘté, tout aux affaires, dans son emportement de zÚle accoutumé. Elle lui remit la lettre d'Hamelin, qui l'enchanta ; et elle le regardait exulter du prochain triomphe, en se disant que, désormais, elle le surveillerait de prÚs, afin d'empÃÂȘcher les folies certaines. Pourtant, elle ne parvenait pas à lui ÃÂȘtre sévÚre. " Votre fils est venu vous inviter, au nom de Mme de Jeumont. " Il se récria. " Mais elle m'a écrit !... J'ai oublié de vous dire que j'y allais ce soir... Ce que cela m'assomme, fatigué comme je suis ! " Et il partit, aprÚs avoir de nouveau baisé ses cheveux blancs. Elle se remit à son travail, avec son sourire amical, plein d'indulgence. N'était-elle pas seulement une amie qui se donnait ? La jalousie lui causait une honte, comme si elle eût sali davantage leur liaison. Elle voulait ÃÂȘtre supérieure à l'angoisse du partage, dégagée de l'égoïsme charnel de l'amour. Etre à lui, le savoir à d'autres, cela n'avait pas d'importance. Et elle l'aimait pourtant, de tout son coeur courageux et charitable. C'était l'amour triomphant, ce Saccard, ce bandit du trottoir financier, aimé si absolument par cette adorable femme, parce qu'elle le voyait, actif et brave, créer un monde, faire de la vie. VIII - Ce fut le 1er avril que l'Exposition universelle de 1867 ouvrit, au milieu de fÃÂȘtes, avec un éclat triomphal. La grande saison de l'empire commençait, cette saison de l'empire commençait, cette saison de gala suprÃÂȘme, qui allait faire de Paris l'auberge du monde, auberge pavoisée, pleine de musiques et de chants, oÃÂč l'on mangeait, oÃÂč l'on forniquait dans toutes les chambres. Jamais rÚgne, à son apogée, n'avait convoqué les nations à une si colossale ripaille. Vers les Tuileries flamboyantes, dans une apothéose de féerie, le long défilé des empereurs, des rois et des princes, se mettait en marche des quatre coins de la terre. Et ce fut à la mÃÂȘme époque, quinze jours plus tard, que Saccard inaugura l'hÎtel monumental qu'il avait voulu, pour y loger royalement l'Universelle. Six mois venaient de suffire, on avait travaillé jour et nuit, sans perdre une heure, faisant ce miracle qui n'est possible qu'à Paris ; et la façade se dressait, fleurie d'ornements, tenant du temple et du café-concert, une façade dont le luxe étalé arrÃÂȘtait le monde sur le trottoir. A l'intérieur, c'était une somptuosité, les millions des caisses ruisselant le long des murs. Un escalier d'honneur conduisait à la salle du conseil, rouge et or, d'une splendeur de salle d'opéra. Partout, des tapis, des tentures, des bureaux installés avec une richesse d'ameublement éclatante. Dans le sous-sol, oÃÂč se trouvait le service des titres, des coffres-forts étaient scellés, immenses, ouvrant des gueules profondes de four, derriÚre les glaces sans tain des cloisons, qui permettaient au public de les voir, rangés comme les tonneaux des contes, oÃÂč dorment les trésors incalculables des fées. Et les peuples avec leurs rois, en marche vers l'Exposition, pouvaient venir et défiler là c'était prÃÂȘt, l'hÎtel neuf les attendait, pour les aveugler, les prendre un à un à cet irrésistible piÚge de l'or, flambant au grand soleil. Saccard trÎnait dans le cabinet le plus somptueusement installé, un meuble Louis XIV, à bois doré, recouvert de velours de GÃÂȘnes. Le personnel venait d'ÃÂȘtre augmenté encore, il dépassait quatre cents employés ; et c'était maintenant à cette armée que Saccard commandait, avec un faste de tyran adoré et obéi, car il se montrait trÚs large de gratifications. En réalité, malgré son simple titre de directeur, il régnait, au-dessus du président du conseil, au-dessus du conseil d'administration lui-mÃÂȘme, qui ratifiait simplement ses ordres. Aussi Mme Caroline vivait-elle désormais dans une continuelle alerte, trÚs occupée à connaÃtre chacune de ses décisions, pour tùcher de se mettre en travers, s'il le fallait. Elle désapprouvait cette nouvelle installation, beaucoup trop magnifique, sans pouvoir cependant la blùmer en principe, ayant reconnu la nécessité d'un local plus vaste, aux beaux jours de tendre confiance, lorsqu'elle plaisantait son frÚre qui s'inquiétait. Sa crainte avouée, son argument, pour combattre tout ce luxe, était que la maison y perdait son caractÚre de probité décente, de haute gravité religieuse. Que penseraient les clients habitués à la discrétion monacale, au demi-jour recueilli du rez-de-chaussée de la rue Saint-Lazare, lorsqu'ils entreraient dans ce palais de la rue de Londres, aux grands étages égayés de bruits, inondés de lumiÚre ? Saccard répondait qu'ils seraient foudroyés d'admiration et de respect, que ceux qui apportaient cinq francs, en tireraient dix de leur poche, saisis d'amour-propre, grisés de confiance. Et ce fut lui, dans sa brutalité du clinquant, qui eut raison. Le succÚs de l'hÎtel était prodigieux, dépassait en vacarme efficace les plus extraordinaires réclames de Jantrou. Les petits rentiers dévots des quartiers tranquilles, les pauvres prÃÂȘtres de campagne débarqués le matin du chemin de fer, bùillaient de béatitude devant la porte, en ressortaient rouges du plaisir d'avoir des fonds là -dedans. A la vérité, ce qui contrariait surtout Mme Caroline, c'était de ne plus pouvoir ÃÂȘtre toujours dans la maison mÃÂȘme, à exercer sa surveillance. A peine lui était-il permis de se rendre rue de Londres, de loin en loin, sous un prétexte. Elle vivait seule à présent, dans la salle des épures, elle ne voyait guÚre Saccard que le soir. Il avait garde là son appartement, mais tout le rez-de-chaussée restait fermé, ainsi que les bureaux du premier étage ; et la princesse d'Orviedo, heureuse au fond de ne plus avoir le sourd remords de cette banque, cette boutique d'argent installée chez elle, ne cherchait pas mÃÂȘme à louer, avec son insouciance voulue de tout gain, mÃÂȘme légitime. La maison vide, résonnante à chaque voiture qui passait, semblait un tombeau. Mme Caroline n'entendait plus, au travers des plafonds, monter que ce silence frissonnant des guichets clos, d'oÃÂč, sans relùche, pendant deux années, il lui était venu un léger tintement d'or. Les journées lui en paraissaient plus lourdes et plus longues. Elle travaillait pourtant beaucoup, toujours occupée par son frÚre, qui, d'Orient, lui envoyait des tùches d'écritures. Mais, parfois, dans son travail elle s'arrÃÂȘtait, écoutait ; prise d'une anxiété instinctive, ayant besoin de savoir ce qui se passait en bas ; et rien, pas un souffle, l'anéantissement des salles déménagées, vides, noires, fermées à double tour. Alors, un petit froid la prenait, elle s'oubliait quelques minutes, inquiÚte. Que faisait-on, rue de Londres ? n'était-ce point à cette seconde précise, que se produisait la lézarde dont périrait l'édifice ? Le bruit se répandit, vague et léger encore, que Saccard préparait une nouvelle augmentation du capital. De cent millions, il voulait le porter à cent cinquante. C'était une heure de particuliÚre excitation, l'heure fatale oÃÂč toutes les prospérités du rÚgne, les immenses travaux qui avaient transformé la ville, la circulation enragée de l'argent, les furieuses dépenses du luxe, devaient aboutir à une fiÚvre chaude de la spéculation. Chacun voulait sa part, risquait sa fortune sur le tapis vert, pour se décupler et jouir, comme tant d'autres, enrichis en une nuit. Les drapeaux de l'Exposition qui claquaient au soleil les illuminations et les musiques du Champ-de-Mars, les foules du monde entier inondant les rues, achevaient de griser Paris, dans un rÃÂȘve d'inépuisable richesse et de souveraine domination. Par les soirées claires, de l'énorme cité en fÃÂȘte, attablée dans les restaurants exotiques, changée en foire colossale oÃÂč le plaisir se vendait libre ment sous les étoiles, montait le suprÃÂȘme coup de démence, la folie joyeuse et vorace des grandes capitales menacées de destruction. Et Saccard, avec son flair de coupeur de bourses, avait tellement bien senti chez tous cet accÚs, ce besoin de jeter au vent son argent, de vider ses poches et son corps, qu'il venait de doubler les fonds destinés à la publicité, en excitant Jantrou au plus assourdissant des tapages. Depuis l'ouverture de l'Exposition, tous les jours, c'étaient, dans la presse, des volées de cloche en faveur de l'Universelle. Chaque matin amenait son coup de cymbales, pour faire retourner le monde un fait divers extraordinaire, l'histoire d'une dame qui avait oublié cent actions dans un fiacre ; un extrait d'un voyage en Asie Mineure, oÃÂč il était expliqué que Napoléon avait prédit la maison de la rue de Londres ; un grand article de tÃÂȘte, oÃÂč, politiquement, le rÎle de cette maison était d'Orient ; sans compter les notes continuelles des journaux jugé par rapport à la solution prochaine de la question spéciaux, tous embrigadés, marchant en masse compacte. Jantrou avait imaginé, avec les petites feuilles financiÚres, des traités à l'année, qui lui assuraient une colonne dans chaque numéro ; et il employait cette colonne, avec une fécondité, une variété d'imagination étonnantes, allant jusqu'à attaquer, pour le triomphe de vaincre ensuite. La fameuse brochure qu'il méditait venait d'ÃÂȘtre lancée par le monde entier, à un million d'exemplaires. Son agence nouvelle était également créée, cette agence qui, sous le prétexte d'envoyer un bulletin financier aux journaux de province, se rendait maÃtresse absolue du marché de toutes les villes importantes. Et L'Espérance enfin, habilement conduite, prenait de jour en jour une importance politique plus grande. On y avait beaucoup remarqué une série d'articles, à la suite du décret du 19 janvier, qui remplaçait l'adresse par le droit d'interpellation, nouvelle concession de l'empereur, en marche vers la liberté. Saccard, qui les inspirait, n'y faisait pas encore attaquer ouvertement son frÚre, resté ministre d'Etat quand mÃÂȘme, résigné, dans sa passion du pouvoir, à défendre aujourd'hui ce qu'il condamnait hier ; mais on l'y sentait aux aguets, surveillant la situation fausse de Rougon, pris à la Chambre entre le tiers parti affamé de son héritage, et les cléricaux, ligués avec les bonapartistes autoritaires contre l'empire libéral ; et les insinuations commençaient déjà , le journal redevenait catholique militant, se montrait plein d'aigreur, à chacun des actes du ministre. L'Espérance passée à l'opposition, c'était la popularité, un vent de fronde achevant de lancer le nom de l'Universelle aux quatre coins de la France et du monde. Alors, sous cette poussée formidable de publicité, dans ce milieu exaspéré, mûr pour toutes les folies, l'augmentation probable du capital, cette rumeur d'une émission nouvelle de cinquante millions, acheva d'enfiévrer les plus sages. Des humbles logis aux hÎtels aristocratiques, de la loge des concierges au salon des duchesses, les tÃÂȘtes prenaient feu, l'engouement tournait à la foi aveugle, héroïque et batailleuse. On énumérait les grandes choses déjà faites par l'Universelle, les premiers succÚs foudroyants, les dividendes inespérés, tels qu'aucune autre société n'en avait distribué à ses débuts. On rappelait l'idée si heureuse de la Compagnie des Paquebots réunis, si prompte en magnifiques résultats, cette Compagnie dont les actions faisaient déjà cent francs de prime ; et la mine d'argent du Carmel, d'un produit miraculeux, à laquelle un orateur sacré, lors du dernier carÃÂȘme de Notre-Dame, avait fait une allusion, en parlant d'un cadeau de Dieu à la chrétienté confiante ; et une autre société créée pour l'exploitation d'immenses gisements de houille, et celle qui allait mettre en coupes réglées les vastes forÃÂȘts du Liban, et la fondation de la Banque nationale turque, à Constantinople, d'une solidité inébranlable. Pas un échec, un bonheur croissant qui changeait en or tout ce que la maison touchait, déjà un large ensemble de créations prospÚres donnant une base solide aux opérations futures, justifiant l'augmentation rapide du capital. Puis, c'était l'avenir qui s'ouvrait devant les imaginations surchauffées, cet avenir si gros d'entreprises plus considérables encore, qu'il nécessitait la demande des cinquante millions, dont l'annonce suffisait à bouleverser ainsi les cervelles. Là , le champ des bruits de Bourse et de salons était sans limite, mais la grande affaire prochaine de la Compagnie des chemins de fer d'Orient se détachait au milieu des autres projets, occupait toutes les conversations, niée par les uns, exaltée par les autres. Les femmes surtout se passionnaient, faisaient en faveur de l'idée une propagande enthousiaste. Dans des coins de boudoir, aux dÃners de gala, derriÚre les jardiniÚres en fleur, à l'heure tardive du thé, jusqu'au fond des alcÎves, il y avait des créatures charmantes, d'une cùlinerie persuasive, qui catéchisaient les hommes " Comment, vous n'avez pas de l'Universelle ? Mais il n'y a que ça ! achetez vite de l'Universelle, si vous voulez qu'on vous aime ! " C'était la nouvelle Croisade, comme elles disaient, la conquÃÂȘte de l'Asie, que les croisés de Pierre l'Ermite et de Saint Louis n'avaient pu faire, et dont elles se chargeaient, elles, avec leurs petites bourses d'or. Toutes affectaient d'ÃÂȘtre bien renseignées, parlaient en termes techniques de la ligne mÚre qu'on allait ouvrir d'abord, de Brousse à Beyrouth par Angora et Alep. Plus tard, viendrait l'embranchement de Smyrne à Angora ; plus tard, celui de Trébizonde à Angora, par Erzeroum et Sivas ; plus tard encore, celui de Damas à Beyrouth. Et elles souriaient, clignaient les yeux, chuchotaient qu'il y en aurait un autre peut-ÃÂȘtre, oh ! dans longtemps, de Beyrouth à Jérusalem, par les anciennes villes du littoral, Saida, Saint-Jean-d'Acre, Jaffa, puis, mon Dieu ! qui sait ? de Jérusalem à Port-Saïd et à Alexandrie. Sans compter que Bagdad n'était pas loin de Damas, et que, si une ligne ferrée était poussée jusque-là , ce serait un jour la Perse, l'Inde, la Chine, acquises à l'Occident. Il semblait que, sur un mot de leurs jolies bouches, les trésors retrouvés des califes resplendissaient, dans un conte merveilleux des Mille et une Nuits. Les bijoux, les pierreries du rÃÂȘve, pleuvaient dans les caisses de la rue de Londres, tandis que fumait l'encens du Carmel, un fond délicat et vague de légendes bibliques, qui divinisait les gros appétits de gain. N'était-ce pas l'Eden reconquis, la Terre sainte délivrée, la religion triomphante, au berceau mÃÂȘme de l'humanité ? Et elles s'arrÃÂȘtaient, refusaient d'en dire davantage, les regards brillant de ce qu'il fallait cacher. Cela ne se confiait mÃÂȘme pas à l'oreille. Beaucoup d'entre elles l'ignoraient, affectaient de le savoir. C'était le mystÚre, ce qui n'arriverait peut-ÃÂȘtre jamais, et qui peut-ÃÂȘtre éclaterait un jour comme un coup de foudre Jérusalem rachetée au sultan, donnée au pape, avec la Syrie pour royaume ; la papauté ayant un budget fourni par une banque catholique, le Trésor du Saint-Sépulcre, qui la mettrait à l'abri des perturbations politiques ; enfin, le catholicisme rajeuni, dégagé des compromissions, retrouvant une autorité nouvelle, dominant le monde, du haut de la montagne oÃÂč le Christ a expiré. Maintenant, le matin, Saccard, dans son luxueux cabinet Louis XIV, était obligé de défendre sa porte, lorsqu'il voulait travailler ; car c'était un assaut, le défilé d'une cour venant comme au lever d'un roi, des courtisans, des gens d'affaires, des solliciteurs, une adoration et une mendicité effrénées autour de la toute-puissance. Un matin des premiers jours de juillet surtout, il se montra impitoyable, ayant donné l'ordre formel de n'introduire personne. Pendant que l'antichambre regorgeait de monde, d'une foule qui s'entÃÂȘtait, malgré l'huissier, attendant, espérant quand mÃÂȘme, il s'était enfermé avec deux chefs de service pour achever d'étudier l'émission nouvelle. AprÚs l'examen de plusieurs projets, il venait de se décider en faveur d'une combinaison qui, grùce à cette émission nouvelle de cent mille actions, devait permettre de libérer complÚtement les deux cent mille actions anciennes, sur lesquelles cent vingt-cinq francs seulement avaient été versés ; et, afin d'arriver à ce résultat, l'action réservée aux seuls actionnaires à raison d'un titre nouveau pour deux titres anciens ; serait émise à huit cent cinquante francs, immédiatement exigibles, dont cinq cents francs pour le capital et une prime de trois cent cinquante francs pour la libération projetée. Mais des complications se présentaient, il y avait encore tout un trou à boucher, ce qui rendait Saccard trÚs nerveux. Le bruit des voix, dans l'antichambre, l'irritait. Ce Paris à plat ventre, ces hommages qu'il recevait d'habitude avec une bonhomie de despote familier, l'emplissaient de mépris, ce jour-là . Et Dejoie, qui parfois lui servait d'huissier le matin, s'étant permis de faire le tour et d'apparaÃtre par une petite porte du couloir, il l'accueillit furieusement. " Quoi ? Je vous ai dit personne, personne, entendez-vous !... Tenez ! prenez ma canne, plantez-la à ma porte, et qu'il la baisent ! " Dejoie, impassible, se permit d'insister. " Pardon, monsieur, c'est la comtesse de Beauvilliers. Elle m'a supplié, et comme je sais que monsieur veut lui ÃÂȘtre agréable... - Eh ! cria Saccard emporté, qu'elle aille au diable avec les autres ! " Mais tout de suite il se ravisa, d'un geste de colÚre émue. " Faites-la entrer, puisqu'il est dit qu'on ne me fichera pas la paix !... Et par cette petite porte, pour que le troupeau n'entre pas avec elle. " L'accueil que Saccard fit à la comtesse de Beauvilliers fut d'une brusquerie d'homme tout secoué encore. La vue d'Alice, qui accompagnait sa mÚre, de son air muet et profond, ne le calma mÃÂȘme pas. Il avait renvoyé les deux chefs de service, il ne songeait qu'à les rappeler pour continuer son travail. " Je vous en prie, madame, dites vite, car je suis horriblement pressé. " La comtesse s'arrÃÂȘta, surprise, toujours lente, avec sa tristesse de reine déchue. " Mais, monsieur, si je vous dérange... " Il dut leur indiquer des siÚges ; et la jeune fille, plus brave, s'assÃt la premiÚre, d'un mouvement résolu, tandis que la mÚre reprenait " Monsieur, c'est pour un conseil... Je suis dans l'hésitation la plus douloureuse, je sens que je ne me déciderai jamais toute seule... " Et elle lui rappela qu'à la fondation de la banque, elle avait pris cent actions, qui, doublées, lors de la premiÚre augmentation du capital et doublées encore lors de la seconde, faisaient aujourd'hui un total de quatre cents actions, sur lesquelles elle avait versé, primes comprises, la somme de quatre-vingt-sept mille francs. En dehors de ses vingt mille francs d'économies, elle avait donc dû, pour payer cette somme, emprunter soixante-dix mille francs sur sa ferme des Aublets. " Or, continua-t-elle, je trouve aujourd'hui un acquéreur pour les Aublets... Et, n'est-ce pas ? il est question d'une émission nouvelle, de sorte que je pourrais peut-ÃÂȘtre placer toute notre fortune dans votre maison. " Saccard s'apaisait, flatté de voir les deux pauvres femmes, les derniÚres d'une grande et antique race, si confiantes, si anxieuses devant lui. Rapidement, avec des chiffres, il les renseigna. " Une nouvelle émission, parfaitement, je m'en occupe... L'action sera de huit cent cinquante francs, avec la prime... Voyons, nous disons que vous avez quatre cents actions. Il va donc vous en ÃÂȘtre attribué deux cents, ce qui vous obligera à un versement de cent soixante-dix mille francs. Mais tous vos titres seront libérés, vous aurez six cents actions bien à vous, ne devant rien à personne. " Elles ne comprenaient pas, il dut leur expliquer cette libération des titres, à l'aide de la prime ; et elles restaient un peu pùles, devant ces gros chiffres, oppressées à l'idée du coup d'audace qu'il fallait risquer. " Comme argent, murmura enfin la mÚre, ce serait bien cela... On m'offre deux cent quarante mille francs des Aublets, qui en valaient autrefois quatre cent mille ; de sorte que, lorsque nous aurions remboursé la somme empruntée déjà , il nous resterait juste de quoi faire le versement... Mais, mon Dieu ! quelle terrible chose, cette fortune déplacée, toute notre existence jouée ainsi ! " Et ses mains tremblaient, il y eut un silence, pendant lequel elle songeait à cet engrenage qui lui avait pris d'abord ses économies, puis les soixante-dix mille francs empruntés, et qui menaçait maintenant de lui prendre la ferme entiÚre. Son ancien respect de la fortune domaniale, en labours, en prés, en forÃÂȘts, sa répugnance pour le trafic sur l'argent, cette basse besogne de juifs, indigne de sa race, revenaient et l'angoissaient, à cette minute décisive oÃÂč tout allait ÃÂȘtre consommé. Muette, sa fille la regardait, de ses yeux ardents et purs. Saccard eut un sourire encourageant. " Dame ! il est bien certain qu'il faut que vous ayez confiance en nous... Seulement, les chiffres sont là . Examinez-les, et toute hésitation me semble dÚs lors impossible... Admettons que vous fassiez l'opération, vous avez donc six cents actions, qui, libérées, vous ont coûté la somme de deux cent cinquante-sept mille francs. Or, elles sont aujourd'hui au cours moyen de treize cents francs, ce qui vous fait un total de sept cent quatre-vingt mille francs. Déjà , vous avez plus que triplé votre argent... Et ça continuera, vous verrez la hausse, aprÚs l'émission ! Je vous promets le million avant la fin de l'année. - Oh ! maman ! " laissa échapper Alice, dans un soupir, comme malgré elle. Un million ! L'hÎtel de la rue Saint-Lazare débarrassé de ses hypothÚques, nettoyé de sa crasse de misÚre ! Le train de maison remis sur un pied convenable, tiré de ce cauchemar des gens qui ont voiture et qui manquent de pain ! La fille mariée avec une dot décente, pouvant avoir enfin un mari et des enfants, cette joie que se permet la derniÚre pauvresse des rues ! Le fils, que le climat de Rome tuait, soulagé là - bas, mis en état de tenir son rang, en attendant de servir la grande cause, qui l'utilisait si peu ! La mÚre rétablie en sa haute situation, payant son cocher, ne lésinant plus pour ajouter un plat à ses dÃners du mardi, et ne se condamnant plus au jeûne pour le reste de la semaine ! Ce million flambait, était le salut, le rÃÂȘve. La comtesse, conquise, se tourna vers sa fille, pour l'associer à sa volonté. " Voyons, qu'en penses-tu ? " Mais celle-ci ne disait plus rien, fermait lentement les paupiÚres, éteignant l'éclat de ses yeux. " C'est vrai, reprit la mÚre, souriante à son tour, j'oublie que tu veux me laisser maÃtresse absolue... Mais je sais combien tu es brave et tout ce que tu espÚres... " Et, s'adressant à Saccard " Ah ! monsieur, on parle de vous avec tant d'éloges !... Nous ne pouvons aller nulle part, sans qu'on nous raconte des choses trÚs belles, trÚs touchantes. Ce n'est pas seulement la princesse d'Orviedo, ce sont toutes mes amies qui sont enthousiastes de votre oeuvre. Beaucoup me jalousent d'ÃÂȘtre de vos premiÚres actionnaires, et si on les écoutait, on vendrait jusqu'à ses matelas, pour prendre de vos actions. " Elle plaisantait doucement. " Je les trouve mÃÂȘme un peu folles, oui ! un peu folles, oui ! C'est sans doute que je ne suis plus assez jeune... Ma fille est une de vos admiratrices. Elle croit en votre mission, elle fait de la propagande dans tous les salons oÃÂč je la mÚne. Charmé, Saccard, regarda Alice, et elle était en ce moment si animée, si vibrante de foi, qu'elle lui parut vraiment trÚs jolie, malgré son teint jaune et son cou trop mince, déjà fané. Aussi se trouvait-il grand et bon, à l'idée d'avoir fait le bonheur de cette triste créature, que l'espoir d'un mari suffisait à embellir. " Oh ! d'une voix basse et comme lointaine, c'est si beau, cette conquÃÂȘte, là -bas... Oui, une Úre nouvelle, la croix rayonnante... " C'était le mystÚre, ce que personne ne disait ; et sa voix baissait encore, se perdait en un souffle de ravissement. Lui, d'ailleurs, la faisait taire d'un geste amical ; car il ne tolérait pas qu'on parlùt en sa présence de la grande chose, le but suprÃÂȘme et caché. Son geste enseignait qu'il fallait toujours y tendre, mais n'en jamais ouvrir les lÚvres. Dans le sanctuaire, les encensoirs se balançaient, aux mains des quelques initiés. AprÚs un silence attendri, la comtesse se leva enfin. " Eh bien, monsieur, je suis convaincue, je vais écrire à mon notaire que j'accepte l'offre qui se présente pour les Aublets... Que Dieu me pardonne si je fais mal ! " Saccard, debout, déclara avec une gravité émue " C'est Dieu lui-mÃÂȘme qui vous inspire, madame, soyez-en certaine. " Et, comme il les accompagnait jusque dans le couloir, évitant l'antichambre, oÃÂč l'entassement continuait, il rencontra Dejoie, qui rÎdait, l'air gÃÂȘné. " Qu'y a-t-il ? Ce n'est pas quelqu'un encore, j'imagine ? - Non, non, monsieur... Si j'osais demander un avis à monsieur... C'est pour moi... " Et il manoeuvrait de telle façon que Saccard se retrouva dans son cabinet, tandis que lui restait sur le seuil, trÚs déférent. " Pour vous ?... Ah ! c'est vrai, vous ÃÂȘtes actionnaire, vous aussi... Eh bien, mon garçon, prenez les nouveaux titres qui vont vous ÃÂȘtre réservés, vendez plutÎt vos chemises pour les prendre. C'est le conseil que je donne à tous nos amis. - Oh ! monsieur, le morceau est trop gros, ma fille et moi n'avons pas tant d'ambition... Au début, il ai pris huit actions, avec les quatre mille francs d'économies que ma pauvre femme nous a laissés ; et je n'ai toujours que ces huit-là , parce que, n'est-ce pas ? aux autres émissions, lorsqu'on a doublé deux fois le capital, nous n'avons pas eu l'argent, pour accepter les titres qui nous revenaient... Non, non, il ne s'agit pas de ça, il ne faut pas ÃÂȘtre si gourmand !- Je voulais seulement demander à monsieur, sans l'offenser, si monsieur est d'avis que je vende. - Comment ! que vous vendiez ? " Alors, Dejoie, avec toutes sortes de circonlocutions quiÚtes et respectueuses, exposa son cas. Au cours de treize cents francs, ses huit actions représentaient dix mille quatre cents francs. Il pouvait donc largement donner à Nathalie les six mille francs de dot que le cartonnier exigeait. Mais, devant la hausse continue des titres, un appétit d'argent lui était venu, l'idée, vague d'abord, puis tyrannique, de se faire sa part, d'avoir à lui une petite rente de six cents francs, qui lui permettrait de se retirer. Seulement, un capital de douze mille francs ajouté aux six mille francs de sa fille, cela faisait l'énorme total de dix-huit mille francs ; et il désespérait d'arriver jamais à ce chiffre, car il avait calculé que, pour cela, il lui faudrait attendre le cours de deux mille trois cents francs. " Vous comprenez, monsieur, que si ça ne doit plus monter, j'aime mieux vendre, parce que le bonheur de Nathalie avant tout, n'est-ce pas ?... Tandis que, si ça monte encore, j'aurai un tel crÚve-coeur d'avoir vendu... " Saccard éclata. " Ah ! çà , mon garçon, vous ÃÂȘtes stupide !... Est-ce que vous croyez que nous allons nous arrÃÂȘter à treize cents ? Est-ce que je vends, moi ?... Vous les aurez, vos dix-huit mille francs, j'en réponds. Et décampez ! et flanquez-moi dehors tout ce monde qui est là , en disant que je suis sorti ! " Quand il se retrouva seul, Saccard put rappeler les deux chefs de service et terminer son travail en paix. Il fut décidé qu'une assemblée générale extraordinaire aurait lieu en août, pour voter la nouvelle augmentation du capital. Hamelin, qui devait la présider, débarqua à Marseille, dans les derniers jours de juillet. Sa soeur, depuis deux mois, à chacune de ses lettres, lui conseillait de revenir, d'une façon de plus en plus pressante. Elle avait, au milieu du succÚs brutal qui se déclarait chaque jour davantage, la sensation d'un danger sourd, une crainte irraisonnée, dont elle n'osait mÃÂȘme parler ; et elle préférait que son frÚre fût là , à se rendre compte des choses par lui-mÃÂȘme, car elle en arrivait à douter d'elle, craignant d'ÃÂȘtre sans force contre Saccard, de se laisser aveugler, au point de trahir ce frÚre qu'elle aimait tant. N'aurait-il pas fallu lui avouer sa liaison, qu'il ne soupçonnait certainement pas, dans son innocence d'homme de foi et de science, traversant la vie en dormeur éveillé ? Cette idée lui était extrÃÂȘmement pénible ; et elle se laissait aller aux capitulations lùches, elle discutait avec le devoir, qui, trÚs net, lui ordonnait maintenant qu'elle connaissait Saccard et son passé, de tout dire, pour qu'on se méfiùt. Dans ses heures de force, elle se faisait la promesse d'avoir une explication décisive, de ne pas abandonner sans contrÎle le maniement de sommes d'argent si considérables à des mains criminelles, entre lesquelles tant, de millions déjà avaient craqué, s'étaient effondrés, écrasant le monde. C'était le seul parti à prendre, viril et honnÃÂȘte, digne d'elle. Puis sa lucidité se troublait, elle faiblissait, temporisait, ne trouvait plus, comme griefs, que des irrégularités, communes à toutes les maisons de crédit, affirmait-il. Peut-ÃÂȘtre avait-il raison de lui dire en riant que le monstre dont elle avait peur, c'était le succÚs, ce succÚs de Paris qui retentit et frappe en coup de foudre, et qui la laissait tremblante, ainsi que sous l'imprévu et l'angoisse d'une catastrophe. Elle ne savait plus, il y avait mÃÂȘme des heures oÃÂč elle l'admirait davantage, pleine de cette infinie tendresse qu'elle lui gardait, tout en ayant cessé de l'estimer. Jamais elle n'aurait cru son coeur si compliqué, elle se sentait femme, elle redoutait de ne plus pouvoir agir. Et c'est pourquoi elle se montra trÚs heureuse du retour de son frÚre. Ce fut, dÚs le soir du retour d'Hamelin, que Saccard, dans la salle des épures oÃÂč ils étaient certains de n'ÃÂȘtre pas dérangés, voulut lui soumettre les résolutions que le conseil d'administration aurait à approuver, avant de les faire voter par l'assemblée générale. Mais le frÚre et la soeur devancÚrent l'heure du rendez-vous, d'un tacite accord, et ils se trouvÚrent un instant seuls, ils purent causer. Hamelin revenait trÚs gai, ravi d'avoir mené à bien l'affaire complexe des chemins de fer, dans ce pays d'Orient, si endormi de paresse, si obstrué d'obstacles politiques, administratifs et financiers. Enfin, le succÚs était complet, les premiers travaux allaient commencer, des chantiers s'ouvriraient, de toutes parts, aussitÎt que la société aurait achevé de se constituer à Paris. Et il se montrait si enthousiaste, si confiant en l'avenir, que ce fut pour Mme Caroline une nouvelle cause de silence, tellement cela lui coûtait de gùter cette belle joie. Cependant, elle exprima des doutes, le mit en garde contre l'engouement qui emportait le public. Il l'arrÃÂȘta, la regarda en face savait-elle quelque chose de louche ? pourquoi ne parlait-elle pas ? Et elle ne parla pas, elle ne trouvait à articuler rien de net. Saccard, qui n'avait pas encore revu Hamelin, lui sauta au cou, l'embrassa, avec son exubérance méridionale. Puis, lorsque ce dernier lui eut confirmé ses derniÚres lettres, en lui donnant des détails sur l'absolue réussite de son long voyage, il s'exalta. " Ah ! mon cher, cette fois, nous allons ÃÂȘtre les maÃtres de Paris, les rois du marché... Moi aussi, j'ai bien travaillé j'ai une idée extraordinaire. Vous allez voir. " Tout de suite, il lui expliqua sa combinaison, pour porter le capital de cent à cent cinquante millions, en émettant cent mille actions nouvelles, et pour libérer du mÃÂȘme coup tous les titres, aussi bien les anciens que les nouveaux. Il lançait l'action à huit cent cinquante francs, se faisait ainsi, avec les trois cent cinquante francs de prime, une réserve qui, augmentée des sommes déjà mises de cÎté à chaque bilan, atteignait le chiffre de vingt-cinq millions ; et il ne lui restait qu'à trouver une pareille somme, pour obtenir les cinquante millions nécessaires à la libération des deux cent mille actions anciennes. Or, c'est ici qu'il avait eu son idée extraordinaire, celle de faire dresser un bilan approximatif des gains de l'année courante, gains qui, selon lui, monteraient à un minimum de trente-six millions. Il y puisait tranquillement les vingt-cinq millions qui lui manquaient. Et l'Universelle allait ainsi, à partir du 31 décembre 1867, avoir un capital définitif de cent cinquante millions, divisé en trois cent mille actions entiÚrement libérées. On unifiait les actions, on les mettait au porteur, de façon à faciliter leur libre circulation sur le marché. C'était le triomphe définitif, l'idée de génie. " Oui, de génie ! cria-t-il, le mot n'est pas trop fort ! " Un peu étourdi, Hamelin feuilletait les pages du projet, examinait les chiffres. " Je n'aime guÚre ce bilan si actif, dit-il enfin. Ce sont de véritables dividendes que vous allez donner là à vos actionnaires, puisque vous libérez leurs titres ; et il faut ÃÂȘtre certain que toutes les sommes sont bien acquises autrement, on nous accuserait avec raison d'avoir distribué des dividendes fictifs. " Saccard s'emporta. " Comment ! mais je suis au-dessous de l'estimation ! Voyez donc si je n'ai pas été raisonnable est-ce que les Paquebots, est-ce que le Carmel, est-ce que la Banque turque ne vont pas donner des gains supérieurs à ceux que j'ai inscrits ? Vous m'apportez de là -bas des bulletins de victoire, tout marche, tout prospÚre, et c'est vous qui me chicanez sur la certitude de notre succÚs ! " Souriant, Hamelin le calma d'un geste. Si, si ! il avait la foi. Seulement, il était pour le cours régulier des choses. " En effet, dit doucement Mme Caroline, à quoi bon se presser ? Ne pourrait-on attendre avril pour cette augmentation de capital ?... Ou encore, puisque vous avez besoin de vingt-cinq millions de plus, pourquoi n'émettez-vous pas les actions à mille ou douze cents francs tout de suite, ce qui vous éviterait d'anticiper sur les gains du prochain bilan ? " Un instant interloqué, Saccard la regardait, en s'étonnant qu'elle eût trouvé cela. " Sans doute, à onze cents francs, au lieu de huit cent cinquante, les cent mille actions produiraient juste les vingt-cinq millions. - Eh bien, c'est tout trouvé, alors, reprit-elle. Vous ne craignez pas que les actionnaires regimbent. Ils donneront aussi bien onze cents francs que huit cent cinquante. - Ah ! oui, certes ! ils donneront tout ce qu'on voudra ! et ils se battront encore, à qui donnera davantage !... Les voilà en folie, ils démoliraient l'hÎtel pour nous apporter leur argent. " Mais, brusquement, il revint à lui, il eut un sursaut de violente protestation. " Qu'est-ce que vous me chantez là ? Je ne veux pas leur demander onze cents francs, à aucun prix ! Ce serait vraiment trop bÃÂȘte et trop simple... Comprenez donc que, dans ces questions de crédit, il faut toujours frapper l'imagination. L'idée de génie, c'est de prendre dans la poche des gens l'argent qui n'y est pas encore. Du coup, ils s'imaginent qu'ils ne le donnent pas, que c'est un cadeau qu'on leur fait. Et puis, vous ne voyez pas l'effet colossal de ce bilan anticipé paraissant dans tous les journaux, de ces trente-six millions de gain annoncés d'avance, à toute fanfare !... La Bourse va prendre feu, nous dépassons le cours de deux mille, et nous montons, et nous montons, et nous ne nous arrÃÂȘtons plus ! " Il gesticulait, il était debout, se grandissant sur ses petites jambes ; et, en vérité, il devenait grand, le geste dans les étoiles, en poÚte de l'argent que les faillites et les ruines n'avaient pu assagir. C'était son systÚme instinctif, l'élan mÃÂȘme de tout son ÃÂȘtre, cette façon de fouailler les affaires, de les mener au triple galop de sa fiÚvre. Il avait forcé le succÚs, allumé les convoitises par cette foudroyante marche de l'Universelle trois émissions en trois ans, le capital sautant de vingt-cinq à cinquante, à cent, à cent cinquante millions, dans une progression qui semblait annoncer une miraculeuse prospérité. Et les dividendes, eux aussi, procédaient par bonds rien la premiÚre année, puis dix francs, puis trente-trois francs, puis les trente-six millions, la libération de tous les titres ! Et cela dans le surchauffement mensonger de toute la machine, au milieu des souscriptions fictives, des actions gardées par la société pour faire croire au versement intégral, sous la poussée que le jeu déterminait à la Bourse, oÃÂč chaque augmentation du capital exagérait la hausse ! Hamelin, toujours enfoncé dans l'examen du projet, n'avait pas soutenu sa soeur. Il hocha la tÃÂȘte, il revint aux observations de détail. " N'importe ! c'est incorrect, votre bilan anticipé, du moment que les gains ne sont pas acquis... Je ne parle mÃÂȘme plus de nos entreprises, bien qu'elles soient à la merci des catastrophes, comme toutes les oeuvres humaines... Mais je vois là le compte Sabatani, trois mille et tant d'actions qui représentent plus de deux millions. Or, vous les mettez à notre crédit, et c'est à notre débit qu'il faudrait les mettre, puisque Sabatani n'est que notre homme de paille. N'est-ce pas ? nous pouvons nous dire cela, entre nous... Et, tenez ! je reconnais également ici plusieurs de nos employés, mÃÂȘme quelques-uns de nos administrateurs, tous des prÃÂȘte-noms, oh ! je le devine, vous n'avez pas besoin de me le dire.. Cela me fait trembler, de voir que nous gardons un si grand nombre de nos actions. Non seulement, nous n'encaissons pas, mais nous nous immobilisons, et nous finirons par nous dévorer un jour. " Du regard, Mme Caroline l'encourageait, car il disait enfin toutes ses craintes, il trouvait la cause de ce sourd malaise, qui grandissait en elle, avec le succÚs. " Ah ! le jeu ! murmura-t-elle. - Mais nous ne jouons pas ! cria Saccard. Seulement, il est bien permis de soutenir ses valeurs, et nous serions vraiment ineptes de ne pas veiller à ce que Gundermann et les autres ne déprécient pas nos titres en jouant contre nous à la baisse. S'ils n'ont point trop osé encore, cela peut venir. C'est pourquoi je suis assez content d'avoir en main un certain nombre de nos actions ; et, je vous en préviens, si l'on m'y force, je suis mÃÂȘme prÃÂȘt à en acheter, oui ! j'en achÚterai, plutÎt que de les laisser tomber d'un centime ! " Il avait prononcé ces derniers mots avec une force extraordinaire, comme s'il eût prÃÂȘté le serment de mourir plutÎt que d'ÃÂȘtre battu. Puis, il s'apaisa d'un effort, il se mit à rire, de son air de bonhomie un peu grimaçante. " Voyons, voilà que ça va recommencer, la méfiance ! Je croyais que nous nous étions expliqués une fois pour toutes sur ces choses. Vous aviez consenti à vous remettre entre mes mains, laissez-moi donc agir ! Je ne veux que votre fortune, une grande, grande fortune ! " Il s'interrompit, baissa la voix, comme effrayé lui-mÃÂȘme de l'énormité de son désir. " Vous ne savez pas ce que je veux ? Je veux le cours de trois mille francs. " D'un geste, il l'indiquait dans le vide, il le voyait monter comme un astre, incendier l'horizon de la Bourse, ce cours triomphal de trois mille francs. " C'est fou ! dit Mme Caroline. - DÚs que le cours aura dépassé deux mille francs, déclara Hamelin ; toute hausse nouvelle deviendra un danger ; et, quant à moi, je vous avertis que je vendrai, pour ne pas tremper dans une pareille démence. " Mais Saccard se mit à chantonner. On dit toujours qu'on vendra, et puis on ne vend pas. Il les enrichirait malgré eux. De nouveau, il souriait, trÚs caressant, légÚrement moqueur. " Confiez-vous à moi, il me semble que je n'ai pas trop mal conduit vos affaires... Sadowa vous a rapporté un million. " C'était vrai, les Hamelin n'y songeaient plus ils avaient accepté ce million, pÃÂȘché dans les eaux troubles de la Bourse. Ils restÚrent un moment silencieux, pùlissants, avec ce trouble au coeur des gens honnÃÂȘtes encore, qui ne sont plus certains d'avoir fait leur devoir. Est-ce qu'eux-mÃÂȘmes étaient pris de la lÚpre du jeu ? est-ce qu'ils se pourrissaient, dans ce milieu enragé de l'argent, oÃÂč leurs affaires les forçaient à vivre ? " Sans doute, finit par murmurer l'ingénieur, mais si j'avais été là .. ; " Saccard ne voulut pas le laisser achever. " Laissez donc, n'ayez aucun remords c'est de l'argent reconquis sur ces sales juifs ! " Tous les trois s'égayÚrent. Et Mme Caroline, qui s'était assise, eut un geste de tolérance et d'abandon. Pouvait-on se laisser manger et ne pas manger les autres ? C'était la vie. Il aurait fallu des vertus trop sublimes ou la solitude sans tentation d'un cloÃtre. " Voyons, voyons ! continuait-il gaiement, n'ayez pas l'air de cracher sur l'argent c'est idiot d'abord, et ensuite il n'y a que les impuissants qui dédaignent une force.. Ce serait illogique de vous tuer au travail pour enrichir les autres, sans vous tailler votre légitime part. Autrement, couchez-vous et dormez ! " Il les dominait, ne leur permettait plus de placer un mot. " Savez-vous que vous allez bientÎt avoir en poche une jolie somme !... Attendez ! " Et, avec une pétulance d'écolier, il s'était précipité à la table de Mme Caroline, avait pris un crayon et une feuille de papier, sur laquelle il alignait des chiffres. " Attendez ! Je vais vous faire votre compte. Oh ! je le connais... Vous avez eu, à la fondation, cinq cents actions, doublées une premiÚre fois, puis doublées encore, ce qui vous en fait actuellement deux mille. Vous en aurez donc trois mille, aprÚs notre émission prochaine. " Hamelin tenta de l'interrompre. " Non ! non ! je sais que vous avez de quoi les payer, avec les trois cent mille francs de votre héritage d'une part, et avec votre million de Sadowa de l'autre... Regardez ! vos deux mille premiÚres actions vous ont coûté quatre cent trente-cinq mille francs, les mille autres vous coûteront huit cent cinquante mille francs, en tout douze cent quatre- vingt-cinq mille francs... Donc, il vous restera encore quinze mille francs pour faire le jeune homme, sans compter vos appointements de trente mille francs, que nous allons porter à soixante mille. " Etourdis, tous deux l'écoutaient, finissaient par s'intéresser violemment à ces chiffres. " Vous voyez bien que vous ÃÂȘtes honnÃÂȘtes, que vous payez ce que vous prenez... Mais tout ça, c'est des bagatelles. J'en voulais venir à ceci... " Il se releva, brandit la feuille de papier, d'un air de victoire. " Au cours de trois mille, vos trois mille actions vous donneront neuf millions. - Comment ! au cours de trois mille ! s'écriÚrent-ils, protestant du geste contre cette obstination dans la folie. - Eh ! sans doute ! Je vous défends bien de vendre plus tÎt, je saurai vous en empÃÂȘcher, oui ! par la force, par le droit qu'on a d'empÃÂȘcher ses amis de faire des bÃÂȘtises... Le cours de trois mille, il me le faut, je l'aurai ! " Que répondre à ce terrible homme, dont la voix perçante, pareille à une voix de coq, sonnait le triomphe ? Ils rirent de nouveau en affectant de hausser les épaules. Et ils déclarÚrent qu'ils étaient bien tranquilles, que le fameux cours ne serait jamais atteint. Lui, venait de se remettre à la table, oÃÂč il faisait d'autres calculs, son compte à lui. Avait-il payé, paierait-il ses trois mille actions ? cela restait vague. Il devait mÃÂȘme posséder un chiffre d'actions beaucoup plus fort ; mais il était difficile de le savoir ; car, lui aussi, servait de prÃÂȘte- nom à la société, et comment distinguer, dans le tas, les titres qui lui appartenaient ? Le crayon allongeait les lignes de chiffres, à l'infini. Puis, il biffa tout d'un trait fulgurant, froissa le papier. Ça et les deux millions ramassés dans la boue et le sang de Sadowa, c'était sa part. " J'ai un rendez-vous, je vous laisse, dit-il en reprenant son chapeau. Mais tout est bien convenu, n'est-ce pas ? Dans huit jours, le conseil d'administration, et, immédiatement aprÚs, l'assemblée générale extraordinaire, pour voter. " Lorsque Mme Caroline et Hamelin se retrouvÚrent seuls, effarés et las, ils demeurÚrent un moment muets, en face l'un de l'autre. " Que veux-tu ? déclara-t-il enfin, répondant aux secrÚtes réflexions de sa soeur, nous y sommes, il faut bien y rester. Il a raison de dire que ce serait niais à nous de refuser cette fortune... Moi, je ne me suis jamais considéré que comme un homme de science qui amÚne de l'eau au moulin ; et je l'y ai amenée, je crois, claire, abondante, des affaires excellentes, auxquelles la maison doit sa prospérité si rapide. Alors, puisque aucun reproche ne peut m'atteindre, ne nous décourageons pas, travaillons ! " Elle avait quitté sa chaise, chancelante, balbutiante. " Oh ! tout cet argent... tout cet argent... " Et, étranglée d'une émotion invincible, à l'idée de ces millions qui allaient tomber sur eux, elle se pendit à son cou, elle pleura. C'était de la joie sans doute, le bonheur de le voir enfin dignement récompensé de son intelligence et de ses travaux ; mais c'était de la peine aussi, une peine dont elle n'aurait pu dire au juste la cause, oÃÂč il y avait comme de la honte et de la peur. Il la plaisanta, ils affectÚrent de s'égayer encore, et pourtant un malaise leur restait, un sourd mécontentement d'eux-mÃÂȘmes, le remords inavoué d'une complicité salissante. " Oui, il a raison, répéta Mme Caroline, tout le monde en est là . C'est la vie. " Le conseil d'administration eut lieu dans la nouvelle salle du somptueux hÎtel de la rue de Londres. Ce n'était plus le salon humide que verdissait le pùle reflet d'un jardin voisin, mais une vaste piÚce, éclairée sur la rue par quatre fenÃÂȘtres, et dont le haut plafond, les murs majestueux, décorés de grandes peintures, ruisselaient d'or. Le fauteuil du président était un véritable trÎne, dominant les autres fauteuils, qui s'alignaient, superbes et graves, ainsi que pour une réunion de ministres royaux, autour de l'immense table, recouverte d'un tapis de velours rouge. Et, sur la monumentale cheminée de marbre blanc, oÃÂč, l'hiver, brûlaient des arbres, était un buste du pape, une figure aimable et fine, qui semblait sourire malicieusement de se trouver là . Saccard avait achevé de mettre la main sur tous les membres du conseil, en les achetant simplement, pour la plupart. Grùce à lui, le marquis de Bohain, compromis dans une histoire de pot-de-vin frisant l'escroquerie, pris la main au fond du sac, avait pu étouffer le scandale, en désintéressant la compagnie volée ; et il était devenu ainsi son humble créature, sans cesser de porter haut la tÃÂȘte, fleur de noblesse, le plus bel ornement du conseil. Huret, de mÃÂȘme, depuis que Rougon l'avait chassé, aprÚs le vol de la dépÃÂȘche annonçant la cession de la Vénétie, s'était donné tout entier à la fortune de l'Universelle, la représentant au Corps législatif, pÃÂȘchant pour elle dans les eaux fangeuses de la politique, gardant la plus grosse part de ses effrontés maquignonnages, qui pouvaient, un beau matin, le jeter à Mazas. Et le vicomte de Robin-Chagot, le vice-président, touchait cent mille francs de prime secrÚte pour donner sans examen les signatures, pendant les longues absences d'Hamelin ; et le banquier Kolb se faisait également payer sa complaisance passive, en utilisant à l'étranger la puissance de la maison, qu'il allait jusqu'à compromettre, dans ses arbitrages ; et Sédille lui-mÃÂȘme, le marchand de soie, ébranlé à la suite d'une liquidation terrible, s'était fait prÃÂȘter une grosse somme, qu'il n'avait pu rendre. Seul, Daigremont gardait son indépendance absolue vis-à -vis de Saccard ; ce qui inquiétait ce dernier, parfois, bien que l'aimable homme restùt charmant, l'invitant à ses fÃÂȘtes, signant tout lui aussi sans observation, avec sa bonne grùce de Parisien sceptique qui trouve que tout va bien, tant qu'il gagne. Ce jour-là , malgré l'importance exceptionnelle de la séance, le conseil fut d'ailleurs mené aussi rondement que les autres jours. C'était devenu une affaire d'habitude on ne travaillait réellement qu'aux petites réunions du 15, et les grandes réunions de la fin du mois sanctionnaient simplement les résolutions, en grand apparat. L'indifférence était telle chez les administrateurs, que, les procÚs- verbaux menaçant d'ÃÂȘtre toujours les mÃÂȘmes, d'une constante banalité dans l'approbation générale, il avait fallu prÃÂȘter à des membres des scrupules, des observations, toute une discussion imaginaire, qu'aucun ne s'étonnait d'entendre lire, à la séance suivante, et qu'on signait, sans rire. Daigremont s'était précipité, avait serré les mains d'Hamelin, sachant les bonnes, les grandes nouvelles qu'il apportait. " Ah ! mon cher président, que je suis heureux de vous féliciter ! " Tous l'entouraient, le fÃÂȘtaient, Saccard lui-mÃÂȘme, comme s'il ne l'eût encore vu ; et, lorsque la séance fut ouverte, lorsqu'il eut commencé la lecture du rapport qu'il devait présenter à l'assemblée générale, on écouta, ce qu'on ne faisait jamais. Les beaux résultats acquis, les magnifiques promesses d'avenir, l'ingénieuse augmentation du capital qui libérait en mÃÂȘme temps les anciens titres, tout fut accueilli avec des hochements de tÃÂȘte admiratifs. EL pas un n'eut l'idée de provoquer des explications. C'était parfait. Sédille ayant relevé une erreur dans un chiffre, on convint mÃÂȘme de ne pas insérer sa remarque au procÚs-verbal, pour ne pas déranger la belle unanimité des membres, qui signÚrent tous rapidement, à la file, sous le coup de l'enthousiasme, sans observation aucune. Déjà la séance était levée, on était debout, riant, plaisantant, au milieu des dorures éclatantes de la salle. Le marquis de Bohain racontait une chasse à Fontainebleau ; tandis que le député Huret, qui était allé à Rome, disait comment il en avait rapporté la bénédiction du pape. Kolb venait de disparaÃtre, courant à un rendez-vous. Et les autres administrateurs, les comparses, recevaient de Saccard des ordres à voix basse, sur l'attitude qu'ils devaient prendre à la prochaine assemblée. Mais Daigremont, que le vicomte de Robin-Chagot ennuyait par ses éloges outrés du rapport d'Hamelin Saisit au passage le bras du directeur, pour lui souffler à l'oreille " Pas trop d'emballement, hein ! " Saccard s'arrÃÂȘta net, le regarda. Il se rappelait combien il avait hésité, au début, à le mettre dans l'affaire, le sachant d'un commerce peu sûr. " Ah ! qui m'aime me suive ! répondit-il trÚs haut, de façon à ÃÂȘtre entendu de tout le monde. Trois jours plus tard, l'assemblée générale extraordinaire fut tenue dans la grande salle des fÃÂȘtes de l'hÎtel du Louvre. Pour une telle solennité, on avait dédaigné la pauvre salle nue de la rue Blanche, on voulait une galerie de gala, encore toute chaude, entre un repas de corps et un bal de mariage. Il fallait ÃÂȘtre, d'aprÚs les statuts, possesseur d'au moins vingt actions, pour ÃÂȘtre admis, et il vint plus de douze cents actionnaires, représentant quatre mille et quelques voix. Les formalités de l'entrée, la présentation des cartes et la signature sur le registre demandÚrent prÚs de deux heures. Un tumulte de conversations heureuses emplissait la salle, oÃÂč l'on reconnaissait tous les administrateurs et beaucoup des hauts employés de l'Universelle. Sabatani était là , au milieu d'un groupe, parlant de l'Orient, son pays, avec des caresses de voix languissantes, racontant de merveilleuses histoires, comme si l'on n'avait eu qu'à s'y baisser pour ramasser l'argent, l'or et les pierres précieuses ; et Maugendre, qui s'était, en juin, décidé à acheter cinquante actions de l'Universelle à douze cents francs, convaincu de la hausse, l'écoutait bouche béante, ravi de son flair ; tandis que Jantrou, tombé décidément dans une noce crapuleuse, depuis qu'il était riche, ricanait en dessous, la bouche tordue d'ironie, dans l'accablement d'une débauche de la veille. AprÚs la nomination du bureau, lorsque Hamelin, président de droit, eut ouvert la séance, LavigniÚre, réélu commissaire-censeur, et qu'on devait hausser aprÚs l'exercice au titre d'administrateur, son rÃÂȘve, fut invité à lire un rapport sur la situation financiÚre de la société, telle qu'elle serait au 31 décembre prochain c'était, pour obéir aux statuts, une façon de contrÎler d'avance le bilan anticipé dont il allait ÃÂȘtre question. Il rappela le bilan du dernier exercice, présenté à l'assemblée ordinaire du mois d'avril, ce bilan magnifique qui accusait un bénéfice net de onze millions et demi, et qui avait permis, aprÚs les prélÚvements du cinq pour cent des actionnaires, du dix pour cent des administrateurs et du dix pour cent de la réserve, de distribuer encore un dividende de trente-trois pour cent. Puis, il établissait sous un déluge de chiffres, que la somme de trente-six millions, donnée comme total approximatif des bénéfices de l'exercice courant, loin de lui paraÃtre exagérée, se trouvait au-dessous des plus modestes espérances. Sans doute, il était de bonne foi, et il devait avoir examiné consciencieusement les piÚces soumises à son contrÎle ; mais rien n'est plus illusoire, car, pour étudier à fond une comptabilité, il faut en refaire une autre, entiÚrement. D'ailleurs, les actionnaires n'écoutaient pas. Quelques dévots, Maugendre et d'autres, les petits qui représentaient une voix ou deux, buvaient seuls chaque chiffre, au milieu du murmure persistant des conversations. Le contrÎle des commissaires-censeurs, cela n'avait pas la moindre importance. Et un silence religieux ne s'établit que lorsque Hamelin, enfin, se leva. Des applaudissements éclatÚrent mÃÂȘme avant qu'il eût ouvert la bouche, en hommage à son zÚle, au génie obstiné et brave de cet homme qui était allé si loin chercher des tonneaux d'or pour les éventrer sur Paris. Ce ne fut plus, dÚs lors, qu'un succÚs croissant, tournant à l'apothéose. On acclama un nouveau rappel du bilan de l'année précédente, que LavigniÚre n'avait pu faire entendre. Mais les estimations sur le prochain bilan excitÚrent surtout la joie des millions pour les Paquebots réunis, des millions pour la Mine d'argent du Carmel, des millions pour la Banque nationale turque ; et l'addition n'en finissait plus, les trente-six millions se groupaient d'une façon aisée, toute naturelle, tombaient en cascade, avec un bruit retentissant. Puis, l'horizon s'élargit encore, sur les opérations futures. La Compagnie générale des chemins de fer d'Orient apparut, d'abord la grande ligne centrale dont les travaux étaient prochains, ensuite les embranchements, tout le filet de l'industrie moderne jeté sur l'Asie, le retour triomphal de l'humanité à son berceau, la résurrection d'un monde ; tandis que, dans le lointain perdu, entre deux phrases, se levait la chose qu'on ne disait pas, le mystÚre, le couronnement de l'édifice qui étonnerait les peuples. Et l'unanimité fut absolue, lorsque, pour conclure, Hamelin en arriva à expliquer les résolutions qu'il allait soumettre au vote de l'assemblée le capital porté à cent cinquante millions, l'émission de cent mille actions nouvelles à huit cent cinquante francs, les anciens titres libérés, grùce à la prime de ces actions et aux bénéfices du prochain bilan, dont on disposait d'avance. Un tonnerre de bravos accueillit cette idée géniale. On voyait, par- dessus les tÃÂȘtes, les grosses mains de Maugendre tapant de toute leur force. Sur les premiers bancs, les administrateurs, les employés de la maison faisaient rage, dominés par Sabatani qui, s'étant mis debout, lançait des brava ! brava ! comme au théùtre. Toutes les résolutions furent votées d'enthousiasme. Cependant, Saccard avait réglé un incident, qui se produisit alors. Il n'ignorait pas qu'on l'accusait de jouer, il voulait effacer jusqu'aux moindres soupçons des actionnaires défiants, s'il s'en trouvait dans la salle. Jantrou, stylé par lui, se leva. Et, de sa voix pùteuse " Monsieur le Président, je crois me faire l'interprÚte de beaucoup d'actionnaires en demandant qu'il soit bien établi que la société ne possÚde pas une de ses actions. " Hamelin, n'étant point prévenu, demeura un instant gÃÂȘné. Instinctivement, il se tourna vers Saccard, perdu à sa place jusque- là , et qui se haussa d'un coup, pour grandir sa petite taille, en répondant de sa voix perçante " Pas une, monsieur le Président ! " Des bravos, on ne sut pourquoi, éclatÚrent de nouveau, à cette réponse. S'il mentait au fond, la vérité était pourtant que la société n'avait pas un seul titre à son nom, puisque Sabatani et d'autres la couvraient. Et ce fut tout, on applaudissait encore, la sortie fut trÚs gaie et trÚs bruyante. DÚs les jours suivants, le compte rendu de cette séance, publié dans les journaux, produisit un effet énorme à la Bourse et dans tout Paris. Jantrou avait réservé pour ce moment-là une poussée derniÚre de réclames, la plus tonitruante des fanfares qu'on eût soufflée depuis longtemps dans les trompettes de la publicité ; et il courut mÃÂȘme une plaisanterie, on raconta qu'il avait fait tatouer ces mots Achetez de l'Universelle , aux petits coins les plus secrets et les plus délicats des dames aimables, en les lançant dans la circulation. D'ailleurs, il venait d'exécuter enfin son grand coup, l'achat de La Cote financiÚre, ce vieux journal solide, qui avait derriÚre lui une honnÃÂȘteté impeccable de douze ans. Cela avait coûté cher, mais la sérieuse clientÚle, les bourgeois trembleurs, les grosses fortunes prudentes, tout l'argent qui se respecte se trouvait conquis. En quinze jours, à la Bourse, on atteignit le cours de quinze cents ; et, dans la derniÚre semaine d'août, par bonds successifs, il était à deux mille. L'engouement s'était encore exaspéré, l'accÚs allait en s'aggravant à chaque heure, sous l'épidémique fiÚvre de l'agio. On achetait, on achetait, mÃÂȘme les plus sages, dans la conviction que ça monterait encore, que ça monterait sans fin. C'étaient les cavernes mystérieuses des Mille et une Nuits qui s'ouvrirent, les incalculables trésors des califes qu'on livrait à la convoitise de Paris. Tous les rÃÂȘves, chuchotés depuis des mois, semblaient se réaliser devant l'enchantement public le berceau de l'humanité réoccupé, les antiques cités historiques du littoral ressuscitées de leur sable, Damas, puis Bagdad, puis l'Inde et la Chine exploitées, par la troupe envahissante de nos ingénieurs. Ce que Napoléon n'avait pu faire avec son sabre, cette conquÃÂȘte de l'Orient, une Compagnie financiÚre le réalisait, en y lançant une armée de pioches et de brouettes. On conquérait l'Asie à coups de millions, pour en, tirer des milliards. Et la croisade des femmes surtout triomphait, aux petites réunions intimes de cinq heures, aux grandes réceptions mondaines de minuit, à table et dans les alcÎves. Elles l'avaient bien prévu Constantinople était prise, on aurait bientÎt Brousse, Angora et Alep, on aurait plus tard Smyrne, Trébizonde, toutes les villes dont l'Universelle faisait le siÚge, jusqu'au jour oÃÂč l'on aurait la derniÚre, la ville sainte, celle qu'on ne nommait pas, qui était comme la promesse eucharistique de la lointaine expédition. Les pÚres, les maris, les amants, que violentait cette ardeur passionnée des femmes, n'allaient plus donner leurs ordres aux agents de change qu'au cri répété de Dieu le veut ! Puis, ce fut enfin l'effrayante cohue des petits, la foule piétinante qui suit les grosses armées, la passion descendue du salon à l'office, du bourgeois à l'ouvrier et au paysan, et qui jetait, dans ce galop fou des millions, de pauvres souscripteurs n'ayant qu'une action, trois, quatre, dix actions, les concierges prÚs de se retirer, des vieilles demoiselles vivant avec un chat, des retraités de province dont le budget est de dix sous par jour, des prÃÂȘtres de campagne dénudés par l'aumÎne, toute la masse hùve et affamée des rentiers infimes, qu'une catastrophe de Bourse balaie comme une épidémie et couche d'un coup dans la fosse commune. Et cette exaltation des titres de l'Universelle, cette ascension qui les emportait comme sous un vent religieux, semblait se faire aux musiques de plus en plus hautes qui montaient des Tuileries et du Champ- de-Mars, des continuelles fÃÂȘtes dont l'Exposition affolait Paris. Les drapeaux claquaient plus sonores dans l'air lourd des chaudes journées, il n'y avait pas de soir oÃÂč la ville en feu n'étincelùt sous les étoiles, ainsi qu'un colossal palais au fond duquel la débauche veillait jusqu'à l'aube. La joie avait gagné de maison en maison, les rues étaient une ivresse, un nuage de vapeurs fauves, la fumée des festins, la sueur des accouplements, s'en allait à l'horizon, roulait au-dessus des toits la nuit des Sodome, des Babylone et des Ninive. Depuis mai, les empereurs et les rois étaient venus en pÚlerinage des quatre coins du monde, des cortÚges qui ne cessaient point, prÚs d'une centaine de souverains et de souveraines, de princes et de princesses. Paris était repu de Majestés et d'Altesses ; il avait acclamé l'empereur de Russie et l'empereur d'Autriche, le sultan et le vice-roi d'Egypte ; et il s'était jeté sous les roues des carrosses pour voir de plus prÚs le roi de Prusse, que M. de Bismarck suivait comme un dogue fidÚle. Continuellement, des salves de réjouissance tonnaient aux Invalides, tandis que la foule s'écrasait à l'Exposition, faisait un succÚs populaire aux canons de Krupp, énormes et sombres, que l'Allemagne avait exposés. Presque chaque semaine, l'opéra allumait ses lustres pour quelque gala officiel. On s'étouffait dans les petits théùtres et dans les restaurants, les trottoirs n'étaient plus assez larges pour le torrent débordé de la prostitution. Et ce fut Napoléon III qui voulut distribuer lui-mÃÂȘme les récompenses aux soixante mille exposants, dans une cérémonie qui dépassa en magnificence toutes les autres, une gloire brûlant au front de Paris, le resplendissement du rÚgne, oÃÂč l'empereur apparut, dans un mensonge de féerie, en maÃtre de l'Europe, parlant avec le calme de la force et promettant la paix. Le jour mÃÂȘme, on apprenait aux Tuileries l'effroyable catastrophe du Mexique, l'exécution de Maximilien, le sang et l'or français versés en pure perte ; et l'on cachait la nouvelle, pour ne pas attrister les fÃÂȘtes. Un premier coup de glas, dans cette fin de jour superbe, éblouissante de soleil. Alors, il sembla, au milieu de cette gloire, que l'astre de Saccard, lui aussi, montùt encore à son éclat le plus grand. Enfin, comme il s'y efforçait depuis tant d'années, il la possédait donc, la fortune, en esclave, ainsi qu'une chose à soi, dont on dispose, qu'on tient sous clef, vivante, matérielle ! Tant de fois le mensonge avait habité ses caisses, tant de millions y avaient coulé, fuyant par toutes sortes de trous inconnus ! Non, ce n'était plus la richesse menteuse de façade, c'était la vraie royauté de l'or, solide, trÎnant sur des sacs pleins ; et, cette royauté, il ne l'exerçait pas comme un Gundermann, aprÚs l'épargne d'une lignée de banquiers, il se flattait orgueilleusement de l'avoir conquise par lui-mÃÂȘme, en capitaine d'aventure qui emporte un royaume d'un coup de main. Souvent, à l'époque de ses trafics sur les terrains du quartier de l'Europe, il était monté trÚs haut ; mais jamais il n'avait senti Paris vaincu si humble à ses pieds. Et il se rappelait le jour oÃÂč, déjeunant chez Champeaux, doutant de son étoile, ruiné une fois de plus, il jetait sur la Bourse des regards affamés, pris de la fiÚvre de tout recommencer pour tout reconquérir, dans une rage de revanche. Aussi, cette heure qu'il redevenait le maÃtre, quelle fringale de jouissances ! D'abord, dÚs qu'il se crut tout-puissant, il congédia Huret, il chargea Jantrou de lancer contre Rougon un article oÃÂč le ministre, au nom des catholiques, se trouvait nettement accusé de jouer double jeu dans la question romaine. C'était la déclaration de guerre définitive entre les deux frÚres. Depuis la convention du 15 septembre 1864, surtout depuis Sadowa, les cléricaux affectaient de montrer de vives inquiétudes sur la situation du pape ; et, dÚs lors, L'Espérance , reprenant son ancienne politique ultramontaine, attaqua violemment l'empire libéral, tel qu'avaient commencé à le faire les décrets du 19 janvier. Un mot de Saccard circulait à la Chambre il disait que, malgré sa profonde affection pour l'empereur, il se résignerait à Henri V, plutÎt que de laisser l'esprit révolutionnaire mener la France à des catastrophes. Ensuite, son audace croissant avec ses victoires, il ne cacha plus son plan de s'attaquer à la haute banque juive, dans la personne de Gundermann, dont il s'agissait de battre en brÚche le milliard, jusqu'à l'assaut et à la capture finale. L'Universelle avait si miraculeusement grandi, pourquoi cette maison, soutenue par toute la chrétienté, ne serait-elle pas, en quelques années encore, la souveraine maÃtresse de la Bourse ? Et il se posait en rival, en roi voisin, d'une égale puissance, plein d'une forfanterie batailleuse ; tandis que Gundermann, trÚs flegmatique, sans mÃÂȘme se permettre une moue d'ironie, continuait à guetter et à attendre, l'air simplement trÚs intéressé par la hausse continue des actions, en homme qui a mis toute sa force dans la patience et la logique. C'était sa passion qui élevait ainsi Saccard, et sa passion qui devait le perdre. Dans l'assouvissement de ses appétits, il aurait voulu se découvrir un sixiÚme sens, pour le satisfaire. Mme Caroline, qui en était arrivée à sourire toujours, mÃÂȘme lorsque son coeur saignait, restait une amie, qu'il écoutait avec une sorte de déférence conjugale. La baronne Sandorff, dont les paupiÚres meurtries et les lÚvres rouges mentaient décidément, commençait à ne plus l'amuser, d'une froideur de glace, au milieu de ses curiosités perverses. Et, d'ailleurs, lui-mÃÂȘme n'avait jamais connu de grandes passions, étant de ce monde de l'argent, trop occupé, dépensant autre part ses nerfs, payant l'amour au mois. Aussi, lorsque l'idée de la femme lui vint, sur le tas de ses nouveaux millions, ne songea-t-il qu'à en acheter une trÚs cher, pour l'avoir devant tout Paris, comme il se serait fait cadeau d'un trÚs gros brillant, simplement vaniteux de le piquer à sa cravate. Puis, n'était- ce pas là une excellente publicité ? un homme capable de mettre beaucoup d'argent à une femme, n'a-t-il pas dÚs lors une fortune cotée ? Tout de suite son choix tomba sur Mme de Jeumont, chez qui il avait dÃné deux ou fois avec Maxime. Elle était encore fort belle à trente-six ans, d'une beauté réguliÚre et grave de Junon, et a grande réputation venait de ce que l'empereur lui avait payé une nuit cent mille francs, sans compter la décoration pour son mari, un homme correct qui n'avait d'autre situation que ce rÎle d'ÃÂȘtre le mari de sa femme. Tous deux vivaient largement, allaient partout, dans les ministÚres, à la cour, alimentés par des marchés rares et choisis, se suffisant de trois ou quatre nuits par an. On savait que cela coûtait horriblement cher, c'était tout ce qu'il y avait de plus distingué. Et Saccard, qu'excitait particuliÚrement l'envie de mordre à ce morceau d'empereur, alla jusqu'à deux cent mille francs, le mari ayant d'abord fait la moue sur cet ancien financier louche, le trouvant trop mince personnage et d'une immoralité compromettante. Ce fut vers cette mÃÂȘme époque que la petite Mme Conin refusa carrément de prendre du plaisir avec Saccard. Il fréquentait beaucoup la papeterie de la rue Feydeau, ayant toujours des carnets à acheter, trÚs séduit par cette adorable blonde, rose et potelée, aux cheveux de soie pùle, en neige, un petit mouton frisé, et gracieuse, et cùline, toujours gaie. " Non, je ne veux pas, jamais avec vous ! " Quand elle avait dit jamais, c'était chose réglée, rien ne la faisait revenir sur son refus. " Mais pourquoi ? Je vous ai bien vue avec un autre un jour que vous sortiez d'un hÎtel, passage des Panoramas... " Elle rougit, mais sans cesser de le regarder bravement en face. Cet hÎtel, tenu par une vieille dame, son amie, lui servait en effet de lieu de rendez-vous, lorsqu'un caprice la faisait céder à un monsieur du monde de la Bourse, aux heures oÃÂč son brave homme de mari collait ses registres et oÃÂč elle battait Paris, toujours dehors pour les courses de la maison. " Vous savez bien, Gustave Sédille, ce jeune homme, votre amant. " D'un joli geste, elle protesta. Non, non ! elle n'avait pas d'amant. Pas un homme ne pouvait se vanter de l'avoir eue deux fois. Pour qui la prenait-il ? Une fois, oui ! par hasard, par plaisir, sans que ça tirùt autrement à conséquence ! Et tous restaient ses amis, trÚs reconnaissants, trÚs discrets. " C'est donc parce que je ne suis plus jeune ? " Mais, d'un nouveau geste, avec son continuel rire, elle sembla dire qu'elle s'en moquait bien, qu'on fût jeune ! Elle avait cédé à des moins jeunes, à des moins beaux encore, à de pauvres diables souvent. " Pourquoi alors, dites pourquoi ? - Mon Dieu ! c'est simple... Parce que vous ne me plaisez pas. Avec vous, jamais ! " Et elle restait tout de mÃÂȘme trÚs aimable, l'air désolé de ne pouvoir le satisfaire. " Voyons, reprit-il brutalement, ce sera ce que vous voudrez... Voulez-vous mille, voulez-vous deux mille, pour une fois, une seule fois ? " A chaque surenchÚre qu'il mettait, elle disait non de la tÃÂȘte, gentiment. " Voulez-vous... Voyons, voulez-vous dix mille, voulez-vous vingt mille ? " Doucement, elle l'arrÃÂȘta, en posant sa petite main sur la sienne. " Pas dix, pas cinquante, pas cent mille ! Vous pourriez monter longtemps comme ça, ce serait non, toujours non... Vous voyez bien que je n'ai pas un bijou sur moi. Ah ! on m'en a offert, des choses, de l'argent, et de tout ! Je ne veux rien, est-ce que ça ne suffit pas, quand ça fait plaisir ?... Mais comprenez donc que mon mari m'aime de tout son coeur, et que je l'aime aussi beaucoup, moi. C'est un trÚs honnÃÂȘte homme, mon mari. Alors, bien sûr que je ne vais pas le tuer en lui causant du chagrin... Qu'est-ce que vous voulez que j'en fasse, de votre argent, puisque le ne peux pas le donner à mon mari ? Nous ne sommes pas malheureux, nous nous retirerons un jour avec une jolie fortune ; et, si ces messieurs me font tous l'amitié de continuer à se fournir chez nous, ça, je l'accepte... Oh ! je ne me pose pas pour plus désintéressée que je ne suis. Si j'étais seule, je verrais. Seulement, encore un coup, vous ne vous imaginez pas que mon mari prendrait vos cent mille francs, aprÚs que j'aurais couché avec vous... Non, non ! pas pour un million ! " Et elle s'entÃÂȘta. Saccard, exaspéré par cette résistance inattendue, s'acharna de son cÎté pendant prÚs d'un mois. Elle le bouleversait, avec sa figure rieuse, ses grands yeux tendres, pleins de compassion. Comment ! l'argent ne donnait donc pas tout ? Voilà une femme que d'autres avaient pour rien, et qu'il ne pouvait avoir, lui, en y mettant un prix fou ! Elle disait non, c'était sa volonté. Il en souffrait cruellement, dans son triomphe, comme d'un doute à sa puissance, d'une désillusion secrÚte sur la force de l'or, qu'il avait crue jusque-là absolue et souveraine. Mais, un soir, il eut pourtant la jouissance de vanité la plus vive. Ce fut la minute culminante de son existence. Il y avait un bal au ministÚre des Affaires étrangÚres, et il avait choisi cette fÃÂȘte, donnée à propos de l'Exposition, pour prendre acte publiquement de son bonheur d'une nuit, avec Mme de Jeumont ; car, dans les marchés que passait cette belle personne, il entrait toujours que l'heureux acquéreur aurait, une fois, le droit de l'afficher, de façon que l'affaire eût pleinement toute la publicité voulue. Donc, vers minuit, dans les salons oÃÂč les épaules nues s'écrasaient parmi les habits noirs, sous la clarté ardente des lustres, Saccard entra, ayant au bras Mme de Jeumont ; et le mari suivait. Quand ils parurent, les groupes s'écartÚrent, on ouvrit un large passage à ce caprice de deux cent mille francs qui s'étalait, à ce scandale fait de violents appétits et de prodigalité folle. On souriait, on chuchotait, l'air amusé, sans colÚre, au milieu de l'odeur grisante des corsages, dans le bercement lointain de l'orchestre. Mais, au fond d'un salon, tout un autre flot de curieux se pressait autour d'un colosse, vÃÂȘtu d'un uniforme de cuirassier blanc, éclatant et superbe. C'était le comte de Bismarck, dont la grande taille dominait toutes les tÃÂȘtes, riant d'un rire large, les yeux gros, le nez fort, avec une mùchoire puissante, que barraient des moustaches de conquérant barbare. AprÚs Sadowa, il venait de donner l'Allemagne à la Prusse ; les traités d'alliance, longtemps niés, étaient depuis des mois signés contre la France ; et la guerre, qui avait failli éclater en mai, à propos de l'affaire du Luxembourg, était désormais fatale. Lorsque Saccard, triomphant, traversa la piÚce, ayant à son bras Mme de Jeumont, et suivi du mari, le comte de Bismarck s'interrompit de rire un instant, en bon géant goguenard, pour les regarder curieusement passer. IX - Mme Caroline, de nouveau, se trouva seule. Hamelin était resté à Paris jusqu'aux premiers jours de novembre pour les formalités que nécessitait la constitution définitive de la société, au capital de cent cinquante millions ; et ce fut encore lui, sur le désir de Saccard, qui alla faire chez maÃtre Lelorrain, rue Sainte-Anne, les déclarations légales, affirmant que toutes les actions étaient inscrites et le capital versé, ce qui n'était pas vrai. Ensuite, il partit pour Rome, oÃÂč il devait passer deux mois, ayant à y étudier de grosses affaires, qu'il taisait, sans doute son fameux rÃÂȘve du pape à Jérusalem, ainsi projet, plus pratique et considérable, celui formation de l'Universelle en une banque catholique, s'appuyant sur les intérÃÂȘts chrétiens du monde entier, toute une vaste machine, destinée à écraser, balayer du globe la banque juive ; et, de là , il comptait retourner une fois encore en Orient, oÃÂč l'appelaient les travaux du chemin de fer de Brousse à Beyrouth. Il s'éloignait heureux, de la rapide prospérité de la maison, convaincu de sa solidité inébranlable, n'ayant fond que la sourde inquiétude de ce succÚs trop grand. Aussi, la veille de son départ, dans la conversation qu'il avait eut avec sa soeur, ne lui fit-il qu'une recommandation pressante, celle de résister à l'engouement général et de vendre leurs titres, si le cours de deux cent francs était dépassé, parce qu'il entendait protester personnellement contre cette hausse continue, qu'il jugeait folle et dangereuse. DÚs qu'elle fut seule, Mme Caroline se sentit plus troublée encore par le milieu surchauffé oÃÂč elle vivait. Vers la premiÚre semaine de novembre, on atteignit le cours de deux mille deux cents et c'était, autour d'elle, un ravissement, des cris de remerciement et d'espoir illimités Dejoie venait se fondre en gratitude, les dames de Beauvilliers la traitent en égale, en amie de dieu qui allait relever leur antique maison. Un concert de bénédictions montait de la foule heureuse des petits et de grands, les filles enfin dotées, les pauvres brusquement enrichis, assurés d'une retraite, les riches brûlant de l'insatiable joie d'ÃÂȘtre plus riche encore. Au lendemain de l'Exposition, dans Paris grisé de plaisir et de puissance, l'heure était unique, une heure de foi au bonheur, la certitude d'une chance sans fin. Toutes les valeurs avaient monté, les moins solides trouvaient des crédules, une pléthore d'affaires véreuses gonflait le marché, le congestionnait jusqu'à l'apoplexie, tandis que dessous, sonnait le vide, le réel épuisement d'une rÚgne qui avait beaucoup joui, dépensé des milliards en grands travaux, engraissé des maisons de crédit énormes, dont les caisses béantes s'éventrait de toutes parts. Au premier craquement, c'était la débùcle. Et Mme Caroline, sans doute, avait ce pressentiment anxieux, lorsqu'elle sentait son coeur se serrer, à chaque nouveau bond des cours de l'Universelle. Aucune rumeur mauvaise ne courait, à peine un léger frémissement des baissiers, étonnés et domptés. Pourtant, elle avait bien conscience d'un malaise, quelque chose qui déjà minait l'édifice, mais quoi ? rien ne se précisait ; et elle était forcée d'attendre, devant l'éclat du triomphe grandissant, malgré ces légÚres secousses d'ébranlement qui annoncent les catastrophes. D'ailleurs, Mme Caroline eut alors un autre ennui. A l'Oeuvre du Travail, on était enfin satisfait de Victor, devenu silencieux et sournois ; et, si elle n'avait pas déjà tout conté à Saccard, c'était par un singulier sentiment d'embarras, reculant de jour en jour son récit, souffrant de la honte qu'il en aurait. D'autre part, Maxime, à qui, vers ce temps, elle rendit, de sa poche, les deux mille francs, s'égaya au sujet des quatre mille que Busch et la Méchain réclamaient encore ces gens la volaient, son pÚre serait furieux. Aussi, désormais, repoussait-elle les demandes réitérées de Busch, qui exigeait le complément de la somme promise. AprÚs des démarches sans nombre, celui- ci finit par se fùcher, d'autant plus que son ancienne idée de faire chanter Saccard renaissait, depuis la situation nouvelle de ce dernier, cette haute situation oÃÂč il le croyait à sa merci, devant la peur du scandale. Un jour donc, exaspéré de ne rien tirer d'une affaire si belle, il résolut de s'adresser directement à lui, il lui écrivit de bien vouloir passer à son bureau pour prendre connaissance d'anciens papiers trouvés dans une maison de la rue de la Harpe. Il donnait le numéro, il faisait une allusion si claire à la vieille histoire, que Saccard, saisi d'inquiétude, ne pouvait manquer d'accourir. Justement, cette lettre, portée rue Saint-Lazare, tomba entre les mains de Mme Caroline, qui reconnut l'écriture. Elle trembla, elle se demanda un instant si elle n'allait pas courir chez Busch, afin de le désintéresser. Puis, elle se dit qu'il écrivait peut-ÃÂȘtre pour tout autre chose, et qu'en tout cas c'était une façon d'en finir, heureuse mÃÂȘme dans son émoi qu'un autre eût l'embarras de la confidence. Mais, le soir, lorsque Saccard rentra et que, devant elle, il ouvrit la lettre, elle le vit simplement devenir grave, elle crut à quelque complication d'argent. Pourtant, il avait éprouvé une profonde surprise, sa gorge s'était serrée, à l'idée de tomber entre de si sales mains, flairant quelque ignominie. D'un geste tranquille, il mit la lettre dans sa poche, il décida qu'il irait au rendez-vous. Des jours s'écoulÚrent, la seconde quinzaine de novembre arriva, et Saccard remettait chaque matin la visite, étourdi par le torrent qui l'emportait. Le cours de deux mille trois cents francs venait d'ÃÂȘtre dépassé, il en était ravi, tout en sentant, à la Bourse, une résistance se faire, s'accentuer, à mesure que s'affolait la hausse évidemment, il y avait un groupe de baissiers qui prenaient position, engageant la lutte, timides encore, dans de simples combats d'avant-poste. Et, à deux reprises, il se crut obligé de donner lui-mÃÂȘme des ordres d'achat, sous des prÃÂȘte-noms, pour que la marche ascensionnelle des cours ne fût pas arrÃÂȘtée. Le systÚme de la société achetant ses propres titres, jouant sur eux, se dévorant, commençait. Un soir, tout secoué de sa passion, Saccard ne put s'empÃÂȘcher d'en parler à Mme Caroline. " Je crois bien que ça va chauffer. Oh ! nous voici trop forts, nous les gÃÂȘnons trop... Je flaire Gundermann, c'est sa tactique il va procéder à des ventes réguliÚres, tant aujourd'hui, tant demain, en augmentant le chiffre, jusqu'à ce qu'il nous ébranle... " Elle l'interrompit de sa voix grave. " S'il a de l'Universelle, il a raison de vendre. - Comment ! il a raison de vendre ? - Sans doute, mon frÚre vous l'a dit les cours, à partir de deux mille, sont absolument fous. " Il la regardait, il éclata, hors de lui. " Vendez donc alors, osez donc vendre vous-mÃÂȘme... Oui, jouez contre moi, puisque vous voulez ma défaite. " Elle rougit légÚrement, car, la veille, elle avait précisément vendu mille de ses actions, pour obéir aux ordres de son frÚre, soulagée, elle aussi, par cette vente, comme par un acte tardif d'honnÃÂȘteté. Mais, puisqu'il ne la questionnait pas directement, elle ne lui en fit pas l'aveu, d'autant plus gÃÂȘnée, qu'il ajouta " Ainsi, hier, il y a eu des défections, j'en suis sûr. Il est arrivé tout un paquet de valeurs sur le marché, les cours auraient certainement fléchi, si je n'étais intervenu. Ce n'est pas Gundermann qui fait de ces coups-là . Il a une méthode plus lente, plus écrasante à la longue... Ah ! ma, chÚre, je suis bien rassuré, mais je tremble tout de mÃÂȘme, car ce n'est rien de défendre sa vie, le pis est de défendre son argent et celui des autres. " En effet, à partir de ce moment, Saccard cessa de s'appartenir. Il fut l'homme des millions qu'il gagnait triomphant, et sans cesse sur le point d'ÃÂȘtre battu. Il ne trouvait mÃÂȘme plus le temps d'aller voir la baronne Sandorff, dans le petit rez-de-chaussée de la rue Caumartin. A la vérité, elle l'avait lassé par le mensonge de ses yeux de flamme, cette froideur que ses tentatives perverses ne parvenaient pas à échauffer. Puis, un désagrément lui était arrivé, le mÃÂȘme qu'il avait fait subir à Delcambre un soir, par la bÃÂȘtise d'une femme de chambre, cette fois, il était entré au moment oÃÂč la baronne se trouvait entre les bras de Sabatani. Dans l'orageuse explication qui avait suivi, il ne s'était calmé qu'aprÚs une confession entiÚre, celle d'une simple curiosité, coupable sans doute, mais si explicable. Ce Sabatani, toutes les femmes en parlaient comme d'un tel phénomÚne, on chuchotait sur cette chose si énorme, qu'elle n'avait pu résister à l'envie de voir. Et Saccard pardonna, lorsque, à une question brutale, elle eut répondu que, mon Dieu ! aprÚs tout, ce n'était pas si étonnant. Il ne la voyait plus guÚre qu'une fois par semaine, non pas qu'il lui gardùt rancune mais parce qu'elle l'ennuyait, simplement. Alors, la baronne Sandorff, qui le sentait se détacher, retomba dans ses ignorances et ses doutes d'autrefois. Depuis qu'elle le confessait aux heures intimes, elle jouait presque à coup sûr, elle gagnait beaucoup, de moitié dans sa chance. Aujourd'hui, elle voyait bien qu'il ne voulait plus répondre, elle craignait mÃÂȘme qu'il ne lui mentÃt ; et, soit que la chance tournùt, soit qu'il se fût en effet amusé à la lancer sur une piste fausse, il arriva un jour qu'elle perdit, en suivant un de ses conseils. Sa foi en fut ébranlée. S'il l'égarait ainsi, qui donc allait la guider maintenant ? Et le pis était que le frémissement d'hostilité, à la Bourse, d'abord si léger, augmentait de jour en jour contre l'Universelle. Ce n'étaient encore que des rumeurs, on ne formulait rien de précis, aucun fait n'entamait la solidité de la maison. Seulement, on laissait entendre qu'il devait y avoir quelque chose, que le ver se trouvait dans le fruit. Ce qui, d'ailleurs, n'empÃÂȘchait pas la hausse des titres de s'accentuer, formidable. A la suite d'une opération manquée sur l'Italien, la baronne, décidément inquiÚte, résolut de se rendre aux bureaux de L'Espérance , pour tùcher de faire causer Jantrou. " Voyons, qu'y a-t-il ? vous devez savoir, vous... L'Universelle, tout à l'heure, a encore monté de vingt francs, et pourtant un bruit courait, personne n'a pu me dire lequel, enfin quelque chose de pas bon. " Mais Jantrou était dans une égale perplexité. Placé à la source des bruits, les fabriquant lui-mÃÂȘme au besoin, il se comparait plaisamment à un horloger, qui vit au milieu de centaines de pendules, et qui ne sait jamais l'heure exacte. Grùce à son agence de publicité, s'il était dans toutes les confidences, il n'y avait plus pour lui d'opinion publique et solide, car ses renseignements se contrecarraient et se détruisaient. " Je ne sais rien, rien du tout. - Oh ! vous ne voulez pas me dire. - Non, je ne sais rien, parole d'honneur ! Et moi qui projetais d'aller vous voir pour vous questionner ! Saccard n'est donc plus gentil ? " Elle eut un geste, qui le confirma dans ce qu'il avait deviné une fin de liaison par lassitude mutuelle, la femme maussade, l'amant refroidi, ne causant plus. Il regretta un instant de n'avoir pas joué le rÎle de l'homme bien informé, pour se la payer enfin, comme il disait, cette petite Ladricourt, dont le pÚre le recevait à coups de botte. Mais il sentait que son heure n'était pas venue ; et il continuait de la regarder, réfléchissant tout haut. " Oui, c'est embÃÂȘtant, moi qui comptais sur vous... Parce que, n'est- ce pas ? s'il doit y avoir quelque catastrophe, il faudrait ÃÂȘtre prévenu, afin de pouvoir se retourner... Oh ! je ne crois pas que ça presse, c'est trÚs solide encore. Seulement, on voit des choses si drÎles... " A mesure qu'il la regardait ainsi, un plan germait dans sa tÃÂȘte. " Dites donc, reprit-il brusquement, puisque Saccard vous lùche, vous devriez vous mettre bien avec Gundermann. " Elle resta un moment surprise. " Gundermann, pourquoi ?... Je le connais un peu, je l'ai rencontré chez les de Roiville et chez les Keller. - Tant mieux, si vous le connaissez... Allez le voir sous un prétexte, causez avec lui, tùchez d'ÃÂȘtre son amie... Vous imaginez-vous cela ÃÂȘtre la bonne amie de Gundermann, gouverner le monde ! " Et il ricanait, aux images licencieuses qu'il évoquait du geste, car la froideur du juif était connue, rien ne devait ÃÂȘtre plus compliqué ni plus difficile que de le séduire. La baronne, ayant compris, eut un sourire muet, sans se fùcher. " Mais répéta-t-elle, pourquoi Gundermann ? " Il expliqua alors que, certainement, ce dernier était à la tÃÂȘte du groupe de baissiers qui commençaient à manoeuvrer contre l'Universelle. Ça, il le savait, il en avait la preuve. Puisque Saccard n'était pas gentil, la simple prudence n'était-elle pas de se mettre bien avec son adversaire, sans rompre avec lui d'ailleurs ? On aurait un pied dans chaque camp, on serait assuré d'ÃÂȘtre, le jour de la bataille, en compagnie du vainqueur. Et, cette trahison, il la proposait d'un air aimable, simplement en homme de bon conseil. Si une femme travaillait pour lui, il dormirait bien tranquille. " Hein ? voulez-vous ? soyons ensemble... Nous nous préviendrons, nous nous dirons tout ce que nous aurons appris. " Comme il s'emparait de sa main, elle la retira d'un mouvement instinctif croyant à autre chose. " Mais non, je n'y songe plus, puisque nous sommes camarades... Plus tard, c'est vous qui me récompenserez. " En riant, elle lui abandonna sa main, qu'il baisa. Et elle était déjà sans mépris, oubliant le laquais qu'il avait été, ne le voyant plus dans la crapuleuse fÃÂȘte oÃÂč il tombait, le visage ruiné, avec sa belle barbe qui empoisonnait l'absinthe, sa redingote neuve souillée de taches, son chapeau luisant tout éraflé du plùtre de quelque escalier immonde. DÚs le lendemain, la baronne Sandorff se rendit chez Gundermann. Celui-ci, depuis que les titres de l'Universelle avaient atteint le cours de deux mille francs, menait en effet toute une campagne à la baisse, dans la discrétion la plus grande, n'allant jamais à la Bourse, n'y ayant pas mÃÂȘme de représentant officiel. Son raisonnement était qu'une action vaut d'abord son prix d'émission, ensuite l'intérÃÂȘt qu'elle peut rapporter, et qui dépend de la prospérité de la maison, du succÚs des entreprises. Il y a donc une valeur maximum qu'elle ne doit raisonnablement pas dépasser ; et, dÚs qu'elle la dépasse, par suite de l'engouement public, la hausse est factice, la sagesse est de se mettre à la baisse, avec la certitude qu'elle se produira. Dans sa conviction, dans son absolue croyance à la logique, il restait pourtant surpris des rapides conquÃÂȘtes de Saccard, de cette puissance tout d'un coup grandie, dont la haute banque juive commençait à s'épouvanter. Il fallait au plus tÎt abattre ce rival dangereux, non seulement pour rattraper les huit millions perdus au lendemain de Sadowa, mais surtout pour ne pas avoir à partager la royauté du marché avec ce terrible aventurier, dont les casse-cou semblaient réussir, contre tout bon sens, comme par miracle. Et Gundermann, plein du mépris de la passion, exagérait encore son flegme de joueur mathématique, d'une obstination froide d'homme chiffre, vendant toujours malgré la hausse continue, perdant à chaque liquidation des sommes de plus en plus considérables, avec la belle sécurité d'un sage qui met simplement son argent à la Caisse d'épargne. Lorsque la baronne put enfin entrer, au milieu de la bousculade des employés et des remisiers, de la grÃÂȘle des piÚces à signer et des dépÃÂȘches à lire, elle trouva le banquier souffrant d'un horrible rhume qui lui arrachait la gorge. Cependant, il était là depuis six heures du matin, toussant et crachant, exténué de fatigue, solide quand mÃÂȘme. Ce jour-là , à la veille d'un emprunt étranger, a vaste salle était envahie par un flot de visiteurs plus pressé encore, que recevaient en coup de vent deux de ses fils et un de ses gendres ; tandis que, par terre, prÚs de l'étroite table qu'il s'était réservée au fond, dans l'embrasure d'une fenÃÂȘtre, trois de ses petits-enfants, deux fillettes et un garçon, se disputaient avec des cri aigus une poupée dont un bras et une jambe gisaient déjà , arrachés. Tout de suite, la baronne donna son prétexte. " Cher monsieur, j'ai voulu avoir en personne la bravoure de mon importunité... C'est pour une loterie de bienfaisance... " Il ne la laissa pas achever, il était fort charitable, et prenait toujours deux billets, surtout lorsque des dames, rencontrées par lui dans le monde, se donnaient ainsi la peine de les lui apporter. Mais il dut s'excuser, un employé venait lui soumettre le dossier d'une affaire. Des chiffres énormes furent rapidement échangés. " Cinquante-deux millions, dites-vous ? Et le crédit était ? - De soixante millions, monsieur. - Eh bien, portez-le à soixante-quinze millions. " Il revenait à la baronne, lorsqu'un mot surpris dans une conversation que son gendre avait avec un remisier, le fit se précipiter. " Mais pas du tout ! Au cours de cinq cent quatre-vingt-sept cinquante, cela fait dix sous de moins par action. - Oh ! monsieur, dit le remisier humblement, pour quarante-trois francs que ça ferait en moins ! - Comment, quarante-trois francs ! mais c'est énorme ! Est-ce que vous croyez que je vole l'argent ? Chacun son compte, je ne connais que ça ! " Enfin, pour causer à l'aise, il se décida à emmener la baronne dans la salle à manger, oÃÂč le couvert était déjà mis. Il n'était pas dupe du prétexte de la loterie de bienfaisance, car il savait sa liaison, grùce à toute une police obséquieuse qui le renseignait, et il se doutait bien qu'elle venait, poussée par quelque intérÃÂȘt grave. Aussi ne se gÃÂȘna-t-il pas. " Voyons, maintenant, dites-moi ce que vous avez à me dire. " Mais elle affecta la surprise. Elle n'avait rien à lui dire, elle avait à le remercier simplement de sa bonté. " Alors, on ne vous a pas chargée d'une commission pour moi ? " Et il parut désappointé, comme s'il avait cru un instant qu'elle venait avec une mission secrÚte de Saccard, quelque invention de ce fou. A présent qu'ils étaient seuls, elle le regardait en souriant, de son air ardent et menteur, qui excitait si inutilement les hommes. " Non, non, je n'ai rien à vous dire ; et puis, puisque vous ÃÂȘtes si bon, j'aurais plutÎt quelque chose à vous demander. " Elle s'était penchée vers lui, elle effleurait ses genoux de ses fines mains gantées. Et elle se confessait, disait son mariage déplorable avec un étranger qui n'avait rien compris à sa nature, ni à ses besoins, expliquait comment elle avait dû s'adresser au jeu pour ne pas déchoir de sa situation. Enfin, elle parla de sa solitude, de la nécessité d'ÃÂȘtre conseillée, dirigée, sur cet effrayant terrain de la Bourse, oÃÂč chaque faux pas coûte si cher. " Mais, interrompit-il, je croyais que vous aviez quelqu'un. - Oh ! quelqu'un, murmura-t-elle avec un geste de profond dédain. Non, non, ce n'est personne, je n'ai personne... C'est vous que je voudrais avoir, le maÃtre, le dieu. Et cela, vraiment, ne vous coûterait guÚre d'ÃÂȘtre mon ami, de me dire un mot, rien qu'un mot, de loin en loin. Si vous saviez comme vous me rendriez heureuse, comme je vous serais reconnaissante, oh ! de tout mon ÃÂȘtre ! " Elle s'approchait encore, l'enveloppait de sa tiÚde haleine, de l'odeur fine et puissante qui s'exhalait d'elle tout entiÚre. Mais il restait bien calme, et il ne se recula mÃÂȘme pas, la chair morte, sans un aiguillon à réprimer. Tandis qu'elle parlait, lui dont l'estomac était également détruit, et qui vivait de laitage, il prenait un à un, dans un compotier, sur la table, des grains de raisin qu'il mangeait d'un geste machinal, l'unique débauche qu'il se permettait parfois, aux grandes heures de sensualité, quitte à la payer par des journées de souffrance. Il eut un rire narquois, en homme qui se sait invincible, lorsque la baronne, d'un air d'oubli, dans le feu de sa priÚre, lui posa enfin sur le genou sa petite main tentatrice, aux doigts dévorants, souples comme un noeud de couleuvres. Plaisamment, il prit cette main, l'écarta en disant merci d'un signe de tÃÂȘte, ainsi que pour un cadeau inutile qu'on refuse. Et, sans perdre son temps davantage, allant droit au but " Voyons, vous ÃÂȘtes bien gentille, je voudrais vous ÃÂȘtre agréable... Ma belle amie, le jour oÃÂč vous m'apporterez un bon conseil, je m'engage à vous en donner un aussi. Venez me dire ce qu'on fait, et je vous dirai ce que je ferai... Affaire conclue, hein ? " Il s'était levé, et elle dut rentrer avec lui dans la grande salle voisine. Elle avait parfaitement compris le marché qu'il proposait, l'espionnage, la trahison. Mais elle ne voulut pas répondre, elle affecta de reparler de sa loterie de bienfaisance ; tandis que lui, de son hochement de tÃÂȘte goguenard, semblait ajouter qu'il ne tenait pas à ÃÂȘtre aidé, que le dénouement logique, fatal, arriverait quand mÃÂȘme, un peu plus tard peut-ÃÂȘtre. Et, lorsqu'elle partit enfin, il était déjà repris par d'autres affaires, dans l'extraordinaire tumulte de cette halle aux capitaux, au milieu du défilé des gens de Bourse, de la galopade de ses employés, des jeux de ses petits-enfants, qui venaient d'arracher la tÃÂȘte de la poupée, avec des cris de triomphe. Il s'était assis à son étroite table, il s'absorba dans l'étude d'une idée soudaine, n'entendit plus rien. Deux fois, la baronne Sandorff retourna aux bureaux de L'Espérance , pour rendre compte de sa démarche à Jantrou, sans le rencontrer. Dejoie enfin l'introduisit, un jour que sa fille Nathalie causait avec Mme Jordan sur une banquette du couloir. Il tombait, depuis la veille, une pluie diluvienne ; et, par ce temps humide et gris, l'entresol du vieil hÎtel, au fond du puisard assombri de la cour, était d'une mélancolie affreuse. Le gaz brûlait dans un demi-jour boueux. Marcelle, qui attendait Jordan en chasse pour donner un nouvel acompte à Busch, écoutait d'un air triste Nathalie caquetant comme une pie vaniteuse, avec sa voix sÚche, ses gestes aigus de fille de Paris poussée trop vite. " Vous comprenez, madame, papa ne veut pas vendre... Il y a une personne qui le pousse à vendre, en tùchant de lui faire peur. Je ne la nomme pas, cette personne, parce que son rÎle, bien sûr, n'est guÚre d'effrayer le monde... C'est moi, maintenant, qui empÃÂȘche papa de vendre... Plus souvent que je vende, quand ça monte ! Faudrait ÃÂȘtre joliment godiche, n'est-ce pas ? - Certes ! répondit simplement Marcelle. - Vous savez que nous sommes à deux mille cinq cents, continua Nathalie. Je tiens les comptes, moi, car papa ne sait guÚre écrire... Alors, avec nos huit actions, ça nous donne déjà vingt mille francs. Hein ? c'est joli !... Papa voulait d'abord s'arrÃÂȘter à dix-huit mille, ça faisait son chiffre six mille francs pour ma dot, et douze mille pour lui, une petite rente de six cents francs, qu'il aurait bien gagnée, avec toutes ces émotions... Mais est-ce heureux, dites ? qu'il n'ait pas vendu, puisque voilà encore deux mille francs de plus !... Alors, maintenant, nous voulons davantage, nous voulons une rente de mille francs au moins. Et nous l'aurons, M. Saccard nous l'a bien dit... " Il est si gentil, M. Saccard ! " Marcelle ne put s'empÃÂȘcher de sourire. " Vous ne vous mariez donc plus ? - Si, si, lorsque ça aura fini de monter... Nous étions pressés, le pÚre de Théodore surtout, à cause de son commerce. Seulement, que voulez-vous ? on ne peut pas boucher la source, quand l'argent arrive. Oh ! Théodore comprend trÚs bien, attendu que si papa a davantage de rente, c'est davantage de capital qui nous reviendra un jour. Dame ! c'est à considérer... Et voilà , tout le monde attend. On a les six mille francs depuis des mois, on pourrait se marier ; mais on aime mieux les laisser faire des petits... Est-ce que vous lisez les articles sur les actions, vous ? " Et, sans attendre la réponse " Moi, je les lis, le soir. Papa m'apporte les journaux... Il les a déjà lus, et il faut que je les lui relise... Jamais on ne s'en lasserait, tant c'est beau, tout ce qu'ils promettent. Quand je me couche, j'en ai la tÃÂȘte pleine, j'en rÃÂȘve la nuit. Et papa me dit aussi qu'il voit des choses qui sont un trÚs bon signe. Avant-hier, nous avons fait le mÃÂȘme songe, des piÚces de cent sous que nous ramassions à la pelle, dans la rue. C'est trÚs amusant. " De nouveau, elle s'interrompit pour demander " Combien avez-vous d'actions, vous ? - Nous, pas une ! " répondit Marcelle. La petite figure blonde de Nathalie, avec ses mÚches pùles envolées, prit un air de commisération immense. Ah ! les pauvres gens qui n'avaient pas d'actions ! Et, son pÚre l'ayant appelée, pour la charger de remettre un paquet d'épreuves à un rédacteur, en remontant aux Batignolles, elle s'en alla, avec une importance amusante de capitaliste, qui, presque tous les jours, maintenant, descendait au journal, afin de connaÃtre plus tÎt le cours de la Bourse. Restée seule sur la banquette, Marcelle retomba dans une songerie mélancolique, elle si gaie et si brave d'habitude. Mon Dieu ! qu'il faisait noir, qu'il faisait triste ! et son pauvre mari qui courait les rues par cette pluie diluvienne ! Il avait un tel mépris de l'argent, un tel malaise à la seule idée de s'en occuper, cela lui coûtait un si gros effort d'en demander, mÃÂȘme à ceux qui lui en devaient ! Et, absorbée, n'entendant rien, elle revivait sa journée depuis son réveil, cette journée mauvaise ; tandis que, autour d'elle, se faisait le travail fiévreux du journal, le galop des rédacteurs, le va-et-vient de la copie, au milieu des battements de porte et des coups de sonnette. D'abord, dÚs neuf heures, comme Jordan venait de partir pour toute une enquÃÂȘte sur un accident dont il devait rendre compte Marcelle, à peine débarbouillée, encore en camisole, avait eu la stupeur de voir tomber chez eux Busch, en compagnie de deux messieurs trÚs sales, peut- ÃÂȘtre des huissiers, peut-ÃÂȘtre des bandits, ce qu'elle n'avait jamais pu décider au juste. Cet abominable Busch, sans doute abusant de ce qu'il ne trouvait là qu'une femme, déclarait qu'ils allaient tout saisir, si elle ne le payait pas sur-le-champ. Et elle avait eu beau se débattre, n'ayant eu connaissance d'aucune des formalités légales il affirmait la signification du jugement, l'apposition de l'affiche, avec une telle carrure, qu'elle en était restée éperdue, finissant par croire à la possibilité de ces choses sans qu'on les sache. Mais elle ne se rendait point, expliquait que son mari ne rentrerait mÃÂȘme pas déjeuner, qu'elle ne laisserait toucher à rien, avant qu'il fût là . Alors, entre les trois louches personnages et cette jeune femme, à moitié dévÃÂȘtue, les cheveux sur les épaules, avait commencé la plus pénible des scÚnes, eux inventoriant déjà les objets, elle fermant les armoires, se jetant devant la porte, comme pour les empÃÂȘcher de rien sortir. Son pauvre petit logement dont elle était si fiÚre, ses quatre meubles qu'elle faisait reluire, la tenture d'andrinople de la chambre qu'elle avait clouée elle-mÃÂȘme ! Ainsi qu'elle le criait avec une bravoure guerriÚre, il faudrait lui marcher sur le corps ; et elle traitait Busch de canaille et de voleur, à la volée oui ! un voleur, qui n'avait pas honte de réclamer sept cent trente francs quinze centimes, sans compter les nouveaux frais, pour une créance de trois cents francs, une créance achetée par lui cent sous, au tas, avec des chiffons et de la vieille ferraille ! Dire qu'ils avaient déjà , par acomptes, donné quatre cents francs, et que ce voleur-là parlait d'emporter leurs meubles, en paiement des trois cents et tant de francs qu'il voulait leur voler encore ! Et il savait parfaitement qu'ils étaient de bonne foi, qu'ils l'auraient payé tout de suite, s'ils avaient eu la somme. Et il profitait de ce qu'elle était seule, incapable de répondre, ignorante de la procédure, pour l'effrayer et la faire pleurer. Canaille ! voleur ! voleur ! Furieux, Busch criait plus haut qu'elle, se tapait violemment la poitrine est-ce qu'il n'était pas un honnÃÂȘte homme ? est-ce qu'il n'avait pas payé la créance de bel et bon argent ? il était en rÚgle avec la loi, il entendait en finir. Cependant, comme un des deux messieurs trÚs sales ouvrait les tiroirs de la commode, à la recherche du linge, elle avait eu une attitude si terrible, menaçant d'ameuter la maison et la rue, que le juif s'était un peu radouci. Enfin, aprÚs une demi-heure encore de basse discussion, il avait consenti à attendre jusqu'au lendemain, avec l'enragé serment que prendrait tout, le lendemain, si elle lui manquait de parole. Oh ! quelle honte brûlante dont elle souffrait encore, ces vilains hommes chez eux, blessant toutes ses tendresses, toutes ses pudeurs, fouillant jusqu'au lit, empestant la chambre si heureuse, ont elle avait dû laisser la fenÃÂȘtre grande ouverte, aprÚs leur départ ! Mais un autre chagrin, plus profond, attendait Marcelle, ce jour-là . L'idée lui était venue de courir tout de suite chez ses parents, pour leur emprunter la somme de cette maniÚre, lorsque son mari rentrerait, le soir, elle ne le désespérerait pas, elle pourrait le faire rire avec la scÚne du matin. Déjà , elle se voyait lui racontant la grande bataille, l'assaut féroce donné à leur ménage, la façon héroïque dont elle avait repoussé l'attaque. Le coeur lui battait trÚs fort, en entrant dans le petit hÎtel de la rue Legendre, cette maison cossue oÃÂč elle avait grandi et oÃÂč elle croyait ne plus trouver que des étrangers, tellement l'air lui semblait, autre, glacial. Comme ses parents se mettaient à table, elle avait accepté de déjeuner, pour les disposer mieux. Tout le temps du repas, la conversation était restée sur la hausse des actions de l'Universelle, dont, la veille encore, le cours avait monté de vingt francs ; et elle s'étonnait de trouver sa mÚre plus enfiévrée, plus ùpre que son pÚre, elle qui, au commencement, tremblait à la seule idée de spéculation maintenant, avec une violence de femme conquise, c'était elle qui le gourmandait de sa timidité, acharnée aux grands coups du hasard. DÚs les hors-d'oeuvre, elle s'était emportée, saisie de ce qu'il parlait de vendre leurs soixante-quinze actions à ce cours inespéré de deux mille cinq cent vingt francs, ce qui leur aurait fait cent quatre-vingt-neuf mille francs, un joli gain, plus de cent mille francs sur le prix d'achat. Vendre ! quand La Cote financiÚre promettait le cours de trois mille francs ! est-ce qu'il devenait fou ? Car, enfin, La Cote financiÚre était connue pour sa vieille honnÃÂȘteté, lui-mÃÂȘme répétait souvent qu'avec ce journal-là on pouvait dormir sur ses deux oreilles ! Ah ! non, par exemple, elle ne le laisserait pas vendre ! elle vendrait plutÎt l'hÎtel, pour acheter encore ! Et Marcelle, silencieuse, le coeur serré à entendre voler passionnément ces gros chiffres, cherchait comment elle allait oser demander un prÃÂȘt de cinq cents francs, dans cette maison envahie par le jeu, oÃÂč elle avait vu monter peu à peu le flot des journaux financiers, qui la submergeaient aujourd'hui du rÃÂȘve grisant de leur publicité. Enfin, au dessert, elle s'était risquée il leur fallait cinq cents francs, on allait les vendre, ses parents ne pouvaient les abandonner dans ce désastre. Le pÚre, tout de suite, avait baissé la tÃÂȘte, avec un coup d'oeil embarrassé vers sa femme. Mais déjà la mÚre refusait d'une voix nette. Cinq cents francs ! oÃÂč voulait-on qu'elle les trouvùt ? Tous leurs capitaux étaient engagés dans des opérations ; et, d'ailleurs, ses anciennes diatribes revenaient quand on avait épousé un meurt-de-faim, un homme qui écrivait des livres, on acceptait les conséquences de sa sottise, on n'essayait pas de retomber à la charge des siens. Non ! elle n'avait pas un sou pour les paresseux qui, avec leur beau mépris affecté de l'argent, ne rÃÂȘvent que de manger celui des autres. Et elle avait laissé partir sa fille, et celle-ci s'en était allée désespérée, le coeur saignant de ne plus reconnaÃtre sa mÚre, elle si raisonnable et si bonne autrefois. Dans la rue, Marcelle avait marché, inconsciente, regardant si elle ne trouverait pas de l'argent par terre. Puis l'idée brusque lui était venue de s'adresser à l'oncle Chave ; et, immédiatement, elle s'était présentée au discret rez-de-chaussée de la rue Nollet, pour ne pas le manquer, avant la Bourse. Il y avait eu des chuchotements, des rires de fillettes. Pourtant, la porte ouverte, elle avait aperçu le capitaine seul, fumant sa pipe, et il s'était désolé, l'air furieux contre lui- mÃÂȘme, en criant qu'il n'avait jamais cent francs d'avance, qu'il mangeait au jour le jour ses petits gains de Bourse, comme un sale cochon qu'il était. Ensuite, en apprenant le refus des Maugendre, il avait tonné contre eux, de vilains bougres encore ceux-là , qu'il ne voyait plus d'ailleurs, depuis que la hausse de leurs quatre actions les rendait fous. Est-ce que, l'autre semaine, sa soeur ne l'avait pas traité de liardeur, comme pour tourner en ridicule son jeu prudent, parce qu'il lui conseillait amicalement de vendre ? En voilà une qu'il ne plaindrait pas, lorsqu'elle se casserait le cou ! Et Marcelle, de nouveau dans la rue, les mains vides, avait dû se résigner à se rendre au journal, pour avertir son mari de ce qui s'était passé, le matin. Il fallait absolument payer Busch. Jordan, dont le livre n'était encore accepté par aucun éditeur, venait de se lancer à la chasse de l'argent, au travers du Paris boueux de cette journée de pluie, sans savoir oÃÂč frapper, chez des amis, dans les journaux oÃÂč il écrivait, au hasard de la rencontre. Bien qu'il l'eût suppliée de rentrer chez eux, elle était tellement anxieuse, qu'elle avait préféré rester là , sur cette banquette, à l'attendre. AprÚs le départ de sa fille, lorsqu'il la vit seule, Dejoie lui apporta un journal. " Si madame veut lire, pour prendre patience. " Mais elle refusa du geste, et comme Saccard arrivait, elle fit la vaillante, elle expliqua gaiement qu'elle avait envoyé son mari dans le quartier, une course ennuyeuse dont elle s'était débarrassée. Saccard, qui avait de l'amitié pour le petit ménage, comme il les nommait, voulait absolument qu'elle entrùt chez lui attendre à l'aise. Elle s'en défendit, elle était bien là . Et il cessa d'insister, dans la surprise qu'il éprouva, à se trouver nez à nez, brusquement, avec la baronne Sandorff, qui sortait de chez Jantrou. D'ailleurs, ils se sourirent, d'un air d'aimable intelligence, en gens qui échangent un simple salut, pour ne pas s'afficher. Jantrou, dans leur conversation, venait de dire à la baronne qu'il n'osait plus lui donner de conseil. Sa perplexité augmentait, devant la solidité de l'Universelle, sous les efforts croissants des baissiers sans doute Gundermann l'emporterait, mais Saccard pouvait durer longtemps, et il y avait peut-ÃÂȘtre gros à gagner encore avec lui. Il l'avait décidée à temporiser, à les ménager tous deux. Le mieux était de tùcher d'avoir toujours les secrets de l'un, en se montrant aimable, de maniÚre à les garder pour elle et à en profiter, ou bien à les vendre à l'autre, selon l'intérÃÂȘt. Et cela sans complot noir, arrangé par lui d'un air de plaisanterie, tandis qu'elle-mÃÂȘme lui promettait en riant de le mettre dans l'affaire. " Alors, elle est sans cesse fourrée chez vous, c'est votre tour ? " dit Saccard avec sa brutalité, en entrant dans le cabinet de Jantrou. Celui-ci joua l'étonnement. " Qui donc ?... Ah ! la baronne.... Mais, mon cher maÃtre, elle vous adore. Elle me le disait encore tout à l'heure. " D'un geste d'homme qu'on ne trompe pas, le vieux corsaire l'avait arrÃÂȘté. Et il le regardait, dans sa déchéance de basse débauche, en pensant que, si elle avait cédé à la curiosité de savoir comment Sabatani était fait, elle pouvait bien vouloir goûter au vice de cette ruine. " Ne vous défendez pas, mon cher. Quand une femme joue, elle tomberait au commissionnaire du coin, qui lui porterait un ordre. " Jantrou fut trÚs blessé, et il se contenta de rire, en s'obstinant à expliquer la présence chez lui de la baronne, qui était venue, disait- il, pour une question de publicité. D'ailleurs, Saccard, d'un haussement d'épaules, avait déjà jeté de cÎté cette question de femme, sans intérÃÂȘt, selon lui. Debout, allant et venant, se plantant devant la fenÃÂȘtre pour regarder tomber l'éternelle pluie grise, il exhalait sa joie énervée. Oui, l'Universelle avait encore monté de vingt francs, la veille ! Mais comment diable se faisait-il que des vendeurs s'acharnaient ? car la hausse serait allée jusqu'à trente francs, sans un paquet de titres qui était tombé sur le marché, dÚs la premiÚre heure. Ce qu'il ignorait, c'était que Mme Caroline avait de nouveau vendu mille de ses actions, luttant elle-mÃÂȘme contre la hausse déraisonnable, ainsi que son frÚre lui en avait laissé l'ordre. Certes, Saccard ne pouvait se plaindre devant le succÚs grandissant, et cependant il était agité, ce jour-là , d'un tremblement intérieur, fait de sourde crainte et de colÚre. Il criait que les sales juifs avaient juré sa perte et que cette canaille de Gundermann venait de se mettre à la tÃÂȘte d'un syndicat de baissiers pour l'écraser. On le lui avait affirmé à la Bourse, on y parlait d'une somme de trois cents millions, destinée par le syndicat à nourrir la baisse. Ah ! les brigands ! Et ce qu'il ne répétait pas ainsi tout haut, c'étaient les autres bruits qui couraient, plus nets de jour en jour, des rumeurs contestant la solidité de l'Universelle, alléguant déjà des faits, des symptÎmes de difficultés prochaines, sans avoir encore, il est vrai, ébranlé en rien l'aveugle confiance du public. Mais la porte fut poussée, et Huret entra, de son air d'homme simple. " Ah ! vous voilà donc, Judas ! " dit Saccard. Huret, en apprenant que Rougon allait décidément abandonner son frÚre, s'était remis avec le ministre ; car il avait la conviction que, le jour oÃÂč Saccard aurait Rougon contre lui, ce serait la catastrophe inévitable. Pour obtenir son pardon, il était rentré dans la domesticité du grand homme, faisant de nouveau ses courses, risquant à son service les gros mots et les coups de pied au derriÚre. " Judas, répéta-t-il avec le fin sourire qui éclairait parfois sa face épaisse de paysan, en tout cas un Judas brave homme qui vient donner un avis désintéressé au maÃtre qu'il a trahi " Mais Saccard, comme s'il ne voulait pas l'entendre, cria, simplement pour affirmer son triomphe " Hein ? deux mille cinq cent vingt hier, deux mille cinq cent vingt- cinq aujourd'hui. - Je sais j'ai vendu tout à l'heure. " Du coup, la colÚre qu'il dissimulait sous son air de plaisanterie, éclata. " Comment, vous avez vendu ?... Ah ! bien, c'est complet, alors ! Vous me lùchez pour Rougon et vous vous mettez avec Gundermann ! " Le député le regardait, ébahi. " Avec Gundermann, pourquoi ?... Je me mets avec mes intérÃÂȘts, oh ! simplement ! Moi, vous savez, je ne suis pas un casse-cou. Non, je n'ai pas tant d'estomac, j'aime mieux réaliser tout de suite, dÚs qu'il y a un joli bénéfice. Et c'est peut-ÃÂȘtre bien pour cela que je n'ai jamais perdu. " Il souriait de nouveau, en Normand prudent et avisé, qui, sans fiÚvre, engrangeait sa moisson. " Un administrateur de la société ! continuait Saccard violemment. Mais qui voulez-vous donc qui ait confiance ? que doit-on penser, à vous voir vendre ainsi, en plein mouvement de hausse ? Parbleu ! je ne m'étonne plus, si l'on prétend que notre prospérité est factice et que le jour de la dégringolade approche... Ces messieurs vendent, vendons tous. C'est la panique ! " Huret, silencieux, eut un geste vague. Au fond, il s'en moquait, son affaire était faite. Il n'avait à présent que le souci de remplir la mission dont Rougon l'avait chargé, le plus proprement possible, sans avoir trop à en souffrir lui-mÃÂȘme. " Je vous disais donc, mon cher, que j'étais venu pour vous donner un avis désintéressé... Le voici. Soyez sage, votre frÚre est furieux, il vous abandonnera carrément, si vous vous laissez vaincre. " Saccard, refrénant sa colÚre, ne broncha pas. " C'est lui qui vous envoie me dire ça ? " AprÚs une hésitation, le député jugea préférable d'avouer. " Eh bien, oui, c'est lui... Oh ! vous ne supposez pas que les attaques de L'Espérance soient pour quelque chose dans son irritation. Il est au-dessus de ces blessures d'amour-propre... Non ! mais en vérité, songez combien la campagne catholique de votre journal doit gÃÂȘner sa politique actuelle. Depuis ces malheureuses complications de Rome, il a tout le clergé à dos, il vient encore d'ÃÂȘtre forcé de faire condamner un évÃÂȘque comme d'abus... Et, pour l'attaquer, vous allez justement choisir le moment oÃÂč il a grand-peine à ne pas se laisser déborder par l'évolution libérale, née des réformes du 9 janvier, qu'il a consenti à appliquer, comme on dit, dans l'unique désir de les endiguer sagement... Voyons, vous ÃÂȘtes son frÚre, croyez-vous qu'il soit content ? - En effet, répondit Saccard railleur, c'est bien vilain de ma part... Voilà ce pauvre frÚre, qui, dans sa rage de rester ministre, gouverne au nom des principes qu'il combattait hier, et qui s'en prend à moi, parce qu'il ne sait plus comment se tenir en équilibre, entre la droite, tachée d'avoir été trahie, et le tiers état, affamé du pouvoir. Hier encore, pour calmer les catholiques, il lançait son fameux Jamais ! il jurait que jamais la France ne laisserait l'Italie prendre Rome au pape. Aujourd'hui, dans sa terreur des libéraux, il voudrait bien leur donner aussi un gage, il daigne songer à m'égorger pour leur plaire... L'autre semaine, Emile Olivier l'a secoué vertement à la Chambre... - Oh ! interrompit Huret, il a toujours la confiance des Tuileries, l'empereur lui a envoyé une plaque de diamants. " Mais, d'un geste énergique, Saccard disait qu'il n'était pas dupe. " L'Universelle est désormais trop puissante, n'est-ce pas ? Une banque catholique, qui menace d'envahir le monde, de le conquérir par l'argent comme on le conquérait jadis par la loi, est-ce que cela peut se tolérer ? Tous les libres penseurs, tous les francs-maçons, en passe de devenir ministres, en ont froid dans les os... Peut-ÃÂȘtre aussi a-t-on quelque emprunt à tripoter avec Gundermann. Qu'est-ce qu'un gouvernement deviendrait, s'il ne se laissait pas manger par ces sales juifs ?... Et voilà mon imbécile de frÚre qui, pour garder le pouvoir six mois de plus, va me jeter en pùture aux sales juifs, aux libéraux, à toute la racaille, dans l'espérance qu'on le laissera un peu tranquille, pendant qu'on me dévorera... Eh bien, retournez lui dire que je me fous de lui... " Il redressait sa petite taille, sa rage crevait enfin son ironie, en une fanfare batailleuse de clairon. " Entendez-vous bien, je me fous de lui ! C'est ma réponse, je veux qu'il le sache. " Huret avait plié les épaules. DÚs qu'on se fùchait, dans les affaires, ce n'était plus son genre. AprÚs tout, il n'était là -dedans qu'un commissionnaire. " Bon, bon ! on le lui dira... Vous allez vous faire casser les reins. Mais ça vous regarde. " Il y eut un silence. Jantrou, qui était resté absolument muet, en affectant d'ÃÂȘtre tout entier à la correction d'un paquet d'épreuves, avait levé les yeux, pour admirer Saccard. Etait-il beau, le bandit, dans sa passion ! Ces canailles de génie parfois triomphent, à ce degré d'inconscience, lorsque l'ivresse du succÚs les emporte. Et Jantrou, à ce moment, était pour lui, convaincu de sa fortune. " Ah ! J'oubliais, reprit Huret. Il paraÃt que Delcambre, le procureur général vous exÚcre... Et, ce que vous ignorez encore, l'empereur l'a nommé ce matin ministre de la Justice. " Brusquement, Saccard s'était arrÃÂȘté. Le visage assombri, il dit enfin " Encore de la propre marchandise ! Ah ! on a fait un ministre de ça. Qu'est-ce que vous voulez que ça me fiche ? - Dame ! reprit Huret en exagérant son air simple, si un malheur vous arrivait, comme ça arrive à tout le monde, dans les affaires, votre frÚre veut que vous ne comptiez pas sur lui, pour vous défendre contre Delcambre. - Mais, tonnerre de Dieu ! hurla Saccard, quand je vous dis que je me fous de toute la clique, de Rougon, de Delcambre, et de vous par- dessus le marché ! " Heureusement, à cette minute, Daigremont entra. Il ne montait jamais au journal, ce fut une surprise pour tous, qui coupa court aux violences. TrÚs correct, il distribua des poignées de main en souriant, d'une amabilité flatteuse d'homme du monde. Sa femme allait donner une soirée, oÃÂč elle chanterait ; et il venait simplement inviter en personne Jantrou, pour avoir un bon article. Mais la présence de Saccard parut le ravir. " Comment va, grand homme ? - Dites donc, vous n'avez pas vendu, vous ? " demanda celui-ci, sans répondre. Vendre, ah ! non, pas encore ! Et son éclat de rire fut trÚs sincÚre, il était réellement de solidité plus grande. " Mais il ne faut jamais vendre, dans notre situation ! s'écria Saccard. - Jamais ! c'est ce que je voulais dire. Nous sommes tous solidaires, vous savez que vous pouvez compter sur moi. " Ses paupiÚres avaient battu, il venait d'avoir un regard oblique, tandis qu'il répondait des autres administrateurs, de Sédille, de Kolb, du marquis de Bohain, comme de lui-mÃÂȘme. L'affaire marchait si bien, c'était vraiment un plaisir d'ÃÂȘtre tous d'accord, dans le plus extraordinaire succÚs que la Bourse eût vu depuis cinquante ans. Et il eut un mot charmant pour chacun, il s'en alla en répétant qu'il comptait sur eux trois, pour sa soirée. Mounier, le ténor de l'Opéra, y donnerait la réplique à sa femme. Oh ! un effet considérable ! " Alors, demanda Huret partant à son tour, c'est tout ce que vous avez à me répondre ? - Parfaitement ! " déclara Saccard, de sa voix sÚche. Et il affecta de ne pas descendre avec lui, comme à son habitude. Puis, lorsqu'il se retrouva seul avec le directeur du journal. " C'est la guerre, mon brave ! Il n'y a plus rien à ménager, tapez- moi sur toutes ces fripouilles !... Ah ! je vais donc pouvoir enfin mener la bataille comme je l'entends ! - Tout de mÃÂȘme, c'est raide ! " conclut Jantrou, dont les perplexités recommençaient. Dans le couloir, sur la banquette, Marcelle attendait toujours. Il était à peine quatre heures, et Dejoie venait déjà d'allumer les lampes, tellement la nuit tombait vite, sous le ruissellement blafard et entÃÂȘté de la pluie. Chaque fois qu'il passait prÚs d'elle, il trouvait un petit mot pour la distraire. Du reste, les allées et venues des rédacteurs s'activaient, des éclats de voix sortaient de la salle voisine, toute cette fiÚvre qui montait, à mesure que se faisait le journal. Marcelle, brusquement, en levant les yeux, aperçut Jordan devant elle. Il était trempé, l'air anéanti, avec ce tressaillement de la bouche, ce regard un peu fou des gens qui ont couru longtemps derriÚre quelque espoir, sans l'atteindre. Elle avait compris. " Rien, n'est-ce pas ? demanda-t-elle, pùlissante. - Rien, ma chérie, rien du tout... Nulle part, pas possible... " Et elle n'eut alors qu'une plainte basse, oÃÂč tout son coeur saignait. " Oh ! mon Dieu ! " A ce moment, Saccard sortait du bureau de Jantrou, et il s'étonna de la trouver là encore. " Comment, madame, votre coureur de mari ne fait que de revenir ? Je vous disais bien d'entrer l'attendre dans mon cabinet. " Elle le regardait fixement, une pensée soudaine s'était éveillée dans ses grands yeux désolés. Elle ne réfléchit mÃÂȘme pas, elle céda à cette bravoure qui jette les femmes en avant, aux minutes de passion. " Monsieur Saccard, j'ai quelque chose à vous demander... Si vous vouliez bien, maintenant, que nous passions chez vous... - Mais certainement, madame. " Jordan, qui craignait d'avoir deviné, voulait la retenir. Il lui balbutiait à l'oreille des non ! non ! entrecoupés, dans l'angoisse maladive oÃÂč le jetaient toujours ces questions d'argent. Elle s'était dégagée, il dut la suivre. " Monsieur Saccard, reprit-elle, dÚs que la porte fut refermée, mon mari court inutilement depuis deux heures pour trouver cinq cents francs, et il n'ose pas vous les demander... Alors, moi, je vous les demande... Et, de verve, avec ses airs drÎles de petite femme gaie et résolue, elle conta son affaire du matin, l'entrée brutale de Busch, l'envahissement de sa chambre par les trois hommes, comment elle était parvenue à repousser l'assaut, l'engagement qu'elle avait pris de payer le jour mÃÂȘme. Ah ! ces plaies d'argent pour le petit monde, ces grandes douleurs faites de honte et d'impuissance, la vie remise sans cesse en question, à propos de quelques misérables piÚces de cent sous ! " Busch, répéta Saccard, c'est ce vieux filou de Busch qui vous tient dans ses griffes... Puis, avec une bonhomie charmante, se tournant vers Jordan, qui restait silencieux, blÃÂȘme d'un insupportable malaise. " Eh bien, je vais vous les avancer, moi, vos cinq cents francs. Vous auriez dû me les demander tout de suite. " Il s'était assis à sa table, pour signer un chÚque, lors qu'il s'arrÃÂȘta, réfléchissant. Il se rappelait la lettre qu'il avait reçue, la visite qu'il devait faire et qu'il reculait de jour en jour, dans l'ennui de l'histoire louche qu'il flairait. Pourquoi n'irait-il pas tout de suite rue Feydeau, profitant de l'occasion, ayant un prétexte ? " Ecoutez, je le connais à fond, votre gredin... Il vaut mieux que j'aille en personne le payer, pour voir si je ne pourrai pas ravoir vos billets à moitié prix. " Les yeux de Marcelle, à présent, luisaient de gratitude. " Oh ! monsieur Saccard, que vous ÃÂȘtes bon ! " Et, s'adressant à son mari " Tu vois, grosse bÃÂȘte, que M. Saccard ne nous a pas mangés ! " Il lui sauta au cou, d'un mouvement irrésistible, il l'embrassa, car c'était elle qu'il remerciait d'ÃÂȘtre plus énergique et adroite que lui, dans ces difficultés de la vie qui le paralysaient. " Non ! non ! dit Saccard, lorsque le jeune homme lui serra enfin la main, le plaisir est pour moi, vous ÃÂȘtes trÚs gentils tous les deux de vous aimer si fort. Allez-vous-en tranquilles ! " Sa voiture, qui l'attendait, le mena en deux minutes rue Feydeau au milieu de ce Paris boueux, dans la bousculade des parapluies et l'éclaboussement des flaques. Mais, en haut, il eut beau sonner à la vieille porte dépeinte, oÃÂč une plaque de cuivre étalait le mot Contentieux , en grosses lettres noires elle ne s'ouvrit pas, rien ne bougeait à l'intérieur. Et il se retirait, lorsque, dans sa contrariété vive, il l'ébranla violemment du poing. Alors, un pas traÃnard se fit entendre, et Sigismond parut. " Tiens ! c'est vous !... Je croyais que c'était mon frÚre qui remontait et qui avait oublié sa clef. Moi, jamais je ne réponds aux coups de sonnette... Oh ! il ne tardera pas, vous pouvez l'attendre, si vous tenez à le voir. " Du mÃÂȘme pas pénible et chancelant, il retourna, suivi du visiteur, dans la chambre qu'il occupait, sur la place de la Bourse. Il y faisait encore plein jour, à ces hauteurs, au-dessus de la brume dont la pluie emplissait le fond des rues. La piÚce était d'une nudité froide, avec son étroit lit de fer, sa table et ses deux chaises, ses quelques planches encombrées de livres, sans un meuble. Devant la cheminée, un petit poÃÂȘle, mal entretenu, oublié, venait de s'éteindre. " Asseyez-vous, monsieur. Mon frÚre m'a dit qu'il ne faisait que descendre et remonter. " Mais Saccard refusait la chaise en le regardant, frappé des progrÚs que la phtisie avait faits chez ce grand garçon pùle, aux yeux d'enfant, des yeux noyés de rÃÂȘve, singuliers sous l'énergique obstination du front. Entre les longues boucles de ses cheveux, son visage s'était extraordinairement creusé, comme allongé et tiré vers la tombe. " Vous avez été souffrant ? " demanda-t-il, ne sachant que dire. Sigismond eut un geste de complÚte indifférence. " Oh ! comme toujours. La derniÚre semaine n'a pas été bonne, à cause de ce vilain temps. Mais ça va bien tout de mÃÂȘme... Je ne dors plus, je ne puis travailler, et j'ai un peu de fiÚvre, ça me tient chaud... Ah ! on aurait tant à faire ! " Il s'était remis devant sa table, sur laquelle un livre, en langue allemande, se trouvait grand ouvert. Et il reprit " Je vous demande pardon de m'asseoir, j'ai veillé toute la nuit, pour lire cette oeuvre que j'ai reçue hier... Une oeuvre, oui ! dix années de la vie de mon maÃtre, Karl Marx, l'étude qu'il nous promettait depuis long temps sur le capital !... Voici notre Bible, maintenant, la voici ! " Curieusement, Saccard vint jeter un regard sur le livre ; mais la vue des caractÚres gothiques le rebuta tout de suite. " J'attendrai qu'il soit traduit " , dit-il en riant. Le jeune homme, d'un hochement de tÃÂȘte, sembla dire que, mÃÂȘme traduit, il ne serait guÚre pénétré que par les seuls initiés. Ce n'était pas un livre de propagande. Mais quelle force de logique, quelle abondance victorieuse de preuves, dans la fatale destruction de notre société actuelle, basée sur le systÚme capitaliste ! La plaine était rase, on pouvait reconstruire. " Alors, c'est le coup de balai ? demanda Saccard, toujours plaisantant. - En théorie, parfaitement ! répondit Sigismond. Tout ce que je vous ai expliqué un jour, toute la marche de révolution est là . Reste à l'exécuter en fait... Mais vous ÃÂȘtes aveugles, si vous ne voyez point les pas considérables que l'idée fait à chaque heure. Ainsi, vous qui, avec votre Universelle, avez remué et centralisé en trois ans des centaines de millions, vous ne semblez absolument pas vous douter que vous nous conduisez tout droit au collectivisme... J'ai suivi votre affaire avec passion, oui ! de cette chambre perdue, si tranquille, j'en ai étudié le développement jour par jour, et je la connais aussi bien que vous, et je dis que c'est une fameuse leçon que vous nous donnez là , car l'Etat collectiviste n'aura à faire que ce que vous faites, vous exproprier en bloc, lorsque vous aurez exproprié en détail les petits, réaliser l'ambition de votre rÃÂȘve démesuré, qui est, n'est-ce pas ? d'absorber tous les capitaux du monde, d'ÃÂȘtre l'unique banque, l'entrepÎt général de la fortune publique... Oh ! je vous admire beaucoup, moi ! je vous laisserais aller, si j'étais le maÃtre, parce que vous commencez notre besogne, en précurseur de génie. " Et il souriait de son pùle sourire de malade, en remarquant l'attention de son interlocuteur, trÚs surpris de le trouver si au courant des affaires du jour, trÚs flatté aussi des éloges intelligents. " Seulement, continua-t-il, le beau matin oÃÂč nous vous exproprierons au nom de la nation, remplaçant vos intérÃÂȘts privés par l'intérÃÂȘt de tous, faisant de votre grande machine à sucer l'or des autres, la régulatrice mÃÂȘme de la richesse sociale, nous commencerons par supprimer ça. " Il avait trouvé un sou parmi les papiers de sa table, il tenait en l'air, entre deux doigts, comme la victime désignée. " L'argent ! s'écria Saccard, supprimer l'argent ! la bonne folie ! - Nous supprimerons l'argent monnayé... Songez donc que la monnaie métallique n'a aucune place, aucune raison d'ÃÂȘtre, dans l'Etat collectiviste. A titre de rémunération, nous le remplaçons par nos bons de travail ; et, si vous le considérez comme mesure de la valeur, nous en avons une autre qui nous en tient parfaitement lieu, celle que nous obtenons en établissant la moyenne des journées de besogne, dans nos chantiers... Il faut le détruire, cet argent qui masque et favorise l'exploitation du travailleur, qui permet de le voler, en réduisant son salaire à la plus petite somme dont il a besoin, pour ne pas mourir de faim. N'est-ce pas épouvantable, cette possession de l'argent qui accumule les fortunes privées, barre le chemin à la féconde circulation, fait des royautés scandaleuses, maÃtresses souveraines du marché financier et de la production sociale ? Toutes nos crises, toute notre anarchie vient de là .... Il faut tuer, tuer l'argent ! " Mais Saccard se fùchait. Plus d'argent, plus d'or, plus de ces astres luisants, qui avaient éclairé sa vie ! Toujours la richesse s'était matérialisée pour lui dans cet éblouissement de la monnaie neuve, pleuvant comme une averse de printemps, au travers du soleil, tombant en grÃÂȘle sur la terre qu'elle couvrait, des tas d'argent, des tas d'or, qu'on remuait à la pelle, pour le plaisir de leur éclat et de leur musique. Et l'on supprimait cette gaieté, cette raison de se battre et de vivre ! " C'est imbécile, oh ! ça, c'est imbécile !... Jamais, entendez-vous ! - Pourquoi jamais ? pourquoi imbécile ?... Est-ce que, dans l'économie de la famille, nous faisons usage de l'argent ? Vous n'y voyez que l'effort en commun et que l'échange... Alors, à quoi bon l'argent, lorsque la société ne sera plus qu'une grande famille, se gouvernant elle-mÃÂȘme ? - Je vous dis que c'est fou !... Détruire l'argent, mais c'est la vie mÃÂȘme, l'argent ! Il n'y aurait plus rien, plus rien ! " Il allait et venait, hors de lui. Et, dans cet emportement, comme il passait devant la fenÃÂȘtre, il s'assura d'un regard que la Bourse était toujours là , car peut-ÃÂȘtre ce terrible garçon l'avait-il, elle aussi, effondrée d'un souffle. Elle y était toujours, mais trÚs vague au fond de la nuit tombante, comme fondue sous le linceul de pluie, un pùle fantÎme de Bourse prÚs de s'évanouir en une fumée grise. " D'ailleurs, je suis bien bÃÂȘte de discuter. C'est impossible... Supprimez donc l'argent, je demande à voir ça. - Bah ! murmura Sigismond, tout se supprime, tout se transforme et disparaÃt... Ainsi, nous avons bien vu la forme de la richesse changer déjà une fois, lorsque la valeur de la terre a baissé, que la fortune fonciÚre, domaniale, les champs et les bois, a décliné devant la fortune mobiliÚre, industrielle, les titres de rente et les actions, et nous assistons aujourd'hui à une précoce caducité de cette derniÚre, à une sorte de dépréciation rapide, car il est certain que le taux s'avilit, que le cinq pour cent normal n'est plus atteint... La valeur de l'argent baisse donc, pourquoi l'argent ne disparaÃtrait-il pas, pourquoi une nouvelle forme de la fortune ne régirait-elle pas les rapports sociaux ? C'est cette fortune de demain que nos bons de travail apporteront. " Il s'était absorbé dans la contemplation du sou, comme s'il eût rÃÂȘvé qu'il tenait le dernier sou des vieux ùges, un sou égaré, ayant survécu à l'antique société morte. Que de joies et que de larmes avaient usé l'humble métal ! Et il était tombé à la tristesse de l'éternel désir humain. " Oui, reprit-il doucement, vous avez raison, nous ne verrons pas ces choses. Il faut des années, des années. Sait-on mÃÂȘme si jamais l'amour des autres aura en soi assez de vigueur pour remplacer l'égoïsme, dans l'organisation sociale... Pourtant, j'ai espéré le triomphe plus prochain, j'aurais tant voulu assister à cette aube de la justice. Un instant, l'amertume du mal dont il souffrait brisa sa voix. Lui qui, dans sa négation de la mort, la traitait comme si elle n'était pas, eut un geste, pour l'écarter. Mais, déjà , il se résignait. " J'ai fait ma tùche, je laisserai mes notes, dans le cas oÃÂč je n'aurais pas le temps d'en tirer l'ouvrage complet de reconstruction que j'ai rÃÂȘvé. Il faut que la société de demain soit le fruit mûr de la civilisation, car, si l'on ne garde la bon cÎté de l'émulation et du contrÎle, tout croule... Ah ! cette société, comme je la vois nettement à cette heure, créée enfin, complÚte, telle que je suis parvenu, aprÚs tant de veilles, à la mettre debout ! Tout est prévu, résolu, c'est enfin la souveraine justice, l'absolu bonheur. Elle est là , sur le papier, mathématique, définitive. " Et il promenait ses longues mains émaciés parmi les notes éparses, et il s'exaltait, dans ce rÃÂȘve des milliards reconquis, partagé équitablement, entre tous dans cette joie, et cette santé qu'il rendait d'un trait de plume à l'humanité souffrante, lui qui ne mangeait plus, qui ne dormait plus, qui achevait de mourir sans besoins, au milieu de la nudité de sa chambre. Mais une voix rude fit tressaillir Saccard. " Qu'est-ce que vous faite là ? " C'était Busch qui rentrait et qui jetait sur le visiteur un regard oblique d'amant jaloux dans sa continuelle crainte qu'on ne donnùt une crise de toux son frÚre, en le faisant trop parler. D'ailleurs, il n'attendit pas la réponse, il grondait maternellement, désespéré. " Comment ! tu as encore laissé mourir ton poÃÂȘle ! Je te demande un peu si c'est raisonnable, par une humidité pareille ! " Déjà , pliant les genoux, malgré la lourdeur de son grand corps, il cassait du menu bois, il rallumait le feu. Puis, il alla chercher un balai, fit le ménage, s'inquiéta de la potion que le malade devait prendre toutes les deux heures. Et il ne se montra tranquille que lorsqu'il eut décidé celui-ci à s'allonger sur le lit, pour se reposer. " Monsieur Saccard, si vous désirez passer dans mon cabinet... " Mme Méchain s'y trouvait, assise sur l'unique chaise. Elle et Busch venaient de faire, dans le voisinage, une visite importante, dont la pleine réussite les enchantait. C'était enfin, aprÚs une attente désespérée, l'heureuse mise en marche d'une des affaires qui les tenaient le plus au coeur. Pendant trois ans, la Méchain avait battu le pavé, en quÃÂȘte de Léonie Cron, cette fille séduite, à laquelle le comte de Beauvilliers avait signé une reconnaissance de dix mille francs, payable le jour de sa majorité. Vainement, elle s'était adressée à son cousin Fayeux, le receveur de rentes de VendÎme, qui avait acheté pour Busch la reconnaissance, dans un lot de vieilles créances, provenant de la succession du sieur Charpier, marchand de grains, usurier à ses heures Fayeux ne savait rien, écrivait seulement que la fille Léonie Cron devait ÃÂȘtre en service chez un huissier, à Paris, qu'elle avait quitté depuis plus de dix ans VendÎme, oÃÂč elle n'était jamais revenue et oÃÂč il ne pouvait mÃÂȘme questionner un seul de ses parents, tous étant morts. La Méchain avait bien découvert l'huissier, et elle était arrivée à suivre de là Léonie chez un boucher, chez une dame galante, chez un dentiste ; mais, à partir du dentiste, le fil se cassait brusquement, la piste s'interrompait, une aiguille dans une botte de foin, une fille tombée, perdue dans la boue du grand Paris. Sans résultat, elle avait couru les bureaux de placement, visité les garnis borgnes, fouillé la basse débauche, toujours aux aguets, tournant la tÃÂȘte, interrogeant, dÚs que ce nom de Léonie frappait ses oreilles. Et cette fille, qu'elle était allée chercher bien loin, voilà qu'elle venait, ce jour-là , par un hasard, de mettre la main sur elle, rue Feydeau, dans la maison publique voisine, oÃÂč elle relançait une ancienne locataire de la cité de Naples, qui lui devait trois francs. Un coup de génie la lui avait fait flairer et reconnaÃtre, sous le nom distingué de Léonie, au moment oÃÂč madame l'appelait au salon d'une voix perçante. Tout de suite, Busch, averti, était revenu avec elle à la maison, pour traiter ; et cette grosse fille, aux durs cheveux noirs tombant sur les sourcils, à la face plate et molle, d'une bassesse immonde, l'avait d'abord surpris ; puis il s'était rendu compte de son charme spécial, surtout avant ses dix années de prostitution, ravi d'ailleurs qu'elle fût tombée si bas, abominable. Il lui avait offert mille francs, si elle lui abandonnait ses droits sur la reconnaissance. Elle était stupide, elle avait accepté le marché avec une joie d'enfant. Enfin, on allait donc pouvoir traquer la comtesse de Beauvilliers, on avait l'arme cherchée, inespérée mÃÂȘme, à ce point de laideur et de honte ! " Je vous attendais, monsieur Saccard. Nous avons à causer... Vous avez reçu ma lettre, n'est-ce pas ? " Dans l'étroite piÚce, bondée de dossiers, déjà noire, qu'une maigre lampe éclairait d'une lumiÚre fumeuse, la Méchain, immobile et muette, ne bougeait pas de l'unique chaise. Et resté debout, ne voulant point avoir l'air d'ÃÂȘtre venu sur une menace, Saccard entama tout de suite l'affaire Jordan, d'une voix dure et méprisante. " Pardon, je suis monté pour régler une dette d'un de mes rédacteurs... Le petit Jordan, un trÚs charmant garçon, que vous poursuivez à boulets rouges, avec une férocité vraiment révoltante. Ce matin encore, parait-il, vous vous ÃÂȘtes conduit envers sa femme comme un galant homme rougirait de le faire... " Saisi d'ÃÂȘtre attaqué de la sorte, lorsqu'il s'apprÃÂȘtait à prendre l'offensive, Busch perdit pied, oublia l'autre histoire, s'irrita sur celle-ci. " Les Jordan, vous venez pour les Jordan... il n'y a pas de femme, il n'y a pas de galant homme, dans les affaires. Quand on doit, on paie, je ne connais que ça... Des bougres qui se fichent de moi depuis des années, dont j'ai eu une peine du diable à tirer quatre cents francs sou à sou !... Ah ! tonnerre de Dieu, oui ! je les ferai vendre, je les jetterai à la rue demain matin, si je n'ai pas ce soir, là , sur mon bureau, les trois cent trente francs quinze centimes qu'ils me doivent encore. " Et Saccard, par tactique, pour le mettre hors de lui, ayant dit qu'il était déjà payé quarante fois de cette créance, qui ne lui avait sûrement pas coûté dix francs, il s'étrangla en effet de colÚre. " Nous y voilà ! vous n'avez tous que ça à dire... Et il y a aussi les frais, n'est-ce pas ? cette dette de trois cents francs qui est montée à plus de sept cents... Mais est-ce que ça me regarde, moi ? On ne me paie pas, je poursuis. Tant pis si la justice est chÚre, c'est sa faute !... Alors, quand j'ai acheté une créance de dix francs, je devrais me faire rembourser dix francs, et ce serait fini. Eh bien, et mes risques, et mes courses, et mon travail de tÃÂȘte, oui ! et mon intelligence ? Justement, tenez, pour cette affaire Jordan, vous pouvez consulter madame, qui est là . C'est elle qui s'en est occupée. Ah ! elle en a fait des pas et des démarches, elle en a usé de la chaussure, à monter les escaliers de tous les journaux, d'oÃÂč on la flanquait à la porte comme une mendiante, sans jamais lui donner l'adresse. Cette affaire, mais nous l'avons nourrie pendant des mois, nous y avons rÃÂȘvé, nous y avons travaillé comme à un de nos chefs-d'oeuvre, elle me coûte une somme folle, à dix sous l'heure seulement ! " Il s'exaltait, il montra d'un grand geste les dossiers qui emplissaient la piÚce. " J'ai ici pour plus de vingt millions de créances, et de tous les ùges, de tous les mondes, d'infimes et de colossales... Les voulez-vous pour un million ? je vous les donne. Quand on pense qu'il y a des débiteurs que je file depuis un quart de siÚcle ! Pour obtenir d'eux quelques misérables centaines de francs, mÃÂȘme moins parfois, je patiente des années, j'attends qu'ils réussissent ou qu'ils héritent... Les autres, les inconnus, les plus nombreux, dorment là , regardez ! dans ce coin, tout ce tas énorme. C'est le néant ça, ou plutÎt c'est la matiÚre brute, d'oÃÂč il faut que je tire la vie, je veux dire ma vie, Dieu sait aprÚs quelle complication de recherches et d'ennuis !... Et vous voulez que, lorsque j'en tiens un enfin, solvable, je ne le saigne pas ? Ah ! non, vous me croiriez trop bÃÂȘte, vous ne seriez pas si bÃÂȘte, vous ! " Sans s'attarder à discuter davantage, Saccard tira son portefeuille. " Je vais vous donner deux cents francs, et vous allez me rendre le dossier Jordan, avec un acquit de tout compte. " Busch sursauta d'exaspération. " Deux cents francs, jamais de la vie !... C'est trois cent trente francs quinze centimes. Je veux les centimes. " Mais, de sa voix égale, avec la tranquille assurance de l'homme qui connaÃt la puissance de l'argent, montré, étalé, Saccard répéta à deux, à trois reprises " Je vais vous donner deux cents francs... " Et le juif, convaincu au fond qu'il était raisonnable de transiger, finit par consentir, dans un cri de rage, les larmes aux yeux. " Je suis trop faible. Quel sale métier !... Parole d'honneur ! on me dépouille, on me vole... Allez ! pendant que vous y ÃÂȘtes, ne vous gÃÂȘnez pas, prenez-en d'autres, oui ! fouillez dans le tas, pour vos deux cents francs ! " Puis, lorsque Busch eut signé un reçu et écrit un mot pour l'huissier, car le dossier n'était plus chez lui, il souffla un moment devant son bureau, tellement secoué, qu'il aurait laissé partir Saccard, sans la Méchain, qui n'avait pas eu un geste ni une parole. " Et l'affaire ? " dit-elle. Il se souvint brusquement, il allait prendre sa revanche. Mais tout ce qu'il avait préparé, son récit, ses questions, a marche savante de l'entretien, se trouva emporté d'un coup, dans sa hùte d'arriver au fait. " L'affaire, c'est vrai... Je vous ai écrit, monsieur Saccard. Nous avons maintenant un vieux compte à régler ensemble... Il avait allongé la main pour prendre le dossier Sicardot, qu'il ouvrit devant lui. " En 1852, vous ÃÂȘtes descendu dans un hÎtel meublé de la rue de la Harpe, vous y avez souscrit douze billets de cinquante francs à une demoiselle Rosalie Chavaille, ùgée de seize ans, que vous avez violentée, un soir, dans l'escalier... Ces billets, les voici. Vous n'en avez pas payé un seul, car vous ÃÂȘtes parti sans laisser d'adresse, avant l'échéance du premier. Et le pis est qu'ils sont signés d'un faux nom, Sicardot, le nom de votre premiÚre femme... " TrÚs pùle. Saccard écoutait, regardait. C'était, au milieu d'un saisissement inexprimable, tout le passé qui s'évoquait, une sensation d'écroulement, une masse énorme et confuse qui retombait sur lui. Dans cette peur de la premiÚre minute, il perdit la tÃÂȘte, il bégaya. " Comment savez-vous ?... Comment avez-vous ça ? " Puis, de ses mains tremblantes, il se hùta de tirer de nouveau son portefeuille, n'ayant que l'idée de payer, de rentrer en possession de ce dossier fùcheux. " Il n'y a pas de frais, n'est-ce pas ?... C'est six cents francs... Oh ! il y aurait beaucoup à dire, mais j'aime mieux payer, sans discussion. " Et il tendit six billets de banque. " Tout à l'heure ! cria Busch, qui repoussa l'argent. Je n'ai pas terminé... Madame, que vous voyez là , est la petite-cousine de Rosalie, et ces papiers sont à elle, c'est en son nom que je poursuis le remboursement... Cette pauvre Rosalie est restée infirme, à la suite de votre violence. Elle a eu beaucoup de malheurs, elle est morte dans une misÚre affreuse, chez madame, qui l'avait recueillie... Madame, si elle voulait, pourrait vous raconter des choses... - Des choses terribles ! " accentua de sa petite voix la Méchain, rompant son silence. Effaré, Saccard se tourna vers elle, l'ayant oubliée, tassée là comme une outre dégonflée à demi. Elle l'avait toujours inquiété, avec son louche commerce d'oiseau de carnage sur les valeurs déclassées ; et il la retrouvait, mÃÂȘlée à cette histoire désagréable. " Sans doute, la malheureuse, c'est bien fùcheux, murmura-t-il. Mais, si elle est morte, je ne vois vraiment... Voici toujours les six cents francs. " Une seconde fois, Busch refusa de prendre la somme. " Pardon, c'est que vous ne savez pas encore tout, c'est qu'elle a eu un enfant... Oui, un enfant qui est dans sa quatorziÚme année, un enfant qui vous ressemble à un tel point, que vous ne pouvez le renier. " Abasourdi, Saccard répéta à plusieurs reprises " Un enfant, un enfant... " Puis, replaçant d'un geste brusque les six billets de banque dans son portefeuille, tout à coup remis d'aplomb et trÚs gaillard " Ah ! ça, dites donc, est-ce que vous vous moquez de moi ? S'il y a un enfant, je ne vous fiche pas un sou... Le petit a hérité de sa mÚre, c'est le petit qui aura ça et tout ce qu'il voudra par-dessus le marché... Un enfant, mais c'est trÚs gentil, mais c'est tout naturel, il n'y a pas de mal à avoir un enfant. Au contraire, ça me fait beaucoup de plaisir, ça me rajeunit, parole d'honneur !.. OÃÂč est-il, que j'aille le voir ? Pourquoi ne me l'avez-vous pas amené tout de suite ? " Stupéfié à son tour, Busch songeait à sa longue hésitation, aux ménagements infinis que Mme Caroline prenait pour révéler l'existence de Victor à son pÚre. Et, démonté, il se jeta dans les explications les plus violentes, les plus compliquées, lùchant tout à la fois, les six mille francs d'argent prÃÂȘté et de frais d'entretien que la Méchain réclamait, les deux mille francs d'acompte donnés par Mme Caroline, les instincts épouvantables de Victor, son entrée à l'Oeuvre du Travail. Et, de son cÎté, Saccard sursautait, à chaque nouveau détail. Comment, six mille francs ! qui lui disait qu'au contraire on n'avait pas dépouillé le gamin ? Un acompte de deux mille francs ! on avait eu l'audace d'extorquer à une dame de ses amies deux mille francs ! mais c'était un vol, un abus de confiance ! Ce petit, parbleu ! on l'avait mal élevé, et l'on voulait qu'il payùt ceux qui étaient responsables de cette mauvaise éducation ! On le prenait donc pour un imbécile ! " Pas un sou ! cria-t-il, entendez-vous, ne comptez pas tirer un sou de ma poche ! " Busch, blÃÂȘme, s'était mis debout devant sa table. " C'est ce que nous verrons. Je vous traÃnerai en justice. - Ne dites donc pas de bÃÂȘtises. Vous savez bien que la justice ne s'occupe pas de ces choses-là ... Et, si vous espérez me faire chanter, c'est encore plus bÃÂȘte, parce que, moi, je me fiche de tout. Un enfant ! mais je vous dis que ça me flatte ! " Et, comme la Méchain bouchait la porte, il dut la bousculer, l'enjamber, pour sortir. Elle suffoquait, elle lui jeta dans l'escalier, de sa voix de flûte " Canaille ! sans coeur ! - Vous aurez de nos nouvelles ! " hurla Busch, qui referma la porte à la volée. Saccard était dans un tel état d'excitation, qu'il donna l'ordre à son cocher de rentrer directement, rue Saint-Lazare. Il avait hùte de voir Mme Caroline, il l'aborda sans une gÃÂȘne, la gronda tout de suite d'avoir donné les deux mille francs. " Mais, ma chÚre amie, jamais on ne lùche de l'argent comme ça... Pourquoi diable avez-vous agi sans me consulter ? " Elle, saisie qu'il sût enfin l'histoire, demeurait muette. C'était bien l'écriture de Busch qu'elle avait reconnue, et maintenant elle n'avait plus rien à cacher, puisqu'un autre venait de lui éviter le souci de la confidence. Cependant, elle hésitait toujours, confuse pour cet homme qui l'interrogeait si à l'aise. " J'ai voulu vous éviter un chagrin... Ce malheureux enfant était dans une telle dégradation !... Depuis longtemps, je vous aurais tout raconté, sans un sentiment... - Quel sentiment ?... Je vous avoue que je ne comprends pas. " Elle n'essaya pas de s'expliquer, de s'excuser davantage, envahie d'une tristesse, d'une lassitude de tout, elle si courageuse à vivre ; tandis que lui continuait à s'exclamer, enchanté, vraiment rajeuni. " Ce pauvre gamin ! je l'aimerai beaucoup, je vous assure... Vous avez trÚs bien fait de le mettre à l'Oeuvre du Travail, pour le décrasser un peu. Mais nous allons le retirer de là , nous lui donnerons des professeurs... Demain, j'irai le voir, oui ! demain, si je ne suis pas trop pris. " Le lendemain, il y eut conseil, et deux jours se passÚrent, puis la semaine, sans que Saccard trouvùt une minute. Il parla de l'enfant souvent encore, remettant sa visite, cédant au fleuve débordé qui l'emportait. Dans les premiers jours de décembre, le cours de deux mille sept cents francs venait d'ÃÂȘtre atteint, au milieu de l'extraordinaire fiÚvre dont l'accÚs maladif continuait à bouleverser la Bourse. Le pis était que les nouvelles alarmantes avaient grandi, que la hausse s'enrageait, dans un malaise croissant, intolérable désormais, on annonçait tout haut la catastrophe fatale, et on montait quand mÃÂȘme, on montait sans cesse, par la force obstinée d'un de ces prodigieux engouements qui se refusent à l'évidence. Saccard ne vivait plus que dans la fiction exagérée de son triomphe, entouré comme d'une gloire par cette averse d'or qu'il faisait pleuvoir sur Paris, assez fin cependant pour avoir la sensation du sol miné, crevassé, qui menaçait de s'effondrer sous lui. Aussi, bien qu'à chaque liquidation il restùt victorieux, ne décolérait-il pas contre les baissiers, dont les pertes déjà devaient ÃÂȘtre effroyables. Qu'avaient donc ces sales juifs à s'acharner ? N'allait-il pas enfin les détruire ? Et il s'exaspérait surtout de ce qu'il disait flairer, à cÎté de Gundermann, faisant son jeu, d'autres vendeurs, des soldats de l'Universelle, peut-ÃÂȘtre, des traÃtres qui passaient à l'ennemi, ébranlés dans leur foi, ayant la hùte de réaliser. Un jour que Saccard exhalait ainsi son mécontentement devant Mme Caroline, celle-ci crut devoir lui tout dire. " Vous savez, mon ami, que j'ai vendu moi... Je viens de vendre nos derniÚres mille actions au cours de deux mille sept cents. " Il resta anéanti, comme devant la plus noire des trahisons. " Vous avez vendu, vous ! vous, mon Dieu ! " Elle lui avait pris les mains, elle les lui serrait, vraiment peinée, lui rappelant qu'elle et son frÚre l'avaient averti. Ce dernier, qui était toujours à Rome, écrivait des lettres pleines d'une mortelle inquiétude sur cette hausse exagérée, qu'il ne s'expliquait pas, qu'il fallait enrayer à tout prix, sous peine d'une culbute en plein gouffre. La veille encore, elle en avait reçu une lui donnant l'ordre formel de vendre. Et elle avait vendu. " Vous, vous ! répétait Saccard. C'était vous qui me combattiez, que je sentais dans l'ombre ! Ce sont vos actions que j'ai dû racheter ! " Il ne s'emportait pas, selon son habitude, et elle souffrait davantage de son accablement, elle aurait voulu le raisonner, lui faire abandonner cette lutte sans merci qu'un massacre seul pouvait terminer. " Mon ami, écoutez-moi... Songez que nos trois mille titres ont produit plus de sept millions et demi. N'est-ce point un gain inespéré, extravagant ? Moi, tout cet argent m'épouvante, je ne puis croire qu'il m'appartienne... Mais ce n'est d'ailleurs pas de notre intérÃÂȘt personnel qu'il s'agit. Songez aux intérÃÂȘts de tous ceux qui ont remis leur fortune entre vos mains, un effrayant total de millions que vous risquez dans la partie. Pourquoi soutenir cette hausse insensée, pourquoi l'exciter encore ? On me dit de tous les cÎtés que la catastrophe est au bout, fatalement... Vous ne pourrez monter toujours, il n'y a aucune honte à ce que les titres reprennent leur valeur réelle, et c'est la maison solide, c'est le salut. " Mais, violemment, il s'était remis debout. " Je veux le cours de trois mille... J'ai acheté et j'achÚterai encore, quitte à en crever... Oui ! que je crÚve, que tout crÚve avec moi, si je ne fais pas et si je ne maintiens pas le cours de trois mille ! " AprÚs la liquidation du 15 décembre, les cours montÚrent à deux mille huit cents, à deux mille neuf cents. Et ce fut le 21 que le cours de trois mille vingt francs fut proclamé à la Bourse, au milieu d'une agitation de foule démente. Il n'y avait plus ni vérité, ni logique, l'idée de la valeur était pervertie, au point de perdre tout sens réel. Le bruit courait que Gundermann, contrairement à ses habitudes de prudence, se trouvait engagé dans d'effroyables risques, depuis des mois qu'il nourrissait la baisse, ses pertes avaient grandi à chaque quinzaine, au fur et à mesure de la hausse, par sauts énormes ; et l'on commençait à dire qu'il pourrait bien avoir les reins cassés. Toutes les cervelles étaient à l'envers, on s'attendait à des prodiges. Et, à cette minute suprÃÂȘme, oÃÂč Saccard, au sommet, sentait trembler la terre, dans l'angoisse inavouée de la chute, il fut roi. Lorsque sa voiture arrivait rue de Londres, devant le palais triomphal de l'Universelle, un valet descendait vivement, étalait un tapis, qui des marches du vestibule se déroulait sur le trottoir, jusqu'au ruisseau ; et Saccard alors daignait quitter la voiture, et il faisait son entrée, en souverain à qui l'on épargne le commun pavé des rues. X - A cette fin d'année, le jour de la liquidation de décembre, la grande salle de la Bourse se trouva pleine dÚs midi et demi, dans une extraordinaire agitation de voix et de gestes. Depuis quelques semaines, d'ailleurs, l'effervescence montait, et elle aboutissait à cette derniÚre journée de lutte, une cohue fiévreuse oÃÂč grondait déjà la décisive bataille qui allait s'engager. Dehors, il gelait terriblement ; mais un clair soleil d'hiver pénétrait, d'un rayon oblique, par le haut vitrage, égayant tout un cÎté de la salle nue, aux sévÚres piliers, à la voûte triste, que glaçaient encore des grisailles allégoriques ; tandis que des bouches de calorifÚres, tout le long des arcades, soufflaient une haleine tiÚde, au milieu du courant froid des portes grillagées, continuellement battantes. Le baissier Moser, plus inquiet et plus jaune que de coutume, se heurta contre le haussier Pillerault, arrogamment planté sur ses hautes jambes de héron. " Vous savez ce qu'on dit ?... " Mais il dut élever la voix, pour se faire entendre, dans le bruit croissant des conversations, un roulement régulier, monotone, pareil à une clameur d'eaux débordées, coulant sans fin. " On dit que nous aurons la guerre en avril... Ça ne peut pas finir autrement, avec ces armements formidables. L'Allemagne ne veut pas nous laisser le temps d'appliquer la nouvelle loi militaire que va voter la Chambre... Et, d'ailleurs, Bismarck... " Pillerault éclata de rire. " Fichez-moi donc la paix, vous et votre Bismarck !... Moi qui vous parle, j'ai causé cinq minutes avec lui, cet été, quand il est venu. Il a l'air trÚs bon garçon... Si vous n'ÃÂȘtes pas content, aprÚs l'écrasant succÚs de l'Exposition, que vous faut-il ? Eh ! mon cher, l'Europe entiÚre est à nous. " Moser hocha désespérément la tÃÂȘte. Et, en phrases que coupaient à chaque seconde les bousculades de la foule, il continua à dire ses craintes. L'état du marché était trop prospÚre, d'une prospérité pléthorique qui ne valait rien, pas plus que la mauvaise graisse des gens trop gras. Grùce à l'Exposition, il avait poussé trop d'affaires, on s'était engoué, on en arrivait à la pure démence du jeu. Est-ce que ce n'était pas fou, par exemple, l'Universelle à trois mille trente ? " Ah ! nous y voilà ! " cria Pillerault. Et, de tout prÚs, en accentuant chaque syllabe " Mon cher, on finira ce soir à trois mille soixante... Vous serez tous culbutés, c'est moi qui vous le dis. " Le baissier, facilement impressionnable pourtant, eut un petit sifflement de défi. Et il regarda en l'air, pour marquer sa fausse tranquillité d'ùme, il resta un moment à examiner les quelques tÃÂȘtes de femme, qui se penchaient, là -haut, à la galerie du télégraphe, étonnées du spectacle de cette salle, oÃÂč elles ne pouvaient entrer. Des écussons portaient des noms de villes, les chapiteaux et les corniches allongeaient une perspective blÃÂȘme, que des infiltrations avaient tachée de jaune. " Tiens ! c'est vous ! " reprit Moser en baissant la tÃÂȘte et en reconnaissant Salmon, qui souriait devant lui, de son éternel et profond sourire. Puis, troublé, voyant dans ce sourire une approbation donnée aux renseignements de Pillerault " Enfin, si vous savez quelque chose, dites-le... Moi, mon raisonnement est simple. Je suis avec Gundermann, parce que Gundermann, n'est-ce pas ? c'est Gundermann... Ça finit toujours bien, avec lui. - Mais, dit Pillerault ricanant, qui vous dit que Gundermann est à la baisse ? " Du coup, Moser arrondit des yeux effarés. Depuis longtemps, le gros commérage de la Bourse était que Gundermann guettait Saccard, qu'il nourrissait la baisse contre l'Universelle, en attendant d'étrangler celle-ci, à quelque fin de mois, d'un effort brusque, lorsque l'heure serait venue d'écraser le marché sous ses millions ; et, si cette journée s'annonçait si chaude, c'était que tous croyaient, répétaient que la bataille allait enfin ÃÂȘtre pour ce jour-là , une de ces batailles sans merci oÃÂč l'une des deux armées reste par terre, détruite. Mais est- ce qu'on était jamais certain, dans ce monde de mensonge et de ruse ? Les choses les plus sûres, les plus annoncées à l'avance, devenaient, au moindre souffle, des sujets de doute pleins d'angoisse. " Vous niez l'évidence, murmura Moser. Sans doute, je n'ai pas vu les ordres, et on ne peut rien affirmer... Hein ? Salmon, qu'est-ce que vous en dites ? Gundermann ne peut pas lùcher, que diable ! " Et il ne savait que croire devant le sourire silencieux de Salmon qui lui semblait s'amincir, d'une finesse extrÃÂȘme. " Ah ! reprit-il, en désignant du menton un gros homme qui passait, si celui-là voulait parler, je ne serais pas en peine. Il voit clair. " C'était le célÚbre Amadieu, qui vivait toujours sur sa réussite, dans l'affaire des mines de Selsis, les actions achetées à quinze francs, en un coup d'entÃÂȘtement imbécile, revendues plus tard avec un bénéfice d'une quinzaine de millions, sans qu'il eût rien prévu ni calculé, au hasard. On le vénérait pour ses grandes capacités financiÚres, une véritable cour le suivait, en tùchant de surprendre ses moindres paroles et en jouant dans le sens qu'elles semblaient indiquer. " Bah ! s'écria Pillerault, tout à sa théorie favorite du casse-cou, le mieux est encore de suivre son idée, au petit bonheur... Il n'y a que la chance. On a de la chance ou l'on n'a pas de chance. Alors, quoi ? il ne faut pas réfléchir. Moi, chaque fois que j'ai réfléchi, j'ai failli y rester... Tenez ! tant que je verrai ce monsieur-là solide à son poste, avec son air de gaillard qui veut tout manger, j'achÚterai. " D'un geste, il avait montré Saccard, qui venait d'arriver et qui s'installait à sa place habituelle, contre le pilier de la premiÚre arcade de gauche. Comme tous les chefs de maison importante, il avait ainsi une place connue, oÃÂč les employés et les clients étaient certains de le trouver, les jours de Bourse. Gundermann seul affectait de ne jamais mettre les pieds dans la grande salle ; il n'y envoyait mÃÂȘme pas un représentant officiel ; mais on y sentait une armée à lui, il y régnait en maÃtre absent et souverain, par la légion innombrable des remisiers, des agents qui apportaient ses ordres, sans compter ses créatures, si nombreuses, que tout homme présent était peut-ÃÂȘtre le mystérieux soldat de Gundermann. Et c'était contre cette armée insaisissable et partout agissante que luttait Saccard, en personne, à front découvert. DerriÚre lui, dans l'angle du pilier, il y avait un banc, mais il ne s'y asseyait jamais, debout pendant les deux heures du marché, comme dédaigneux de la fatigue. Parfois, aux minutes d'abandon, il s'appuyait simplement du coude à la pierre, que la salissure de tous les contacts, à hauteur d'homme, avait noircie et polie ; et dans la nudité blafarde du monument il y avait mÃÂȘme là un détail caractéristique, cette bande de crasse luisante, contre les portes, contre les murs, dans les escaliers, dans la salle, un soubassement immonde, la sueur accumulée des générations de joueurs et de voleurs. TrÚs élégant, trÚs correct, ainsi que tous les boursiers, avec son drap fin et son linge éblouissant, Saccard avait la mine aimable et reposée d'un homme sans préoccupations, au milieu de ces murs bordés de noir. " Vous savez, dit Moser en étouffant sa voix, qu'on l'accuse de soutenir la hausse par des achats considérables. Si l'Universelle joue sur ses propres actions, elle est fichue. " Mais Pillerault protestait. " Encore un cancan !... Est-ce qu'on peut dire au juste qui vend et qui achÚte... Il est là pour les clients de sa maison, ce qui est bien naturel. Et il y est aussi pour son propre compte, car il doit jouer. " Moser, d'ailleurs, n'insista pas. Personne encore, à la Bourse, n'aurait osé affirmer la terrible campagne menée par Saccard, ces achats qu'il faisait pour le compte de la société, sous le couvert d'hommes de paille, Sabatani, Jantrou, d'autres encore, surtout des employés de sa direction. Une rumeur seulement courait, chuchotée à l'oreille, démentie, toujours renaissante, quoique sans preuve possible. D'abord, il n'avait fait que soutenir les cours avec prudence, revendant dÚs qu'il pouvait, afin de ne pas trop immobiliser les capitaux et encombrer les caisses de titres. Mais il était maintenant entraÃné par la lutte, et il avait prévu, ce jour-là , la nécessité d'achats exagérés, s'il voulait rester maÃtre du champ de bataille. Ses ordres étaient donnés, il affectait son calme souriant des jours ordinaires, malgré son incertitude sur le résultat final et le trouble qu'il éprouvait, à s'engager ainsi de plus en plus dans une voie qu'il savait effroyablement dangereuse. Brusquement, Moser, qui était allé rÎder derriÚre le dos du célÚbre Amadieu, en grande conférence avec un petit homme chafouin, revint trÚs exalté, bégayant " Je l'ai entendu, entendu de mes oreilles... Il a dit que les ordres de vente de Gundermann dépassaient dix millions... Oh ! je vends, je vends, je vendrais jusqu'à ma chemise ! - Dix millions, fichtre ! murmura Pillerault, la voix un peu altérée. C'est une vraie guerre au couteau. " Et, dans la clameur roulante qui croissait, grossie de toutes les conversations particuliÚres, il n'y avait plus que ce duel féroce entre Gundermann et Saccard. On ne distinguait pas les paroles, mais le bruit en était fait, c'était cela seul qui grondait si haut, l'entÃÂȘtement calme et logique de l'un à vendre, l'enfiÚvrement de passion à toujours acheter, qu'on soupçonnait chez l'autre. Les nouvelles contradictoires qui circulaient, murmurées d'abord, finissaient par des éclats de trompette. DÚs qu'ils ouvraient la bouche, les uns criaient, pour se faire entendre au milieu du vacarme ; tandis que d'autres, pleins de mystÚre, se penchaient à l'oreille de leurs interlocuteurs, parlaient trÚs bas mÃÂȘme quand ils n'avaient rien à dire. " Eh ! je garde mes positions à la hausse ! reprit Pillerault, déjà raffermi. Il fait un soleil trop beau, tout va monter encore. - Tout va crouler, répliqua Moser avec son obstination dolente. La pluie n'est pas loin, j'ai eu une crise cette nuit. " Mais le sourire de Salmon, qui les écoutait à tour de rÎle, devint si aigu, que tous deux restÚrent mécontents, sans certitude possible. Est- ce que ce diable d'homme, si extraordinairement fort, si profond et si discret, avait trouvé une troisiÚme façon de jouer, en ne se mettant ni à la hausse ni à la baisse ? Saccard, à son pilier, voyait grossir autour de lui la cohue de ses flatteurs et de ses clients. Continuellement, des mains se tendaient, et il les serrait toutes, avec la mÃÂȘme facilité heureuse, mettant dans chaque étreinte de ses doigts une promesse de triomphe. Certains accouraient, échangeaient un mot, repartaient ravis. Beaucoup s'entÃÂȘtaient, ne le lùchaient plus, glorieux d'ÃÂȘtre de son groupe. Souvent il se montrait aimable, sans se rappeler le nom des gens qui lui parlaient. Ainsi, il fallut que le capitaine Chave lui nommùt Maugendre, pour qu'il reconnût celui-ci. Le capitaine, remis avec son beau-frÚre, le poussait à vendre ; mais la poignée de main du directeur suffit à enflammer Maugendre d'un espoir sans limite. Ensuite, ce fut Sédille, l'administrateur, le grand marchand de soie, qui voulut avoir une consultation d'une minute. Sa maison de commerce périclitait, toute sa fortune était liée à celle de l'Universelle, à ce point que la baisse possible devait ÃÂȘtre pour lui un écroulement ; et, anxieux, dévoré de sa passion, ayant d'autres ennuis du cÎté de son fils Gustave qui ne réussissait guÚre chez Mazaud, il éprouvait le besoin d'ÃÂȘtre rassuré, encouragé. D'une tape sur l'épaule, Saccard le renvoya, plein de foi et d'ardeur. Puis, il y eut tout un défilé Kolb, le banquier, qui avait réalisé depuis longtemps, mais qui ménageait le hasard ; le marquis de Bohain, qui, avec sa condescendance hautaine de grand seigneur, affectait de fréquenter la Bourse, par curiosité et désoeuvrement ; Huret lui-mÃÂȘme, incapable de rester fùché, trop souple pour n'ÃÂȘtre pas l'ami des gens jusqu'au jour de l'engloutissement final, venant voir s'il n'y avait plus rien à ramasser. Mais Daigremont parut, tous s'écartÚrent. Il était trÚs puissant, on remarqua son amabilité, la façon dont il plaisanta, d'un air de camaraderie confiante. Les haussiers rayonnaient, car il avait la réputation d'un homme adroit, qui savait sortir des maisons aux premiers craquements des planchers ; et il devenait certain que l'Universelle ne craquait pas encore.. D'autres enfin circulaient, qui échangeaient simplement un coup d'oeil avec Saccard, les hommes à lui, les employés chargés de donner les ordres, achetant aussi pour leur propre compte, dans la rage de jeu dont l'épidémie décimait le personnel de la rue de Londres, toujours aux aguets, l'oreille aux serrures, en chasse des renseignements. Ce fut ainsi que, deux fois, Sabatani passa, avec sa grùce molle d'Italien mùtiné d'Oriental, en affectant de ne pas mÃÂȘme voir le patron ; tandis que Jantrou, immobile à quelques pas, tournant le dos, semblait tout à la lecture des dépÃÂȘches des Bourses étrangÚres, affichées dans des cadres grillagés. Le remisier Massias, qui, toujours courant, bouscula le groupe, eut un petit signe de tÃÂȘte, pour rendre sans doute une réponse, quelque commission vivement faite. Et, à mesure que l'heure de l'ouverture approchait, le piétinement sans fin, le double courant de foule, sillonnant la salle, l'emplissait des secousses profondes et du retentissement d'une marée haute. On attendait le premier cours. A la corbeille, Mazaud et Jacoby, sortant du cabinet des agents de change, venaient d'entrer, cÎte à cÎte, d'un air de correcte confraternité. Ils se savaient pourtant adversaires dans la lutte sans merci qui se livrait depuis des semaines, et qui pouvait finir par la ruine de l'un d'eux. Mazaud, petit, avec sa taille mince de joli homme, était d'une vivacité gaie, oÃÂč se retrouvait sa chance si heureuse jusque-là , cette chance qui l'avait fait hériter, à trente-deux ans, de la charge d'un de ses oncles ; tandis que Jacoby, ancien fondé de pouvoir, devenu agent à l'ancienneté, grùce à des clients qui le commanditaient, avait le ventre épaissi et le pas lourd de ses soixante ans, grand gaillard grisonnant et chauve, étalant une large face de bon diable jouisseur. Et tous deux, leurs carnets à la main, causaient du beau temps, comme s'ils n'avaient pas tenu là , sur ces quelques feuilles, les millions qu'ils allaient échanger, ainsi que des coups de feu, dans la meurtriÚre mÃÂȘlée de l'offre et de la demande. " Hein ? une jolie gelée ! - - Oh ! imaginez-vous, je suis venu à pied, tant c'était charmant ! " Arrivés devant la corbeille, le vaste bassin circulaire, encore net des papiers inutiles, des fiches qu'on y jette, ils s'arrÃÂȘtÚrent un instant, appuyés à la rampe de velours rouge qui l'entoure, continuant à se dire des choses banales et interrompues, tout en guettant de l'oeil les alentours. Les quatre travées, en forme de croix, fermées par des grilles, sorte d'étoile à quatre branches ayant pour centre la corbeille, était le lieu sacré interdit au public ; et, entre les branches, en avant, il y avait d'un cÎté un autre compartiment, oÃÂč se trouvaient les commis du comptant, que dominaient les trois coteurs, assis sur de hautes chaises, devant leurs immenses registres ; tandis que, de l'autre cÎté, un compartiment plus petit, ouvert celui-là , nommé " la guitare " , à cause de sa forme sans doute, permettait aux employés et aux spéculateurs de se mettre en contact direct avec les agents. DerriÚre, dans l'angle formé par deux autres branches, se tenait, en pleine foule, le marché des rentes françaises, oÃÂč chaque agent était représenté, ainsi qu'au marché du comptant, par un commis spécial, ayant son carnet distinct ; car les agents de change, autour de la corbeille, ne s'occupent exclusivement que des marchés à terme, tout entiers à la grande besogne effrénée du jeu. Mais, apercevant, dans la travée de gauche, son fondé de pouvoir Berthier qui lui faisait un signe, Mazaud alla échanger avec lui quelques mots à demi-voix, les fondés de pouvoir n'ayant que le droit d'ÃÂȘtre dans les travées, à distance respectueuse de la rampe de velours rouge, qu'aucune main profane ne saurait toucher. Chaque jour, Mazaud venait ainsi à la Bourse avec Berthier et ses deux commis, celui du comptant et celui de la rente, auxquels se joignait le plus souvent le liquidateur de la charge ; sans compter l'employé aux dépÃÂȘches qui était toujours le petit Flory, la face de plus en plus enfouie dans son épaisse barbe, d'oÃÂč ne sortait que l'éclat de ses yeux tendres. Depuis son gain de dix mille francs, au lendemain de Sadowa, Flory, affolé par les exigences de Chuchu devenue capricieuse et dévorante, jouait éperdument à son compte, sans calcul aucun d'ailleurs, tout au jeu de Saccard qu'il suivait avec une foi aveugle. Les ordres qu'il connaissait, les télégrammes qui lui passaient par les mains, suffisaient à le guider. Et, justement, comme il descendait en courant du télégraphe, installé au premier étage, les deux mains pleines de dépÃÂȘches il dut faire appeler par un garde Mazaud, qui lùcha Berthier, pour venir contre la guitare. " Monsieur, faut-il aujourd'hui les dépouiller et les classer ? - Sans doute, si elles arrivent ainsi en masse... Qu'est-ce que c'est que tout ça ? - Oh ! de l'Universelle, des ordres d'achat, presque toutes. " L'agent, d'une main exercée, feuilletait les dépÃÂȘches, visiblement satisfait. TrÚs engagé avec Saccard, qu'il reportait depuis longtemps pour des sommes considérables, ayant encore reçu de lui, le matin mÃÂȘme, des ordres d'achat énormes, il avait fini par ÃÂȘtre l'agent en titre de l'Universelle. Et, quoique sans grosse inquiétude jusque-là , cet engouement persistant du public, ces achats entÃÂȘtés, malgré l'exagération des cours, le rassuraient, un nom le frappa, parmi les signataires des dépÃÂȘches, celui de Fayeux, ce receveur de rentes de VendÎme, qui devait s'ÃÂȘtre fait une clientÚle extrÃÂȘmement nombreuse de petits acheteurs, parmi les fermiers, les dévotes et les prÃÂȘtres de sa province, car il ne se passait pas de semaine, sans qu'il envoyùt ainsi télégrammes sur télégrammes. " Donnez ça au comptant, dit Mazaud à Flory. Et n'attendez pas qu'on vous descende les dépÃÂȘches, n'est-ce pas ? Restez là -haut, prenez-les vous-mÃÂȘme. " Flory alla s'accouder à la balustrade du comptant, criant à toute voix " Mazaud ! Mazaud ! " Et ce fut Gustave Sédille qui s'approcha ; car, à la Bourse, les employés perdent leur nom, n'ont plus que le nom de l'agent qu'ils représentent. Flory, lui aussi, s'appelait Mazaud. AprÚs avoir quitté la charge pendant prÚs de deux ans, Gustave venait d'y rentrer, afin de décider son pÚre à payer ses dettes ; et, ce jour-là , en l'absence du commis principal, il se trouvait chargé du comptant, ce qui l'amusait. Flory s'étant penché à son oreille, tous deux convinrent de n'acheter pour Fayeux qu'au dernier cours, aprÚs avoir joué pour eux sur ses ordres, n'achetant et en revendant d'abord au nom de leur homme de paille habituel, de façon à toucher la différence, puisque la hausse leur semblait certaine. Cependant, Mazaud revint vers la corbeille. Mais, à chaque pas, un garde lui remettait, de la part de quelque client qui n'avait pu s'approcher, une fiche, oÃÂč un ordre était griffonné au crayon. Chaque agent avait sa fiche particuliÚre, d'une couleur spéciale, rouge, jaune, bleue, verte, afin qu'on pût la reconnaÃtre aisément. Celle de Mazaud était verte couleur de l'espérance ; et les petits papiers verts continuaient à s'amasser entre ses doigts, dans le continuel va-et-vient des gardes, qui les prenaient au bout des travées, de la main des employés et des spéculateurs, tous pourvus d'une provision de ces fiches, de façon à gagner du temps. Comme il s'arrÃÂȘtait de nouveau devant la rampe de velours, il y retrouva Jacoby, qui, lui également, tenait une poignée de fiches, sans cesse grossie, des fiches rouges, d'un rouge frais de sang répandu sans doute des ordres de Gundermann et de ses fidÚles, car personne n'ignorait que Jacoby, dans le massacre qui se préparait, était l'agent des baissiers, le principal exécuteur des hautes oeuvres de la banque juive. Et il causait maintenant avec un autre agent, Delarocque, son beau-frÚre, un chrétien qui avait épousé une juive, un gros homme roux et trapu, trÚs chauve, lancé dans le monde des cercles, connu pour recevoir les ordres de Daigremont, lequel s'était fùché depuis peu avec Jacoby, comme autrefois avec Mazaud. L'histoire que Delarocque racontait, une histoire grasse de femme rentrée chez son mari sans chemise, allumait ses petits yeux clignotants, tandis qu'il agitait, dans une mimique passionnée, son carnet, d'oÃÂč débordait le paquet de ses fiches, bleues celles-ci, d'un bleu tendre de ciel d'avril. " M. Massias vous demande " , vint dire un garde à Mazaud. Vivement, ce dernier retourna au bout de la travée. Le remisier, complÚtement à la solde de l'Universelle, lui apportait des nouvelles de la coulisse, qui fonction ait déjà sous le péristyle, malgré la terrible gelée. Quelques spéculateurs se risquaient quand mÃÂȘme, rentraient par moments se chauffer dans la salle ; pendant que les coulissiers, au fond d'épais paletots, les collets de fourrure relevés, tenaient bon, en cercle comme d'habitude, au-dessous de l'horloge, s'animant, criant, gesticulant si fort qu'ils ne sentaient pas le froid. Et le petit Nathansohn se montrait parmi les plus actifs, en train de devenir un gros monsieur, favorisé par la chance, depuis le jour, oÃÂč, simple petit employé démissionnaire du Crédit Mobilier, il avait eu l'idée de louer une chambre et d'ouvrir un guichet. D'une voix rapide, Massias expliqua que, les cours ayant l'air de fléchir, sous le paquet de valeurs dont les baissiers accablaient le marché, Cassard venait d'avoir l'idée d'opérer à la coulisse, pour influer sur le premier cours officiel de la corbeille. L'Universelle avait clÎturé la veille, à 3 030 francs ; et il avait fait donner l'ordre à Nathansohn d'acheter cent titres, qu'un autre coulissier devait offrir à 3 035 francs. C'était cinq francs de majoration. " Bon ! le cours nous arrivera " , dit Mazaud. Et il revint parmi le groupe des agents, qui se trouvaient au complet. Les soixante étaient là , faisant déjà entre eux, malgré le rÚglement, les affaires au cours moyen, en attendant le coup de cloche réglementaire. Les ordres donnés à un cours fixé d'avance n'influaient pas sur le marché, puisqu'il fallait attendre ce cours ; tandis que les ordres au mieux, ceux dont on laissait la libre exécution au flair de l'agent, déterminaient la continuelle oscillation des cotes différentes. Un bon agent était fait de finesse et de prescience, de cervelle prompte et de muscles agiles, car la rapidité assurait souvent le succÚs ; sans compter la nécessité des belles relations dans la haute banque, des renseignements ramassés un peu partout, des dépÃÂȘches reçues des Bourses françaises et étrangÚres, avant tout autre. Et il fallait encore une voix solide, pour crier fort. Mais une heure sonna, la volée de la cloche passa en coup de vent sur la houle violente des tÃÂȘtes ; et la derniÚre vibration n'était pas éteinte, que Jacoby, les deux mains appuyées sur le velours, jetait d'une voix mugissante, la plus forte de la compagnie " J'ai de l'Universelle... J'ai de l'Universelle... " Il ne fixait pas de prix, attendant la demande. Les soixante s'étaient rapprochés et formaient le cercle autour de la corbeille, oÃÂč déjà quelques fiches jetées faisaient des taches de couleurs vives. Face à face, ils se dévisageaient tous, se tùtaient comme les duellistes au début d'une affaire, trÚs pressés de voir s'établir le premier cours. " J'ai de l'Universelle, répétait la basse grondante de Jacoby. J'ai de l'Universelle. - A quel cours, l'Universelle ? " demanda Mazaud d'une voix mince, mais si aiguÃ, qu'elle dominait celle de son collÚgue, comme un chant de flûte s'entend au-dessus d'un accompagnement de violoncelle. Et Delarocque proposa le cours de la veille. " A 3 030, je prends l'Universelle. " Mais, tout de suite, un autre agent renchérit. " A 3 035, envoyez l'Universelle. " C'était le cours de la coulisse qui arrivait, empÃÂȘchant l'arbitrage que Delarocque devait préparer un achat à la corbeille et une vente prompte à la coulisse, pour empocher les cinq francs de hausse. Aussi Mazaud se décida-t-il, certain d'ÃÂȘtre approuvé par Saccard. " A 3040, je prends... Envoyez l'Universelle à 3040. - Combien ? dut demander Jacoby. - Trois cents. " Tous deux écrivirent un bout de ligne sur leur carnet, et le marché était conclu, le premier cours se trouvait fixé, avec une hausse de dix francs sur le cours de la veille. Mazaud se détacha, alla donner le chiffre à celui des coteurs qui avait l'Universelle sur son registre. Alors, pendant vingt minutes, ce fut une véritable écluse lùchée les cours des autres valeurs s'étaient également établis, tout le paquet des affaires apportées par les agents, se concluait, sans grandes variations. Et, cependant, les coteurs, haut perchés, pris entre le vacarme de la corbeille et celui du comptant, qui fonctionnait fiévreusement lui aussi, avaient grand-peine à inscrire toutes les cotes nouvelles que venaient leur jeter les agents et les commis. En arriÚre, la rente également faisait rage. Depuis que le marché était ouvert, la foule ne ronflait plus seule, avec le bruit continu des grandes eaux ; et, sur ce grondement formidable, s'élevaient maintenant les cris discordants de l'offre et de la demande, un glapissement caractéristique, qui montait, descendait, s'arrÃÂȘtait pour reprendre en notes inégales et déchirées, ainsi que des appels d'oiseaux pillards dans la tempÃÂȘte. Saccard souriait, debout prÚs de son pilier. Sa cour avait augmenté encore, la hausse de dix francs sur l'Universelle venait d'émotionner la Bourse, car on y pronostiquait depuis longtemps une débùcle pour le jour de la liquidation. Huret s'était rapproché avec Sédille et Kolb, en affectant de regretter tout haut sa prudence, qui lui avait fait vendre ses actions, dÚs le cours de 2 500 ; tandis que Daigremont, l'air désintéressé, promenant à son bras le marquis de Bohain, lui expliquait gaiement la défaite de son écurie, aux courses d'automne. Mais, surtout, Maugendre triomphait, accablait le capitaine Chave, obstiné quand mÃÂȘme dans son pessimisme, disant qu'il fallait attendre la fin. Et la mÃÂȘme scÚne se reproduisait entre Pillerault vantard et Moser mélancolique, l'un radieux de cette folie de la hausse, l'autre serrant les poings, parlant de cette hausse te tue, imbécile, comme d'une bÃÂȘte enragée qu'on finirait pourtant bien par abattre. Une heure se passa, les cours restaient à peu prÚs les mÃÂȘmes, les affaires continuaient à la corbeille, moins drues, au fur et à mesure que les ordres nouveaux et les dépÃÂȘches les apportaient. Il y avait ainsi, vers le milieu de chaque Bourse, une sorte de ralentissement, l'accalmie des transactions courantes, en attendant la lutte décisive du dernier cours. Pourtant, on entendait toujours le mugissement de Jacoby, que coupaient les notes aiguÃs de Mazaud, engagés l'un et l'autre, dans des opérations à prime. " J'ai de l'Universelle à 3040, dont 15... Je prends de l'Universelle à 3040, dont 10... Combien ?... Vingt-cinq... Envoyez ! " Ce devaient ÃÂȘtre des ordres de Fayeux que Mazaud exécutait, car beaucoup de joueurs de province, pour limiter leur perte, avant d'oser se lancer dans le ferme, achetaient et vendaient à prime. Puis, brusquement, une rumeur courut, des voix saccadées s'élevÚrent l'Universelle venait de baisser de cinq francs ; et, coup sur coup, elle baissa de dix francs, de quinze francs, elle tomba à 3 025. Justement, à ce moment-là , Jantrou, qui avait reparu, aprÚs une courte absence, disait à l'oreille de Saccard que la baronne Sandorff était là , rue Brongniart, dans son coupé et qu'elle lui faisait demander s'il fallait vendre. A cette question, tombant au moment oÃÂč les cours fléchissaient, l'exaspéra. Il revoyait le cocher immobile, haut perché sur le siÚge, la baronne consultant son carnet, comme chez elle, glaces closes. Et il répondit " Qu'elle me fiche la paix ! et si elle vend, je l'étrangle ! " Massias accourait, à l'annonce des quinze francs de baisse, ainsi qu'à un appel d'alarme, sentant bien qu'il allait ÃÂȘtre nécessaire. En effet, Saccard, qui avait préparé un coup pour enlever le dernier cours, une dépÃÂȘche qu'on devait envoyer de la Bourse de Lyon, oÃÂč la hausse était certaine, commençait à s'inquiéter, en ne voyant pas arriver la dépÃÂȘche ; et cette dégringolade de quinze francs, imprévue, pouvait amener un désastre. Habilement, Massias ne s'arrÃÂȘta pas devant lui, le heurta du coude, puis reçut son ordre, l'oreille tendue. " Vite, à Nathansohn, quatre cents, cinq cents, ce qu'il faudra. " Cela s'était fait si rapidement, que Pillerault et Moser seuls s'en aperçurent. Ils se lancÚrent sur les pas de Massias, pour savoir. Massias, depuis qu'il était à la solde de l'Universelle, avait pris une importance énorme. On tachait de le confesser, de lire par-dessus son épaule les ordres qu'il recevait. Et lui-mÃÂȘme, maintenant, réalisait des gains superbes. Avec sa bonhomie souriante de malchanceux, que la fortune avait rudement traité jusque-là , il s'étonnait, il déclarait supportable cette vie de chien de la Bourse, oÃÂč il ne disait plus qu'il fallait ÃÂȘtre juif pour réussir. A la coulisse, dans le courant d'air glacé du péristyle, que le pùle soleil de trois heures ne chauffait guÚre, l'Universelle avait baissé moins rapidement qu'à la corbeille. Et Nathansohn, averti par ses courtiers, venait de réaliser l'arbitrage que n'avait pu réussir Delarocque, au début acheteur dans la salle à 3 025, il avait revendu sous la colonnade 3035. Cela n'avait pas demandé trois minutes, et il gagnait soixante mille francs. Déjà l'achat faisait, à la corbeille, remonter la valeur à 3030, par cet effet d'équilibre que les deux marchés, le légal et le toléré, exercent l'un sur l'autre. Un galop de commis ne cessait pas, de la salle au péristyle, jouant des coudes à travers la cohue. Pourtant, le cours de la coulisse allait fléchir, lorsque l'ordre que Massias apportait à Nathansohn le soutint à 3035, le haussa à 3040 ; tandis que, par contrecoup, la valeur retrouvait aussi, au parquet, son premier cours. Mais il était difficile de l'y maintenir, car la tactique de Jacoby et des autres agents opérant au nom des baissiers, était, évidemment, de réserver les grosses ventes pour la fin de la Bourse, afin d'en écraser le marché et d'amener un effondrement, dans le désarroi de la derniÚre demi-heure. Saccard comprit si bien le péril, que, d'un signe convenu, il avertit Sabatani, en train de fumer une cigarette, à quelques pas, de son air détaché et alangui d'homme à femmes ; et, tout de suite, se faufilant avec une souplesse de couleuvre, ce dernier se rendit dans la guitare, oÃÂč, l'oreille aux aguets, suivant les cours, il ne s'arrÃÂȘta plus d'envoyer à Mazaud des ordres, sur des fiches vertes, dont il avait une provision. Malgré tout, l'attaque était si rude, que l'Universelle, de nouveau, baissa de cinq francs. Les trois quarts sonnÚrent, il n'y avait plus qu'un quart d'heure, avant le coup de cloche de la fermeture. A ce moment, la foule tournoyait et criait, comme flagellée par quelque tourment d'enfer ; la corbeille aboyait, hurlait, avec des retentissements fÃÂȘlés de chaudronnerie qu'on brise ; et ce fut alors que se produisit l'incident si anxieusement attendu par Saccard. Le petit Flory, qui, depuis le commencement, n'avait cessé de descendre du télégraphe, toutes les dix minutes, les mains pleines de dépÃÂȘches, reparut encore, fendant la foule, lisant cette fois un télégramme, dont il semblait enchanté. " Mazaud ! Mazaud ! " appela une voix. Et Flory, naturellement, tourna la tÃÂȘte, comme s'il eût répondu à l'appel de son propre nom. C'était Jantrou qui voulait savoir. Mais le commis le bouscula, trop pressé, tout à la joie de se dire que l'Universelle finirait en hausse ; car la dépÃÂȘche annonçait que la valeur montait à la Bourse de Lyon, oÃÂč des achats s'étaient produits, si importants que le contrecoup allait se ressentir à la Bourse de Paris. En effet, d'autres télégrammes arrivaient déjà , un grand nombre d'agents recevaient des ordres. Le résultat fut immédiat et considérable. " A 3040, je prends l'Universelle " , répétait Mazaud, de sa voix exaspérée de chanterelle. Et Delarocque, débordé par la demande, renchérissait de cinq francs. " A 3045, je prends... - J'ai, à 3045, mugissait Jacoby. Deux cents, à 3 045. - Envoyez ! " Alors, Mazaud monta lui-mÃÂȘme. " Je prends à 3050. - Combien ? - Cinq cents... Envoyez ! " Mais l'effroyable vacarme devenait tel, au milieu d'une gesticulation épileptique, que les agents eux-mÃÂȘmes ne s'entendaient plus. Et, tout à la fureur professionnelle qui les agitait, ils continuÚrent par gestes, puisque les basses caverneuses des uns avortaient, tandis que les flûtes des autres s'amincissaient jusqu'au néant. On voyait s'ouvrir les bouches énormes, sans qu'un bruit distinct parût en sortir, et les mains seules parlaient un geste du dedans en dehors, qui offrait, un autre geste du dehors en dedans, qui acceptait ; les doigts levés indiquaient les quantités, les tÃÂȘtes disaient oui ou non, d'un signe. C'était intelligible aux seuls initiés, comme un de ces coups de démence qui frappent les foules. En haut, à la galerie du télégraphe, des tÃÂȘtes de femme se penchaient, stupéfiées, épouvantées, devant l'extraordinaire spectacle. A la rente, on aurait dÃt une rixe, un paquet central, acharné et faisant le coup de poing, tandis que le double courant de public dont ce cÎté de la salle était traversé, déplaçait les groupes, déformés et reformés sans cesse, en de continuels remous. Entre le comptant et la corbeille, au-dessus de la tempÃÂȘte déchaÃnée des tÃÂȘtes, il n'y avait plus que les trois coteurs, assis sur leurs hautes chaises, qui surnageaient ainsi que des épaves, avec la grande tache blanche de leur registre, tiraillés à gauche, tiraillés à droite, par la fluctuation rapide des cours qu'on leur jetait. Dans le compartiment du comptant surtout, la bousculade était à son comble, une masse compacte de chevelures, pas mÃÂȘme de visages, un grouillement sombre qu'éclairaient seulement les petites notes claires des carnets, agités en l'air. Et, à la corbeille, autour du bassin que les fiches froissées emplissaient maintenant d'une floraison de toutes les couleurs, des cheveux grisonnaient, des crùnes luisaient, on distinguait la pùleur des faces secouées, des mains tendues fébrilement, toute la mimique dansante des corps, plus au large, comme prÚs de se dévorer, si la rampe ne les eût retenus. Cet enragement des derniÚres minutes avait d'ailleurs gagné le public, on s'écrasait dans la salle, un piétinement énorme, une débandade de grand troupeau lùché dans un couloir trop étroit ; et seuls, au milieu de l'effacement des redingotes, les chapeaux de soie miroitaient, sous la lumiÚre diffuse, qui tombait du vitrage. Mais, brusquement, une volée de cloche perça le tumulte. Tout se calma, les gestes s'arrÃÂȘtÚrent, les voix se turent, au comptant, à la rente, à la corbeille. Il ne restait que le grondement sourd du public, pareil à la voix continue d'un torrent rentré dans son lit, qui achÚve de s'écouler. Et, dans l'agitation persistante, les derniers cours circulaient, l'Universelle était montée à 3 060, en hausse encore de trente francs sur le cours de la veille. La déroute des baissiers était complÚte, la liquidation allait une fois de plus ÃÂȘtre désastreuse pour eux, car les différences de la quinzaine se solderaient par des sommes considérables. Un instant, Saccard, avant de quitter la salle, se haussa, comme pour mieux embrasser la foule autour de lui, d'un coup d'oeil. Il était réellement grandi, soulevé d'un tel triomphe, que toute sa petite personne se gonflait, s'allongeait, devenait énorme. Celui qu'il semblait ainsi chercher, par-dessus les tÃÂȘtes, c'était Gundermann absent, Gundermann qu'il aurait voulu voir abattu, grimaçant, demandant grùce ; et il tenait au moins à ce que toutes les créatures inconnues du juif, toute la sale juiverie qui se trouvait là , hargneuse, le vÃt lui- mÃÂȘme, transfiguré, dans la gloire de son succÚs. Ce fut sa grande journée, celle dont on parle encore, comme on parle d'Austerlitz et de Marengo. Ses clients, ses amis s'étaient précipités. Le marquis de Bohain, Sédille, Kolb, Huret, lui serraient les deux mains, tandis que Daigremont, avec le sourire faux de son amabilité mondaine, le complimentait, sachant bien qu'on meurt, à la Bourse, de pareilles victoires. Maugendre l'aurait embrassé sur les deux joues, exalté, exaspéré en voyant le capitaine Chave hausser quand mÃÂȘme les épaules. Mais l'adoration complÚte, religieuse,, était, celle de Dejoie, qui, venu du journal en courant, pour connaÃtre tout de suite le dernier cours, restait à quelques pas, immobile, cloué par la tendresse et l'admiration, les yeux luisants de larmes. Jantrou avait disparu, portant sans doute la nouvelle à la baronne Sandorff. Massias et Sabatani soufflaient, rayonnants, comme au soir triomphal d'une grande bataille. " Eh bien, qu'est-ce que je disais ? " criait Pillerault ravi. Moser, le nez allongé, grognait de sourdes menaces. " Oui, oui, au bout du fossé la culbute... La carte du Mexique à payer, les affaires de Rome qui s'embrouillent encore depuis Mentana, l'Allemagne qui va tomber sur nous un de ces quatre matins... Oui, oui, et ces imbéciles qui montent encore, pour culbuter de plus haut. Ah ! tout est bien fichu, vous verrez ! " Puis, comme Salmon, cette fois, demeurait grave, en le regardant " C'est votre avis, n'est-ce pas ? Quand tout marche trop bien, c'est que tout va craquer. " Cependant, la salle se vidait, il n'allait y rester, en l'air, que la fumée des cigares, une nuée bleuùtre, épaissie et jaunie de toutes les poussiÚres envolées, Mazaud et Jacoby, redevenus corrects, étaient rentrés ensemble dans le cabinet des agents de change, le second plus ému par de secrÚtes pertes personnelles que par la défaite de ses clients ; tandis que le premier, qui ne jouait pas, était tout à la joie du dernier cours, si vaillamment enlevé. Ils causÚrent quelques minutes avec Delarocque, pour des échanges d'engagements, tenant à la main leurs carnets pleins de notes, que leurs liquidateurs devaient dépouiller dÚs le soir, afin d'appliquer les affaires faites. Pendant ce temps, dans la salle des commis, une salle basse, coupée de gros piliers, pareille à une classe mal tenue, avec des rangées de pupitres et un vestiaire tout au fond, Flory et Gustave Sédille, qui étaient allés chercher leurs chapeaux, s'égayaient bruyamment, en attendant de connaÃtre le cours moyen, que les employés du syndicat, à un des pupitres, établissaient d'aprÚs le cours le plus haut et le cours le plus bas. Vers trois heures et demie, lorsque l'affiche eut été collée sur un pilier, tous deux hennirent, gloussÚrent, imitÚrent le chant du coq, dans le contentement de la belle opération qu'ils avaient réalisée, en trafiquant sur les ordres d'achat de Fayeux. C'était une paire de solitaires pour Chuchu qui tyrannisait maintenant Flory de ses exigences, et un semestre d'avance pour Germaine Coeur que Gustave avait fait la bÃÂȘtise d'enlever définitivement à Jacoby, lequel venait de prendre au mois une écuyÚre de l'Hippodrome. D'ailleurs, le vacarme continuait dans la salle des commis, des farces ineptes, un massacre des chapeaux, au milieu d'une bousculade d'écoliers en récréation. Et, d'autre part, sous le péristyle, la coulisse finissait de bùcler des affaires, Nathansohn se décidait à descendre les marches, enchanté de son arbitrage, parmi le flot des derniers spéculateurs, qui s'attardaient, malgré le froid devenu terrible. DÚs six heures, tout ce monde de joueurs, d'agents de change, de coulissiers et de remisiers, aprÚs avoir, les uns établi leur gain ou leur perte, les autres arrÃÂȘté leurs notes de courtage, allaient se mettre en habit, pour finir d'étourdir leur journée, avec leur notion pervertie de l'argent, dans les restaurants et les théùtres, les soirées mondaines et les alcÎves galantes. Ce soir-là , Paris qui veille et qui s'amuse ne parla que du duel formidable engagé entre Gundermann et Saccard. Les femmes, tout entiÚres au jeu par passion et par mode, affectaient de se servir des mots techniques de liquidation, prime, report, déport, sans toujours les comprendre. On causait surtout de la position critique des baissiers qui, depuis tant de mois, payaient, à chaque liquidation nouvelle, des différences de plus en plus fortes, à mesure que l'Universelle montait, dépassant toute limite raisonnable. Certainement, beaucoup jouaient à découvert et se faisaient reporter, ne pouvant livrer les titres ; ils s'acharnaient, continuaient leurs opérations à la baisse, avec l'espoir d'une débùcle prochaine des actions ; mais, malgré les reports qui tendaient à s'élever d'autant plus que l'argent se faisait plus rare, les baissiers, épuisés, écrasés, allaient ÃÂȘtre anéantis, si la hausse continuait. A la vérité, la situation de Gundermann, du chef tout- puissant qu'on leur donnait, était différente, car lui avait dans ses caves son milliard, d'inépuisables troupes qu'il envoyait au massacre, si longue et meurtriÚre que fût la campagne. C'était l'invincible force, pouvoir rester vendeur à découvert, avec la certitude de toujours payer ses différences, jusqu'au jour oÃÂč la baisse fatale lui donnerait la victoire. Et l'on causait, on calculait les sommes considérables qu'il devait déjà avoir englouties, à faire avancer ainsi, le 15 et le 30 de chaque mois, pareils à des rangées de soldats que les boulets emportent, des sacs d'écus qui fondaient au feu de la spéculation. Jamais encore, il n'avait subi, en Bourse, une si rude attaque à sa puissance, qu'il y voulait souveraine, indiscutable ; car ; s'il était, comme il aimait à le répéter, un simple marchand d'argent, et non un joueur, il avait la nette conscience que, pour rester ce marchand, le premier du monde, disposant de la fortune publique, il lui fallait ÃÂȘtre le maÃtre absolu du marché ; et il se battait, non pour le gain immédiat, mais pour sa royauté elle-mÃÂȘme, pour sa vie. De là , l'obstination froide, la farouche grandeur de la lutte. On le rencontrait sur les boulevards, le long de la rue Vivienne, avec sa face blÃÂȘme et impassible, son pas de vieillard épuisé, sans que rien en lui décelùt la moindre inquiétude. Il ne croyait qu'à la logique. Au dessus du cours de deux mille francs, la folie commençait pour les actions de l'Universelle ; à trois mille, c'était la démence pure, elles devaient retomber, comme la pierre lancée en l'air retombe forcément ; et il attendait. Irait-il jusqu'au bout de son milliard ? On frémissait d'admiration autour de Gundermann, du désir aussi de le voir enfin dévorer ; tandis que Saccard, qui soulevait un enthousiasme plus tumultueux, avait pour lui les femmes, les salons, tout le beau monde des joueurs, lesquels empochaient de si belles différences, depuis qu'ils battaient monnaie avec leur foi, en trafiquant sur le mont Carmel et sur Jérusalem. La ruine prochaine de la haute banque juive était décrétée, le catholicisme allait avoir l'empire de l'argent, comme il avait eu celui des ùmes. Seulement, si ses troupes gagnaient gros, Saccard se trouvait à bout d'argent, vidant ses caisses pour ses continuels achats. De deux cents millions disponibles, prÚs des deux tiers venaient d'ÃÂȘtre ainsi immobilisés c'était la prospérité trop grande, le triomphe asphyxiant, dont on étouffe. Toute société qui veut ÃÂȘtre maÃtresse à la Bourse, pour maintenir le cours de ses actions, est une société condamnée. Aussi, dans les commencements, n'était-il intervenu qu'avec prudence. Mais il avait toujours été l'homme d'imagination, voyant trop grand, transformant en poÚmes ses trafics louches d'aventurier ; et, cette fois, avec cette affaire réellement colossale et prospÚre, il en arrivait à des rÃÂȘves extravagants de conquÃÂȘte, à une idée si folle, si énorme, qu'il ne se la formulait mÃÂȘme pas nettement à lui-mÃÂȘme. Ah ! s'il avait eu des millions, des millions toujours, comme ces sales juifs ! Le pis était qu'il voyait la fin de ses troupes, encore quelques millions bons pour le massacre. Puis, si la baisse venait, ce serait son tour de payer des différences ; et lui, ne pouvant lever les titres, serait bien forcé de se faire reporter. Dans sa victoire, le moindre gravier devait culbuter sa vaste machine. On en avait la sourde conscience, mÃÂȘme parmi les fidÚles, ceux qui croyaient à la hausse comme au bon Dieu. C'était ce qui achevait de passionner Paris, la confusion et le doute oÃÂč l'on s'agitait, ce duel de Saccard et de Gundermann dans lequel le vainqueur perdait tout son sang, dans ce corps à corps des deux monstres légendaires, écrasant entre eux les pauvres diables qui se risquaient à jouer leur jeu, menaçant de s'étrangler l'un l'autre, sur le monceau des ruines qu'ils entassaient. Brusquement, le 3 janvier, le lendemain mÃÂȘme du jour oÃÂč venaient d'ÃÂȘtre réglés les comptes de la derniÚre liquidation, l'Universelle baissa de cinquante francs. Ce fut une forte émotion. A la vérité, tout avait baissé ; le marché, surmené depuis longtemps, gonflé outre mesure, craquait de toutes parts ; deux ou trois affaires véreuses s'effondraient avec bruit ; et, d'ailleurs, on aurait dû ÃÂȘtre habitué à ces sautes violentes des cours, qui parfois variaient de plusieurs centaines de francs dans une mÃÂȘme Bourse, affolés, pareils à l'aiguille de la boussole au milieu d'un orage. Mais, au grand frisson qui passa, tous sentirent le commencement de la débùcle. L'Universelle baissait, le cri en courut, se propagea, dans une clameur de foule, faite d'étonnement, d'espoir et de crainte. DÚs le lendemain, Saccard, solide et souriant à son poste, relevait le cours d'une hausse de trente francs, grùce à des achats considérables. Seulement, le 5 malgré ses efforts, la baisse fut de quarante francs. L'Universelle n'était plus qu'à trois mille. Et, dÚs lors, chaque jour amena sa bataille. Le 6, l'Universelle remontait. Le 7, le 8, elle baissait de nouveau. C'était un mouvement irrésistible, qui l'entraÃnait peu à peu, dans une chute lente. On allait la prendre pour le bouc émissaire, lui faire expier la folie de tous, les crimes des autres affaires moins en vue, de ce pullulement d'entreprises louches, surchauffées de réclames, grandies comme des champignons monstrueux dans le terreau décomposé du rÚgne. Mais Saccard, qui ne dormait plus, qui chaque aprÚs-midi reprenait sa place de combat, prÚs de son pilier vivait dans l'hallucination de la victoire toujours possible. En chef d'armée convaincu de l'excellence de son plan, il ne cédait le terrain que pas à pas, sacrifiant ses derniers soldats, vidant les caisses de la société de leurs derniers sacs d'écus, pour barrer la route aux assaillants. Le 9, il remporta encore un avantage signalé les baissiers tremblÚrent, reculÚrent, est-ce que la liquidation du 15 s'engraisserait une fois de plus de leurs dépouilles ? Et lui, déjà sans ressources, réduit à lancer du papier de circulation, osait maintenant, comme ces affamés qui voient des festins immenses dans le délire de leur faim, s'avouer à lui-mÃÂȘme le but prodigieux et impossible oÃÂč il tendait, l'idée géante de racheter toutes ces actions, pour tenir les vendeurs à découvert, pieds et poings liés, à sa merci. Cela venait d'ÃÂȘtre fait pour une petite compagnie de chemins de fer, la maison d'émission avait tout ramassé sur le marché ; et les vendeurs, ne pouvant livrer, s'étaient rendus en esclaves, forcés d'offrir leur fortune et leur personne. Ah ! s'il avait traqué, effaré Gundermann jusqu'à le tenir, impuissant, à découvert ! S'il l'avait ainsi vu, un matin, apportant son milliard, en le suppliant de ne pas le prendre tout entier, de lui laisser les dix sous de lait dont il vivait par jour ! Seulement, pour ce coup-là , il fallait sept à huit cents millions. Il en avait déjà jeté deux cents au gouffre, c'était cinq ou six cents encore qu'il s'agissait de mettre en ligne. Avec six cents millions, il balayait les juifs, il devenait le roi de l'or, le maÃtre du monde. Quel rÃÂȘve ! et c'était trÚs simple, l'idée de la valeur de l'argent se trouvait abolie à ce degré de fiÚvre, il n'y avait plus que des pions que l'on poussait sur l'échiquier. Dans ses nuits d'insomnie, il levait l'armée des six cents millions et les faisait tuer pour sa gloire, victorieux enfin au milieu des désastres, sur les ruines de tout. Saccard, le 10, eut malheureusement une terrible journée. A la Bourse, il était toujours superbe de gaieté et de calme. Et jamais guerre pourtant n'avait eu cette férocité muette, un égorgement de chaque heure, le guet-apens embusqué partout. Dans ces batailles de l'argent, sourdes et lùches, oÃÂč l'on éventre les faibles, sans bruit, il n'y a plus de liens, plus de parenté, plus d'amitié c'est l'atroce loi des forts, ceux qui mangent pour ne pas ÃÂȘtre mangés. Aussi se sentait-il absolument seul, n'ayant d'autre soutien que son insatiable appétit, qui le tenait debout, sans cesse dévorant. Il redoutait surtout la journée du 14, oÃÂč devait avoir lieu la réponse des primes. Mais il trouva encore de l'argent pour les trois jours qui précédÚrent, et le 14, au lieu d'amener une débùcle, raffermit l'Universelle, qui, le 15, finit en liquidation à 2 860, en baisse seulement de cent francs sur le dernier cours de décembre. Il avait craint un désastre, il affecta de croire à une victoire. En réalité, pour la premiÚre fois, les baissiers l'emportaient, touchaient enfin des différences, eux qui en payaient depuis des mois, et, la situation se retournant, lui dut se faire reporter chez Mazaud, lequel se trouva dÚs lors fortement engagé. La seconde quinzaine de janvier allait ÃÂȘtre décisive. Depuis qu'il luttait de la sorte, dans ces secousses quotidiennes qui le jetaient et le reprenaient à l'abÃme, Saccard avait, chaque soir, un besoin effréné d'étourdissement. Il ne pouvait rester seul, dÃnait en ville, achevait ses nuits au cou d'une femme. Jamais il n'avait ainsi brûlé sa vie, se montrant partout, courant les théùtres et les cabarets oÃÂč l'on soupe, affectant une dépense exagérée d'homme trop riche. Il évitait Mme Caroline, dont les remontrances le gÃÂȘnaient, toujours à lui parler des lettres inquiÚtes qu'elle recevait de son frÚre, désespérée elle-mÃÂȘme de sa campagne à la hausse, d'un effrayant danger. Et il revoyait davantage la baronne Sandorff, comme si cette froide perversion, dans le petit rez-de-chaussée inconnu de la rue Caumartin, l'eût dépaysé, en lui donnant l'heure d'oubli, nécessaire à la détente de son cerveau surmené de fatigue. Parfois, il s'y réfugiait pour examiner certains dossiers, réfléchir à certaines affaires, heureux de se dire que personne au monde ne l'y dérangerait. Le sommeil l'y terrassait, il y dormait une heure ou deux, les seules heures délicieuses d'anéantissement ; et la baronne, alors, ne se faisait aucun scrupule de fouiller ses poches, de lire les lettres de son portefeuille ; car il était devenu complÚtement muet, elle n'en tirait plus un seul renseignement utile, convaincue mÃÂȘme qu'il mentait, quand elle lui arrachait un mot, au point qu'elle n'osait plus jouer sur ses indications. C'était en lui volant ainsi ses secrets, qu'elle avait acquis la certitude des embarras d'argent oÃÂč commençait à se débattre l'Universelle, tout un vaste systÚme de papier de circulation, des billets de complaisance que la maison escomptait à l'étranger, prudemment. Saccard, un soir, s'étant réveillé trop tÎt et l'ayant trouvée en train de visiter son portefeuille, l'avait giflée comme une fille qui pÃÂȘche des sous dans le gilet des messieurs ; et, depuis lors, il la battait, ce qui les enrageait, puis les brisait et les calmait tous les deux. Cependant, aprÚs la liquidation du 5, qui lui avait emporté une dizaine de mille francs, la baronne se mit à nourrir un projet. Elle en était obsédée, elle finit par consulter Jantrou. " Ma foi, lui répondit celui-ci, je crois que vous avez raison, il est temps de passer à Gundermann... Allez donc le voir, et contez-lui l'affaire, puisqu'il vous a promis, le jour oÃÂč vous lui apporteriez un bon conseil, de vous en donner un autre en échange. " Gundermann, le matin oÃÂč la baronne se présenta, était d'une humeur de dogue. La veille encore, l'Universelle avait remonté. On n'en finirait donc pas, avec cette bÃÂȘte vorace, qui lui avait mangé tant d'or et qui s'entÃÂȘtait à ne pas mourir ! Elle était bien capable de se relever, de finir de nouveau en hausse, le 31 du mois ; et il grondait de s'ÃÂȘtre engagé dans cette rivalité désastreuse, lorsque peut-ÃÂȘtre il aurait mieux valu faire sa part à la maison nouvelle. Ebranlé dans sa tactique ordinaire, perdant sa foi dans la logique fatalement triomphante, il se serait, cette minute, résigné à battre en retraite, s'il avait pu reculer sans tout perdre. Ils étaient rares chez lui, ces moments de découragement que les plus grands capitaines ont connus, à la veille mÃÂȘme de la victoire, lorsque les hommes et les choses veulent leur succÚs. Et ce trouble d'une vue puissante, si nette d'habitude, venait du brouillard qui se produit à la longue, de ce mystÚre des opérations de Bourse, sous lesquelles il n'est jamais possible de mettre un nom à coup sûr. Certes, Saccard achetait, jouait. Mais était-ce pour des clients sérieux, était-ce pour la société elle-mÃÂȘme ? Il finissait par ne plus le savoir, au milieu des commérages qu'on lui rapportait de toutes parts. Les portes de son cabinet immense claquaient, tout son personnel tremblait de sa colÚre, il accueillit les remisiers si brutalement, que leur défilé accoutumé se tournait en un galop de déroute. " Ah ! c'est vous, dit Gundermann à la baronne, sans politesse aucune. Je n'ai pas de temps à perdre avec les femmes, aujourd'hui. " Elle en fut déconcertée, au point qu'elle supprima toutes les préparations et lùcha d'un coup la nouvelle qu'elle apportait. " Si l'on vous prouvait que l'Universelle est à bout d'argent, aprÚs les achats considérables qu'elle a faits, et qu'elle en est réduite à escompter, à l'étranger, du papier de complaisance, pour continuer la campagne ? " Le juif avait réprimé un tressaillement de joie. Son oeil restait mort, il répondit de la mÃÂȘme voix grondeuse. " Ce n'est pas vrai. - Comment ! pas vrai ? Mais j'ai entendu de mes oreilles, j'ai vu de mes yeux. " Et elle voulut le convaincre, en lui expliquant qu'elle avait eu entre les mains les billets signés par des hommes de paille. Elle nommait ces derniers, elle disait aussi les noms des banquiers, qui, à Vienne, à Francfort, à Berlin, avaient escompté les billets. Ses correspondants pourraient le renseigner, il verrait bien qu'elle ne lui apportait pas un cancan en l'air. De mÃÂȘme, elle affirmait que la société avait acheté pour elle, dans l'unique but de maintenir la hausse, et que deux cents millions déjà étaient engloutis. Gundermann, qui l'écoutait de son air morne, réglait déjà sa campagne du lendemain, d'un travail d'intelligence si prompt, qu'il avait en quelques secondes réparti ses ordres, arrÃÂȘté les chiffres. Maintenant, il était certain de la victoire, sachant bien de quelle ordure lui venaient les renseignements, plein de mépris pour ce Saccard jouisseur, stupide au point de s'abandonner à une femme et de se laisser vendre. Quand elle eut fini, il leva la tÃÂȘte, et, la regardant de ses gros yeux éteints " Eh bien, qu'est-ce que vous voulez que ça me fasse, tout ce que vous me racontez là ? " Elle en resta saisie, tellement il paraissait désintéressé et calme. " Mais il me semble que votre situation à la baisse... - Moi ! qui vous a dit que j'étais à la baisse ? Je ne vais jamais à la Bourse, je ne spécule pas... Tout ça m'est bien égal ! " Et sa voix était si innocente, que la baronne, ébranlée, effarée, aurait fini par le croire, sans certaines inflexions d'une naïveté trop goguenarde. Evidemment, il se moquait d'elle, dans son absolu dédain, en homme fini, sans désir aucun. " Alors, ma bonne amie, comme je suis trÚs pressé, si vous n'avez rien de plus intéressant à me dire... " Il la mettait à la porte. Alors, furieuse, elle se révolta. " J'ai eu confiance en vous, j'ai parlé la premiÚre... C'est un guet- apens véritable... Vous m'aviez promis, si je vous étais utile, de m'ÃÂȘtre utile à votre tour, de me donner un conseil... " Se levant, il l'interrompit. Lui qui ne riait jamais, il eut un petit ricanement, tellement cette duperie brutale à l'égard d'une femme jeune et jolie, l'amusait. " Un conseil, mais je ne vous le refuse pas, ma bonne amie... Ecoutez-moi bien. Ne jouez pas, ne jouez jamais. Ça vous rendra laide, c'est trÚs vilain, une femme qui joue. " Et, quand elle s'en fut allée, hors d'elle, il s'enferma avec ses deux fils et son gendre, distribua les rÎles, envoya tout de suite chez Jacoby et chez d'autres agents de change, pour préparer le grand coup du lendemain. Son plan était simple faire ce que la prudence l'avait empÃÂȘché de risquer jusque-là , dans son ignorance de la véritable situation de l'Universelle ; écraser le marché sous des ventes énormes, maintenant qu'il savait cette derniÚre bout de ressources, incapable de soutenir les cours. Il allait faire avancer la réserve formidable de son milliard, en général qui veut en finir et que ses espions ont renseigné sur le point faible de l'ennemi. La logique triompherait, toute action est condamnée, qui monte au-delà de la valeur vraie qu'elle représente. Justement, ce jour-là , vers cinq heures, Saccard, averti du danger par son flair, se rendit chez Daigremont. Il était fiévreux, il sentait que l'heure devenait pressante de porter un coup aux baissiers, si l'on ne voulait se laisser battre définitivement par eux. Et son idée géante le travaillait, la colossale armée de six cents millions à lever encore pour la conquÃÂȘte du monde. Daigremont le reçut avec son amabilité ordinaire, dans son hÎtel princier, au milieu de ses tableaux de prix, de tout ce luxe éclatant, que payaient, chaque quinzaine, les différences de Bourse, sans qu'on sût au juste ce qu'il y avait de solide derriÚre ce décor, toujours sous la menace d'ÃÂȘtre emporté par un caprice de la chance. Jusque-là , il n'avait pas trahi l'Universelle, refusant de vendre, affectant de montrer une confiance absolue, heureux de cette attitude de beau joueur à la hausse, dont il tirait du reste de gros profits ; et mÃÂȘme il s'était plu à ne pas broncher, aprÚs la liquidation mauvaise du 15, convaincu, disait-il partout, que la hausse allait reprendre, l'oeil aux aguets pourtant, prÃÂȘt à passer à l'ennemi, dÚs le premier symptÎme grave. La visite de Saccard, l'extraordinaire énergie dont il faisait preuve, l'idée énorme qu'il lui développa de tout ramasser sur le marché le frappÚrent d'une véritable admiration. C'était fou, mais les grands hommes de guerre et de finance ne sont-ils pas souvent que des fous qui réussissent ? Et il promit formellement de se porter à son secours, dÚs la Bourse du lendemain il avait déjà de fortes positions, il passerait chez Delarocque, son agent, pour en prendre de nouvelles ; sans compter ses amis qu'il irait voir, toute une sorte de syndicat dont il amÚnerait le renfort. On pouvait, selon lui, chiffrer à une centaine de millions ce nouveau corps d'armée, d'un emploi immédiat. Cela suffirait. Saccard, radieux, certain de vaincre, s'arrÃÂȘta sur-le-champ le plan de la bataille, tout un mouvement tournant d'une rare hardiesse, emprunté aux plus illustres capitaines d'abord, au début de la Bourse, une simple escarmouche pour attirer les baissiers et leur donner confiance ; puis, quand ils auraient obtenu un premier succÚs, quand les cours baisseraient, l'arrivée de Daigremont et de ses amis avec leur grosse artillerie, tous ces millions inattendus, débouchant d'un pli de terrain, prenant les baissiers en queue et les culbutant. Ce serait un écrasement, un massacre. Les deux hommes se séparÚrent avec des poignées de main et des rires de triomphe. Une heure plus tard, comme Daigremont, qui dÃnait en ville, allait s'habiller, il reçut une autre visite, celle de la baronne Sandorff. Dans son désarroi, elle venait d'avoir l'inspiration de le consulter. On l'avait un instant dite sa maÃtresse ; mais, réellement, il n'y avait eu entre eux qu'une camaraderie trÚs libre d'homme à femme. Tous deux étaient trop félins, se devinaient trop, pour en arriver à la duperie d'une liaison. Elle conta ses craintes, la démarche chez Gundermann, la réponse de celui-ci, en mentant d'ailleurs sur la fiÚvre de trahison qui l'avait poussée. Et Daigremont s'égaya, s'amusa à l'effarer davantage, l'air ébranlé, prÚs de croire que Gundermann disait vrai, quand il jurait qu'il n'était pas à la baisse ; car est-ce qu'on sait jamais ? c'est un vrai bois que la Bourse, un bois par une nuit obscure, oÃÂč chacun marche à tùtons. Dans ces ténÚbres, si l'on a le malheur d'écouter tout ce qu'on invente d'inepte et de contradictoire, on est certain de se casser la figure. " Alors, demanda-t-elle anxieusement, je ne dois pas vendre ? - Vendre, pourquoi ? En voilà une folie ! Demain, nous serons les maÃtres, l'Universelle remontera à trois mille cent Et tenez bon, quoi qu'il arrive vous serez contente du dernier cours... Je ne puis pas vous en dire davantage. " La baronne était partie, Daigremont s'habillait enfin, lorsqu'un coup de timbre annonça une troisiÚme visite. Ah ! celui-là , non ! il ne le recevrait pas. Mais, lorsqu'on lui eut remis la carte de Delarocque, il cria tout de suite de faire entrer ; et, comme l'agent, l'air trÚs ému, attendait pour parler, il renvoya son valet de chambre, achevant lui- mÃÂȘme de mettre sa cravate blanche, devant une haute glace. " Mon cher, voilà ! dit Delarocque, avec sa familiarité d'homme du mÃÂȘme cercle. Je m'en remets à votre amitié, n'est-ce pas ? parce que c'est assez délicat... Imaginez-vous que Jacoby, mon beau-frÚre, vient d'avoir la gentillesse de me prévenir d'un coup qui se prépare. A la Bourse de demain, Gundermann et les autres sont décidés à faire sauter l'Universelle. Ils vont jeter tout le paquet sur le marché... Jacoby a déjà les ordres, il est accouru... - Fichtre ! lùcha simplement Daigremont devenu pùle. - Vous comprenez, j'ai de trÚs fortes positions à la hausse engagées chez moi, oui ! pour une quinzaine de millions, de quoi y laisser bras et jambes... Alors, n'est-ce pas ? j'ai pris une voiture et je fais le tour de mes clients sérieux. Ce n'est pas correct, mais l'intention est bonne... - Fichtre ! répéta l'autre. - Enfin, mon bon ami, comme vous jouez à découvert, je viens vous prier de me couvrir ou de défaire votre position. " Daigremont eut un cri " Défaites, défaites, mon cher... Ah ! non, par exemple ! je ne reste pas dans les maisons qui croulent, c'est de l'héroïsme inutile... N'achetez pas, vendez ! J'en ai pour prÚs de trois millions chez vous, vendez, vendez tout. " Et, comme Delarocque se sauvait, en disant qu'il avait d'autres clients à voir, il lui prit les mains, les serra énergiquement. " Merci, je n'oublierai jamais. Vendez, vendez tout ! " Resté seul, il rappela son valet de chambre, pour se faire arranger la chevelure et la barbe. Ah ! quelle école ! il avait failli, cette fois, se laisser jouer comme un enfant. Voilà ce que c'était que de se mettre avec un fou ! Le soir, à la petite Bourse de huit heures, la panique commença. Cette Bourse se tenait alors sur le trottoir du boulevard des Italiens, à l'entrée du passage de l'Opéra ; et il n'y avait là que la coulisse, opérant au milieu d'une cohue louche de courtiers, de remisiers, de spéculateurs véreux. Des camelots circulaient, des ramasseurs de bouts de cigare se jetaient à quatre pattes, au milieu du piétinement des groupes. C'était, barrant le boulevard, un entassement obstiné de troupeau, que le flot des promeneurs emportait, séparait, et qui se reformait toujours. Ce soir-là , prÚs de deux mille personnes stationnaient ainsi, grùce à la douceur du ciel couvert et fumeux, qui annonçait de la pluie, aprÚs des froids terribles. Le marché était trÚs actif, on offrait l'Universelle, de tous cÎtés, les cours tombaient rapidement. Aussi, bientÎt, des rumeurs coururent, toute une anxiété naissante. Que se passait-il donc ? A demi-voix, on se nommait les vendeurs probables, selon le remisier qui donnait l'ordre, ou le coulissier qui l'exécutait. Puisque les gros vendaient de la sorte, il se préparait quelque chose de grave, sûrement. Et, de huit heures à dix heures, ce fut une bousculade, tous les joueurs de flair défirent leurs positions, il y en eut mÃÂȘme qui, d'acheteurs, eurent le temps de se mettre vendeurs. On alla se coucher dans un malaise de fiÚvre, comme à la veille des grands désastres. Le lendemain, le temps fut exécrable. Il avait plu toute la nuit, une petite pluie glaciale noyait la ville, changée par le dégel en un cloaque de boue, jaune et liquide. La Bourse, dÚs midi et demi, damait dans ce ruissellement. Réfugiée sous le péristyle et dans la salle, la foule était énorme ; et la salle, bientÎt, avec les parapluies mouillés qui s'égouttaient, se trouva changée en une immense flaque d'eau bourbeuse. La crasse noire des murs suintait, il ne tombait du toit vitré qu'un jour bas et roussùtre, d'une désespérée mélancolie. Au milieu des mauvais bruits qui couraient, des histoires extraordinaires détraquant les tÃÂȘtes, tous les regards, dÚs l'entrée, cherchaient Saccard, le dévisageaient. Il était à son poste, debout, prÚs du pilier accoutumé ; et il avait l'air des autres jours, des jours triomphants, son air de gaieté brave et d'absolue confiance. Il n'ignorait pas que l'Universelle avait baissé de trois cents francs la veille, à la petite Bourse du soir ; il flairait un danger immense, il s'attendait à un furieux assaut des baissiers ; mais son plan de bataille lui semblait inattaquable, le mouvement tournant de Daigremont, l'arrivée imprévue d'une armée fraÃche de millions devait tout emporter et lui assurer une fois de plus la victoire. Lui, désormais, se trouvait sans ressources ; les caisses de l'Universelle étaient vides, il en avait gratté jusqu'aux centimes ; et il ne désespérait pourtant pas, il s'était fait reporter par Mazaud, il l'avait conquis à un tel point, en lui confiant l'appui du syndicat de Daigremont, que l'agent, sans couverture, venait encore d'accepter des ordres d'achat pour plusieurs millions. La tactique arrÃÂȘtée entre eux était de ne pas trop laisser tomber les cours, au début de la Bourse, de les soutenir, de guerroyer, en attendant l'armée de renfort. L'émotion était si vive, que Massias et Sabatani, renonçant à des ruses inutiles, maintenant que la vraie situation faisait l'objet de tous les commérages, vinrent causer ouvertement avec Saccard, puis coururent porter ses recommandations derniÚres, l'un à Nathansohn, sous le péristyle, l'autre à Mazaud, encore dans le cabinet des agents de change. Il était une heure moins dix, et Moser qui arrivait, blÃÂȘme d'une crise de foie, dont la morsure l'avait empÃÂȘché de fermer l'oeil, la nuit précédente, fit remarquer à Pillerault que tout le monde, ce jour-là était jaune et avait l'air malade. Pillerault, que l'approche des désastres redressait dans des fanfaronnades de chevalier errant, partit d'un éclat de rire. " Mais c'est vous, mon cher, qui avez la colique. Tout le monde est trÚs gai. Nous allons nous flanquer une de ces tripotées dont on se souvient longtemps. " La vérité était que, dans l'anxiété générale, la salle restait morue, sous le jour roussùtre, et cela se sentait surtout au grondement affaibli des voix. Ce n'était plus l'éclat tumultueux des grands jours de hausse, l'agitation, le vacarme d'une marée, débordant de toutes parts en conquérante. On ne courait plus, on ne criait plus, on se glissait, on parlait bas, comme dans la maison d'un malade. Bien que la foule fût considérable, et que l'on s'étouffùt pour circuler, un murmure seulement s'élevait, navré, le chuchotement des craintes qui couraient, des nouvelles déplorables qu'on échangeait à l'oreille. Beaucoup se taisaient, livides, la face contractée, avec des yeux élargis, qui interrogeaient désespérément les autres visages. " Salmon, vous ne dites rien ? demanda Pillerault, plein d'une ironie agressive. - Parbleu ! murmura Moser, il est comme les autres, il n'a rien à dire, il a peur. " En effet, ce jour-là , les silences de Salmon n'inquiétaient plus personne, dans l'attente profonde et muette de tous. Mais c'était autour de Saccard que se pressait surtout un flot de clients, frémissants d'incertitude, avides d'une bonne parole. On remarqua plus tard que Daigremont ne s'était pas montré, pas plus que le député Huret, averti sans doute, redevenu le chien fidÚle de Rougon. Kolb, au milieu d'un groupe de banquiers, affectait d'ÃÂȘtre pris par une grosse affaire d'arbitrage. Le marquis de Bohain, au-dessus des vicissitudes du sort, promenait tranquillement sa petite tÃÂȘte pùle et aristocratique, certain de gagner quand mÃÂȘme, ayant donné à Jacoby l'ordre d'acheter autant d'Universelle qu'il avait chargé Mazaud d'en vendre. Et Saccard, assiégé par la foule des autres, les croyants, les naïfs, se montra particuliÚrement aimable et rassurant pour Sédille et pour Maugendre, qui, les lÚvres tremblantes, les yeux humides de supplications, quÃÂȘtaient l'espoir du triomphe. Il leur serra vigoureusement la main, en mettant dans son étreinte l'absolue promesse de vaincre. Puis, en homme constamment heureux, à l'abri de tout péril, il se lamenta d'une misÚre. " Vous me voyez consterné. Par ces grands froids, on a oublié un camélia dans ma cour, et il est perdu. " Le mot courut, on s'attendrit sur le camélia. Quel homme, ce Saccard ! d'une assurance impassible, le visage toujours souriant, sans qu'on pût savoir si ce n'était là qu'un masque, posé sur les effroyables préoccupations qui auraient torturé tout autre ! " L'animal ! est-il beau ! " murmura Jantrou à l'oreille de Massias qui revenait. Justement, Saccard appelait Jantrou, envahi d'un souvenir à cette minute suprÃÂȘme, se rappelant l'aprÚs-midi, oÃÂč, avec ce dernier, il avait vu le coupé de la baronne Sandorff, arrÃÂȘté rue Brongniart. Est-ce qu'il était là , encore, dans cette journée de crise ? est-ce que le cocher, haut perché, gardait sous la pluie battante son immobilité de pierre, pendant que la baronne, derriÚre les glaces closes, attendait les cours. " Certainement, elle est là , répondit Jantrou, à demi-voix, et de tout coeur avec vous, bien décidée à ne pas reculer d'une semelle... Nous sommes tous là , solides à notre poste. " Saccard fut heureux de cette fidélité, bien qu'il doutùt du désintéressement de la dame et des autres. D'ailleurs, dans l'aveuglement de sa fiÚvre, il croyait encore marcher à la conquÃÂȘte, avec tout son peuple d'actionnaires derriÚre lui, ce peuple des humbles et du beau monde, engoué, fanatisé, les jolies femmes mÃÂȘlées aux servante, en un mÃÂȘme élan de foi. Enfin, le coup de cloche retentit, passa avec une lamentation de tocsin, sur la houle effarée des tÃÂȘtes. Et Mazaud, qui donnait des ordres à Flory, revint vivement vers la corbeille, pendant que le jeune employé se précipitait au télégraphe, trÚs ému pour lui-mÃÂȘme ; car, en perte depuis quelque temps, s'entÃÂȘtant à suivre la fortune de l'Universelle, il risquait ce jour-là , un coup décisif, sur l'histoire de l'intervention de Daigremont, surprise à la charge, derriÚre une porte. La corbeille était tout aussi anxieuse que la salle, les agents sentaient bien, depuis la derniÚre liquidation, le sol trembler sous eux, au milieu de symptÎmes si graves, que leur expérience s'en alarmait. Déjà , des écroulements partiels s'étaient produits, le marché exténué, trop chargé, se lézardait de toutes parts. Allait-ce donc ÃÂȘtre un de ses grands cataclysmes, comme il en survient un tous les dix à quinze ans, une de ces crises du jeu à l'état de fiÚvre aiguÃ, qui décime la Bourse, la balaie d'un vent de mort ? A la rente, au comptant, les cris semblaient s'étrangler, la bousculade se faisait plus rude, dominée par les hautes silhouettes noires des coteurs, qui attendaient, la plume aux doigts. Et, tout de suite, Mazaud, les mains serrant la rampe de velours rouge, aperçut Jacoby, de l'autre cÎté du bassin circulaire, criant de sa voix profonde " J'ai de l'Universelle... A 2 800, j'ai de l'Universelle... " C'était le dernier cours de la petite Bourse de la veille ; et, pour enrayer immédiatement la baisse, il crut prudent de prendre à ce prix. Sa voix aiguà s'éleva, domina toutes les autres. " A 2 800, je prends... Trois cents Universelle, envoyez ! " Le premier cours se trouva ainsi fixé. Mais il lui fut impossible de le maintenir. De toutes parts, les offres affluaient. Il lutta désespérément pendant une demi-heure, sans autre résultat que de ralentir la chute rapide. Sa surprise était de ne pas ÃÂȘtre plus soutenu par la coulisse. Que faisait donc Nathansohn, dont il attendait des ordres d'achat ? et il ne sut que plus tard l'adroite tactique de ce dernier, qui, tout en achetant pour Saccard, vendait pour son propre compte, averti de la vraie situation par son flair de juif. Massias, trÚs engagé lui-mÃÂȘme comme acheteur, accourut, essoufflé, dire la déroute de la coulisse à Mazaud, qui perdit la tÃÂȘte et brûla ses derniÚres cartouches, en lùchant d'un coup les ordres qu'il se réservait d'échelonner, jusqu'à l'arrivée des renforts. Cela fit remonter un peu les cours de 2 500, ils revinrent à 2 650, affolés, avec les sauts brusques des jours de tempÃÂȘte ; et, un instant encore, l'espoir fut sans bornes chez Mazaud, chez Saccard, chez tous ceux qui étaient dans la confidence du plan de bataille. Puisque cela remontait dÚs maintenant, la journée était gagnée, la victoire allait ÃÂȘtre foudroyante, lorsque la réserve déboucherait sur le flanc des baissiers et changerait leur défaite en une effroyable déroute. Il y eut un mouvement de joie profonde, Sédille et Maugendre auraient baisé les mains de Saccard, Kolb se rapprocha, tandis que Jantrou disparut, courant porter à la baronne Sandorff la bonne nouvelle. Et l'on vit à ce moment le petit Flory, radieux, chercher partout Sabatani, qui lui servait maintenant d'intermédiaire, pour lui donner un nouvel ordre d'achat. Mais deux heures venaient de sonner, et Mazaud, sur qui portait l'effort de l'attaque, faiblissait de nouveau. Sa surprise augmentait du retard que les renforts mettaient à entrer en ligne. Il était grand temps, qu'attendaient-ils donc pour le dégager de la position intenable oÃÂč il s'épuisait ? Bien que, par fierté professionnelle, il montrùt un visage impassible, il sentait un grand froid monter à ses joues, il craignait de pùlir. Jacoby, tonitruant, continuait de lui jeter, par paquets méthodiques, ses offres, qu'il cessait de relever. Et ce n'était plus lui qu'il regardait, ses yeux s'étaient tournés vers Delarocque, l'agent de Daigremont, dont il ne comprenait pas le silence. Gros et trapu, avec sa barbe rousse, l'air béat et souriant d'une noce de la veille, celui-ci restait paisible, dans son attente inexplicable. Est-ce qu'il n'allait pas ramasser toutes ces offres, tout sauver, par les ordres d'achat dont devaient déborder les fiches qu'il avait en main ? Tout d'un coup, de sa voix gutturale, légÚrement enrouée, Delarocque se jeta dans la lutte. " J'ai de l'Universelle... J'ai de l'Universelle... " Et, en quelques minutes, il en offrit pour plusieurs millions. Des voix lui répondaient. Les cours s'effondraient. " J'ai à 2400... J'ai à 2 300... Combien ? Cinq cents, six cents... Envoyez ! " Que disait-il donc ? que se passait-il ? Au lieu des secours attendus, était-ce une nouvelle armée ennemie qui débouchait des bois voisins ? Comme à Waterloo, Grouchy n'arrivait pas, et c'était la trahison qui achevait la déroute. Sous ces masses profondes et fraÃches de vendeurs, accourant au pas de charge, une effroyable panique se déclarait. A cette seconde, Mazaud sentit passer la mort sur sa face. Il avait reporté Saccard pour des sommes trop considérables, il eut la sensation nette que l'Universelle lui cassait les reins en s'écroulant. Mais sa jolie figure brune, aux minces moustaches, resta impénétrable et brave. Il acheta encore, épuisa les ordres qu'il avait reçus, de sa voix chantante de jeune coq, aiguà comme dans le succÚs. Et, en face de lui, ses contreparties, Jacoby mugissant, Delarocque apoplectique, malgré leur effort d'indifférence, laissaient percer plus d'inquiétude ; car ils le voyaient désormais en grand danger, et les paierait-il, s'il sautait ? Leurs mains étreignaient le velours de la rampe, leurs voix continuaient à glapir, comme mécaniquement, par habitude de métier, pendant que, dans leurs regards fixes, s'échangeaient toute l'affreuse angoisse du drame de l'argent. Alors, pendant la derniÚre demi-heure, ce fut la débùcle, la déroute s'aggravant et emportant la foule en un galop désordonné. AprÚs l'extrÃÂȘme confiance, l'engouement aveugle, arrivait la réaction de la peur, tous se ruant pour vendre, s'il en était temps encore. Une grÃÂȘle d'ordres de vente s'abattit sur la corbeille, on ne voyait plus que des fiches pleuvoir ; et ces paquets énormes de titres, jetés ainsi sans prudence, accéléraient la baisse, un véritable effondrement. Les cours, de chute en chute, tombÚrent à 1 500, à 1 200, à 900. Il n'y avait plus d'acheteurs, la plaine restait rase, jonchée de cadavres. Au-dessus du sombre grouillement des redingotes, les trois coteurs semblaient ÃÂȘtre des greffiers mortuaires, enregistrant des décÚs. Par un singulier effet du vent de désastre qui traversait la salle, l'agitation s'y était figée, le vacarme s'y mourait, comme dans la stupeur d'une grande catastrophe. Un silence effrayant régna, lorsque, aprÚs le coup de cloche de la clÎture, le dernier cours de 800 francs fut connu. Et la pluie entÃÂȘtée ruisselait toujours sur le vitrage, qui ne laissait plus filtrer qu'un crépuscule louche ; la salle était devenue un cloaque, sous l'égouttement des parapluies et le piétinement de la foule, un sol fangeux d'écurie mal tenue, oÃÂč traÃnaient toutes sortes de papiers déchirés ; tandis que, dans la corbeille, éclatait le bariolage des fiches, les vertes, les rouges, les bleues, jetées à pleines mains, si abondantes ce jour-là , que le vaste bassin débordait. Mazaud était rentré dans le cabinet des agents de change, en mÃÂȘme temps que Jacoby et Delarocque. Il s'approcha du buffet, but un verre de biÚre, dévoré d'une soif ardente, et il regardait l'immense piÚce, avec son vestiaire, sa longue table centrale autour de laquelle étaient rangés les fauteuils des soixante agents, ses tentures de velours rouge, tout son luxe banal et défraÃchi qui la faisait ressembler à une salle d'attente de premiÚre classe, dans une grande gare ; il la regardait de l'air étonné d'un homme qui ne l'aurait jamais bien vue. Puis, comme il partait, sans une parole, il serra les mains de Jacoby et de Delarocque, de l'étreinte accoutumée, tous les trois pùlissant, sous leur attitude correcte de chaque jour. Il avait dit à Flory de l'attendre à la porte ; et il l'y trouva, en compagnie de Gustave, qui avait définitivement quitté la charge depuis une semaine, et qui était venu en simple curieux, toujours souriant, menant la vie de fÃÂȘte, sans se demander si son pÚre, le lendemain, pourrait encore payer ses dettes ; tandis que Flory, blÃÂȘme, avec de petits ricanements imbéciles, s'efforçait de causer, sous l'effroyable perte d'une centaine de mille francs, qu'il venait de faire, en ne sachant pas oÃÂč en prendre le premier sou. Mazaud et son employé disparurent au milieu de l'averse. Mais, dans la salle, la panique venait surtout de souffler autour de Saccard, et c'était là que la gu
Jedessine un lapin : Je colle l’image de son lieu de vie : Je colle les images de ce qu’il mange : Je dessine un hĂ©risson : Je colle l image de son lieu de vie :
Le 05/03/2021 Ă  07h39 Env. 60 message Paris 92 Nous aussi plancher chauffant / rafraĂźchissant partout. Sauf sous sol. Je vous conseillerais de vĂ©rifier auprĂšs de votre chauffagiste car si vous n’avez qu’un thermostat d’ambiance vous risquez de vite vous retrouver avec des piĂšces froides et d’autres chaudes. Exemple votre thermostat multimatic 700 est dans le salon thermostat principal. Il fait beau, vous avez des invitĂ©s, la tempĂ©rature monte. Le chauffage s’arrĂȘte. Les autres piĂšces de la maison ne seront plus chauffĂ©es puisque c’est le rĂ©gulateur principal qui dĂ©clenche ou pas la circulation d’eau. Si vous faites comme nous du tĂ©lĂ©travail, notre bureau ne sera pas chauffĂ© au delĂ  de la tempĂ©rature de consigne du rĂ©gulateur principal. Il faudrait alors qu’on augmente la tempĂ©rature du salon pour avoir plus chaud dans le bureau. Mais on aurait trop chaud dans le salon. Nous avons donc contactĂ© un fournisseur de rĂ©gulation spĂ©cialisĂ©e dans ces systĂšmes. Il me dit qu’il a des plaintes similaires toutes les semaines. Les chauffagistes aujourd’hui achĂštent des package pac + thermostats mais ne voient pas plus loin. A contrario si vous n’avez pas de thermostat vous ne pouvez que jouer sur les nourrices manuellement. Le fabricant de rĂ©gulation ne conseille de ne pas prendre de thermostat, de bien faire rĂ©gler la loi d’eau et la sonde extĂ©rieur avec la pac puis de venir installer un systĂšme de rĂ©gulation qui vient activer les servomoteurs sur les nourrices et ce piĂšce par piĂšce. Ainsi on peut vraiment avoir chaque piĂšce avec une tempĂ©rature diffĂ©rente. Et plus haute que dans le salon par exemple. Je ne sais pas si je suis claire mais voilĂ  pour notre expĂ©rience. J’appelle aujourd’hui le chauffagiste pour lui en parler. Ce n’est pas plus cher que les thermostats vaillant plus les thermostats qui viennent limiter la tempĂ©rature des piĂšces secondaires. Au-delĂ  de cette question je suis plutĂŽt convaincue par l’arotherm plus. J’ai lu beaucoup de revues dessus. Elle est silencieuse, fluide moins polluant, pas besoin de rĂ©cupĂ©rer le gaz dans un rĂ©cipient si rĂ©paration, elle permet de gĂ©rer des radiateurs normaux et du plancher chauffant plus ecs. Elle n’est pas trop miche non plus. Bon personnellement je reste sur ce choix. D’ailleurs bon rapport qualitĂ© prix pour nous. Si vous avez des infos Ă  me donner une fois que vous savez quelle rĂ©gulation vous aurez ce serait top! Merci et bonne journĂ©e Aqwzsx31 a Ă©critAlors nous c'est un chauffage par plancher chauffant, nous n'avons pas de radiateur prĂ©vu. Je n'ai pas beaucoup parlĂ© du rĂ©glage du chauffage, mais je sais qul est possible de fermer les clarinettes pour fermer un circuit de chauffage. Sur les radiateur je conseillerais des robinets thermostatique. 0
atrois on a moins froid séquence. Home. 2022. June. 1. a trois on a moins froid séquence. 1 Jun 2022
Eleveuse de volailles dans l'Orne, Daniela Simonet est enceinte. Pour assurer la continuitĂ© de son exploitation, elle devait ĂȘtre remplacĂ©e. Mission difficile. Par RĂ©daction L'Aigle PubliĂ© le 9 DĂ©c 21 Ă  928 MalgrĂ© la situation critique, DaniĂšla ne perd pas son sourire lĂ©gendaire et sa bonne humeur. ©Le RĂ©veil NormandVous avez dĂ©jĂ  peut-ĂȘtre croisĂ© Daniela Simonet, Ă©leveuse de volailles pour les CouvĂ©es de Brullemail Orne, sur le marchĂ© de Courtomer et aux alentours. Enceinte de plus de sept mois, elle ne trouvait pas de remplaçant. Depuis, une solution a finalement Ă©tĂ© quelqu’un pour prendre sa relĂšve pendant ses six mois de congĂ© maternitĂ©, a relevĂ© du parcours du combattant. Elle n’est pas la seule dans ce cas-lĂ . La plupart du temps, les femmes sont obligĂ©es de travailler jusqu’au bout », regrette l’agricultrice. Elle avait bien trouvĂ© une personne cet Ă©tĂ©, qui a finalement renoncĂ©, au regard la charge de travail Ă  assurer. Un confort pour nous »Celle-ci avait Ă©tĂ© recrutĂ©e grĂące au Service de remplacement, antenne gĂ©rĂ©e par des bĂ©nĂ©voles, en lien avec la MSA MutualitĂ© Sociale Agricole et la chambre d’agriculture », explique Daniela. Elle ne touchera pas d’indemnitĂ©s pendant son arrĂȘt, mais le Service de remplacement prend en charge l’intĂ©gralitĂ© du salaire du vraiment un confort pour nous, ça permet aux agriculteurs de prendre des vacances, ou mĂȘme aux futurs papas, d'eux aussi avoir un congĂ© paternitĂ©, ils font un travail voilĂ , l’association, au rayonnement trĂšs localisĂ©, manque cruellement de bras, pour pouvoir assurer les besoins. On a un travail trĂšs difficile, et physique, et on entre dans une pĂ©riode hivernale, plus contraignante, il fait froid et c’est moins romantique », sourit Daniela. DĂ©jĂ  maman de trois enfants, la quarantenaire aimerait pouvoir profiter de son bĂ©bĂ© Ă  la naissance, et s’éviter du stress et les contractions qu’elle a dĂ©jĂ  Ă  cause de la situation qu’elle c’est spĂ©cifique, plus c’est difficilePrĂ©sident du service de remplacement du secteur Le MĂȘle-Courtomer, Emmanuel Daguier Ă©tait porteur de bonnes nouvelles en fin de semaine derniĂšre. Une solution semble avoir Ă©tĂ© trouvĂ©e pour Daniela Simonet mais cela permet de confirmer ce que nous constatons gĂ©nĂ©ralement. Trouver des remplaçants pour des exploitations laitiĂšres, c’est assez simple. Mais quand la demande est spĂ©cifique comme ici c’est beaucoup plus difficile ». Chez Daniela, il faut non seulement s’occuper des volailles mais il faut aussi assurer la commercialisation et ce n’est pas si simple ». Emmanuel Daguier explique que la cheffe d’exploitation avait dĂ©jĂ  trouvĂ© une solution. Sauf que la personne l’a laissĂ© tomber au bout de quelques jours. Il y a des gens sans scrupule aujourd’hui et il y a aussi des gens qui n’ont pas envie de travailler ». Pourtant, le service de remplacement, dont la fonction est notamment de rĂ©pondre Ă  des cas de forces majeures et des urgences parfois du jour au lendemain, ne manque pas de sollicitations. Sur notre secteur du MĂȘle-Courtomer, nous avons de plus en plus d’heures. Nous avons parfois des enfants d’agriculteurs qui connaissent le mĂ©tier, mais ensuite ils s’installent. Nous avons toutefois du personnel en CDD qui travaillent quasiment toute l’annĂ©e, mais cela reste un peu prĂ©caire c’est vrai ».Une vie meilleureBien que Jean-Philippe, son mari et conjoint collaborateur, l’aide le week-end, elle recherche tout de mĂȘme quelqu’un pour assurer la partie commerciale des marchĂ©s, et l’élevage de ses volailles pendant six a construit les CouvĂ©es de Brullemail de ses mains il y a Ă  peine deux ans. AprĂšs une reconversion professionnelle, elle a dĂ©cidĂ© de devenir agricultrice, pour une meilleure vie, plus simple, et pour que les enfants profitent de la vie Ă  la campagne ».TrĂšs impliquĂ©e dans son activitĂ©, il deviennait urgent pour Daniela de trouver un remplaçant, pour pouvoir profiter de sa famille tout en faisant perdurer son en ce moment sur ActuCet article vous a Ă©tĂ© utile ? Sachez que vous pouvez suivre Le RĂ©veil Normand dans l’espace Mon Actu . En un clic, aprĂšs inscription, vous y retrouverez toute l’actualitĂ© de vos villes et marques favorites. vqna76G.
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