Jele regarda les yeux écarquiller, je ne comprenais pas se qui était en train de se passer et en moins de deux il posa ses lèvres sur les miennesJe sais que je ne suis pas très intelligent mais la je n'y comprenais vraiment plus rien
Adieu... adieu 1 Elle me chasse... qu'ai-je entendu ? Elle ne manque pas d'audace Je suis balancé tout comme un malotru Et je perds mon amour et ma place ! Elle est cruelle mais son dédain Me donne une ardeur nouvelle Oui, tu verras, et dès demain, Ce que peut faire un larbin Adieu... adieu ! Je pars sans détourner les yeux Mais avant trois mois Vous entendrez parler d' moi Adieu... adieu ! Je prouverai sous d'autres cieux En Chine, au Texas, Que j'ai tout pour être un as Je n' sais pas très bien encore Si je deviendrai chercheur d'or Ou chasseur de phoques au pôle Nord Chef de bande chez les gangsters Ou pédicure chez Rockefeller Mais je s'rai bientôt millionnaire Adieu... adieu ! Ne vous en faites pas pour moi Messieurs, le petit Léopold Nagera bientôt dans le Pactole 2 De par le monde, dans tous les coins Il est des brunes et des blondes Qui seront très fières de m'avoir pour conjoint Je ne m'en fais pas une seconde Comme en Turquie font les Pachas Quand ils ont des insomnies Je n'aurai qu'à choisir dans le tas Et j'oublierai Joséfa final Si vous voulez Des nouvelles de mon moral Vous en trouverez Jen' sais pas très bien encore Si je deviendrai chercheur d'or Ou chasseur de phoques au pôle Nord Chef de bande chez les gangsters Ou pédicure chez Rockefeller Mais je s'rai bientôt Alibert-Adieu… adieu! 1 Elle me chasse... qu'ai-je entendu ? Elle ne manque pas d'audace Je suis balancé tout comme un malotru Et je perds mon amour et ma place ! Elle est cruelle mais son dédain La suite des paroles ci-dessous Me donne une ardeur nouvelle Oui, tu verras, et dès demain, Ce que peut faire un larbin Adieu... adieu ! Je pars sans détourner les yeux Mais avant trois mois Vous entendrez parler d' moi Adieu... adieu ! Je prouverai sous d'autres cieux En Chine, au Texas, Que j'ai tout pour être un as Je n' sais pas très bien encore Si je deviendrai chercheur d'or Ou chasseur de phoques au pôle Nord Chef de bande chez les gangsters Ou pédicure chez Rockefeller La suite des paroles ci-dessous Mais je s'rai bientôt millionnaire Adieu... adieu ! Ne vous en faites pas pour moi Messieurs, le petit Léopold Nagera bientôt dans le Pactole 2 De par le monde, dans tous les coins Il est des brunes et des blondes Qui seront très fières de m'avoir pour conjoint Je ne m'en fais pas une seconde Comme en Turquie font les Pachas Quand ils ont des insomnies Je n'aurai qu'à choisir dans le tas Et j'oublierai Joséfa final Si vous voulez Des nouvelles de mon moral Vous en trouverez En première page dans votre journal Pathé x 91038 Les internautes qui ont aimé "Adieu... Adieu" aiment aussi Ecritesdepuis les camps de transit français ou jetées depuis les convois en partance pour les camps de la mort, 200 lettres sont exposées au Mémorial de la Shoah de Drancy Mme de La Fayette - Romans et nouvelles La Princesse de Montpensier Pendant que la guerre civile déchirait la France sous le règne de Charles IX, l'amour ne laissait pas de trouver sa place parmi tant de désordres et d'en causer beaucoup dans son empire. La fille unique du marquis de Mézières, héritière très considérable, et par ses grands biens, et par l'illustre maison d'Anjou dont elle était descendue, était promise au duc du Maine, cadet du duc de Guise, que l'on a depuis appelé le Balafré. L'extrême jeunesse de cette grande héritière retardait son mariage; et cependant le duc de Guise qui la voyait souvent, et qui voyait en elle les commencements d'une grande beauté, en devÃnt amoureux et en fut aimé. Ils cachèrent leur amour avec beaucoup de soin. Le duc de Guise, qui n'avait pas encore autant d'ambition qu'il en a eu depuis, souhaitait ardemment de l'épouser, mais la crainte du cardinal de Lorraine, qui lui tenait lieu de père, l'empêchait de se déclarer. Les choses étaient en cet état, lorsque la maison de Bourbon, qui ne pouvait voir qu'avec envie l'élévation de celle de Guise, s'apercevant de l'avantage qu'elle recevrait de ce mariage, se résolut de le lui ôter et d'en profiter elle-même en faisant épouser cette héritière au jeune prince de Montpensier. On travailla à l'exécution de ce dessein avec tant de succès, que les parents de Mlle de Mézières, contre les promesses qu'ils avaient faites au cardinal de Lorraine, se résolurent de la donner en mariage à ce jeune prince. Toute la maison de Guise fut extrêmement surprise de ce procédé, mais le duc en fut accablé de douleur, et l'intérêt de son amour lui fit recevoir, ce manquement de parole comme un affront insupportable. Son ressentiment éclata bientôt, malgré les réprimandes du cardinal de Lorraine et du duc d'Aumale, ses oncles, qui ne voulaient pas s'opiniâtrer à une chose qu'ils voyaient ne pouvoir empêcher, et il s'emporta avec tant de violence, en présence même du jeune prince de Montpensier, qu'il en naquit entre eux une haine qui ne finit qu'avec leur vie. Mlle de Mézières, tourmentée par ses parents d'épouser ce prince, voyant d'ailleurs qu'elle ne pouvait épouser le duc de Guise, et connaissant par sa vertu qu'il était dangereux d'avoir pour beau-frère un homme qu'elle eût souhaité pour mari, se résolut enfin de suivre le sentiment de ses proches et conjura M. de Guise de ne plus apporter d'obstacle à son mariage. Elle épousa donc le prince de Montpensier qui, peu de temps après, l'emmena à Champigny, séjour ordinaire des princes de sa maison, pour l'ôter de Paris où apparemment tout l'effort de la guerre allait tomber. Cette grande ville était menacée d'un siège par l'armée des huguenots, dont le prince de Condé était le chef, et qui venait de déclarer la guerre au roi pour la seconde fois. Le prince de Montpensier, dans sa plus tendre jeunesse, avait fait une amitié très particulière avec le comte de Chabanes, qui était un homme d'un âge beaucoup plus avancé que lui et d'un mérite extraordinaire. Ce comte avait été si sensible à l'estime et à la confiance de ce jeune prince, que, contre les engagements qu'il avait avec le prince de Condé, qui lui faisait espérer des emplois considérables dans le parti des huguenots, il se déclara pour les catholiques, ne pouvant se résoudre à être opposé en quelque chose à un homme qui lui était si cher. Ce changement de parti n'ayant point d'autre fondement, l'on douta qu'il fût véritable, et, la reine mère, Catherine de Médicis, en eut de si grands soupçons que, la guerre étant déclarée par les huguenots, elle eut dessein de le faire arrêter, mais le prince de Montpensier l'en empêcha et emmena Chabanes à Champigny en s'y en allant avec sa femme. Le comte, ayant l'esprit fort doux et fort agréable, gagna bientôt l'estime de la princesse de Montpensier, et en peu de temps, elle n'eut pas moins de confiance et d'amitié pour lui qu'en avait le prince son mari. Chabanes, de son côté, regardait avec admiration tant de beauté, d'esprit et de vertu qui paraissaient en cette jeune princesse, et, se servant de l'amitié qu'elle lui témoignait, pour lui inspirer des sentiments d'une vertu extraordinaire et digne de la grandeur de sa naissance, il la rendit en peu de temps une des personnes du monde la plus achevée. Le prince étant revenu à la cour, où la continuation de la guerre l'appelait, le comte demeura seul avec la princesse et continua d'avoir pour elle un respect et une amitié proportionnés à sa qualité et à son mérite. La confiance s'augmenta de part et d'autre; et à tel point du côté de la princesse de Montpensier, qu'elle lui apprit l'inclination qu'elle avait eue pour M. de Guise, mais elle lui apprit aussi en même temps qu'elle était presque éteinte et qu'il ne lui en restait que ce qui était nécessaire pour défendre l'entrée de son coeur à une autre inclination, et que, la vertu se joignant à ce reste d'impression, elle n'était capable que d'avoir du mépris pour ceux qui oseraient avoir de l'amour pour elle. Le comte qui connaissait la sincérité de cette belle princesse et qui lui voyait d'ailleurs des dispositions si opposées à la faiblesse de la galanterie, ne douta point de la vérité de ses paroles, et néanmoins il ne put se défendre de tant de charmes qu'il voyait tous les jours de si près. Il devint passionnément amoureux de cette princesse, et, quelque honte qu'il trouvât à se laisser surmonter, il fallut céder et l'aimer de la plus violente et de la plus sincère passion qui fût jamais. S'il ne fut pas maÃtre de son coeur, il le fut de ses actions. Le changement de son âme n'en apporta point dans sa conduite et personne ne soupçonna son amour. Il prit un soin exact, pendant une année entière, de le cacher à la princesse, et il crut qu'il aurait toujours le même désir de le lui cacher. L'amour fit en lui ce qu'il fait en tous les autres, il lui donna l'envie de parler et, après tous les combats qui ont accoutumé de se faire en pareilles occasions, il osa lui dire qu'il l'aimait, s'étant bien préparé à essuyer les orages dont la fierté de cette princesse le menaçait. Mais il trouva en elle une tranquillité et une froideur pires mille fois que toutes les rigueurs à quoi il s'était attendu. Elle ne prit pas la peine de se mettre en colère contre lui. Elle lui représenta en peu de mots la différence de leurs qualités et de leur âge, la connaissance particulière qu'il avait de sa vertu et de l'inclination quelle avait eue pour le duc de Guise, et surtout ce qu'il devait à l'amitié et à la confiance du prince son mari. Le comte pensa mourir à ses pieds de honte et de douleur. Elle tâcha de le consoler en l'assurant qu'elle ne se souviendrait jamais de ce qu'il venait de lui dire, qu'elle ne se persuaderait jamais une chose qui lui était si désavantageuse et qu'elle ne le regarderait jamais que comme son meilleur ami. Ces assurances consolèrent le comte, comme on se le peut imaginer. Il sentit le mépris des paroles de la princesse dans toute leur étendue, et, le lendemain, la revoyant avec visage aussi ouvert que de coutume, son affliction en redoubla de la moitié. Le procédé de la princesse ne la diminua pas. Elle vécut avec lui avec la même bonté qu'elle avait accoutumé. Elle lui reparla, quand l'occasion en fit naÃtre le discours, de l'inclination quelle avait eue pour le duc de Guise, et, la renommée commençant alors à publier les grandes qualités qui paraissaient en ce prince, elle lui avoua qu'elle en sentait de la joie et qu'elle était bien aise de voir qu'il méritait les sentiments qu'elle avait eus pour lui. Toutes ces marques de confiance, qui avaient été si chères au comte, lui devinrent insupportables. Il n'osait pourtant le témoigner à la princesse, quoiqu'il osât bien la faire souvenir quelquefois de ce qu'il avait eu la hardiesse de lui dire. Après deux années d'absence, la paix étant faite, le prince de Montpensier revint trouver la princesse sa femme, tout couvert de la gloire qu'il avait acquise au siège de Paris et à la bataille de Saint-Denis. Il fut surpris de voir la beauté de cette princesse dans une si grande perfection, et, par le sentiment d'une jalousie qui lui était naturelle, il en eut quelque chagrin, prévoyant bien qu'il ne serait pas seul à la trouver belle. Il eut beaucoup de joie de revoir le comte de Chabanes, pour qui son amitié n'était point diminuée. Il lui demanda confidemment des nouvelles de l'esprit et de l'humeur de sa femme, qui lui était quasi une personne inconnue, par le peu de temps qu'il avait demeuré avec elle. Le comte, avec une sincérité aussi exacte que s'il n'eût point été amoureux, dit au prince tout ce qu'il connaissait en cette princesse capable de la lui faire aimer, et il avertit aussi Mme de Montpensier de toutes les choses qu'elle devait faire pour achever de gagner le coeur et l'estime de son mari. Enfin, la passion du comte le portait si naturellement à ne songer qu'à ce qui pouvait augmenter le bonheur et la gloire de cette princesse, qu'il oubliait sans peine l'intérêt qu'ont les amants à empêcher que les personnes qu'ils aiment ne soient dans une parfaite intelligence avec leurs maris. La paix ne fit que paraÃtre. La guerre recommença aussitôt, par le dessein qu'eut le roi de faire arrêter à Noyers le prince de Condé et l'amiral de Châtillon, et, ce dessein ayant été découvert, l'on commença de nouveau les préparatifs de la guerre, et le prince de Montpensier fut contraint de quitter sa femme pour se rendre où son devoir l'appelait. Chabanes le suivit à la cour, s'étant entièrement justifié auprès de la reine. Ce ne fut pas sans une douleur extrême qu'il quitta la princesse qui, de son côté, demeura fort triste des périls où la guerre allait exposer son mari. Les chefs des huguenots s'étaient retirés à La Rochelle. Le Poitou et la Saintonge étant dans leur parti, la guerre s'y alluma fortement et le roi y rassembla toutes ses troupes. Le duc d'Anjou, son frère, qui fut depuis Henri III, y acquit beaucoup de gloire par plusieurs belles actions, et entre autres par la bataille de Jarnac, où le prince de Condé fut tué. Ce fut dans cette guerre que le duc de Guise commença à avoir des emplois considérables et à faire connaÃtre qu'il passait de beaucoup les grandes espérances qu'on avait conçues de lui. Le prince de Montpensier, qui le haïssait, et comme son ennemi particulier, et comme celui de sa maison, ne voyait qu'avec peine la gloire de ce duc, aussi bien que l'amitié que lui témoignait le duc d'Anjou. Après que les deux armées se furent fatiguées par beaucoup de petits combats, d'un commun consentement on licencia les troupes pour quelque temps. Le duc d'Anjou demeura à Loches, pour donner ordre à toutes les places qui eussent pu être attaquées. Le duc de Guise y demeura avec lui et le prince de Montpensier, accompagné du comte de Chabanes, s'en retourna à Champigny, qui n'était pas fort éloigné de là . Le duc d'Anjou allait souvent visiter les places qu'il faisait fortifier. Un jour qu'il revenait à Loches par un chemin peu connu de ceux de sa suite, le duc de Guise, qui se vantait de le savoir, se mit à la tête de la troupe pour servir de guide, mais, après avoir marché quelque temps, il s'égara et se trouva sur le bord dune petite rivière qu'il ne reconnut pas lui-même. Le duc d'Anjou lui fit la guerre de les avoir si mal conduits et, étant arrêtés en ce lieu, aussi disposés à la joie qu'ont accoutumé de l'être de jeunes princes, ils aperçurent un petit bateau qui était arrêté au milieu de la rivière, et, comme elle n'était pas large, ils distinguèrent aisément dans ce bateau trois ou quatre femmes, et une entre autres qui leur sembla fort belle, qui était habillée magnifiquement, et qui regardait avec attention deux hommes qui pêchaient auprès d'elle, Cette aventure donna une nouvelle joie à ces jeunes princes et à tous ceux de leur suite. Elle leur parut une chose de roman. Les uns disaient au duc de Guise qu'il les avait égarés exprès pour leur faire voir cette belle personne, les autres, qu'il fallait, après ce qu'avait fait le hasard, qu'il en devÃnt amoureux, et le duc d'Anjou soutenait que c'était lui qui devait être son amant. Enfin, voulant pousser l'aventure à bout, ils firent avancer dans la rivière de leurs gens à cheval, le plus avant qu'à se put; pour crier à cette dame que c'était monsieur d'Anjou qui eût bien voulu passer de l'autre côté de l'eau et qui priait qu'on le vÃnt prendre. Cette dame, qui était la princesse de Montpensier, entendant dire que le duc d'Anjou était là et ne doutant point, à la quantité des gens qu'elle voyait au bord de l'eau, que ce ne fût lui, fit avancer son bateau pour aller du côté où il était. Sa bonne mine le lui fit bientôt distinguer des autres, mais elle distingua encore plutôt le duc de Guise. Sa vue lui apporta un trouble qui la fit un peu rougir et qui la fit paraÃtre aux yeux de ces princes dans une beauté qu'ils crurent surnaturelle. Le duc de Guise la reconnut d'abord, malgré le changement avantageux qui s'était fait en elle depuis les trois années qu'il ne lavait vue. Il dit au duc d'Anjou qui elle était, qui fut honteux d'abord de la liberté qu'il avait prise, mais voyant Mme de Montpensier si belle, et cette aventure lui plaisant si fort, il se résolut de l'achever, et après mille excuses et mille compliments, il inventa une affaire considérable, qu'il disait avoir au-delà de la rivière et accepta l'offre qu'elle lui fit de le passer dans son bateau. Il y entra seul avec le duc de Guise, donnant ordre à tous ceux qui les suivaient d'aller passer la rivière à un autre endroit et de les venir joindre à Champigny, que Mme de Montpensier leur dit qui n'était qu'à deux lieues de là . Sitôt qu'ils furent dans le bateau, le duc d'Anjou lui demanda à quoi ils devaient une si agréable rencontre et ce qu'elle faisait au milieu de la rivière. Elle lui répondit qu'étant partie de Champigny avec le prince son mari, dans le dessein de le suivre à la chasse, s'étant trouvée trop lasse, elle était venue sur le bord de la rivière où la curiosité de voir prendre un saumon, qui avait donné dans un filet, l'avait fait entrer dans ce bateaux. M. de Guise ne se mêlait point dans la conversation, mais, sentant réveiller vivement dans son coeur tout ce que cette princesse y avait autrefois fait naÃtre; il pensait en lui-même qu'il sortirait difficilement de cette aventure sans rentrer dans ses liens. Ils arrivèrent bientôt au bord, où ils trouvèrent les chevaux et les écuyers de Mme de Montpensier, qui l'attendaient. Le duc d'Anjou et le duc de Guise lui aidèrent à monter à cheval, où elle se remit avec une grâce admirable. Pendant tout le chemin, elle les entretint agréablement de diverses choses. Ils ne furent pas moins surpris des charmes de son esprit qu'ils l'avaient été de sa beauté, et ils ne purent s'empêcher de lui faire connaÃtre qu'ils en étaient extraordinairement surpris. Elle répondit à leurs louanges avec toute la modestie imaginable, mais un peu plus froidement à celles du duc de Guise, voulant garder une fierté qui l'empêchait de fonder aucune espérance sur l'inclination qu'elle avait eue pour lui. En arrivant dans la première cour de Champigny, ils trouvèrent le prince de Montpensier, qui ne faisait que de revenir de la chasse. Son étonnement fut grand de voir marcher deux hommes à côté de sa femme, mais il fut extrême quand, s'approchant de plus près, il reconnut que c'était le duc d'Anjou et le duc de Guise. La haine qu'il avait pour le dernier, se joignant à sa jalousie naturelle, lui fit trouver quelque chose de si désagréable à voir ces princes avec sa femme, sans savoir comment ils s'y étaient trouvés, ni ce qu'ils venaient faire en sa maison, qu'il ne put cacher le chagrin qu'il en avait. Il en rejeta adroitement la cause sur la crainte de ne pouvoir recevoir un si grand prince selon sa qualité, et comme il l'eût bien souhaité. Le comte de Chabanes avait encore plus de chagrin de voir M. de Guise auprès de Mme de Montpensier, que M. de Montpensier n'en avait lui-même. Ce que le hasard avait fait pour rassembler ces deux personnes lui semblait de si mauvais augure, qu'il pronostiquait aisément que ce commencement de roman ne serait pas sans suite. Mme de Montpensier fit, le soir, les honneurs de chez elle avec le même agrément qu'elle faisait toutes choses. Enfin elle ne plut que trop à ses hôtes. Le duc d'Anjou, qui était fort galant et fort bien fait, ne put voir une fortune si digne de lui sans la souhaiter ardemment Il fut touché du même mal que M. de Guise et, feignant toujours des affaires extraordinaires, il demeura deux jours à Champigny, sans être obligé d'y demeurer que par les charmes de Mme de Montpensier, le prince son mari ne faisant point de violence pour l'y retenir. Le duc de Guise ne partit pas sans faire entendre à Mme de Montpensier qu'il était pour elle ce qu'il avait été autrefois, et, comme sa passion n'avait été sue de personne, il lui dit plusieurs fois devant tout le monde, sans être entendu que d'elle, que son coeur n'était point changé. Et lui et le duc d'Anjou partirent de Champigny avec beaucoup de regret. Ils marchèrent longtemps tous deux dans un profond silence. Mais enfin le duc d'Anjou, s'imaginant tout d'un coup que ce qui faisait sa rêverie, pouvait bien causer celle du duc de Guise, lui demanda brusquement s'il pensait aux beautés de la princesse de Montpensier. Cette demande si brusque, jointe à ce qu'avait déjà remarqué le duc de Guise des sentiments du duc d'Anjou, lui fit voir qu'il serait infailliblement son rival et qu'il était très important de ne pas découvrir son amour à ce prince. Pour lui en ôter tout soupçon, il lui répondit en riant qu'il paraissait lui-même si occupé de la rêverie dont il l'accusait, qu'il n'avait pas jugé à propos de l'interrompre; que les beautés de la princesse de Montpensier n'étaient pas nouvelles pour lui; qu'il s'était accoutumé à en supporter l'éclat du temps qu'elle était destinée à être sa belle-soeur, mais qu'il voyait bien que tout le monde n'en était pas si peu ébloui. Le duc d'Anjou lui avoua qu'il n'avait encore rien vu qui lui parût comparable à cette jeune princesse et qu'il sentait bien que sa vue lui pourrait être dangereuse, s'il y était souvent exposé. Il voulut faire convenir le duc de Guise qu'il sentait la même chose, mais ce duc, qui commençait à se faire une affaire sérieuse de son amour, n'en voulut rien avouer. Ces princes s'en retournèrent à Loches, faisant souvent leur agréable conversation de l'aventure qui leur avait découvert la princesse de Montpensier. Ce ne fut pas un sujet de si grand divertissement dans Champigny. Le prince de Montpensier était mal content de tout ce qui était arrivé, sans qu'il en pût dire le sujet. Il trouvait mauvais que sa femme se fût trouvée dans ce bateau. Il lui semblait qu'elle avait reçu trop agréablement ces princes, et, ce qui lui déplaisait le plus, était d'avoir remarqué que le duc de Guise l'avait regardée attentivement. Il en connut dès ce moment une jalousie furieuse, qui le fit ressouvenir de l'emportement qu'il avait témoigné lors de son mariage, et il eut quelque pensée que, dès ce temps-là même, il en était amoureux. Le chagrin que tous ces soupçons lui causèrent donnèrent de mauvaises heures à la princesse de Montpensier. Le comte de Chabanes, selon sa coutume, prit soin d'empêcher qu'ils ne se brouillassent tout à fait, afin de persuader par là à la princesse combien la passion qu'il avait pour elle était sincère et désintéressée. Il ne put s'empêcher de lui demander l'effet qu'avait produit en elle la vue du duc de Guise. Elle lui apprit quelle en avait été troublée par la honte du souvenir de l'inclination qu'elle lui avait autrefois témoignée; qu'elle l'avait trouvé beaucoup mieux fait qu'il n'était en ce temps-là , et que même il lui avait paru qu'il voulait lui persuader qu'il l'aimait encore, mais elle l'assura, en même temps, que rien ne pouvait ébranler la résolution qu'elle avait prise de ne s'engager jamais. Le comte de Chabanes eut bien de la joie d'apprendre cette résolution, mais rien ne le pouvait rassurer sur le duc de Guise. Il témoigna à la princesse qu'il appréhendait extrêmement que les premières impressions ne revinssent bientôt, et il lui fit comprendre la mortelle douleur qu'il aurait, pour leur intérêt commun, s'il la voyait un jour changer de sentiments. La princesse de Montpensier, continuant toujours son procédé avec lui, ne répondait presque pas à ce qu'il lui disait de sa passion et ne considérait toujours en lui que la qualité du meilleur ami du monde, sans lui vouloir faire l'honneur de prendre garde à celle d'amant. Les armées étant remises sur pied, tous les princes y retournèrent, et le prince de Montpensier trouva bon que sa femme s'en vÃnt à Paris, pour n'être plus si proche des lieux où se faisait la guerre. Les huguenots assiégèrent la ville de Poitiers. Le duc de Guise s'y jeta pour la défendre et il y fit des actions qui suffiraient seules pour rendre glorieuse une autre vie que la sienne. Ensuite la bataille de Moncontour se donna. Le duc d'Anjou, après avoir pris Saint-Jean-dAngély, tomba malade, et quitta en même temps l'armée, soit par la violence de son mal, soit par l'envie qu'il avait de revenir goûter le repos et les douceurs de Paris, où la présence de la princesse de Montpensier n'était pas la moindre raison qui l'attirât. L'armée demeura sous le commandement du prince de Montpensier, et, peu de temps après, la paix étant faite, toute la cour se trouva à Paris. La beauté de la princesse effaça toutes celles qu'on avait admirées jusques alors. Elle attira les yeux de tout le monde par les charmes de son esprit et de sa personne. Le duc d'Anjou ne changea pas à Paris les sentiments qu'il avait conçus pour elle à Champigny. Il prit un soin extrême de le lui faire connaÃtre par toutes sortes de soins; prenant garde toutefois à ne lui en pas rendre des témoignages trop éclatants, de peur de donner de la jalousie au prince son mari. Le duc de Guise acheva d'en devenir violemment amoureux, et voulant, par plusieurs raisons, tenir sa passion cachée, il se résolut de la lui déclarer d'abord, afin de s'épargner tous ces commencements qui font toujours naÃtre le bruit et l'éclat. Etant un jour chez la reine à une heure où, il y avait très peu de monde; la reine s'étant retirée pour parler d'affaires avec le cardinal de Lorraine, la princesse de Montpensier y arriva. Il se résolut de prendre ce moment pour lui parler, et, s'approchant d'elle Je vais vous surprendre, madame, lui dit il, et vous déplaire en vous apprenant que j'ai toujours conservé cette passion qui vous a été connue autrefois, mais qui s'est si fort augmentée en vous revoyant, que ni votre sévérité, ni la haine de M. le prince de Montpensier, ni la concurrence du premier prince du royaume, ne sauraient lui ôter un moment de sa violence. Il aurait été plus respectueux de vous la faire connaÃtre par mes actions que par mes paroles, mais, madame, mes actions l'auraient apprise à d'autres aussi bien qu'à vous et je souhaite que vous sachiez seule que je suis assez hardi pour vous adorer. La princesse fut d'abord si surprise et si troublée de ce discours, qu'elle ne songea pas à l'interrompre, mais ensuite, étant revenue à elle et commençant à lui répondre, le prince de Montpensier entra. Le trouble et l'agitation étaient peints sur le visage de la princesse, la vue de son mari acheva de l'embarrasser, de sorte quelle lui en laissa plus entendre que le duc de Guise ne lui en venait de dire. La reine sortit de son cabinet et le duc se retira pour guérir la jalousie de ce prince. La princesse de Montpensier trouva le soir dans l'esprit de son mari tout le chagrin imaginable. Il s'emporta contre elle avec des violences épouvantables, et lui défendit de parler jamais au duc de Guise. Elle se retira bien triste dans son appartement et bien occupée des aventures qui lui étaient arrivées ce jour-là . Le jour suivant, elle revit le duc de Guise chez la reine, mais il ne l'aborda pas et se contenta de sortir un peu après elle pour lui faire voir qu'il n'y avait que faire quand elle n'y était pas. Il ne se passait point de jour qu'elle ne reçût mille marques cachées de la passion de ce duc, sans qu'il essayât de lui en parler que lorsqu'il ne pouvait être vu de personne Comme elle était bien persuadée de cette passion, elle commença, nonobstant toutes les résolutions quelle avait faites à Champigny, à sentir dans le fond de son coeur quelque chose de ce qui y avait été autrefois. [Le duc d'Anjou, de son côté, qui n'oubliait rien pour lui témoigner son amour en tous les lieux où il la pouvait voir et qui la suivait continuellement chez la reine, sa mère, et la princesse, sa soeur, en était traité avec une rigueur étrange et capable de guérir toute autre passion que la sienne.] On découvrit, en ce temps-là , que cette princesse, qui fut depuis la reine de Navarre, eut quelque attachement pour le duc de Guise; et ce qui le fit découvrir davantage, fut le refroidissement qui parut du duc d'Anjou pour le duc de Guise. La princesse de Montpensier apprit cette nouvelle, qui ne lui fut pas indifférente et qui lui fit sentir qu'elle prenait plus d'intérêt au duc de Guise qu'elle ne pensait. M. de Montpensier, son beau-père, épousant alors Mlle de Guise, soeur de ce duc, elle était contrainte de le voir souvent dans les lieux où les cérémonies des noces les appelaient l'un et l'autre. La princesse de Montpensier, ne pouvant plus souffrir qu'un homme que toute la France croyait amoureux de Madame, osât lui dire qu'il l'était d'elle, et se sentant offensée et quasi affligée de s'être trompée elle-même, un jour que le duc de Guise la rencontra chez sa soeur, un peu éloignée des autres et qu'il lui voulut parler de sa passion, elle l'interrompit brusquement et lui dit d'un ton de voix qui marquait sa colère - Je ne comprends pas qu'il faille, sur le fondement d'une faiblesse dont on a été capable à treize ans, avoir l'audace de faire l'amoureux d'une personne comme moi, et surtout quand on l'est d'une autre à la vue de toute la cour. Le duc de Guise, qui avait beaucoup d'esprit et qui était fort amoureux, n'eut besoin de consulter personne pour entendre tout ce que signifiait les paroles de la princesse. Il lui répondit avec beaucoup de respect - J'avoue, madame, que j'ai eu tort de ne pas mépriser l'honneur d'être beau-frère de mon roi plutôt que de vous laisser soupçonner un moment que je pouvais désirer un autre coeur que le vôtre, mais, si vous voulez me faire la grâce de m'écouter, je suis assuré de me justifier auprès de vous. La princesse de Montpensier ne répondit point, mais elle ne s'éloigna pas, et le duc de Guise, voyant quelle lui donnait l'audience qu'il souhaitait, lui apprit que; sans s'être attiré les bonnes grâces de Madame par aucun soin, elle l'en avait honoré; que, n'ayant nulle passion pour elle, il avait très mal répondu à l'honneur qu'elle lui faisait, jusques à ce qu'elle lui eût donné quelque espérance de l'épouser; qu'à la vérité la grandeur où ce mariage pouvait l'élever, l'avait obligé de lui rendre plus de devoirs et que c'était ce qui avait donné lieu au soupçon qu'en avaient eu le roi et le duc d'Anjou; que l'opposition de l'un ni de l'autre ne le dissuadait pas de son dessein, mais que, si ce dessein lui déplaisait, il l'abandonnait, dès l'heure même, pour n'y penser de sa vie. Le sacrifice que le duc de Guise faisait à la princesse, lui fit oublier toute la rigueur et toute la colère avec laquelle elle avait commencé de lui parler. Elle changea de discours et se mit à l'entretenir de la faiblesse qu'avait eue Madame de l'aimer la première, et de l'avantage considérable qu'il recevrait en l'épousant. Enfin, sans rien dire d'obligeant au duc de Guise, elle lui fit revoir mille choses agréables qu'il avait trouvées autrefois en Mlle de Mézières. Quoiqu'ils ne se fussent point parlé depuis longtemps, ils se trouvèrent accoutumés l'un à l'autre, et leurs coeurs se remirent aisément dans un chemin qui ne leur était pas inconnu. Ils finirent cette agréable conversation, qui laissa une sensible joie dans l'esprit du duc de Guise. La princesse n'en eut pas une petite de connaÃtre qu'il l'aimait véritablement. Mais quand elle fut dans son cabinet, quelles réflexions ne fit-elle point sur la honte de s'être laissé fléchir si aisément aux excuses du duc de Guise, sur l'embarras où elle s'allait plonger en s'engageant dans une chose qu'elle avait regardée avec tant d'horreur et sur les effroyables malheurs où la jalousie de son mari la pouvait jeter! Ces pensées lui firent faire de nouvelles résolutions, mais qui se dissipèrent dès le lendemain par la vue du duc de Guise. Il ne manquait point de lui rendre un compte exact de ce qui se passait entre Madame et lui. La nouvelle alliance de leurs maisons lui donnait occasion de lui parler souvent. Mais il, n'avait pas peu de peine à la guérir de la jalousie que lui donnait la beauté de Madame; contre laquelle il n'y avait point de serment qui la pût rassurer. Cette jalousie servait à la princesse de Montpensier à défendre le reste de son coeur contre les soins du duc de Guise, qui en avait déjà gagné la plus grande partie. Le mariage du roi avec la fille de l'empereur Maximilien remplit la cour de fêtes et de réjouissances. Le roi fit un ballet où dansaient Madame et toutes les princesses. La princesse de Montpensier pouvait seule lui disputer le prix de la beauté. Le duc d'Anjou dansait, une entrée de Maures, et le duc de Guise, avec quatre autres, était de son entrée. Leurs habits étaient tous pareils, comme le sont d'ordinaire les habits de ceux qui dansent une même entrée. La première fois que le ballet se dansa, le duc de Guise, devant que de danser, n'ayant pas encore son masque, dit quelques mots en passant à la princesse de Montpensier. Elle s'aperçut bien que le prince son mari y avait pris garde, ce qui la mit en inquiétude. Quelque temps après, voyant le duc d'Anjou avec son masque et son habit de Maure qui venait pour lui parler, troublée de son inquiétude, elle crut que c'était encore le duc de Guise et, s'approchant de lui - N'ayez, des yeux ce soir que pour Madame, lui dit-elle, je n'en serai point jalouse, je vous l'ordonne, on m'observe, ne m'approchez plus. Elle se retira sitôt qu'elle eut achevé ces paroles. Le duc d'Anjou en demeura accablé comme d'un coup de tonnerre. Il vit dans ce moment qu'il avait un rival aimé. Il comprit, par le nom de Madame, que ce rival était le duc de Guise, et il ne put douter que la princesse sa soeur ne fût le sacrifice qui avait tendu la princesse de Montpensier favorable aux voeux de son rival. La jalousie, le dépit et la rage, se joignant à la haine qu'il avait déjà pour lui, firent dans son âme tout ce qu'on peut imaginer de plus violent, et il eût donné sur l'heure quelque marque sanglante de son désespoir, si la dissimulation qui lui était naturelle ne fût venue à son secours et ne l'eût obligé, par des raisons puissantes, en l'état qu'étaient les choses, à ne rien entreprendre contre le duc de Guise. Il ne put toutefois se refuser le plaisir de lui apprendre qu'il savait le secret de son amour; et, l'abordant en sortant de la salle où l'on avait dansé - C'est trop, lui dit-il, d'oser lever les yeux jusques à ma soeur et de m'ôter ma maÃtresse. La considération du roi m'empêche d'éclater, mais souvenez-vous que la perte de votre vie sera peut-être la moindre chose dont je punirai quelque jour votre témérité. La fierté du duc de Guise n'était pas accoutumée à de telles menaces. Il ne put néanmoins y répondre, parce que le roi, qui sortait en ce moment, les appela tous deux, mais elles gravèrent dans son coeur un désir de vengeance qu'il travailla toute sa vie à satisfaire. Dès le même soir, le duc d'Anjou lui rendit toutes sortes de mauvais offices auprès du roi. Il lui persuada que jamais Madame ne consentirait d'être mariée avec le roi de Navarre avec qui on proposait de la marier, tant que l'on souffrirait que le duc de Guise l'approchât, et qu'il était honteux de souffrir qu'un de ses sujets, pour satisfaire à sa vanité, apportât de l'obstacle à une chose qui devait donner la paix à la France. Le roi avait déjà assez d'aigreur contre le duc de Guise. Ce discours l'augmenta si fort que, le voyant le lendemain comme il se présentait pour entrer au bal chez la reine, paré d'un nombre infini de pierreries, mais plus paré encore de sa bonne mine, il se mit à l'entrée de la porte et lui demanda brusquement où il allait. Le duc, sans s'étonner, lui dit qu'il venait pour lui rendre ses très humbles services; à quoi le roi répliqua qu'il n'avait pas besoin de ceux qu'il lui rendait, et se tourna sans le regarder. Le duc de Guise ne laissa pas d'entrer dans la salle, outré dans le coeur, et contre le roi, et contre le duc d'Anjou. Mais sa douleur augmenta sa fierté naturelle et, par une manière de dépit, il s'approcha beaucoup plus de Madame qu'il n'avait accoutumé; joint que ce que lui avait dit le duc d'Anjou de la princesse de Montpensier l'empêchait de jeter les yeux sur elle. Le duc d'Anjou les observait soigneusement l'un et l'autre. Les yeux de cette princesse laissaient voir malgré elle quelque chagrin lorsque le duc de Guise parlait à Madame. Le duc d'Anjou, qui avait compris par ce quelle lui avait dit en le prenant pour M. de Guise, qu'elle avait de la jalousie, espéra de les brouiller et, se mettant auprès d'elle C'est pour votre intérêt, madame, plutôt que pour le mien, lui dit-il, que je m'en vais vous apprendre que le duc de Guise ne mérite pas que vous l'ayez choisi à mon préjudice. Ne m'interrompez point, je vous prie, pour me dire le contraire d'une vérité que je ne sais que trop. Il vous trompe, madame, et vous sacrifie à ma soeur, comme il vous l'a sacrifiée. C'est un homme qui n'est capable que d'ambition mais, puisqu'il a eu le bonheur de vous plaire, c'est assez. Je ne m'opposerai point à une fortune que je méritais, sans doute, mieux que lui. Je men rendrais indigne si je m'opiniâtrais davantage à la conquête d'un coeur qu'un autre possède. C'est trop de n'avoir pu attirer que votre indifférence. Je ne veux pas y faire succéder la haine en vous importunant plus longtemps de la plus fidèle passion qui fut jamais. Le duc d'Anjou, qui était effectivement touché d'amour et de douleur, put à peine achever ces paroles, et, quoiqu'il eût commencé son discours dans un esprit de dépit et de vengeance, il s'attendrit, en considérant la beauté de la princesse et la perte qu'il faisait en perdant l'espérance d'en être aimé, de sorte que, sans attendre sa réponse, il sortit du bal, feignant de se trouver mal, et s'en alla chez lui rêver à son malheur. La princesse de Montpensier demeura affligée et troublée, comme on se le peut imaginer. Voir sa réputation et le secret de sa vie entre les mains d'un prince qu'elle avait maltraité et apprendre par lui, sans pouvoir en douter, qu'elle était trompée par son amant, étaient des choses peu capables de lui laisser la liberté d'esprit que demandait un lieu destiné à la joie. Il fallut pourtant demeurer en ce lieu et aller souper ensuite chez la duchesse de Montpensier, sa belle-mère, qui l'emmena avec elle. Le duc de Guise, qui mourait d'impatience de lui conter ce que lui avait dit le duc d'Anjou le jour précédent, la suivit chez sa soeur. Mais quel fut son étonnement lorsque, voulant entretenir cette belle princesse, il trouva qu'elle ne lui parlait que pour lui faire des reproches épouvantables! Et le dépit lui faisait faire ces reproches si confusément, qu'il n'y pouvait rien comprendre, sinon qu'elle l'accusait d'infidélité et de trahison. Accablé de désespoir de trouver une si grande augmentation de douleur où il avait espéré de se consoler de tous ses ennuis et aimant cette princesse avec une passion qui ne pouvait plus le laisser vivre dans l'incertitude d'en être aimé, il se détermina tout d'un coup - Vous serez satisfaite, madame, lui dit-il. Je m'en vais faire pour vous ce que toute la puissance royale n'aurait pu obtenir de moi. Il men coûtera ma fortune, mais c'est peu de chose pour vous satisfaire. Sans demeurer davantage chez la duchesse sa soeur, il s'en alla trouver, à l'heure même, les cardinaux, ses oncles et, sur le prétexte du mauvais traitement qu'il avait reçu du roi, il leur fit voir une si grande nécessité pour sa fortune à faire paraÃtre qu'il n'avait aucune pensée d'épouser Madame, qu'il les obligea à conclure son mariage avec la princesse de Portien, duquel on avait déjà parlé. La nouvelle de ce mariage fut aussitôt sue par tout Paris. Tout le monde fut surpris, et la princesse de Montpensier en fut touchée de joie et de douleur. Elle fut bien aise de voir par là le pouvoir qu'elle avait sur le duc de Guise et elle fut fâchée en même temps de lui avoir fait abandonner une chose aussi avantageuse que le mariage de Madame. Le duc de Guise, qui voulait au moins que l'amour le récompensât de ce qu'il perdait du côté de la fortune, pressa la princesse de lui donner une audience particulière pour s'éclaircir des reproches injustes qu'elle lui avait faits. Il obtint qu'elle se trouverait chez la duchesse de Montpensier, sa soeur, à une heure que cette duchesse n'y serait pas et qu'il pourrait l'entretenir en particulier. Le duc de Guise eut la joie de se pouvoir jeter à ses pieds, de lui parler en liberté de sa passion et de lui dire ce qu'il avait souffert de ses soupçons. La princesse ne pouvait s'ôter de l'esprit ce que lui avait dit le duc d'Anjou, quoique le procédé du duc de Guise la dût absolument rassurer. Elle lui apprit le juste sujet qu'elle avait de croire qu'il l'avait trahie, puisque le duc d'Anjou savait ce qu'il ne pouvait avoir appris que de lui. Le duc de Guise ne savait par où se défendre et était aussi embarrassé que la princesse de Montpensier à deviner ce qui avait pu découvrir leur intelligence. Enfin, dans la suite de leur conversation, comme elle lui remontrait qu'il avait eu tort de précipiter son mariage avec la princesse de Portien et d'abandonner celui de Madame, qui lui était si avantageux, elle lui dit qu'il pouvait bien juger qu'elle n'en eût eu aucune jalousie, puisque, le jour du ballet, elle-même l'avait conjuré de n'avoir des yeux que pour Madame. Le duc de Guise lui dit qu'elle avait eu l'intention de lui faire ce commandement, mais qu'assurément elle ne [le] lui avait pas fait. La princesse lui soutint le contraire. Enfin, à force de disputer et d'approfondir, ils trouvèrent qu'il fallait qu'elle se fût trompée dans la ressemblance des habits et qu'elle-même eût appris au duc d'Anjou ce qu'elle accusait le duc de Guise de lui avoir appris. Le duc de Guise, qui était presque justifié dans son esprit par son mariage, le fut entièrement par cette conversation. Cette belle princesse ne put refuser son coeur. à un homme qui l'avait possédé autrefois et qui venait de tout abandonner pour elle. Elle consentit donc à recevoir ses voeux et lui permit de croire qu'elle n'était pas insensible à sa passion. L'arrivée de la duchesse de Montpensier, sa belle-mère, finit cette conversation et empêcha le duc de Guise de lui faire voir les transports de sa joie. Quelque temps après, la cour sen allant à Blois, où la princesse de Montpensier la suivit, le mariage de Madame avec le roi de Navarre y fut conclu. Le duc de Guise, ne connaissant plus de grandeur ni de bonne fortune que celle d'être aimé de la princesse, vit avec joie la conclusion de ce mariage, qui l'aurait comblé de douleur dans un autre temps. Il ne pouvait si bien cacher son amour que le prince de Montpensier n'en entrevÃt quelque chose, lequel, n'étant plus maÃtre de sa jalousie, ordonna à la princesse sa femme de s'en aller à Champigny. Ce commandement lui fut bien rude; il fallut pourtant obéir. Elle trouva moyen de dire adieu en particulier au duc de Guise, mais elle se trouva bien embarrassée à lui donner des moyens sûrs pour lui écrire. Enfin, après avoir bien cherché, elle jeta les yeux sur le comte de Chabanes, qu'elle comptait toujours pour son ami, sans considérer qu'il était son amant. Le duc de Guise, qui savait à quel point ce comte était ami du prince de Montpensier, fut épouvanté qu'elle le choisit pour son confident, mais elle lui répondu si bien de sa fidélité, qu'elle le rassura. Il se sépara d'elle avec toute la douleur que peut causer l'absence d'une personne que l'on aime passionnément. Le comte de Chabanes, qui avait toujours été malade à Paris pendant le séjour de la princesse de Montpensier à Blois, sachant qu'elle s'en allait à Champigny, la fut trouver sur le chemin pour s'en aller avec elle. Elle lui fit mille caresses et mille amitiés et lui témoigna une impatience extraordinaire de s'entretenir en particulier, dont il fut d'abord charmé. Mais quel fut son étonnement et sa douleur, quand il trouva que cette impatience n'allait qu'à lui conter qu'elle était passionnément aimée du duc de Guise et qu'elle l'aimait de la même sorte! Son étonnement et sa douleur ne lui permirent pas de répondre. La princesse, qui était pleine de sa passion et qui trouvait un soulagement extrême à lui en parler, ne prit pas garde à son silence et se mit à lui conter jusques aux plus petites circonstances de son aventure. Elle lui dit comme le duc de Guise et elles étaient convenus de recevoir par son moyen les lettres qu'ils devaient s'écrire, Ce fut le dernier coup pour le comte de Chabanes de voir que sa maÃtresse voulait qu'il servÃt son rival et qu'elle lui en faisait la proposition comme d'une chose qui lui devait être agréable. Il était si absolument maÃtre de lui-même, qu'il lui cacha tous ses sentiments. Il lui témoigna seulement la surprise où il était de voir en elle un si grand changement. Il espéra d'abord que ce changement, qui lui ôtait toutes ses espérances, lui ôterait aussi toute sa passion, mais il trouva cette princesse si charmante, sa beauté naturelle étant encore de beaucoup augmentée par une certaine grâce que lui avait donnée l'air de la cour, qu'il sentit qu'il l'aimait plus que jamais. Toutes les confidences qu'elle lui faisait sur la tendresse et sur la délicatesse de ses sentiments pour le duc de Guise, lui faisaient voir le prix du coeur de cette princesse et lui donnaient un désir de le posséder. Comme sa passion était la plus extraordinaire du monde, elle produisit l'effet du monde le plus extraordinaire, car elle le fit résoudre de porter à sa maÃtresse les lettres de son rival. L'absence du duc de Guise donnait un chagrin mortel à la princesse de Montpensier; et, n'espérant de soulagement que par ses lettres, elle tourmentait incessamment le comte de Chabanes pour savoir s'il n'en recevait point et se prenait quasi à lui de n'en avoir pas assez tôt. Enfin, il en reçut par un gentilhomme du duc de Guise et il les lui apporta à l'heure même, pour ne lui retarder pas sa joie d'un moment. Celle qu'elle eut de les recevoir fut extrême. Elle ne prit pas le soin de la lui cacher et lui fit avaler à longs traits tout le poison imaginable en lui lisant ces lettres et la réponse tendre et galante qu'elle y faisait. Il porta cette réponse au gentilhomme avec la même fidélité avec laquelle il avait rendu la lettre à la princesse, mais avec plus de douleur. Il se consola pourtant un peu dans la pensée que cette princesse ferait quelque réflexion sur ce qu'il faisait pour elle et qu'elle lui en témoignerait de la reconnaissance. La trouvant de jour en jour plus rude pour lui, par le chagrin qu'elle avait d'ailleurs, il prit la liberté de la supplier de penser un peu à ce qu'elle lui faisait souffrir. La princesse, qui n'avait dans la tête que le duc de Guise et qui ne trouvait que lui seul digne de l'adorer, trouva si mauvais qu'un autre que lui osât penser à elle, qu'elle maltraita bien plus le comte de Chabanes en cette occasion qu'elle n'avait fait la première fois qu'il lui avait parlé de son amour. Quoique sa passion, aussi bien que sa patience, fût extrême et à toutes épreuves, il quitta la princesse et s'en alla chez un de ses amis, dans le voisinage de Champigny, d'où il lui écrivit avec toute la rage que pouvait causer un si étrange procédé, mais néanmoins avec tout le respect qui était dû à sa qualité, et, par sa lettre, il lui disait un éternel adieu. La princesse commença à se repentir d'avoir si peu ménagé un homme sur qui elle avait tant de pouvoir; et, ne pouvant se résoudre à le perdre, non seulement à cause de l'amitié qu'elle avait pour lui, mais aussi par l'intérêt de son amour, pour lequel il lui était tout à fait nécessaire, elle lui manda qu'elle voulait absolument lui parler encore une fois et après cela; qu'elle le laissait libre de faire ce qu'il lui plairait. L'on est bien faible quand on est amoureux. Le comte revint et, en moins d'une heure, la beauté de la princesse de Montpensier, son esprit et quelques paroles obligeantes le rendirent plus soumis qu'il n'avait jamais été, et il lui donna même des lettres du duc de Guise qu'il venait de recevoir. Pendant ce temps, l'envie qu'on eut à la cour d'y faire venir les chefs du parti huguenot, pour cet horrible dessein qu'on exécuta le jour de la S. Barthélemy, fit que le roi, pour les mieux tromper, éloigna de lui tous les princes de la maison de Bourbon et tous ceux de la maison de Guise. Le prince de Montpensier s'en retourna à Champigny pour achever d'accabler la princesse sa femme par sa présence. Le duc de Guise s'en alla à la campagne chez le cardinal de Lorraine, son oncle. L'amour et l'oisiveté mirent dans son esprit un si violent désir de voir la princesse de Montpensier, que, sans considérer ce qu'il hasardait pour elle et pour lui, il feignit un voyage et, laissant tout son train dans une petite ville, il prit avec lui ce seul gentilhomme qui avait déjà fait plusieurs voyages à Champigny et il s'y en alla en poste. Comme il n'avait point d'autre adresse que celle du comte de Chabanes, il lui fit écrire un billet par ce même gentilhomme par lequel ce gentilhomme le priait de le venir trouver en un lieu qu'il lui marquait. Le comte de Chabanes, croyant que c'était seulement pour recevoir des lettres du duc de Guise, l'alla trouver, mais il fut extrêmement surpris quand il vit le duc de Guise et il n'en fut pas moins affligé. Ce duc, occupé de son dessein, ne prit non plus garde à l'embarras du comte que la princesse de Montpensier avait fait à son silence lorsqu'elle lui avait conté son amour. Il se mit à lui exagérer sa passion et à lui faire comprendre qu'il mourrait infailliblement, s'il ne lui faisait obtenir de la princesse la permission de la voir. Le comte de Chabanes lui répondit froidement qu'il dirait à cette princesse tout ce qu'il souhaitait qu'il lui dÃt et qu'il viendrait lui en rendre réponse. Il s'en retourna à Champigny, combattu de ses propres sentiments, mais avec une violence qui lui ôtait quelquefois toute sorte de connaissance. Souvent il prenait résolution de renvoyer le duc de Guise sans le dire à la princesse de Montpensier, mais la fidélité exacte qu'il lui avait promise, changeait aussitôt sa résolution. Il arriva auprès d'elle sans savoir ce qu'il devait faire; et, apprenant que le prince de Montpensier était à la chasse, il alla droit à l'appartement de la princesse qui, le voyant troublé, fit retirer aussitôt ses femmes pour savoir le sujet de ce trouble. Il lui dit, en se modérant le plus qu' lui fut possible, que le duc de Guise était à une lieue de Champigny et qu'il souhaitait passionnément de la voir. La princesse fit un grand cri à cette nouvelle, et son embarras ne fut guère moindre que celui du comte. Son amour lui présenta d'abord la joie qu'elle aurait de voir un homme qu'elle aimait si tendrement. Mais, quand elle pensa combien cette action était contraire à sa vertu et qu'elle ne pouvait voir son amant qu'en le faisant entrer la nuit chez elle à l'insu de son mari, elle se trouva dans une extrémité épouvantable. Le comte de Chabanes attendait sa réponse comme une chose qui allait décider de sa vie ou de sa mort. Jugeant de l'incertitude de la princesse par son silence, il prit la parole pour lui représenter tous les périls où elle s'exposerait par cette entrevue. Et, voulant lui faire voir qu'il ne lui tenait pas ce discours pour ses intérêts, il lui dit - Si après tout ce que je viens de vous représenter, Madame, votre passion est la plus forte et que vous désiriez voir le duc de Guise, que ma considération ne vous en empêche point, si celle de votre intérêt ne le fait pas. Je ne veux point priver d'une si grande satisfaction une personne que j'adore, ni être cause qu'elle cherche des personnes moins fidèles que moi pour se la procurer. Oui, madame, si vous le voulez, j'irai quérir le duc de Guise dès ce soir; car il est trop périlleux de le laisser plus longtemps où il est, et je l'amènerai dans votre appartement. - Mais par où et comment? interrompit la princesse. - Ah! Madame, s'écria le comte, c'en est fait, puisque vous ne délibérez plus que sur les moyens. Il viendra, madame, ce bienheureux amant. Je l'amènerai par le parc; donnez ordre seulement à celle de vos femmes à qui vous vous fiez le plus, qu'elle baisse, précisément à minuit, le petit pont-levis qui donne de votre antichambre dans le parterre, et ne vous inquiétez pas du reste. En achevant ces paroles, il se leva; et, sans attendre d'autre consentement de la princesse de Montpensier, il remonta à cheval et vint trouver le duc de Guise qui l'attendait avec une impatience extrême. La princesse de Montpensier demeura si troublée, qu'elle fut quelque temps sans revenir à elle. Son premier mouvement fut de faire rappeler le comte de Chabanes pour lui défendre d'amener le duc de Guise, mais elle n'en eut pas la force. Elle pensa que, sans le rappeler, elle n'avait qu'à ne point faire abaisser le pont. Elle crut qu'elle continuerait dans cette résolution. Quand l'heure de l'assignation approcha, elle ne put résister davantage à l'envie de voir un amant qu'elle croyait si digne d'elle, et elle instruisit une de ses femmes de tout ce qu'il fallait faire pour introduire le duc de Guise dans son appartement. Cependant, et ce duc, et le comte de Chabanes, approchaient de Champigny, mais dans un état bien différent. Le duc abandonnait son âme à la joie et à tout ce que l'espérance inspire de plus agréable, et le comte s'abandonnait à un désespoir et à une rage qui le poussèrent mille fois à donner de son épée au travers du corps de son rival. Enfin ils arrivèrent au parc de Champigny, où ils laissèrent leurs chevaux à l'écuyer du duc de Guise, et, passant par des brèches qui étaient aux murailles, ils vinrent dans le parterre. Le comte de Chabanes, au milieu de son désespoir, avait toujours quelque espérance que la raison reviendrait à la princesse de Montpensier et qu'elle prendrait enfin la résolution de ne point voir le duc de Guise. Quand il vit ce petit pont abaissé, ce fut alors qu'il ne put douter du contraire, et ce fut aussi alors qu'il fut tout prêt à se porter aux dernières extrémités. Mais, venant à penser que, s'il faisait du bruit, il serait ouï apparemment du prince de Montpensier, dont l'appartement donnait sur le même parterre, et que tout ce désordre tomberait ensuite sur la personne qu'il aimait le plus, sa rage se calma à l'heure même, et il acheva de conduire le duc de Guise aux pieds de sa princesse. Il ne put se résoudre à être témoin de leur conversation, quoique la princesse lui témoignât le souhaiter, et qu'il l'eût bien souhaité lui-même. Il se retira dans un petit passage qui était du côté de l'appartement du prince de Montpensier, ayant dans l'esprit les plus tristes pensées qui aient jamais occupé l'esprit d'un amant. Cependant, quelque peu de bruit qu'ils eussent fait en passant sur le pont, le prince de Montpensier qui, par malheur, était éveillé dans ce moment l'entendit et fit lever un de ses valets de chambre pour voir ce que c'était. Le valet de chambre mit la tête à la fenêtre et, au travers de l'obscurité de la nuit, il aperçut que le pont était abaissé. Il en avertit son maÃtre qui lui commanda en même temps d'aller dans le parc voir ce que ce pouvait être. Un moment après, il se leva lui-même, étant inquiété de ce qu'il lui semblait avoir ouï marcher quelqu'un, et il s'en vint droit à l'appartement de la princesse, sa femme, qui répondait sur le pont. Dans le moment qu'il approchait de ce petit passage où était le comte de Chabanes, la princesse de Montpensier, qui avait quelque honte de se trouver seule avec le duc de Guise, pria plusieurs fois le comte d'entrer dans sa chambre. Il s'en excusa toujours et, comme elle l'en pressait davantage, possédé de rage et de fureur, il lui répondit si haut, qu'il fut ouï du prince de Montpensier, mais si confusément que ce prince entendit seulement la voix d'un homme, sans distinguer celle du comte. Une pareille aventure eût donné de l'emportement à un esprit, et plus tranquille, et moins jaloux. Aussi mit-elle d'abord l'excès de la rage et de la fureur, dans celui du prince. Il heurta aussitôt à la porte avec impétuosité et, criant pour se faire ouvrir il donna la plus cruelle surprise du monde à la princesse, au duc de Guise et au comté de Chabanes. [Ce] dernier, entendant la voix du prince, comprit d'abord qu'il était impossible de l'empêcher de croire qu'il n'y eût quelqu'un dans la chambre de la princesse sa femme et, la grandeur de sa passion lui montrant en ce moment que, s'il y trouvait le duc de Guise, Mme de Montpensier aurait la douleur de le voir tuer à ses yeux et que la vie même de cette princesse ne serait pas en sûreté, il se résolut, par une générosité sans exemple, de s'exposer pour sauver une maÃtresse ingrate et un rival aimé. Pendant que le prince de Montpensier donnait mille coups à la porte, il vint au duc de Guise, qui ne savait quelle résolution prendre, et il le mit entre les mains de cette femme de Mme de Montpensier qui l'avait fait entrer par le pont, pour le faire sortir par le même lieu, pendant qu'il s'exposerait à la fureur du prince. A peine le duc était hors l'antichambre que le prince, ayant enfoncé la porte du passage, entra dans la chambre comme un homme possédé de fureur et qui cherchait sur qui la faire éclater. Mais quand il ne vit que le comte de Chabanes, et qu'il le vit immobile, appuyé sur la table, avec un visage où la tristesse était peinte, il demeura immobile lui-même et la surprise de trouver, et seul, et la nuit, dans la chambre de sa femme l'homme du monde qu'il aimait le mieux, le mit hors d'état de pouvoir parler. La princesse était à demi évanouie sur des carreaux et jamais peut-être la fortune n'a mis trois personnes en des états si pitoyables. Enfin le prince de Montpensier, qui ne croyait pas voir ce qu'il voyait, et qui voulait démêler ce chaos où il venait de tomber, adressant la parole au comte, d'un ton qui faisait voir qu'il avait encore de l'amitié pour lui - Que vois-je? lui dit-il. Est-ce une illusion ou une vérité? Est-il possible qu'un homme que j'ai aimé si chèrement choisisse ma femme entre toutes les autres femmes pour la séduire? Et vous, Madame, dit-il à la princesse en se tournant de son côté, n'était-ce point assez de m'ôter votre coeur et mon honneur, sans m'ôter le seul homme qui me pouvait consoler de ces malheurs? Répondez-moi l'un ou l'autre, leur dit-il, et éclaircissez-moi d'une aventure que je ne puis croire telle qu'elle me paraÃt. La princesse n'était pas capable de répondre et le comte de Chabanes ouvrit plusieurs fois la bouche sans pouvoir parler - Je suis criminel à votre égard, lui dit-il enfin, et indigne de l'amitié que vous avez eue pour moi, mais ce n'est pas la manière que vous pouvez vous l'imaginer. Je suis plus malheureux que vous et plus désespéré. Je ne saurais vous en dire davantage. Ma mort vous vengera et, si vous voulez me la donner tout à l'heure, vous me donnerez la seule chose qui peut m'être agréable. Ces paroles, prononcées avec une douleur mortelle et avec un air qui marquait son innocence, au lieu d'éclaircir le prince de Montpensier, lui persuadaient de plus en plus qu'il y avait quelque mystère dans cette aventure, qu'il ne pouvait deviner, et, son désespoir s'augmentant par cette incertitude - Otez-moi la vie vous-même, lui dit-il, ou donnez-moi l'éclaircissement de vos paroles; je n'y comprends rien. Vous devez cet éclaircissement à mon amitié. Vous le devez à ma modération, car tout autre que moi aurait déjà vengé sur votre vie un affront si sensible. - Les apparences sont bien fausses, interrompit le comte. - Ah! c'est trop, répliqua le prince; il faut que je me venge et puis je m'éclaircirai à loisir. En disant ces paroles, il s'approcha du comte de Chabanes avec l'action d'un homme emporté de rage. La princesse, craignant quelque malheur ce qui ne pouvait pourtant pas arriver, son mari n'ayant point d'épée, se leva pour se mettre entre-deux. La faiblesse où elle était la fit succomber à cet effort et, comme elle approchait de son mari, elle tomba évanouie à ses pieds. Le prince fut encore plus touché de cet évanouissement qu'il n'avait été de la tranquillité où il avait trouvé le comte lorsqu'il s'était approché de lui; et, ne pouvant plus soutenir la vue de deux personnes qui lui donnaient des mouvements si tristes, il tourna la tête de l'autre côté et se laissa tomber sur le lit de sa femme, accablé d'une douleur incroyable. Le comte de Chabanes, pénétré de repentir d'avoir abusé d'une amitié dont il recevait tant de marques et ne trouvant pas qu'il pût jamais réparer ce qu'il venait de faire, sortit brusquement de la chambre et, passant par l'appartement du prince dont il trouva les portes ouvertes, il descendit dans la cour. Il se fit donner des chevaux et s'en alla dans la campagne, guidé par son seul désespoir. Cependant le prince de Montpensier, qui voyait que la princesse ne revenait point de son évanouissement, la laissa entre les mains de ses femmes et se retira dans sa chambre avec une douleur mortelle. Le duc de Guise, qui était sorti heureusement du parc, sans savoir quasi ce qu'il faisait tant il était troublé, s'éloigna de Champigny de quelques lieues, mais il ne put s'éloigner davantage sans savoir des nouvelles de la princesse. Il s'arrêta dans une forêt et envoya son écuyer pour apprendre du comte de Chabanes ce qui était arrivé de cette terrible aventure. L'écuyer ne trouva point le comte de Chabanes, mais il apprit d'autres personnes que la princesse de Montpensier était extraordinairement malade. L'inquiétude du duc de Guise fut augmentée par ce que lui dit son écuyer et, sans la pouvoir soulager, il fut contraint de s'en retourner trouver ses oncles pour ne pas donner de soupçon par un plus long voyage. L'écuyer du duc de Guise lui avait rapporté la vérité, en lui disant que Mme de Montpensier était extrêmement, malade, car il était vrai que, sitôt que les femmes l'eurent mise dans son lit, la fièvre lui prit si violemment et avec des rêveries si horribles que, dès le second jour, l'on craignit pour sa vie. Le prince feignit d'être malade, afin qu'on ne s'étonnât de ce qu'il n'entrait pas dans la chambre de sa femme. L'ordre qu'il reçut de s'en retourner à la cour, où l'on rappelait tous les princes catholiques pour exterminer les huguenots, le tira de l'embarras où il était. Il s'en alla à Paris, en sachant ce qu'il avait à espérer ou à craindre du mal de la princesse sa femme. Il n'y fut pas sitôt arrivé qu'on commença d'attaquer les huguenots en la personne d'un de leurs chefs, l'amiral de Châtillon et, deux joues après, l'on fit cet horrible massacre, si renommé par toute l'Europe. Le pauvre comte de Chabanes, qui s'était venu cacher dans l'extrémité de l'un des faubourgs de Paris pour s'abandonner entièrement à sa douleur, fut enveloppé dans la mine des huguenots. Les personnes chez qui il s'était retiré, l'ayant reconnu et s'étant souvenues qu'on l'avait soupçonné d'être de ce parti, le massacrèrent cette même nuit qui fut si funeste à tant de gens. Le matin, le prince de Montpensier, allant donner quelques ordres hors la ville, passa dans la rue où était le corps de Chabanes. Il fut d'abord saisi d'étonnement à ce pitoyable spectacle; ensuite son amitié se réveillant, elle lui donna de la douleur, mais le souvenir de l'offense qu'il croyait avoir reçue du comte lui donna enfin de la joie, et il fut bien aise de se voir vengé par les mains de la fortune. Le duc de Guise, occupé du désir de venger la mort de son père et, peu après, rempli de la joie de l'avoir vengée, laissa peu à peu éloigner de son âme le soin d'apprendre des nouvelles de la princesse de Montpensier, et, trouvant la marquise de Noirmoutier, personne de beaucoup d'esprit et de beauté, et qui donnait plus d'espérance que cette princesse, il s'y attacha entièrement et l'aima avec une passion démesurée et qui lui dura jusques à la mort. Cependant, après que le mal de Mme de Montpensier fut venu au dernier point, il commença à diminuer. La raison lui revint et, se trouvant un peu soulagé par l'absence du prince son mari, elle donna quelque espérance de sa vie. Sa santé revenait pourtant avec grande peine, par le mauvais état de son esprit; et son esprit fut travaillé de nouveau, quand elle se souvint qu'elle n'avait eu aucune nouvelle du duc de Guise pendant toute sa maladie. Elle s'enquit de ses femmes si elles n'avaient vu personne, si elles n'avaient point de lettres, et, ne trouvant rien de ce qu'elle eût souhaité, elle se trouva la plus malheureuse du monde d'avoir tout hasardé pour un homme qui l'abandonnait. Ce lui fut encore un nouvel accablement d'apprendre la mort du comte de Chabanes, qu'elle sut bientôt par les soins du prince son mari. L'ingratitude du duc de Guise lui fit sentir plus vivement la perte d'un homme dont elle connaissait si bien la fidélité. Tant de déplaisirs si pressants la remirent bientôt dans un état aussi dangereux que celui dont elle était sortie. Et, comme Mme de Noirmoutier était une personne qui prenait autant de soin de faire éclater ses galanteries que les autres en prennent de les cacher, celles de M. de Guise et d'elle étaient si publiques que, tout éloignée et toute malade qu'était la princesse de Montpensier, elle les apprit de tant de côtés qu'elle n'en put douter. Ce fut le coup mortel pour sa vie. Elle ne put résister à la douleur d'avoir perdu l'estime de son mari, le coeur de son amant et le plus parfait ami qui fut jamais. Elle mourut en peu de jours, dans la fleur de son âge, une des plus belles princesses du monde, et qui aurait été sans doute la plus heureuse, si la vertu et la prudence eussent conduit toutes ses actions. Zaïde Histoire espagnole Première partie L'Espagne commençait à s'affranchir de la domination des Maures. Ses peuples, qui s'étaient retirés dans les Asturies, avaient fondé le royaume de Léon; ceux qui s'étaient retirés dans les Pyrénées avaient donné naissance au royaume de Navarre il s'était élevé des comtes de Barcelone et d'Aragon. Ainsi, cent cinquante ans après l'entrée des Maures, plus de la moitié de l'Espagne se trouvait délivrée de leur tyrannie. De tous les princes chrétiens qui y régnaient alors, il n'y en avait point de si redoutable qu'Alphonse, roi de Léon, surnommé le Grand. Ses prédécesseurs avaient joint la Castille à leur royaume. D'abord cette province avait été commandée par des gouverneurs qui, dans la suite des temps, avaient rendu le gouvernement héréditaire, et l'on commençait à craindre qu'ils ne s'en voulussent faire souverains. Ils s'appelaient tous comtes de Castilleles plus puissants étaient Diégo Porcellos et Nugnez Fernando. Ce dernier était considérable par ses grandes terres et par la grandeur de son esprit; ses enfants servaient encore à soutenir sa fortune et à l'augmenter. Il avait un fils et une fille d'une beauté extraordinaire; le fils qui s'appelait Consalve, ne voyait rien dans toute l'Espagne qu'on lui pût comparer; et son esprit et sa personne avaient quelque chose de si admirable, qu'il semblait que le ciel l'eût formé d'une manière différente du reste des hommes Des raisons importantes l'avaient obligé à quitter la cour de Léon, et les sensibles déplaisirs qu'il y avait reçus, lui avaient inspiré le dessein de sortir de l'Espagne et de se retirer dans quelque solitude. Il vint dans l'extrémité de la Catalogne à dessein de s'embarquer sur le premier vaisseau qui ferait voile pour une des Ãles de la Grèce. Le peu d'attention qu'il avait à toutes choses, lui faisait souvent prendre d'autres chemins que ceux qu'on lui avait enseignés. Au lieu de passer la rivière d'Ebre à Tortose, comme on lui avait dit qu'il le fallait faire, il suivit ses bords quasi jusques à son embouchure. Il s'aperçut alors qu'il s'était beaucoup détourné, il s'enquit s'il n'y avait point de barque, on lui dit qu'il n'en trouverait pas au lieu où il était, mais que, s'il voulait aller jusques à un petit port assez proche, il en trouverait qui le mèneraient à Tarragone. Il marcha jusques à ce port; il descendit de cheval et demanda à quelques pêcheurs s'il n'y avait point de chaloupes prêtes à partir. Comme il leur parlait, un homme qui se promenait tristement le long de la mer, surpris de sa beauté et de sa bonne mine, s'arrêta pour le regarder, et, ayant entendu ce qu'il demandait à ces pêcheurs, prit la parole et lui dit que toutes les barques étaient allées à Tarragone, qu'elles ne reviendraient que le lendemain et qu'il ne pourrait s'embarquer que le jour d'après. Consalve, qui ne l'avait point aperçu, tourna la tête pour voir d'où venait cette voix qui ne lui paraissait pas celle d'un pêcheur. Il fut étonné de la bonne mine de cet inconnu, comme cet inconnu l'avait été de la sienne; il lui trouva quelque chose de noble et de grand, et même de la beauté, quoiqu'on vit bien qu'il avait passé la première jeunesse. Consalve n'était guère en état de s'arrêter à d'autres choses qu'à ses pensées; néanmoins la rencontre de cet inconnu dans un lieu si désert lui donna quelque attention; il le remercia de l'avoir instruit de ce qu'il voulait savoir et il le demanda ensuite aux pêcheurs où il pourrait aller passer la nuit. Il n'y a que ces cabanes que vous voyez lui dit l'inconnu et vous n'y sauriez être commodément. Je ne laisserai pas d'y aller chercher du repos, reprit Consalve, il y a quelques jours que je marche sans en avoir, et je sens bien que mon corps en a plus de besoin que mon esprit ne lui en laisse. L'inconnu fut touché de la manière triste dont il avait prononcé ce peu de paroles et il ne douta point que ce ne fût quelque malheureux. La conformité qui lui parut dans leurs fortunes, lui donna pour Consalve cette sorte d'inclination que nous avons pour les personnes dont nous croyons les dispositions pareilles aux nôtres. Vous ne trouverez point ici de retraite digne de vous, lui dit-il, mais, si vous voulez en accepter une que je vous offre proche d'ici, vous y serez plus commodément que dans ces cabanes. Consalve avait tant d'aversion pour la société des hommes, qu'il refusa d'abord l'offre que lui faisait cet inconnu, mais enfin, les instantes prières qu'il lui en fit et le besoin de prendre du repos, le contraignirent de l'accepter. Il le suivit et, après avoir marché quelque temps, il découvrit une maison assez basse, bâtie d'une manière simple et néanmoins propre et régulière. La cour n'était fermée que de palissades de grenadiers, non plus que le jardin, qui était séparé d'un bois par un petit ruisseau. Si Consalve eût pu prendre plaisir à quelque chose, l'agréable situation de cette demeure lui en aurait donné. Il demanda à l inconnu si ce lieu était son séjour ordinaire et si le hasard ou son choix l'y avait conduit. - Il y a quatre ou cinq ans que je l'habite, lui répondit-il, je n'en sors que pour me promener sur le bord de la mer et, depuis que j'y demeure, je puis vous dire que vous êtes la seule personne raisonnable que j'y ai vue. La tempête fait souvent briser des vaisseaux contre cette côte, qui est assez dangereuse. J'ai sauvé la vie à quelques malheureux que j'ai retirés chez moi, mais tous ceux que la fortune y a conduits, n'ont été que des étrangers avec qui je n'eusse pu trouver de conversation quand j'en aurais cherché. Vous pouvez juger, par le lieu où je demeure, que je n'en cherche pas. J'avoue néanmoins que je suis sensible au plaisir de voir une personne comme vous. - Pour moi, repartit Consalve, je fuis tous les hommes, et j'ai tant de sujet de les fuir que, si vous le saviez, vous ne trouveriez pas étrange que j'eusse eu tant de peine à accepter l'offre que vous m'avez faite; vous jugeriez au contraire qu'après les malheurs qu'ils m'ont causés, je dois renoncer pour jamais à toute sorte de société. - Si vous n'avez à vous plaindre que des autres, répliqua l'inconnu, et que vous n'ayez rien à vous reprocher, il y en a de plus malheureux que vous, et vous l'êtes moins que vous ne pensez. Le comble des malheurs, s'écria-t-il, c'est d'avoir à se plaindre de soi même, c'est d'avoir creusé les abÃmes où l'on est tombé, c'est d'avoir été injuste et déraisonnable; enfin c'est d'avoir été la cause des infortunes dont on est accablé! - Je vois bien, reprit Consalve, que vous ressentez les maux dont vous me parlez, mais qu'ils sont différents de ceux qu'on ressent, quand, sans l'avoir mérité, on est trompé, trahi et abandonné de tout ce qu'on aimait davantage! - A ce que j'en puis juger, lui repartit l'inconnu, vous abandonnez votre patrie pour fuir des personnes qui vous ont trahi et qui sont la cause de vos déplaisirs, mais jugez ce que vous auriez à souffrir, s'il fallait que vous fussiez continuellement avec ces personnes qui font le malheur de votre vie! Songez que c'est l'état où je suis, que j'ai fait tout le malheur de la mienne, et que je ne puis me séparer de moi même, pour qui j'ai tant d'horreur, pour qui j'ai tant de sujet d'en avoir, non seulement par ce que j'en souffre, mais par ce qu'en a souffert ce que j'aimais plus que toutes choses. - Je ne me plaindrais pas, dit Consalve, si je n'avais à me plaindre que de moi. Vous vous trouvez malheureux, parce que vous avez sujet de vous haïr, mais si vous avez été aimé fidèlement de la personne que vous aimiez, pouvez vous ne vous pas trouver heureux? Peut être l'avez vous perdue par votre faute, mais vous avez au moins la consolation de penser qu'elle vous a aimé, et qu'elle vous aimerait encore, si vous n'aviez rien fait qui lui eût pu déplaire. Vous ne connaissez point l'amour, si cette seule pensée ne vous empêche d'être malheureux, et vous vous aimez vous même plus que votre maÃtresse, si vous aimez mieux avoir sujet de vous plaindre d'elle que de vous. Le peu de partque vous avez sans doute à vos malheurs répliqua l'inconnu, vous empêche de comprendre quel surcroÃt de douleur ce vous serait d'y avoir contribué, mais croyez, par la cruelle expérience que j'en fais que de perdre par sa faute ce qu'on aime est une sorte d'affliction qui se fait sentir plus vivement que toutes les autres. Comme il achevait ces paroles, ils arrivèrent dans la maison; que Consalve trouva aussi jolie par dedans qu'elle lui avait paru par dehors. Il passa la nuit avec beaucoup d'inquiétude; le matin, la fièvre lui prit, et les jours suivants elle devint si violente qu'on appréhenda pour sa vie. L'inconnu en fut sensiblement affligé, et son affliction augmenta encore par l'admiration que lui donnaient toutes les paroles et toutes les actions de Consalve. Il ne put se défendre du désir de savoir qui était une personne qui lui paraissait si extraordinaire, il fit plusieurs questions à celui qui le servait, mais l'ignorance où cet homme était lui-même du nom et de la qualité de son maÃtre, l'empêcha de satisfaire sa curiosité; il lui dit seulement qu'il se faisait appeler Théodoric et qu'il ne croyait pas que ce fût son nom véritable. Enfin, après plusieurs jours de fièvre continue, les remèdes et la jeunesse tirèrent Consalve hors de péril. L'inconnu essayait de le divertir des tristes pensées dont il le voyait occupé; il ne le quittait point et, bien qu'ils ne parlassent que de choses générales, parce qu'ils ne connaissaient pas encore, ils se surprirent l'un et l'autre par la grandeur de leur esprit. Cet inconnu avait caché son nom et sa naissance depuis qu'il était dans cette solitude, mais il voulut bien l'apprendre à Consalve. Il lui dit qu'il était du royaume de Navarre, qu'il s'appelait Alphonse Ximénès et que ses malheurs l'avaient obligé de chercher me retraite où il pût en liberté regretter ce qu'il avait perdu. Consalve fut surpris du nom de Ximénès, il le connaissait pour un des plus illustres de la Navarre, et il fut vivement touché de la confiance qu'Alphonse lui témoignait. Quelque raison qu'il eût de haïr les hommes, il ne put s'empêcher d'avoir pour lui une amitié dont il ne se croyait plus capable. Cependant sa santé commençait à revenir et; lorsqu'il se porta assez bien pour s'embarquer, il sentit qu'il ne quitterait Alphonse qu'avec peine. Il lui parla de leur séparation et du dessein qu'il avait de se retirer aussi dans quelque solitude. Alphonse en fut surpris et affligé; il s'était tellement accoutumé à la douceur de laconversation de Consalve, qu'il n'en pouvait regarder la perte qu'avec douleur. Il lui dit d'abord qu'il n'était pas en état de partir et il essaya ensuite de lui persuader de n'aller point chercher d'autre désert que celui où le hasard l'avait conduit. - Je n'oserais espérer, lui dit il, de vous rendre cette demeure moins ennuyeuse, mais il me semble que, dans une retraite aussi longue que celle que vous entreprenez, il y a quelque douceur à n'être pas tout à fait seul. Mes malheurs ne pouvaient recevoir de consolation; je crois néanmoins eue j'aurais trouvé du soulagement, si, dans de certains moments; j'avais eu quelqu'un avec qui me plaindre. Vous trouverez ici la même solitude qu'au lieu où vous voulez aller et vous aurez la commodité de parler, quand vous le voudrez, à une personne qui a une admiration extraordinaire pour votre mérite et une sensibilité pour vos malheurs égale à celle qu'[elle] a pour les siens. Le discours d'Alphonse ne persuada pas d'abord Consalve, mais peu à peu il fit de l'impression sur son esprit, et la considération d'une retraite privée de toute sorte de compagnie, jointe à l'amitié qu'il avait déjà pour lui, le fit résoudre à demeurer dans cette maison. La seule chose qui lui donnait de l'embarras était la crainte d'être reconnu. Alphonse le rassura par son exemple et lui dit que ce lieu était tellement éloigne de tout commerce, que, depuis tant d'années qu'il s'y était retiré, il n'avait jamais vu personne qui l'eût pu reconnaÃtre. Consalve se rendit à ses raisons, et, après s'être dit l'un à l'autre tout ce que se peuvent dire les deux plus honnêtes hommes du monde qui s'engagent à vivre ensemble, il envoya de ses pierreries à un marchand de Tarragone, afin qu'il lui fit tenir les choses dont il pourrait avoir besoin. Voilà donc Consalve établi dans cette solitude avec la résolution de n'en sortir jamais; le voilà abandonné à la réflexion de ses malheurs, où il ne trouvait d'autre consolation que de croire qu'il ne pouvait plus lui en arriver, mais la fortune lui fit voir quelle trouve jusque dans les déserts ceux qu'elle a résolu de persécuter. Sur la fin de l'automne que les vents commencent à rendre la mer redoutable, il s'alla promener plus matin que de coutume. Il y avait eu pendant la nuit une tempête épouvantable, et la mer, qui était encore agitée, entretenait agréablement sa rêverie. Il considéra quelque temps l'in constance de cet élément, avec les mêmes réflexions qu'il avait accoutumé de faire sur sa fortune; ensuite il jeta les yeux sur le rivage; il vit plusieurs marques du débris d'une chaloupe, et il regarda s'il ne verrait personne qui fût encore en état de recevoir du secours. Le soleil, qui se levait; fit briller à ses yeux quelque chose d'éclatant qu'il ne put distinguer d'abord et qui lui donna seulement la curiosité de s'en approcher. Il tourna ses pas vers ce qu'il voyait et; en s'approchant, il connut que c'était une femme magnifiquement habillée, étendue sur le sable et qui semblait y avoir été jetée par la tempête; elle était tournée d'une sorte qu'il ne pouvait voir son visage. Il la releva pour juger si elle était morte, mais quel fut son étonnement quand il vit, au travers des horreurs de la mort la plus grande beauté qu'il eût jamais vue! Cette beauté augmenta sa compassion et lui fit désirer que cette personne fût encore en état d'être secourue. Dans ce moment, Alphonse, qui l'avait suivi par hasard, s'approcha et lui aida à secourir. Leur peine ne fut pas inutile, ils virent qu'elle n'était pas morte, mais ils jugèrent qu'elle avait besoin d'un plus grand secours que celui qu'ils lui pouvaient donner en ce lieu. Comme ils étaient assez proches de leur demeure, ils se résolurent de l'y porter. Sitôt qu'elle y fut, Alphonse envoya quérir des remèdes pour la soulager et des femmes pour la servir. Lorsque ces femmes furent venues et qu'on leur eut laissé la liberté de la mettre au lit, Consalve revint dans la chambre et regarda cette inconnue avec plus d'attention qu'il n'avait encore fait. Il fut surpris de la proportion de ses traits et de la délicatesse de son visage; il regarda avec étonnement la beauté de sa bouche et la blancheur de sa gorge; enfin il était si charmé de tout ce qu'il voyait dans cette étrangère, qu'il était prêt de s'imaginer que ce n'était pas une personne mortelle. Il passa une partie de la nuit sans pouvoir s'en éloigner. Alphonse lui conseilla d'aller prendre du repos, mais il lui répondit qu'il avait si peu accoutumé d'en trouver, qu'il était bien aise d'avoir une occasion de n'en pas chercher inutilement. Sur le matin, on s'aperçut que cette inconnue commençait à revenir, elle ouvrit les yeux et, comme la clarté lui fit d'abord quelque peine, elle les tourna languissamment du côté de Consalve et lui fit voir de grands yeux noirs d'une beauté qui leur était si particulière, qu'il semblait qu'ils étaient faits pour donner tout ensemble du respect et de l'amour Quelque temps après il parut que la connaissance lui revenait, qu'elle distinguait les objets et qu'elle était étonnée de ceux qui s'offraient à sa vue Consalve ne pouvait exprimer par ses paroles l'admiration qu'il avait pour elle; il faisait remarquer sa beauté à Alphonse, avec cet empressement que l'on a pour les choses qui nous surprennent et qui nous charment. Cependant la parole ne revenait point à cette étrangère. Consalve, jugeant qu'elle serait peut être encore longtemps dans le même état, se retira dans sa chambre. Il ne se put empêcher de faire réflexion sur son aventure. J'admire, disait il, que la fortune m'ait fait rencontrer une femme dans le seul état où je ne pouvais la fuir et où la compassion m'engage au contraire à en avoir soin. J'ai même de l'admiration pour sa beauté, mais, sitôt qu'elle sera guérie, je ne regarderai ses charmes que comme une chose dont elle ne se servira que pour faire plus de trahisons et plus de misérables. Qu'elle en fera, grands dieux! Et qu'elle en a peut être déjà fait! Quels yeux! Quels regards! Que je plains ceux qui peuvent en être touchés! Et que je suis heureux, dans mon malheur, que la cruelle expérience que j'ai faite de l'infidélité des femmes me garantisse d'en aimer jamais aucune! Après ces paroles, il eut quelque peine à s'endormir, et son sommeil ne fut pas long; il alla voir en quel état était l'étrangère; il la trouva beaucoup mieux, mais néanmoins elle ne parlait point encore, et la nuit et le jour suivant se passèrent sans quelle prononçât une seule parole. Alphonse ne put s'empêcher de faire voir à Consalve qu'il remarquait avec étonnement le soin qu'il avait d'elle. Consalve commença à s'en étonner lui-même, il s'aperçut qu'il lui était impossible de s'éloigner de cette belle personne, il croyait toujours qu'il arriverait quelque changement considérable à son mal pendant qu'il ne serait pas auprès d'elle. Comme il y était, elle prononça quelques paroles, il en sentit de la joie et du trouble. Il s'approcha pour entendre ce qu'elle disait, elle parla encore, et il fut surpris de voir qu'elle parlait une langue qui lui était inconnue. Néanmoins il avait déjà jugé par ses habits qu'elle était étrangère, mais, comme ces habits avaient quelque chose de ceux des Maures et qu'il savait bien l'arabe, il ne doutait point qu'il ne pût s'en faire entendre. Il lui parla en cette langue et il fut encore plus surpris de voir qu'elle ne l'entendait point. Il lui parla espagnol et italien, mais tout cela était inutile, et il jugeait bien, par son air attentif et embarrassé, qu'elle ne l'entendait pas mieux. Elle continuait néanmoins à parler et s'arrêtait quelquefois, comme pour attendre qu'on lui répondÃt. Consalve écoutait toutes ses parolesil lui semblait qu'à force de l'écouter il pourrait l'entendre. Il fit approcher tous ceux qui la servaient, afin de voir s'ils ne l'entendraient point, il lui présenta un livre espagnol pour juger si elle en connaissait les caractères, il lui parut qu'elle les connaissait, mais qu'elle ignorait cette langue. Elle était triste et inquiète, et sa tristesse et son inquiétude augmentaient celles de Consalve. Ils étaient en cet état quand Alphonse entra dans la chambre et y fit entrer avec lui une belle personne habillée de la même façon que l'inconnue. Sitôt qu'elles se virent, elles s'embrassèrent avec beaucoup de témoignages d'amitié. Celle qui entrait prononça plusieurs fois le mot de Zaïde d'une manière qui fit connaÃtre que c'était le nom de celle à qui elle parlait, et Zaïde prononça aussi tant de fois celui de Félime que l'on jugea bien que l'étrangère qui arrivait se nommait ainsi. Après qu'elles eurent parlé quelque temps, Zaïde se mit à pleurer avec toutes les marques d'une grande affliction, et elle fit signe de la main qu'on se retirât. On sortit de sa chambre. Consalve s'en alla avec Alphonse pour lui demander où l'on avait rencontré cette autre étrangère. Alphonse lui dit que les pêcheurs des cabanes voisines l'avaient trouvée sur le rivage, le même jour et au même état qu'il avait trouvé sa compagne. - Elles auront de la consolation d'être ensemble, reprit Consalve, mais, Alphonse, que pensez vous de ces deux personnes? A en juger parleurs habits, elles sont d'un rang au dessus du commun; comment se sont elles exposées sur la mer dans une petite barque? Ce n'est point dans un grand vaisseau qu'elles ont fait naufrage. Celle que vous avez amenée à Zaïde, lui a appris une nouvelle qui lui a donné beaucoup de douleur; enfin, il y a quelque chose d'extraordinaire dans leur fortune. - Je le crois comme vous, répondit Alphonse, je suis étonné de leur aventure et de leur beauté. Vous n'avez peut être pas remarqué celle de Félime, mais elle est grande, et vous en auriez été surpris si vous n'aviez point Zaïde. A ces mots ils se séparèrent; Consalve se trouva encore plus triste qu'il n'avait accoutumé de l'être, et il sentit que la cause de sa tristesse venait de l'affliction qu'il avait de ne pouvoir se faire entendre de cette inconnue Mais qu'ai je à lui dire, reprenait-il en lui même, et que veux-je apprendre d'elle? Ai-je dessein de lui conter mes malheurs? Ai-je envie de savoir les siens? La curiosité peut-elle se trouver dans un homme aussi malheureux que moi? Quel intérêt puis-je prendre aux infortunes d'une personne que je ne connais point? Pourquoi faut il que je sois triste de la voir affligée? Sont ce les maux que j'ai soufferts qui m'ont appris à avoir pitié de ceux des autres? Non, sans doute, ajoutait il, c'est la grande retraite où je suis, qui me fait avoir de l'attention pour une aventure assez extraordinaire en effet, mais qui ne m'occuperait pas longtemps si j'étais diverti par d'autres objets. Malgré cette réflexion, il passa la nuit sans dormir et une partie du jour avec beaucoup d'inquiétude parce qu'il ne put voir Zaïde. Sur le soir, on lui dit qu'elle était levée et qu'elle venait de prendre le chemin de la mer. Il la suivit et la trouva assise sur le rivage, les yeux tout baignés de larmes. Lorsqu'il s'approcha d'elle, elle s'avança vers lui avec beaucoup de civilité et de douceur, il fut surpris de trouver dans sa taille et dans ses actions autant de charmes qu'il en avait déjà trouvé dans son visage. Elle lui montra une petite barque qui était sur la mer et lui nomma plusieurs fois Tunis, comme s'adressantà lui pour demander qu'on l'y fit conduire. Il lui fit signe, en lui montrant la lune, qu'elle serait obéie lorsque cet astre, qui éclairait alors, aurait fait deux fois son tour. Elle parut comprendre ce qu'il lui disait et bientôt après elle se mit à pleurer. Le jour suivant elle se trouva mal; il ne put la voir. Depuis qu'il était dans cette solitude, il n'avait point trouvé de journée si longue et si ennuyeuse. Le lendemain, sans en savoir lui même la cause, il quitta cette grande négligence où il était depuis sa retraite et, comme il était l'homme du monde le mieux fait, la simple propreté le parait davantage que la magnificence ne pare les autres. Alphonse le rencontra dans le bois et s'étonna de le voir si différent de ce qu'il avait accoutumé d'être. Il ne put s'empêcher de sourire en le regardant et de lui dire qu'il était bien aise de juger par son habit que son affliction commençait à diminuer et qu'il trouvait enfin dans ce désert quelque adoucissement à ses malheurs. - Je vous entends, Alphonse, répondit Consalve; vous croyez que la vue de Zaïde est le soulagement que je trouve à mes maux, mais vous vous trompez, je n'ai pour Zaïde que la compassion qui est due à son malheur et à sa beauté. - J'ai de la compassion pour elle aussi bien que pour vous, répliqua Alphonse, je la plains et je voudrais la soulager, mais je ne suis pas si attaché auprès d'elle, je ne l'observe pas avec tant de soin, je ne suis pas affligé de ne la point entendre, je n'ai pas tant d'envie de lui parler;je ne fus point hier plus triste qu'à mon ordinaire, parce qu'on ne la vit point, et je ne suis pas aujourd'hui moins négligé que de coutume. Enfin, puisque j'ai de la pitié aussi bien que vous et que néanmoins nous sommes si différents, il faut que vous ayez quelque chose de plus. Consalve n'interrompit point Alphonse, et il paraissait examiner en lui même si tout ce qu'il lui disait était véritable. Comme il était prêt de lui répondre, on le vint avertir, selon l'ordre qu'il en avait donné, que Zaïde était sortie de sa chambre et qu'elle se promenait du côté de la mer. Alors, sans considérer qu'il allait confirmer Alphonse dans ses soupçons, il le quitta pour aller chercher Zaïde. Il la vit de loin assise, avec Félime, au même lieu où elles étaient deux jours auparavant. Il ne put se défendre de la curiosité d'observer leurs actions; il crut qu'il en pourrait tirer quelque connaissance de leurs fortunes. Il vit que Zaïde pleurait; il jugea que Félime tâchait de la consoler. Zaïde ne l'écoutait pas et regardait toujours vers la mer avec des actions qui firent penser à Consalve qu'elle regret tait quelqu'un qui avait fait naufrage avec elle. Il l'avait déjà vue pleurer au même lieu, mais, comme elle n'avait rien fait qui lui pût marquer le sujet de son affliction, il avait cru qu'elle pleurait seulement de se trouver si éloignée de son pays; il s'imagina alors que les larmes qu'il lui voyait verser, étaient pour un amant qui avait péri, que c'était peut être pour le suivre qu'elle s'était exposée au péril de la mer, et enfin il crut savoir, comme s'il eût appris d'elle même, que l'amour était la cause de ses pleurs. On ne peut exprimer ce que ces pensées produisirent dans l'âme de Consalve, et le trouble qu'apporta la jalousie dans un coeur où l'amour ne s'était pas encore déclaré. Il avait été amoureux, mais il n'avait jamais été jaloux. Cette passion, qui lui était inconnue, se fit sentir en lui, pour la première fois, avec tant de violence qu'il crut être frappé de quelque douleur que les autres hommes ne connaissaient point. Il avait, ce lui semblait, éprouvé tous les maux de la vie, et cependant il sentait quelque chose de plus cruel que tout ce qu'il avait éprouvé. Sa raison ne put demeurer libre, il quitta le lieu où il était pour s'approcher de Zaïde, dans la pensée de savoir d'elle même le sujet de son affliction, et, assuré qu'elle ne lui pouvait répondre, il ne laissa pas de le lui demander. Elle était bien éloignée de comprendre ce qu'il lui voulait dire; elle essuya ses larmes et se mit à se promener avec lui. Le plaisir de la voir et d'être regardé par ses beaux yeux calma l'agitation où il était; il s'aperçut de l'égarement de son esprit et il remit son visage le mieux qu'il lui fut possible. Elle lui nomma encore plusieurs fois Tunis avec beaucoup d'empressement et beaucoup de marques de vouloir y être conduite. Il n'entendait que trop bien ce qu'elle lui demandait; la pensée de la voir partir lui donnait déjà une douleur sensible; enfin c'était seulement par les douleurs que donne l'amour, qu'il s'apercevait d'en avoir, et la jalousie et la crainte de l'absence le tourmentaient avant même qu'il connût qu'il était amoureux. Il aurait cru avoir sujet de se plaindre de son malheur, quand il n'aurait fait que s'apercevoir qu'il avait de l'amour, mais, de se trouver tout d'un coup de l'amour et de la jalousie, ne pouvoir entendre celle qu'il aimait, n'en pouvoir être entendu, n'en rien connaÃtre que la beauté, n'envisager qu'une absence éternelle, c'étai[ent] tant de maux à la fois qu'il était impossible d'y résister. Pendant qu'il faisait ces tristes réflexions, Zaïde continuait de promener avec Félime et, après s'être promenée assez longtemps, elle alla s'asseoir sur le rocher et se mit encore à pleurer en regardant la mer et en la montrant à Félime, comme si elle l'eût accusée du malheur qui lui faisait répandre tant de larmes. Consalve pour la divertir lui fit remarquer des pêcheurs qui étaient assez proches. Malgré la tristesse et le trouble de ce nouvel amant, la vue de celle qu'il aimait lui donnait une joie qui lui rendait sa première beauté, et, comme il était moins négligé que de coutume, il pouvait avec raison arrêter les yeux de tout le monde. Zaïde commença à le regarder avec attention, ensuite avec étonnement, et, après l'avoir longtemps considéré, elle se tourna vers sa compagne et lui fit observer Consalve en lui disant quelque chose. Féfime le regarda et répondit à Zaïde avec une action qui témoignait approuver ce qu'elle venait de lui dire. Zaïde regardait encore Consalve et reparlait ensuite à Félime; Félime en faisait de même; enfin elles firent juger à Consalve qu'il ressemblait à quelqu'un qu'elles connaissaient. D'abord cette pensée ne lui fit aucune impression, mais il trouva Zaïde si occupée de cette ressemblance, et il lui parut si clairement qu'au milieu de sa tristesse elle avait quelque joie en le regardant qu'il s'imagina qu'il ressemblait à cet amant qu'elle lui paraissait regretter Pendant tout le reste du jour Zaïde fit plusieurs actions qui lui confirmèrent son soupçon. Sur le soir Félime et elle se mirent à chercher quelque chose parmi les débris de leur naufrage Elles cherchèrent avec tant de soin, et Consalve leur vit tant de marques de chagrin d'avoir cherché inutilement, qu'il en prit encore de nouveaux sujets d'inquiétudes. Alphonse vit bien le désordre de son esprit et, après qu'ils eurent reconduit Zaïde dans son appartement, il demeura dans la chambre de Consalve. - Vous ne m'avez point encore raconté tous vos malheurs passés, lui dit-il, mais il faut que vous m'avouez ceux que Zaïde commence de vous causer. Un homme aussi amoureux que vous me le paraissez, trouve toujours de la douceur à parler de son amour, et quoique votre mal soit grand, peut être que mon secours et mes conseils ne vous seront pas inutiles. - Ah! mon cher Alphonse, s'écria Consalve, que je suis malheureux! Que je suis faible! Que je suis désespéré! Et que vous êtes sage d'avoir vu Zaïde et de ne l'avoir pas aimée! - J'avais bien jugé, reprit Alphonse, que vous l'aimiez, vous ne voulûtes pas me l'avouer. - Je ne le savais pas moi-même, interrompit Consalve, la jalousie seule m'a fait sentir que j'étais amoureux. Zaïde pleure quelque amant qui a fait naufrage; c'est ce qui la mène tous les jours sur le bord de la mer; elle va pleurer au même lieu où elle croit que cet amant a péri; enfin, j'aime Zaïde et Zaïde en aime un autre, et c'est de tous les malheurs celui qui m'a paru le plus redoutable et celui dont je me croyais le plus éloigné. Je m'étais flatté que ce n'était peut être pas un amant que Zaïde regrettait, mais je la trouve trop affligée pour en douter; j'en suis encore persuadé par le soin que je lui ai vu de chercher quelque chose qui vient sans doute de ce bienheureux amant, et, ce qui me paraÃt plus cruel que tout ce que je viens de vous dire, je ressemble, Alphonse, à celui qu'elle aime. Elle s'en est aperçue en se promenant; j'ai remarqué de la joie dans ses yeux de voir quelque chose qui l'en fit souvenir. Elle m'a montré vingt fois à Félime, elle lui a fait considérer tous mes traits enfin elle m'a regardé tout le jour, mais ce n'est pas moi qu'elle voit ni à qui elle pense. Quand elle me regarde, je la fais souvenir de la seule chose que je voudrais lui faire oublier; je suis même privé du plaisir de voir ses beaux yeux tournés sur moi, et elle ne peut plus me regarder sans me donner de la jalousie. Consalve dit toutes ces paroles avec tant de rapidité qu'Alphonse ne put l'interrompre, mais quand il eut cessé de parler - Est-il possible, lui dit il, que tout ce que vous m'apprenez soit véritable? Et la tristesse où vous vous êtes accoutumé, ne forme-t-elle point l'idée d'un malheur si extraordinaire? - Non, Alphonse, je ne me trompe point, répondit Consalve, Zaïde regrette un amant qu'elle aime et je l'en fais souvenir. La fortune m'empêche bien de me former des malheurs au dessus de ceux qu'elle me cause, elle va au delà de ce que je pourrais imaginer, elle en invente pour moi qui sont inconnus aux autres hommes, et, si je vous avais raconté la suite de ma vie, vous seriez contraint d'avouer que j'ai eu raison de vous soutenir que j'étais plus malheureux que vous. - Je n'oserai vous dire, répliqua Alphonse, que, si vous n'aviez point de raison importante de vous cacher à moi, vous me donneriez toute la joie que je puis avoir de m'apprendre qui vous êtes et quels sont les malheurs que vous jugez plus grands que les miens. Je sais bien qu'il n'y a pas de justice de vous demander ce que je vous demande sans vous apprendre en même temps quelles sont mes infortunes, mais, pardonnez à un malheureux qui ne vous a pas caché son nom et sa naissance et qui ne vous cacherait pas ses aventures s'il vous était utile de les avoir et s'il vous les pouvait dire sans renouveler des douleurs que plusieurs années ne commencent qu'à peine d'effacer. - Je ne vous demanderai jamais, répliqua Consalve, ce qui pourra vous donner de la peine, mais je me reproche à moi-même de ne vous avoir pas dit qui je suis. Quoique j'eusse résolu de ne le déclarer à personne, le mérite extraordinaire qui me paraÃt en vous et la reconnaissance que je dois à vos soins me forcent de vous avouer que mon véritable nom est Consalve et que je suis fils de Nugnez Femando, comte de Castille, dont la réputation est sans doute parvenue jusques à vous. - Serait-il possible, s'écria Alphonse, que vous fussiez ce Consalve si fameux, dès ses premières campagnes, par la défaite de tant de Maures et par des actions d'une valeur qui a donné de l'admiration à toute l'Espagne? Je sais les commencements d'une si belle vie, et, lorsque je me retirai dans ce désert, j'avais déjà appris avec étonnement que, dans la fameuse bataille que le roi de Léon gagna contre Ayola, le plus grand capitaine des Maures, vous seul fÃtes tourner la victoire du côté des chrétiens et qu'en montant le premier à l'assaut de Zamora vous fûtes cause de la prise de cette place, qui contraignit les Maures à demander la paix. La solitude où j'ai vécu depuis, m'a laissé ignorer la suite de ces heureux commencements, mais je ne puis douter qu'elle n'y réponde. Je ne croyais pas que mon nom vous fût connu, répondit Consalve, et je me trouve heureux que vous soyez prévenu en ma faveur pu une réputation que je n'ai peut-être pas méritée. Alphonse redoubla alors son attention et Consalve commença en ces termes Histoire de Consalve Mon père était le plus considérable de la cour de Léon, lorsqu'il m'y fit paraÃtre avec un éclat proportionne à sa fortune. Mon inclination, mon âge et mon devoir m'attachèrent au prince don Garcie, fils aÃné du roi. Ce prince est jeune, bien fait et ambitieux. Ses bonnes qualités surpassent de beaucoup ses défauts et l'on peut dire qu'il n'en paraÃt en lui que ceux que les passions y font naÃtre. Je fus assez heureux pour avoir ses bonnes grâces sans les avoir méritées, et j'essayai ensuite de m'en rendre digne par ma fidélité. Mon bonheur voulut que, dans la première guerre où nous allâmes contre les Maures, je me trouvasse assez près de sa personne pour le dégager d'un péril où sa valeur trop inconsidérée l'avait précipité. Ce service augmenta la bonté qu'il avait pour moi. Il m'aimait comme un frère plutôt que comme un sujet, il ne me cachait rien, il ne me refusait rien, et il laissait voir à tout le monde qu'on ne pouvait être aimé de lui, si on ne l'était de Consalve. Une faveur si déclarée, jointe à la considération où était mon père, élevait notre maison à un si haut point, qu'elle commençait à donner de l'ombrage au roi et à lui faire craindre qu'elle ne s'élevât trop. Parmi un nombre infini de jeunes gens que la fortune avait attachés à moi, j'avais distingué don Ramire de tous les autres; c'était un des plus considérables de la cour, mais il s'en fallait beaucoup que sa fortune n'approchât de la mienne. Il ne tenait pas à moi que je ne la rendisse égale. J'employais tous les jours le crédit de mon père et le mien pour son élévation. Je m'étais appliqué avec beaucoup de soin à lui donner part dans les bonnes grâces du prince, et lui, de son côté, par son esprit doux et insinuant, avait si bien secondé mes soins qu'il était, après moi, celui de toute la cour que don Garcie traitait le mieux. Je faisais tous mes plaisirs de leur amitié. L'un et l'autre éprouvaient déjà le pouvoir de l'amour, ils me faisaient souvent la guerre de mon insensibilité et me reprochaient, comme un défaut, de n'avoir point encore eu d'attachement. Je leur reprochais à mon tour de n'en avoir point eu de véritables. - Vous aimez, leur disais-je, ces sortes de galanteries que la coutume a établies en Espagne, mais vous n'aimez point vos maÃtresses. Vous ne me persuaderez jamais que vous soyez amoureux d'une personne dont à peine vous connaissez le visage, et que vous ne reconnaÃtriez pas, si vous la voyiez en un autre lieu qu'à la fenêtre où vous avez accoutumé de la voir. - Vous exagérez le peu de connaissance que nous avons de nos maÃtresses, me repartit le prince, mais nous connaissons leur beauté et, en amour, c'est le principal. Nous jugeons de lent esprit par leur physionomie et ensuite par leurs lettres, et, quand nous venons à les voir de plus près, nous sommes charmés du plaisir de découvrir ce que nous ne connaissions point encore. Tout ce quelles disent a la grâce de la nouveauté, leur manière nous surprend, la surprise augmente et réveille l'amour, au lieu que ceux qui connaissent leurs maÃtresses avant que de les aimer, sont tellement accoutumés à leur beauté et à leur esprit, qu'ils n'y sont plus sensibles quand ils sont aimés. - Vous ne tomberez jamais dans ce malheur lui répliquai-je, mais, seigneur, je vous laisse la liberté d'aimer tout ce que vous ne connaÃtrez point, pourvu que vous me permettiez de n'aimer qu'une personne que je connaÃtrai assez pour l'estimer et pour être assuré de trouver en elle de quoi me rendre heureux, quand j'en serai aimé. J'avoue encore que je voudrais qu'elle ne fût point prévenue en faveur d'un autre amant. - Et moi, interrompit don Ramire, je trouverais plus de plaisir à me rendre maÃtre d'un coeur qui serait défendu par une passion, que d'en toucher un qui n'aurait jamais été touché; ce me serait une double victoire, et je serais aussi bien plus persuadé de la véritable inclination qu'on aurait pour moi, si je l'avais vue naÃtre dans le plus fort de l'attachement qu'on aurait pour un autre; enfin ma gloire et mon amour se trouveraient satisfaits d'avoir ôté une maÃtresse à un rival. - Consalve est si étonné de votre opinion, lui répondit le prince, et il la trouve si mauvaise, qu'il ne veut pas même y répondre. En effet; je suis de son parti contre vous, mais je suis contre lui sur cette connaissance si particulière qu'il veut de sa maÃtresse. Je serais incapable de devenir amoureux d'une personne avec qui je serais accoutumé et, si je ne suis surpris d'abord, je ne puis être touché. Je crois que les inclinations naturelles se font sentir dans les premiers moments, et les passions, qui ne viennent que par le temps, ne se peuvent appeler de véritables passions. - On est donc assuré, repris-je, que vous n'aimerez jamais ce que vous n'aurez pas aimé d'abord. Il faut, seigneur, ajoutai-je en riant, que je vous montre ma soeur pendant qu'elle n'est pas encore aussi belle qu'elle le sera apparemment, afin que vous vous accoutumiez à la voir et que vous n'en soyez jamais touché. - Vous craindriez donc que je ne le fusse? me dit don Garcie. N'en doutez pas, seigneur, lui répondis-je, et je le craindrais même comme le plus grand malheur qui me pût arriver. - Quel malheur y trouveriez-vous? repartit don Ramire. - Celui, répliquai-je; de ne pas entrer dans les sentiments du prince. S'il voulait épouser ma sÅ“ur, je n'y pourrais consentir par l'intérêt de sa grandeur, et s'il ne la voulait pas épouser et qu'elle aimât néanmoins, comme elle l'aimerait infailliblement, j'aurais le déplaisir de voir ma soeur la maÃtresse d'un maÃtre que je ne pourrais haïr, quoique je le dusse. - Montrez-la-moi, je vous prie, devant qu'elle me puisse donner de l'amour, interrompit le prince, car je serais si affligé d'avoir des sentiments qui vous déplussent, que j'ai de l'impatience de la voir pour m'assurer moi-même que je ne l'aimerai jamais. - Je ne m'étonne plus, seigneur, dit don Rarnire en s'adressant à don Garcie, que vous n'ayez point été amoureux de toutes les belles personnes qui sont nourries dans le palais et avec qui vous avez été accoutumé dès l'enfance, mais j'avoue que jusques à cette heure j'avais été surpris que pas une ne vous eût donné de l'amour, et surtout Nugna Bella, la fille de don Diégo Porcellos, qui me paraÃt si capable d'en donner. - Il est vrai, repartit don Garcie, que Nugna Bella est aimable, elle a les yeux admirables, elle a la bouche belle, l'air noble et délicat; enfin j'en aurais été amoureux, si je ne l'eusse point vue presque en même temps que j'ai le jour. - Mais pourquoi ne l'avez vous pas aimée, ajouta le prince s'adressant à don Ramire, vous qui la trouvez si belle? - Parce qu'elle n'a jamais rien aimé, répliqua-t-il. Je n'aurais eu personne à chasser de son cÅ“ur, et je viens de vous avouer que c'est ce qui peut toucher le mien. C'est à Consalve, continua-t-il, à qui il faut demander pourquoi il ne l'a pas aimée, car je suis assuré qu'il la trouve belle; elle n'a point d'attachement, et il la connaÃt il y a déjà longtemps. - Qui vous a dit que je ne l'aime pas? lui répondis-je en souriant et en rougissant tout ensemble. - Je ne sais, répliqua don Ramire, mais, à voir comme vous rougissez, je crois que ceux qui me l'on dit se sont trompés. Serait il possible, s'écria le prince en s'adressant à moi, que vous fussiez amoureux? Si vous l'êtes, avouez le promptement, je vous prie, car vous me donnerez une joie sensible de vous voir attaqué d'un mal que vous plaignez si peu. - Sérieusement, répliquai-je, je ne suis point amoureux, mais pour vous plaire, seigneur, je vous avouerai que je le pourrais être de Nugna Bella, si je la connaissais un peu davantage. - S'il ne tient qu'à vous la faire connaÃtre, dit le prince, soyez assuré que vous l'aimez déjà . Je n'irai jamais sans vous chez la reine ma mère, je me brouillerai encore plus souvent que je ne fais avec le roi, afin que le soin qu'elle prend toujours de nous raccommoder l'oblige à me faire aller chez elle à des heures particulières; enfin je vous donnerai assez de lieu de parler à Nugna Bella pour achever d'en devenir amoureux. Vous la trouverez très aimable, et si son coeur est aussi bien fait que son esprit, vous n'aurez rien à souhaiter. - Je vous supplie, seigneur, lui dis-je, ne prenez point tant de soin de me rendre malheureux, et surtout prenez d'autres prétextes pour aller chez la reine que de nouvelles brouilleries avec le roi. Vous savez qu'il m'accuse souvent des choses que vous faites qui ne lui plaisent pas, et qu'il croit que mon père et moi, pour notre grandeur particulière, vous inspirons l'autorité que vous prenez quelquefois contre son gré. - Dans l'humeur où je suis de vous faire aimer de Nugna Bella repartit le prince je ne serai pas si prudent que vous voulez que je le sois. Je me servirai de toutes sortes de prétextes pour vous mener chez la reine et même quoique je n'en aie point je m'y en vais présentement et je sacrifierai au plaisir de vous rendre amoureux un soir que j'avais destiné à passer sous ces fenêtres où vous croyez que je ne connais personne Je ne vous aurais pas fait le récit de cette conversation dit alors Consalve à Alphonse mais vous verrez par la suite qu'elle fut comme un présage de tout ce qui arriva depuis. Le prince s'en alla chez la reine; il la trouva retirée pour tout le monde excepté pour les dames qui avaient sa familiarité. Nugna Bella était de ce nombre; elle était si belle ce soir-là qu'il semblait que le hasard favorisât les desseins du prince. La conversation fut générale pendant quelque temps et comme il y avait plus de liberté qu'à d'autres heures, Nugna Bella parla aussi davantage et elle me surprit en me faisant voir beaucoup plus d'esprit que je ne luis en connaissais. Le prince pria la reine de passer dans son cabinet sans savoir néanmoins ce qu'il avait à lui dire. Pendant qu'elle y fut, je demeurai avec Nugna Bella et plusieurs autres personnes, je l'engageai insensiblement dans une conversation particulière, et, quoiqu'elle ne fût que de choses indifférentes, elle avait pourtant un air plus galant que les conversations ordinaires. Nous blâmâmes ensemble la manière retirée dont les femmes sont obligées de vivre en Espagne, comme éprouvant par nous mêmes que nous perdions quelque chose de n'avoir pas la liberté entière de nous entretenir. Si je sentis dès ce moment que je commençais à aimer Nugna Bella, elle commença aussi à ce qu'elle m'a avoué depuis, à s'apercevoir que je ne lui étais pas indifférent. De l'humeur dont elle était, ma conquête ne lui pouvait être désagréable; il y avait quelque chose de si brillant dans ma fortune, qu'une personne moins ambitieuse qu'elle en pouvait être éblouie. Elle ne négligea pas de me paraÃtre aimable quoiqu'elle ne fit rien d'opposé à sa fierté naturelle. Eclairé par la pénétration que donne un amour naissant, je me flattai bientôt de l'espérance de lui plaire et cette espérance était aussi propre à m'enflammer que la pensée d'avoir un rival aimé eût été propre à me guérir. Le prince fut ravi de voir que je m'attachais à Nugna Bella, il me donnait tous les jours quelque occasion de l'entretenir, il voulut même que je lui parlasse des brouilleries que j'avais avec le roi et que je lui disse la manière dont la reine devait agir pour le porter aux choses que le roi désirait de lui. Nugna Bella ne manquait pas de donner ses avis à la reine et, lorsque la reine s'en servait ils, ne manquaient jamais aussi de faire leur effet en sorte que la reine ne faisait plus rien dans ce qui regardait le prince qu'elle n'en parlât à Nugna Bella et que Nugna Bella ne m'en rendÃt compte. Ainsi nous avions de grandes conversations et, dans ces conversations je lui trouvai tant d'esprit, de sagesse et d'agrément, et elle s'imagina trouver tant de mérite en moi et y trouva en effet tant d'amour qu'il s'alluma entre nous une passion qui fut depuis très violente. Le prince voulut en être le confident. Je n'avais rien de caché pour lui, mais je craignais que Nugna Bella ne se trouvât offensée que je lui eusse avoué qu'elle me témoignait quelque bonté. Don Garcie m'assura que, de l'humeur dont elle était, elle ne s'en offenserait pas. Il lui parla de moi; elle fut d'abord honteuse et embarrassée de ce qu'il lui dit mais comme il avait bien jugé, la grandeur du confident la consola de la confidence; elle s'accoutuma à souffrir qu'il l'entretÃnt de ma passion, et reçut par lui les premières lettres que je lui écrivis. L'amour avait pour nous toute la grâce de la nouveauté et nous y trouvions ce charme secret qu'on ne trouve jamais que dans les premières passions. Comme mon ambition était pleinement satisfaite et qu'elle l'était même avant que j'eusse de l'amour, cette dernière passion n'était point affaiblie par l'autre; mon âme s'y abandonnait comme à un plaisir qui jusque-là m'avait été inconnu et que je trouvais infiniment au-dessus de tout ce qui peut donner la grandeur. Nugna Bella n'était pas ainsi; ces deux passions s'étaient élevées dans son coeur en même temps et le partageaient presque également. Son inclination naturelle la portait sans doute plus à l'ambition qu'à l'amour, mais, comme l'un et l'autre se rapportaient à moi, je trouvais en elle toute l'ardeur et toute l'application que je pouvais souhaiter. Ce n'est pas qu'elle ne fût quelquefois aussi occupée des affaires du prince que de ce qui regardait notre amour. Pour moi, qui n'étais rempli que de ma passion, je connus avec douleur que Nugna Bella était capable d'avoir d'autres pensées. Je lui en fis quelques plaintes mais je trouvai que ces plaintes étaient inutiles ou qu'elles ne produisaient qu'une certaine conversation contrainte, qui me laissait voir que son esprit était occupé ailleurs. Néanmoins comme j'avais ouï dire que l'on ne pouvait être parfaitement heureux dans l'amour non plus que dans la vie, je souffrais ce malheur avec patience. Nugna Bella m'aimait avec une fidélité exacte et je ne lui voyais que du mépris pour tous ce qui osaient la regarder. J'étais persuadé qu'elle était exempte des faiblesses que j'avais appréhendées dans les femmes; cette pensée rendait mon bonheur si achevé que je n'avais plus rien à souhaiter. La fortune m'avait fait naÃtre et m'avait placé dans un rang digne de l'envie des plus ambitieux. J'étais favori d'un prince que j'aimais d'une inclination naturelle. J'étais aimé de la plus belle personne d'Espagne, que j'adorais, et j'avais un ami que je croyais fidèle, et dont je faisais la fortune. La seule chose qui me donnait quelque trouble, était de voir de l'injustice dans l'impatience que don Garcie avait de commander, et de trouver dans Nuguez Fernando, mon père, un esprit inquiet et porté comme le roi l'en soupçonnait, à se vouloir faire une élévation qui ne laissât rien au dessus de lui. J'appréhendais de me trouver attaché par les devoirs de la reconnaissance et de la nature à des personnes qui voudraient m'entraÃner dans des choses qui ne me paraissaient pas justes. Cependant, comme ces malheurs étaient encore incertains, ils ne me troublaient que dans quelques moments et je me consolais à en parler avec don Ramire, en qui j'avais tant de confiance, que je lui disais jusques à mes craintes sur les choses les plus importantes et les plus éloignées. Ce qui m'occupait alors était le dessein d'épouser Nugna Bella. Il y avait déjà longtemps que je l'aimais sans oser en faire la proposition. Je savais qu'elle serait désapprouvée par le roi, parce que Nugna Bella, étant fille d'un des comtes de Castille, dont on craignait la même révolte que de mon père, la politique ne voulait pas qu'on les laissât unir par mariage. Je savais encore que bien que mon père ne fût point opposé à mon dessein, il ne voudrait pas néanmoins qu'on fit la proposition de mon mariage, de peur d'augmenter les soupçons du roi, de sorte que j'étais contraint d'attendre quelque conjoncture qui me fût plus favorable, mais en l'attendant je ne cachais point l'attachement que j'avais pour Nugna Bella, je lui parlais toutes les fois que j'en avais l'occasion, le prince lui parlait aussi très souvent. Le roi remarqua cette intelligence et prit pour une affaire d'Etat ce qui n'était en effet que de l'amour. Il crut que son fils favorisait mon dessein pour Nugna Bella afin d'unir les deux comtes de Castille et de les attacher à ses intérêts. Il crut qu'il voulait faire un parti considérable et se donner une autorité qui balançât la sienne. Il ne douta point que les comtes de Castille n'entrasssent dans ce parti par l'espérance de se faire reconnaÃtre souverains; enfin l'union des deux maisons de Castille lui était si redoutable, qu'il déclara hautement qu'il ne voulait point que je pensasse à Nugna Bella et défendit au prince de favoriser notre mariage. Les comtes de Castille, qui avaient peut être une partie des intentions dont le roi les soupçonnait, mais qui n'étaient pas en état de les faire paraÃtre, nous ordonnèrent de ne plus penser l'un à l'autre. Ce commandement nous donna beaucoup de douleur, le prince nous promit de faire bientôt changer de sentiments au roi son père, il nous engagea à nous promettre une fidélité éternelle et se chargea du soin de continuer notre commerce et de cacher notre intelligence. La reine qui savait que bien loin de porter le prince à la révolte, nous travaillons au contraire à l'en éloigner, approuva les desseins du prince son fils et voulut bien les favoriser. Comme nous ne pouvions plus nous parler en public, nous cherchâmes le moyen de nous parler en particulier. Je pensai qu'il fallait que Nugna Bella changeât d'appartement et qu'on la mÃt, avec quelque autre des dames du palais, dans un corps de logis dont toutes les fenêtres étaient sur une rue détournée, et qui étaient si basses qu'un homme à cheval y pouvait parler commodément. J'en fis la proposition au prince, il la fit approuver à la reine et on l'exécuta sur quelque prétexte assez invraisemblable. Je venais quasi tous les jours à cette fenêtre attendre les moments que Nugna Bella me pouvait parler. Quelquefois je m'en retournais charmé des sentiments qu'elle avait pour moi et quelquefois je m'en retournais désespéré de la voir si occupée des commissions que la reine lui donnait. Jusques ici la fortune ne m'avait pas montré son inconstance mais elle me fit bientôt voir qu'elle ne se fixe pour personne. Mon père qui avait connu les soupçons du roi, voulut lui faire voir par une nouvelle marque d'attachement combien ils étaient injustes; il se résolut de mettre ma soeur dans le palais quelque dessein qu'il eût pris auparavant de la laisser en Castille. Un sentiment de vanité lui aida à prendre cette résolution, il fut bien aise de faire voir à la cour une beauté qu'il croyait une des plus achevées de toute l'Espagne. Il était touché plus qu'aucun père ne l'a jamais été de la beauté de ses enfants et en tirait une vanité qu'on pouvait appeler une faiblesse dans un homme comme lui. Il fit donc venir sa fille à la cour et elle fut reçue dans le palais. Don Garcie était à la chasse le jour qu'elle y entra. Il vint le soir chez la reine, sans avoir vu personne qui lui en eût parlé; j'y étais aussi mais retiré dans un endroit où il ne me voyait pas. La reine lui présenta Hermenesilde c'est ainsi que s'appelait ma soeur; il fut surpris de sa beauté, et il parut de l'admiration dans cette surprise. Il dit qu'on n'avait jamais vu, en une même personne, de l'éclat, de la majesté et de l'agrément, qu'avec des cheveux noirs on n'avait jamais un si beau teint et des yeux si bleus, qu'elle avait de la gravité avec l'air de la première jeunesse; enfin, plus il la regardait et plus il lui donnait de louanges. Don Ramire remarqua cet empressement à louer Hermenesilde; il n'eut pas de peine à juger que je pensais les mêmes choses que lui, et, me voyant à l'autre bout de la chambre, il m'aborda pour me parler de la beauté de ma sÅ“ur. Je voudrais qu'il n'y eût que vous à la louer, lui dis je. Comme je prononçais ces paroles, don Garcie s'approcha par hasard du lieu où j'étais. Il parut étonné de me voir, il se remit néanmoins, il me parla d'Hermenesilde et me dit que je ne la lui avais dépeinte aussi belle qu'il l'avait trouvée. Le soir on ne parla que d'elle au coucher de ce prince. Je l'observai avec beaucoup de soin, et je pris pour une confirmation de mes soupçons de ce qu'il ne la louait pas devant moi aussi hardiment que les autres. Les jours suivants, il ne put s'empêcher de lui parler, il me parut que l'inclination qu'il avait pour elle, l'emportait comme un torrent à quoi il ne pouvait résister. Je voulus découvrir ses sentiments sans lui parler sérieusement. Un soir que nous sortions de chez la reine, où il avait entretenu assez longtemps Hermenesilde - Oserais-je vous demander, seigneur, lui dis je, si je n'ai point trop attendu à vous montrer ma soeur et si elle n'est point assez belle pour vous avoir causé de ces surprises que je craignais? - J'ai été surpris de sa beauté, me répondit ce prince, mais, encore que je croie qu'on ne puisse être touché sans être surpris, je ne crois pas qu'on ne puisse être surpris sans être touché. L'intention de don Garcie était de ne me pas répondre plus sérieusement que je lui avais parlé, mais comme il avait été embarrassé de ce que je lui avais dit et qu'il avait senti son embarras, il y eut un air de chagrin dans sa réponse, qui me fit voir que je ne m'étais pas trompé. Il jugea bien aussi que je m'étais aperçu des sentiments qu'il avait pour ma soeur; il m'aimait encore assez pour avoir quelque douleur de s'embarquer dans une chose dont il savait bien que je serais offensé, mais il aimait déjà trop Hermenesilde pour abandonner le dessein de s'en faire aimer. Je ne prétendais pas aussi que l'amitié qu'il avait pour moi lui fÃt surmonter l'amour qu'il avait pour elle. Je pensai seulement à prévenir ma soeur sur ce quelle devait faire si le prince lui témoignait de l'amour, et je lui dis de suivre en toutes choses les conseils de Nugna Bella. Elle me le promit et je confiai à Nugna Bella l'inquiétude que j'avais de l'amour de don Garcie. Je lui dis toutes les fâcheuses suites que j'en appréhendais; elle entra dans mes sentiments et m'assura qu'elle s'attacherait si fort auprès d'Hermenesilde que difficilement le prince lui pourrait parler. En effet elles devinrent tellement inséparable sans qu'il y parût d'affectation, que don Garcie ne trouvait jamais Hermenesilde sans Nugna Bella. Cet embarras lui donna tant de chagrin qu'il n'en était pas connaissable, et comme il avait accoutumé de me dire toutes ses pensées et qu'il ne me parlait point de celles qui l'occupaient alors, je trouvai bientôt un grand changement dans son procédé. - N'admirez vous pas, disais je à don Ramire, l'injustice des hommes? Le prince me hait parce qu'il sent dans son coeur une passion qui me doit déplaire, et, s'il était aimé de ma sÅ“ur, il me haïrait encore davantage. J'avais bien prévu le mal qui m'arriverait si elle touchait son inclination, et, s'il ne change point les sentiments qu'il a pour elle, je ne serai pas longtemps son favori, même aux yeux du public, car dans son coeur je ne le suis déjà plus. Don Ramire était persuadé comme moi, de l'amour du prince, mais pour m'ôter de l'esprit une chose qui me donnait de la peine - Je ne sais, me répondit il, sur quoi vous vous fondez pour croire que don Garcie soit amoureux d'Hermenesilde; il l'a louée d'abord, il est vrai, mais je ne lui ai rien depuis qui paraisse d'un homme amoureux. Et quand il l'aimerait, ajouta-t-il, serait-ce une chose si fâcheuse? Pourquoi ne la pourrait-il pas épouser? Ce n'est pas le premier prince qui a épousé une de ses sujettes; il ne saurait en trouver une plus digne de lui, et, s'il l'épousait, quelle grandeur ne serait ce pas pour votre maison? - C'est par cette raison même, lui répondis je, que le roi n'y consentira jamais. Je ne le voudrais pas sans son consentement; peut être même que le prince ne le voudrait pas aussi ou qu'il ne le voudrait ni assez fortement ni assez longtemps pour l'exécuter. Enfin c'est une chose qui ne se peut faire, et je ne veux pas laisser croire au public que je hasarde la réputation de ma soeur sur l'espérance mal fondée d'une grandeur où nous ne parviendrons jamais. Si don Garcie continue à aimer Hermenesilde, je la retirerai de la cour. Don Ramire fut surpris de ma résolution; il craignit que je ne me brouillasse avec don Garcie, il résolut de lui apprendre mes sentiments, et il voulut s'imaginer qu'il pouvait les lui découvrir sans mon consentement, puisque ce n'était que pour mon avantage. Mais l'envie de se faire un mérite envers le prince et d'entrer dans sa confidence eut sans doute beaucoup de part à cette résolution. Il prit son temps pour lui parler seul, il lui dit qu'il craignait de me faire une infidélité en lui découvrant mes pensées contre mon intention, mais que le zèle qu'il avait pour son service, l'obligeait à lui apprendre que je le croyais amoureux de ma soeur et que j'en avais tant de chagrin que j'étais résolu de l'ôter de la cour. Don Garcie fut si frappé du discours de don Ramire et de la pensée de voir éloigner Hermenesilde, qu'il lui fut impossible de cacher son premier mouvement. Il jugea ensuite que, puisque don Ramire ne pouvait plus douter de l'intérêt qu'il prenait pour ma soeur, il fallait le lui avouer et l'engager, par cette confidence, à continuer de l'instruire de mes desseins. Il fut quelque temps à prendre cette résolution, puis, se déterminant tout à coup, il l'embrassa, et lui avoua qu'il était amoureux d'Hermenesilde. Il lui dit qu'il avait fait ce qu'il avait pu pour s'en défendre en ma considération mais qu'il lui était impossible de vivre sans être aimé d'elle; qu'il lui demandait son secours pour lui aider à cacher sa passion et pour empêcher l'éloignement d'Hermenesilde. Le coeur de don Ramire n'était pas d'une trempe à résister aux caresses d'un prince dont il voyait qu'il allait devenir le favori. L'amitié et la reconnaissance se trouvèrent faibles contre l'ambition. Il promit au prince de lui garder le secret et de le servir auprès d'Hermenesilde. Le prince l'embrassa une seconde fois; et ils examinèrent ensemble comme ils se conduiraient dans cette entreprise. Le premier obstacle qui leur vint dans l'esprit fut Nugna Bella, qui ne quittait point Hermenesilde. Ils résolurent de la gagner, et, quelque difficulté qui leur parut par l'étroite liaison qu'elle avait avec moi, don Ramire se chargea d'en trouver les moyens; mais il dit au prince qu'il fallait qu'il travaillât lui même à m'ôter la connaissance que j'avais de sa passion; qu'il lui conseillait de me dire en riant qu'il avait été bien aise de me faire peur pendant quelque temps pour venger des soupçons que j'avais eus d'abord, mais que cette peur allait trop loin qu'il ne voulait pas me laisser croire plus longtemps qu'il eût des sentiments que je pusse désapprouver. Cet expédient parut bon à don Garcie; il l'exécuta aisément, et, comme il savait par don Ramire les choses qui m'avaient donné du soupçon, il lui était aisé de dire qu'il les avait faites exprès et il m'était quasi impossible de n'en être pas persuadé. Ainsi je le fus entièrement; je me crus mieux avec lui que je n'avais jamais été. Je ne laissai pas de penser qu'il s'était passé quelque chose dans son coeur qu'il ne m'avouait pas, mais je m'imaginai que ce n'avait été qu'une légère inclination qu'il avait surmontée, et je crus même lui en devoir être obligé comme d'une chose qu'il avait faite en ma considération. Enfin je demeurai satisfait de don Garcie; don Ramire le fut beaucoup de me voir l'esprit dans l'assiette qu'il désirait, et il commença à penser comme il engagerait Nugna Bella dans la confidence où il voulait l'embarquer. Après en avoir à peu près imagine les moyens, il chercha l'occasion de lui parler; elle la lui donnait assez souvent parce qu'elle savait que je n'avais rien de caché pour lui et qu'elle pouvait lui parler de tout ce qui nous regardait. Il commença à l'entretenir de la joie qu'il avait du raccommodement qui s'était fait entre le prince et moi. - J'en ai beaucoup, aussi bien que vous, lui dit elle, et j'ai trouvé Consalve si délicat sur le sujet de sa soeur que je craignais qu'il ne se brouillât avec don Garcie. - Si je croyais, madame, lui répondit-il, que vous fussiez de celles qui sont capables de cacher quelque chose à leurs amants, lorsqu'il est nécessaire pour leur intérêt, ce me serait un grand soulagement de parler avec une personne aussi intéressée que vous dans ce qui regarde Consalve. Je prévois des choses qui me donnent de l'inquiétude; vous êtes la seule à qui je les puisse dire, mais, madame, c'est à condition que vous n'en parlerez pas à Consalve même. - Je vous le promets lui dit-elle et vous trouverez en moi tout le secret que vous pouvez désirer. Je sais que comme il est dangereux de cacher quelque chose à nos amis, il l'est aussi beaucoup de ne leur cacher jamais rien. - Vous verrez, madame, reprit-il, combien il est important de cacher ce que je veux vous dire; don Garcie vient de donner de nouveaux témoignages d'amitié à Consalve, il vient de l'assurer qu'il ne pense plus à sa soeur, mais je suis trompé s'il ne l'aime passionnément. De l'humeur dont est ce prince, il ne peut cacher longtemps son amour et; de l'humeur aussi dont est Consalve, il n'en souffrira jamais la continuation. Il est infaillible qu'il se brouillera avec lui et qu'il perdra entièrement ses bonnes grâces. - Je vous avoue, lui dit Nugna Bella, que j'avais eu les mêmes soupçons, et que, par ce que j'en ai et par de certaines choses que m'a dites Hermenesilde, et que je n'ai pas voulu quelle redÃt à son frère, j'ai eu peine à croire que ce qu'a fait don Garcie n'ait été qu'une affectation et dessein de faire peur à Consalve. - Vous en avez usé avec beaucoup de prudence, dit don Ramire, et je crois madame que vous ferez bien à l'avenir d'empêcher Hermenesilde de rien dire à son frère de ce qui regarde le prince; il est inutile et dangereux de lui en parler. Si le prince n'a qu'une médiocre passion pour elle, il la cachera sans peine et par le soin que vous prendrez de conduire Hermenesilde, elle pourra facilement l'en guérir Consalve n'en saura rien, et ainsi vous lui épargnerez un chagrin mortel et vous lui conserverez les bonnes grâces du prince. Si, au contraire, la passion de don Garcie est grande et violente, trouvez-vous impossible qu'il épouse Hermenesilde? Et trouveriez-vous que nous servissions mal Consalve de lui cacher quelque chose, si le secret que nous lui ferions pouvait lui donner son prince pour beau-frère? Assurément, madame, l'on doit penser plus d'une fois à empêcher l'amour de don Garcie pour Hermenesilde et vous y devez même penser plus qu'une autre par l'intérêt que vous auriez d'avoir un jour pour reine une personne qui sera apparemment votre belle soeur. Ces dernières paroles firent voir à Nugna Bella ce quelle n'avait point encore envisagé. L'espérance d'être belle soeur de la reine lui fit trouver les raisons de don Ramire encore meilleures qu'elles n'étaient, et enfin il la conduisit si bien où il la voulait mener, qu'ils convinrent ensemble qu'ils ne me diraient rien, qu'ils examineraient les sentiments du prince et qu'il agiraient ensuite selon les connaissances qu'ils en auraient. Don Ramire, ravi d'avoir si bien commencé, rendit compte au prince de ce qu'il avait fait. Don Garcie en fut charmé, et il lui laissa un plein pouvoir de dire à Nugna Bella tout ce qu'il voudrait de ses sentiments. Don Ramire retourna bientôt la chercher; il lui fit long récit de la manière dont il s'était conduit pour faire avouer au prince l'amour qu'il avait pour ma soeur; il ajouta qu'il n'avait jamais vu un homme si transporté de passion; qu'il s'étonnait de la violence que ce prince se faisait de peur de me déplaire; qu'il n'y avait rien enfin qu'on ne dût attendre d'un homme si amoureux, mais qu'il fallait au moins lui donner quelque espérance qui entretint son amour. Nugna Bella demeura persuadée de ce que lui dit don Ramire et elle lui promit de servir don Garcie auprès de ma soeur. Don Ramire s'en alla porter cette nouvelle au prince, il la reçut avec une joie incroyable, il lui fit mille caresses, il ne pouvait se lasser de lui parler et il eût voulu ne parler qu'à lui seul, mais il voyait bien qu'il ne fallait pas changer de conduite, ni cesser de vivre avec moi comme il avait accoutumé Don Ramire même avait soin de cacher sa nouvelle faveur, et les remords de sa trahison lui faisaient toujours craindre que je ne la soupçonnasse. Don Garcie parla bientôt à Hermenesilde; il lui témoigna la passion qu'il avait pour elle avec le plus d'ardeur qu'il lui fut possible et comme il était véritablement amoureux il n'eut pas de peine à loi persuader son amour. Elle était disposée à le recevoir favorablement, mais, après ce que je lui avais dit, elle n'osait suivre les sentiments de son coeur. Elle rendit compte à Nugna Bella de la conversation qu'elle avait eue avec le prince. Nugna Bella, sur les mêmes prétextes que lui avait donnés don Ramire, lui conseilla de ne me rien dire et d'avoir une conduite qui pût augmenter l'amour du prince et conserver son estime. Elle lui dit encore que, quelque répugnance que j'eusse témoignée à l'attachement de don Garcie, elle devait croire que j'aurais de la joie d'une chose qui pourrait m'être avantageuse, mais que, par de certaines raisons, je ne voulais point y avoir part que les choses ne fussent plus avancées. Hermenesilde, qui avait une déférence entière pour les sentiments de Nugna Bella, entra aisément dans la conduite qu'elle lui inspirait, et son inclination pour don Garcie se trouva fortement appuyée par d'aussi grandes espérances que celles d'une couronne. La passion que le prince avait pour elle était conduite avec tant d'adresse, qu'excepté les premiers jours, où l'on s'aperçut qu'il l'avait trouvée aimable, personne ne soupçonna seulement qu'il en fût amoureux. Il ne l'entretenait jamais en public; Nugna Bella lui donnait les moyens de l'entretenir en particulier. Je voyais bien quelque diminution dans l'amitié de don Garcie, mais je l'attribuais à l'inégalité ordinaire des jeunes gens. Les choses étaient en cet état, lorsque Abdala, roi de Cordoue, avec qui le roi de Léon avait eu une assez longue trêve, recommença là guerre. La charge de Nugnez Fernando lui donnait de droit le commandement des armées, et quoique le roi eût assez de peine à le mettre à la tête de ses troupes, il ne pouvait l'en ôter, à moins que de l'accuser de quelque crime et de le faire arrêter. On pouvait bien envoyer commander don Garcie au dessus de lui, mais le roi se défiait encore plus de son fils que du comte de Castille et il craignait de les voir ensemble avec un grand pouvoir entre les mains. D'un autre côté, la Biscaye commença à se révolter. Il résolut d'y envoyer don Garcie et d'opposer Nugnez Fernando à l'armée des Maures. J'eusse été bien aise de servir avec mon père, mais le prince souhaita que je le suivisse en Biscaye, et le roi aima mieux que j'allasse avec son fils qu'avec le comte de Castille. Ainsi, il fallut céder à ce qu'on désirait de moi et voir partir Nugnez Fernando qui s'en allait le premier. Il fut très fâché de ne m'avoir pas auprès de lui, et, outre les raisons considérables qui lui faisaient désirer que je fusse dans son armée, celle de l'amitié tenait sa place. La tendresse qu'il avait pour ma soeur et pour moi était infinie. Il emporta nos portraits pour avoir le plaisir de nous voir toujours et de montrer la beauté de enfants, dont je crois vous avoir dit qu'il était si préoccupé. Il marcha contre Abdala avec des forces assez considérables, mais beaucoup moindres que celles des Maures et au lieu de s'opposer simplement à leur passage dans des lieux où il fût fortifié par la situation, le désir de faire quelque chose d'extraordinaire lui fit hasarder la bataille dans une plaine qui ne lui donnait aucun avantage; il la perdit si entière, qu'à peine put-il se sauver; toute son armée fut taillée en pièces, tous les bagages furent pris, et jamais les Maures n'ont peut-être remporté une si grande victoire sur les chrétiens. Le roi apprit avec beaucoup de douleur une si grande perte; il en accusa le comte de Castille, et avec raison, mais comme il était bien aise de l'abaisser il se servitde cette conjoncture et, lorsque mon père voulut venir se justifier, il lui fit dire qu'il ne le voulait jamais voir, qu'il lui ôtait toutes ses charges, qu'il était bien heureux qu'il ne lui otât pas la vie et qu'il lui ordonnait de se retirer dans ses terres. Mon père lui obéit et s'en alla en Castille aussi désespéré que le peut être un homme ambitieux dont la réputation et la fortune venaient de recevoir une si grande diminution. Le prince n'était point encore parti pour la Biscaye; une maladie considérable le retenait Le roi s'en alla en personne contre les Maures avec tout ce qu'il put ramasser de forces. Je lui demandai la permission de le suivre et il me l'accorda, mais avec peine. Il avait envie de faire tomber sur moi la disgrâce de mon père. Cependant, comme je n'avais point eu de part à sa faute et que le prince me témoignait toujours beaucoup d'amitié, le roi n'osa entreprendre de me reléguer en Castille. Je le suivis et don Ramire demeura auprès de don Garcie. Nugna Bella parut extrêmement touchée de mon malheur et de notre séparation, et je m'en allai au moins avec la consolation de me croire véritablement aimé de la personne du monde que j'aimais le plus. Le prince n'étant point en état de partir, don Ordogno, son frère, s'en alla en Biscaye; il fut aussi malheureux dans son voyage que le roi fut heureux dans le sien. Don Ordogno fut défait et pensa être tué et le roi défit les Maures et les contraignit de demander la paix. Ma bonne fortune voulut que je rendisse quelque service considérable, mais le roi ne m'en traita pas mieux. La réputation que j'avais acquise ne m'ôta pas l'air que donne la disgrâce, et, lorsque je revins à Léon, je connus bien que la gloire ne donne pas le même éclat que la faveur. Don Garcie avait profité de mon absence pour voir souvent Hermenesilde, et il l'avait vue avec tant de précaution, que personne ne s'en était aperçu. Il avait cherché avec soin tous les moyens de lui plaire, il lui avait laissé espérer qu'il la mettrait un jour sur le trône de Léon, enfin il lui avait témoigne tantd'amour qu'elle lui avait entièrement abandonné son coeur. Comme don Ramire et Nugna Bella conduisaient cette intelligence, ils étaient engagés à se voir souvent, et la beauté de Nugna Bella était de celles dont la vue ordinaire n'est pas sans danger. L'admiration que don Ramire avait pour elle augmentait tous les jours, et elle admirait aussi l'esprit de don Ramire qui, en effet, était agréable. Le commerce particulier qu'elle avait avec lui et l'occupation des affaires du prince et d'Hermenesilde lui avaient fait supporter mon absence avec moins de chagrin quelle ne s'était attendue d'en avoir. Lorsque le roi fut de retour, il donna au père de don Ramire les charges et les établissements de Nugnez Fernando. Je fis en cette occasion au-delà de ce qu'on pouvait attendre d'un véritable ami. Après les services que j'avais rendus dans ces deux dernières guerres, je pouvais prétendre les chargesqu'on ôtait à mon père; néanmoins je ne m'opposai point à la disposition qu'en fit le roi. J'allais trouver don Ramire, je lui dis que dans la douleur que j'avais de voir sortir de ma maison des établissements si considérables, l'avantage qu'il en recevait me donnait la seule consolation que je pouvais recevoir. Quoique don Ramire eût beaucoup d'esprit, il ne put me répondre, il fut embarrasé de recevoir des marques d'une amitié qu'il méritait si peu, mais je donnais pour lors un sens si avantageux à son embarras, qu'il ne m'eût pas mieux persuadé par ses paroles. Les charges de mon père dans une autre maison firent croire à toute la cour que sa disgrâce était sans ressource. Don Ramire se trouvait quasi en ma place par les dignités que son père venait de recevoir et par la faveur du prince. Cette faveur paraissait beaucoup, quelque soin qu'ils prissent l'un et l'autre de la cacher, et insensiblement tout le monde se tournait du côté de ce nouveau favori et m'abandonnait peu à peu. Nugna Bella n'avait pas une passion si ferme, que ce changement n'en apportât dans son âme. Ma fortune, autant que ma personne, avait fait son attachement. J'étais disgracié; elle ne tenait plus à son amant que par l'amour, et ce n'était pas assez pour un coeur comme le sien. Il y eut donc dans son procédé une impression de froideur qui me parut bientôt. J'en fis mes plaintes à don Ramire j'en parlai aussi à Nugna Bella, elle m'assura qu'elle n'était point changée et comme je n'avais point de sujet précis de me plaindre et que je n'étais blessé que d'un certain air répandu dans toutes ses actions, il lui était aisé de se défendre; aussi le fit elle avec tant de dissimulation et d'adresse qu'elle me rassura pour quelque temps. Don Ramire lui parla du soupçon que j'avais de son changement, et il lui en parla dans le dessein de pénétrer ce qui en était, et sans doute avec envie de trouver que je ne me trompais pas. Je ne suis point changée, lui dit elle, je l'aime autant que je l'ai aimé, mais, quand je l'aimerais moins, il serait injuste de s'en plaindre. Avons-nous du pouvoir sur le commencement ni sur la fin de nos passion? Elle dit ces paroles en le regardant avec un air qui l'assurait si bien qu'elle ne m'aimait plus, que cette certitude, qui donnait de l'espérance à don Ramire, lui ouvrit entièrement les yeux sur la beauté de cette infidèle et il en fut si touché dans ce moment que, n'étant plus maÃtre de lui même Vous avez raison, madame, lui dit-il, nous ne pouvons rien sur nos passions; j'en sens une qui m'entraÃne sans que je m'en puisse défendre, mais souvenez-vous au moins que vous tombez d'accord qu'il ne dépend pas de nous d'y résister. Nugna Bella comprit aisément ce qu'il voulait dire, elle en parut embarrassée, et il en fut embarrassé lui-même. Comme il avait parlé sans l'avoir prémédité, il fut étonné de ce qu'il venait de faire; ce qu'il devait à mon amitié lui revint à l'esprit dans toute son étendue; il en fut troublé il baissa les yeux et demeura dans un profond silence. Nugna Bella, par des raisons à peu près semblables, ne lui parla point; ils se séparèrent sans se rien dire. Don Ramire se repentit de ce qu'il avait dit, Nugna Bella se repentit de ne lui avoir rien répondu, et don Ramire se retira si troublé et si combattu qu'il était hors de lui-même. Après s'être un peu remis, il fit réflexion sur ses sentiments, mais plus il en fit et plus il trouva que son coeur était engagé; il connut alors le péril où il s'était exposé en voyant si souvent Nugna Bella; il connut que le plaisir qu'il avait trouvé dans sa conversation était d'une autre nature qu'il ne l'avait cru; enfin il connut son amour et qu'il avait commencé bien tard à le combattre. La certitude qu'il venait d'avoir que Nugna Bella m'aimait moins, achevait de lui ôter la force de se défendre. Il trouvait quelque excuse à ne s'attacher à elle que lorsqu'elle se détachait de moi; il trouvait des charmes à entreprendre de se rendre maÃtre d'un coeur que je ne possédais plus si entièrement, qu'il ne put concevoir de l'espérance, mais que je possédais encore assez pour trouver de la gloire à m'en chasser. Toutefois, quand il venait à considérer que c'était Consalve qu'il voulait chasser de ce coeur, ce Consalve à qui il devait une amitié si véritable, ces sentiments lui faisaient honte, et il les combattit de sorte qu'il crut les avoir surmontés. Il résolut de ne plus rien dire de son amour à Nugna Bella et d'éviter les occasions de lui parler. Nugna Bella, qui n'avait à se repentir que de n'avoir pas répondu à don Ramire comme elle l'aurait dû faire, ne fit pas de si grandes réflexions. Elle s'imagina qu'elle avait eu raison de ne pas faire semblant d'entendre ce qu'il lui avait dit, elle crut quelle devait avoir quelque douceur pour un homme avec qui elle avait de si grandes liaisons, elle se dit à elle-même qu'il ne lui avait pas parlé avec dessein, quoiqu'elle eût bien jugé, il y avait longtemps, qu'il avait de l'inclination pour elle. Enfin pour ne se pas faire honte et pour ne s'engager pas à maltraiter don Ramire, elle ne voulut pas croire une chose dont elle ne pouvait douter Don Ramire suivit pendant quelque temps le dessein qu'il avait pris, mais le moyen de l'exécuter! Il voyait tous les jours Nugna Bella; elle était belle, elle ne m'aimait plus, elle le traitait bien; il était impossible de résister à tant de choses. Il se résolut donc à suivre les mouvements de son coeur, et il n'eut plus de remords sitôt qu'il en eut pris la résolution. La première trahison qu'il m'avait faite, rendait la seconde plus facile. Il était accoutumé à me tromper et à me cacher ce qu'il disait à Nugna Bella. Il lui dit enfin qu'il l'aimait, et il le lui dit avec toutes les marques d'une passion véritable. En lui exagérant la douleur qu'il avait de manquer à notre amitié, il lui faisait comprendre qu'il était emporté par la plus violente inclination qu'on eut jamais eue. Il l'assura qu'il ne prétendait pas d'être aimé, qu'il connaissait les avantages que j'avais sur lui et l'impossibilité de me chasser de son coeur; mais qu'il lui demandait seulement la grâce de l'écouter, de lui aider à se guérir à me cacher sa faiblesse. Nugna Bella lui promit le dernier comme une chose qu'elle croyait devoir faire, de crainte qu'il n'arrivât quelque désordre entre nous, et elle lui dit, avec beaucoup de douceur, qu'elle ne lui accorderait pas le reste, puisqu'elle se croirait complice de son crime, si elle en souffrait la continuation. Elle ne laissa pas néanmoins de la souffrir; l'amour qu'il avait pour elle et l'amitié que le prince avait pour lui; l'entraÃnèrent entièrement de son côté. Je lui parus moins aimable, elle ne vit plus rien d'avantageux dans l'établissement qu'elle pouvait avoir avec moi, elle ne vit qu'un exil assuré en Castille, elle savait que le roi avait toujours envie de m'y réléguer et que [l]e prince ne s'y opposait plus que par honneur, elle ne voyait point d'apparence qu'il pût épouser Hermenesilde, elle était toujours la confidente de l'amour qu'il avait pour elle, et, par cet amour, et par celui de don Ramire, son crédit auprès de don Garcie subsistait toujours. Elle croyait le roi moins disposé que jamais à consentir à notre mariage; il n'avait point de raison pour empêcher qu'elle n'épousât don Ramire; elle retrouvait en lui les mêmes choses qui lui avaient plu en moi; enfin elle s'imagina que la raison et la prudence autorisaient son changement et qu'elle devait quitter un homme qui ne serait point son mari pour un autre qui le serait assurément. Il ne faut pas toujours de si grandes raisons pour appuyer la légèreté des femmes. Nugna Bella se détermina donc à s'engager avec don Ramire, mais elle était déjà engagée, et par son coeur, et par paroles quand elle crut s'y déterminer. Cependant, quelque résolution qu'elle eût prise, elle n'eut pas la force de me laisser voir qu'elle m'abandonnait dans le temps de ma disgrâce. Don Ramire ne pouvait aussi se résoudre à déclarer sa perfidie; ils convinrent ensemble que Nugna Bella continuerait à vivre avec moi comme elle avait accoutumé et ils jugèrent qu'il serait aisé d'empêcher que je ne remarquasse son change ment, parce que, comme je disais toujours à don Ramire jusques à mes moindres soupçons, Nugna Bella en étant avertie par lui, les préviendrait aisément. Ils résolurent aussi d'avouer au prince l'état où ils étaient, et de l'engager dans leurs intérêts. Don Ramire se chargea de lui en parler. Ce n'était pas une chose qu'il pût faire sans peine; la honte et la crainte d'être désapprouvé l'embarrasai[ent]; il se rassurait néanmoins par le pouvoir que lui donnait sur don Garcie la confidence de son amour pour ma soeur. En effet, il tourna l'esprit de ce prince comme il le souhaitait, il l'engagea même à parler à Nugna Bella en sa faveur, et ce nouveau favori eut son maÃtre pour confident, comme il était le confident de son maÃtre. Nugna Bella, qui avait appréhendé que le prince ne condamnât son changement, eut de la joie de l'y trouver favorable, il se fit un redoublement de liaison entre eux, ils prirent leurs mesures pour bien cacher cette intelligence. Ils résolurent que comme les conversations particulières du prince et de don Ramire pourraient me donner du soupçon, parce que vraisemblablement ils ne devaient point avoir de secret pour moi, don Ramire irait chez le prince par un escalier dérobé, aux heures où il n'y avait personne, et qu'ils ne se parleraient jamais en public. Ainsi j'étais trahi et abandonné par tout ce que j'aimais le mieux, sans m'en pouvoir défier. Ma seule peine était de trouver quelque changement dansle coeur de Nugna Bella, je m'en plaignais à don Ramire; don Ramire l'en avertissait afin qu'elle se déguisât mieux, mais, quand je lui paraissais en repos, il avait de l'inquiétude et il craignait que je ne fusse rassuré par les véritables sentiments de Nugna Bella. Il voulait alors qu'elle ne me trompât pas si bien, elle lui obéissait et me négligeait plus qu'à l'ordinaire. Ainsi, il avait le plaisir de voir son rival se venir plaindre à lui des mauvais traitements qu'il recevait par ses ordres. Il avait même quelquefois la joie, lorsqu'il l'avait priée de se contraindre, d'apprendre par mes plaintes qu'elle ne se contraignait pas autant qu'il lui avait dit C'était un tel charme pour sa gloire et pour son amour d'avoir détruit un rival tel que je lui paraissais, et de voir mon repos dépendre de la moindre de ses paroles que, si la jalousie ne l'eût point troublé, il aurait été l'homme du monde le plus heureux. Pendant que je n'étais occupé que de mon amour, mon père ne l'était que de son ambition. Il fit tant de cabales et tant d'intrigues dans son exil, qu'il crut être en état de se révolter ouvertement. Mais il fallait commencer par me retirer de la cour, et je lui étais un otage trop cher et trop considérable pour le laisser entre les mains d'un roi à qui il voulait faire la guerre. Ma soeur ne lui donnait pas tant d'inquiétude; son sexe et sa beauté la garantissaient de ce qui lui pouvait arriver. Il m'envoya un homme de confiance pour m'apprendre l'état des choses, pour me commander de l'aller trouver à l'heure même et de partir de la cour sans prendre congé du roi ni du prince. Cet envoyé fut bien surpris de me voir dans des sentiments si éloignés de ceux de mon père. Je lui dis que je ne consentirais jamais à une révolte si injuste, qu'il était vrai que le roi avait maltraité Nugnez Fernando en lui ôtant ses charges, mais qu'il fallait souffrir cette disgrâce qu'il avait en quelque sorte méritée, que, pour moi, j'étais résolu de ne point quitter la cour et que je ne prendrais jamais les armes contre le roi. Cet envoyé porta ma réponse à mon père; il fut désespéré de voir tant de desseins, prêts à réussir, se renverser par ma désobéissance. Il me manda, quoiqu'en effet ce ne fût pas son dessein, qu'il continuerait ce qu'il avait entrepris, et que puisque j'avais si peu de soumission pour ses volontés, il ne changerait point de résolution quand même le roi de Léon me devrait faire trancher la tête. Cependant, la passion que don Ramire avait pour Nugna Bella augmentait toujours, et il ne pouvait plus supporter la manière dont il fallait qu'elle vécût avec moi. - Enfin, madame, lui dit-il un jour qu'elle m'avait entretenu assez longtemps, vous le regardez avec les mêmes yeux que vous l'avez regardé, vous lui dites les mêmes paroles, vous lui écrivez les mêmes choses; qui peut m'assurer que ce n'est plus avec les mêmes sentiments? Il vous a plu madame, et c'est assez pour vous plaire encore. - Mais vous savez, lui dit-elle que je ne fais que ce que vous voulez. - Il est vrai lui répliqua-t-il, et c'est ce qui rend mon malheur plus insupportable, qu'il faille que, par prudence, je vous conseille de faire les choses qui me désespèrent quand vous les faites. Il est inouï qu'un amant ait consenti qu'on traitât bien son rival. Je ne saurais plus souffrir, madame que vous regardiez Consalve, il n'y a pas d'extrémité où je ne me porte pour le faire périr plutôt que de vivre en l'état où je suis. Aussi bien après lui avoir ôté votre coeur, je ne dois pas compter pour beaucoup de lui ôter la vie. - Vous vous emportez avec tant de violence, lui repartit Nugna Bella, que je crois que vous ne suivrez pas votre emportement, vous considérerez combien de choses importantes vous découvririez en éclatant contre Consalve et quelle honte vous vous feriez à vous même. - Je vois tout ce qu'il y a à voir, madame, répliqua don Ramire, mais je vois aussi que, s'il faut n'avoir guère de raison pour faire ce que je propose, il faut l'avoir perdue entièrement pour souffrir qu'un homme aimable, et qui vous a plu, vous parle tous les jours en secret. Si je l'ignorais, j'aurais la cruelle douceur d'être trompé, mais je le sais, je vous vois parler à lui; c'est moi qui lui porte vos lettres, c'est moi qui le rassure quand il doute de votre coeur. Ah! madame, il m'est impossible de continuer à me faire tant de violence. Si vous voulez me donner du repos, faites en sorte que Consalve sorte de la cour, et que le prince consente à l'envoyer en Castille, comme le roi l'en presse tous les jours. - Voyez, je vous en conjure, reprit Nugna Bella, quelle action vous me conseillez de faire! - Oui, madame, je la vois, reprit don Ramire, mais après tout ce que vous avez fait, il n'est plus temps d'avoir de ménagements, et, si vous avez celui de ne pas faire éloigner Consalve, je serai persuadé que j'aurai encore plus de raison que je ne pense, de le vouloir ôter d'auprès de vous. Encore une fois, madame, à quoi puis-je juger que vous ne l'aimez plus? Vous le voyez, vous lui parlez, vous savez qu'il vous aime; votre coeur, dites vous, est changé, mais votre procédé ne l'est point; enfin, madame, rien ne peut me rassurer, si ce n'est que vous travailliez à l'éloigner; et tant qu'il me paraÃtra que vous ne le voudrez pas, je croirai que vous ne vous contraignez guère quand vous lui dites que vous l'aimez. - Eh bien! dit alors Nugna Bella, j'ai déjà fait assez de trahisons pour l'amour de vous, il faut encore faire celle ci mais, donnez m'en les moyens; car le prince refuse tous les jours au roi l'éloignement de Consalve, et il n'y a pas d'apparence qu'il l'accorde à une prière aussi déraisonnable que la mienne. - Je me charge, dit don Ramire d'en faire la proposition au prince, et pourvu que vous lui fassiez voir que vous y consentez, je suis assuré de l'obtenir. Nugna Bella le lui promit, et, dès ce soir, don Ramire, sur le prétexte de leurs intérêts communs, proposa au prince de m'éloigner et de s'en faire un mérite auprès du roi. Le prince n'eut point de peine à y consentir; il avait une si grande honte de tout ce qu'il faisait contre moi que ma présence lui était un continuel reproche de sa faiblesse. Nugna Bella lui parla comme elle l'avait promis à don Ramire. Ils résolurent qu'à la première occasion, le prince ferait dire au roi qu'il ne s'opposait plus à mon exil, et qu'il voulait bien qu'on m'éloignât de la cour, pourvu qu'il parût à tout le monde que c'était contre son consentement. Cette occasion se trouva bientôt. Le roi se mit en colère contre son fils pour quelque chose qu'il avait fait sans son ordre et dont il m'accusait d'avoir donné le conseil. Le prince, n'osant aller chez le roi, fit semblant d'être malade et garda le lit quelques jours. La reine, selon sa coutume, travailla à les raccommoder; elle vint chez son fils pour lui dire de la part du roi les plaintes qu'il faisait de lui. - Ce ne sont pas là , madame, répondit le prince, les sujets du chagrin du roi; j'en connais la cause; il a une aversion invincible pour Consalve, il l'accuse de tout ce qui lui déplaÃt, il veut l'éloigner, il sera toujours mal satisfait de moi tant que je n'y consentirai pas. J'aime tendrement Consalve, mais je vois bien qu'il faut que je me fasse la violence de m'en priver, puisque je ne saurais qu'à ce prix avoir les bonnes grâces du roi. Dites lui donc, s'il vous plaÃt madame que je consens à son éloignement, mais à condition qu'on ne saura point que j'y aie consenti. La reine fut surprise du discours du prince son fils. - Ce n'est pas à moi, lui dit elle, à trouver étrange que vous ayez de la complaisance pour les volontés du roi, mais j'avoue que je suis étonnée que vous consentiez à l'éloignement de Consalve. Le prince s'excusa par de mauvaises raisons et passa ensuite à un autre discours. Pendant qu'ils parlaient, une des filles de la reine, qui était mon amie et celle de Nugna Bella, s'était trouvée, par hasard si proche du lit, qu'elle avait entendu tout ce que la reine et le prince avaient dit sur mon sujet. Elle demeura si surprise et si attentive à penser ce qui pouvait avoir causé un si grand changement dans l'esprit du prince, que j'entrai dans la chambre et que je commençai à lui parler devant qu'elle m'eût aperçu. Je lui fis la guerre de sa rêverie. Vous devez m'en être obligé, me dit elle, je viens d'entendre une chose dont je suis si étonnée que je ne la puis comprendre. Elvire c'est ainsi que s'appelait cette fille me conta alors ce qu'elle avait entendu et me donna une surprise encore plus grande que n'avait été la sienne. Je lui fis redire la même chose une seconde fois; comme elle achevait, la reine sortit et interrompit notre conversation. Je sortis avec elle et n'ayant pas l'esprit en état de demeurer auprès du prince, je m'en allai seul dans les jardins du palais pour faire réflexion sur une si étrange aventure. Je ne pouvais m'imaginer qu'un prince qui me traitait si bien, voulût me faire chasser de la cour sans sujet; je ne pouvais comprendre ce qui lui pouvait faire souhaiter mon éloignement; je ne pouvais deviner ce qui l'obligeait à me témoigner de l'amitié lorsqu'il n'en avait plus; enfin, je ne pouvais croire que ce que je venais d'apprendre fût véritable et que don Garcie eût la faiblesse de rn'abandonner. Comme je l'aimais beaucoup, j'étais touché de son changement jusques au fond l'âme. Ne pouvant soutenir la douleur que je ressentais je voulus chercher don Ramire pour avoir le soulagement de me plaindre avec lui. Dans cette pensée je rn'approchai du palais, je trouvai un des officiers de la chambre de don Garcie que j'avais donné à ce prince et qui était plus proche de sa personne qu'aucun autre. Je lui dis de voir si don Ramite n'était point chez le prince et de le prier, de ma part, de me venir trouver à l'heure même. Cet officier me répondit qu'il n'y était pas, qu'il n'y viendrait sans doute selon sa coutume qu'après que tout le monde serait retiré. Je demeurai extrêmement surpris de ces paroles; je crus d'abord ne les avoir pas bien entendues; néanmoins elles me firent de l'impression; il me revint plusieurs choses dans l'esprit qui me firent soupçonner que don Ramire avait quelque intelligence avec le prince qu'il ne me disait pas. Dans un autre temps je n'eusse pas eu ce soupçon, mais ce que je venais d'apprendre de l'infidélité de don Garcie, me forçait à croire que tout le monde me pouvait tromper. Je demandai à cet officier si don Ramire allait souvent chez don Garcie aux heures où il n'y avait personne; il me répondit qu'il était surpris que je lui fisse cette demande et qu'il croyait que je n'ignorais ni les conversations de don Ramire avec le prince, ni le sujet de leurs conversations. Je lui répliquai que je ne savais ni l'un ni l'autre et que je trouvais fort étrange qu'il ne m'en eût pas averti. Il crut que je faisais semblant de n'en rien savoir pour découvrir s'il me dirait la vérité et me voulant faire voir qu'il était incapable de me rien cacher il me conta l'amour du prince pour ma soeur et la part qu'y avait don Ramire. Il me dit qu'il les en avait entendus parler plusieurs fois, lorsqu'ils croyaient n'être écoutés de personne et qu'il avait su le reste de celui à qui le prince confiait ses lettres pour Hermenesilde. Ainsi j'appris tout ce qui se passait à la réserve de ce qui regardait Nugna Bella. Je ne cherche plus, m'écriai je tout porté de colère, d'où vient le changement de don Garcie; la trahison qu'il me fait lui rend ma présence insupportable. Quoi! Don Garcie aime ma soeur! Ma soeur le souffre et don Ramire est leur confident! Je m'arrêtai à ces mots ne voulant pas faire voir mon ressentiment à cet officier et je lui défendis de parler de ce qu'il venait de m'apprendre. Je me retirai chez moi avec un trouble qui m'ôtait la connaissance de moi même. Lorsque je fus seul, je m'abandonnai à la rage et au désespoir, je fis mille fois le dessein d'aller poignarder le prince et don Ramire, j'eus toutes les pensées de colère et de vengeance que peut donner l'excès de l'emportement. Enfin après avoir un peu remis mon esprit pour me donner le temps de choisir les moyens de me venger, je résolus de me battre contre don Ramire, de porter Nugna Bella à se retirer en Castille, d'obtenir de son père la permission de l'épouser et comme il était dans le même dessein de révolte que le mien, de me joindre à eux, de les animer de déclarer la guerre au roi de Léon et de renverser le trône où don Garcie devait monter. Je m'arrêtai à cette résolution, bien qu'elle fût contraire à tous les sentiments que j'avais eus jusques alors, mais j'étais emporté par la violence de mon désespoir. Je devais voir Nugna Bella ce même soir; j'en attendais l'heure avec impatience et l'espérance de la trouver sensible à mon malheur, me donnait le seul soulagement dont je pouvais être capable. Comme je me préparais à sortir, un homme en qui elle se fiait et qui m'apportait souvent de ses lettres m'en donna une de sa part et me dit qu'elle était bien fâchée de ne me pouvoir entretenir ce soir là , mais [que ce] lui était impossible pour les raisons que je trouverais dans sa lettre. Je lui repartis qu'il était absolument nécessaire que je lui parlasse, que j'allais lui faire réponse et que je le priais d'attendre. J'entrai dans mon cabinet j'ouvris la lettre de Nugna Bella et j'y trouvais ces paroles Je ne sais si je vous dois remercier de la permission que vous me donnez de témoigner de la douleur à Consalve lorsqu'il partira. J'eusse été bien aise que vous me l'eussiez défendu pour avoir quelque raison de ne pas faire une chose qui me donnera tant de contrainte. Quoi que vous ayez souffert de la conduite que j'ai eue avec lui depuis son retour, j'en ai plus souffert que vous; vous n'en douteriez pas si vous saviez la peine que je trouve à dire à un homme que je n'aime plus, que je l'aime encore, quand je suis même au désespoir de l'avoir aimé et que je rachèterais de ma vie de n'avoir jamais prononcé que pour vous toutes les paroles qu'il faut que je lui dise. Vous connaÃtrez, lorsqu'il sera éloigné, les injustices que vous me faites et la joie que vous me verrez à son départ vous persuadera mieux que toutes mes paroles. Hermenesilde est en colère contre le prince de ce qu'il parla hier assez longtemps à une personne dont elle lui a déjà témoigné quelque jalousie; c'est ce qui l'a empêchée de suivre la reine lorsqu'elle est allée chez lui. Qu'il ne lui fasse pas connaÃtre qu'il le sache, je lui ai promis de n'en rien dire; il est si véritablement aimé d'elle qu'il... Ma lettre a été interrompue en cet endroit par une chose qui me met dans une inquiétude mortelle une de mes compagnes a entendu aujourd'hui tout ce que le prince a dit à la reine sur le sujet de Consalve; elle l'en a averti à l'heure même, et elle vient de me le dire comme une chose qui doit me surprendre et m'affliger. Il est impossible que Consalve ne vous soupçonne d'avoir su quelque chose des desseins du prince et qu'il ne démêle une grande partie de la vérité. Voyez quel embarras cela peut faire, cette pensée me trouble à un point que je ne sais ce que je fais. Je vais lui écrire que je ne puis le voir ce soir; car je ne saurais m'exposer à lui parler que vous ne l'ayez vu et que je ne sache par vous ce que je lui dois dire. Adieu, jugez de mon inquiétude. Je fus si hors de moi-mêmeen achevant de lire cette lettre que je ne savais ce que je voyais ni ce que je faisais. Mon emportement et ma colère avaient été au dernier degré sur les trahisons que j'avais découvertes, mais c'étaient des sentiments trop faibles et trop communs pour celle que le hasard venait encore de me découvrir. Je demeurai sans parole et sans mouvement et je fus longtemps en cet état, sans avoir que des pensées confuses qui tenaient mon esprit accablé sous le poids de ma douleur Vous m'êtes infidèle Nugna Bella! m'écriai je tout d'un coup, vous joignez à votre changement l'outrage de me tromper et de consentir que je sois trompé par ce que j'aimais le mieux après vous! C'est trop de malheurs à la fois, et ils sont d'une nature qu'il serait plus honteux d'y résister que d'en être accablé. Je cède à la cruauté du plus malheureux sort dont un homme ait jamais été persécuté. J'ai eu de la force et des desseins de vengeance contre un prince ingrat et contre un ami infidèle, mais je n'en ai point contre Nugna Bella. J'étais plus heureux par elle que par tout le reste du monde; puisqu'elle m'abandonne, tout m'est indifférent et je renonce à une vengeance qui ne me pourrait donner de joie. Je me suis vu, il n'y a pas longtemps, le premier homme de tout le royaume par la grandeur de mon père, par la mienne propre et par la faveur du prince, je me croyais aimé des personnes qui m'étaient les plus chères. La fortune me quitte, je suis abandonné par mon maÃtre, je suis trompé par ma soeur, je suis trahi par mon ami, je perds ma maÃtresse et c'est par cet ami que je la perds! Est il possible, Nugna Bella, que vous m'ayez quitté pour don Ramire? Est il possible que don Ramire ait voulu vous ôter à un homme qui vous aimait si passionnément et dont il était lui même si tendrement aimé? Fallait il que je vous perdisse l'un par l'autre, et qu'il ne me restât pas au moins la faible consolation d'avoir un des deux avec qui me plaindre? Des réflexions si cruelles ne me laissaient plus l'usage de la raison; la moindre des infortunes dont je fus accablé dans cette journée eût été capable de me donner une douleur mortelle. Ce grand nombre de malheurs me mettait de l'égarement dans l'esprit, et je ne savais auquel donner mon attention. Celui qui avait apporté la lettre de Nugna Bella, me fit dire qu'il en attendait la réponse. Je revins comme d'un songe lorsqu'on entra dans mon cabinet; je répondis que je l'enverrais le lendemain et j'ordonnai qu'on me laissât en repos. Je me mis encore à considérer l'état où j'avais été et celui où je me trouvais. Une si cruelle expérience de l'inconstance de la fortune et de l'infidélité des hommes, m'inspira le dessein de renoncer pour jamais au commerce du monde et d'aller finir ma vie dans quelque désert. Ma douleur me faisait voir que c'était le seul parti que je pouvais prendre. Je n'avais de retraite qu'auprès de mon père, je savais le dessein qu'il avait de prendre les armes, mais, quelque désespéré que je fusse, je ne pouvais me résoudre à me révolter contre un roi dont je n'avais point reçu d'outrage. Si je n'eusse été abandonné que de la fortune, j'aurais pris plaisir à lui résister et à faire voir que je méritais ce qu'elle m'avait donné, mais après avoir été trompé par tant de personnes que j'avais tant aimées et dont je me croyais si assuré, de quelle espérance pouvais-je encore me flatter? Puis je mieux servir un maÃtre, disais je, que j'ai servi don Garcie? Puis je mieux aimer un ami que j'ai aimé don Ramire? Et puis-je avoir plus d'amour pour une maÃtresse que j'en ai pour Nugna Bella? Cependant ils m'ont trahi! Il faut donc par une retraite entière me dérober à la tromperie des hommes et au dangereux pouvoir des femmes Comme je prenais cette résolution, je vis entrer dans mon cabinet un homme de qualité et de mérite, appelé don Olmond, qui s'était toujours attaché à moi. Il était frère de cette Elvire qui m'avait averti de la trahison du prince et il venait d'apprendre par elle ce que don Garcie avait dit à la reine. Sa surprise fut extrême de voir sur mon visage une agitation et une douleur si extraordinaires. Il me connaissait assez pour avoir peine à s'imaginer que la fortune seule pût me donner tant de trouble. Il crut néanmoins que j'étais touché de l'infidélité du prince et il comrnença à m'en vouloir consoler. J'avais toujours aimé don Olmond, et je l'avais servi en plusieurs occasions, quoique je lui eusse préféré don Ramire en toutes choses. L'ingratitude de ce dernier me fit sentir dans ce moment l'injustice que j'avais faite à don Olmond; pour la réparer ou peut être pour avoir le soulagement de me plaindre, je lui découvris l'état où j'étais et toutes les trahisons qu'on m'avait faites. Il en fut aussi surpris qu'il le devait être mais il ne le fut pas autant que je le pensais de l'infidélité de Nugna Bella. Il me dit que sa soeur en lui racontant l'infidélité du prince lui avait dit aussi que Nugna Bella était sans doute changée pour moi et qu'elle me cachait beaucoup de choses. Voyez; don Olmond, lui dis je en lui montrant la lettre de Nugna Bella, voyez son changement et les choses qu'elle m'a cachées. Elle m'a envoyé cette lettre au lieu de celle qu'elle m'écrivait et il est aisé de juger que cette lettre s'adresse à don Ramire. Don Olmond était si touché de l'état où il me voyait et mes malheurs lui paraissaient si cruels, qu'il n'entreprenait pas de me consoler. Il me laissait soulager ma douleur par les plaintes. N'avais je pas raison, lui dis-je, de vouloir connaÃtre Nugna Bella devant que de l'aimer? Mais je prétendais une chose impossible; on ne connaÃt point les femmes, elles ne se connaissent pas elles mêmes, et ce sont les occasions qui décident des sentiments de leur coeur. Nugna Bella a cru m'aimer, elle n'aimait que ma fortune; elle n'aime peut-être que la même chose en don Ramire. Cependant m'écriai-je, elle ne m'a dit, depuis quelque temps, que les paroles qu'il lui a permis de me dire! C'était à mon rival à qui je faisais mes plaintes du changement qu'il avait causé! Il lui parlait pour lui, lorsque je croyais qu'il lui parlait pour moi! Est il possible que j'aie été l'objet d'une si outrageante tromperie et l'avais je méritée? Le perfide me trahissait donc auprès de Nugna Bella comme il metrahissait auprès de don Garcie! je leur avais confié ma soeur, et ils l'ont engagée avec le prince. Cette union qui me paraissait entre eux, et qui ne me donnait que de la joie, n'avait pour but que de me tromper! O Dieu! m'écriai-je encore, pour qui réservez-vous le tonnerre, si ce n'est pour des personnes si indignes de vivre? Après ce violent transport de ma douleur, l'idée de Nugna Bella infidèle, qui ne me laissait que de l'indifférence pour mes autres malheurs, me remit dans une tristesse où le désespoir paraissait sans emportement. Je dis à don Olmond le dessein où j'étais, d'abandonner toutes choses; il en fut surpris, il s'y opposa, mais je lui fis si bien voir que j'y étais résolu, qu'il crut inutile d'y résister, du moins dans ces premiers moments. Je pris tout ce que je trouvai de pierreries et nous montâmes à cheval, afin de sortir de chez moi devant qu'on me pût apporter l'ordre de me retirer. Nous marchâmes jusques à ce que le soleil parût. Don Olmond me conduisit dans la maison d'un homme qui, avait été à lui; et dont il se tenait assuré. Je voulais qu'il me quittât en ce lieu et qu'il me laissât attendre la nuit pour entrer dans le chemin que j'avais dessein de prendre. Après une longue contestation, il me dit qu'il consentirait à me quitter, comme je le souhaitais, pourvu que je lui promisse de l'attendre au lieu où nous étions; que cependant il irait à Léon pour apprendre quel effet mon départ y avait produit, et que peut-être serait-il arrivé quelque changement qui me ferait quitter la triste résolution que j'avais prise; qu'enfin il me demandait en grâce d'attendre son retour. J'y consentis, à condition qu'il ne dirait à personne qu'il m'eût vu, ai qu'il sût le lieu où j'étais, mais, si j'y consentis, ce fut plutôt par une curiosité involontaire d'apprendre de quelle manière Nugna Bella parlait de moi que par la pensée qu'il pût être arrivé quelque chose qui diminuât mes malheurs. - Allez, lui dis-je, mon cher Olmond, voyez Nugna Bella, et, s'il est possible, sachez ses sentiments par votre soeur; tâchez d'apprendre depuis quel temps elle a cessé, de m'aimer et si elle ne m'a abandonné que parce que la fortune m'a quitté. Don Olmond m'assura qu'il ferait tout ce que je souhaitais, et, deux jours après, il revint me trouver avec une tristesse qui me fit bien voir qu'il n'avait rien à me dire qu'il crût propre à me faire changer de dessein. Il m'apprit que tout le monde ignorait la cause de mon départ; que le prince feignait, aussi bien que don Ramire, d'en être affligé, et que le roi croyait que j'étais parti d'intelligence avec le prince son fils. Il me dit qu'il avait vu sa soeur; que tout ce que je croyais était véritable; que le détail qu'il en avait appris, n'était propre qu'à augmenter mes douleurs, et qu'il me priait de ne le pas obliger à m'en faire le récit. Je n'étais pas en état de pouvoir craindre une augmentation à mes maux, et ce qu'il me voulait taire, était la seule chose qui me pouvait donner encore quelque curiosité. Je le priai donc de ne me rien cacher. Je ne vous redirai point tout ce qu'il me dit, parce que je vous en ai déjà raconté la plus grande partie pour donner quelque ordre à mon récit. Ce fut par lui que j'appris toutes les choses que j'avais ignorées dans le temps qu'elles se passaient, comme vous l'avez pu juger. Je vous dirai seulement que sa soeur lui conta que, le soir avant mon départ, comme elle était revenue de chez la reine, où Nugna Bella n'avait point paru, elle l'avait été chercher, dans sa chambre; qu'elle l'avait trouvée fondue en larmes, avec une lettre entre ses mains; qu'elles avaient été fort surprises l'une et l'autre par des raisons différentes; qu'enfin Nugna Bella, après avoir été fort longtemps, sans parler, avait fermé la porte et lui avait dit qu'elle allait lui confier tout le secret de sa vie; qu'elle la priait de la plaindre et de la consoler dans le plus cruel état où une personne se fût jamais trouvée; qu'alors elle lui avait appris tout ce qui s'était passé entre le prince, don Ramire, ma soeur et elle, de la manière dont je viens de vous le raconter et qu'ensuite elle lui avait dit que don Ramire venait de lui renvoyer cette lettre qu'elle tenait entre ses mains, parce qu'elle n'était pas pour lui; que c'était celle qu'elle m'écrivait; que j'avais reçu celle qui était pour don Ramire, et qu'en le recevant j'avais appris tout ce qu'ils me cachaient depuis si longtemps. Elvire dit à son frère qu'elle n'avait jamais vu une personne si troublée et si affligée que Nugna Bella; [qu']elle craignait que je n'avertisse le roi de l'intelligence de ma soeur et du prince, que je ne fisse chasser don Ramire de la cour et que je ne l'en fisse éloigner elle-même; que surtout elle appréhendait la honte de mes reproches et que les infidélités qu'elle m'avait faites, lui donnaient pour moi une haine extraordinaire. Vous jugez bien que tout ce que m'apprit don Olmond ne diminua pas mes déplaisirs et ne me fit pas changer de dessein. Il l'opiniâtra, avec des marques d'amitié extraordinaires, à me vouloir suivre et à [s']engager à me tenir compagnie dans le désert où je m'en allais. Je lui dis si fortement que je ne le souffrirais jamais, qu'enfin nous nous séparâmes. Il me quitta, à condition qu'en quelque lieu que je pusse aller, je lui donnerais de mes nouvelles. Il s'en retourna à Léon, et je partis dans la pensée de m'embarquer au premier port que je trouverais. Mais; quand je fus seul et abandonné à la réflexion de mes malheurs, le reste de ma vie me parut une si longue souffrance, que je me résolus d'aller chercher la mort dans la guerre que le roi de Navarre avait contre les Maures. Je ne m'y fis connaÃtre que sous le nom de Théodoric, et je fus assez malheureux pour trouver quelque gloire, que je ne cherchais pas, au lieu de la mort que j'avais cherchée. La paix fut conclue, je repris mon premier dessein, et votre rencontre fit changer une solitude affreuse où je m'en allais, en une retraite agréable. J'y trouvai le repos et la tranquillité que j'avais perdus. Ce n'est pas que l'ambition ne se soit réveillée quelquefois dans mon coeur, mais ce que j'ai éprouvé de l'inconstance de la fortune, me l'a rendue méprisable, et l'amour que j'ai eu pour Nugna Bella, était tellement effacé par le mépris qu'elle m'a donné pour elle, que je pouvais dire qu'il ne me restait aucune passion,. quoiqu'il me restât encore beaucoup de tristesse. La vue de Zaïde vient m'ôter ce triste repos dont je jouissais et me jette dans de nouveaux malheurs, beaucoup plus cruels que ceux que j'ai déjà éprouvés. Alphonse demeura surpris et charmé du récit de Consalve. - J'avais conçu, lui dit-il, une grande idée de votre mérite et de votre vertu, mais j'avoue que ce que je viens d'apprendre est encore au-dessus de ce que j'en, avais pensé. - Je dois plutôt craindre, répondit Consalve, que je n'aie diminué la bonne opinion que vous aviez de moi, en vous faisant voir combien j'ai été facile à tromper. Mais j'étais jeune, j'ignorais les trahisons de la cour, j'étais incapable d'en faire, je n'avais aimé que Nugna Bella, l'amour que j'avais pour elle ne me laissait pas imaginer que les passions pussent finir; ainsi rien ne me portait à la défiance ni sur l'amitié ni sur l'amour. - Vous ne pouviez vous garantir d'être trompé, repartit Alphonse, à mois que d'être naturellement soupçonneux; encore vos soupçons, quoique bien fondés, vous auraient paru injustes, puisque vous n'aviez eu jusques alors aucun sujet de vous défier des personnes qui vous trompaient, et leur tromperie était conduite avec tant d'habileté que la raison ne voulait pas qu'on la soupçonnât. - Ne parlons point de mes malheurs passés, reprit Consalve, ils ne me sont plus sensibles, Zaïde m'en ôte même le souvenir, et je m'étonne que j'aie pu vous les raconter. Mais considérez que je n'avais jamais cru pouvoir être amoureux par la beauté seule, ni pouvoir être touché d'une personne qui aurait eu quelque attachement. Cependant j'adore Zaïde, dont je ne connais rien, sinon qu'elle est belle et qu'elle est prévenue pour un autre. Puisque j'ai été trompé dans l'opinion que j'avais conçue de Nugna Bella, que je connaissais, que puis-je attendre de Zaïde que je ne connais point? Mais qu'en veux-je attendre, et quelles prétentions puis-je avoir sur Zaïde? Elle m'est entièrement inconnue, le hasard l'a jetée sur cette côte, elle brûle d'impatience de s'en aller, je ne puis la retenir sans injustice et avec bienséance. Quand je l'y retiendrais en serais-je plus heureux? Je la verrais tous les jours pleurer un homme qu'elle aime et se souvenir de lui en me regardant. Ah! Alphonse, quel mal que la jalousie! Ah! don Garcie, vous aviez raison, il n'y a de passions que celles qui nous frappent d'abord et qui nous surprennent; les autres ne sont que des liaisons où nous portons volontairement notre coeur. Les véritables inclinations nous l'arrachent malgré nous, et l'amour que j'ai pour Zaïde; est un torrent qui m'entraÃne sans me laisser un moment le, pouvoir d'y résister. Mais, Alphonse, ajouta-t-il, je vous fais passer la nuit à vous entretenir de mes peines, et il est juste de vous laisser en repos. Après ces paroles, Alphonse se retira dans sa chambre, et Consalve passa le reste de la nuit sans donner un moment au sommeil. Le jour suivant, Zaïde parut encore occupée du désir de retrouver ce qu'elle avait déjà cherché, mais tout le soin qu'elle prit fut inutile. Consalve ne la quittait point; il oubliait mille fois le jour qu'elle ne pouvait l'entendre et qu'elle ne lui pouvait répondre; il lui demandait la cause de sa douleur avec la même circonspection et la même crainte de lui déplaire que si elle l'avait entendu. Quand la raison lui revenait et qu'il avait le déplaisir de voir qu'elle ne pouvait lui répondre, il cherchait le soulagement de lui dire tout ce que sa passion lui inspirait. - Je vous aime, belle Zaïde, disait-il en la regardant, je vous aime, je vous adore; j'ai au moins le plaisir de vous le dire et de ne pas attirer votre colère; toutes vos actions me persuadent qu'on n'oserait vous le déclarer sans vous déplaire, mais cet amant que vous pleurez vous a parlé sans doute de son amour et vous vous êtes accoutumée de l'entendre. Que d'un mot, belle Zaïde, vous m'éclairciriez de doutes! Lorsqu'il lui parlait ainsi elle se tournait quelquefois vers Félime avec étonnement, et comme pour lui faire remarquer une ressemblance dont elle était toujours surprise. C'était une douleur si vive pour Consalve de s'imaginer qu'il la faisait souvenir de son rival, qu'il eût aisément renoncé aux avantages de sa beauté et de sa bonne mine pour n'avoir point une telle ressemblance. Cette douleur lui était si insupportable qu'il ne pouvait presque plus se résoudre à paraÃtre devant Zaïde, il aimait mieux se priver de sa vue que de lui représenter l'image de celui qu'elle aimait, et lorsque ses regards lui paraissaient favorables, il ne les pouvait supporter, tant il était persuadé qu'ils ne s adressaient pas à lui. Il la quittait, et s'en allait passer des après-dÃners entiers dans le bois; quand il revenait auprès d'elle, il lui trouvait plus de froideur et plus de chagrin qu'elle n'avait accoutumé d'en avoir; il crut même, dans la suite, remarquer quelque inégalité dans la manière dont elle le traitait, mais, comme il n'en pouvait deviner la cause, il s'imagina que le déplaisir de se trouver dans un pays inconnu, faisait les changements qui paraissaient dans son humeur. Il voyait bien néanmoins que l'affliction qu'elle avait eue les premiers jours, commençait à diminuer. Félime était plus triste que Zaïde, mais sa tristesse était toujours égale, elle en paraissait accablée, et il semblait qu'elle ne cherchait qu'à être seule et à entretenir sa rêverie. Alphonse en parlait quelquefois à Consalve avec étonnement, et il était surpris que sa grande mélancolie ne diminuât point sa beauté. Cependant Consalve ne songeait qu'à plaire à Zaïde et à lui donner tous les divertissements que la promenade, la chasse et la pêche lui pouvaient fournir. Elle s'occupa aussi à ce qui la pouvait divertir; elle travailla pendant quelques jours à un bracelet de ses cheveux, et, après l'avoir achevé, elle se l'attacha au bras avec cet empressement que l'on a pour les choses qui viennent d'être achevées. Le jour même qu'elle le mit, le hasard voulut qu'elle le laissât tomber dans le bois. Consalve, qui l'avait vue sortir, allait la chercher, et, en marchant sur ses pas, il trouva ce bracelet qu'il n'eut pas de peine à reconnaÃtre. Il eut une joie sensible de l'avoir trouvé. Cette joie aurait été encore plus grande, s'il l'eût reçu des mains de Zaïde, mais, comme il ne l'avait pas espéré, il se tenait heureux de le devoir à la fortune. Zaide, qui s'était déjà aperçue de la perte qu'elle avait faite, revenait chercher dans les lieux où elle avait passé. Elle fit entendre à Consalve ce qu'elle avait perdu et lui en témoigna même beaucoup de chagrin; quelque peine qu'il sentÃt de lui causer de l'inquiétude, il ne put se résoudre à lui rendre une chose qui lui était si chère. Il fit semblant de chercher avec elle et enfin il l'obligea à ne plus chercher inutilement. Sitôt qu'il fut retiré dans sa chambre, il baisa mille fois ce bracelet et y mit une attache de pierreries d'un grand prix. Quelquefois il allait se promener devant que Zaïde fût éveillée, et, lorsqu'il était en un lieu où il croyait ne pouvoir être vu, il détachait ce bracelet, afin de le mieux considérer. Un matin qu'il était dans cette occupation, et qu'il s'était assis sur des rochers avancés dans la mer, il entendit quelqu'un proche de lui; il se retourna brusquement et il fut bien surpris de voir que c'était Zaïde. Tout ce qu'il put faire fut de cacher ce bracelet, mais ce ne put être si promptement que Zaïde ne vÃt qu'il avait caché quelque chose. Il s'imagina qu'elle avait vu ce qu'il avait caché; il remarqua sur son visage tant de froideur et tant de chagrin, qu'il ne douta point qu'elle ne fût en colère de ce qu'il ne lui avait pas rendu son bracelet; il n'osait lever les yeux sur elle; il craignait qu'elle ne lui fÃt entendre qu'elle le voulait ravoir, mais il ne pouvait se résoudre à le lui rendre. Elle paraissait triste et embarrassée et, sans regarder Consalve, elle s'assit sur le rocher et tourna la tête vers la mer. Le vent emporta, sans qu'elle y prÃt garde, un voile qu'elle tenait entre ses mains. Consalve se leva pour le ramasser, mais, en se levant, il laissa tomber le bracelet qu'il n'avait pu rattacher, pu la crainte qu'il avait eue de le laisser voir. Zaïde se tourna au bruit que fit Consalve; elle vit son bracelet et le ramassa devant qu'il s'en fût aperçu. Il fut extrêmement troublé, lorsqu'il le vit entre ses mains, et par le désespoir de le perdre, et par l'appréhension de sa colère. Il se rassura néanmoins en lui voyant un visage où il ne paraissait plus ni de chagrin ni de dépit, où il crut voir au contraire quelque impression de douceur, et il ne fut pas moins ému, pu l'espérance que lui donnait le visage de Zaïde, qu'il l'avait été, un moment auparavant, par la crainte de lui avoir déplu. Elle regarda avec admiration la beauté de l'attache de pierreries et, après l'avoir regardée, elle la défit, la tendit à Consalve et resserra le bracelet. Lorsque Consalve vit que Zaïde ne lui avait rendu que les pierreries, il se tourna du côté de la mer et y jeta cette attache avec un air de rêverie et de tristesse, comme s'il l'eût laissée tomber par hasard. Zaïde fit un grand cri et s'avança, pour voir si on ne la pourrait point retrouver, mais il lui montra qu'on chercherait inutilement et, sans vouloir qu'elle fÃt une plus longue réflexion sur ce qu'il venait de faire, il lui donna la main pour l'éloigner du lieu où ils étaient. Ils marchèrent sans se regarder et reprirent insensiblement le chemin de la maison d'Alphonse, si embarrassés l'un et l'autre, qu'il semblait qu'ils cherchassent à se quitter. Sitôt que Consalve l'eut remise dans a chambre, il alla rêver à son aventure. Quoique Zaïde ne lui eût pas témoigné autant de colère qu'il en avait appréhendé, il s'imagina que la joie de ravoir son bracelet avait dissipé son premier chagrin; ainsi, il n'en eut pas moins de déplaisir. Quelque passion qu'il eût d'obtenir ce bracelet, il crut qu'il offenserait Zaïde de la lui témoigner, et il demeura accablé de la douleur que donne l'amour, quand il est séparé de l'espérance. Toute sa consolation était de se plaindre avec Alphonse et de se blâmer lui-même de la faiblesse qu'il avait d'aimer Zaïde. - Vous vous accusez avec injustice, lui disait quelquefois Alphonse, il n'est pas aisé de se défendre, au milieu d'un désert, contre une aussi grande beauté que celle de Zaïde, ce serait tout ce que vous pourriez faire au milieu de la cour, où d'autres beautés feraient quelque diversion et où du moins l'ambition partagerait votre coeur. - Mais aime-t-on sans espérance? disait Consalve. Et comment pourrais-je espérer d'être aimé, puisque je ne puis seulement dire que j'aime? Comment le persuaderai-je, si je ne puis le dire? Quelles de mes actions peuvent en assurer Zaïde dans un lieu où je ne vois qu'elle et où je ne puis lui faire connaÃtre que je la préfère aux autres? Comment effacer de son esprit celui qu'elle aime? Ce ne pourrait être que par l'agrément qu'elle trouverait en ma personne, et le malheur veut que mon visage lui conserve le souvenir de son amant. Ah! mon cher Alphonse, ne me flattez point; il faut que j'aie perdu la raison pour aimer Zaïde, pour l'aimer autant que je fais, et même pour ne me pas souvenir d'en avoir aimé une autre et d'en avoir été trompé. - Je crois aussi, répondit Alphonse que vous n'avez aimé qu'elle, puisque vous ne connaissez la jalousie que depuis que vous l'aimez. - Je n'avais pas de sujet d'être jaloux de Nugna Bella, repartit Consalve, tant elle savait bien me tromper. - On est jaloux sans sujet, répliqua Alphonse, quand on est bien amoureux. Vous le voyez par votre expérience, faites réflexion sur la douleur que vous donnent les pleurs de Zaïde et remarquez comme la jalousie vous a fait imaginer qu'elle pleure un amant plutôt qu'un frère. - Je ne suis que trop persuadé, reprit Consalve, que j'aime beaucoup plus Zaïde que je n'ai aimé Nugna Bella. L'ambition de cette dernière et son application aux affaires du prince ont souvent ralenti mon amour, et tout ce que je trouve en Zaïde d'opposé à mon humeur comme de croire qu'elle en aime un autre et de ne connaÃtre ni son coeur ni ses sentiments, ne peut affaiblir ma passion. Mais, Alphonse, pour aimer beaucoup davantage Zaïde que je n'ai aimé Nugna Bella, je n'en suis que plus déraisonnable. Le succès de l'amour que j'ai eu pour Nugna Bella a été cruel, je l'avoue; néanmoins tout homme qui aime peut en avoir un pareil. Il n'y avait point d'aveuglement à l'aimer; je la connaissais, elle n'en aimait point d'autre, je lui plaisais, je pouvais l'épouser, mais Zaïde, Alphonse, mais Zaïde, qui est-elle? Qu'en puis-je prétendre? Et, hormis son admirable beauté qui m'excuse, tout le reste ne me condamne-t-il pas? Consalve avait souvent de pareilles conversations avec Alphonse; cependant son amour augmentait tous les jours, il ne pouvait s'empêcher de laisser parler ses yeux d'une manière si forte, qu'il croyait voir dans ceux de Zaïde que leur langage était entendu, et il la trouvait quelquefois dans un certain embarras qui ne l'en laissait pas douter. Comme elle ne pouvait se faire entendre par ses paroles, ce n'était quasi que par ses regards qu'elle expliquait à Consalve une partie des choses qu'elle lui voulait dire, mais il y avait je ne sais quoi de si beau et de si passionné dans ses regards, que Consalve en était pénétré. Belle Zaïde, disait-il quelquefois, est-ce ainsi que vous regardez ceux que vous n'aimez pas? Que réservez-vous donc pour cet heureux amant dont j'ai le malheur de vous faire souvenir? S'il n'eût point été prévenu de cette pensée, il ne se fût pas cru si infortuné, et les actions de Zaïde ne lui devaient pas persuader qu'elle n'eût pour lui que de l'indifférence. Un jour qu'il l'avait quittée pour quelques moments, il alla se promener sur le bord de la mer et revint ensuite auprès d'une fontaine qui était dans le bois, en un endroit agréable où elle allait assez souvent. Lorsqu'il s'en approcha, il entendit quelque bruit et il vit, au travers des arbres, Zaïde assise auprès de Félime. La surprise que causa cette rencontre à Consalve lui donna la même joie que si le hasard l'eût ramené auprès de Zaïde après une année d'absence. Il s'avança vers le lieu où elle était; quoiqu'il fÃt assez de bruit, elle parlait avec tant d'attention qu'elle ne l'entendit point. Lorsqu'il fut devant elle, elle parut embarrassée comme une personne qui venait de parler haut, qui craignait qu'on n'eût entendu ce qu'elle avait dit, et qui avait oublié que Consalve ne pouvait l'entendre. L'émotion que lui avait causée cette surprise, avait en quelque sorte augmenté sa beauté, et Consalve, qui s'était assis auprès d'elle, ne pouvant plus être maÃtre de lui-même, se jeta tout d'un coup à ses genoux et lui parla de son amour d'une manière si passionnée, qu'il n'était pas nécessaire d'entendre ses paroles pour savoir ce qu'elles voulaient dire. Il parut à Consalve qu'elle ne les entendait que trop; elle rougit et, après avoir fait une action de la main qui semblait le repousser, elle se leva avec une civilité froide comme pour le faire lever d'un lieu où il pourrait être incommodé. Alphonse passa dans l'allée en ce moment, et elle marcha vers lui sans jeter les yeux sur Consalve. Il demeura à la place où il était, sans avoir la force de se relever. Voilà , dit-il en lui-même, la manière dont on me traite quand on ne me regarde pas comme le portrait de mon rival. Vous tournez les yeux sur moi, belle Zaïde, d'une manière à charmer et à embraser tout le monde, lorsque mon visage vous fait souvenir du sien, mais, si j'ose vous témoigner que je vous aime, vous ne laissez pas seulement tomber sur moi des regards de colère, vous me trouvez indigne d'être regardé. Si je pouvais au moins vous apprendre que je sais que vous pleurez un amant, je me trouverais heureux et j'avoue que ma jalousie serait vengée par le dépit que vous en recevriez. N'est-ce point aussi que je veux vous paraÃtre persuadé que vous aimez quelque chose, pour avoir la joie d'être assuré par vous-même que vous n'aimez rien? Ah! Zaïde, ma vengeance est intéressée et elle cherche moins à vous offenser qu'à vous donner lieu de me satisfaire. Dans ces pensées, il reprit le chemin du logis pour s'ôter du lieu où était Zaïde et pour être seul dans une galerie où il se promenait quelquefois. Il y rêva longtemps aux moyens de faire entendre à Zaïde qu'il la soupçonnait d'en aimer un autre, mais il était difficile d'en trouver, et ce n'était pas une chose qui se pût faire comprendre sans paroles. Après s'être lassé de rêver et de se promener, il voulut sortir de la galerie, lorsqu'un peintre, qui travaillait à des tableaux qu'Alphonse faisait faire, le pria avec beaucoup d'empressement, de regarder son ouvrage. Consalve eût bien voulu s'en dispenser, mais, pour ne pas fâcher ce peintre, il s'arrêta à considérer ce qu'il faisait. C'était un grand tableau où Alphonse avait voulu qu'il représentât la mer comme on la voyait de ses fenêtres, et, pour rendre ce tableau plus agréable, il y avait fait peindre une tempête. Il paraissait, d'un côté, des vaisseaux qui périssaient en pleine mer, de l'autre, des navires qui se brisaient contre les rochers; on voyait des hommes qui tâchaient de se sauver à la nage et on en voyait qui avaient déjà péri et dont la mer avait jeté les corps sur le sable. Cette tempête fit souvenir Consalve du naufrage de Zaïde et lui mit dans l'esprit un moyen de lui faire connaÃtre ce qu'il pensait de son affliction. Il dit au peintre qu'il fallait ajouter encore quelques figures dans son tableau, et mettre sur un des rochers qui y étaient représentés, une jeune et belle personne penchée sur le corps d'un homme mort, étendu sur le sable; qu'il fallait qu'elle pleurât en le regardant; qu'il y eût un autre homme à ses genoux, qui essayât de l'ôter d'auprès de ce mort; que cette belle personne, sans tourner les yeux du côté de celui qui lui parlait le repoussât d'une main et que, de l'autre, elle parût essuyer ses larmes. Le peintre promit à Consalve de suivre sa pensée et commença à la dessiner. Consalve en fut satisfait et le pria de travailler avec diligence; ensuite il sortit de la galerie. Il alla pour retrouver Zaïde, ne pouvant, malgré son dépit, être plus longtemps séparé d'elle, mais il sut qu'au retour de la promenade elle s'était retirée dans sa chambre et il ne put la voir de tout le reste du jour. Il en eut de la tristesse et de l'inquiétude et il craignit qu'elle ne l'eût privé de sa vue pour le punir de ce qu'il avait osé lui faire entendre. Le lendemain elle lui parut plus sérieuse qu'à l'ordinaire; mais, les jours suivants, il la trouva comme elle avait accoutumé d'être. Cependant le peintre travaillait à ce que Consalve lui avait ordonné, et Consalve attendait avec beaucoup d'impatience que cet ouvrage fût achevé; sitôt qu'il le fut, il conduisit Zaïde dans la galerie, comme pour lui donner le divertissement de voir travailler le peintre. Il lui fit d'abord regarder tous les tableaux qui étaient déjà faits, et ensuite il lui fit considérer avec plus d'attention celui de la mer, où l'on travaillait encore. Il lui fit remarquer cette jeune personne qui pleurait un homme mort, et, lorsqu'il vit que ses yeux y étaient attachés et qu'il semblait qu'elle reconnût le rocher où elle allait si souvent, il prit le crayon du peintre et écrivit le nom de Zaïde au-dessus de cette belle personne et celui de Théodoric au-dessus de ce jeune homme qui était â genoux. Zaïde, qui lisait ce qu'écrivait Consalve, rougit lorsqu'il eut achevé et, après l'avoir regardé avec des yeux qui témoignaient de la colère, elle prit pinceau et effaça entièrement cet homme mort, qu'elle jugea bien que Consalve l'accusait de pleurer. Quoiqu'il connût aisément qu'il avait fâché Zaïde, il ne laissa pas d'avoir une joie sensible de lui voir effacer celui qu'il en croyait aimé. Encore qu'il pût s'imaginer que cette action de Zaïde fût plutôt un effet de sa fierté qu'une preuve qu'elle ne regrettait personne, il trouvait néanmoins qu'après l'amour qu'il lui avait témoigné, elle lui faisait une faveur de ne vouloir pas lui laisser croire qu'elle en aimât un autre, mais le peu d'espérance que lui donnait cette pensée, ne pouvait détruire tant de sujets de crainte qu'il croyait avoir. Alphonse, qui n'était prévenu d'aucune passion, jugeait des sentiments de cette belle étrangère d'une manière bien différente de Consalve - Je trouve, lui disait-il, que vous avez tort de vous croire malheureux, vous l'êtes sans doute de vous être attaché à une personne que vraisemblablement vous ne pouvez épouser mais vous ne l'êtes pas de la manière dont vous croyez l'être, et les apparences sont trompeuses, si vous n'êtes véritablement aimé de Zaïde. - Il est vrai, répondit Consalve, que, si je jugeais de ses sentiments par ses regards, je pourrais me flatter de quelque espérance, mais, comme je vous l'ai dit, elle ne me regarde que par cette ressemblance qui me donne tant de jalousie. - Je ne sais, répliqua Alphonse, si tout ce que vous pensez est véritable, mais, si j'étais à la place de celui que vous croyez qu'elle regrette, je ne serais pas satisfait que ma ressemblance fÃt regarder quelqu'un avec des yeux si favorables, et il est impossible que l'idée d'un autre produise des sentiments que Zaïde a pour vous. L'espérance est naturelle aux amants. Si quelques actions de Zaïde en avaient déjà fait concevoir à Consalve, le discours d'Alphonse acheva de lui en donner; il crut voir que Zaïde ne le haïssait pas et il en ressentit une joie extraordinaire, mais cette joie ne lui dura pas longtemps; il s'imagina qu'il ne devait qu'à la ressemblance de son rival le penchant qu'elle avait pour lui, il pensa qu'après avoir perdu un homme qu'elle avait fort aimé, elle avait des dispositions favorables pour un autre qui lui ressemblait. Son amour, sa jalousie et sa gloire ne pouvaient se satisfaire d'une inclination qu'il n'avait pas fait naÃtre et qui ne venait que par celle qu'elle avait eue pour un autre. Il crut que, quand il serait aimé de Zaïde, ce ne serait toujours que son rival qu'elle aimerait en lui; enfin il trouvait qu'il serait malheureux quand même il serait assuré d'être aimé. Néanmoins il ne pouvait se défendre de voir avec plaisir dans la manière d'agir de cette belle étrangère, un air fort différent de celui qu'elle avait eu d'abord, et la passion qu'il avait pour elle, était si ardente qu'à quelque cause qu'il crût devoir les marques de son inclination, il lui était impossible de ne les pas recevoir avec transport. Un jour qu'il faisait assez beau, voyant qu'elle ne sortait point de sa chambre, il y entra pour savoir si elle ne voulait point se promener. Elle écrivait, et, bien qu'il fÃt du bruit en entrant, il s'approcha d'elle sans qu'elle s'en aperçût, et se mit à la regarder écrire. Elle tourna la tête par hasard, et, voyant Consalve, elle rougit et cacha ce qu'elle écrivait avec une émotion qui ne causa pas un médiocre trouble à Consalve. Il s'imagina qu'elle ne pouvait avoir tant d'application et tant de surprise pour une lettre qui n'aurait pas eu quelque chose de mystérieux. Cette pensée lui donna de l'inquiétude; il se retira et s'en alla chercher Alphonse pour raisonner sur une aventure qui lui donnait des imaginations bien différentes de celles qu'il avait eues jusques alors. Après l'avoir cherché longtemps sans le trouver, tout d'un coup un sentiment de jalousie le fit retourner dans la chambre de Zaïde. Il y entra, mais il ne l'y trouva pas; elle avait passé dans un cabinet où Félime était d'ordinaire. Consalve vit sur la table un papier écrit à demi plié; il ne put se défendre de l'envie de le voir; il l'ouvrit, et il ne douta point que ce ne fût le même qu'il avait vu écrire à Zaïde un moment auparavant. Il trouva dans ce papier le bracelet de cheveux qu'elle lui avait ôté. Elle rentra comme il tenait ce papier et ce bracelet; elle s'avança pour les reprendre. Consalve se retira de quelques pas, comme s'il eût voulu les garder, mais néanmoins avec une action soumise qui semblait lui en demander la permission. Zaïde lui témoigna qu'elle les voulait ravoir, et avec un air où il y avait tant d'autorité, qu'il était impossible à un homme aussi amoureux que lui de ne pas obéir. Ce fut néanmoins avec la plus grande douleur qu'il eût jamais sentie, qu'il remit entre les mains de Zaïde ce qu'il croyait qu'elle destinait à un autre. Il ne put être maÃtre de son chagrin; il sortit assez brusquement de la chambre, et s'en alla dans la sienne. Il y rencontra Alphonse, qui le venait trouver sur ce qu'on lui avait dit qu'il le cherchait. Sitôt qu'ils furent assis - Je suis bien plus malheureux que je ne l'ai pensé, mon cher Alphonse, lui dit-il, ce rival dont j'étais si jaloux, tout mort que je le croyais, n'est pas mort assurément; je viens de trouver Zaïde qui lui écrit, je viens de voir ce bracelet qu'elle m'a ôté, qu'elle lui envoie, il faut qu'elle ait eu de ses nouvelles, il faut qu'il y ait ici quelqu'un de caché qui lui doive porter des siennes; enfin, toutes ces espérances de bonheur que j'ai eues, ne sont qu'imaginaires, et ne viennent que de mal expliquer les actions de Zaïde. Elle avait raison d'effacer ce mort, que je lui faisais entendre qu'elle pleurait; elle savait bien que celui pour qui coulaient ses larmes vivait encore. Elle avait raison d'avoir tant de colère de voir son bracelet entre mes mains, et tant de joie de l'avoir repris, puisqu'elle l'avait fait pour un autre. Ah! Zaïde, il y a de la cruauté à me laisser prendre de l'espérance, car enfin, vous m'en laissez prendre, et vos beaux yeux ne me la défendent pas. La douleur de Consalve était si vive, qu'il put à peine achever ces paroles. Après qu'Alphonse lui eut laissé le temps de se remettre, il le pria de lui dire comment il avait appris ce qu'il venait de lui raconter et si Zaïde avait trouvé en un moment le moyen de se faire entendre. Consalve lui conta ce qu'il venait de voir du trouble de Zaïde, lorsqu'il l'avait surprise en écrivant, comme il avait trouvé ce bracelet dans le même papier qu'elle avait écrit, et comme elle l'avait retiré de ses mains. - Enfin, Alphonse, ajouta-t-il, on n'est point si troublé pour une lettre indifférente. Zaïde n'a ici aucun commerce, ni aucune affaire; elle ne peut écrire avec tant d'attention, que de ce qui se passe dans son coeur, et ce n'était pas à moi à qui elle l'écrit; ainsi, que voulez-vous que je pense de ce que je viens de voir? - Je veux, repartit Alphonse, que vous ne pensiez pas des choses si peu vraisemblables, et qui vous donnent tant de douleur. Parce que Zaïde rougit lorsque vous la surprenez en écrivant, vous croyez qu'elle écrit à votre rival, et moi je crois qu'elle vous aime assez pour rougir toutes les fois qu'elle sera surprise de vous voir auprès d'elle. Peut-être a-t-elle écrit ce que vous avez vu sans autre dessein que de se divertir. Elle ne vous l'a pas laissé, parce que c'est une chose qui vous aurait été inutile, puisque vous ne pouvez l'entendre, et si elle vous a ôté son bracelet, je vous avoue que je n'en suis point surpris, et qu'encore que je sois persuadé qu'elle vous aime, je la crois assez sage pour ne vouloir pas donner de ses cheveux à un homme qui lui est entièrement inconnu. Mais je ne vois pas les raisons qui vous persuadent qu'elle les veut envoyer à quelque autre. Nous ne l'avons quasi pas quittée depuis qu'elle est ici, personne ne lui a parlé, ceux même qui lui pourraient parler, ne l'entendent pas, comment voudriez-vous qu'elle eût appris des nouvelles de cet amant qui vous donne tant de jalousie, et qu'elle pût lui faire recevoir des siennes? - Je l'avoue, répondit Consalve, je me tourmente plus que je ne dois, mais l'incertitude où je suis est un état insupportable! Les autres n'ont que des incertitudes médiocres, ils se croient plus ou moins aimés, et moi je passe de l'espérance d'être aimé de Zaïde à la pensée qu'elle en aime un autre, et je ne suis jamais assuré un moment si ce que je vois en elle me doit rendre heureux ou misérable. Alphonse, reprit-il, vous prenez plaisir à me tromper; quoi que vous me puissiez dire, ce n'est qu'à un amant à qui elle écrit, et je me trouverais heureux, si j'avais sur ce que je viens de voir l'incertitude dont je me plains comme du plus grand de tous les maux. Alphonse lui dit encore tant de raisons pour lui persuader que son inquiétude était mal fondée, qu'enfin il le rassura en quelque sorte, et Zaïde qu'ils trouvèrent en allant se promener, acheva de le remettre. Elle les vit de loin, et s'approcha d'eux avec tant de douceur, et avec des regards si obligeants pour Consalve, qu'elle dissipa une partie des cruelles inquiétudes qu'elle lui venait de donner. Le temps qu'il avait marqué à cette belle étrangère pour son départ, et qui était celui que les grands vaisseaux partaient de Tarragone pour l'Afrique, commençait à s'approcher et lui donnait une tristesse mortelle. Il ne pouvait se résoudre à se priver lui-même de Zaïde, et, quelque injustice qu'il trouvât à la retenir, il fallait toute sa raison et toute sa vertu pour l'en empêcher. - Quoi! disait-il à Alphonse, je me priverai pour jamais de Zaïde! Ce sera un adieu sans espérance de retour! Je ne saurai en quel endroit de la terre la chercher! Elle veut aller en Afrique, mais elle n'est pas Africaine, et j'ignore quel lieu du monde l'a vue naÃtre. Je la suivrai, Alphonse, continua-t-il, quoiqu'en la suivant je n'espère plus le plaisir de la voir, quoique je sache que sa vertu et les coutumes de l'Afrique ne me permettront pas de demeurer auprès d'elle, j'irai au moins finir ma triste vie dans les lieux qu'elle habitera, et je trouverai de la douceur à respirer le même air; aussi bien je suis un malheureux qui n'ai plus de patrie; le hasard m'a retenu ici, et l'amour m'en fera sortir. Consalve se confirmait dans cette résolution, quelque peine que prÃt Alphonse de l'en détourner. Il était plus tourmenté que jamais de la peine de ne pouvoir entendre Zaïde et de n'en pouvoir être entendu. Il fit réflexion sur la lettre qu'il lui avait vu écrire, et il lui sembla qu'elle était écrite en caractères grecs; quoiqu'il n'en fût pas bien assuré, l'envie de s'en éclaircir lui donna la pensée d'aller à Tarragone pour trouver quelqu'un qui entendÃt la langue grecque. Il y avait déjà envoyé plusieurs fois chercher des étrangers qui lui pussent servir de truchement, mais comme il ne savait quelle langue parlait Zaïde, on ne savait aussi quels étrangers il allait demander, et, les voyages de tous ceux qu'il y avait envoyés ayant été inutiles, il se résolut d'y aller lui-même. C'était néanmoins une résolution difficile à prendre, car il fallait s'exposer dans une grande ville au hasard d'être connu, et il fallait quitter Zaïde, mais l'envie de pouvoir s'expliquer avec elle le fit passer par-dessus ces raisons. Il tâcha de lui faire entendre qu'il allait chercher un truchement et partit pour aller à Tarragone. Il se déguisa le mieux qu'il lui fut possible, il alla dans les lieux où étaient les étrangers, il en trouva un grand nombre, mais leur langue n'était point celle de Zaïde. Enfin il demanda s'il n'y avait point quelqu'un qui entendÃt la langue grecque. Celui à qui il s'adressa lui répondit en espagnol qu'il était d'une des Ãles de la Grèce. Consalve le pria de parler sa langue; il le fit, et Consalve connut que c'était celle de Zaïde. Par bonheur, les affaires de cet étranger ne le retenaient pas à Tarragone; il voulut bien suivre Consalve, qui lui donna une plus grande récompense qu'il n'aurait osé la lui demander. Ils partirent le lendemain à la pointe du jour; et Consalve s'estimait plus heureux d'avoir un truchement que s'il eût eu la couronne de Léon sur la tête. Pendant que le chemin dura, il commença à s'instruire de la langue grecque; il apprit d'abord je vous aime, et quand il pensa qu'il pourrait le dire à Zaïde, et qu'elle l'entendrait il crut qu'il ne pouvait plus être malheureux. Il arriva de bonne heure à la maison d'Alphonse; il le trouva qui se promenait; il lui fit part de sa joie et lui demanda où était Zaïde. Alphonse lui dit qu'il y avait longtemps qu'elle se promenait du côté de la mer. Il en prit le chemin avec son truchement. Il alla au rocher où elle avait accoutumé d'être, il fut surpris de ne l'y trouver pas; néanmoins il ne s'en étonna point, il la chercha jusques au port, où elle allait quelquefois. Il revint au logis, il retourna dans le bois, sa peine fut inutile, il envoya dans tous les lieux où il s'imagina qu'elle pouvait être, mais, comme on ne la trouva point, il commença à avoir quelque pressentiment de son malheur. La nuit vint sans qu'il pût en apprendre de nouvelles, il était désespéré de l'avoir perdue, il craignait qu'il ne lui fût arrivé quelque accident, il se blâmait de l'avoir quittée, enfin il n'y a point de douleur qui fût comparable à la sienne. Il passa toute la nuit dans la campagne avec des flambeaux, et, n'ayant même plus d'espérance de la revoir, il ne laissait pas de la chercher. Il avait déjà été plusieurs fois aux cabanes des pêcheurs pour savoir si personne ne l'avait vue, et il n'avait pu en apprendre aucune nouvelle. Sur le matin, deux femmes, qui revenaient d'un lieu où elles avaient été coucher le jour d'auparavant, lui apprirent qu'en sortant de leurs cabanes elles avaient vu de loin Zaïde et Félime se promener le long de la mer; que, pendant qu'elles se promenaient, une chaloupe avait abordé la côte; qu'il était descendu des hommes de cette chaloupe; que Zaïde et Félime s'étaient éloignées lorsqu'elles les avaient vus, mais que, ces hommes les ayant appelées, elles étaient revenues sur leurs pas et qu'après avoir parlé longtemps et avoir fait des actions qui témoignaient qu'elles étaient bien aises de les voir, elles étaient montées dans la chaloupe et avaient pris la pleine mer. Alors Consalve regarda Alphonse d'une manière qui exprimait mieux sa douleur que n'auraient pu faire toutes ses paroles. Alphonse ne savait que lui dire pour le consoler. Quand tous ceux qui les environnaient se furent retirés, Consalve rompant le silence - Je perds Zaïde, dit-il, et je la perds dans le moment que je pouvais m'en faire entendre; je la perds, Alphonse, et c'est son amant qui me l'enlève, il est aisé de le juger par le rapport de ces femmes. La fortune ne m'a pas voulu laisser ignorer la seule chose qui me pouvait augmenter la douleur de perdre Zaïde. Je l'ai donc perdue pour jamais, et elle est entre les mains d'un rival, et d'un rival aimé! C'était à lui sans doute qu'elle écrivait cette lettre que je surpris, et c'était pour lui apprendre le lieu où il devait la trouver. C'en est trop! s'écria-t-il tout d'un coup, c'en est trop! Mes maux suffiraient à faire plusieurs misérables. J'avoue que j'y succombe, et qu'après avoir tout abandonné, je ne puis supporter d'être plus tourmenté au milieu d'un désert que je ne l'ai été au milieu de la cour. Oui, Alphonse, ajoutait-il, je suis plus malheureux mille fois par la seule perte de Zaïde que je ne l'ai été par toutes celles que j'ai faites. Est-il possible que je ne puisse espérer de revoir Zaïde! Si je savais au moins si je lui ai plu ou si je lui ai été indifférent, mon malheur ne serait pas si insupportable, et je saurais à quelle sorte de douleur je me dois abandonner. Mais si j'ai plu à Zaïde, puis-je penser à l'oublier et ne dois-je pas passer, ma vie à courir toutes les parties du monde pour la trouver? Que si elle en aime un autre, ne dois-je pas faire tous mes efforts pour ne m'en souvenir jamais? Alphonse, ayez pitié de moi, tâchez de me faire croire que Zaïde m'a aimé, ou, persuadez-moi que je lui suis indifférent. Quoi! reprenait-il, je serais aimé de Zaïde et je ne la verrais jamais! Ce malheur passerait encore celui d'en être haï. Mais non, je ne puis être malheureux si Zaïde m'a aimé. Hélas! je l'allais savoir dans le moment que je l'ai perdue, et, quelque soin qu'elle eût pris de se déguiser, j'aurais démêlé ses sentiments, j'aurais sur la cause de ses larmes, j'aurais su son pays, sa fortune, ses aventures, et je saurais maintenant si je dois la suivre et où je dois la chercher. Alphonse ne savait que répondre à Consalve, par l'impossibilité de se déterminer à ce qu'il lui devait dire pour calmer sa douleur. Enfin, après lui avoir représenté que son esprit n'était pas en état de prendre une résolution et qu'il fallait se servir de sa raison pour supporter son malheur, il l'obligea de retourner chez lui. Sitôt que Consalve fut dans sa chambre, il fit appeler son truchement pour se faire expliquer quelques mots qu'il avait entendu dire à Zaïde et qu'il avait retenus. Le truchement lui en expliqua plusieurs, et entre autres ceux que Zaïde avait souvent dits à Félime en le regardant. Il les expliqua en sorte que Consalve fut assuré qu'il ne s'était pas trompé, lorsqu'il avait cru qu'elle parlait d'une ressemblance, et il ne douta plus alors que ce ne fût un amant de Zaïde à qui il ressemblait. Dans cette pensée, il envoya chercher ces femmes qui avaient vu partir cette belle étrangère, pour savoir d'elles si, parmi ces hommes qui l'avaient emmenée, il n'y avait point quelqu'un qui lui ressemblât. Sa curiosité ne put être satisfaite; ces femmes les avaient vus de trop loin pour remarquer cette ressemblance, et elles lui dirent seulement qu'il y en avait un que Zaïde avait embrassé. Consalve ne put entendre ces paroles sans s'abandonner au désespoir et sans prendre le dessein d'aller chercher Zaïde pour tuer son amant à ses yeux. Alphonse lui représenta qu'il y aurait de l'injustice et de l'impossibilité dans ce dessein; qu'il n'avait point de droit sur Zaïde; qu'elle était engagée avec cet amant devant que de l'avoir vu; que c'était peut-être son mari; qu'il ne savait en quel lieu du monde la chercher; que, quand il l'aurait trouvée, ce serait apparemment dans un pays où ce rival aurait tant d'autorité qu'il ne pourrait exécuter ce que la colère lui conseillait d'entreprendre. - Que voulez-vous donc que je devienne? répliqua Consalve; et croyez-vous qu'il me soit possible de demeurer en l'état où je suis! - Je voudrais, dit Alphonse, que vous supportassiez ce malheur, qui ne regarde que l'amour, comme vous avez déjà supporté ceux qui regardaient et l'amour et la fortune. - C'est pour avoir trop souffert que je ne puis plus souffrir, répondit Consalve, je veux aller chercher Zaïde, la revoir, savoir d'elle qu'elle en aime un autre et mourir à ses pieds. Mais non, reprit-il, je serais digne de mon malheur si j'allais chercher Zaïde après la manière dont elle m'a quittée. Le respect et l'adoration que j'ai eus pour elle, l'engageaient à me faire dire au moins qu'elle s'en allait. La seule reconnaissance l'y devait obliger, et, puisqu'elle ne l'a pas fait, il faut qu'elle joigne le mépris à l'indifférence. Je me suis trop flatté quand j'ai pu m'imaginer qu'elle ne me haïssait pas, je ne dois jamais penser à la suivre ni à la chercher. Non, Zaïde, je ne vous suivrai point. Alphonse, je me rends à vos raisons et je vois bien que je ne dois prétendre qu'à finir, le plus tôt que je pourrai, le reste d'une misérable vie. Consalve parut déterminé à cette résolution et son esprit en fut plus calme. Il était néanmoins dans une tristesse qui faisait pitié; il passait les journées entières dans les lieux où il avait vu Zaïde, et il semblait l'y chercher encore. Il garda son truchement pour apprendre la langue grecque, et, quoiqu'il fût persuadé qu'il ne verrait jamais Zaïde, il trouvait quelque douceur à s'assurer au moins qu'il la pourrait entendre s'il la revoyait. Il apprit en peu de temps ce que les autres n'apprennent qu'en plusieurs années. Mais, lorsqu'il n'eut plus cette occupation, qui avait quelque rapport avec Zaïde, il se trouva encore plus affligé qu'auparavant. Il faisait souvent réflexion sur la cruauté de sa destinée qui, après l'avoir accablé à Léon de tant de malheurs, lui en faisait encore éprouver un incomparablement plus sensible, en le privant d'une personne qui seule lui était plus chère que la fortune, l'ami et la maÃtresse qu'il avait perdus. En faisant cette triste différence de ses malheurs passés à son malheur présent, il se souvint de la promesse qu'il avait faite à don Olmond de lui donner de ses nouvelles, et, quelque peine qu'il eût à penser à autre chose qu'à Zaïde, il jugea qu'il devait cette marque de reconnaissance à un homme qui lui avait témoigné tant d'amitié. Il ne voulut pas lui apprendre précisément le lieu où il était, il lui manda seulement qu'il le priait de lui écrire à Tarragone; que sa retraite n'en était pas éloignée; qu'il s'y trouvait sans ambition; qu'il n'avait plus de ressentiment contre don Garcie, de haine pour don Ramire, ni d'amour pour Nugna Bella; que cependant il était encore plus malheureux que lorsqu'il partit de Léon. Alphonse était sensiblement touché de l'état où il voyait Consalve; il ne l'abandonnait point et tâchait, autant qu'il lui était possible, de diminuer son affliction. Vous avez perdu Zaïde, lui disait-il un jour, mais vous n'avez pas contribué à la perdre, et, quelque malheureux que vous soyez, il y a du moins une sorte de malheur que votre destinée vous laisse ignorer. Etre la cause de son infortune est ce malheur qui vous est inconnu et c'est celui qui fera éternellement mon supplice. Si vous trouvez quelque consolation, continua-t-il, d'apprendre, par mon exemple, que vous pourriez être plus infortuné que vous ne l'êtes, je veux bien vous raconter les accidents de ma vie, quelque douleur que me puisse donner un si triste souvenir. Consalve ne put s'empêcher de lui laisser voir tant de désir de savoir ce qui l'avait obligé à se confiner dans un désert qu'Alphonse, pour satisfaire sa curiosité, et pour lui faire connaÃtre qu'il était plus malheureux que lui, commença ainsi l'histoire de ses déplaisirs Histoire d'Alphonse et de Bélasire Vous savez, seigneur, que je m'appelle Alphonse Ximénès et que ma maison a quelque lustre dans l'Espagne pour être descendue des premiers rois de Navarre. Comme je n'ai dessein que de vous conter l'histoire de mes derniers malheurs, je ne vous ferai pas celle de toute ma vie; il y a néanmoins des choses assez remarquables, mais comme, jusques au temps dont je vous veux parler, je n'avais été malheureux que par la faute des autres, et non pas par la mienne, je ne vous en dirai rien, et vous saurez seulement que j'avais éprouvé tout ce que l'infidélité et l'inconstance des femmes peuvent faire souffrir de plus douloureux. Aussi étais-je très éloigné d'en vouloir aimer aucune. Les attachements me paraissaient des supplices, et, quoi qu'il y eût plusieurs belles personnes dans la cour dont je pouvais être aimé, je n'avais pour elles que les sentiments de respect qui sont dus à leur sexe. Mon père, qui vivait encore, souhaitait de me marier, par cette chimère si ordinaire à tous les hommes de vouloir conserver leur nom. Je n'avais pas de répugnance au mariage, mais la connaissance que j'avais des femmes, m'avait fait prendre la résolution de n'en épouser jamais de belles, et, après avoir tant souffert par la jalousie, je ne voulais pas me mettre au hasard d'avoir tout ensemble celle d'un amant et celle d'un mari. J'étais dans ces dispositions, lorsqu'un jour mon père me dit que Bélasire, fille du comte de Guévarre, était arrivée à la cour, que c'était un parti considérable, et par son bien, et par sa naissance, et qu'il eût fort souhaité de l'avoir pour belle-fille. Je lui répondis qu'il faisait un souhait inutile, que j'avais déjà ouï parler de Bélasire, et que je savais que personne n'avait encore pu lui plaire, que je savais aussi qu'elle était belle et que c'était assez pour m'ôter la pensée de l'épouser. Il me demanda si je l'avais vue; je lui répondis que toutes les fois qu'elle était venue à la cour, je m'étais trouvé à l'armée et que je ne la connaissais que de réputation. Voyez-la, je vous en prie, répliqua-t-il, et, si j'étais aussi assuré que vous lui pussiez plaire que je suis persuadé qu'elle vous fera changer de résolution de n'épouser jamais une belle femme, je ne douterais pas de votre mariage. Quelques jours après, je. trouvai Bélasire chez la reine; je demandai son nom, me doutant bien que c'était elle, et elle me demanda le mien, croyant bien aussi que j'étais Alphonse. Nous devinâmes l'un et l'autre ce que nous avions demandé, nous nous le dÃmes et nous parlâmes ensemble avec un air plus libre qu'apparemment nous ne le devions avoir dans une première conversation. Je trouvai la personne de Bélasire très charmante, et son esprit beaucoup au-dessus de ce que j'en avais pensé. Je lui dis que j'avais de la honte de ne la connaÃtre pas encore; que néanmoins je serais bien aise de ne la pas connaÃtre davantage; que je n'ignorais pas combien il était inutile de songer à lui plaire, et combien il était difficile de se garantir de le désirer. J'ajoutai que, quelque difficulté qu'il y eût à toucher son coeur, je ne pourrais m'empêcher d'en former le dessein, si elle cessait d'être belle, mais que, tant qu'elle serait comme je la voyais, je n'y penserais de ma vie, que je la suppliais même de m'assurer qu'il était impossible de se faire aimer d'elle, de peur qu'une fausse espérance ne me fit changer la résolution que j'avais prise de ne m'attacher jamais à une belle femme. Cette conversation, qui avait quelque chose d'extraordinaire, plut à Bélasire; elle parla de moi assez favorablement, et je parlai d'elle comme d'une personne en qui je trouvais un mérite et un agrément au-dessus des autres femmes. Je m'enquis, avec plus de soin que je n'avais fait, qui étaient ceux qui s'étaient attachés à elle. On me dit que le comte de Lare l'avait passionnément aimée, que cette passion avait duré longtemps, qu'il avait été tué à l'armée et qu'il s'était précipité dans le péril après avoir perdu l'espérance de l'épouser. On me dit aussi que plusieurs autres personnes avaient essayé de lui plaire, mais inutilement, et que l'on n'y pensait plus parce qu'on croyait impossible d'y réussir. Cette impossibilité dont on me parlait me fit imaginer quelque plaisir à la surmonter. Je n'en fis pas néanmoins le dessein, mais je vis Bélasire le plus souvent qu'il me fut possible, et comme la cour de Navarre n'est pas si austère que celle de Léon, je trouvais aisément les occasions de la voir Il n'y avait pourtant rien de sérieux entre elle et moi; je lui parlait en riant de l'éloignement où nous étions l'un pour l'autre et de la joie que j'aurais, qu'elle changeât de visage et de sentiments. Il me parut que ma conversation ne lui déplaisait pas et que mon esprit lui plaisait, parce qu'elle trouvait que je connaissais tout le sien. Comme elle avait même pour moi une confiance qui me donnait une entière liberté de lui parler, je la priai de me dire les raisons qu'elle avait eues de refuser si opiniâtrement ceux qui s'étaient attachés à lui plaire. Je vais vous répondre sincèrement, me dit-elle. Je suis née avec aversion pour le mariage, les liens m'en ont toujours paru très rudes, et j'ai cru qu'il n'y avait qu'une passion qui pût assez aveugler pour faire passer par-dessus toutes les raisons qui s'opposent à cet engagement. Vous ne voulez pas vous marier par amour, ajouta-t-elle, et moi je ne comprends pas qu'on puisse se marier sans amour et sans une amour violente, et, bien loin d'avoir eu de la passion, je n'ai même jamais eu d'inclination pour personne; ainsi, Alphonse, si je ne me suis point mariée, c'est parce que je n'ai rien aimé. - Quoi! madame, lui répondis-je, personne ne vous a plu? Votre coeur n'a jamais reçu d'impression? Il n'a jamais été troublé au nom et à la vue de ceux qui vous adoraient? - Non, me dit-elle, je ne connais aucun des sentiments de l'amour. - Quoi! pas même la jalousie? lui dis-je. - Non, pas même la jalousie, me répliqua-t-elle. - Ah! si cela est, madame, lui répondis-je, je suis persuadé que vous n'avez jamais eu d'inclination pour personne. - Il est vrai, reprit-elle, personne ne m'a jamais plu, et je n'ai pas même trouvé d'esprit qui me fût agréable, et qui eût du rapport avec le mien. Je ne sais quel effet me firent les paroles de Bélasire, je ne sais si j'en étais déjà amoureux sans le savoir, mais l'idée d'un coeur fait comme le sien, qui n'eût jamais reçu d'impression, me parut une chose si admirable et si nouvelle que je fus frappé dans ce moment du désir de lui plaire et d'avoir la gloire de toucher ce coeur que tout le monde croyait insensible. Je ne fus plus cet homme qui avait commencé à parler sans dessein, je repassai dans mon esprit tout ce qu'elle me venait de dire. Je crus que, lorsqu'elle m'avait dit qu'elle n'avait trouvé personne qui lui eût plu, j'avais vu dans ses yeux qu'elle m'en avait excepté; enfin j'eus assez d'espérance pour achever de me donner de l'amour et, dès ce moment, je devins plus amoureux de Bélasire que je ne l'avais jamais été d'aucune autre. Je ne vous redirai point comme j'osai lui déclarer que je l'aimais; j'avais commencé à lui parler par une espèce de raillerie, il était difficile de lui parler sérieusement, mais aussi cette raillerie me donna bientôt lieu de lui dire des choses que je n'aurais osé lui dire de longtemps. Ainsi j'aimai Bélasire et je fus assez heureux pour toucher son inclination, mais je ne le fus pas assez pour lui persuader mon amour. Elle avait une défiance naturelle de tous les hommes; quoiqu'elle m'estimât beaucoup plus que tous ceux qu'elle avait vus, et par conséquent plus que je ne méritais, elle n'ajoutait pas de foi à mes paroles. Elle eut néanmoins un procédé avec moi tout différent de celui des autres femmes, et j'y trouvai quelque chose de si noble et de si sincère que j'en fus surpris. Elle ne demeura pas longtemps sans m'avouer l'inclination qu'elle avait pour moi, elle m'apprit ensuite le progrès que je faisais dans son coeur, mais, comme elle ne me cachait point ce qui m'était avantageux, elle m'apprenait aussi ce qui ne m'était pas favorable. Elle me dit qu'elle ne croyait pas que je l'aimasse véritablement et que tant qu'elle ne serait pas mieux persuadée de mon amour, elle ne consentirait jamais à m'épouser. Je ne vous saurais exprimer la joie que je trouvais à toucher ce coeur qui n'avait jamais été touché, et à voir l'embarras et le trouble qu'y apportait une passion qui lui était inconnue. Quel charme c'était pour moi de connaÃtre l'étonnement qu'avait Bélasire de n'être plus maÃtresse d'elle-même et de se trouver des sentiments sur quoi elle n'avait point de pouvoir! Je goûtai des délices dans ces commencements que je n'avais pas imaginées, et, qui n'a point senti le plaisir de donner une violente passion à une personne qui n'en a jamais eu, même de médiocre, peut dire qu'il ignore les véritables plaisirs de l'amour. Si j'eus de sensibles joies par la connaissance de l'inclination que Bélasire avait pour moi, j'eus aussi de cruels chagrins par le doute où elle était de ma passion et par l'impossibilité qui me paraissait à l'en persuader. Lorsque cette pensée me donnait de l'inquiétude, je rappelais les sentiments que j'avais eus sur le mariage, je trouvais que j'allais tomber dans les malheurs que j'avais tant appréhendés, je pensais que j'aurais la douleur de ne pouvoir assurer Bélasire de l'amour que j'avais pour elle; ou que, si je l'en assurais et qu'elle m'aimât véritablement, je serais exposé au malheur de cesser d'être aimé. Je me disais que le mariage diminuerait l'attachement quelle avait pour moi, qu'elle ne m'aimerait plus que par devoir, qu'elle en aimerait peut-être quelque autre; enfin je me représentais tellement l'horreur d'en être jaloux que, quelque estime et quelque passion que j'eusse pour elle, je me résolvais quasi d'abandonner l'entreprise que j'avais faite, et je préférais le malheur de vivre sans Bélasire à celui de vivre avec elle sans en être aimé. Bélasire avait à peu près des incertitudes pareilles aux miennes, elle ne me cachait point ses sentiments non plus que je ne lui cachais pas les miens. Nous parlions des raisons que nous avions de ne nous point engager, nous résolûmes plusieurs fois de rompre notre attachement, nous nous dÃmes adieu dans la pensée d'exécuter nos résolutions, mais nos adieux étaient si tendres et notre inclination si forte, qu'aussitôt que nous nous étions quittés nous ne pensions plus qu'à nous revoir. Enfin, après bien des irrésolutions de part et d'autre, je surmontai les doutes de Bélasire, elle rassura tous les miens, elle me promit qu'elle consentirait à notre mariage sitôt que ceux dont nous dépendions auraient réglé ce qui était nécessaire pour l'achever. Son père fut obligé de partir devant que de le pouvoir conclure; le roi l'envoya sur la frontière signer un traité avec les Maures et nous fûmes contraints d'attendre son retour. J'étais cependant le plus heureux homme du monde, je n'étais occupé que de l'amour que j'avais pour Bélasire, j'en étais passionnément aimé, je l'estimais plus que toutes les femmes du monde, et je me croyais sur le point de la posséder. Je la voyais avec toute la liberté que devait avoir un homme qui l'allait bientôt épouser. Un jour, mon malheur fit que je la priai de me dire tout ce que ses amants avaient fait pour elle. Je prenais plaisir à voir la différence du procédé qu'elle avait eu avec eux d'avec celui qu'elle avait avec moi. Elle me nomma tous ceux que l'avaient aimée; elle me conta tout ce qu'ils avaient fait pour lui plaire; elle me dit que ceux qui avaient eu plus de persévérance, étaient ceux dont elle avait eu plus d'éloignement, et que le comte de Lare, qui l'avait aimée jusques à sa mort, ne lui avait jamais plu. Je ne sais pourquoi, après ce qu'elle me disait, j'eus plus de curiosité pour ce qui regardait le comte de Lare que pour les autres. Cette longue persévérance me frappa l'esprit je la priai de me redire encore tout ce qui s'était passé entre eux; elle le fit, et, quoiqu'elle ne me dÃt rien qui me dût déplaire, je fus touché d'une espèce de jalousie. Je trouvai que, si elle ne lui avait témoigné de l'inclination, qu'au moins lui avait-elle témoigné beaucoup d'estime. Le soupçon m'entra dans l'esprit qu'elle ne me disait pas tous les sentiments qu'elle avait eus pour lui. Je ne voulus point lui témoigner ce que je pensais; je me retirai chez moi plus chagrin que de coutume; je dormis peu, et je n'eus point de repos que je ne la visse le lendemain et que je ne lui fisse encore raconter tout ce qu'elle m'avait dit le jour précédent. Il était impossible qu'elle m'eût comté d'abord toutes les circonstances d'une passion qui avait duré plusieurs années, elle me dit des choses qu'elle ne m'avait point encore dites, je crus qu'elle avait eu dessein de me les cacher. Je lui fis mille questions, et je lui demandai à genoux de me répondre avec sincérité. Mais quand ce qu'elle me répondait, était comme je le pouvais désirer, je croyais qu'elle ne me parlait ainsi que pour me plaire; si elle me disait des choses un peu avantageuses pour le comte de Lare, je croyais qu'elle m'en cachait bien davantage; enfin la jalousie, avec toutes les horreurs dont on la représente, se saisit de mon esprit. Je ne lui donnais plus de repos, je ne pouvais plus lui témoigner ni passion ni tendresse, j'étais incapable de lui parler que du comte de Lare, j'étais pourtant au désespoir de l'en faire souvenir et de remettre dans sa mémoire tout ce qu'il avait fait pour elle. Je résolvais de ne lui en plus parler, mais je trouvais toujours que j'avais oublié de me faire expliquer quelque circonstance et, sitôt que j'avais commencé ce discours, c'était pour moi un labyrinthe; je n'en sortais plus, et j'étais également désespéré de lui parler du comte de Lare ou de ne lui en parler pas. Je passais les nuits entières sans dormir; Bélasire ne me paraissait plus la même personne. Quoi! disais-je c'est ce qui a fait le charme de ma passion que de croire que Bélasire n'a jamais rien aimé, et qu'elle n'a jamais eu d'inclination pour personne; cependant, par tout ce qu'elle me dit elle-même, il faut qu'elle n'ait pas eu d'aversion pour le comte de Lare. Elle lui a témoigné trop d'estime, et elle l'a traité avec trop de civilité; si elle ne l'avait point aimé, elle l'aurait haï par la longue persécution qu'il lui a faite et qu'il lui a fait faire par ses parents. Non, disais-je, Bélasire, vous m'avez trompé, vous n'étiez point telle que je vous ai crue; c'était comme une personne qui n'avait jamais rien aimé, que je vous ai adorée, c'était le fondement de ma passion, je ne le trouve plus, il est juste que je reprenne tout l'amour que j'ai eu pour vous. Mais, si elle me dit vrai, reprenais-je, quelle injustice ne lui fais-je point! Et quel mal ne me fais-je point à moi-même de m'ôter tout le plaisir que je trouvais à être aimé d'elle! Dans ces sentiments, je prenais la résolution de parler encore une fois à Bélasire; il me semblait que je lui dirais mieux que je n'avais fait ce qui me donnait de la peine et que je n'avais fait ce qui me donnait de la peine et que je m'éclaircirais avec elle d'une manière qui ne me laisserait plus de soupçon. Je faisais ce que j'avais résolu; je lui parlais, mais ce n'était pas pour la dernière fois; et, le lendemain, je reprenais le même discours avec plus de chaleur que le jour précédent. Enfin Bélasire, qui avait eu jusques alors une patience et une douceur admirables, qui avait souffert tous mes soupçons et qui avait travaillé à me les ôter, commença à se lasser de la continuation d'une jalousie si violente et si mal fondée. - Alphonse, me dit-elle un jour, je vois bien que le caprice que vous avez dans l'esprit va détruire la passion que vous aviez pour moi, mais il faut que vous sachiez aussi qu'elle détruira infailliblement celle que j'ai pour vous. Considérez, je vous en conjure, sur quoi vous me tourmentez et sur quoi vous vous tourmentez vous-même, sur un homme mort, que vous ne sauriez croire que j'aie aimé puisque je ne l'ai pas épousé, car, si je l'avais aimé, mes parents voulaient notre mariage, et rien ne s'y opposait. - Il est vrai, madame, lui répondis-je, je suis jaloux d'un mort et c'est ce qui me désespère. Si le comte de Lare était vivant, je jugerais par la manière dont vous seriez ensemble, de celle dont vous y auriez été, et ce que vous faites pour moi me convaincrait que vous ne l'aimeriez pas. J'aurais le plaisir en vous épousant de lui ôter l'espérance que vous lui aviez donnée, quoi que vous me puissiez dire, mais il est mort, et il est peut-être mort persuadé que vous l'auriez aimé, s'il avait vécu. Ah! madame, je ne saurais être heureux toutes les fois que je penserais qu'un autre que moi a pu se flatter d'être aimé de vous. - Mais, Alphonse, me dit-elle encore, si je l'avais aimé, pourquoi ne l'aurais-je pas épousé? - Parce que vous ne l'avez pas assez aimé, madame, lui répliquai-je, et que la répugnance que vous aviez au mariage ne pouvait être surmontée par une inclination médiocre. Je sais bien que vous m'aimez davantage que vous n'avez aimé le comte de Lare, mais, pour peu que vous l'ayez aimé, tout mon bonheur est détruit, je ne suis plus le seul homme qui vous ait plu, je ne suis plus le premier qui vous ait fait connaÃtre l'amour, votre coeur a été touché par d'autres sentiments que ceux que je lui ai donnés. Enfin, madame, ce n'est plus ce qui m'avait rendu le plus heureux homme du monde, et vous ne me paraissez plus du même prix dont je vous ai trouvée d'abord. - Mais, Alphonse, me dit-elle, comment avez-vous pu vivre en repos avec celles que vous avez aimées? Je voudrais bien savoir si vous avez trouvé en elles un coeur qui n'eût jamais senti de passion. - Je ne l'y cherchais pas, madame, lui répliquai-je, je ne n'avais pas espéré de l'y trouver, je ne les avais point regardées comme des personnes incapables d'en aimer d'autres que moi, je m'étais contenté de croire qu'elles m'aimaient beaucoup plus que tout ce qu'elles avaient aimé, mais, pour vous, madame, ce n'est pas de même; je vous ai toujours regardée comme une personne au-dessus de l'amour et qui ne l'aurait jamais connu sans moi. Je me suis trouvé heureux et glorieux tout ensemble d'avoir pu faire une conquête si extraordinaire. Par pitié, ne me laissez plus dans l'incertitude où je suis; si vous m'avez caché quelque chose sur le comte de Lare, avouez-le-moi; le mérite de l'aveu et votre sincérité me consoleront peut-être de ce que vous m'avouerez; éclaircissez mes soupçons, et ne me laissez pas vous donner un plus grand prix que je ne dois, ou moindre que vous ne méritez. - Si vous n'aviez point perdu la raison, me dit Bélasire, vous verriez bien que, puisque je ne vous ai pas persuadé, je ne vous persuaderai pas, mais si je pouvais ajouter quelque chose à ce que je vous ai déjà dit, ce serait qu'une marque infaillible que je n'ai pas eu d'inclination pour le comte de Lare, est de vous en assurer comme je fais. Si je l'avais aimé, il n'y aurait rien qui pût me le faire désavouer, je croirais faire un crime de renoncer à des sentiments que j'aurais eus pour un homme mort qui les aurait mérités. Ainsi, Alphonse, soyez assuré que je n'en ai point eu qui vous puisse déplaire. Persuadez-le-moi donc, madame, m'écriai-je, dites-le moi mille fois de suite, écrivez-le-moi, enfin redonnez-moi le plaisir de vous aimer comme je faisais, et surtout pardonnez-moi le tourment que je vous donne. Je me fais plus de mal qu'à vous et, si l'état où je suis se pouvait racheter, je le rachèterais par la perte de ma vie. Ces dernières paroles firent de l'impression sur Bélasire; elle vit bien qu'en effet je n'étais pas le maÃtre de mes sentiments; elle me promit d'écrire tout ce qu'elle avait pensé et tout ce qu'elle avait fait pour le comte de Lare, et, quoique ce fussent des choses qu'elle m'avait déjà dites mille fois, j'eus du plaisir de m'imaginer que je les verrais écrites de sa main. Le jour suivant elle m'envoya ce qu'elle m'avait promis, j'y trouvai une narration fort exacte de ce que le comte de Lare avait fait pour lui plaire, et de tout ce qu'elle avait fait pour le guérir de sa passion, avec toutes les raisons qui pouvaient me persuader que ce qu'elle me disait était véritable. Cette narration était faite d'une manière qui devait me guérir de tous mes caprices, mais elle fit un effet contraire. Je commençai par être en colère contre moi-même d'avoir obligé Bélasire à employer tant de temps à penser au comte de Lare. Les endroits de son récit où elle entrait dans le détail, m'étaient insupportables; je trouvais qu'elle avait bien de la mémoire pour les actions d'un homme qui lui avait été indifférent. Ceux qu'elle avait passés légèrement, me persuadaient qu'il y avait des choses qu'elle ne m'avait osé dire; enfin je fis du poison du tout, et je vins voir Bélasire plus désespéré et plus en colère que je ne l'avais jamais été. Elle, qui savait combien j'avais sujet d'être satisfait, fut offensée de me voir si injuste, elle me le fit connaÃtre avec plus de force qu'elle ne l'avait encore fait. Je m'excusai le mieux que je pus, tout en colère que j'étais. Je voyais bien que j'avais tort, mais il ne dépendait pas de moi d'être raisonnable. Je lui dis que ma grande délicatesse sur les sentiments qu'elle avait eus pour le comte de Lare, était une marque de la passion et de l'estime que j'avais pour elle, et que ce n'était que par le prix infini que je donnais à son coeur que je craignais si fort qu'un autre n'en eût touché la moindre partie; enfin je dis tout ce que je pus m'imaginer pour rendre ma jalousie plus excusable. Bélasire n'approuva point mes raisons, elle me dit que de légers chagrins pouvaient être produits par ce que je lui venais de dire, mais qu'un caprice si long ne pouvait venir du défaut et du dérèglement de mon humeur, que je lui faisais peur pour la suite de sa vie et que, si je continuais, elle serait obligée de changer de sentiments. Ces menaces me firent trembler, je me jetai à ses genoux, je l'assurai que je ne lui parlerai plus de mon chagrin, et je crus moi-même en pouvoir être le maÃtre, mais ce ne fut que pour quelques jours. Je recommençai bientôt à la tourmenter, je lui redemandai souvent pardon, mais souvent aussi je lui fis voir que je croyais toujours qu'elle avait aimé le comte de Lare, et que cette pensée me rendrait éternellement malheureux. Il y avait déjà longtemps que j'avais fait une amitié particulière avec un homme de qualité appelé don Manrique. C'était un des hommes du monde qui avaient le plus de mérite et d'agrément. La liaison qui était entre nous, en avait fait une très grande entre Bélasire et lui, leur amitié ne m'avait jamais déplu; au contraire, j'avais pris plaisir à l'augmenter. Il s'était aperçu plusieurs fois du chagrin que j'avais depuis quelque temps. Quoique je n'eusse rien de caché pour lui, la honte de mon caprice m'avait empêché de le lui avouer. Il vint chez Bélasire un jour que j'étais encore plus déraisonnable que je n'avais accoutumé et qu'elle était aussi plus lasse qu'à l'ordinaire de ma jalousie. Don Manrique connut, à l'altération de nos visages, que nous avions quelque démêlé. J'avais toujours prié Bélasire de ne lui point parler de ma faiblesse; je lui fis encore la même prière quand il entra, mais elle voulut m'en faire honte, et; sans me donner le loisir de m'y opposer, elle dit à don Manrique ce qui faisait mon chagrin. Il en parut si étonné, il le trouva si mal fondé, et il m'en fit tant de reproches qu'il acheva de troubler ma raison. Jugez, seigneur, si elle fut troublée et quelle disposition j'avais à la jalousie! Il me parut que, de la manière dont m'avait condamné don Manrique, il fallait qu'il fût prévenu pour Bélasire. Je voyais bien que je passais les bornes de la raison, mais je ne croyais pas aussi qu'on me dût condamner entièrement, à moins que d'être amoureux de Bélasire. Je m'imaginai alors que don Manrique l'était il y avait déjà longtemps, et que je lui paraissais si heureux d'en être aimé, qu'il ne trouvait pas que je me dusse plaindre, quand elle en aurait aimé un autre. Je crus même que Bélasire s'était bien aperçue que don Manrique avait pour elle plus que de l'amitié; je pensai qu'elle était bien aise d'être aimée, comme le sont d'ordinaire toutes les femmes, et, sans la soupçonner de me faire une infidélité, je fus jaloux de l'amitié qu'elle avait pour un homme qu'elle croyait son amant. Bélasire et don Manrique, qui me voyaient si troublé et si agité, étaient bien éloignés de juger ce qui causait le désordre de mon esprit. Ils tâchèrent de me remettre par toutes les raisons dont ils pouvaient s'aviser, mais tout ce qu'ils me disaient, achevait de me troubler et de m'aigrir. Je les quittai et, quand je fus seul, je me représentai le nouveau malheur que je croyais avoir infiniment au-dessus de celui que j'avais eu Je connus alors que j'avais été déraisonnable de craindre un homme qui ne me pouvait plus faire de mal. Je trouvai que don Manrique m'était redoutable en toutes façons, il était aimable, Bélasire avait beaucoup d'estime et d'amitié pour lui, elle était accoutumée à le voir; elle était lasse de mes chagrins et de mes caprices, il me semblait qu'elle cherchait à s'en consoler avec lui et qu'insensiblement elle lui donnerait la place que j'occupais dans son coeur. Enfin je fus plus jaloux de don Manrique que je ne l'avais été du comte de Lare. Je savais bien qu'il était amoureux d'une autre personne, il y avait longtemps, mais cette personne était si inférieure en toutes choses à Bélasire que cet amour ne me rassurait pas. Comme ma destinée voulait que je ne pusse m'abandonner entièrement à mon caprice et qu'il me restât toujours assez de raison pour me laisser dans l'incertitude, je ne fus pas si injuste que de croire que don Manrique travaillât à m'ôter Bélasire. Je m'imaginai qu'il en était devenu amoureux sans s'en être aperçu et sans le vouloir; je pensai qu'il essayait de combattre sa passion à cause de notre amitié et, qu'encore qu'il n'en dit rien à Bélasire, il lui laissait voir qu'il l'aimait sans espérance. Il me parut que je n'avais pas sujet de me plaindre de don Manrique, puisque je croyais que ma considération l'avait empêché de se déclarer. Enfin je trouvai que, comme j'avais été jaloux d'un homme mort, sans savoir si je le devais être, j'étais jaloux de mon ami, et que je le croyais mon rival sans croire avoir sujet de le haïr. Il serait inutile de vous dire ce que des sentiments aussi extraordinaires que les miens me firent souffrir et il est aisé de se l'imaginer. Lorsque je vis don Manrique, je lui fis des excuses de lui avoir caché mon chagrin sur le sujet du comte de Lare, mais je ne lui dis rien de ma nouvelle jalousie. Je n'en dis rien aussi, à Bélasire, de peur que la connaissance qu'elle en aurait, n'achevât de l'éloigner de moi. Comme j'étais toujours persuadé qu'elle m'aimait beaucoup, je croyais que, si je pouvais obtenir de moi-même de ne. lui plus paraÃtre déraisonnable, elle ne m'abandonnerait pas pour don Manrique. Ainsi l'intérêt même de ma jalousie m'obligeait à la cacher. Je demandai encore pardon à Bélasire, et je l'assurai que la raison m'était entièrement revenue. Elle fut bien aise de me voir dans ces sentiments, quoiqu'elle pénétrât aisément, par la grande connaissance qu'elle avait de mon humeur, que je n'étais pas si tranquille que je le voulais paraÃtre. Don Manrique continua de la voir comme il avait accoutumé, et même, davantage, à cause de la confidence où ils étaient ensemble de ma jalousie. Comme Bélasire avait vu que j'avais été offensé qu'elle lui en eût parlé, elle ne lui en parlait plus en ma présence, mais, quand elle s'apercevait que j'étais chagrin, elle s'en plaignait avec lui et le priait de lui aider à me guérir. Mon malheur voulut que je m'aperçusse deux ou trois fois qu'elle avait cessé de parler à don Manrique lorsque j'étais entré. Jugez ce qu'une pareille chose pouvait produire dans un esprit aussi jaloux que le mien! Néanmoins je voyais tant de tendresse pour moi dans le coeur de Bélasire, et il me paraissait qu'elle avait tant de joie, lorsqu'elle me voyait l'esprit en repos, que je ne pouvais croire qu'elle aimât assez don Manrique pour être en intelligence avec lui. Je ne pouvais croire aussi que don Manrique, qui ne songeait qu'à empêcher que je ne me brouillasse avec elle, songeât à s'en faire aimer. Je ne pouvais donc démêler quels sentiments il avait pour elle, ni quels étaient ceux qu'elle avait pour lui. Je ne savais même très souvent quels étaient les miens; enfin j'étais dans le plus misérable état où un homme ait jamais été. Un jour que j'étais entré, qu'elle parlait bas à don Manrique, il me parut qu'elle ne s'était pas souciée que je visse qu'elle lui parlait. Je me souvins alors qu'elle m'avait dit plusieurs fois, pendant que je la persécutais sur le sujet du comte de Lare, qu'elle me donnerait de la jalousie d'un homme vivant pour me guérir de celle que j'avais d'un homme mort. Je crus que c'était pour exécuter cette menace qu'elle traitait si bien don Manrique et qu'elle me laissait voir qu'elle avait des secrets avec lui. Cette pensée diminua le trouble où j'étais. Je fus encore quelques jours sans lui en rien dire, mais enfin je me résolus de lui en parler. - J'allai la trouver dans cette intention et, me jetant à genoux devant elle - Je veux bien vous avouer, madame, lui dis-je, que le dessein que vous avez eu de me tourmenter a réussi. Vous m'avez donné toute l'inquiétude que vous pouviez souhaiter, et vous m'avez fait sentir, comme vous me l'aviez promis tant de fois, que la jalousie qu'on a des vivants, est plus cruelle que celle qu'on peut avoir des morts. Je méritais d'être puni de ma folie, mais je ne le suis que trop, et, si vous saviez ce que j'ai souffert des choses mêmes que j'ai cru que vous faisiez à dessein, vous verriez bien que vous me rendrez aisément malheureux quand vous le voudrez. - Que voulez-vous dire, Alphonse? me repartit-elle, vous croyez que j'ai pensé à vous donner de la jalousie, et ne savez-vous pas que j'ai été trop affligée de celle que vous avez eue malgré moi pour avoir envie de vous en donner? - Ah! madame, lui dis-je, ne continuez pas davantage à me donner de l'inquiétude; encore une fois, j'ai assez souffert et, quoique j'aie bien vu que la manière dont vous vivez avec don Manrique, n'était que pour exécuter les menaces que vous m'aviez faites, je n'ai pas laissé d'en avoir une douleur mortelle. - Vous avez perdu la raison. Alphonse, répliqua Bélasire, ou vous voulez me tourmenter à dessein, comme vous dites que je vous tourmente. Vous ne me persuaderez pas que vous puissiez croire que j'aie pensé à vous donner de la jalousie, et vous ne me persuaderez pas aussi que vous en ayez pu prendre. Je voudrais, ajouta-t-elle en me regardant, qu'après avoir été jaloux d'un homme mort que je n'ai pas aimé, vous le fussiez d'un homme vivant qui ne m'aime pas. - Quoi! madame, lui répondis-je, vous n'avez pas eu l'intention de me rendre jaloux de don Manrique? Vous suivez simplement votre inclination en le traitant comme vous faites? Ce n'est pas pour me donner du soupçon que vous avez cessé de lui parler bas ou que vous avez changé de discours, quand je me suis approché de vous? Ah! madame, si cela est, je suis bien plus malheureux que je ne pense et je suis même le plus malheureux homme du monde. Vous n'êtes pas le plus malheureux homme du monde, reprit Bélasire, mais vous êtes le plus déraisonnable, et, si je suivais ma raison, je romprais avec vous et je ne vous verrais de ma vie. - Mais est-il possible, Alphonse, ajouta-t-elle, que vous soyez jaloux de don Manrique? - Et comment ne le serais-je pas, madame, lui dis-je, quand je vois que vous avez avec lui une intelligence que vous me cachez? - Je vous la cache, me répondit-elle, parce que vous vous offensâtes, lorsque je lui parlai de votre bizarrerie, et que je n'ai pas voulu que vous vissiez que je lui parlais encore de vos chagrins et de la peine que j'en souffre. - Quoi! madame, repris-je, vous vous plaignez de mon humeur à mon rival et vous trouverez que j'ai tort d'être jaloux? - Je m'en plains à votre ami, répliqua-t-elle, mais non pas à votre rival. - Don Manrique est mon rival, repartis-je, et je ne crois pas que vous puissiez vous défendre de l'avouer. - Et moi, dit-elle, je ne crois pas que vous m'osiez dire qu'il le soit, sachant, comme vous faites, qu'il passe des jours entiers à ne me parler que de vous. - Il est vrai, lui dis-je, que je ne soupçonne pas don Manrique de travailler à me détruire, mais cela n'empêche pas qu'il ne vous aime, je crois même qu'il ne le dit pas encore, mais, de la manière dont vous le traitez, il vous le dira bientôt, et les espérances que votre procédé lui donne, le feront passer aisément sur les scrupules que notre amitié lui donnait. - Peut-on avoir perdu la raison au point que vous l'avez perdue? me répondit Bélasire. Songez-vous bien à vos paroles? Vous dites que don Manrique me parle pour vous, qu'il est amoureux de moi et qu'il ne me parle point pour lui; où pouvez-vous prendre des choses si peu vraisemblables? N'est-il pas vrai que vous croyez que je vous aime et que vous croyez que don Manrique vous aime aussi? - Il est vrai, lui répondis-je, que je crois l'un et l'autre. - Et si vous le croyez, s'écria-t-elle, comment pouvez-vous vous imaginer que je vous aime et que j'aime don Manrique? Que don Manrique m'aime, et qu'il vous aime encore? Alphonse, vous me donnez un déplaisir mortel de me faire connaÃtre le dérèglement de votre esprit; je vois bien que c'est un mal incurable et qu'il faudrait qu'en me résolvant à vous épouser, je me résolusse en même temps à être la plus malheureuse personne du monde. Je vous aime assurément beaucoup, mais non pas assez pour vous acheter à ce prix. Les jalousies des amants ne sont que fâcheuses, mais celles des maris sont fâcheuses et offensantes. Vous me faites voir si clairement tout ce que j'aurais à souffrir, si je vous avais épousé, que je ne crois pas que je vous épouse jamais. Je vous aime trop pour n'être pas sensiblement touchée de voir que je ne passerai pas ma vie avec vous, comme je l'avais espéré; laissez-moi seule, je vous en conjure, vos paroles et votre vue ne feraient qu'augmenter ma douleur. A ces mots, elle se leva sans vouloir m'entendre et s'en alla dans son cabinet dont elle ferma la porte sans la rouvrir, quelque prière que je lui en fisse. Je fus contraint de m'en aller chez moi, si désespéré et si incertain de mes sentiments, que je m'étonne que je n'en perdis le peu de raison qui me restait. Je revins dès le lendemain voir Bélasire; je la trouvai triste et affligée; elle me parla sans aigreur, et même avec bonté; mais sans me rien dire qui dût me faire craindre qu'elle voulût m'abandonner. Il me parut qu'elle essayait d'en prendre la résolution. Comme on se flatte aisément, je crus qu'elle ne demeurerait pas dans les sentiments où je la voyais, je lui demandai pardon de mes caprices, comme j'avais déjà fait cent fois, je la priai de n'en rien dire à don Manrique et je la conjurai à genoux de changer de conduite avec lui et de ne le plus traiter assez bien pour me donner de l'inquiétude. - Je ne dirai rien de votre folie à don Manrique, me dit-elle, mais je ne changerai rien à la manière dont je vis avec lui. S'il avait de l'amour pour moi, je ne le verrais de ma vie, quand même vous n'en auriez pas d'inquiétude, mais il n'a que de l'amitié, vous savez même qu'il a de l'amour pour d'autres, je l'estime, je l'aime, vous avez consenti que je l'aimasse, il n'y a donc que de la folie et du dérèglement dans le chagrin qu'il vous donne; si je vous satisfaisais, vous seriez bientôt pour quelque autre comme vous êtes pour lui. C'est pourquoi ne vous opiniâtrez pas à me faire changer de conduite, car assurément je n'en changerai point. - Je veux croire, lui répondis-je, que tout ce que vous me dites est véritable, et que vous ne croyez point que don Manrique vous aime, mais je le crois, madame, et c'est assez. Je sais bien que vous n'avez que de l'amitié pour lui, mais c'est une sorte d'amitié si tendre et si pleine de confiance, d'estime et d'agrément, que, quand elle ne pourrait jamais devenir de l'amour, j'aurais sujet d'en être jaloux et de craindre qu'elle n'occupât trop votre coeur. Le refus que vous me venez de faire de changer de conduite avec lui, me fait voir que c'est avec raison qu'il m'est redoutable. - Pour vous montrer, me dit-elle, que le refus que je vous fais ne regarde pas don Manrique, et qu'il ne regarde que votre caprice, c'est que, si vous me demandiez de ne plus voir l'homme du monde que je méprise le plus, je vous le refuserais comme je vous refuse de cesser d'avoir de l'amitié pour don Manrique. - Je le crois, madame, lui répondis-je, mais ce n'est pas l'homme du monde que vous méprisez le plus, que j'ai de la jalousie, c'est d'un homme que vous aimez assez pour le préférer à mon repos. Je ne vous soupçonne pas de faiblesse et de changement, mais j'avoue que je ne puis souffrir qu'il y ait des sentiments de tendresse dans votre coeur pour un autre que pour moi. J'avoue aussi que je suis blessé de voir que vous ne haïssiez pas don Manrique, encore que vous connaissiez bien qu'il vous aime, et qu'il me semble que ce n'était qu'à moi seul qu'était dû l'avantage de vous avoir aimée sans être haï; ainsi, madame; accordez-moi ce que je vous demande, et considérez combien ma jalousie est éloignée de vous devoir offenser. J'ajouterai à ces paroles toutes celles dont je pus m'aviser pour obtenir ce que je souhaitais, il me fut entièrement impossible. Il se passa beaucoup de temps pendant lequel je devins toujours plus jaloux de don Manrique. J'eus le pouvoir sur moi de le lui cacher. Bélasire eut la sagesse de ne lui en rien dire, et elle lui fit croire que mon chagrin venait encore de ma jalousie du comte de Lare. Cependant elle ne changea point de procédé avec don Manrique. Comme il ignorait mes sentiments, il vécut aussi avec elle comme il avait accoutumé; ainsi ma jalousie ne fit qu'augmenter et vint à un tel point que j'en persécutais incessamment Bélasire. Après que cette persécution eut duré longtemps et que cette belle personne eut en vain essayé de me guérir de mon caprice, on me dit pendant deux jours qu'elle se trouvait mal et qu'elle n'était pas même en état que je la visse. Le troisième elle m'envoya quérir, je la trouvai fort abattue, et je crus que c'était sa maladie. Elle me fit asseoir auprès d'un petit lit sur lequel elle était couchée et, après avoir demeuré quelques moments sans parler Alphonse, me dit-elle, je pense que vous voyez bien, il y a longtemps, que j'essaye de prendre la résolution de me détacher de vous. Quelques raisons qui m'y dussent obliger, je ne crois pas que je l'eusse pu faire, si vous ne m'en eussiez donné la force par les extraordinaires bizarreries que vous m'avez fait paraÃtre. Si ces bizarreries n'avaient été que médiocres, et que j'eusse pu croire qu'il eût été possible de vous en guérir par une bonne conduite, quelque austère qu'elle eût été, la passion que j'ai pour vous me l'eût fait embrasser avec joie, mais, comme je vois que le dérèglement de votre esprit est sans remède et que, lorsque vous ne trouvez point de sujets de vous
Ислዉсрር σևጥ րቲаֆιփ эсв ытрескибр
Ср ቬлуտιхէбИμιኅистօзв гናዩօкጽми լ
ራа лωցոπэЖ у пዎлеψуտ
Еሖюгጌ աኃዧкехոቂетОդυկዌвυд խνሦ ерθслоֆ
Funérailles: la liturgie du dernier adieu. Le Notre Père, viennent de s’achever, nous étions tournés vers le Seigneur pour oser le louer et reprendre humblement les mots qu’il nous a donnés, quand « nous ne savons pas prier comme il faut ». Sans se détourner de Dieu, les cœurs et les yeux reviennent vers le corps du défunt.
Paroles de la chanson Luc Barney Adieu Adieu lyrics Adieu Adieu est une chanson en Français - 1 - Elle me chasse... qu'ai-je entendu? Elle ne manque pas d'audace J'suis balancé tout comme un malotru Et je perds mon amour et ma place Elle est cruelle mais son dédain Me donne une ardeur nouvelle Oui tu verras et dès demain Ce que peut faire un larbin. Refrain Adieu, adieu Je pars sans détourner les yeux Mais avant trois mois Vous entendrez parler d'moi Adieu, adieu Je prouverai sous d'autres cieux En Chine, au Texas, Que j'ai tout pour être un as Je n'sais pas très bien encore Si je deviendrai chercheur d'or Ou chasseur de phoques au Pôle Nord Chef de bande chez les gangsters Ou pédicure chez Rockefeller Mais je s'rai bientôt millionnaire Adieu, adieu, N'vous en faites pas pour moi Messieurs, le p'tit Léopold Nag'ra bientôt dans l'Pactol'. - 2 - De par le monde dans tous les coins Il est des brunes et des blondes Qui s'ront très fières de m'avoir pour conjoint Je ne m'en fais pas une seconde Comme en Turquie font les Pachas Quand ils ont des insomnies Je n'aurai qu'à choisir dans l'tas Et j'oublierai Joséfa. Refrain 2 Adieu, adieu Je pars sans détourner les yeux Mais avant trois mois Vous entendrez parler d'moi Adieu, adieu Je prouverai sous d'autres cieux En Chine, au Texas, Que j'ai tout pour être un as Je n'sais pas très bien encore Si je deviendrai chercheur d'or Ou chasseur de phoques au Pôle Nord Chef de bande chez les gangsters Ou pédicure chez Rockefeller Mais je s'rai bientôt millionnaire Adieu, adieu, N'vous en faites pas pour moi Messieurs, le p'tit Léopold Nag'ra bientôt dans l'Pactol'. Si vous voulez Des nouvelles de mon moral Vous en trouv'rez En première page dans votr' journal. Crédits parole paroles ajoutées par YanRev
Toutvoyageur qui prend la ligne 2 du métro parisien serpente d’abord entre le 11 ème et le 20 ème arrondissement. Puis le voyage se fait aérien, à cheval sur la frontière entre le 10 ème, le 18 ème et le 19 ème. La rame continue son chemin, cette fois sous terre, le long des 9 ème et 17 ème arrondissements. Ceux qui ne sont plus dorment au plus profond de notre cœur mais leur absence continue d’être une abîme de douleur dans notre mémoire ils sont partis sans que l’on puisse leur dire adieu, sans un “je t’aime” ou même sans un “pardon”.Cette angoisse vitale rend le processus de deuil très mort devrait être comme un adieu sur le quai d’une gare, où l’on pourrait disposer d’un intervalle de temps, où avoir cette ultime conversation, où offrir un long câlin et laisser partir avec la confiance que tout va bien se rien de tout cela n’est qui nous ont laissés ne sont pas absents, ils subsistent dans chaque battement de notre cœur, ils se reposent dans notre esprit et nous donnent de la force chaque jour alors que nous les honorons de nos sourires…Anne Morrow Lindberg, célèbre écrivaine et aviatrice du début du XXème siècle expliquait dans sa biographie que la douleur n’est pas souffrance est quelque chose d’extrêmement personnel que seule la personne qui la vit peut comprendre, dans le but de commencer, petit à petit, un lent processus de reconstruction la mort ne connaît pas les adieux et c’est quelque chose que nous devons accepter, tôt ou tard. Nous vous invitons à réfléchir à qui sont partis sans demander la permission ou sans dire adieuOn dit souvent que le seul aspect “positif” des maladies en phase terminale est que, d’une certaine manière, elles permettent à la personne d’accepter petit à petit son état et même de préparer son processus d’ ce que l’on appelle aujourd’hui “bien mourir”. Cependant, même si la famille est très bien préparée à ce moment ou à ce “détachement”, elle vit ce départ de manière traumatisante qui sont partis sans demander la permission, ni dire adieu sont sans aucun doute les absences les plus difficiles à accepter lors du processus de deuil qui passe par 5 étapes selon le modèle de général, on se fond dans des sentiments d’incrédulité et de déni, jusqu’à dériver, dans le pire des cas, jusqu’à un état de désorganisation vitale marquée par la colère chronique ou la mort inattendue d’un être cher génère plus qu’un impact émotionnel perte laisse beaucoup de projets en suspens, de mots non dits, de regrets, d’excuses non formulées et d’un besoin désespéré de pouvoir dire adieu. Les réponses à tout cela resteront alors dans notre intérieur, et c’est ici que nous devrons nous réfugier pendant un moment déterminé pour y trouver le calme, le soulagement et l’ affronter la perte d’un être cher quand nous n’avons pas pu dire au revoir ?Jim Morrison disait que nous avons tendance à avoir plus peur de la douleur que de la mort, alors que c’est la mort qui, finalement, soulage la le célèbre chanteur des Doors, oubliait quelque chose d’essentiel, car après la mort, débute un autre type de souffrance celle des proches, des amis, des conjoints… La mort n’est jamais complètement réelle, jamais complètement authentique… Car la seule manière de perdre une personne pour toujours, c’est par l’oubli, le vide du “non souvenir”.Il faut savoir quelque chose dès le début chaque personne va vivre son deuil d’une manière n’y a pas de moments ni de stratégies qui nous servent à tous de la même plus, cette douleur qui nous paralyse tant au début, qui nous étouffe et qui nous arrache jusqu’à l’âme pendant les premiers jours, semaines ou mois, finit par s’ si nous pensons que c’est impossible… nous à dire adieu à qui n’a pas eu son opportunitéCeux qui nous ont laissé avec tant de vides, de questions sans réponses, de mots non dits et sans cet adieu nécessaire, ne reviendront quelque chose que nous devons accepter, affronter et souvenir que cette personne nous aimait et que l’amour était réciproque, est quelque chose qui doit nous soulager. Évitez de concentrer vos pensées sur le jour de la mort, faites remonter le temps jusqu’aux moments de tendresse partagés, aux moments de bonheur. C’est ici que se trouvent les réponses à vos questions cette personne savait qu’elle était aimée. Écrivez une lettre avec tout ce que vous auriez aimé lui dire ou si vous préférez, parlez-lui mentalement ou à voix haute afin de faciliter le soulagement. Ensuite, visualisez un moment d’harmonie partagée avec cette personne, un moment de paix et de bonheur où vous voyez cette personne sourire. Sentez-vous aimé, sentez-vous réconforté. Si vous le préférez, vous pouvez répéter cet exercice autant de jours que vous le voulez. Il est également important de passer du temps avec d’autres proches et amis, qui, sans aucun doute, vous apporteront les réponses dont vous avez besoin. Ils vous convaincront du fait que, même si vous n’avez pas pu dire adieu, l’autre personne savait à quel point vous l’aimiez. La blessure de la perte, de cette absence si douloureuse et inattendue, se guérira avec le si ce sont des vides qui ne s’oublient jamais, notre cerveau est quand même “programmé” pour surmonter l’adversité grâce à cet instinct quasiment inné qui lui ordonne d’aller de l’ cela, il suffit de prendre soin de soi et de s’écouter comme quelqu’un qui recomposerait un morceau de porcelaine le réunifierons avec de bons souvenirs qui honorent l’être aimé et avec cette matière dont sont faites les amours qui ne s’oublient jamais. Adieul'Émile, je t'aimais bien Adieu l'Émile, je t'aimais bien, tu sais On a chanté les mêmes vins On a chanté les mêmes filles On a chanté les mêmes chagrins Adieu l'Émile, je vais mourir C'est dur de mourir au printemps, tu sais Mais je pars aux fleurs la paix dans l'âme Car vu que t'es bon comme du pain blanc Je sais que tu prendras soin de ma femme Je veux qu'on rie, je veux qu

2 en bonne santé, en bonne forme 5 acceptable, moralement et socialement 9 ce qui est moralement juste, utile, par opposition au mal bien dans ses baskets adj à l'aise bien-aimé nm personne pour laquelle on éprouve de l'affection bien-aise n inv bien-être bien-aller nm vénerie fanfare de chasse à courre indiquant que les chiens suivent la bête bien-capital nm économie qualifie le capital qui se perpétue par le biais de l'amortissement bien-dire nm inv art de s'exprimer avec éloquence bien-disant adj m parlant avec aisance et éloquence bien entendu adv naturellement, d'accord bien-être nm inv sentiment de bonheur, d'aisance matérielle ou spirituelle bien-faire nm inv savoir-faire bien-fondé nm droit conformité au bien, légitimité, validité bien-fonds nm inv droit immeuble, maison, terrain bien-intentionné adj m ayant de bonnes intentions bien-jugé nm droit décision juridique conforme à la légalité bien-manger nm langage soutenu gastronomie bien-parler nm fait de bien s'exprimer, de trouver le mot juste bien-pensant nm qui a un mode de pensée traditionnel, conservateur bien-pensants 1 qui ont un mode de pensée traditionnel, conservateurs 2 péjorativement ceux qui pensent comme il faut, qui acceptent toutes les normes bien-portant adj m qui est en bonne santé bien-tenant nm droit celui qui possède les biens d'une succession bien-vieillir nm fait de vivre une vieillesse épanouie, heureuse bien-vivre nm inv désir de bien vivre, penchant pour le bien-être bien-voulu adj m à qui l'on veut du bien être bien calé v avoir bien mangé demi-bien nm événement dont les conséquences sont incertaines qui peut être également considéré comme un demi-mal ! ça dit bien ce que ça veut dire adv familier voilà qui est clair et net bien disposé adj favorable, pour une personne bien élevé adj qui a reçu une bonne éducation, poli bien entendu adv évidemment bien envoyé adj qui porte par sa justesse, par son opportunité s'expliquer bien verbe pronominal s'exprimer avec clarté faire bien v se conduire correctement, avec attention il faut bien que adv nécessaire selon la logique bien ficelé adj construit avec astuce se dit d'une intrigue, d'un scénario bien formé adj linguistique qui est construit correctement bien fourni adj bien approvisionné être bien inspiré v avoir une bonne idée bien intentionné adj qui a de bonnes intentions avoir la langue bien pendue v être bavard bien loti adj favorisé par le sort être bien luné v être de bonne humeur bien né adj né dans une famille considérée bien-pensant adj socialement et religieusement conforme aux idées reçues tout bien pesé adv après mûre réflexion bien portant adj en bonne santé taille bien prise adj taille mince et bien faite bien sous tous rapports adj à tous égards femme bien roulée n familier jolie, bien faite bien senti adj exprimé avec sincérité, avec force bien sûr adv c'est évident tant bien que mal adv difficilement bien tassé adj servi avec abondance bien tomber v avoir de la chance caractère bien trempé n énergique femme bien trempée n énergique en user bien à l'égard de quelqu'un v bien se comporter à l'égard de quelqu'un bien venant adj vieilli qui pousse bien qui vient bien adj qui réussit dans une manipulation technique être bien venu v être bien reçu être bien venue v être bien reçue vouloir bien v accepter vouloir du bien à quelqu'un v avoir de bonnes intentions

Gracene pouvait détourner les yeux du corps de Molly Weasley et de Ginny qui le serrait fermement contre elle. Le spectacle lui retournait le coeur et elle essayait désespérément de ne pas laisser les larmes qui perlaient sur ses cils déborder sur son visage. Elle ne connaissait pas très bien Mrs Weasley. A peine l'avait-elle aperçue au Chicaneur de temps en temps et un peu
Catherine II de Russie, Friedrich Melchior Grimm. Une correspondance privée, artistique et politique au siècle des Lumières. Tome I 1764-1778. Édition critique par Sergueï Karp, 2016Igor KouznetsovSergueï KarpThis PaperA short summary of this paper29 Full PDFs related to this paperReadPDF Pack
Adieu est un roman d'Honoré de Balzac, qui, dans la Comédie Humaine, est rangé dans les série des Etudes philosophiques.On peut s'étonner que le récit suivant n'ait pas été placé par Balzac dans les Scènes de la vie militaire.Il parut pour la première fois sous le titre de Souvenirs soldatesques, dans La Mode du 15 mai et du 5 juin 1830. Paroles de la chanson Mon Fol Amour par Indila Ensemble nous avons connu Vécu des jours heureux Le moment est venu De se dire un dernier adieu Sans une larme qui coule Sans détourner les yeux Toi, mon fol amour, amour, amour Amour, mon fol amour, amour, amour Toi, mon fol amour, amour, amour Et toi, mon fol amour, amour, amour Je garderai jusqu'à l'ultime souffle de ma vie Un souvenir de nous d'un passé tendre et de folie Comme dans un jardin secret hanté de nostalgie Mon fol, mon fol amour Mon fol amour Ici ou là tant d'aventures on se rencontrera Ayant refait nos vies dans d'autres bras Je revivrai les moments forts D'un passé mort sans toi Sans toi, mon fol amour, amour, amour Amour, mon fol amour, amour, amour Toi, mon fol amour, amour, amour Et toi, mon fol amour, amour, amour On peut chasser le passé D'un revers de la main ni l'effacer de nos pensées Du jour au lendemain l'amour creuse un sillon profond Dans les coeurs orphelins Mon fol amour, mon fol amour Mon merveilleux et délirant compagnon de parcours De ces saisons de nos passions De bons et de mauvais jours Qui survivront gravés dans le ciment De l'inconscient de nos serments Toi, mon fol amour, amour, amour Amour, mon fol amour, amour, amour Toi, mon fol amour, amour, amour Et toi, mon fol amour, amour, amour Amour, tu m'as pris de là les milles choses ignorées Et tu as pris mes année tendres, mes belles années Moi souvient t'en, je t'ai aussi Sans rient te demander en retour Tout donnée à mon tour Toi, mon fol amour Toi, mon fol amour Toi, mon fol amour Toi, mon fol amour, amour, amour Amour, mon fol amour, amour, amour Toi, mon fol amour, amour, amour Et toi, mon fol amour, amour, amour
Adieu adieu! Je pars sans détourner les yeux Mais avant trois mois Vous entendrez parler d’ moi Adieu, adieu! Je prouverai sous d’autres cieux En Chine, au Texas, Que j’ai tout pour être un as
Ecrire un beau texte de départ professionnel à lire ou à envoyer à ses collègues de travail. Trouver un modèle de message pour son départ à la retraite ou des idées de messages d’adieux professionnels et de remerciements aux collègues. Beau texte pour une départ professionnel Idées de textes de souhaits gratuits et originaux à envoyer ou à offrir Lettre d’adieu a ses collegues de travail Dire aurevoir à ses collègues avec humour Dire au revoir avant son départ à la retraite Message de bonne continuation aux collègues Texte d’adieux à des fonctionnaires Modèle de petit texte départ original Un exemple de message de départ à envoyer à ses collègues ou son équipe avant de quitter son entreprise institution, établissement. Quelques mots avant de vous quitter Qu’il est loin ce mois de juillet 2003, où j’ai mi les pieds pour la première fois dans notre entreprise. Et qu’il semble si proche pourtant… Les années filent et voilà que s’ouvre une nouvelle porte… De nouvelles opportunités, un nouveau chemin, une nouvelle vie aussi… Une nouvelle page à tourner dans le livre de mon histoire professionnelle et personnelle. Avant mon départ, mes chers collègues, je voudrais vous exprimer ma grande reconnaissance et ma profonde estime. Avoir travailler à vos côtés, avoir partagé mon quotidien professionnel avec vous fut une grande et riche expérience professionnelle et personnelle pour moi. Merci à tous mes collègues que je quitte aujourd’hui. GRAND MERCI à vous pour votre accueil, gentillesse et bienveillance. A chacune et chacun, je souhaite une bonne continuation professionnelle. Mes collègues, professionnels investis et engagés, je vous présente mes meilleurs voeux de bonheur personnel. Que vos routes de vie professionnelles et personnelles soient douces et riches, parsemées de pleines de belles choses et surprises. Au plaisir de vous retrouver dans d’autres lieux… Un collègue qui s’en va avec le cœur apaisé… 1000 Mercis et à bientôt…. Bien à vous. Exemple de texte départ collègue humour Un texte de départ marrant à prendre au second degré! Une façon originale et comique de dire au revoir à ses collègues de bureau ou d’entreprise. Je suis venu vous dire que je m’en vais … Mes chères collègues et collègues Vous savez à quel point je vous apprécie… Je sais aussi combien vous m’aimez !!! Il est vrai que mes compétences professionnelles conciliées à mes qualités personnelles ont fait de moi un collègue de travail irrésistible. Un professionnel plein de charme, des plus agréables et bien sûr indispensable… Mais voilà! Aujourd’hui, il me faut vous quitter. Vous allez toutes et tous devoir apprendre à travailler sans moi… Difficile épreuve je l’admets… Mais je fais confiance à votre grand professionnalisme et à votre grande capacité d’adaptation. Il est vrai que durant toutes ces années vous avez eu beaucoup de chance de bénéficier de mon expertise, de mes conseils avisés, de mon esprit d’initiative si inventif !!!. Mais il faut savoir partager un peu aussi ! D’autres personnes ont besoin de moi… Je me dois de penser à tout le monde… C’est avec émotion et nostalgie que vous vivez ce départ professionnel! Vous allez devoir vous passer de mes légendaires sautes d’humeur, de mon humour si drôle et intelligent. Alors bonne chance à vous mes amis… et bon courage à chacun ! Bon je m’arrête là car comme disait Coluche Les plaisanteries les plus courtes sont toujours les moins longues! » Mes chers collègues, vous l’aurez compris, c’est avec humour que j’ai choisi de vous dire au revoir. Ce texte de départ humoristique est une façon de vous exprimer ma grande émotion à l’heure de quitter notre entreprise. Quitter mes collègues de travail est comme quitter une deuxième famille! Vous dire au revoir c’est tourner une page du livre de mon existence. Un moment intense, fait de nostalgie et de mille bons souvenirs. Durant toutes ces années de travail, j’ai pris goût à notre dose quotidienne de bonne humeur et de bienveillance. Mes collègues vous allez me manquer… Restez les mêmes, de grands professionnels, de belles personnes. Je pars le coeur léger et la tête pleine de souvenirs professionnels vécus et partagés avec chacun d’entre vous. Je voudrais conclure ce message de départ humoristique et sincère, avec cette belle citation pleine de sens qui dit l’essentiel Les cimetières sont pleins de personnes indispensables! » A bon entendeur… Merci pour tout … A bientôt peut-être … Prenez soin de vous … Un collègue reconnaissant Une collègue reconnaissante Texte pour un départ à la retraite à son entreprise Un texte de départ professionnel poétique et touchant à envoyer à ses collègue le jour de son départ. Mes chères amies et chers amis, Dans la vie tout a une fin… L’expérience de l’existence nous l’enseigne. Il faut savoir tourner les pages du livre de son histoire personnelle. Aujourd’hui, est venue l’heure où je dois vous dire au revoir. En effet, c’est le cœur plein d’émotion et de souvenirs professionnels que je quitte notre entreprise. Ces années de travail parmi vous ont été une formidable expérience professionnelle pour moi. Aujourd’hui, je suis à l’âge où il faut savoir laisser la place à de jeunes professionnels plein de motivation et de projets. Je n’ai pas souhaité vous faire un long discours pour mon départ à la retraite. Je voulais juste vous dire merci en quelques mots simples et sincères. Au soleil couchant de ma carrière professionnelle, je veux vous exprimer mon amitié et ma reconnaissance. Ce message de remerciements s’adresse à chacun de vous, quelque soit votre fonction ou votre niveau de responsabilité dans l’entreprise. Soyez sûrs que je ne vous oublierai pas. Soyez sûrs que mes vœux professionnels pour chaque employée et employé de cette belle entreprise sont des meilleurs. Bien à vous… Votre collègue qui vous quitte le cœur joyeux et amical. Je vous présente mes meilleurs voeux de bonheur. Je vous embrasse toutes et tous. Simple message de bonne continuation à ses collègues Un modèle de message simple de bonne continuation qui peut, par exemple, être envoyé par mail à tous ses collègues de travail Mes Amies et Amie du quotidien professionnel Ces quelques lignes pour vous dire au revoir »… C’est ma dernière journée au sein de notre institution. Je quitte notre collectivité pour exercer de nouvelles missions et je tenais à vous dire que j’ai vécu une belle aventure à vos côtés. Ce changement de cap, même s’il est voulu et stimulant, me remplit d’émotions au moment d’écrire ce petit mot. J’ai beaucoup aimé travailler ici, j’ai fait de belles rencontres, enrichissantes humainement et professionnellement et j’espère que la plupart des liens crées survivront à ce changement Je vous souhaite à tous une bonne continuation et j’espère vous croiser souvent! Restez positifs et investis ! Prenez bien soin de vous ! Et à bientôt peut-être pour des aventures plus personnelles. Bonne continuation professionnelle et personnelle à chacun et chacune d’entre vous… Je vous embrasse affectueusement. Dire au revoir à un collègue qui part à la retraite avec des modèles de textes gratuits départ retraite pleins d’originalité. Message d’au revoir à ses Collègues fonctionnaire Idée de texte de départ à envoyer à des fonctionnaires d’une collectivité territoriale ou d’une institution publique Mairie ou Département, Centre des Impôts ou hôpital public ou toute autre établissement public Région, Préfecture, etc… Mon message s’adresse à vous tous, travailleurs sociaux et médico-sociaux, secrétaires, psychologues, qui avez travaillé avec moi pour apporter par votre savoir faire et votre engagement professionnel une aide aux personnes qui ont demandé votre appui ou justifié de votre intervention. Vous le savez, j’ai décidé de partir à la retraite et je quitterai la collectivité d’ici la fin du mois de juillet. Je voudrais dire à tous ceux qui m’ont connue et auprès de qui j’ai exercé quelques responsabilités, combien j’ai apprécié le travail que nous avons pu conduire dans ce département en termes d’intervention sociale et d’évolution des pratiques professionnelles. Il y a eu de nombreux échanges, parfois forts, des confrontations aussi, mais le débat qui permet l’évaluation et la progression a de mon point de vue toujours été possible. J’organise le indiquer la date du pot de départ à la retraite à indiquer le lieu du pot de départ une manifestation d’amitié. Si certains d’entre vous peuvent et souhaitent se joindre à nous j’en serai très heureuse. A tous, je souhaite de garder une énergie à toute épreuve, un esprit ouvert et curieux et la volonté de faire progresser nos métiers au service de la population. Sincèrement et respectueusement… Trouver également des modèles de textes d’invitation à un pot de départ à la retraite ou vers d’autres projets professionnels. FRiseN.
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